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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/504/2022

ATA/1243/2023 du 14.11.2023 sur JTAPI/1220/2022 ( ICC ) , ADMIS

Recours TF déposé le 21.12.2023, 9C_786/2023
Descripteurs : IMPÔT SUR LES GAINS IMMOBILIERS;REPORT DE L'IMPOSITION;REMPLOI;BIEN ACQUIS EN REMPLOI;INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : LHID.12.al1; LHID.12.al3.lete; LCP.80; LCP.82; LCP.85
Résumé : Recours contre un jugement du TAPI, au terme duquel il convient, lors du calcul du remploi, de tenir compte du prix d’acquisition effectif du bien immobilier aliéné, et non pas de son éventuelle valeur se substituant au prix d’acquisition. L’AFC-GE conteste l’interprétation de la jurisprudence faite par le TAPI et considère qu’il y a lieu de se baser sur le même montant que celui servant à déterminer l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers, en l’occurrence la valeur de substitution, soit la valeur d’acquisition dix ans avant l’aliénation majorée de 30%. Admission du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/504/2022-ICC ATA/1243/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 novembre 2023

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

contre

A______ et B______ intimés
représentés par Me Antoine BERTHOUD, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
14 novembre 2022 (JTAPI/1220/2022)


EN FAIT

A. a. Le 6 octobre 1997, A______ et B______ (ci-après : les contribuables) ont acquis, pour le prix de CHF 970'000.- et en copropriété par moitié chacun, un bien immobilier sis à C______, qui a constitué leur domicile principal.

b. Par acte notarié des 1er et 20 novembre 2019, ils ont vendu à terme à la commune de C______ la propriété du bien précité, pour le montant de
CHF 3'500'000.-.

c. Par contrat de dation en paiement des 22 et 23 avril 2021, les contribuables et la commune ont convenu que le prix de vente de CHF 3'500'000.- serait acquitté de la manière suivante :

-          par la remise aux contribuables, à titre de paiement, d’un appartement, d’un box double et d’un emplacement de parking pour un prix de CHF 1'514'745.- ;

-          par compensation de l’indemnité pour les travaux à plus-value pour un montant de CHF 174'263.67 ;

-          par un versement en espèces, à concurrence du solde du prix de vente, de
CHF 1'810'991.33.

d. Le 12 mai 2021, les contribuables ont vendu leur bien immobilier et acquis simultanément, comme résidence principale, l’appartement à C______.

e. Le 19 mai 2021, sous la plume d’un notaire, chacun d’eux a rempli la déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers (ci-après : l’IBGI), à l’attention de l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE), concernant le bien aliéné. Ils ont notamment indiqué que la valeur d’aliénation s’élevait à
CHF 1'750'000.-, de laquelle il fallait soustraire CHF 686'877.- à titre de valeur d’acquisition, qui comprenait la valeur fiscale existant dix ans avant l’aliénation majorée de 30% (CHF 630'501.-), les droits de mutation et d’émoluments
(CHF 19'400.-), et la taxe sur la plus-value résultant d’une mesure d’aménagement du territoire (CHF 36'976.-). Ainsi, le gain immobilier s’élevait à CHF 1'063'123.-.

Dans leurs demandes d’imposition différée du gain immobilier (remploi), ils ont chacun mentionné une valeur d’achat de CHF 883'738.-, de laquelle il convenait de déduire CHF 686'877.- à titre de valeur d’acquisition de l’immeuble vendu. Partant, le gain immobilier dont l’imposition était différée s’élevait à CHF 196'861.- et le gain immobilier imposable à CHF 866'262.- (CHF 1'063'123.- ‑ CHF 196'861.-).

f. Le 27 juillet 2021, l’AFC-GE a notifié à chacun des contribuables un bordereau IBGI 2019 d’un montant de CHF 90'549.60 (10% de CHF 905'496.-).

Il résulte des avis de taxation du même jour que l’AFC-GE a pris en considération un prix de vente total de CHF 1'750'000.- et un prix d’acquisition de CHF 649'901.- (CHF 630'501.- + CHF 19'400.- [la taxe sur la plus-value résultant d’une mesure d’aménagement du territoire de CHF 36'976.- n’étant pas admise]). Elle a fixé le gain immobilier à CHF 1'100'099.- (CHF 1'750'000.- ‑ CHF 649'901.-). S’agissant du remploi, elle a soustrait de la valeur d’acquisition du nouvel immeuble
(CHF 844'504.-), la valeur d’acquisition de l’immeuble vendu (CHF 649'901.-), de sorte que le gain immobilier dont l’imposition était différée s’élevait à
CHF 194'603.-. Le gain immobilier imposable se montait donc à CHF 905'496.- (CHF 1'100'099.- ‑ CHF 194'603.-).

Ces bordereaux étaient accompagnés d’un courrier précisant qu’il s’agissait d’un remploi partiel, le montant réinvesti dans le bien immobilier de remplacement étant inférieur au produit de l’aliénation du bien immobilier d’origine. L’imposition était donc partiellement différée au sens de l’art. 12 al. 3 let. e de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du
14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14).

g. Le 17 août 2021, les contribuables ont contesté le calcul de la part du gain réalisé bénéficiant du remploi. Le montant de CHF 649'900.- retenu comme valeur d’acquisition correspondait au prix d’acquisition majoré de 30% plus les droits de mutation, alors qu’il aurait fallu prendre en compte le prix d’acquisition de l’immeuble vendu de CHF 970'000.-, soit CHF 485'000.- par copropriétaire.

h. Par décisions sur réclamation du 26 janvier 2022, l’AFC-GE a maintenu les taxations. La valeur d’acquisition de CHF 630'501.-, correspondant à la valeur fiscale existant dix ans avant l’aliénation majorée de 30%, était conforme à
l’art. 82 al. 5 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05). Cette même valeur servait également de référence pour déterminer le remploi. Il n’y avait pas lieu de retenir des montants différents, car c’était l’impôt découlant de ces calculs qui était différé.

B. a. Le 10 février 2022, les contribuables ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre ces décisions et conclu à ce que le gain immobilier dont l’imposition était différée soit arrêté à CHF 359'504.- pour chacun d’eux, représentant la différence entre le prix d’achat du bien de remplacement (CHF 844'504.-) et le prix d’acquisition de l’immeuble vendu
(CHF 485'000.-).

La jurisprudence se référait exclusivement au coût effectif d’investissement du bien immobilier vendu (prix d’acquisition et travaux à plus-value) pour calculer le montant réinvesti dans le bien de remplacement faisant l’objet du différé d’imposition. Les bordereaux litigieux, qui retenaient la valeur fiscale majorée augmentée des droits de mutation et émoluments, étaient contraires au droit fédéral.

b. Le 25 mai 2022, les contribuables ont envoyé à l’AFC-GE leurs calculs du remploi. Selon leur compréhension de la jurisprudence, le bénéfice réinvesti était déterminé par la différence entre les prix d’acquisition du bien de remplacement et de l’objet vendu. Ils parvenaient au même chiffre que l’AFC-GE pour le premier de ces montants. En revanche, le prix d’acquisition de l’immeuble vendu devait comprendre le prix d’achat et les frais d’actes. Le bénéfice réinvesti s’élevait à
CHF 340'104.- par copropriétaire, montant qui venait en diminution du gain soumis à l’IBGI (CHF 1'100'100.-), si bien que le bénéfice conservé restant soumis à l’impôt s’élevait à CHF 759'996.- par contribuable.

c. Dans sa réponse du 20 juin 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Appliquer, d’une part, la valeur fiscale majorée pour la détermination du gain immobilier imposable et, d’autre part, la valeur d’acquisition pour le calcul du remploi, n’était pas concevable avec la méthode absolue prévue par la Circulaire
n° 19 de la Conférence suisse des impôts du 31 août 2001, intitulée « Remploi avec réinvestissement partiel » (ci-après : la Circulaire n° 19), laquelle retenait, dans les exemples mentionnés pour illustrer le sens et l’application de la méthode absolue, une même et seule valeur d’acquisition s’appliquant tant à la détermination du gain immobilier imposable qu’à celle du gain immobilier dont l’imposition était différée pour cause de remploi.

Elle avait tenu compte, pour le calcul du gain immobilier imposable et pour celui du gain immobilier dont l’imposition était différée, de la valeur fiscale dix ans avant l’aliénation majorée de 30% selon l’art. 82 al. 5 LCP, soit CHF 649'901.-. S’il fallait retenir la valeur d’acquisition uniquement, l’IGBI après remploi s’élèverait également à CHF 90'549.60.

d. Le 12 juillet 2022, les contribuables ont soutenu que les cantons ne disposaient d’aucune marge de manœuvre s’agissant du calcul du remploi, qui devait être exclusivement fondé sur le coût d’investissement de l’immeuble. Deux principes apparemment contradictoires s’appliquaient : un calcul du gain imposable pouvant, à la liberté des cantons, reposer sur une valeur de substitution, et un calcul du différé d’imposition basé impérativement sur le prix d’acquisition. La seule manière logique d’appréhender cette situation consistait à calculer le bénéfice imposable selon les normes du droit cantonal et de diminuer celui-ci du gain dont l’imposition était différée selon un calcul conforme au droit fédéral. La Circulaire n° 19, antérieure aux arrêts de principe du Tribunal fédéral, ne prévoyait pas le contraire.

e. Le 3 août 2022, l’AFC-GE a maintenu qu’il s’agissait d’un seul et même gain immobilier, dont une partie était imposable et l’autre différée pour cause de remploi.

f. Par jugement du 14 novembre 2022, la TAPI admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour nouvelles décisions.

Après avoir rappelé les dispositions légales pertinentes et les développements jurisprudentiels concernant le remploi et l’application de la méthode absolue, le TAPI a considéré :

« À la lumière de la jurisprudence susmentionnée, le tribunal ne saurait adopter la position de l’AFC-GE. Dans son arrêt du 16 avril 2013 (ATA/240/2013), la chambre administrative de la Cour de justice a en effet explicitement retenu que selon la méthode absolue, qui s’applique en cas de remploi tant selon la jurisprudence du Tribunal fédéral que l’art. 85 al. 3 LCP, le report s’applique uniquement pour la part du montant issu de la vente effectivement réinvestie dans le bien de remplacement, étant noté, premièrement, que cette part est la différence entre le montant déboursé pour acquérir le nouvel immeuble et les dépenses consenties pour acquérir et améliorer le bien remplacé et, deuxièmement, que les dépenses consenties sur le premier immeuble (celui aliéné) sont les frais d’acquisition et les impenses. Ainsi, il faut selon elle tenir compte du prix d’acquisition et des impenses, soit les dépenses d’investissement, et non d’une valeur s’y substituant, pour calculer le gain dont l’imposition est différée.

Dès lors, comme soutenu à juste titre par les recourants, le bénéfice imposable de l’IBGI se calcule selon les normes du droit cantonal, l’art. 12 al. 1 LHID le permettant, tandis que le calcul du gain dont l’imposition est différée se calcule selon la méthode absolue, laquelle ne prend en compte que les frais d’acquisition et les impenses ».

Il a ensuite observé que les exemples de la Circulaire n° 19 pour illustrer le sens et l’application de la méthode absolue mentionnaient une seule et même valeur d’acquisition qui s’appliquait tant à la détermination du gain immobilier imposable qu’à celle du gain immobilier dont l’imposition était différée. Cela étant, cette directive avait été adoptée avant les jurisprudences susmentionnées et ne liait pas le TAPI.

Le fait qu’il s’agissait d’un seul et même gain immobilier et non de deux gains immobiliers séparés, dont une partie était imposable et l’autre différée pour cause de remploi, ne permettait pas non plus de parvenir à une autre solution, puisque les exigences jurisprudentielles étaient claires et s’imposaient même si le résultat semblait être « contre-intuitif ».

C. a. Par acte du 15 décembre 2022, l’AFC-GE a interjeté recours devant la chambre administrative et conclu à l’annulation du jugement précité et à la confirmation de ses décisions du 26 janvier 2022.

Le raisonnement du TAPI n’était pas seulement « contre-intuitif », mais bien plutôt arbitraire. Les intimés avaient déjà demandé et obtenu que la valeur d’acquisition du bien aliéné soit estimée à sa valeur fiscale dix ans avant la vente majorée de 30% pour le calcul du gain immobilier. Leur demande supplémentaire, tendant à ce que la valeur d’acquisition de ce même immeuble soit estimée au prix effectif pour le calcul du remploi, était contradictoire avec leur demande précitée et visait à attribuer aux dispositions légales pertinentes un sens différent de celui voulu par le législateur, puisqu’elle leur permettait de choisir la valeur d’acquisition qui leur était la plus favorable pour le calcul du gain immobilier, et simultanément de choisir une autre valeur d’acquisition, plus avantageuse, pour le calcul du remploi. Le jugement entrepris était arbitraire, puisqu’il leur permettait de bénéficier deux fois d’une mesure destinée à limiter l’impact fiscal de l’imposition du gain immobilier, et ce pour une seule vente, alors que dans l’esprit du législateur les contribuables ne devaient en profiter qu’une seule fois par transaction. Il n’était pas cohérent d’appliquer deux valeurs différentes à l’acquisition d’un seul et même immeuble car la valeur d’acquisition déterminait le gain immobilier réalisé lors de sa vente, et donc nécessairement aussi la partie de ce gain immobilier qui avait été consacrée au remploi. L’arrêt cantonal sur lequel le TAPI s’était basé traitait d’une toute autre problématique fiscale.

La recourante s’est référée à un auteur de doctrine, Bastien VERREY, et a reproduit les exemples cités dans cet ouvrage, qui tenaient compte d’un seul et même montant pour déterminer, d’une part, le gain réalisé sur la première vente et, d’autre part, le montant différé pour cause de remploi, que le contribuable réinvestisse l’entier du gain immobilier ou seulement une partie de ce dernier.

Conformément à la LHID, à l’art. 82 al. 5 LCP et à la méthode absolue, elle avait donc pris en considération, dans le calcul du gain immobilier imposable et dans la détermination du remploi, la valeur fiscale dix ans avant l’aliénation majorée de 30%, soit CHF 649'901.-. L’IBGI après remploi s’élevait à CHF 90'549.60.

IBGI avec valeur d’achat majorée de 30%

 

par propriétaire 50%

Achat

CHF 970'000.-

CHF 485'000.-

Droit de mutation 4%

CHF 38'800.-

CHF 19'400.-

Majoration 30%

CHF 291'000 .-

CHF 145'500 .-

Valeur d’acquisition de l’immeuble vendu

CHF 1'299'800 .-

CHF 649'900 .-

Prix de vente

CHF 3'500'000.-

CHF 1'750'000.-

Bénéfice

CHF 2'200'200 .-

CHF 1'100'100.-

 

IBGI après remploi

 

 

Prix de revient de l’immeuble occupé

CHF 1'689'008.-

CHF 844'504.-

Valeur d’acquisition de l’immeuble vendu

CHF 1'299'800.-

CHF 649'900.-

Bénéfice réinvesti

 

CHF 194'604.-

Bénéfice conservé
(CHF l’100’100.- ‑ 
CHF 194’604.-)

 

CHF 905'496.-

IGBI après remploi

10%

CHF 90'549.60

Si elle avait retenu la valeur d’acquisition uniquement, comme demandé par les intimés, l’IBGI après remploi se serait également élevé à CHF 90'549.60, selon la méthode absolue :

IBGI avec valeur d’achat

 

Par propriétaire 50%

Achat

CHF 970'000.-

CHF 485'000.-

Droit de mutation 4%

CHF 38'800.-

CHF 19'400.-

Valeur d’acquisition de l’immeuble vendu

CHF 1'008'800.-

CHF 504'400.-

Prix de vente

CHF 3'500'000.-

CHF 1'750'000.-

Bénéfice

CHF 2'491'200.-

CHF 1'245'600.-

 

IBGI après remploi

 

 

Prix de revient de l’immeuble occupé

CHF 1'689'008.-

CHF 844'504.-

Valeur d’acquisition de l’immeuble vendu

 

CHF 504'400.-

Bénéfice réinvesti

 

CHF 340'104.-

Bénéfice conservé
(CHF 1’245’600- -
CHF 340’104)

 

CHF 905'496.-

IBGI après remploi

10%

CHF 90'549.60

Ses calculs étaient donc justes et le jugement querellé devait être annulé.

b. Dans leur réponse du 19 janvier 2023, les intimés ont conclu au rejet du recours.

La chambre administrative avait constaté à plusieurs reprises que les dispositions du droit cantonal, qui préexistaient à celle de la LHID, s’écartaient du droit fédéral impératif et auraient mérité d’être adaptées suite à l’entrée en vigueur de la LHID (ATA/42/2017 du 17 janvier 2017 consid. 7).

Les cantons n’avaient aucune marge de manœuvre pour le calcul du gain réinvesti dans l’objet de remplacement et devaient admettre le remploi. C’était notamment pour cette raison que le Tribunal fédéral avait jugé qu’il existait un intérêt juridique actuel à obtenir une décision sujette à recours fixant le montant du gain réinvesti, même si aucun impôt n’était dû à l’occasion de la vente du premier immeuble
(ATF 137 II 419, in RDAF 2012 II 111). En revanche, la LHID laissait aux cantons une grande liberté s’agissant des barèmes, fixant comme unique principe le fait que les gains réalisés à court terme devaient être imposés plus lourdement. Le droit fédéral les autorisait à déterminer librement, pour le calcul du gain, une valeur de substitution en lieu et place des dépenses d’investissement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_540/2017 du 10 septembre 2018).

À leur connaissance, le Tribunal fédéral ne s’était pas prononcé sur la question de la coordination entre le calcul du gain réinvesti dans le bien de remplacement, d’une part, et le calcul du gain immobilier tenant compte d’une valeur de substitution selon le droit cantonal, d’autre part.

La Circulaire n° 19 était antérieure aux arrêts du Tribunal fédéral qui avaient définitivement retenu la méthode absolue comme seule déterminante pour calculer le montant du réinvestissement. De plus, elle n’abordait pas la problématique de l’usage par les cantons d’une valeur de substitution dans le calcul du gain immobilier.

La doctrine citée par la recourante était également antérieure à l’arrêt de principe du Tribunal fédéral. L’auteur avait en outre souligné que son calcul posait des difficultés en cas de remploi intercantonal. À cet égard, le Tribunal fédéral avait statué en 2017 que la méthode unitaire s’appliquait et que seul le canton dans lequel le bien de remplacement était vendu disposait de la compétence pour taxer l’intégralité du gain réalisé (ATF 143 II 233, in RDAF 2017 II 553).

Or, la méthode proposée par la recourante faisait varier le prix d’acquisition du bien immobilier vendu en tenant compte de la valeur fiscale majorée de 30%. Ce calcul était clairement contraire à la jurisprudence fédérale, qui obligeait les cantons à ne retenir que le prix effectif d’acquisition augmenté des seules impenses
(ATF 137 II 419 consid. 2.2.1 et 3.2).

Le prix effectif d’acquisition augmenté des impenses s’élevait à CHF 504'400.-. Compte tenu du prix de revient de l’immeuble de CHF 844'504.-, le bénéfice réinvesti bénéficiant du remploi était de CHF 340'104.-. Ce montant devait venir en déduction du bénéfice immobilier de CHF 1'100'100.- par vendeur calculé selon les normes du droit cantonal, montant non contesté. Le deuxième calcul proposé par la recourante était fondé sur un bénéfice par vendeur de CHF 1'245'600.-, supérieur à celui taxé par les bordereaux du 27 juillet 2021 (CHF 1'100'100.-). Ce montant était clairement contraire au droit cantonal, puisqu’il faisait abstraction de l’art. 82
al. 5 LCP.

Pour des motifs d’égalité de traitement et de l’interdiction de la double imposition, il convenait d’appliquer pour le calcul du gain différé une méthode uniforme en Suisse qui ne pénalisait pas les contribuables en fonction des particularités de la législation des différents cantons. Dans l’hypothèse où un bien de remplacement aurait été acquis dans un autre canton, ce dernier serait seul compétent pour taxer la totalité du gain au moment de la vente du bien de remplacement et appliquerait sa propre législation. Dès lors, il ne serait pas tenu de prendre en compte la valeur de substitution fixée par le droit genevois. En diminuant le montant du bénéfice réinvesti de CHF 340'104.- à CHF 194'604.-, la différence pourrait être taxée deux fois, la première par le canton du départ et la deuxième par le canton d’arrivée. Un tel résultat était incompatible avec l’interdiction de la double imposition intercantonale. La même base de calcul devait être retenue, pour des motifs évidents d’égalité de traitement, en cas de remploi cantonal. La solution du TAPI était la seule compatible avec ces principes.

c. Par réplique du 14 février 2023, la recourante a considéré que les intimés ne pouvaient rien déduire en leur faveur des arrêts du Tribunal fédéral cités.

Par ailleurs, les intimés estimaient que sa méthodologie pourrait engendrer une double imposition en cas de remploi intercantonal. Bien que cette question puisse rester ouverte, dès lors qu’il ne s’agissant en l’occurrence pas d’un remploi intercantonal, elle entendait répondre à ce grief. Conformément à la jurisprudence fédérale (2C_540/2017 du 10 septembre 2018), le législateur cantonal était largement libre de définir la notion de valeur de substitution et il n’y avait aucune tâche de coordination, pas plus qu’un besoin d’harmonisation verticale. Toutefois, en cas de remploi intercantonal, le Tribunal fédéral insistait sur le fait qu’une solution uniforme dans toute la Suisse s’imposait, puisque le remploi n’était plus limité aux frontières cantonales. Il avait ainsi imposé aux cantons la méthode absolue en cas de réinvestissement partiel. Ainsi, en cas de remploi intercantonal, le second canton qui imposait le gain immobilier devait s’en tenir strictement au montant du gain dont l’imposition avait été différée. Le canton du bien de remplacement était donc lié par la valeur de substitution telle que déterminée par le canton du premier immeuble aliéné, ce qui empêchait toute éventuelle double imposition intercantonale. Il ne s’agissait pas d’une entorse au principe de la souveraineté fiscale des cantons, puisque le second canton imposait, dans les faits, une plus-value conjoncturelle, soit le gain immobilier, réalisée initialement dans le premier canton. Quant à l’éventuel gain immobilier réalisé suite à la vente de l’immeuble de remplacement, il était déterminé par le second canton en fonction de sa propre législation. Cette position était cohérente avec le principe de bon sens, à savoir qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul gain immobilier, dont une partie était différée pour cause de remploi et l’autre imposable immédiatement.

d. Par duplique du 3 avril 2023, les intimés ont relevé que le résumé de la recourante de l’ATF 143 II 233 avait permis de révéler une erreur de citation dans leur écriture, qui n’avait aucune portée, puisque la recourante ne contestait pas l’application de la méthode unitaire, sur laquelle le Tribunal fédéral avait statué dans l’ATF 143 II 694 (in RDAF 2018 II 94).

Chaque canton était libre de fixer sa propre valeur de substitution et il n’y avait aucune raison d’imaginer qu’un canton serait tenu d’appliquer, pour le calcul qui lui revenait exclusivement d’un impôt sur les gains immobiliers, la législation d’un autre canton. Cette soi-disant « position cohérente » ne trouvait aucun fondement dans la jurisprudence. La LHID étant fondée sur l’art. 127 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), elle visait notamment à éviter la double imposition intercantonale et c’était pour cette raison que le Tribunal fédéral avait clairement fixé comment le remploi devait être calculé. Si le bénéfice imposable au titre de l’IBGI se calculait selon les normes du droit cantonal, le calcul du gain dont l’imposition était différée devait être effectué selon la méthode absolue et ne prendre en compte que les frais d’acquisition et les impenses.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑
E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur le calcul de l’IBGI 2019 des intimés, et plus particulièrement sur la valeur d’acquisition du bien immobilier aliéné à retenir pour le calcul du remploi.

Les parties divergent sur le montant à retenir, lors du calcul du remploi, comme prix d’acquisition du bien immobilier soumis à l’IBGI. Selon la recourante, il s’agit de la valeur d’acquisition dix ans avant l’aliénation majorée de 30% (CHF 485'000.- + CHF 145'500.- par contribuable) ainsi que les impenses y afférant (CHF19'400.- par contribuable), soit un total de CHF 649'900.- par époux. Selon les intimés, suivis par le TAPI, il s’agit du prix d’acquisition du bien immobilier vendu
(CHF 485'000.- par contribuable) ainsi que les impenses y afférant (CHF 19'400.- par contribuable), soit la somme de CHF 504'400.- par époux.

3.             Selon l’art. 12 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses ; al. 1). Toute aliénation d’immeubles est imposable (al. 2, 1ère phrase). L’imposition est différée notamment en cas d’aliénation de l’habitation (maison ou appartement) ayant durablement et exclusivement servi au propre usage de l’aliénateur, dans la mesure où le produit ainsi obtenu est affecté, dans un délai approprié, à l’acquisition ou à la construction en Suisse d’une habitation servant au même usage (al. 3 let. e). Les cantons veillent à ce que les bénéfices réalisés à court terme soient imposés plus lourdement (al. 5).

3.1 Dans le canton de Genève, l’impôt sur les gains immobiliers est régi aux
art. 80 ss LCP.

À teneur de l’art. 80 LPC, l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, ainsi que certains gains que ces immeubles procurent sans aliénation (al. 1). L’impôt est dû par l’aliénateur ou le bénéficiaire du gain même s’il est domicilié hors du canton. Les époux vivant en ménage commun sont considérés comme contribuables distincts. Le conjoint aliénateur ou bénéficiaire du gain est seul responsable du paiement de l’impôt dû (al. 3).

L’art. 82 LCP indique que le bénéfice ou gain imposable est constitué par la différence entre la valeur d’aliénation et la valeur d’acquisition (al. 1). La valeur d’acquisition est égale au prix payé pour l’acquisition du bien, augmentée des impenses, ou, à défaut de prix, à sa valeur vénale (al. 2). Lors de l’aliénation d’un immeuble acquis par un transfert justifiant la prorogation de l’imposition, le prix d’acquisition est celui de la dernière aliénation soumise à l’impôt qui est aussi déterminante pour fixer la durée de possession (al. 3). Lorsque l’acquisition est intervenue plus de dix ans avant l’aliénation, le contribuable peut demander que soit considérée comme valeur d’acquisition la valeur fiscale cinq ans avant l’aliénation s’il s’agit d’un immeuble locatif au sens de l’art. 50 let. a de la loi sur l’imposition des personnes physiques, du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), et la valeur fiscale dix ans avant l’aliénation majorée de 30% s’il s’agit d’un autre immeuble (al. 5). La valeur d’aliénation est égale au prix de vente diminué des impenses que l’aliénateur a supportées à cette occasion (al. 6). Le prix de vente comprend l’ensemble des prestations de tout genre auxquelles l’acquéreur s’oblige à l’égard de l’aliénateur (al. 7). Sont considérés comme impenses les frais liés à l’acquisition ou à l’aliénation de l’immeuble et les dépenses qui en ont augmenté la valeur (al. 8).

Conformément à l’art. 84 al. 1 let. f LCP, l’impôt est perçu de l’aliénateur ou du bénéficiaire du gain sur le montant global du bénéfice ou du gain nets au taux de 10% lorsqu’il l’a été pendant dix ans au moins, mais moins de 25 ans.

Selon l’art 85 LCP, l’impôt est remboursé en cas de remploi du bénéfice résultant de l’aliénation d’un logement (villa ou appartement) occupé par le propriétaire qui aliène (al. 1 let. a). Il y a remploi au sens de l’alinéa précédent lorsque l’aliénateur utilise le produit de l’aliénation pour acquérir, construire ou transformer un immeuble de même nature, pourvu qu’il ne s’écoule pas plus de cinq ans entre les deux opérations (al. 2). N’est remboursé que l’impôt relatif au bénéfice qui a été effectivement investi, en plus du montant de la valeur d’acquisition du bien aliéné (al. 3). L’impôt remboursé est exigible lors de l’aliénation de l’immeuble de remplacement ; les aliénations dont l’imposition est prorogée n’entrent pas en ligne de compte, mais l’acquéreur reprend l’obligation de l’aliénateur dans les cas de l’art. 81 al. 1 let. a et b.

3.2 L’art. 12 LHID contraint les cantons à percevoir un impôt sur les gains immobiliers. Bien qu’il demeure vague sur l’aménagement de cet impôt, en particulier sur la durée de la possession (ATF 134 II 124 consid. 3.2), il ne leur laisse aucune liberté pour décider des cas dans lesquels l’imposition doit être différée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2019 du 22 janvier 2020 consid. 3.1 et les références citées). Ils sont en revanche libres d’adopter le barème de l’impôt sur les gains immobiliers (art. 1 al. 3 LHID), à condition d’imposer plus lourdement les bénéfices réalisés à court terme (art. 12 al. 5 LHID ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_459/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1).

Le législateur fédéral a décrit de manière exhaustive les états de fait fondant un report d’imposition, lesquels doivent être repris par les cantons dans leur législation sur l’imposition des gains immobiliers. Il a en même temps recherché une harmonisation matérielle des lois cantonales concernant le report d’imposition (ATF 130 II 202 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_569/2016 du
10 février 2017 consid. 3).

La prorogation de l’imposition prévue par l’art. 12 al. 3 LHID signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est cependant pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu ou, en d’autres termes, comme s’il n’y avait pas eu réalisation d’un gain. La prorogation n’implique toutefois pas une exemption définitive, qui serait d’ailleurs contraire à l’art. 12 LHID. L’augmentation de valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable et l’acte prorogeant l’imposition n’est provisoirement pas taxée ; l’imposition est simplement différée jusqu’à nouvelle aliénation imposable (arrêts du Tribunal fédéral 2C_459/2020 précité consid. 4.3 et 2C_797/2009 du 20 juillet 2010 consid. 2.3).

Les cantons n’ont aucune marge de manœuvre s’agissant du réinvestissement partiel du produit de la vente dans un objet de remplacement au sens de l’art. 12
al. 3 let. e LHID. En présence d’un état de fait permettant le remploi, ils doivent appliquer la méthode absolue. Selon celle-ci, le report de l’imposition n’est accordé que pour la part du gain réinvestie dans l’objet de remplacement, en sus du montant des dépenses d’investissement de l’objet aliéné. Le gain non réinvesti est immédiatement soumis à l’imposition (ATF 137 II 419 consid. 2.2.1). Lors d’une demande de remploi, il faut d’une part déterminer le montant du bénéfice réalisé (bénéfice brut), et donc également celui des frais d’investissement, puisque le bénéfice brut se calcule en déduisant du produit les frais d’investissement. D’autre part, il faut déterminer le montant du réinvestissement, car un report d’impôt est accordé pour le bénéfice brut à hauteur de la différence entre le réinvestissement et les frais d’investissement de l’objet aliéné. Ce n’est que lorsque ces deux valeurs sont connues qu’il est possible d’évaluer, en appliquant la méthode absolue, si et dans quelle mesure un report d’imposition est accordé (ATF 137 II 419 consid. 3.2).

3.3 La plupart des lois cantonales permettent au contribuable de faire valoir comme prix d’acquisition l’estimation fiscale de l’immeuble, s’il a été possédé pendant un certain nombre d’années (Bastien VERREY, L’imposition différée du gain immobilier : harmonisation fédérale et droit cantonal comparé, 2011, p. 235). Le prix de l’immeuble est ainsi déterminé par la différence entre le prix de vente et l’estimation fiscale pertinente. Les impenses postérieures à celle-là sont également déductibles. Cela a pour conséquence que le montant admis en réinvestissement peut également être déterminé en fonction du prix d’acquisition du nouvel immeuble et de l’estimation fiscale ou autre valeur de substitution de l’immeuble qui a été aliéné (Bastien VERREY, op. cit., p. 236). Le fait que le contribuable puisse invoquer une autre valeur (plus élevée) que le prix d’acquisition pour diminuer son gain imposable peut également avoir pour conséquence de réduire le montant dont l’imposition pourrait être différée. En effet, en cas de réinvestissement partiel, selon la méthode absolue, la part qui bénéficie du report est fonction du prix d’acquisition du premier immeuble. Plus celui-ci est haut, moins le gain différé est important. Toutefois, cela ne péjore par la situation du contribuable, le gain imposé immédiatement est soit moindre soit équivalent à ce qui aurait été calculé avec le prix d’acquisition déboursé par le contribuable (Bastien VERREY, op. cit., p. 236).

Le gain dont l’imposition doit être différée est déterminé selon la méthode absolue, imposée par le Tribunal fédéral. Il convient dès lors de considérer les prix de revient des immeubles aliéné et acquis en remploi. En effet, dans le cas ci-dessus, le report est partiel, le contribuable achetant un nouveau bien dont le prix est moins élevé que le prix de vente du précédent immeuble. Ainsi, seule la différence entre le prix de revient du nouvel immeuble et celui de l’ancien peut bénéficier du report. Dit autrement, jusqu’au prix d’acquisition du nouvel immeuble, le produit de l’aliénation du précédent est réinvesti dans un bien immobilier. Au-delà, il est à la libre disposition du contribuable et doit être imposé (Bastien VERREY, Report de l’imposition du gain immobilier en cas de remploi : ses fins et sa fin, 2015,
p. 518-522).

3.4 Selon les Informations fiscales édictées par la Conférence suisse des impôts
(ci-après : CSI ; Impôts sur les gains immobiliers, mars 2020), le gain immobilier peut être désigné comme étant l’objet de l’impôt au sens propre du terme. Le gain imposable (assiette de l’impôt) est le bénéfice net provenant de l’aliénation d’un bien immobilier. L’impôt n’a donc pas pour objet un accroissement de la valeur de l’immeuble survenu en l’espace d’un certain laps de temps, mais bien l’augmentation de la valeur qui apparaît au moment de l’aliénation de cet immeuble. Cette plus-value résulte de la différence entre les coûts d’investissement (prix d’acquisition augmenté des impenses) et le produit de l’aliénation diminué des déductions autorisées par la loi. En outre, les déductions autorisées peuvent varier selon le canton (ch. 5.1)

Le gain imposable résulte de la différence entre le produit de l’aliénation et les dépenses d’investissement, moins les déductions légales (ch. 7). Est réputé prix d’acquisition le prix auquel l’aliénateur avait acquis l’immeuble. Il s’agit normalement de l’ancien prix d’achat tel qu’il figure dans le contrat d’achat sous la forme d’acte authentique, y compris toutes les autres prestations fournies au vendeur par l’acheteur. Lorsque l’acquisition remonte à une époque assez lointaine, il est souvent difficile, voire impossible, d’établir avec précision quel avait été le prix d’achat. Afin d’éviter d’une part de frapper trop lourdement l’aliénateur d’une ancienne propriété et d’autre part afin d’assurer une perception efficace de l’impôt, la plupart des lois fiscales prévoient dans ces cas des dispositions particulières concernant la détermination du prix d’acquisition. En lieu et place du prix effectivement payé à l’époque, la valeur fiscale que l’immeuble en question possédait à un certain moment est alors souvent prise en considération. La valeur imposable est calculée en prenant considération la valeur de la propriété définie légalement rétroactivement. À Genève, le contribuable peut invoquer, comme prix d’acquisition, l’estimation fiscale de l’immeuble dix ans avant l’aliénation, majorée de 30%, pour les villas et appartements non locatifs (ch. 7.2.1).

3.5 La Circulaire n° 19 de la CSI du 31 août 2002, traite du remploi avec réinvestissement partiel. Il ressort de ce document que deux méthodes de calcul étaient appliquées par les cantons en cas de « réinvestissement partiel », soit lorsque le montant réinvesti était inférieur au produit de l’aliénation : la méthode dite absolue, l’autre proportionnelle. Cette application concurrente de méthodes différentes n’était pas souhaitable du point de vue de l’harmonisation des impôts directs et pouvait provoquer, dans les relations intercantonales, des conflits de lois source d’une double imposition ou d’une exemption de gains effectivement réalisés, de sorte qu’une uniformisation s’impose.

Selon la méthode absolue, le gain immobilier réalisé lors de l’aliénation de l’immeuble n’est imposable que dans la mesure où le produit de l’aliénation n’est pas affecté au remploi. Le choix de cette méthode résulte d’une interprétation littérale des dispositions applicables (« à condition que le produit de l’aliénation soit utilisé » ou « dans la mesure où le produit ainsi obtenu est affecté ») et tient compte des exigences de la pratique. Dans le cadre de la méthode de calcul absolue, et contrairement à ce qui se passe si l’on retient la méthode proportionnelle, l’imposition du gain n’est pas différée lorsque le montant réinvesti dans l’acquisition de l’objet de remplacement est inférieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition et impenses) de l’immeuble aliéné.

La méthode absolue est simple et facile à comprendre. Le différé d’imposition est accordé dans la mesure où le gain immobilier n’est pas à la libre disposition de l’aliénateur, parce qu’il a été affecté à l’acquisition d’un objet de remplacement. La partie du produit de l’aliénation qui est à la libre disposition de l’aliénateur est en revanche imposée lors de la réalisation du gain et à un moment où les liquidités nécessaires au paiement de l’impôt sont à disposition du débiteur de cette contribution.

La Circulaire propose deux exemples, le premier illustrant un cas de dépenses d’investissement inférieures au montant réinvesti et le second un cas de dépenses d’investissement supérieures au montant réinvesti.

3.6 Le calcul du gain comptable n’est réglé que de façon générale par
l’art. 12 al. 1 LHID. Les cantons sont libres, en cas de longue durée de possession, de frapper le gain effectivement obtenu ou de prévoir une limite lors du calcul imposable. Dans cette dernière hypothèse, le prix d’acquisition est alors remplacé par une autre valeur (Message sur l’harmonisation fiscale du 25 mai 1983,
FF 1983 III 106).

L’art. 12 al. 3 let. e LHID a été introduit dans la loi contre l’avis du Conseil fédéral qui proposait d’y renoncer (FF 1983 III 109). La lecture des travaux parlementaires montre que le but poursuivi par le législateur fédéral était triple, à savoir soutenir la mobilité professionnelle de la population, protéger l’accession et le maintien de la propriété privée, et prévenir la spéculation foncière (FF 1983 III 1, p. 54 et 109 ; BO CE 1986 p. 141 ; BO CN 1989 p. 49 ss ; BO CN 1990 p. 442 ;
Bastien VERREY, L’imposition différée du gain immobilier: harmonisation fédérale et droit cantonal comparé, 2011, p. 152 et 205). Par l’introduction du report d’imposition du gain immobilier, le législateur a voulu éviter d’entraver l’acquisition ou le maintien de la propriété servant de logement principal par une imposition, tout en combattant la spéculation immobilière. Les parlementaires soulignaient que la mobilité professionnelle de la population devait être garantie. Le Parlement souhaitait en effet favoriser le maintien de la propriété individuelle dans tous les cas où les circonstances de la vie conduisent une personne à changer de logement (BO CN 1989 p. 49 ss). Il s’agissait pour l’essentiel de renoncer à la perception immédiate d’un impôt susceptible de rendre plus difficile l’acquisition d’un logement de remplacement Le législateur a dans ce contexte refusé de suivre une minorité de sa commission qui proposait de restreindre le report d’imposition aux cas où le logement devait être vendu « pour des raisons impératives » (arrêt du Tribunal fédéral 2C_277/2011 du 17 octobre 2011 consid. 4.2.3.2).

3.7 La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre. Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (ATF 137 II 164 consid. 4.1).

L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune proprement dite suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point qu'il aurait dû régler et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. Une telle lacune peut être occulte. Tel est le cas lorsque le législateur a omis d'adjoindre, à une règle conçue de façon générale, la restriction ou la précision que le sens et le but de la règle considérée ou une autre règle légale imposent dans certains cas (ATF 135 IV 113 consid. 2.4). En d'autres termes, il y a lacune occulte lorsque le silence de la loi est contraire à son économie (ATF 117 II 494 consid. 6a et la référence citée). En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante. D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite (apparente ou occulte) appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminé de la norme ne constitue un abus de droit ou ne viole la Constitution (ATF 131 II 562 consid. 3.5 et les arrêts cités). Cette jurisprudence vaut également en droit fiscal, où seules les lacunes proprement dites peuvent être comblées, sous réserve des cas d’abus de droit pouvant notamment prendre la forme de l’évasion fiscale (ATF 131 II 562 précité consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1078/2015 du 23 mai 2017
consid. 4.2).

Savoir si l’on est en présence d’une lacune proprement dite, que le juge peut et doit combler, ou d’une lacune improprement dite relevant de considérations de politique législative qui sortent du champ de compétence du pouvoir judiciaire, est une question d’interprétation (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_502/2014 du 25 mars 2015 consid. 2.3).

4.             En l’espèce, la recourante reproche au TAPI d’avoir appliqué deux valeurs différentes à l’acquisition d’un seul et même immeuble et soutient que la valeur d’acquisition qui détermine le gain immobilier réalisé lors de la vente doit également servir à établir la part dudit gain consacré au remploi.

4.1 L’art. 12 LHID traite de l’impôt sur les gains immobiliers. Son al. 1 explique que ledit impôt a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de bien immobilier de la fortune privée, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses). L’al. 2 prévoit les situations devant être assimilées à une aliénation d’immeubles. L’al. 3 précise les cas dans lesquels l’imposition est différée et l’al. 4 concerne les aliénations de la fortune commerciale. Enfin, l’al. 5 prévoit que les cantons veillent à ce que les bénéfices réalisés à court terme soient imposés plus lourdement.

Les cantons sont donc libres de définir une valeur de remplacement en lieu et place du prix d’acquisition qui sert à chiffrer le montant de l’investissement de l’objet aliéné, et par conséquent le gain immobilier imposable. Si le législateur fédéral avait voulu exclure que le montant du différé d’imposition, qui découle de la même transaction immobilière, soit établi sur la base de l’éventuelle valeur de substitution introduite par le droit cantonal, il l’aurait aisément précisé à l’al. 3. Rien ne permet de penser que la valeur de remplacement ne devrait pas être reprise pour calculer la partie de l’impôt immobilier devant être différé.

En droit genevois, l’art. 80 LPC, intitulé « objet », indique notamment que l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers a pour objet le « bénéfice net » provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles (al. 1). La notion de bénéfice est développée à l’art. 82 LCP, sous le titre « calcul du bénéfice ». Il précise que le bénéfice ou gain imposable est constitué par la différence entre la valeur d’aliénation et la valeur d’acquisition (al. 1). Cette dernière fait l’objet des alinéas 2 à 5 qui prévoient notamment que la valeur d’acquisition correspond au prix payé pour l’acquisition du bien, augmentée des impenses, ou, à défaut de prix, à sa valeur vénale (al. 2), ou encore, sur demande du contribuable, à la valeur fiscale dix ans avant l’aliénation majorée de 30% lorsque l’acquisition est intervenue plus de
dix ans avant l’aliénation de l’immeuble non locatif (al. 5). L’art 85 LCP traite spécifiquement du « remploi ». Il en ressort que l’impôt est remboursé en cas de remploi du « bénéfice » résultant de l’aliénation d’un logement principal (al. 1
let. a), qu’il y a remploi lorsque l’aliénateur utilise le « produit de l’aliénation » pour acquérir, construire ou transformer un immeuble de même nature dans les
cinq ans (al. 2). N’est remboursé que l’impôt relatif au « bénéfice » qui a été effectivement investi, en plus du montant de la « valeur d’acquisition » du bien aliéné (al. 3).

Les dispositions cantonales ne prévoient donc pas non plus l’application de deux valeurs d’acquisition différentes, l’une pour calculer l’impôt sur le gain immobilier et l’autre pour déterminer le montant différé. Au contraire, l’art. 85 al. 3 LCP se rapporte aux notions de « bénéfice » et de « valeur d’acquisition », lesquelles sont clairement définies à l’art. 82 LCP. Le législateur genevois a utilisé la marge de manœuvre laissée par la législateur fédéral et défini une valeur « se substituant » au prix d’acquisition. La disposition traitant spécifiquement du remploi ne prévoyant pas une autre valeur d’acquisition que celle énoncée à l’art. 82 LCP, il convient de s’en rapporter à cette dernière. Il en va d’ailleurs de même s’agissant de la notion de « valeur d’aliénation », également largement définie à l’art. 82 LCP, sans aucune dérogation prévue dans l’article traitant du remploi.

L’interprétation de la loi ne permet a priori pas de constater l’existence d’une lacune que la chambre de céans devrait combler.

4.2 Le TAPI s’est référé à la jurisprudence fédérale (ATF 137 II 419 consid. 2.2.1 et 3.2) et genevoise (ATA/240/2013 du 16 avril 2013) et a conclu que « les exigences jurisprudentielles claires » imposent de calculer le bénéfice imposable de l’IGBI selon les normes du droit cantonal, comme le permet l’art. 12 al. 1 LHID, tandis que le calcul du gain dont l’imposition est différée se calcule selon la méthode absolue, laquelle ne prend en compte que le prix d’acquisition – et non une valeur s’y substituant – et les impenses.

4.2.1 Dans l’arrêt cité par le TAPI, le Tribunal fédéral a rappelé que les cantons ne disposaient d’aucune marge de manœuvre s’agissant de la question du réinvestissement partiel du produit de la vente (« Erlös ») dans un objet de remplacement et qu’ils devaient appliquer la méthode absolue, selon laquelle le report d’imposition n’était accordé que pour la part du bénéfice (« Gewinn ») qui, après réutilisation des frais d’investissement de l’objet aliéné (et d’éventuelles prestations de tiers), était en outre investie dans l’acquisition de l’objet de remplacement. Cela signifiait que le bénéfice (« Gewinn ») non réinvesti était immédiatement imposé (consid. 2.2.1). Lors d’une demande de remploi, il fallait déterminer, d’une part, le montant du bénéfice réalisé (bénéfice brut) (« der erzielte Gewinn [Rohgewinn] ») et donc aussi le montant des dépenses d’investissement (« Anlagekosten ») puisque le bénéfice brut (« Rohgewinn ») se calculait à partir du produit (« Erlös ») moins les dépenses d’investissement (« Anlagekosten »). D’autre part, il fallait déterminer le montant du réinvestissement, car un report était accordé pour le bénéfice brut (« Rohgewinn ») à hauteur de la différence entre le réinvestissement et les dépenses d’investissement (« Anlagekosten ») de l’objet aliéné. Ce n’était que lorsque ces deux valeurs (bénéfice brut [« Rohgewinn »]) et donc dépenses d’investissement [« Anlagekosten »] et montant réinvesti) étaient connues qu’il était possible de déterminer le report en appliquant la méthode absolue (consid. 3.2).

Cet arrêt n’indique donc pas que la valeur de remplacement prévue par le droit cantonal devrait être écartée lors de l’application de la méthode absolue et que seul le prix d’acquisition effectif devrait être utilisé pour déterminer le report d’imposition. Au contraire, l’emploi systématique de la notion de « dépenses d’investissement » (« Anlagekosten »), qui comprend non seulement le prix d’acquisition, mais également une valeur de substitution selon l’art 12 al. 1 LHID, vient plutôt confirmer qu’une seule et même valeur doit être utilisée pour le calcul de l’IGBI et pour le calcul du report.

4.2.2 Concernant l’ATA/240/2013, le litige portait sur la manière dont l’AFC-GE avait mis en œuvre un remploi, avant d’opérer un changement de pratique consistant en l’introduction d’un différé d’imposition en lieu et place du différé de perception. L’AFC-GE considérait désormais, lors du premier transfert de propriété et en cas de remploi, qu’aucun gain n’était réputé réalisé au plan fiscal. Le gain immobilier réinvesti dans l’achat d’un nouveau bien n’était pas imposable lors de la vente de l’ancienne habitation, mais lors de la vente ultérieure du bien de remplacement. Dans ce cas, le taux de l’impôt se déterminait en cumulant les durées de possession des deux biens immobiliers.

Contrairement à ce que suggère le jugement contesté, la chambre administrative n’a pas indiqué qu’il convenait « de tenir compte du prix d’acquisition et des impenses, soit les dépenses d’investissement, et non d’une valeur s’y substituant, pour calculer le gain dont l’imposition est différée ». Dans cette affaire, la valeur d’acquisition de l’immeuble aliéné n’était pas litigieuse et n’avait donc pas du tout été débattue. Partant, cette jurisprudence ne permet pas de conclure que la valeur de substitution, appliquée à la demande des contribuables pour déterminer le bénéfice imposable, devrait ensuite être écartée au moment de fixer le différé d’imposition.

4.3 Bastien VERREY, qui a consacré sa thèse de doctorat à l’imposition différée du gain immobilier et en particulier à l’harmonisation fédérale et au droit cantonal comparé, n’a pas expressément pris position sur la question ici litigieuse. Il ressort cependant de son exemple reproduit en p. 237 et servant à illustrer les conséquences de l’application de la méthode absolue lorsque le contribuable invoque une valeur de substitution que l’auteur a tenu compte d’une seule et même valeur d’acquisition pour calculer, d’une part, le gain immobilier réalisé sur la première vente et, d’autre part, le montant différé.

On peut donc en conclure que cet auteur est parti du principe que le même montant devait s’appliquer tant pour la détermination du gain immobilier que pour celle du montant de l’impôt reporté.

Que cet ouvrage soit antérieur à la jurisprudence relative à l’application de la méthode absolue est sans pertinence, puisque le Tribunal fédéral n’a pas jugé que le prix effectif d’acquisition devrait être appliqué pour calculer le remploi.

4.4 La Circulaire n° 19 ne contient aucune information sur le manière de définir le prix d’acquisition et les exemples qui y sont donnés ne font pas référence à une valeur de remplacement. Elle n’est donc d’aucune utilité pour l’examen du litige.

Les Informations fiscales éditées par la CSI n’abordent pas expressément la question litigieuse. Cela étant, elles rappellent dans le chapitre « Objet de l’imposition » que la plus-value imposable résulte de la différence entre les coûts d’investissement (« prix d’acquisition » augmenté des impenses) et le produit de l’aliénation diminué des déductions autorisées par la loi. S’agissant du report de l’imposition en cas d’aliénation de l’habitation ayant durablement et exclusivement servi au propre usage de l’aliénateur, elles se réfèrent également au « prix d’acquisition ». Ce dernier est détaillé dans le chapitre « Calcul du gain imposable », sous « dépenses d’investissement ». Il y est expliqué que la plupart des cantons ont adopté des dispositions particulières et défini une valeur de substitution au prix d’achat pour éviter d’imposer trop lourdement l’aliénateur d’une ancienne propriété et afin d’assurer une perception efficace de l’impôt. Ce document mentionne donc une seule valeur « d’acquisition » et ne fait aucune distinction entre le calcul du gain immobilier et le calcul de l’impôt reporté.

4.5 S’agissant de l’objet même de l’impôt sur les gains immobiliers, la marge de manœuvre du législateur cantonal est limitée essentiellement à l’aménagement de cet impôt, la LHID lui laissant le soin de définir certaines notions pour la détermination du gain imposable, tels les frais déductibles au titre d’impenses ou encore la possibilité de fixer une éventuelle valeur de substitution au prix d’acquisition de l’immeuble. La possibilité offerte au contribuable d’opter, si le droit cantonal le prévoit, pour une valeur se substituant au prix d’acquisition permet à l’intéressé de réduire le montant du gain imposable. La valeur de remplacement permet également de pallier les inconvénients liés aux acquisitions très anciennes, lorsque le prix d’achat précis ne peut être établi. Dans un tel cas, il est à l’évidence impossible, pour déterminer le montant du remploi, d’appliquer une autre valeur d’acquisition que celle de remplacement.

Il résulte de l’analyse des travaux préparatoires de l’art. 12 al. 3 let. e LHID que le législateur fédéral a entendu soutenir la mobilité professionnelle de la population, protéger l’accession et le maintien de la propriété privée, tout en prévenant la spéculation foncière. Le report d’imposition permet ainsi au contribuable de ne pas être immédiatement taxé sur la partie du gain qu’il réinvestit dans l’acquisition ou la construction de son habitation principale.

Le maintien de la propriété individuelle du logement principal est donc favorisé par la possibilité de recourir à une valeur de substitution pour le calcul de l’impôt, si le droit cantonal le prévoit, et par la possibilité de proroger la part de cet impôt qui est réinvestie. Aucun élément ne justifie de permettre encore au contribuable de bénéficier d’une troisième mesure en choisissant une autre valeur d’acquisition pour calculer le remploi afin de bénéficier d’un report d’impôt plus avantageux. La loi ne la prévoit pas. La jurisprudence non plus.

4.6 Les intimés soutiennent que la chambre administrative a constaté à plusieurs reprises que les dispositions du droit cantonal, qui préexistaient à celle de la LHID, s’écartaient du droit fédéral impératif et auraient mérité d’être adaptées suite à l’entrée en vigueur de la LHID. La jurisprudence citée par les intéressés (ATA/42/2017 du 17 janvier 2017) ne concerne toutefois pas les articles applicables dans le cas présent et ne permet donc pas de conclure que les cantons, qui sont certes obligés de permettre le report d’imposition lorsque les conditions en sont réalisées, ne devraient pas tenir compte de la valeur de substitution et ne prendre en compte que le prix d’acquisition effectif lorsqu’ils sont amenés à calculer le montant réinvesti.

Ils font ensuite valoir que la solution proposée par la recourante, qui ferait varier le prix d’acquisition du bien immobilier vendu en tenant compte de la valeur de substitution, est contraire à la jurisprudence fédérale (ATF 137 II 419 consid. 2.2.1 et 3.2), qui oblige les cantons à ne retenir que le prix effectif d’acquisition augmenté des seules impenses. Comme relevé précédemment, cet arrêt ne fait pas référence au « prix effectif » ni même au « prix d’acquisition ». Il se réfère à la notion de dépenses d’investissement, laquelle est définie à l’art. 12 LHID et inclut également la valeur de remplacement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 10 septembre 2018 (2C_540/2017) évoqué par les intimés ne permet pas non plus de conforter leur position. En effet, notre Haute cour y a notamment rappelé que la loi fédérale était vague quant à l’organisation de la perception de l’impôt sur les gains immobiliers et ne contenait que peu de directives à l’intention des cantons (consid. 2.1), que les notions de produit, de dépenses d’investissement et de valeur de substitution (« die Begriffe "Erlös", "Anlagekosten" und "Ersatzwert" ») n’étaient pas précisées (consid. 2.2), que le législateur cantonal était largement libre de définir la notion de « valeur de remplacement » et qu’il n’existait à cet égard aucune tâche de coordination, pas plus qu’un besoin d’harmonisation verticale (consid. 2.3). Le législateur fédéral n’avait pas fixé de conditions-cadres ou de directives sur la manière dont les cantons devaient définir cette valeur de substitution. Avec cette dernière, le prix de revient (« Gestehungskosten ») était légalement fictif à un moment donné, à fixer par le législateur cantonal (consid. 2.3.1). Le Tribunal fédéral en a conclu que la législation du canton de Lucerne, selon laquelle c’était en principe l’estimation cadastrale existant 30 ans auparavant qui était considérée comme prix d’acquisition lorsque l’acquisition déterminante remontait à plus de 30 ans, correspondait aux prescriptions de la LHID. Si le législateur fédéral avait voulu, comme pour l’impôt sur la fortune, déclarer obligatoire la valeur vénale comme valeur de remplacement, il l’aurait inscrit à l’art. 12 LHID comme il l’avait fait à l’art. 14 LHID
(consid. 3.2.1). Aucun élément de cet arrêt, qui ne vise au demeurant pas une situation de remploi, permet de conclure que la valeur de substitution servant à calculer le gain immobilier ne devrait pas également servir à établir le montant du report.

4.7 Enfin, les intimés se prévalent de la jurisprudence fédérale rendue en matière de répartition intercantonale suite à un remploi (ATF 143 II 694, in RDAF 2018 II 94) et invoquent l’interdiction de la double imposition et le principe de l’égalité de traitement.

La question d’une double imposition ne se pose pas ici puisque le remploi est intracantonal. Les considérations soulevées par les intimés n’ont donc pas à être clarifiées dans le présent arrêt.

La chambre de céans se limitera par conséquent à relever que l’art. 5 al. 2 de l’ordonnance sur l’application de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs dans les rapports intercantonaux du 9 mars 2001 (RS 642.141), prévoit que le canton qui accorde le remploi immobilier communique sa décision aux autorités de taxation du canton où l’immeuble acquis en remploi est situé. Le Tribunal fédéral a jugé que les autorités fiscales ont un intérêt à fixer de « manière contraignante » le gain immobilier différé suite à l’acquisition d’un logement à usage personnel et que le contribuable a un intérêt actuel à contester un tel calcul par les moyens de droit à sa disposition. Le fait qu'un gain différé ne soit jamais imposé par la suite ou que des divergences puissent apparaître lors de l’imposition ultérieure ne change rien à cet intérêt fondamental (ATF 137 II 419 consid. 4). L’application de la méthode unitaire ne signifie donc pas que le canton d’arrivée pourrait s’écarter du montant retenu à titre de remploi par le canton du premier bien immobilier aliéné.

Eu égard à ce qui précède, la chambre de céans considère que la recourante était fondée à déterminer le montant des bénéfices réinvesti et conservé sur la base de la valeur d’acquisition de l’immeuble aliéné, en tenant compte de la majoration de 30%.

Le recours sera ainsi admis, le jugement querellé annulé et les décisions sur réclamation de la recourante du 26 janvier 2022 rétablies.

4.8 Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge des intimés qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 décembre 2022 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 novembre 2022 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 novembre 2022 ;

rétablit les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du
26 janvier 2022 ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à Me Antoine BERTHOUD, avocat des intimés, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :