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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2281/2023

ATA/44/2024 du 16.01.2024 ( AIDSO ) , REJETE

Descripteurs : ASSISTANCE PUBLIQUE;PRESTATION D'ASSISTANCE;BÉNÉFICIAIRE DE PRESTATIONS D'ASSISTANCE;SUBSIDIARITÉ;SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL)
Normes : LIASI.9.al1; LIASI.21; LIASI.22; LIASI.25.al1.letb; RIASI.9.al1; LRDU.4; LIPP.26.letd
Résumé : Décision de suppression des prestations d’aide financière, au motif que les ressources de la recourante dépassaient les charges admises. L’Hospice général était fondé à prendre en considération, à titre de revenu, un versement unique effectué par l’ancien bailleur de la recourante, dès lors que cette indemnité résultait d’un accord conclu dans le cadre d’une procédure de conciliation suite à un litige en matière de baux et loyers. Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2281/2023-AIDSO ATA/44/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 janvier 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la bénéficiaire), née le ______ 1987, a bénéficié d’une aide financière versée par l’Hospice général depuis le 1er juillet 2018.

b. Le 14 décembre 2019, la bénéficiaire a conclu avec B______, locataire d’un appartement de quatre pièces situé à C______, un contrat de sous-location portant sur une chambre meublée pour un loyer mensuel de CHF 950.-.

c. Dès le 1er mars 2020, une nouvelle personne a emménagé dans l’appartement, ce qui a entraîné une diminution du loyer des colocataires.

d. Au printemps 2020, la bénéficiaire et son assistante sociale ont échangé des messages électroniques concernant l’éventuelle participation de l’Hospice général à l’acquisition d’un nouveau four.

e. Par courriel du 9 avril 2021, la bénéficiaire a informé l’Hospice général qu’elle avait récemment appris que le loyer mensuel de l’appartement avait été diminué et que celui de sa chambre s’élèverait à CHF 550.-, à tout le moins dès le mois d’avril 2021. B______ n’avait pas annoncé sa sous-location à la régie, ce qui avait péjoré leur relation, et elle était à la recherche d’un autre logement.

f. Par courriel du 9 juillet 2021, B______ a indiqué à l’Hospice général que la sous-location avait pris fin le 15 juin 2021, que la bénéficiaire ne logeait plus dans son appartement, mais qu’elle n’avait pas restitué les clefs ni repris ses effets personnels.

g. Le 20 juillet 2021, la bénéficiaire a transmis son extrait de compte bancaire pour le mois de juin 2021, duquel il ressort que B______ lui avait versé
CHF 275.- le 29 juin 2021.

h. Par courrier du 10 août 2021, l’Hospice général a demandé à la bénéficiaire de lui transmettre ses relevés bancaires des mois de novembre 2020, avril et
juillet 2021, ainsi que les preuves du paiement de son loyer pour la deuxième partie du mois de juin et le mois de juillet 2021, et une attestation du locataire principal confirmant qu’il avait continué à lui sous-louer une chambre après le 15 juin 2021 ou la copie de son nouveau contrat de bail.

i. Le 20 août 2021, la bénéficiaire a répondu qu’elle était toujours domiciliée chez B______. Ce dernier n’avait pas valablement résilié son contrat de bail, mais se montrait menaçant lorsqu’elle tentait d’accéder à sa chambre. Elle avait dû requérir l’intervention de la police à deux reprises durant le mois en cours. Elle n’avait pas l’intention de quitter son logement.

j. Le 24 août 2021, la bénéficiaire a transmis à l’Hospice général son relevé de compte bancaire pour le mois de juillet 2021, duquel il ressort que
B______ lui avait restitué le paiement du loyer du mois de juillet 2021, en lui versant CHF 275.- le 12 juillet et CHF 275.- le 22 juillet.

k. Par courrier du 6 septembre 2021, D______ (ci-après : D______), mandatée par la bénéficiaire, a rappelé à l’avocat de B______ que le contrat de sous-location n’avait pas été valablement résilié et que le locataire principal ne pouvait pas refuser l’accès à l’appartement, ni les paiements de l’intéressée. Il était mis en demeure de verser la différence entre le loyer fixé et celui effectivement payé. À défaut, une requête en fixation du loyer serait introduite afin de récupérer les sommes indûment perçues.

l. Lors d’une audience du 1er décembre 2021 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, B______ et la bénéficiaire ont convenu que la résiliation du contrat de sous-location notifiée le 10 septembre 2021 pour le
30 septembre 2021 était acceptée, qu’une unique prolongation du bail était octroyée jusqu’au 31 mars 2022, que le loyer mensuel de la chambre était fixé à CHF 590.- dès le 1er décembre 2021 et que les bailleurs s’engageaient à verser à la bénéficiaire une certaine somme définie en fonction de la date de la restitution, entre
CHF 3'000.- en cas de restitution au 31 décembre 2021 et CHF 2'000.- en cas de restitution au 31 mars 2022.

m. Par courrier du 7 décembre 2021, D______ a résumé à la bénéficiaire les termes de l’accord et lui a adressé sa note d’honoraires d’un montant de
CHF 150.-, payable en trois mensualités compte tenu de sa situation financière.

n. Le 8 décembre 2021, la bénéficiaire a demandé des clarifications à D______. Le procès-verbal de conciliation ne mentionnait que le montant du loyer à partir du 1er décembre 2021, de sorte qu’elle s’inquiétait que le dédommagement prévu ne serve qu’à couvrir les loyers impayés car elle ne dormait plus dans le logement. Elle sollicitait un décompte précisant la part du loyer, celle du tort moral et celle des divers remboursements visés par l’indemnité, afin que l’Hospice général ne saisisse pas l’intégralité de la somme. Elle n’avait pas réintégré sa chambre.

o. Par courriel du 10 décembre 2021, la bénéficiaire a transmis à l’Hospice général une copie du procès-verbal de conciliation et sollicité le versement du loyer de décembre 2021, qu’elle devait payer. Elle préciserait le décompte détaillé des sommes perçues, notamment le montant du dédommagement.

p. Le 18 janvier 2022, l’Hospice général a imparti un délai à la bénéficiaire pour transmettre une attestation de son logeur confirmant qu’elle avait réintégré son logement. Ce pli a été retourné à l’expéditeur, avec la mention « le destinataire est introuvable à l’adresse indiquée ».

q. Le 10 février 2022, la bénéficiaire a transmis à l’Hospice général son relevé bancaire pour le mois de janvier 2022, lequel fait état d’un crédit le 28 janvier de la part de B______ à hauteur de CHF 2'705.-, avec la mention : « 3000 CHF Selon accord du 01-12-2021 moins 295 CHF loyer 15-29 dec 2021 non paye ».

r. Lors d’un entretien de suivi du 8 mars 2022, la bénéficiaire s’est présentée au centre d’action sociale (ci-après : CAS) de E______, accompagnée de son nouveau colocataire, lequel a alors rédigé et signé deux quittances de loyer attestant avoir reçu de la bénéficiaire CHF 650.- à titre de participation aux loyers des mois de janvier et février 2022.

B. a. Par décision de cessation de prestations du 8 mars 2022, l’Hospice général a informé la bénéficiaire qu’elle n’avait droit à aucune prestation dès le mois de février 2022, au motif que ses ressources dépassaient les charges admises. Selon le plan de calcul annexé, le montant de ses dépenses s’élevait à CHF 1'807.80 et celui de ses ressources à CHF 2'712.35, lequel comprenait CHF 7.35 de taxes environnementales et CHF 2'705.- d’« Autre revenu ».

b. Le 8 mars 2022, la bénéficiaire a contesté la prise en compte d’un montant de CHF 2'700.- à titre de ressources. L’indemnité perçue suite à l’audience de conciliation ne comprenait qu’une infime part pour compenser les loyers indûment versés pendant moins d’une année. Ce dédommagement correspondait surtout, d’une part, au remboursement de dettes par ses bailleurs, qui ne s’étaient pas acquittés des courses et des ustensiles ou appareils qu’elle avait payés, notamment un four et des petits meubles, et, d’autre part, au désagrément que ses bailleurs lui avaient causé en la privant de l’accès au logement dès le début du mois d’août 2021. Elle avait dû vivre avec cette modeste somme, qui devait également lui permettre de s’installer dans son nouveau logement et honorer la facture de D______.

c. Le 26 octobre 2022, la bénéficiaire a déploré que les loyers des mois de janvier et février 2022 ne lui avaient toujours pas été versés, ajoutant que son colocataire les lui réclamait.

d. Le 21 novembre 2022, l’Hospice général lui a répondu que le loyer du mois de janvier 2022 lui avait été versé et qu’aucune prestation ne lui avait été accordée pour le mois de février 2022, puisqu’elle était hors barème.

e. Par courriel du 9 décembre 2022, la bénéficiaire a exposé que l’indemnité perçue suite à la conciliation correspondait, entre autres, à la différence des loyers qu’elle avait indûment payés, aux meubles que son ancien colocataire lui avait rachetés, au dommage lié à de la nourriture fréquemment jetée dans le contexte d’une colocation toxique, à un dédommagement pour les six mois de « torture » de la part de son précédent colocataire. En outre, elle était toujours redevable envers son colocataire actuel.

f. Le 23 décembre 2022, sur demande de la bénéficiaire, l’Hospice général lui a envoyé les décomptes de prestations pour la période du 1er janvier 2021 au
31 décembre 2022.

Il a annexé une copie de la décision de cessation de prestations du 8 mars 2022 concernant le droit de la bénéficiaire à partir du 1er février 2022, datée du « 23 décembre 2022 ».

g. Par courrier du 18 janvier 2023, l’Hospice général a confirmé à la bénéficiaire que les prestations du mois de janvier 2022 tenaient compte du loyer de CHF 650.-et qu’aucune prestation ne lui avait été accordée pour le mois de février 2022, puisqu’elle était hors barème. Il ressortait du dossier qu’elle était à jour avec le paiement de ses loyers depuis le 1er janvier 2022, étant en particulier rappelé les quittances signées par son colocataire pour les mois de janvier et février 2022.

h. Le 31 janvier 2023, la bénéficiaire a formé opposition contre la décision du
« 23 décembre 2022 », qui n’était pas accompagnée du décompte pour le mois de février 2022. Elle a contesté la prise en compte de la somme de CHF 2'700.-, laquelle correspondait au remboursement par son ancien colocataire de divers frais avancés à ce dernier (CHF 338.30 de meubles et appareils ménagers, CHF 410.- de frais et honoraires de D______, et entre CHF 750.- et CHF 1'000.- de frais de repas de juillet à novembre 2022) et devait indemniser le tort moral subi, à hauteur de CHF 500.-. Selon ses propres calculs, le montant versé par son ancien colocataire ne comprenait qu’une infime part versée pour les loyers en trop durant quelques mois. L’Hospice général pouvait déduire CHF 700.- au maximum. Enfin, elle n’était pas sûre de bien avoir reçu le loyer du mois de janvier 2022, les décomptes des mois de mars à mai 2022 étaient erronés, et elle n’avait pas obtenu de prestations en juillet 2018.

i. Par courrier du 22 février 2023, l’Hospice général a considéré que l’opposition de la bénéficiaire était valable, compte tenu de son courriel du 8 mars 2022. Il lui a octroyé un délai au 31 mars 2023 pour produire toutes les pièces utiles à l’appui de ses explications.

j. Par décision sur opposition du 1er juin 2023, dont l’envoi recommandé n’a pas été retiré, l’Hospice général a confirmé sa décision du 8 mars 2022. L’indemnité perçue le 28 janvier 2022 à hauteur de CHF 2'705.- devait être prise en compte à titre de ressources disponibles dans le calcul du droit aux prestations du mois de février 2022. Les explications de l’intéressée n’étaient étayées par aucune pièce. Au contraire, la correspondance échangée avec D______ indiquait que la procédure engagée à l’encontre du logeur avait pour but d’obtenir la part des loyers payés en trop et que les frais d’honoraires facturés avaient été réduits à CHF 150.-.

C. a. Par acte du 7 juillet 2023, la bénéficiaire a interjeté recours contre la décision précitée. Elle a conclu à l’annulation de cette dernière, à la prise en compte de tous les frais articulés et à ce que l’intimé soit condamné à lui rembourser les montants considérés à tort comme des revenus. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi du dossier à l’intimé pour nouvelle instruction et prise en compte des déductions avérées.

Aucune instruction sérieuse n’avait été conduite par l’intimé, alors qu’elle avait proposé divers témoignages pour démontrer que l’indemnité perçue couvrait plusieurs postes du dommage qu’elle avait subi en raison du comportement fautif de B______. Ainsi, elle avait vendu à son ancien colocataire plusieurs meubles, que celui-ci n’avait payés que dans le cadre de l’indemnité. De plus, elle avait financé l’achat d’une cuisinière pour l’appartement, et donc une partie due par son colocataire. Elle avait également été contrainte de prendre ses repas à l’extérieur durant toute la période pendant laquelle B______ lui avait refusé l’accès à l’appartement. Elle avait disposé de l’argent qui lui avait été alloué et ses proches l’avaient nourrie lorsqu’elle n’avait plus suffisamment de moyens. La prétention de D______ avait été revue à la baisse, car elle ne s’était pas acquittée des honoraires, mais cette somme était dérisoire et elle se sentait moralement obligée de payer un montant plus important, vu le travail investi pour défendre ses intérêts. La commission de conciliation en matière de baux et loyers n’avait pas précisé à quel titre l’indemnité devait lui être versée, mais il ne faisait aucun doute que cette autorité avait tenu compte de la souffrance morale résultant de la privation de sa résidence habituelle pendant plusieurs mois. Un montant de CHF 500.- à ce titre ne paraissait pas exagéré. Elle avait dû patienter plusieurs mois jusqu’à la résolution du litige l’opposant à son colocataire, sans aucune aide de l’intimé, ce qui avait entrainé des conséquences financières et morales.

La recourante a proposé l’audition de B______ (concernant les meubles et l’interdiction de vivre chez elle), de F______, troisième colocatrice durant une période (s’agissant des meubles), de G______ (pour les frais de nourriture et l’interdiction de vivre chez elle), de H______ (concernant les frais de nourriture et l’interdiction de vivre chez elle), de I______ (pour les frais de nourriture) et de J______, sa sœur (s’agissant des meubles, des frais de nourriture et de l’interdiction de vivre chez elle).

b. Dans sa réponse du 17 août 2023, l’intimé a conclu au rejet du recours.

La décision était fondée, puisque la recourante avait reçu la somme de CHF 2'705.- à la fin du mois de janvier 2022 et que cette somme, qui devait être prise en compte dans le calcul des ressources en raison du caractère subsidiaire de l’aide sociale, lui permettrait d’assurer la totalité de ses besoins de base.

La recourante avait pu s’exprimer au sujet du litige avec B______ et avait été invitée à produire toute pièce utile. Elle n’avait transmis aucun document attestant de l’achat d’appareils ménagers justifiant l’octroi de prestations circonstancielles, n’avait pas démontré avoir dû supporter des frais supplémentaires liés à la prise de repas à l’extérieur alors qu’elle était gratuitement hébergée par des tiers, n’avait pas établi un quelconque dédommagement pour tort moral ou pour des meubles. Le fait que l’indemnité était fixée en fonction de la date de sortie du logement démontrait que son octroi était lié au contrat de bail et à sa durée.

Cela étant, ces éventuels dédommagements étaient estimés par la recourante à
CHF 838.30, de sorte que ce montant était entièrement couvert par le solde de l’indemnité restant à sa disposition (CHF 904.55), après déduction du montant de ses charges (CHF 2'712.35 - CHF 1'807.80). Enfin, le montant des honoraires de D______ avait été réduit à CHF 150.- et cette charge n’entrait de toute façon pas dans la liste des besoins de base couverts par l’aide sociale.

Durant la période de conflit avec B______, la recourante avait perçu la somme de CHF 1'650.- au titre de prestations « loyer » pour les mois de juin, juillet et décembre 2021, alors que la moitié du loyer de juin et l’intégralité de celui de juillet lui avaient été remboursés par son colocataire. Quant au loyer de
décembre 2021, la recourante ne s’était acquittée que de sa moitié, l’autre ayant été déduite du montant de l’indemnité due par le logeur. Il serait donc en droit de réclamer à la recourante la restitution des parts de loyer remboursées par
B______ ou non payées, ce qu’il n’avait à ce stade pas fait.

c. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑
LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 52 de loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 ‑ LIASI ‑ J 4 04]).

2.             L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. Il correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/504/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2 et les arrêts cités). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/504/2023 précité consid. 3.2 et l'arrêt cité).

En l’occurrence, le recours est interjeté contre la décision sur opposition du
1er juin 2023, par laquelle l’intimé a statué sur le droit de la recourante aux prestations d’aide sociale financière pour le mois de février 2022.

Les griefs invoqués par la recourante dans le cadre de la procédure d’opposition, en particulier ceux portant sur la perception du loyer du mois de janvier 2022, le
bien-fondé des décomptes des mois de mars, avril et mai 2022, et son droit aux prestations pour le mois de juillet 2018, excèdent donc l’objet du litige.

3.             La recourante propose l’audition de plusieurs témoins, afin de démontrer que la somme versée par son ancien colocataire était destinée à lui payer une partie des meubles qu’elle lui avait vendus, à la dédommager pour les frais de nourriture occasionnés par l’interdiction de vivre chez elle, à compenser la différence entre le prix du loyer et celui effectivement payé, et à l’indemniser pour le tort moral subi en raison du comportement de son colocataire.

3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 En l’espèce, la recourante a eu l’occasion de s’exprimer devant l’intimé et la chambre de céans, et de produire toutes pièces utiles. Les auditions sollicitées ne s’avèrent pas utiles à la résolution du litige, étant précisé, comme on le verra, que le dossier ne contient aucune facture permettant de justifier l’acquisition de meubles par l’intéressée.

Il ne sera donc pas donné suite à l’offre de preuve de la recourante.

4.             Aux termes de l’art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. L’art. 39 de la Constitution de la République et canton de Genève du
14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) contient une garantie similaire.

Ce droit à des conditions minimales d’existence fonde une prétention des justiciables à des prestations positives de l’État. Il ne garantit toutefois pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d’une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base. L’art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité (ATF 142 I 1
consid. 7.2.1 ; 136 I 254 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_9/2013 du
16 mai 2013 consid. 5.1 ; ATA/663/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.1).

4.1 En droit genevois, la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du
22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) et son règlement d’exécution du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) mettent en œuvre ce principe constitutionnel.

4.1.1 Selon l’art. 1 al. 1 LIASI, cette loi a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel.

D’après l’art. 8 al. 1 LIASI, la personne majeure qui n’est pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille dont il a la charge a droit à des prestations d’aide financière.

L’art. 9 al. 1 LIASI indique notamment que les prestations d’aide financière versées en vertu de la LIASI sont subsidiaires à toute autre source de revenu.

À teneur de l’art. 21 LIASI, ont droit aux prestations d’aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n’atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d’État (al. 1). Font notamment partie des besoins de base le loyer ainsi que les charges ou, si le demandeur est propriétaire de sa demeure permanente, les intérêts hypothécaires, dans les limites fixées par règlement du Conseil d’État
(al. 2 let. b) ; les prestations circonstancielles destinées à prendre en charge d’autres frais, définies par règlement du Conseil d’État (al. 2 let. d).

Selon l’art. 22 LIASI, sont pris en compte les revenus et les déductions sur le revenu prévus aux art. 4 et 5 de la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06), sous réserve des exceptions figurant aux al. 2 et 3 (al. 1). Ne font pas partie du revenu pris en compte les prestations ponctuelles provenant de personnes, d’institutions publiques ou d’institutions privées ayant manifestement le caractère d’aide occasionnelle (al. 2 let. c) ; les versements pour tort moral dans les limites fixées par règlement du Conseil d’État (al. 2 let. d). Ne sont pas pris en compte à titre de revenus, mais à titre de fortune, les revenus uniques en capital visés sous les lettres f, i, j, k, q et r de l’art. 4 LRDU (al. 5).

L’art. 25 al. 1 let. b LIASI précise que peuvent être accordées aux personnes qui, en application des art. 21 à 24 LIASI, ont droit à des prestations d’aide financière, les autres prestations circonstancielles.

Selon l’art. 27 LIASI, pour la fixation des prestations sont déterminantes : les ressources du mois en cours (al. 1 let. a) ; la fortune au 31 décembre de l’année précédant celle pour laquelle la prestation est demandée (al. 1 let. b). En cas de modification notable de la fortune du bénéficiaire, la prestation est fixée conformément à la situation nouvelle (al. 2).

4.1.2 À teneur de l’art. 9 al. 1 RIASI, en application de l’art. 25 al. 1 let. b LIASI, les autres prestations circonstancielles décrites ci-après sont accordées au bénéficiaire de prestations d’aide financière aux conditions cumulatives et dans les limites suivantes : les frais concernent des prestations de tiers reçues durant une période d’aide financière au sens de l’art. 28 LIASI (let. a) ; la facture du prestataire ou le décompte de l’assureur relatif à ces frais sont présentés au remboursement dans le délai de 3 mois à compter de la date à laquelle ils sont établis (let. b).

4.1.3 L’art. 4 LRDU contient une longue liste des éléments qui doivent, notamment, être retenus à titre de revenu. Pour l’essentiel, cette liste se fonde sur la définition du revenu, telle qu’elle ressort de la législation fiscale. Le but du législateur était d’ailleurs de prendre en compte « tous les revenus, prestations et avantages qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature » (Projet de loi du Conseil d’État sur le revenu déterminant le droit aux prestations sociales cantonales, p. 18 ; ci-après : PL 9'135). L’art. 4 LRDU n’est pas exhaustif (ATA/669/2010 du
29 septembre 2010 consid. 4a).

À teneur de l’art. 4 al. 1 LRDU, le socle du revenu déterminant unifié comprend l’ensemble des revenus, notamment : les autres revenus acquis au sens de
l’art. 26 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08 ; let. g) ; les versements pour tort moral au sens de l’art. 27
let. h LIPP (let. o) ; le gain en capital réalisé lors de l’aliénation d’éléments de la fortune privée au sens de l’art. 27 let. j LIPP (let. q).

L’art. 26 let. d LIPP précise que sont également imposables les indemnités obtenues lors de la renonciation à l’exercice d'un droit.

4.1.4 Selon le principe de subsidiarité qui régit le domaine de l’aide sociale en Suisse, celle-ci n’intervient que si la personne ne peut subvenir elle-même à ses besoins et si toutes les autres sources d’aide disponibles ne peuvent être obtenues à temps et dans une mesure suffisante. Il n’y a ainsi pas de droit d’option entre les sources d’aide prioritaires. En particulier, l’aide sociale est subsidiaire par rapport aux prestations légales de tiers ainsi que par rapport aux prestations volontaires de tiers. Toutefois, seules les prestations effectivement fournies par des tiers sont prises en compte et il n’est donc en principe pas admissible de tenir compte d’un revenu hypothétique dans le calcul des conditions minimales d’existence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_56/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1 et les références).

La personne dans le besoin doit avoir épuisé les possibilités d’auto-prise en charge, les engagements de tiers et les prestations volontaires de tiers. L’aide est subsidiaire, de manière absolue, à toute autre ressource, mais elle est aussi subsidiaire à tout revenu que le bénéficiaire pourrait acquérir par son insertion sociale ou professionnelle (ATA/663/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.4 et les références).

La chambre de céans a jugé à plusieurs reprises qu’il n’appartenait pas à l’État et indirectement à la collectivité, de désintéresser d’éventuels créanciers. En effet, tel n’est pas le but de la loi, qui poursuit celui de soutenir les personnes rencontrant des difficultés financières, en les aidant à se réinsérer socialement et professionnellement, étant rappelé que l’aide est subsidiaire, de manière absolue, à toute autre ressource. Il n’est ainsi pas acceptable d’être au bénéfice d’une aide sociale ordinaire et d’utiliser sa fortune personnelle et récemment acquise pour désintéresser ses créanciers (ATA/1001/2022 du 4 octobre 2022 consid. 5 ; ATA/815/2021 du 10 août 2021 consid. 5e ; ATA/26/2021 du 12 janvier 2021 consid. 4f ; ATA/479/2018 du 15 mai 2018 consid. 6 et les références citées).

5.             En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que la recourante a perçu un montant de CHF 2'705.- de la part de B______, avec la mention que cette somme était versée en application de l’accord conclu lors de l’audience de conciliation, diminuée de la moitié du loyer du mois de décembre 2021, impayé.

Le procès-verbal de conciliation prévoit un loyer mensuel de CHF 590.- dès le
1er décembre 2021 et le versement par les bailleurs d’un montant de CHF 3'000.- en cas de restitution avant le 31 décembre 2021, payable dans les 30 jours suivant la date de la restitution. Le versement litigieux, intervenu le 28 janvier 2022, correspond donc à l’indemnité fixée lors de la conciliation, diminuée de la moitié du loyer de décembre 2021.

Partant, l’intimé était fondé à prendre en considération le versement de CHF 2'705.- effectué par B______ le 28 janvier 2022 à titre de revenu, dès lors que cette indemnité résulte d’un accord conclu dans le cadre d’une procédure de conciliation suite à un litige en matière de baux et loyers, et doit ainsi être considérée comme une indemnité obtenue lors de la renonciation à l’exercice d’un droit, au sens de l’art. 26 let. d LIPP.

6.             À toutes fins utiles, il sera observé que les allégations de la recourante, qui soutient notamment que la somme litigieuse avait principalement pour but de couvrir la vente à ses colocataires de plusieurs meubles et appareils ménagers, de la dédommager pour les frais de repas occasionnés par l’empêchement d’accéder à son logement et de l’indemniser pour le tort moral subi en raison du comportement de son ancien colocataire, ne sont confortées par aucune pièce.

La recourante n’a pas produit de justificatif relatif à l’achat de mobilier ou d’appareils électroménagers. Il ressort pourtant des échanges de courriels du mois de mai 2020 qu’elle avait demandé à l’intimé de participer aux frais d’acquisition d’un nouveau four et que son assistante sociale lui avait clairement expliqué qu’elle devait obtenir une facture dudit achat avec la répartition des frais entre les trois colocataires. Aucun document n’a été transmis à l’intimé. Partant, rien ne permet de conclure qu’une partie des CHF 2'705.- reçus en janvier 2021 devrait être considérée comme des éléments de la fortune, provenant du produit de la vente d’objets de son patrimoine.

La recourante soutient également que l’argent reçu lui avait permis de rembourser ses proches qui l’avaient nourrie lorsqu’elle n’avait plus suffisamment de moyens, et qu’elle devait payer D______. Les calculs approximatifs de l’intéressée ne reposent sur aucun élément concret. Selon les affirmations non contestées de l’intimé, la recourante lui a déclaré oralement à plusieurs reprises, notamment les 25 août et 1er septembre 2021, qu’elle était hébergée gratuitement par sa sœur, une amie ou « son chouchou ». Elle pouvait donc se faire à manger chez ces tiers, de la même manière qu’elle l’aurait fait si son colocataire n’avait pas entravé son accès à l’appartement. Mais surtout, l’aide financière octroyée par l’intimé est subsidiaire, de manière absolue, à toute autre ressource et il n’appartient pas à l’État de désintéresser les éventuels créanciers d’un bénéficiaire de prestations. Pour le reste, la recourante n’a pas établi qu’elle aurait payé une partie des courses de son colocataire, ce qui semble au demeurant peu plausible compte tenu du conflit qui les opposait.

Le procès-verbal de conciliation et le courrier de D______ du 6 septembre 2021 n’établissent pas que la somme versée lors de la restitution comprendrait une indemnité pour tort moral. Le fait que ce montant soit dégressif et déterminé en fonction de la date de restitution de l’objet loué permet plutôt de conclure qu’il était lié à la durée du contrat de bail, et d’exclure ainsi qu’il avait pour but de compenser une atteinte subie par la recourante en raison d’un comportement fautif ou abusif de son colocataire. Cela étant, les versements pour tort moral constituent de toute façon des revenus, lesquels doivent être pris en considération.

Enfin, la recourante n’a pas produit de facture relative à des frais de déménagement ou d’installation, de sorte que de telles prestations circonstancielles n’entrent pas en ligne de compte.

Le recours sera ainsi rejeté et la décision litigieuse confirmée.

7.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juillet 2023 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 1er juin 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n'est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :