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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2924/2023

ATA/1387/2023 du 21.12.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2924/2023-EXPLOI ATA/1387/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 décembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. Par décision du 21 juillet 2023, le département des institutions et du numérique (ci-après : le département), par son secrétariat général, a ordonné la fermeture immédiate et définitive du salon de massage et agence d’escorte B______ (ci-après : la société), interdit à A______ d’exploiter tout salon de massage pendant une durée de dix ans, lui a infligé une amende administrative de CHF 1'000.- et a mis à sa charge un émolument de CHF 100.-.

b. Il ressort de cette décision que A______ était enregistrée depuis le 13 juillet 2011 en qualité de responsable desdits salons de massage et agences d’escorte, sis au 11 rue C______ à Genève.

Le 28 novembre 2022, le département avait été saisi d’un rapport établi par la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) l’informant qu’elle avait reçu une dénonciation anonyme le 31 octobre 2022 selon laquelle la société exploitante du salon, la société était en état de surendettement, que l’extrait du registre du commerce de ladite société démontrait que A______ l’exploitait conjointement avec D______, tous deux étant au bénéfice d’une signature individuelle. Des extraits délivrés par l’office des poursuites démontraient que la société avait accumulé onze actes de défaut de biens pour un montant total de CHF 22'262.-, A______, à titre personnel, quinze actes de défaut de biens pour un montant total de CHF 46’958.27 et D______, pour un total de CHF 88'609.58.

Un délai avait été fixé à A______ pour se déterminer sur ces faits, sur la mesure envisagée, ainsi que sur la répartition des tâches entre elle-même et D______. Par courrier du 27 décembre 2022, A______ avait notamment indiqué n’avoir jamais fait l’objet à titre personnel d’actes de défaut de biens, dans la mesure où elle avait son domicile en France. Le 31 janvier 2023, elle avait demandé une prolongation du délai au motif qu’elle s’était acquittée d’une importante partie des actes de défaut de biens concernant tant la société qu’elle-même. Certains desdits actes de défaut de biens étaient en lien avec des créances envers son bailleur, une procédure étant en cours devant la chambre des baux et loyer de la Cour de justice. Le 3 février 2023, elle avait ajouté que les deux procédures en cours contre son bailleur concernaient la contestation du congé signifié et la restitution par son bailleur d’un trop-perçu de loyers. Ainsi, l’autorité administrative n’était pas en mesure de conclure à l’insolvabilité de la société ni à la sienne. Selon l’arrangement de paiement avec le service des contraventions (ci‑après : SDC) joint en annexe à son courrier du 14 mars 2023, elle s’était engagée à lui verser mensuellement la somme de CHF 198.- jusqu’au 31 mars 2024, soit un total de CHF 2'385.-. Cette somme était en lien avec des ordonnances pénales du SDC.

Le département lui avait fait remarquer, notamment le 10 mai 2023, qu’elle n’avait produit aucune pièce concernant la cause C/1______/2021 dont elle se prévalait pour plaider la suspension de la procédure. Par ailleurs, un extrait de l’office des poursuites daté du 1er mars 2023 faisait toujours état de quinze actes de défaut de biens pour un total de CHF 47'219.-, soit un montant supérieur à celui figurant dans les précédents extraits. Un ultime délai lui était imparti au 22 mai 2023 pour produire la procédure civile précitée dans son état à jour et toutes explications utiles sur les poursuites figurant sur l’extrait précité.

Le 26 mai 2023, A______ avait transmis au département de nouvelles pièces à même d’attester selon elle que sa société et elle-même avaient convenu d’un accord avec l’office des poursuites moyennant règlement, dans le cas d’un échéancier strict, de l’ensemble des actes de défaut de biens prononcés à son encontre, incluant en particulier sa dette envers son bailleur. Ces éléments devaient démontrer qu’elle offrait toutes les garanties d’honorabilité et de solvabilité au sens des art. 10 let. c et 17 let. c de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49). Elle avait notamment joint copies de photographies d’un avis de saisie daté du 9 mars 2023 indiquant une exécution pour un montant de CHF 7’278.60 au bénéfice de la caisse genevoise de compensation, d’un courrier 17 mars 2023 de l’office cantonal des assurances sociales laissant comprendre qu’elle allait s’acquitter en plusieurs mensualités du montant de CHF 7'071.70, ainsi que d’un courrier d’E______ prévoyant un échéancier pour qu’elle s’acquitte de la somme de CHF 31'049.90 (en lien avec un acte de défaut de bien après saisie du 31 janvier 2023 concernant une créance de F______ en 26 mensualités de CHF 1’194.25.

Le département retenait que c’était sur dénonciation de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite qu’il avait été informé de l’état de surendettement de la société depuis plusieurs années et des actes de défaut de biens dont elle faisait l’objet et non pas spontanément et immédiatement comme l’exigeaient les art. 11 et 18 LProst. A______ avait de plus cherché à gagner du temps en alléguant, sans le démontrer, qu’elle était « sur le point » de régler sa situation, ce qu’aucune des pièces produites ne permettait de démontrer, au contraire. Elle était allée jusqu’à solliciter de sa part qu’il intervienne auprès de la Cour de justice pour obtenir les pièces d’une procédure qui étaient en sa possession. En dépit de la longueur de la procédure et des engagements pris, elle n’avait toujours pas apporté la preuve que la société et elle-même seraient à nouveau solvables. Enfin, malgré des questions dans ce sens, elle n’avait pas pris la peine de le renseigner sur la répartition des tâches au sein de la société.

B. a. Selon l’extrait du registre des poursuites du 2 novembre 2022 au nom de la société, le premier acte de défaut de biens dont la date est mentionnée est le 24 octobre 2017. Une poursuite du 13 juin 2019 concernait le montant de CHF 30'895.- réclamé par F______. Les autres actes de défaut de biens concernaient essentiellement des poursuites engagées par la Caisse genevoise de compensation. S’agissant de l’extrait de A______ du 2 novembre 2022 également, le même montant de CHF 30'895.- ressortait en acte de défaut de biens à la suite d’une poursuite du 22 novembre 2018 de la F______. Trois montants concernaient son assurance-maladie.

b. A______ avait produit le 3 février 2023 :

b.a des quittances « pour solde » de l’office des poursuites au nom de B______ faisant état de versements le 2 février 2023 en lien avec des actes de défauts de biens de CHF 344.70 et CHF 806.90 ;

b.b des extraits du registre des poursuites du 23 décembre 2022, celui au nom de A______ comporte quinze actes de défaut de biens pour un total de CHF 46’958.27 et celui de B______ onze, pour un total de CHF 23’262.18 ;

b.c un jugement du Tribunal des baux et loyer du 30 août 2022 rendu dans la cause C/2______/2021 déclarant efficace et valable le congé – pour non-paiement du loyer – du 26 janvier 2021 notifié par F______ à A______ et B______ pour le 28 février 2021 concernant les locaux de 74 m² et 13 m² au troisième étage de l’immeuble sis rue C______ à Genève ;

b.d un acte d’appel formé contre ce jugement par-devant la chambre des baux et loyers de la Cour de justice le 30 septembre 2022, aux termes duquel les deux appelantes plaident avoir été créancières de leur bailleresse au 23 décembre 2020, date de notification d’avis comminatoire, qu’elles avaient exécuté leurs obligations en avance, sans aucune compensation nécessaire et que le congé du 26 janvier 2021 était donc nul.

c. Il ressort d’un extrait du registre des poursuites du 1er mars 2023 que A______ faisait alors l’objet de quinze actes de défaut de biens pour un total de CHF 47’219. 55.

C. a. A______ a formé recours contre la décision du département du 21 juillet 2023 par acte expédié le 14 septembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative). Elle a conclu préalablement à ce que l’effet suspensif soit ordonné à son recours, ainsi qu’à son audition, de même qu’à celle de D______. À titre principal, elle a conclu à l’annulation de cette décision, et, à titre subsidiaire au prononcé d’une sanction administrative « moins contraignante comme l’avertissement et/ou l’amende ».

Elle avait démontré au département qu’elle avait pu trouver un arrangement avec l’office des poursuites et son intention de régler l’ensemble des dettes de la société et des siennes. Sous l’angle de l’intérêt public, il n’y avait donc pas le moindre risque d’insolvabilité, dès lors que celle-ci était temporaire et qu’elle allait y mettre fin. Elle joignait sur ce point des pièces utiles, figurant pour la plupart déjà au dossier.

Il était inexact d’affirmer qu’elle n’aurait pas collaboré à l’établissement des faits, dès lors qu’elle avait produit toutes les pièces utiles devant le département quant à ses efforts pour régler sa situation financière, mais également à la procédure pendante devant les instances des baux et loyer, se recoupant en grande partie avec les actes de défaut de biens enregistrés. Si le département avait eu le moindre doute, il pouvait solliciter des autorités judiciaires la production de l’ensemble du dossier, comme cela était prévu entre autorités judiciaire et administrative. Elle n’avait jamais prétendu qu’elle était à jour, pas plus que la société, mais avait démontré sa bonne volonté, suivie d’actes concrets, à savoir des paiements, pour régulariser à court terme sa situation financière.

Le département avait excédé son pouvoir d’appréciation et violé les principes de proportionnalité et de la liberté du commerce et de l’industrie en prononçant à son encontre la sanction la plus extrême, à savoir la fermeture immédiate et définitive du salon qu’elle exploitait, au détriment de sanctions plus légères. Si cette sanction était confirmée, elle serait privée de son seul revenu, d’où des conséquences économiques désastreuses pour elle.

b. Le département a conclu, le 31 octobre 2023, au rejet du recours.

La première poursuite à l’encontre de la recourante remontait à 2017 tandis que celle, non éteinte, figurant sur l’extrait relatif à la société remontait à 2018. Ce n’était que le 25 octobre 2022 que la BTPI avait été informée de la situation de surendettement de la recourante et de sa société, soit plusieurs années après les premières poursuites. La recourante avait donc failli à son obligation de communiquer la modification de ses conditions personnelles. Il était évident, dans la mesure où ces poursuites remontaient à plus de six ans, que l’état de surendettement n’était pas passager, de sorte que la recourante devait être considérée comme insolvable. Les remboursements que la recourante avait commencé à effectuer à hauteur de quelques centaines de francs par mois ne permettaient pas de déduire qu’elle serait redevenue solvable. Elle n’avait d’ailleurs pas précisé si les remboursements étaient intervenus au moyen de ses propres deniers ou par des emprunts qu’elle serait à son tour tenue de rembourser. Elle n’avait jamais produit de plan de remboursement portant sur l’intégralité de ses dettes. Il lui faudrait, pour la seule dette de la société de recouvrement E______, de CHF 31'049.90, plusieurs années pour s’en acquitter à raison de mensualités de CHF 1’194.25.

Le Tribunal fédéral et la chambre administrative avaient déjà eu l’occasion de confirmer la conformité au droit et notamment au principe de proportionnalité d’une décision prononçant la fermeture définitive d’un salon de massage, assortie d’une interdiction, en cas d’insolvabilité du responsable. Par ailleurs, l’atteinte économique alléguée était à relativiser puisque la décision entreprise n’empêchait pas la recourante de rechercher d’autres manières de rentabiliser ses locations, le cas échéant par des locations meublées, aussi longtemps que ce n’était pas spécifiquement à des fins de prostitution. Le but de la société tel que figurant au registre du commerce ne s’y opposait pas. Enfin, elle pourrait déposer une demande de reconsidération si elle devenait solvable, pour autant que les autres conditions posées par la loi soient respectées.

S’agissant de l’amende, les fautes commises par la recourante étaient graves. Elle avait tenté de cacher sa situation financière obérée pendant plusieurs années. Elle ne contestait pas la quotité de l’amende, étant relevé que le montant de CHF 1'000.- se situait en bas de la « fourchette » prévue à l’art. 25 al. 1 LProst et apparaissait même clément.

c. Dans sa réplique du 4 décembre 2023, la recourante a ajouté que les conditions d’exploitation étaient manifestement réalisées à l’ouverture du salon et qu’il était navrant que le département entre en matière sur des dénonciations anonymes, sans prendre la peine de prendre contact immédiatement avec elle. En décembre 2022, elle ignorait totalement son insolvabilité et n’était pas consciente de son obligation de la communiquer aux autorités compétentes. Elle n’avait pas le souvenir de la délivrance d’actes de défaut de biens, bien que valablement domiciliée au 40, route G______ (à H______). La procédure l’opposant à son bailleur était en cours auprès du Tribunal fédéral. Cette circonstance avait pour conséquence que le département n’était pas en mesure de conclure de manière certaine à son insolvabilité au moment de la décision litigieuse qui était prématurée et dépourvue de toute base légale.

Les reproches de l’illisibilité de certaines des pièces produites, de même que le fait qu’elle aurait essayé de gagner du temps étaient particulièrement malvenus, d’autant plus qu’elle avait passé un temps important pour essayer d’éclaircir sa situation notamment avec l’office des poursuites, où elle n’avait jamais été convoquée, et qu’elle avait ensuite fait son possible pour régler les sommes dues. Elle contestait être insolvable au sens du droit fédéral puisqu’en particulier elle disposait des moyens suffisants pour acquitter les dettes dont l’exigibilité avait été reportée compte tenu des arrangements trouvés. Ces difficultés n’étaient que passagères, puisqu’il n’était pas question de faillite, de concordat ou de saisie infructueuse.

Le département déployait des efforts hors du commun pour tenter de justifier une mesure qui équivalait concrètement à sa « mise à mort, après plus de 15 [ans] d’activité sans la moindre anicroche ». Elle n’avait pas d’autres compétences que celles qu’elle exerçait depuis près de quinze ans, dans le plus parfait respect des « filles du salon » et de la clientèle.

d. Les parties ont été informées, le 5 décembre 2023, que la cause était gardée à juger.

e. Leurs arguments et la teneur des pièces de la procédure seront pour le surplus repris ci-dessous dans la mesure utile au traitement du litige.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante conclut à son audition, de même qu’à celle de l’associé gérant président de la société.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'occurrence, la recourante a pu s’exprimer dans le cadre de son recours et de sa réplique et produire toute pièce utile. Elle n’indique pas quels points elle n’aurait pas pu développer par écrit ni ceux sur lesquels l’associé gérant président de la société devrait être entendu. À cet égard, il appartenait au demeurant à la recourante de renseigner le département dès le début du mois de janvier 2023 quant à la répartition des tâches entre elle-même et celui-là, ce qu’elle s’est abstenue de faire.

La chambre de céans disposant d'un dossier complet, il ne sera pas donné suite à ses requêtes.

3.             L'objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision ordonnant la fermeture du salon de massage et de l’agence d’escorte sis rue C______ à Genève, l'interdiction pour la recourante d'exploiter tout autre salon de massage pendant dix ans et le prononcé d'une amende administrative de CHF 1'000.-.

3.1 Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l’espèce.

3.2 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d'office (art. 19 LPA). Ce principe n'est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/1100/2020 du 3 novembre 2020 consid. 3a et les arrêts cités).

3.3 La LProst a pour principal objectif de permettre aux personnes qui se prostituent, c'est-à-dire se livrent à des actes sexuels ou d'ordre sexuel avec un nombre déterminé ou indéterminé de clients, moyennant rémunération (art. 2 al. 1 LProst), d'exercer leur activité dans des conditions aussi dignes que possible (art. 1 let. a LProst).

3.4 Selon la jurisprudence, le but poursuivi par la LProst ne se confine pas à la prévention d'infractions pénales. Elle tend aussi à favoriser l'exercice conforme au droit de l'activité de prostitution dans son ensemble, ainsi qu'une gestion correcte et transparente des établissements publics actifs dans ce domaine à risque. Elle vise également le but d’intérêt public légitime de protection des personnes exerçant la prostitution contre l’exploitation et l’usure (ATA/443/2023 du 26 avril 2023 consid. 4.3 ; ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 et les arrêts cités).

3.5 Selon l'art. 10 let. c LProst, la personne responsable d'un salon doit, au nombre des conditions personnelles à remplir, offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée.

L’insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu’il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles. Cet état ne doit toutefois pas être passager (ATF 137 II 353 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_166/2012 du 10 mai 2012 consid. 6.1.1). Il y a insolvabilité notamment en cas de faillite, concordat ou saisie infructueuse (ATA/486/2014 du 24 juin 2014 consid. 6d et les références citées).

3.6 L'art. 11 LProst prévoit que la personne responsable d'un salon est tenue de communiquer immédiatement aux autorités compétentes tout changement des personnes exerçant la prostitution et toute modification des conditions personnelles intervenues depuis l'annonce initiale.

4.             En l'espèce, en automne 2022, la recourante faisait l'objet de quinze actes de défaut de biens non éteints pour un montant total de près de CHF 47'000.-, la société en comptant onze pour un total de plus de CHF 22'262.-. La première poursuite remontait à 2017 s’agissant de la recourante et à 2018 de la société.

En date du 1er mars 2023, l’extrait de l’office des poursuites concernant la recourante faisait toujours état de quinze actes de défaut de biens pour un total de CHF 47'219.-, donc légèrement plus important que quelques mois plus tôt. Certes, la recourante a obtenu des arrangements de paiement notamment avec la société de recouvrement détenant la créance de la bailleresse de deux locaux sis rue C______, de CHF 31'049.90, prévoyant 26 mensualités de CHF 1’194.25. Le SDC a de son côté accepté des mensualités de CHF 198.- jusqu’au 31 mars 2024, soit un total de CHF 2'385.-. Elle s’est aussi acquittée, le 2 février 2023, à l’office des poursuites pour le compte de la société de CHF 344.70 et CHF 806.90. Ces seuls éléments permettent de retenir que, contrairement à ce qu’affirme la recourante, ses dettes de même que celles de la société ne sont pas seulement dues à un litige l’opposant à sa bailleresse.

À cet égard, les pièces au dossier ne concernent que la résiliation de bail pour défaut de paiement ayant fait l’objet de la cause C/2______/2021 et non le montant de CHF 31’049.90 qui pourrait faire l’objet de la cause C/1______/2021 pour laquelle la recourante n’a toutefois pas produit le jugement de première instance ni un arrêt de la Cour de justice, pour autant que cette cause ait été portée devant ces deux instances. La recourante ne dit rien des montants en jeu, étant relevé qu’elle a, devant le département, expliqué qu’il était notamment question de la contestation du congé reçu et de la restitution de loyers perçus en trop. Sur ce point, c’est vainement qu’elle fait le grief au département de ne pas avoir requis lui-même l’apport de cette procédure civile en application de règles sur l’entraide. C’est oublier en effet son devoir de collaboration, tel que prévu à l’art. 22 LPA, étant relevé qu’elle est la mieux placée pour produire des pièces dont elle entend se prévaloir, issues d’une procédure civile dans laquelle elle est partie.

Ainsi, la recourante et la société doivent bien être considérées comme insolvables, ce qui est le cas de longue date, puisque les premiers actes de défaut de biens ont plus de six ans. La recourante ne convainc pas lorsqu’elle soutient n’avoir appris que par le département à la fin de l’année 2022 l’existence de ces actes de défaut de biens. Si dans un premier temps elle a soutenu au département que c’était en raison d’une résidence en France, elle a ensuite concédé qu’elle vivait en Suisse, à H______, à la même adresse depuis plusieurs années. Il ressort d’ailleurs du registre informatisé Calvin de l’office cantonal de la population et des migrations qu’elle est domiciliée à cette adresse depuis le 16 juin 2014. Elle n’indique pas les raisons qui auraient empêché une notification des poursuites en cause puis les nombreux actes de défaut de biens précités.

La recourante ne peut davantage être suivie lorsqu’elle soutient qu’elle ignorait son obligation de prévenir l'autorité compétente. Comme elle le dit elle-même, nul n’est censé ignorer la loi et l’obligation de tenir informé découle expressément de l’art. 11 LProst. Dans la mesure où elle indique être active dans le domaine de la prostitution depuis 2011 et que les premiers actes de défaut de biens remontent à 2017, elle se devait de communiquer immédiatement aux autorités compétentes ce changement des conditions personnelles intervenues depuis l'annonce initiale. Elle s’en est fautivement abstenue et le département n’en a eu connaissance qu’à la suite d’une dénonciation.

Dès lors, malgré ses affirmations, son insolvabilité est tout sauf « passagère », sa situation financière n'a toujours pas été assainie et c’est en violation de la loi qu’elle n’en a pas tenu informé le département.

Dans ces circonstances, l'intimé était donc fondé à retenir l'absence de garantie de solvabilité de la recourante, ainsi que la violation de l'art. 11 LProst, cette dernière ayant omis de communiquer son insolvabilité datant de plusieurs années.

5.             Reste encore à examiner si les mesures et sanctions infligées à la recourante respectent le principe de la proportionnalité.

5.1 L'art. 14 LProst a trait aux mesures et sanctions administratives dont peut faire l'objet la personne responsable d'un salon (al. 1) qui n'a pas rempli son obligation d'annonce en vertu de l'art. 9 LProst (let. a), ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 LProst (let. b), n'a pas procédé aux communications qui lui incombent en vertu de l'art. 11 LProst (let. c) ou n'a pas respecté les obligations que lui impose l'art. 12 LProst (let. d). L'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction (al. 2) l'avertissement (let. a), la fermeture temporaire du salon, pour une durée de un à six mois et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue (let. b) ou la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans (let. c).

5.2 La fermeture, temporaire ou définitive, est conçue davantage comme une mesure administrative, destinée à protéger l'ordre public et la liberté d'action des personnes qui se prostituent que comme une sanction. Pour être efficace, une telle mesure doit être accompagnée d'une véritable sanction administrative consistant en une interdiction d'exploiter tout autre salon afin d'empêcher la personne concernée de poursuivre, ou reprendre, l'exploitation d'un autre établissement quelques rues plus loin (MGC 2008-2009/VII A 8669).

5.3 Indépendamment du prononcé des mesures et sanctions administratives, l'autorité compétente peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- à toute personne ayant enfreint les prescriptions de la loi ou ses dispositions d'exécution (art. 25 al. 1 LProst).

5.4 Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a).

5.5 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé la fermeture définitive d'un salon de massages pour défaut de préavis exigé par la loi (ATA/568/2023 du 30 mai 2023).

En outre, la chambre de céans a également connu plusieurs dossiers dans lesquels le département a ordonné des fermetures définitives avec une interdiction d'exploiter durant dix ans. Les recours contre ces décisions ont tous été rejetés (ATA/934/2023 du 25 août 2023 ; ATA/791/2023 du 18 juillet 2023 ; ATA/443/2023 du 26 avril 2023 ; ATA/477/2022 du 4 mai 2022 ; ATA/1100/2020 du 3 novembre 2020 ; ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 ; ATA/486/2014 du 24 juin 2014).

5.6 En l'espèce, les fautes commises par la recourante doivent être qualifiées de graves. Celle-ci a tenté de cacher sa situation financière obérée, de même que celle de la société par laquelle elle exploite le salon de massage et l’agence d’escorte en question. Elle n’a pas communiqué cette situation spontanément au département, qui n’en a eu connaissance que par une dénonciation, ce pendant plusieurs années.

L'ordre de fermeture, ainsi que l'interdiction d'exploiter pendant une durée de dix ans, privent uniquement la recourante de l'exercice d'une activité économique dans le domaine de la prostitution. Toute autre activité économique reste possible.

Au surplus, la recourante ne remplit plus la condition personnelle de solvabilité nécessaire à l'exploitation d’un salon de massage et d’une agence d’escorte. Son comportement, ainsi que ses affirmations hasardeuses quant à sa méconnaissance des nombreux actes de défauts de biens délivrés durant plusieurs années à son encontre comme à celle de la société permettent de douter de ses capacités et volonté à assumer la responsabilité d'un salon conformément à la LProst.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, aucune mesure moins incisive tel que l'avertissement (art. 14 al. 2 let. a LProst) ou la fermeture temporaire du salon, pour une durée de six mois, assortie d'une interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée analogue (art. 14 al. 2 let. b LProst), ne paraît suffisante. L'intérêt de la recourante à pouvoir gérer des salons de prostitution doit ainsi céder le pas à l'intérêt public au respect des conditions gouvernant l'exploitation de ces établissements.

Il est encore relevé que la recourante ne conteste pas spécifiquement la quotité de l'amende qui lui a été infligée. Compte tenu de la gravité des infractions à la LProst et de la situation financière obérée, le montant de CHF 1'000.-, qui se situe au bas de la « fourchette » prévue par l'art. 25 al. 1 LProst, ne prête pas le flanc à la critique et apparaît même clément.

Les mesures et sanctions infligées à la recourante respectent donc le principe de la proportionnalité, de sorte que l'autorité intimée n'a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d'appréciation.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

Le présent arrêt rend sans objet la requête de mesures provisionnelles.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2023 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 21 juillet 2023 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :