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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1968/2023

ATA/1077/2023 du 03.10.2023 ( DIV ) , REJETE

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;ASSOCIATION;LIBERTÉ PERSONNELLE;SPHÈRE PRIVÉE;PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL;LÉGALITÉ;INTÉRÊT PUBLIC;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.60; LTr.58; Cst.29.al2; CEDH.6; Cst.10.al2; Cst.13.al1; LTr.6.al1; OLT 3.26; LPAC.2b; RPPers.1; RPPers.3.al1; CEDH.8; Cst.36; LOPP.8; ROPP.22; ROPP.23
Résumé : Recours d'un agent de détention et d'une association syndicale contre la constatation de la légalité de l'utilisation des bodycams dans certains établissements pénitentiaires genevois prononcée en vertu de l'art. 4A LPA (le litige ne porte pas sur la LIPAD, qui fait l'objet d'une procédure parallèle). Qualité pour recourir de l'association admise sur la base de l'art. 58 LTr. Atteinte à la sphère privée et à la personnalité des agents de détention par l'utilisation des bodycams. Atteinte aux droits de ces derniers, limitée, fondée sur une base légale suffisante, justifiée par des intérêts publics pertinents et respectant le principe de la proportionnalité. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1968/2023-DIV ATA/1077/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______

B______ recourants
représentés par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé


EN FAIT

A. a. L'A______ (ci-après : A______) est une association représentant les membres issus des services de gendarmerie (police-secours, police de proximité, police routière et divers services de la police cantonale), ainsi que les agents de la détention et les inspecteurs de l’office cantonal des véhicules. Elle a pour but de favoriser l’entraide, la camaraderie et la formation professionnelle de ses membres et défend leurs intérêts moraux, sociaux et matériels.

b. B______ est gardien de prison sous-chef au sein de l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD), rattaché au département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu ensuite le département des institutions et du numérique (ci‑après : DIN). Il est premier vice-président du comité directeur de l'A______ et président de son groupe détention.

B. a. Le 1er juin 2021 est entrée en vigueur la directive no 5.04 de l'OCD sur l'utilisation des bodycams (ou caméra piéton ; ci-après : la directive).

b. Avant et après l'entrée en vigueur de cette directive, l'A______ a contesté à de nombreuses reprises auprès de l'OCD puis du DIN la légalité de l'utilisation des bodycams, leur a demandé d’ouvrir une procédure administrative afin de constater l’illicéité de cette pratique et les a invités à cesser immédiatement sa mise en œuvre.

La pratique touchait à la liberté personnelle, la sphère privée et le droit de ne pas s'auto-incriminer. Il fallait au moins que les principes et garanties de contrôle essentiel soient prévus dans une base légale formelle. La précision de celle-ci formelle devait décrire les buts et moyens mis en œuvre, le rapport entre le but et les moyens au regard de l'atteinte aux droits fondamentaux, ce qui impliquait une référence expresse au système de la bodycam. Le régime juridique en vigueur n'était pas suffisant. La proportionnalité exigeait que le but et la durée de l'enregistrement, de même que les modalités de traitement des enregistrements, soient clairement réglementés et prévisibles. Les exigences et critères exigés par la pratique judiciaire n'étaient pas respectés par la directive.

c. Ni l'OCD, ni le DIN n'ont donné suite aux demandes de l'A______.

L'utilisation des bodycams dans certains établissements pénitentiaires reposait sur la législation, la réglementation sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires, et donc sur des bases légales et réglementaires solides. Les intérêts en jeu étaient importants. Il s'agissait de protéger les membres du personnel pénitentiaire d'accusations infondées mais également de dissuader les personnes détenues de s'en prendre à eux. Vu le nombre important d'incidents impliquant des membres du personnel pén9itentiaire dans les situations dans lesquelles la directive prévoyait l'utilisation de bodycams et vu, plus que la bonne administration de la justice, l'impérieux besoin de protection des membres du personnel, l'utilisation de tels dispositifs de vidéosurveillance était justifiée, d'autant plus que ladite utilisation, ciblée et maîtrisée, notamment au vu du cadre restrictif d'accès aux données, représentait une atteinte limitée aux droits des membres du personnel. Les personnes détenues étaient informées des enregistrements en cours par un signal lumineux rouge. Les enregistrements étaient transférés sur des serveurs sécurisés et aucune transmission n'avait lieu en direct. La durée de conservation était celle prévue par la loi. Les enregistrements ne pouvaient être transmis qu'aux autorités juridicaires ou de poursuite pénale.

d. En l'absence de suite donnée à ses demandes, l'A______ a mis en demeure le DIN d'ouvrir une procédure administrative le 18 octobre 2022, puis a interjeté, avec B______, un recours pour déni de justice auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 14 novembre 2022.

e. Par arrêt du 14 février 2023 (ATA/147/2023), la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) a déclaré irrecevable le recours de l'A______, partiellement admis celui de B______ et renvoyé la cause au Conseiller d'État en charge du DIN en l'enjoignant de rendre une décision relative à la légalité de l'utilisation des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois.

f. Par décision du 8 mai 2023, le DIN a constaté que le déploiement des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois reposait sur une base légale suffisante.

La législation et la réglementation sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires autorisaient la présence de dispositifs de vidéosurveillance, dont faisaient partie les bodycams, dans les établissements pénitentiaires, à l'exception des locaux utilisés exclusivement par le personnel pénitentiaire. Les travaux préparatoires de cette législation indiquaient que d'autres lieux pourraient être surveillés, à condition qu'un règlement ou une directive le prévoie. L'usage de bodycams n'était prévu par voie de directive que dans un cadre strict, pour un nombre restreint de situations identifiées comme à risque de violences envers les personnes détenues et envers les membres du personnel pénitentiaire, soit l'extraction d'une cellule d'une personne récalcitrante ou présentant un danger pour le personnel ou elle-même, la mise en cellule forte, la mise en cellule de soins intensifs à Curabilis et l'intervention dans le cadre d'une médication sous contrainte, et devait être ordonnée spécifiquement par la hiérarchie pour toute autre situation. Il n'y avait pas de dispositifs fixes de vidéosurveillance dans les lieux dans lesquels survenaient ces situations. Les enregistrements ne pouvaient être transmis qu'aux autorités judiciaires et de poursuite pénale et n'étaient pas susceptibles d'être diffusés dans le public. Ces enregistrements étaient aptes à prévenir des situations conflictuelles et à déterminer le déroulement de faits à l'origine d'un nombre important de dénonciations ou plaintes pénales pour des faits supposément commis à l'encontre de personnes détenues par des membres du personnel. Il était nécessaire de protéger les membres du personnel pénitentiaire, habitués à être filmés dans le cadre de leurs activités, d'accusations infondées et de dissuader les personnes détenues de s'en prendre physiquement à eux. L'utilisation des bodycams dans le cadre strict prévu par les bases légales et la directive répondait aux intérêts des agents de détention et des personnes détenues. L'installation de dispositifs de vidéosurveillance fixes à la place des bodycams engendrerait des coûts pour la collectivité et des nuisances pour les personnes détenues et le personnel pénitentiaire. B______ n'avait jamais indiqué dans quelle situation particulière il aurait subi une atteinte importante à sa personnalité en lien avec l'utilisation de bodycams. À supposer qu'il ait été filmé par des bodycams, cela n'avait dû se produire que rarement, vu sa fonction.

C. a. Parallèlement à ses démarches en vertu du droit à un acte attaquable, l'A______ a entrepris des démarches en lien avec la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).

b. Le 13 juin 2022, elle a saisi le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : PPDT), lui demandant des faire cesser, à titre provisionnel déjà, les traitements de données illicites et les diverses violations de la LIPAD que l'utilisation de bodycams impliquait.

c. Le PPDT a rendu son avis le 10 octobre 2022, concluant à ce que l’OCD élabore un projet de base légale relative à l’utilisation de bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois.

Les enregistrements par bodycams dans les établissements pénitentiaires étaient susceptibles de faire apparaître directement ou indirectement des données personnelles sensibles. L'utilisation de ces appareils touchait aux droits fondamentaux des personnes concernées et portait atteinte de manière importante à leur sphère privée et à leur personnalité, de sorte que les exigences en matière de densité normative étaient élevées et devaient être examinées avec attention.

Si le principe de l'utilisation de systèmes de vidéosurveillance au sein des établissements pénitentiaires reposait sur une base légale formelle, complétée au niveau réglementaire, qui en prévoyait les modalités, il n'y avait aucune disposition spécifique relative aux bodycams, ni de rang légal, ni de rang réglementaire. L'utilisation de bodycams posait des problématiques particulières intrinsèques à leur mode de fonctionnement. L'enregistrement pouvait être déclenché en tout lieu et à tout moment, y compris dans des espaces non communs ou lors de situations particulièrement intrusives pour la personne détenue. La densité normative requise dans l'élaboration de bases légales relatives à l'utilisation de bodycams dans les établissements pénitentiaires n'était pas satisfaite par le droit en vigueur. Ladite utilisation devait faire l'objet d'une base légale spéciale. Le principe de l'utilisation du système, les finalités de cette utilisation, les situations autorisant une telle utilisation ainsi que les situations dans lesquelles l'enregistrement pouvait ou devait intervenir devaient être prévus dans une base légale formelle, les bases légales générales en matière de vidéosurveillance des législations sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles ainsi que sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires ne suffisant pas sur ces points. Il pouvait par contre y être renvoyé s'agissant de la durée de conservation des images, de leur consultation et du cadre relatif à la sécurité des données. Des règlements, voire des directives ou ordres de service reposant sur les bases légales recommandées pourraient ensuite être adoptés afin de préciser les processus pour les membres du personnel concernés et les modalités légalement exigées. Certaines dispositions de la directive devraient ainsi figurer dans la loi.

S'agissant des modalités prévues par la directive, il était inquiétant que des fouilles de personnes détenues puissent être filmées au regard du respect de la sphère privée. Les mesures pour remédier à ce que des parties intimes figurent sur les images ne suffisaient pas à pallier le risque d'atteinte à la personnalité. Il était douteux que l'intérêt public à la sécurité ou à l'apport de la preuve puisse être prépondérant. La question du caractère reconnaissable de l'utilisation de la caméra ainsi que la communication faite aux personnes concernées devaient être abordées plus en détail. Un enregistrement à l'insu de la personne concernée devait être expressément interdit. Les données traitées pouvaient être précisées (au-delà de l'image et du son).

d. Le 9 décembre 2022, l’A______ et B______ ont saisi la responsable juridique du DIN, en sa qualité de responsable chargée de la surveillance selon la législation sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles, d'une requête en vertu de l'art. 49 LIPAD, lui demandant d'intervenir pour mettre immédiatement fin au système des bodycams et de constater la violation des droits des fonctionnaires concernés protégés par la LIPAD.

e. Cette demande a abouti, après divers échanges, au dépôt, le 22 mars 2023, d'un nouveau recours pour déni de justice interjeté par l'A______ et B______ devant la chambre administrative, dans lequel ils ont conclu principalement au constat du déni de justice et du caractère illicite de l'emploi des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois et à l'injonction de mettre fin audit emploi.

f. Le 26 avril 2023, le PPDT, que la responsable juridique du DIN avait saisi le 4 avril 2023 car elle n'entendait pas faire droit intégralement aux prétentions des l'A______ et B______, a rendu une nouvelle recommandation, considérant que l'A______ n'avait pas la qualité pour agir, préconisant au DIN d'examiner la qualité pour agir de B______, persistant sur le fond dans sa précédente recommandation et recommandant de finaliser un projet de base légale concernant l'utilisation des bodycams dans les prisons.

La problématique de l'absence de base légale et du besoin d'un encadrement plus adéquat du dispositif d'utilisation des bodycams relevait principalement de la protection de la personnalité des détenus. Les démarches en vue de l'adoption de bases légales idoines avaient été entreprises par le DIN.

g. Par arrêt du 19 septembre 2023 (ATA/1017/2023), la chambre administrative a partiellement admis le recours pour déni de justice du 22 mars 2023 et a renvoyé la cause au DIN pour qu’il rende une décision dans un délai de dix jours concernant la requête du 9 décembre 2022 fondée sur l’art. 49 LIPAD.

D. a. Par acte du 8 juin 2023, l'A______ et B______ ont recouru contre la décision du DIN du 8 mai 2023, concluant, sur mesures provisionnelles et superprovisionnelles, à la suspension de l'emploi des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois et, principalement, à l'annulation de la décision attaquée, au constat du caractère illicite de l'emploi des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois, à l'injonction de mettre fin à leur utilisation et à l'allocation d'une indemnité de procédure. Ils demandaient préalablement la tenue d'une audience publique.

B______ était touché par le système litigieux non seulement en tant que personne pouvant être amenée à devoir les utiliser, mais également en tant que supérieur hiérarchique pouvant être amené à devoir répondre des comportements jugés illicites, en raison de l'absence de fondement légal, compte tenu des ordres donnés à ses subordonnés. L'A______ avait également la qualité pour recourir, en sa qualité d'association syndicale non consultée dans le cadre du processus de mise en place des bodycams et de représentante d'une écrasante majorité du personnel pénitentiaire directement visé.

La décision ne faisait mention ni des droits fondamentaux atteints ni de la qualification de la gravité de l'atteinte. Elle ne mentionnait que les éléments en faveur des bodycams, alors que les éléments négatifs avaient été soulevés à plusieurs reprises. Elle violait leur droit d'être entendus et consacrait un déni de justice formel.

Les droits fondamentaux, soit la garantie de l'intégrité physique et psychique, le droit au respect de la sphère privée, le droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données personnelles et le droit de ne pas s'auto-incriminer, pouvaient être gravement atteints par une bodycam. Il fallait au moins que les principes et garanties de contrôle essentiels soient prévus dans une base légale de rang formel. Les législations sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles et sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires n'étaient pas suffisamment précises pour l'emploi des bodycams, ces appareils posant des problèmes particuliers ne pouvant pas être réglés dans le cadre général de la vidéosurveillance. Le seul instrument prévoyant l'emploi des bodycams était une directive, qui ne constituait pas une base légale formelle et présentait en outre des défauts (finalités du traitement à préciser, critères justifiant l'emploi du système à prévoir, mécanisme pour garantir l'invisibilité des parties intimes lors d'une mise à nu à mettre au point, informations supplémentaires sur le type de données traitées nécessaires, caractère systématique de l'emploi du système inadapté dans certaines situations, information des personnes concernées de la prise d'images). Le fait qu'un processus législatif ait été lancé ne permettait pas d'anticiper l'adoption de bases légales en gestation. La mise en place des bodycams avaient été faite de manière illicite et la poursuite de l'exploitation de ce système l'était d'autant plus. Aucune base légale spécifique et suffisante n'étant entrée en force, le traitement des données découlant du système était illicite.

Le caractère sensible des images récoltées avait pour conséquence que la base légale prévoyant leur récolte devait figurer dans une loi de manière précise. Il n'y avait pas de base légale et de précision suffisantes également au sens de la LIPAD.

Les personnes détenues subissaient des atteintes potentiellement très importantes en raison des bodycams. L'absence de base légale suffisante conduisait à la potentielle remise en question de la licéité des images, ce qui pourrait conduire à l'accusation de la personne porteuse de la bodycam de violation du domaine secret sans motif justificatif. En imposant l'application de méthodes illicites, la décision violait le principe de la légalité.

b. Le 14 juin 2023, la chambre administrative a rejeté la demande de mesures superprovisionnelles.

c. Les 28 juin et 5 juillet 2023, le DIN a conclu à l'irrecevabilité du recours de l'A______, au rejet de la demande de mesures provisionnelles et au rejet du recours.

Seul un lien très lâche était établi avec des impacts du dispositif des bodycams sur la personnalité de B______. On ne voyait pas en quoi les images de tiers, même placés hiérarchiquement sous ses ordres, viendraient l'incriminer. Le DIN doutait de la qualité pour agir de B______. L'A______ n'avait pas plus la qualité pour recourir que dans l'ATA/147/2023 précité. Elle n'était pas destinataire de la décision attaquée, ni directement touchée par celle‑ci.

Ayant participé à toutes les étapes ayant conduit à la décision litigieuse, l'A______ et B______ ne pouvaient ignorer le droit fondamental en jeu, soit le respect de la sphère privée et le droit à l'image des personnes filmées. Ce droit était au demeurant cité dans la décision attaquée, qui mentionnait également les conditions de restriction d'un droit fondamental, soulignait l'intérêt des agents de détention et des personnes détenues à être filmées dans des situations limitées et identifiées à risques de violences et insistait sur le caractère limité des éventuelles atteintes à la personnalité. Il n'y avait pas de violation du droit d'être entendu. Il n'y avait pas non plus de déni de justice formel, étant relevé que le PPDT n'avait pas retenu une absence totale de base légale permettant le déploiement du dispositif de bodycams et que le DIN avait suivi ses recommandations.

Ils ne pouvaient pas invoquer le droit de ne pas s'auto-incriminer, dans la mesure où la vidéosurveillance classique soulevait la même problématique sans qu'elle n'ait été soulevée. Ce principe ne trouvait application que si une procédure pénale ou administrative était ouverte, mais non en amont, alors même que le motif pénal ou administratif ne s'était pas encore matérialisé.

L'atteinte de l'A______ et B______ était si faible que la densité normative n'avait pas besoin d'être aussi importante ou précise. Le PPDT avait axé sa recommandation davantage sur les besoins de protection de la personnalité des personnes détenues que sur ceux des agents de détention. L'atteinte théorique avancée par les recourants existait déjà avec l'emploi significatif de la vidéosurveillance fixe. La finalité était une optimisation de la sécurité des membres du personnel et des personnes détenues, une amélioration de la sûreté avec une baisse du nombre d'interventions avec usage de la contrainte, une baisse des risques de blessures chez les agents, avec pour corollaire un maintien dans les effectifs opérationnels. Le moyen était adéquat, efficace et propre à atteindre le but visé. Les agents de détention ayant toujours exercé leur métier dans des milieux où la vidéosurveillance était omniprésente, il était difficilement concevable que le déploiement de quelques appareils de vidéosurveillance supplémentaires et dans des situations strictement définies puisse causer des atteintes à la personnalité de nature à justifier une élimination de ces dispositifs, qui augmentaient la sécurité de tous.

d. Les 17 et 28 juillet 2023, les recourants ont notamment relevé que les bodycams enregistraient les sons et la simple présence de B______ au moment des faits, qu'il ait été filmé ou non, l'avait exposé à ce système. L'autorité semblait ne pas être en mesure elle-même de déterminer quelles personnes avaient été porteuses de bodycams.

e. Le 4 août 2023, la chambre administrative a rejeté la requête de mesures provisionnelles.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours du 8 juin 2023 a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             2.1 Le recours porte sur la conformité au droit de la décision de l'autorité intimée constatant que le déploiement des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois repose sur une base légale suffisante.

2.2 Il sera ici relevé que les recourants soulèvent le droit d'être protégés contre l'emploi abusif des données personnelles (art. 13 al. 2 Cst.) ainsi que la LIPAD.

Toutefois, la décision attaquée fait suite à l'ATA/147/2023 précité, dans lequel la chambre administrative a clairement distingué la procédure relative au droit à un acte attaquable (art. 4A LPA) et la procédure relative à la LIPAD, considérant que si les deux procédures tendaient au même objectif, soit constater l’illicéité de la pratique d’utilisation des bodycams et obtenir la cessation de cette pratique, elles étaient distinctes, la procédure en vertu de la LIPAD visant plus spécifiquement la protection des données personnelles de la personne recourant à cette procédure (consid. 4.2). La procédure relative à la LIPAD est d'ailleurs parallèlement en cours, la chambre de céans ayant récemment ordonné à l'autorité intimée de rendre une décision à ce sujet (ATA/1017/2023 précité).

Ainsi, la décision objet de la présente procédure ne porte pas sur l'aspect de la protection des données ; ce point fait l'objet d'une procédure spécifique et distincte. Cet aspect est, partant, exorbitant au présent litige et les griefs y relatifs seront déclarés irrecevables.

3.             L'autorité intimée conteste la qualité pour recourir de l'A______ et met en doute celle de B______.

3.1 À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/1254/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3a et les arrêts cités). La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/905/2022 du 6 septembre 2022 consid. 3b et l'arrêt cité).

3.2 Selon la jurisprudence, le recourant doit être touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué, qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2019 du 19 août 2020 consid. 1.2). En application de ces principes, le recours d’un particulier ou d'une association, formé dans l’intérêt général ou d’un tiers, est irrecevable (ATF 138 II 162 consid. 2.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2019 du 12 juillet 2019 consid. 1.2 ; ATA/23/2021 du 12 janvier 2021 consid. 4). Ces exigences ont été posées de manière à empêcher l’action populaire proscrite en droit suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_61/2019 du 21 janvier 2019 consid. 3.1). Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 143 II 578 consid. 3.2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_536/2021 consid. 1 ; ATA/303/2023 du 23 mars 2023 consid. 2a). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est de même insuffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1).

3.3 Une association jouissant de la personnalité juridique est autorisée à former un recours en son nom propre lorsqu'elle est touchée dans ses intérêts dignes de protection (art. 60 al. 1 let. a et b LPA).

Une association peut faire valoir les intérêts de ses membres lorsqu’il s’agit d’intérêts qu’elle doit statutairement protéger, qui sont communs à la majorité ou à un grand nombre de ses membres et que chacun a qualité pour s’en prévaloir à titre individuel, aussi nommé « recours corporatif égoïste » (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 137 II 40 consid. 2.6.4 ; 131 I 198 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_52/2009 du 13 janvier 2010 consid 1.2.2, non publié in ATF 136 I 1). Ces conditions doivent être remplies cumulativement ; elles doivent exclure tout recours populaire. Celui qui ne fait pas valoir ses intérêts propres, mais uniquement l’intérêt général ou l’intérêt public, n’est pas autorisé à recourir. Le droit de recours n’appartient par conséquent pas à toute association qui s’occupe, d’une manière générale, du domaine considéré. Il doit au contraire exister un lien étroit et direct entre le but statutaire de l’association et le domaine dans lequel la décision litigieuse a été prise (JdT 2011 p. 286 consid. 1.1.1 et les références citées). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l'un de ses membres ou pour une minorité d'entre eux (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 142 II 80 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2021 du 16 mars 2022 consid. 1.2.1 ; ATA/1064/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5b).

Ont aussi qualité pour recourir les organisations auxquelles la loi reconnaît le droit de recourir (art. 60 al. 1 let. e LPA).

En matière de protection de la santé des travailleurs, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et l’intégrité personnelle des travailleurs (art. 6 al. 1 de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 - LTr - RS 822.11, disposition applicable aux administrations cantonales en vertu de l’art. 3a let. a LTr). La protection de l’intégrité personnelle des travailleurs correspond à la protection de la personnalité prévue à l’art. 328 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220 ; secrétariat d'État à l'économie [ci‑après : SECO], Commentaire article par article de la LTr et ses ordonnances, novembre 2006, p. 2 ad art. 6, disponible sur https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Arbeit/Arbeitsbedingungen/Arbeitsgesetz-und-Verordnungen/Wegleitungen/wegleitung-zum-arg.html#-151879252, consulté le 18 septembre 2023). Dans ce cadre, l’art. 58 LTr donne également la qualité pour recourir contre les décisions des autorités cantonales et fédérales prises en exécution de la LTr aux associations des employeurs et des travailleurs intéressés.

La chambre de céans a déjà jugé que la qualité pour agir d'une association ne saurait être appréciée une fois pour toutes. Il convient notamment de vérifier, périodiquement au moins, si les conditions d'existence des associations sont réalisées, si les buts statutaires sont en rapport avec la cause litigieuse et si la décision d'ester en justice a bien été prise par l'organe compétent (ATA/1064/2022 précité consid. 5d et les arrêts cités).

3.4 En l'espèce, le recourant exerce la fonction d’agent de détention dans un établissement pénitentiaire dans lequel l’utilisation des bodycams a été introduite. Comme cela a déjà été constaté dans les ATA/137/2023 et ATA/1017/2023 précités, qui concernent le même complexe de faits, il est dès lors directement et concrètement touché par ladite utilisation. Il est en effet susceptible d'être amené à porter une bodycam, à figurer dans des images filmées par un tel appareil ou à avoir sa voix enregistrée. À cet égard, si deux des rapports versés à la procédure concernent des incidents rapportés au recourant, de sorte qu'il n'apparaît pas avoir été touché directement par l'usage de la bodycam dans ces cas, le troisième rapport, du 29 avril 2023, dénote l'intervention du recourant dans une situation qui a amené au placement d'une personne détenue en cellule forte et, donc, à une situation dans laquelle la bodycam a été utilisée.

Le recourant est par conséquent touché dans un intérêt digne de protection par la décision attaquée et la qualité pour recourir doit lui être reconnue.

3.5 Quant à la qualité pour recourir de la recourante, en tant que représentante du personnel pénitentiaire, elle doit en l’espèce lui être reconnue sur la base de la disposition spéciale prévue à l’art. 58 LTr, conformément à ce qu'a retenu la chambre de céans dans l'ATA/1017/2023 précité.

En effet, d'une part, l’une des raisons invoquées par l’autorité intimée pour mettre en place le système des bodycams est de protéger le personnel pénitentiaire de violences à leur encontre par les personnes détenues dans des zones situées hors de portée des caméras déjà installées, de sorte qu'il s'agit d'une mesure prise pour protéger l'intégrité physique et psychique des membres du personnel et donc leur santé. D'autre part, l'utilisation des bodycams en tant que telle pose des questions de protection de la personnalité desdits membres et donc de l'intégrité personnelle de ces derniers, que l'employeur a pour obligation de protéger.

Au vu de ce qui précède, la recourante, en tant qu’association veillant à la défense des conditions de travail de ses membres dont fait partie le personnel pénitentiaire, peut également se prévaloir de la qualité pour recourir.

Le recours est par conséquent recevable.

4.             Les recourants sollicitent une audience publique.

4.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d'être entendu n'implique pas une audition personnelle de l'intéressé, celui-ci devant simplement disposer d'une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l'issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_83/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.2 ; 2C_236/2019 du 4 juillet 2019 consid. 5.2 ; ATA/484/2020 du 19 mai 2020 consid. 2a et les arrêts cités).

4.2 L'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Il peut être renoncé à une audience publique dans les cas prévus par l'art. 6 § 1 2e phr. CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu'il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien-fondé ou encore lorsque l'objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1 ; 136 I 279 consid. 1 ; 134 I 331 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_5/2019 du 4 juin 2020 consid. 3.2.2).

La Cour européenne des droits de l’homme (ci-aprè : CourEDH) a également rappelé que l'art. 6 CEDH, en dehors des limitations expressément prévues par cette disposition, n'exige pas nécessairement la tenue d'une audience dans toutes les procédures. Cela est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d'autres pièces. Partant, on ne saurait conclure, même dans l'hypothèse d'une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que la disposition conventionnelle implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D'autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d'un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires. La CourEDH a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques pouvaient remplir les conditions de l'art. 6 CEDH même en l'absence de débats publics (ACEDH Mutu et Pechstein c. Suisse du 2 octobre 2018, req. no 40575/10, § 177 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_5/2019 précité consid. 3.2.2).

4.3 En l'espèce, les recourants, qui ne disposent pas de droit à être entendus oralement, ont pu exposer leur point de vue par écrit tant au cours d'échanges devant l'autorité intimée, que devant la chambre administrative, ceci dans leur acte de recours puis à nouveau après avoir pris connaissance de la réponse de l'autorité intimée. Ils ont par ailleurs pu produire les pièces à l'appui de leur position. De plus, le litige ne soulève pas de question de crédibilité ni ne suscite de controverse sur les faits qui rendraient nécessaire une audience, portant au contraire exclusivement sur une question de droit, sur laquelle la chambre de céans est à même de se prononcer sur la base des écritures des parties et des pièces produites.

Dans ces circonstances et à supposer que l'art. 6 CEDH s'applique effectivement à la présente cause, il ne sera pas donné suite à la demande d'audience publique des recourants.

5.             Les recourants soulèvent une violation de leur droit d'être entendus et reprochent à l'autorité intimée un déni de justice formel, car elle n'aurait pris en compte que les éléments en faveur du système des bodycams et non les éléments soulevés à de multiples reprises par eux-mêmes et le PPDT.

5.1 La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits constitutionnels a également déduit du droit d’être entendu le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; 142 II 154 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_700/2022 du 25 novembre 2022 consid. 6.5). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_934/2022 du 22 mars 2023 consid. 4.1 ; 2C_954/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.1 ; Thierry  TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_548/2021 du 24 février 2023 consid. 5.2 ; 2C_458/2020 du 6 octobre 2020 consid. 4.1 ; ATA/936/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5b et les références).

5.2 En l'espèce, il ressort de la décision attaquée que l'autorité intimée a considéré que l'utilisation des bodycams impliquait une atteinte à la personnalité et aux droits fondamentaux et nécessitait d'être fondée sur une base légale, un intérêt public ou la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnée au but visé, conditions qu'elle a ensuite analysées. Elle a ainsi exposé les bases légales et réglementaires, la directive ainsi que les intérêts poursuivis en comparaison des atteintes engendrées et considéré que le déploiement des bodycams reposait sur une base légale suffisante.

Ces éléments étaient suffisants pour que les recourants comprennent la décision, se rendent compte de sa portée et puissent la contester en toute connaissance de cause. À cela s'ajoutent les multiples échanges l'ayant précédée, que ce soit dans le cadre de procédures non contentieuses ou contentieuses, qui contiennent également des éléments de motifs. L'autorité intimée n'a par conséquent pas violé le droit d'être entendu des recourants ni commis de déni de justice formel.

Le grief sera écarté.

6.             Les recourants invoquent une violation de plusieurs droits fondamentaux du fait de l'utilisation des bodycams, en raison de l'absence de base légale suffisante.

6.1 Sur ce point, il sera préalablement relevé que les recourants soulèvent notamment le droit de ne pas s'auto-incriminer et les art. 31 al. 2 et 32 Cst. Ce droit n'est cependant pas un droit garanti en dehors de toute procédure. Il ne peut pas être invoqué en amont de tout reproche pour s'opposer à la vidéosurveillance d'éventuels actes répréhensibles qui n'ont pas encore été commis, étant sur ce point relevé qu'en amont du droit de ne pas d'auto-incriminer, le personnel pénitentiaire se doit d'effectuer son travail consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 du règlement d’application de la LPAC du 24 février 1999 - RPAC - B 5 05.01, applicable en vertu des art. 6 al. 1 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50 et 1 al. 1 let. c LPAC). Le droit de ne pas s'auto‑incriminer n'est par conséquent pas applicable en l'espèce.

6.2 Il sera également constaté que les recourants n'ont la qualité pour invoquer que la violation de leurs droits et non ceux des personnes détenues, qui – et même s'ils pourraient conduire à une analyse différente – n'ont pas à être examinés dans la présente procédure.

7.             Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.). Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications (art. 13 al. 1 Cst.). Le droit au respect de la vie privée et familiale est également garantie par l'art. 8 § 1 CEDH.

La protection de l’intégrité personnelle des travailleurs prévue à l'art. 6 al. 1 LTr correspond à la protection de la personnalité à l’art. 328 CO, qui protège notamment la santé des travailleurs et leur intégrité physique et psychique, ainsi que leur sphère privée, leur image, leur dignité, ou encore certaines libertés personnelles (ATF 130 II 425 consid. 3.2 et 3.3 ; SECO, op. cit., p. 2 ad art. 6). Il est interdit d’utiliser des systèmes de surveillance ou de contrôle destinés à surveiller le comportement des travailleurs à leur poste de travail (art. 26 al. 1 de l'ordonnance 3 relative à la LTr (protection de la santé) du 18 août 1993 - OLT 3 - RS 822 113). Lorsque des systèmes de surveillance ou de contrôle sont nécessaires pour d’autres raisons, ils doivent notamment être conçus et disposés de façon à ne pas porter atteinte à la santé et à la liberté de mouvement des travailleurs (art. 26 al. 2 OLT 3).

Il est veillé à la protection de la personnalité des membres du personnel (art. 2B al. 1 ab initio LPAC ; art. 1 al. 1 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l'État de Genève du 12 décembre 2012 - RPPers - B 5 05.10). Des mesures sont prises pour prévenir, constater et faire cesser toute atteinte à la personnalité (art. 2B al. 2 LPAC ; art. 1 al. 2 RPPers). Est constitutive d'une atteinte à la personnalité toute violation illicite d'un droit de la personnalité, telles notamment la santé physique et psychique, l'intégrité morale, la considération sociale, la jouissance des libertés individuelles ou de la sphère privée (art. 3 al. 1 RPPers).

7.1 La vidéosurveillance, quel que soit son type, cause une atteinte au respect de la vie privée. Le degré de cette atteinte peut certes varier en fonction des différentes techniques utilisées – vidéosurveillance en temps réel, avec enregistrement, avec traitement informatisé des données – mais l'atteinte existe dans tous les cas. En effet, une installation de vidéosurveillance permet d'obtenir des informations sur un individu, sa présence à un endroit donné, son comportement, voire ses habitudes ou ses relations sociales (arrêt du Tribunal fédéral 1C_315/2009 du 13 octobre 2010 consid. 2.2).

7.2 La notion de « vie privée » au sens de l'art. 8 CEDH est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale d’une personne ainsi que de multiples aspects de son identité physique et sociale (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 87 ; Denisov c. Ukraine du 25 septembre 2018, req. no 76639/11, § 95, 25 septembre 2018). Elle englobe notamment des éléments d’identification d’un individu tels que son nom ou sa photographie (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 87 ; Schüssel c. Autriche du 21 février 2002, req. no 42409/98, 21 février 2002).

La notion de vie privée ne se limite pas à un « cercle intime », où chacun peut mener sa vie personnelle sans intervention extérieure, mais englobe également le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur (ACEDH Bărbulescu c. Roumanie du 5 septembre 2017, req. no 61496/08, § 70). À ce titre, elle n’exclut pas les activités professionnelles (ACEDH Antović et Mirković c. Monténégro du 28 novembre 2017, req. no 70838/13, § 42) ni les activités qui ont lieu dans un contexte public. Il existe en effet une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la vie privée (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 88 et les arrêts cités).

Un certain nombre d’éléments entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la vie privée d’une personne est touchée par des mesures prises en dehors de son domicile ou de ses locaux privés. Puisqu’à certaines occasions les gens se livrent sciemment ou intentionnellement à des activités qui sont ou peuvent être enregistrées ou rapportées publiquement, ce qu’un individu est raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée peut constituer un facteur significatif, quoique pas nécessairement décisif. S’agissant de la surveillance des actions d’un individu au moyen de matériel photo ou vidéo, les organes de la CEDH ont ainsi estimé que la surveillance des faits et gestes d’une personne dans un lieu public au moyen d’un dispositif photographique ne mémorisant pas les données visuelles ne constituait pas en elle-même une forme d’ingérence dans la vie privée. En revanche, des considérations tenant à la vie privée peuvent surgir dès lors que des données à caractère personnel, notamment les images d’une personne identifiée, sont recueillies et enregistrés de manière systématique ou permanente. Comme la Cour l’a souligné à cet égard, l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, parce qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Le droit de chaque personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13, § 89 ; Reklos et Davourlis c. Grèce du 15 janvier 2009, req. no 1234/05, § 40).

Pour déterminer si l’art. 8 CEDH trouve à s’appliquer, la question de savoir si l’individu en cause a été ciblé par la mesure de surveillance ou si des informations à caractère personnel ont été traitées, utilisées ou rendues publiques d’une manière ou dans une mesure excédant ce à quoi les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre est pertinente (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13 § 90 et les arrêts cités).

En ce qui concerne plus particulièrement la vidéosurveillance sur le lieu de travail, la CourEDH a jugé que la vidéosurveillance effectuée par l’employeur à l’insu d’une salariée, pendant environ 50 heures durant une période de deux semaines et l’utilisation de l’enregistrement obtenu dans la procédure devant les juridictions du travail pour justifier son licenciement, constituaient une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée. La vidéosurveillance non dissimulée de professeurs d’université pendant qu’ils dispensaient leurs cours, dont les enregistrements étaient conservés pendant un mois et consultables par le doyen de la faculté, a également été jugée attentatoire à la vie privée des intéressés (ACEDH López Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, req. nos 1874/13 et 8567/13 ; § 91 et les références citées).

7.3 En l'espèce, la décision litigieuse confirme la légalité du déploiement des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois.

L'utilisation de ces appareils, non dissimulée, implique la capture de la voix des agents pénitentiaires amenés à la porter et la capture de la voix et des images des agents présents mais ne la portant pas, ceci dans l'exercice de leur fonction sur leur lieu de travail, soit un établissement fermé de détention, non accessible au public. Les séquences ne sont pas transmises ou visionnées en temps réel mais sont enregistrées.

Au regard de ces éléments et de la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'utilisation des bodycams au sein des établissements pénitentiaires genevois porte atteinte à la sphère privée et à la personnalité des agents travaillant au sein des établissements concernés.

8.             8.1 Comme tout droit fondamental, les droits à la liberté personnelle et à la protection de la sphère privée peuvent être restreints à certaines conditions. Selon l’art. 36 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et être proportionnée au but visé (al. 3). L’essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).

En vertu de l’art. 8 § 2 CEDH, il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit à la protection de la vie privée et familiale que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

8.2 Il convient donc d’examiner si l'atteinte aux droits fondamentaux est justifiée, respectivement si l'atteinte à la personnalité est licite.

9.             Il revient ainsi premièrement à la chambre administrative d'examiner si l'atteinte repose sur une base légale.

9.1 Selon le Tribunal fédéral, les restrictions graves d’un droit fondamental supposent une base claire et explicite dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 2phr. Cst.). Pour les restrictions légères, une loi au sens matériel suffit. Les dispositions doivent être formulées d’une manière suffisamment précise pour permettre aux individus d’adapter leur comportement et de prévoir les conséquences d’un comportement déterminé avec un degré de certitude approprié aux circonstances. Le degré de précision exigible ne peut pas être défini abstraitement. Il dépend notamment de la diversité des états de faits à régler, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d’espèce, des destinataires de la règle, de l’intensité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux, et finalement de l’appréciation de la situation qui n’est possible que lors de l’examen du cas individuel et concret (ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.1 et les arrêts cités).

9.2 Les mots « prévue par la loi » au sens de l'art. 8 § 2 CEDH veulent d’abord dire que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle et sa compatibilité avec la prééminence du droit. Cette expression implique donc notamment que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention (ACEDH Fernández Martínez c. Espagne du 12 juin 2014, req. no 56030/07, § 117).

9.3 Selon l'art. 8 LOPP, intitulé « Vidéosurveillance », les établissements sont équipés de caméras, à l’exception notamment des locaux utilisés exclusivement par le personnel pénitentiaire (al. 1). Les images filmées peuvent être conservées jusqu’à 100 jours avant d’être détruites, sauf décision émanant d’une autorité compétente par laquelle ce délai est prolongé. Les modalités de visionnement des images filmées sont précisées par voie réglementaire (al. 2).

Selon les travaux préparatoires de la LOPP, cet article permet d'ancrer dans une base légale formelle le fait que les locaux utilisés exclusivement par le personnel pénitentiaire ne peuvent être soumis à vidéosurveillance. D'autres lieux pourront être visés et seront, le cas échéant, déterminés par voie réglementaire ou de directive (projet de loi 11'661, exposé des motifs, commentaire article par article, ad art. 8).

9.4 Les établissements exploitent le dispositif de vidéosurveillance mis à leur disposition (art. 21 du règlement sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 - ROPP - F 1 50.01). L'utilisation d'un dispositif de vidéosurveillance est clairement signalée (art. 22 al. 1 ROPP). L’utilisation de la vidéosurveillance pour le contrôle en temps réel des activités du personnel est interdite (art. 22 al. 2 ROPP). Les locaux strictement réservés au personnel, tels les bureaux, la centrale, la cafétéria, les vestiaires, les salles de repos, les locaux sanitaires ou les couloirs administratifs sans accès direct sur une zone de détention, ne peuvent pas être dotés de caméras de vidéosurveillance (art. 22 al. 3 ROPP). Toutes les dispositions nécessaires sont prises afin que, dans l'accomplissement de leurs activités à leur poste de travail, les membres du personnel pénitentiaire, dans toute la mesure du possible, ne se trouvent pas de manière permanente dans le champ des caméras (art. 22 al. 4 ROPP). Les locaux uniquement dédiés à des consultations médicales ne peuvent pas être dotés de caméras de vidéosurveillance (art. 22 al. 5 ROPP). La vidéosurveillance des locaux utilisés par les avocats des personnes détenues doit respecter la confidentialité des échanges et le secret professionnel. Elle n'inclut pas de dispositif audio et ne doit pas permettre de reconnaître les documents examinés par les occupants (art. 22 al. 6 ROPP). La direction de l’établissement est responsable de la vidéosurveillance (art. 23 al. 1 ROPP).

Les enregistrements automatiques d’images de vidéosurveillance sur les serveurs internes aux établissements sont détruits, dans un délai de sept jours au plus tôt et de 100 jours au plus tard. Pour des besoins opérationnels immédiats, l’opérateur du dispositif de vidéosurveillance peut accéder aux images de la dernière heure enregistrée (art. 23 al. 2 ROPP). La direction de l’établissement ou les membres du personnel pénitentiaire gradés désignés par elle ordonnent la conservation des images enregistrées, en particulier : lorsqu’un membre du personnel pénitentiaire est victime de violences (let. a), lors d’usage de la force par le personnel pénitentiaire (let. b), sur requête du Ministère public ou de la police (let. c), lorsqu’une allégation de mauvais traitement parvient à leur connaissance, notamment sous la forme d’un constat de lésions traumatiques ou d’un signalement par le lésé, par un membre du personnel pénitentiaire ou par un tiers (let. d), lors de rixes, de violences ou de toute autre situation analogue qui le requiert (let. e), en cas de sanction disciplinaire prise à l'encontre d'une personne détenue ou d'un membre du personnel pénitentiaire (let. f ; art. 23 al. 3 ROPP).

Les images conservées en vertu de l’al. 3 peuvent être sauvegardées jusqu’à 100 jours sur un support approprié. À l’issue de ce délai, elles doivent être détruites, sauf décision contraire d’une autorité compétente (art. 23 al. 4 ROPP). Sauf dans le cas d'investigations entreprises en application du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), seules la direction générale, la direction de l’établissement et les personnes désignées par elles peuvent procéder au visionnement des images sauvegardées. Elles décident des suites à donner (art. 23 al. 5 ROPP). La direction de l’établissement conserve la trace des enregistrements sauvegardés, des visionnements effectués, de l'identité des personnes les ayant traités, ainsi que des remises d’images aux autorités compétentes. Ces informations sont protégées par des moyens appropriés. La direction générale peut y accéder (art. 23 al. 6 ROPP). Les enregistrements sont identifiés par date et événement et sont mentionnés dans le rapport afférent à l’incident (art. 23 al. 7 ROPP).

9.5 La directive est applicable aux établissements de l’OCD pourvus de bodycams, soit la prison de Champ-Dollon, l’établissement fermé de La Brenaz, celui de Curabilis et l’établissement de détention administrative de Favra (champ d'application et ch. 2 let. e), et s’adresse aux directions et aux cadres de ces établissements ainsi qu’à l’ensemble du personnel appelé à utiliser une bodycam (destinataires).

Le système de bodycam permet de couvrir l’événement dans l’action à l’intérieur des locaux ne disposant pas de système de vidéosurveillance en enregistrant tant l’image que le son (ch. 1 § 3).

La bodycam est systématiquement utilisée pour les situations planifiées de l'extraction d'une cellule d'une personne détenue récalcitrante ou présentant un danger pour le personnel ou elle-même, de la mise en cellule forte, de la mise en cellule de soins intensifs (Curabilis) et de l’intervention dans le cadre d’une médication sous contrainte selon une procédure spécifique (ch. 3 § 1). En dehors de ces situations, la journée, seule la direction et les membres rattachés au piquet de direction sont autorisés à ordonner au personnel de s'équiper d'une bodycam. La direction d'établissement peut, dans la directive ou l'ordre de service spécifique, également attribuer cette compétence jusqu'au niveau des gardiens-chefs adjoints ou sous-chefs. L'établissement de détention administrative de Favra peut attribuer cette compétence à un gardien principal en cas d'absence d'un membre de la direction. La nuit, le responsable de la nuit contacte le piquet de direction de l'établissement pour recevoir l'aval d'utilisation de la bodycam (ch 3 § 2).

Lorsque la fouille nécessite une mise à nu en deux temps, le porteur de la bodycam veille à ne pas filmer le sexe de la personne détenue ainsi que la poitrine s'il s'agit d'une femme (ch. 4 § 1). Le porteur de la bodycam place sa main sur l'objectif de la caméra durant ce moment de la fouille en deux temps ou se place de manière à garantir l'invisibilité des parties du corps décrites au § 1. En aucun cas, la bodycam ne doit être éteinte lors de cette opération. Une fois la personne rhabillée, le porteur de la bodycam retire sa main de l'objectif ou se replace pour poursuivre l'enregistrement de la scène (ch. 4 § 2). Toutefois, dans la mesure où la personne détenue s'agite au point de mettre en péril la sécurité du personnel présent (perte de maîtrise de la sécurité), le porteur de la bodycam peut intervenir immédiatement en renfort de ses collègues même si cela implique un risque de filmer les parties intimes de la personne détenue (ch. 4 § 3).

Le ch. 5 traite du déchargement des bodycams sur le système d’enregistrement et l'extraction des séquences. La direction de l'établissement définit dans la directive ou l'ordre de service spécifique les personnes ou fonctions autorisées à manipuler le système d'enregistrement et d'extraction. Le niveau hiérarchique minimum est celui d'officier et, pour Favra, de sous-officier (ch. 6). Les données sont transmises sur demande de l'autorité compétente (ch. 7).

9.6 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 144 V 313 consid. 6.1 ; 137 IV 180 consid. 3.4). La chambre de céans suit la même approche (ATA/567/2023 du 30 mai 2023 consid. 2.7).

9.7 En l'espèce, les recourants affirment que leurs droits fondamentaux peuvent être gravement atteints par l'utilisation de la bodycam, de sorte que les principes et garanties de contrôle essentiels devraient au moins être prévus dans une base légale de rang formel.

Le personnel pénitentiaire a déjà l'habitude d'être filmé dans le cadre d'une grande partie de l'exercice de ses activités, puisqu'il est soumis à la vidéosurveillance fixe. L'utilisation de la bodycam ne constitue ainsi qu'un cas de plus dans lequel ledit personnel est filmé, cette utilisation devant, comme toute vidéosurveillance, respecter le cadre fixé par la LOPP et le ROPP. Par ailleurs, la directive ne prévoit pas un recours constant à la bodycam mais uniquement dans quatre situations spécifiques et limitées dans le temps ou, dans d'autres situations, uniquement sur autorisation particulière d'un responsable hiérarchique. En outre, la bodycam a pour but d'être dirigée vers la personne détenue, se contente d'enregistrer la voix du membre du personnel qui la porte, sans le filmer, et n'a pas pour but de filmer constamment les autres membres du personnel présents, mais uniquement dans leurs interactions avec la personne détenue visée par l'utilisation de la bodycam dans le cadre ponctuel de la situation dans laquelle l'utilisation de la bodycam est prescrite. Finalement, le visionnement et la conservation des enregistrements sont soumis à des conditions strictes, prévues à l'art. 23 ROPP.

Au vu de ce qui précède, l'atteinte aux droits du personnel pénitentiaire due à l'utilisation de la bodycam doit être qualifiée de limitée.

Le principe de la vidéosurveillance est ancré dans une base légale formelle, soit la LOPP. Cette base légale utilise les termes de vidéosurveillance et de caméras. Or, les bodycams sont des instruments de vidéosurveillance et plus précisément des caméras. L'art. 8 LOPP limite pas son champ d'application aux moyens de vidéosurveillance fixes, étant relevé que la LOPP a été adoptée en 2016. Il s'agit donc d'une législation plutôt récente adoptée à une époque à laquelle la vidéosurveillance mobile existait déjà.

Par conséquent, l'utilisation des bodycams entre dans l'autorisation d'utilisation de moyens de vidéosurveillance prévue par l'art. 8 al. 1 ab initio LOPP.

Elle est par ailleurs conforme au principe d'interdiction de vidéosurveillance dans des locaux utilisés exclusivement par le personnel prévu par l'art. 8 al. 1 in fine LOPP. En effet, la directive ne prévoit pas l'utilisation de bodycams dans des locaux utilisés exclusivement par le personnel pénitentiaire. Il s'agit au contraire de surveiller des situations spécifiques avec des personnes détenues.

En outre, la LOPP est précisée par le ROPP, dont la terminologie ne vise pas non plus exclusivement la vidéosurveillance fixe. Ainsi, la bodycam rentre dans les notions de vidéosurveillance, de dispositif de vidéosurveillance et de caméra utilisées aux art. 21 ss ROPP.

Or, elle est conforme à ces normes du point de vue du personnel pénitentiaire. En effet, le personnel qui utilise les bodycams en connaît le fonctionnement et est donc conscient de la lumière rouge enclenchée lors de son fonctionnement, de sorte qu'il en comprend le signalement conformément à l'art. 22 al. 1 ROPP. La bodycam ne permet en outre pas de contrôle en temps réel, conformément à la directive, étant ainsi conforme à l'art. 22 al. 2 ROPP. Aucune utilisation dans les locaux strictement réservés au personnel, tels les bureaux, la centrale, la cafétéria, les vestiaires, les salles de repos, les locaux sanitaires ou les couloirs administratifs sans accès direct sur une zone de détention, n'est prévue, de sorte que l'utilisation des bodycams est également conforme à l'art. 22 al. 3 ROPP. Les bodycams sont utilisées pour une durée limitée au temps du déroulement de situations spécifiques, de sorte que les membres du personnel ne se trouvent pas de manière permanente dans le champ de la bodycam, conformément à l'art. 22 al. 4 ROPP. Finalement, les ch. 5 à 7 de la directive ne vont pas à l'encontre de l'art. 23 ROPP, en relation avec lequel ils doivent être lus.

Par conséquent, le principe de l'utilisation des bodycams tel que prévu par la directive est conforme à l'autorisation d'utilisation de moyens de vidéosurveillance, qui est prévue dans une loi formelle, ce qui, au regard du caractère limité de l'atteinte en l'espèce, suffit à l'exigence de base légale, ceci d'autant plus que les bases réglementaires, qui précisent les contours de cette autorisation, sont également respectées.

Dans ces circonstances, l'atteinte portée par l'utilisation des bodycams aux droits des membres du personnel pénitentiaire, limitée, est fondée sur une base légale suffisante.

Le grief sera écarté.

10.         Il convient ensuite de vérifier si l'atteinte est justifiée par un ou des intérêts publics.

10.1 La notion d'intérêt public, au sens de l'art. 36 al. 2 Cst., varie dans le temps et selon le lieu et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la tranquillité publics, etc.), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Ces intérêts publics se concrétisent généralement dans le cadre d'un processus politique de l’adoption démocratique des lois, laquelle ne s’opère pas de manière arbitraire mais à la lumière du système de valeur de l’ordre juridique global. Ils doivent en outre constituer un critère de restriction pertinent pour la limitation du droit fondamental en cause. Si ce droit ne peut pas être restreint pour les motifs invoqués par la collectivité publique, ces motifs n’entrent pas en considération à titre d’intérêt public pertinent (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 8.1 et les arrêts cités).

10.2 L'art. 8 § 2 CEDH mentionne la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien‑être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, et la protection des droits et libertés d’autrui.

10.3 En l'espèce, l'autorité intimée considère que l'utilisation des bodycams est justifiée par plusieurs intérêts, soit ceux de prévenir les situations conflictuelles, de déterminer le déroulement des faits à l'origine de dénonciations ou plaintes pénales en lien avec des allégations d'infractions pénales commises à l'encontre des personnes détenues par des membres du personnel, de protéger les membres du personnel pénitentiaire d'accusations infondées et de dissuader les personnes détenues de s'en prendre physiquement à eux.

Les recourants, qui ont axé leur argumentation sur l'absence de base légale suffisante, ne remettent pas en cause ces différents intérêts en tant que tels. Or, ces intérêts, qui ont trait à la protection de l'intégrité physique et psychique des membres du personnel pénitentiaire et des personnes détenues, à la prévention des infractions et à l'établissement des faits en cas d'infraction, constituent des intérêts publics pertinents justifiant la restriction des droits des agents pénitentiaires. Ils concordent d'ailleurs avec les intérêts qui ressortent de l'art. 23 al. 3 ROPP.

La restriction aux droits du personnel pénitentiaire est par conséquent justifiée par des intérêts publics pertinents.

11.         Reste à examiner le respect du principe de la proportionnalité.

11.1 Le principe de proportionnalité ancré à l’art. 36 al. 3 Cst. exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d'intérêt public escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1). La restriction ne doit pas être plus grave que nécessaire d’un point de vue objectif, spatial, temporel et personnel. Les intérêts antagonistes privés et publics doivent être évalués et pondérés en considération des circonstances de l’espèce et du contexte social actuel (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 9.1 et les arrêts cités).

Selon l’art. 8 § 2 CEDH, toute ingérence dans l’exercice du droit à vie privée et familiale doit être nécessaire dans une société démocratique. Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (ACEDH Fernández Martínez c. Espagne du 12 juin 2014, req. no 56030/07, § 124).

11.2 En l'espèce, l'utilisation affichée de bodycams est de nature à dissuader le recours à toute violence, que ce soit de la part de personnes détenues ou de la part de membres du personnel, et donc à prévenir la commission d'infractions. Ladite utilisation permet également par essence d'établir les faits en cas d'allégation de commission de telles infractions. La règle de l'aptitude est dès lors réalisée.

Sous l'angle de la nécessité, l'autorité intimée a expliqué, sans que cela ne soit contesté par les recourants, que la bodycam est utilisée dans des situations spécifiques que l'autorité intimée a identifiées comme étant à risque de violences tant envers les personnes détenues qu'envers les membres du personnel et que ces situations surviennent dans des lieux qui ne sont pas dotés de systèmes de vidéosurveillance fixe. Les recourants n'indiquent pas quelle mesure moins incisive pour leurs droits serait à disposition de l'autorité intimée pour permettre la prévention des conflits dans ces situations et d'établir les faits en cas de violences alléguées.

Finalement, sous l'angle de la proportionnalité au sens étroit, l'atteinte aux droits des membres du personnel pénitentiaire est, conformément à l'analyse précédemment effectuée, limitée et ne peut prévaloir sur l'intérêt à prévenir la violence dans des situations que l'expérience a démontré être à risque, à protéger l'intégrité corporelle et psychique du personnel et des personnes détenues et à élucider les faits en cas d'allégations en ce sens.

Au demeurant, il sera relevé que les recourants ne contestent pas en tant que telle la proportionnalité de la mesure. Ils soulèvent certes des défauts de la directive. Or, s'agissant des finalités du traitement qu'ils affirment être à préciser, les buts de l'utilisation de la bodycam ont été examinés ci-dessus. Par ailleurs, les recourants ne sont pas atteints dans leurs droits par la vidéosurveillance d'une mise à nu, en relation avec laquelle ils allèguent que le mécanisme de protection des parties intimes ne serait pas au point. Cet élément concerne en effet une éventuelle atteinte aux droits de personnes détenues et ne fait donc pas l'objet de la présente procédure. En outre, s'agissant de l'information de la prise de sons et d'images, l'adéquation du système du voyant rouge pourrait éventuellement être mise en doute par les personnes détenues, mais non par le personnel qui peut être amené à porter une bodycam, ce dernier étant nécessairement au courant de son fonctionnement et ayant donc conscience des moments auxquels il est enclenché. La question de savoir s'il faut préciser davantage les données traitées a trait au litige relatif à la LIPAD et n'a donc pas à être examinée ici.

En définitive, la restriction aux droits des membres du personnel pénitentiaire due à l'utilisation de la bodycam est conforme au principe de la proportionnalité.

Par conséquent, l'atteinte aux droits fondamentaux des recourants due à l'utilisation des bodycams repose sur une base légale suffisante et est justifiée par des intérêts publics prépondérants, de sorte que lesdits droits ne sont pas violés, tout comme les atteintes à leur personnalité ne sont pas illicites. Le grief sera écarté.

12.         Les recourants reprochent finalement à l'autorité intimée de contraindre les membres du personnel pénitentiaires à se rendre coupables d'une violation du domaine secret au sens de l'art. 179quater du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Toutefois, l'utilisation d'une bodycam repose, comme vu précédemment, sur une base légale, l'art. 8 LOPP, de sorte que son utilisation est licite et que les membres du personnel pénitentiaire, qui agissent dans le cadre de leur fonction conformément à la loi, à leur cahier des charges et aux règles applicables au sein de l'établissement dans lequel ils travaillent, ne peuvent se rendre coupables d'une violation du domaine secret par une telle utilisation. Autre est la question de savoir si l'État engage sa responsabilité s'il devait être retenu que l'utilisation des bodycams porte une atteinte illicite aux droits des personnes détenues. Le grief sera écarté.

Dans ces circonstances, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

13.         Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

Le litige s'inscrit dans le contexte des rapports de service du recourant et des membres de la recourante. Il concerne toutefois une contestation non pécuniaire (art. 83 let. g de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 – LTF - RS 173.110).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2023 par l'A______ et B______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 8 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge solidaire de l'A______ et B______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat des recourants, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Eleonor McGREGOR, présidente, Florence KRAUSKOPF, Valérie LAUBER, Gaëlle VAN HOVE, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :