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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3801/2023

ATA/1318/2023 du 08.12.2023 sur JTAPI/1295/2023 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3801/2023-MC ATA/1318/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 décembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Gabriele SEMAH, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 novembre 2023 (JTAPI/1295/2023)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1975 et originaire d'B______ (alias C______, né le _______ 1975, originaire de D______), séjourne illégalement en Suisse depuis 2005.

b. Il a été condamné à de très nombreuses reprises pour, notamment, vol au sens de l'art. 139 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), violation de domicile (art. 186 CP) et dommages à la propriété (art 144 al. CP).

c. Le 17 mars 2010, il a fait l'objet d'une décision de renvoi émise par l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM).

d. Il a par ailleurs fait l’objet de deux interdictions d'entrée en Suisse valables respectivement du 4 mai 2010 au 3 mai 2015 et du 4 mai 2015 au 16 février 2018 et de deux mesures d’expulsion de Suisse prononcées par le Tribunal de police, l’une pour une durée de cinq ans par jugement du 27 juin 2018 et l’autre pour une durée de dix ans par jugement du 16 janvier 2019, expulsions que l’OCPM a décidé de ne pas reporter et que l’intéressé n'a pas respectées, ce qui lui a valu deux condamnations pour rupture de ban (art. 291 CP).

e. Le 12 novembre 2020, après de nombreuses tentatives dans ce sens du secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM), A______ a été reconnu par les autorités B______. À cette occasion, il était précisé que l'intéressé devait être présenté à un entretien consulaire à E______ avant la réservation d'un vol.

f. Le 17 mars 2022, l’intéressé a été incarcéré à la prison F______ en vue de purger diverses peines.

g. Le 18 octobre 2022, le SEM a informé l'OCPM que A______ avait été retenu pour un counseling, mais qu'aucune date concrète n'était encore fixée.

h. Le 26 avril 2023, le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) a refusé la libération conditionnelle de l'intéressé, dont la situation personnelle était restée inchangée : il n'avait aucun projet de réinsertion susceptible de le détourner de la commission de nouvelles infractions et allait se retrouver dans la même situation que celle ayant mené à ses dernières condamnations, à savoir en situation illégale en Suisse, sans logement et sans possibilité d'y travailler légalement.

i. Le 11 septembre 2023, l'OCPM a informé le SEM que la fin de la peine de A______ était fixée au 16 novembre 2023, l’invitant à prendre en compte cette date pour le counseling.

j. Par courriel du 19 octobre 2023, l'OCPM a expliqué au commissaire de police que la délivrance de laissez-passer et les counselings auprès du consulat d'B______ avaient pris de retard. Cette situation était due aux changements du personnel du consulat et, en particulier, au départ du vice-consul avec lequel le SEM entretenait une très bonne collaboration. Le consulat d'B______ avait fonctionné tout l'été avec seulement deux collaborateurs. Par ailleurs, le retard pris dans les counselings lors du Covid-19 n'était toujours pas résorbé.

k. Le 8 novembre 2023, dans le cadre d'un autre dossier de détention administrative d'un ressortissant B______, le SEM a précisé aux autorités genevoises qu'il explorait avec le consulat B______ la possibilité d'un counseling fin novembre, début décembre 2023.

l. Le 16 novembre 2023, à sa libération de détention pénale, A______ a été remis aux services de police.

m. Le 16 novembre 2023, à 14h45, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative pour une durée de quatre mois.

La date du counseling n’était pas encore confirmée et les places octroyées au canton de Genève par le SEM (au nombre de deux) pour le prochain rendez-vous avec le consul d'B______ étaient d'ores et déjà occupées. Une fois la présentation de l'intéressé au consul B______ effectuée, ils procéderaient à la réservation d'un vol, à moins qu'il ne se déclare volontaire au retour et exige lui-même un rendez-vous avec le consul ainsi que la délivrance d'un laissez-passer, auquel cas les démarches relatives à son refoulement seraient accélérées.

A______ s’est opposé à son renvoi en B______, qu’il avait quitté il y a 23 ans. Il voulait quitter la Suisse pour aller en G______.

B. a. Entendu le 17 novembre 2023 par le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______ a déclaré qu’il n’était pas d'accord de retourner en B______. Il souhaitait se rendre en G______ mais ne disposait pas d’une autorisation d’y séjourner. En G______, il voulait travailler dans la boulangerie de son cousin. Ensuite, il envisageait de retourner en B______ car ses parents vieillissaient et sa sœur était malade. Il voulait changer de vie et « tourner la page ». Il avait été informé qu’il lui était possible de s’adresser directement au Consulat B______ en vue d’obtenir des documents de voyage pour un départ volontaire. Il n’avait toutefois pas envie d’entreprendre de telles démarches. Il voulait d’abord se rendre en G______ afin de gagner environ CHF 15'000.- en travaillant, au maximum, une année dans la boulangerie de son cousin avant de rentrer en B______. Il disposait déjà de CHF 3'300.- gagnés durant sa détention à l’établissement H______.

Le commissaire de police a confirmé l’inscription de A______ sur la liste d’attente pour le counseling, dont la date n’était pas encore fixée ; il attendait une réponse du SEM à ce sujet. Le Consulat d’B______ faisait des auditions une fois par mois. Deux places étaient réservées pour le canton de Genève. Il n’y avait plus eu de counseling depuis juillet 2023, car le Consulat avait pris du retard dans ses auditions. Il ne pouvait pas garantir qu’un counseling aurait lieu en novembre 2023. Une fois le rendez-vous obtenu avec le Consul, ce dernier confirmerait la possibilité de délivrer ou non un laissez-passer en faveur de A______. Il fallait ensuite proposer une date de vol, dans les 30 jours.

A______ a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention administrative et à sa mise en liberté immédiate.

b. Par jugement du 17 novembre 2023, notifié le 21 novembre 2023, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention pour une durée de quatre mois, soit jusqu’au 15 mars 2024 inclus.

Les conditions de la détention administrative étaient remplies. Il ne pouvait, en l’état, être retenu que le counseling n’aurait pas lieu dans les prochains mois. L’intéressé demeurait, en outre, libre de se mettre en rapport avec son Consulat en vue d’un départ volontaire.

C. a. Par acte expédié le 29 novembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation, concluant à sa mise en liberté immédiate.

Ni le commissaire de police ni le SEM ne savaient quand le prochain counseling disponible aurait lieu. Il y avait trois mois de retard dans les counselings et, selon le commissaire de police, les prochains étaient déjà occupés. Il était ainsi impossible que celui pour le recourant soit organisé durant sa détention administrative. L’exécution du renvoi paraissait ainsi impossible dans un délai prévisible, voire raisonnable. Il y avait de ce fait un obstacle technique à son renvoi, indépendant de sa volonté.

b. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Le recourant avait été identifié comme ressortissant B______ par les autorités B______. Le counseling n’était dû qu’au refus de celui-ci de retourner dans son pays, le Consulat d’B______ prévoyant, dans un tel cas, le counseling.

c. Le recourant ayant indiqué qu’il renonçait à répliquer, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 30 novembre 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

2.             Le recourant ne conteste, à juste titre, pas que les conditions légales de sa détention sont remplies.

En effet, il a fait l'objet d'une décision de renvoi, été condamné, notamment, pour vol, infraction constitutive de crime (art. 139 ch. 1 cum 10 al. 2 CP) et fait l’objet de deux décisions d’expulsion pénale et d’interdiction d’entrer. Sa détention se justifie donc en application de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), en lien avec l'art. 75 al. 1 let. c et h LEI. Son refus persistant de se soumettre à la décision de renvoi, l’absence de domicile et d’attaches familiales en Suisse permettent, en outre, d’admettre l'existence d'un risque réel et concret que, s'il était libéré, il n'obtempérerait pas aux instructions de l'autorité lorsque celle-ci lui ordonnera de monter à bord de l'avion devant le reconduire dans son pays et qu'il pourra être amené à disparaître dans la clandestinité, de sorte que le motif de détention prévu par l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI est également rempli.

3.             Le recourant fait valoir que son renvoi est impossible, de sorte que sa détention administrative viole le principe de la proportionnalité.

3.1 Ce principe, garanti par l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

3.2 Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

3.3 La détention doit être levée notamment si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). L'exécution du renvoi est impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_984/2020 du 7 janvier 2021 consid. 4.1 et les références). Tel est par exemple le cas lorsqu'un État refuse explicitement, ou du moins de manière clairement reconnaissable et cohérente, de reprendre certains de ses ressortissants (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 ; 125 II 217 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_768/2020 du 21 octobre 2020 consid. 5.1). Le facteur décisif est de savoir si l'exécution de la mesure d'éloignement semble possible dans un délai prévisible respectivement raisonnable avec une probabilité suffisante (arrêts du Tribunal fédéral 2C_955/2020 précité consid. 5.1; 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1).  

3.4 Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; ATA/1305/2022 du 21 décembre 2022 consid. 4d ; ATA/611/2021 du 8 juin 2021 consid. 5a). Le principe de célérité est violé si les autorités compétentes n'entreprennent aucune démarche en vue de l'exécution du renvoi pendant une durée supérieure à deux mois et que leur inactivité ne repose pas en première ligne sur le comportement des autorités étrangères ou de la personne concernée elle-même (ATF 139 I 206 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1132/2018 du 21 janvier 2019 consid. 3.3).

3.5 En l’espèce, l’intérêt public à l’exécution de l’éloignement du recourant est certain, celui-ci ayant notamment commis à réitérées reprises des crimes et fait l’objet de décisions d’expulsion pénale.

Le recourant persiste à refuser, encore dans son recours devant la chambre de céans, de se conformer à son renvoi vers son pays d’origine. Vu son refus systématique de quitter la Suisse pour l’B______, il est à craindre qu’il se soustraira à nouveau à l’exécution de son renvoi vers l’B______.

Les autorités suisses ont agi avec célérité, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté. Elles ont obtenu, avant le début de la détention administrative du recourant, son identification par les autorités B______. Il ressort également du dossier qu’à compter du 11 septembre 2023 et encore le 8 novembre 2023, le SEM a requis la présentation nécessaire (le counseling) du recourant auprès du Consulat d’B______, démarche imposée par les autorités B______ en cas d’opposition de leurs ressortissants à l’exécution d’un renvoi. Ainsi, l’actuelle difficulté à renvoyer le recourant n’est pas due à l’inaction des autorités suisses.

Les retours volontaires vers l’B______ sont possibles et peuvent être exécutés rapidement si la personne coopère (ATA/265/2023 du 16 mars 2023 consid. 5 ; ATA/1305/2022 du 21 décembre 2022 consid. 5 ; ATA/816/2022 du 18 août 2022 consid. 4c ; ATA/736/2022 du 14 juillet 2022 consid. 5d). Or, le recourant s’oppose à son renvoi, de sorte que c’est son manque de coopération qui fait obstacle à son rapatriement. Un tel manque de coopération ne constitue pas une impossibilité à l'exécution du renvoi au sens de la jurisprudence telle qu’exposée supra (consid. 3.3).

Le recourant prétend que sa détention ne serait pas nécessaire, car il ne s’oppose pas à un départ de Suisse, acceptant de partir en G______. Or, il reconnaît qu’il n’a pas d’autorisation de séjour dans ce pays. Il ne peut donc être libéré pour se rendre dans un pays dans lequel il ne dispose pas d’un titre de séjour. Rien ne l’empêche au demeurant de rentrer dans son pays et d’y séjourner jusqu’à l’obtention de l’autorisation de séjour en G______ pour y rejoindre le cousin qui y vit selon ses dires.

Enfin, la durée de la mesure est compatible avec la limite posée par l’art. 79 LEI.

Au vu de ce qui précède, la détention administrative du recourant est conforme au droit et au principe de proportionnalité.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 novembre 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gabriele SEMAH, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au commissaire de police, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations ainsi qu'à l'établissement I______, pour information.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :