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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4316/2021

ATA/1082/2023 du 03.10.2023 sur JTAPI/491/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4316/2021-PE ATA/1082/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 octobre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

B______ C______, agissant pour eux-mêmes et pour leur fils mineur F______ recourants
représentés par Me Yves RAUSIS, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mai 2023 (JTAPI/491/2023)


EN FAIT

A. a. B______, ressortissant kosovar, est né le ______1973.

Le 20 novembre 1989, il est arrivé en Suisse.

Le 15 février 1991, il a obtenu une autorisation de séjour et, le 1er juillet 1993, une autorisation d’établissement.

b. Son épouse, C______, également citoyenne kosovare, est née le ______1972.

Elle a immigré le 10 novembre 1993 et a été initialement mise au bénéfice d’une autorisation de séjour pour regroupement familial, puis d’une autorisation d’établissement.

c. Les époux ont eu quatre enfants : D______, E______, A______ et F______, nés respectivement en 1994, 1996, 1999 et 2008, tous nés au Kosovo, hormis A______, qui a vu le jour à Genève.

d. F______ est arrivé en Suisse dans le courant de l’année 2008 (ou 2009) pour vivre auprès de ses parents.

Au vu de son âge, il a obtenu une autorisation d’établissement.

e. Le 8 juin 2016, à la suite d’une enquête domiciliaire effectuée le 2 septembre 2014, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a fait part à B______ que, selon ses informations, il ne résidait plus à la rue X______ aux Avanchets. Il était dès lors invité à produire les justificatifs de sa nouvelle adresse, en particulier copie de son bail à loyer, ainsi que toutes preuves de résidence effective et continue en Suisse depuis le 1er juin 2014.

f. Le 28 juillet 2016, B______ a répondu qu’il séjournait effectivement à l’adresse susmentionnée.

g. Dès lors que son courrier n’était pas accompagné de justificatifs, l’OCPM lui a adressé un rappel le 16 décembre 2016.

h. Par ordonnance pénale du 30 mars 2017, en force, B______ a été condamné par le Ministère public du canton de Genève à une peine pécuniaire de 30 jours‑amende avec sursis, ainsi qu’à une amende de CHF 500.- pour avoir mis à disposition un véhicule automobile à une personne non titulaire du permis de conduire requis. Le véhicule était immatriculé en France.

i. Le 21 septembre 2017, l’OCPM a demandé à B______ de lui communiquer l’adresse ayant permis d’immatriculer le véhicule mentionné dans l’ordonnance pénale. Il était par ailleurs prié de fournir notamment des attestations de scolarité de ses enfants depuis leur arrivée en Suisse.

j. Le 24 octobre 2017, B______ a répondu à l’OCPM qu’il était propriétaire d’une résidence secondaire à Saint-Genis-Pouilly en France voisine. Cette adresse lui avait permis d’immatriculer le véhicule. Il avait initialement tenté de vivre comme un frontalier, puis était revenu auprès de sa famille aux Avanchets.

k. Le 28 mars 2018, l’OCPM a demandé à B______ de lui expliquer, pièces à l’appui, de quand à quand il avait séjourné en France. Il était par ailleurs invité à fournir la preuve de la vente de sa maison française ou la résiliation du bail à loyer de ce bien, ses relevés bancaires depuis le 1er juin 2014, la preuve de ses rendez‑vous médicaux et, enfin, les récapitulatifs du département de l'instruction publique (ci-après : DIP), pour son fils F______.

l. Le 30 mars 2018, B______ a produit un extrait de son compte privé auprès de la Banque cantonale de Genève (ci-après : BCGE) n° 1______pour la période s’étendant du 1er juin 2014 au 16 avril 2018, faisant état notamment d’un ordre permanent mensuel de CHF 1'350.- en faveur d’un compte à son nom à Thoiry (France). Il a également produit le contrat de bail d’un logement de quatre pièces à Saint-Genis-Pouilly, donné en location à un tiers à compter du 1er avril 2018, pour un loyer mensuel s’élevant à EUR 1'270.-.

m. Le 27 août 2018, l’OCPM a fait part à B______ et à son épouse de son intention de prononcer la caducité de leurs autorisations d’établissement respectives et, éventuellement, d’ordonner leur renvoi de Suisse. Cependant, compte tenu de la durée de leur séjour en Suisse, il était disposé à examiner la possibilité de les mettre au bénéfice d’une autorisation de séjour. Ils devaient lui faire parvenir une demande au moyen de la formule M, mentionnant leurs deux noms et celui de leur fils F______, ainsi que les justificatifs de leurs moyens financiers.

n. Les époux se sont déterminés le 12 octobre 2018.

Ils avaient toujours conservé le centre de leurs intérêts à Genève. Le bien immobilier dont ils étaient propriétaires en France devait être considéré comme une résidence secondaire. Ils n’y avaient séjourné que durant de courtes périodes. Leur séjour en Suisse ainsi que celui de leur fils F______ ne pouvaient être contestés. L’immatriculation d’un véhicule en France pouvait intervenir en fournissant des documents relatifs à une résidence secondaire, tels qu’un titre de propriété ou des factures d’électricité. Dès lors, la possession d’un véhicule immatriculé en France ne prouvait pas la prise de résidence dans cet État, ni un séjour hors de Suisse d’une durée excédant six mois.

Même si l’on retenait qu’il avait séjourné hors de Suisse durant plus de six mois, la révocation de l’autorisation d’établissement de B______, mise en balance avec la durée de son séjour en Suisse – d’une durée de près de trente ans – et avec sa profonde intégration, enfreindrait le principe de la proportionnalité. Il souffrait par ailleurs de problèmes de santé, ayant nécessité des interventions chirurgicales et était atteint de troubles bipolaires.

F______ était scolarisé à Genève depuis son plus jeune âge et jouait au Football Club Genève Servette.

Une juste pondération aurait dû conduire à la conclusion que leur intérêt privé ainsi que celui de leur fils F______ à demeurer en Suisse l’emportait sur l’intérêt public à révoquer leur autorisation d’établissement respective. Subsidiairement, celle-ci devait être remplacée par une autorisation de séjour.

Ils produisaient  :

-          une attestation de parcours scolaire dans l’enseignement public genevois, du 5 octobre 2018, selon laquelle F______ fréquentait l’enseignement spécialisé et avait entamé sa scolarisation en 5P, en janvier 2017. Il était toujours scolarisé dans cette classe pour l’année 2018-2019 ;

-          une attestation de l’association du Servette FC, indiquant que F______ était intégré au sein du contingent de l’équipe K______ pour la saison 2018-2019 et qu’il avait joué lors des cinq premiers matches du championnat ;

-          un rapport médical du 4 octobre 2018 à teneur duquel B______ présentait des troubles bipolaires de type II dans un contexte d’isolement social progressif, confirmés par une expertise psychiatrique de l’AI.

o. Le 15 novembre 2018, les époux B______ et C______ ont transmis à l’OCPM leurs relevés de compte annexés à leurs bordereaux 2014 à 2018, mentionnant leur adresse aux Avanchets.

p. Le 25 juillet 2019, l’OCPM les a invités à lui fournir copie de l’acte d’achat de leur bien immobilier français, des relevés mensuels des compteurs d’électricité et du gaz des cinq dernières années ainsi qu’une attestation des autorités françaises confirmant que B______ avait pu immatriculer un véhicule en France, alors qu’il ne disposait que d’une résidence secondaire dans cet État.

q. Les époux B______ et C______ ont répondu le 29 août 2019 en produisant l’acte authentique d’acquisition de leur bien immobilier à Saint-Genis-Pouilly du 3 septembre 2012, deux factures d’électricité datant de 2016, une facture d’achat d’une Audi Q7 auprès d’un garage français, datée du 29 mars 2014 et un procès-verbal de contrôle technique de ce véhicule, effectué ce jour-là en France.

r. Le 18 décembre 2020, l’OCPM a envoyé un nouveau courrier d’intention aux époux B______ et C______. Il envisageait de prononcer la caducité de leur autorisation d’établissement ainsi que de celle de leur fils F______ avec effet au 31 mars 2013, de refuser leur réadmission au sens de l’art. 49 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), de ne pas les mettre au bénéfice d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur et, enfin, de prononcer leur renvoi de Suisse.

s. Le 18 février 2021, les époux B______ et C______ ont produit des observations reprenant, en les développant, les arguments exposés dans leurs précédentes écritures.

F______ était scolarisé depuis l’année scolaire 2016-2017. Son père était devenu invalide à 100%, à la suite d’un accident de voiture dont il avait été victime en Suisse. Il percevait une rente AI. Contrairement à ce que soutenait l’OCPM, il séjournait en Suisse depuis 27 ans, ayant occupé durant de nombreuses années le logement à la rue X______ aux Avanchets avant de déménager, en restant dans la même localité.

L’acquisition d’un bien immobilier en France ne signifiait pas que la famille y était domiciliée. L’immatriculation d’un véhicule pouvait s’y effectuer par le propriétaire d’une résidence secondaire. Les quittances d’abonnements conclus par B______ auprès des Chemins de fer fédéraux (ci-après : CFF), des Transports publics genevois (ci-après : TPG) ainsi que les copies de factures médicales, témoignaient de sa présence en Suisse. Il était suivi médicalement pour ses troubles psychiques. Son épouse faisait l’objet également d’un étroit suivi médical en Suisse.

F______ participait à des activités extra-scolaires à Genève. Il était traité depuis son plus jeune âge par des pédiatres genevois ainsi qu’il ressortait d’un certificat médical de la docteure J______ du 8 janvier 2021 selon lequel il était suivi depuis le 20 janvier 2014 et d’une attestation d’L______, assistante de direction à l’Hôpital de la Tour, du 6 janvier 2021, à teneur de laquelle il s’y était rendu pour des consultations en 2013 et 2017. Aucune raison particulière ne justifiait son expulsion. Le maintien de son autorisation, à l’exclusion de celle de ses parents, porterait atteinte au droit à la vie familiale des intéressés.

t. Le 18 mai 2021, les époux B______ et C______ ont produit une attestation établie le même jour par le docteur M______, selon laquelle B______ était suivi depuis une décennie en lien avec un état de stress post-traumatique. Sa capacité de travail nulle avait justifié l’octroi d’une rente AI à 100%. Ce praticien recommandait qu’il ne soit pas renvoyé de Suisse afin que le processus psychothérapeutique ne soit pas rompu. Même s’il pouvait continuer le suivi pharmacologique pour ses troubles dans son pays d’origine (acide valproïque, 1g/j), pour des raisons médicales, le risque de décompensation psychique était augmenté en cas de changement brutal du cadre psychothérapeutique qu’il avait pu conserver.

u. Le 29 juin 2021, le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) a informé l’OCPM que l’acide valproïque était disponible dans des pharmacies privées à Pristina et distribué gratuitement ou contre une faible participation aux coûts.

v. Par décision du 22 novembre 2021, l’OCPM a constaté la caducité de l’autorisation d’établissement des époux B______ et C______ et de leur fils F______ avec effet au 31 mars 2013, refusé de les réadmettre et de les mettre au bénéfice d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Il a également prononcé leur renvoi de Suisse.

Ils avaient vécu hors de Suisse entre le mois de septembre 2012 et le mois de septembre 2017, soit durant plus de six mois.

B______ avait indiqué qu’il séjournait en France et y vivait comme frontalier. Les preuves fournies n’étaient pas de nature à démontrer un séjour effectif continu en Suisse. Ils n’avaient pas fourni des justificatifs demandés, en particuliers les factures d’électricité des cinq dernières années. Par ailleurs, E______ et A______ avaient effectué leur scolarité au Kosovo jusqu’en 2012 et commencé leur scolarité en Suisse en 2015. F______ avait été scolarisé à Genève depuis le mois de janvier 2017, alors qu’il détenait un permis C depuis 2009.

Il existait un faisceau d’indices amenant à la conclusion qu’ils avaient vécu en France au moins de septembre 2012 à février 2017, si bien que leur permis d’établissement était caduc et leur réadmission se révélait impossible. Ils ne remplissaient pas les conditions pour obtenir une autorisation de séjour pour cas de rigueur, notamment en raison du peu d’années qu’ils avaient passées en Suisse depuis leur retour, à savoir quatre ans. B______ pourrait poursuivre son traitement au Kosovo, où les médicaments dont il avait besoin étaient disponibles. Aucun document portant sur un traitement médical suivi par son épouse n’avait été produit.

Enfin, le dossier ne faisait pas non plus apparaître que l’exécution de leur renvoi se révélerait impossible, illicite ou inexigible.

w. Par jugement du 2 juin 2022, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a rejeté le recours formé contre cette décision et confirmé la caducité de l’autorisation d’établissement des époux B______ et C______ et de leur fils F______.

B______ avait vécu comme frontalier en résidant dans son appartement acquis en France voisine, tandis que C______ avait quitté la Suisse sans en informer l’OCPM. Leur fils F______ avait été scolarisé en France. Leur conclusion tendant à l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur devait être déclarée irrecevable, car exorbitante de l’objet du litige. Enfin, les problèmes de santé dont souffrait B______ pouvaient être traités au Kosovo et la rente AI qu’il percevait y était exportable. L’exécution de leur renvoi se révélait dès lors exigible.

Par jugements du même jour, le TAPI a rejeté le recours déposé par leur fille, A______, ainsi que celui interjeté par leur fils et son épouse, E______ et G______, qui portaient sur une problématique semblable.

x. Par arrêt du 6 décembre 2022 en force, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a admis partiellement le recours interjeté par les époux B______ et C______ contre le jugement les concernant.

Elle a confirmé la caducité de l’autorisation d’établissement des recourants et de leur fils, survenue six mois après leur départ de Suisse, soit en mars 2013, ainsi que leur renvoi de Suisse mais a renvoyé la cause au TAPI afin qu’il entre en matière et statue sur le grief portant sur le refus de soumettre le dossier des précités au SEM avec un préavis positif.

Les éléments du dossier suffisaient pour permettre à l’OCPM de tenir pour établi, sans abus ni excès de son pouvoir d’appréciation, que les époux ne séjournaient plus en Suisse depuis septembre 2012 jusqu’en septembre 2017 et qu’ils avaient transféré le centre de leur vie en France voisine. En particulier, la scolarisation de F______ en France ne pouvait s’expliquer que par le fait que la famille y résidait. Si ses parents avaient vécu à Genève, F______ aurait été scolarisé dans le canton. Les attestations, sportive pour F______, de soins pour ce dernier et ses parents, qui étaient situées pour partie en-dehors de la période d’absence de Suisse, les attestations des TPG et des CFF pour B______ et enfin l’obtention d’une rente AI par B______, n’étaient pas incompatibles avec leur statut de frontaliers durant la période en question. Les recourants n’avaient pas apporté de preuves concluantes qu’ils avaient continué de résider à Genève entre septembre 2012 et septembre 2017. Enfin, une éventuelle décision de placement, pour peu qu’elle puisse être justifiée en droit civil par la volonté que F______ reste en Suisse, n’emporterait pas encore délivrance d’une autorisation de séjour.

Par arrêts du même jour, la chambre administrative a admis partiellement les recours interjetés à l’encontre des jugements concernant les enfants majeurs du couple, a confirmé la caducité des autorisations d’établissement des recourants en cause et renvoyé les dossiers au TAPI afin qu’il se prononce sur les griefs relatifs à l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

y. Par jugement JTAPI/491/2023 du 3 mai 2023, le TAPI a rejeté le recours des époux B______ et C______.

Ceux-ci et leur fils F______ ne satisfaisaient pas aux conditions strictes requises pour la reconnaissance d'un cas de rigueur.

Tous trois ne pouvaient se prévaloir d’une longue durée de présence en Suisse. En effet, ils y résidaient au plus tôt depuis le mois de septembre 2017, soit depuis cinq ans et demi. De surcroît, ils ne bénéficiaient d’aucun titre de séjour, puisque leur autorisation d’établissement était devenue caduque de par la loi en mars 2013.

Leur intégration socioprofessionnelle ne pouvait pas être qualifiée d'exceptionnelle. En particulier, ils n’avaient pas fait preuve d'une ascension professionnelle ou d'une intégration sociale particulièrement remarquable, ni acquis des connaissances à ce point spécifiques qu’il ne puissent les utiliser au Kosovo. Le fait qu’ils ne dépendaient pas de l'aide sociale, ne faisaient l’objet ni de poursuites pour dettes, ni d’actes de défaut de biens et qu’ils maîtrisaient la langue française constituait un comportement ordinaire qui pouvait être attendu de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour. Le comportement d’B______, au regard notamment de sa condamnation pour mise à disposition d’un véhicule automobile à une personne non titulaire du permis de conduire requis, ne concordait pas avec ce qui était exigible de tout étranger qui vivait en Suisse.

B______ et son épouse étaient arrivés pour la première fois en Suisse à l’âge de 25, respectivement 21 ans. Ils avaient passé leur enfance et le début de leur vie d’adulte au Kosovo, mais surtout leur adolescence, période cruciale pour la formation de la personnalité. Il n'apparaissait pas que leur réintégration dans leur pays d’origine se révélait fortement compromise ni qu’un départ de Suisse constituerait pour eux un déracinement.

S’agissant des problèmes médicaux dont souffrait B______, ce qui avait été exposé dans le jugement précédent pouvait être repris, étant précisé qu’aucune preuve nouvelle à ce sujet n’avait été apportée. Ainsi, ses ennuis de santé n’étaient pas niés, mais les troubles psychiques qui l’affectaient pouvaient être pris en charge dans son pays d’origine. En outre, la rente AI qui lui était versée était exportable au Kosovo, conformément à la Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et la République du Kosovo du 8 juin 2018 (RS 0.831.109.475.1).

F______ était revenu en Suisse en 2017, à l’âge de neuf ans. Bien qu’il eut 17 ans, sa situation ne pouvait être assimilée à celle d’un adolescent ayant suivi l’école durant plusieurs années et achevé sa scolarité avec de bons résultats, au point qu’un retour au Kosovo représenterait une rigueur excessive. Par ailleurs, selon attestation de parcours scolaire, il a suivi un enseignement spécialisé (regroupement spécialisé et classe intégrée).

Par jugements du même jour, le TAPI a rejeté le recours déposé par leur fille ainsi que celui interjeté par leur fils et son épouse.

B. a. Par acte remis à la poste le 5 juin 2023, B______ et C______, agissant pour leur compte et pour celui de leur fils F______, ont recouru auprès de la chambre administrative contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce que l’OCPM soit invité à leur octroyer une autorisation de séjour sous réserve de l’approbation du SEM. Subsidiairement, l’OCPM devait être invité à proposer au SEM leur admission provisoire. Préalablement, leur comparution personnelle devait être ordonnée.

En raison notamment du trouble bipolaire dont souffrait B______ et de la réunification de la famille à la suite de l’accident de voiture qu’il avait subi, les époux avaient acheté en 2012 une résidence secondaire en France, où la famille avait épisodiquement séjourné jusqu’en mars 2017 pour prendre du recul lors des crises de B______.

La demande de placement de F______ auprès de son oncle paternel N______, formée auprès du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE), avait été suspendue d’un commun accord par le service d’autorisation et de surveillance des lieux de placements (ci-après : SASLP) dans l’attente de la procédure de recours. Les époux B______ et C______ allaient néanmoins demander sa reprise afin d’assurer à leur fils un avenir prometteur.

C______ travaillait à temps partiel depuis juin 2023 auprès de la blanchisserie O______ et le documenterait à brève échéance.

Le TAPI avait retenu de manière erronée que B______ était arrivé en Suisse à l’âge de 25 ans, alors qu’il y était arrivé à l’âge de 16 ans. Il était alors en pleine période formatrice et importante de sa vie. F______ était âgé de 15 et non 17 ans, comme retenu par erreur par le TAPI. Ce cumul d’erreurs avait une importance certaine sur l’appréciation de la situation.

La décision et le jugement violaient la loi. B______ avait résidé en Suisse depuis 1989, hormis une brève interruption entre septembre 2012 et mars 2017. Il avait vécu en Suisse la moitié de sa vie personnelle, professionnelle, sociale et familiale et pouvait se prévaloir d’une résidence dans le pays de plus de 20 ans, et son épouse de 19 ans. Cette longue durée avait été ignorée par l’autorité lorsqu’elle avait retenu qu’ils ne résidaient en Suisse que depuis septembre 2017.

B______ avait fait montre durant ses 20 premières années de séjour en Suisse d’une remarquable volonté de prendre part activement à la vie économique du canton. Il avait été victime d’un grave accident de la route, dont les séquelles physiques et psychologiques avaient eu de graves répercussions sur sa situation personnelle. Il percevait une rente d’invalidité et était dans l’incapacité totale de travailler.

Il souffrait en outre d’une affection psychique grave pour laquelle il bénéficiait d’un traitement depuis une décennie. En cas de retour au Kosovo, il ne pourrait accéder aux infrastructures absolument nécessaires pour bénéficier de soins, ce qui mettrait gravement en danger sa santé. Son psychiatre était défavorable à un renvoi, estimant qu’il existait un risque concret de décompensation psychique. Il était originaire de la municipalité de Viti, distante de 60 km de Pristina, où l’acide valproïque était distribué gratuitement dans les pharmacies privées selon le SEM. Il devait en outre contribuer à l’achat de médicaments et la corruption était répandue au Kosovo.

Il ne contestait pas avoir mis à disposition un véhicule automobile à une personne dépourvue de permis, mais sa condamnation en mars 2017 pour ces agissements ne devait pas anéantir une moitié de vie passée à se construire et à s’intégrer en Suisse, à plus forte raison eu égard à son fils F______ qui n’avait jamais véritablement vécu au Kosovo.

F______ était arrivé en Suisse à l’âge d’un an et était âgé de 15 ans. Il avait certes vécu en France entre septembre 2012 et mars 2017, mais n’avait d’autre choix que de se plier à la volonté de ses parents. Il était enraciné en Suisse et très bien intégré dans le milieu extra-scolaire, notamment sportif, et avait des liens intenses et importants avec le canton. S’il était contraint de retourner au Kosovo, cela briserait son avenir et ses exploits sportifs au sein de son club de football et constituerait un déracinement.

Le TAPI avait rejeté le recours sans procéder à une instruction complémentaire ou un nouvel échange d’écritures.

b. Le 6 juillet 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Les arguments des recourants n’étaient pas de nature à modifier sa position et il se référait au jugement entrepris.

c. Le 11 août 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions et leur argumentation.

Le TAPI n’avait pas procédé à une instruction complémentaire ou à un nouvel échange d’écritures ni à une réactualisation des faits, mais avait rejeté leur recours cinq mois avant l’arrêt de la chambre administrative. Bien que l’OCPM n’avait pas été acteur de ce manquement aux garanties de procédure, il aurait été pertinent qu’il se prononce sous cet angle.

Des circonstances additionnelles étaient alléguées. La quasi‑totalité de sa famille d’B______ était en Suisse, soit notamment sa mère P______, son frère cadet N______, son épouse et leurs trois enfants, sa sœur aînée Q______, son époux et leurs deux filles, tous titulaires d’autorisations d’établissement. Au Kosovo vivaient encore son frère R______, sa sœur S______ ainsi que leur famille. Son fils aîné D______ résidait dans le canton avec son épouse et leurs enfants, dont les recourants s’occupaient régulièrement. Il avait enfin en Suisse deux de ses neveux et une nièce et leurs familles. Enfin, ils avaient créé des liens profonds avec la population.

F______ était particulièrement investi dans le football, suivait depuis trois saisons un programme de sélection des talents potentiels, et poursuivait sa scolarité dans un programme sport-études lui permettant un horaire aménagé. Son avenir sportif était prometteur. Il passerait à la rentrée en enseignement régulier. Il produisait les résultats de sa scolarité en classe intégrée aux cycle d’orientation des Coudriers, dont il ressortait qu’il avait effectué des stages professionnels concluants et envisageait le 13 juin 2023 d’entrer au centre de formation préprofessionnelle (ci‑après : CFPP). Son intérêt supérieur à poursuivre sa formation en Suisse devait l’emporter. Son renvoi au Kosovo serait d’une sévérité réellement excessive et expérimentée comme une véritable discrimination. Elle briserait ses rêves et le confronterait à l’inconnu.

d. Le 18 août 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les recourants concluent à titre préalable à leur comparution personnelle.

2.1 Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 41 LPA, comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2). Ce droit n'empêche cependant pas la juridiction saisie de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 136 I 229 consid. 5.2).

Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_551/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.2), ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, les parties ont eu l’occasion de se déterminer dans leurs écritures et de produire toutes pièces utiles dans ce cadre.

Les recourants n’exposent pas quels éléments supplémentaires utiles à la solution du litige qu’ils n’auraient pu produire par écrit leur audition serait susceptible d’apporter.

La chambre de céans dispose d'un dossier complet, comprenant notamment le dossier de l’OCPM, lui permettant de se prononcer sur les griefs soulevés et trancher le litige en connaissance de cause, sans qu'il soit nécessaire de procéder à l’audition des parties.

Par conséquent, il ne sera pas fait droit aux demandes d'actes d'instruction.

3.             Le litige a pour unique objet le bien fondé du refus de l’OCPM de soumettre au SEM avec un préavis positif la demande d’autorisation de séjour pour cas individuel d’extrême gravité formée par les recourants.

Le fait que les recourants ont quitté la Suisse de septembre 2012 à septembre 2017 a été établi définitivement dans l’arrêt du 6 décembre 2022 et n’est plus contesté. Il en va de même du bien-fondé des décisions de l’OCPM constatant la caducité de leurs autorisations d’établissement et leur refusant la réintégration. L’exécution du renvoi a enfin été examinée et celui-ci a été jugé licite, possible et raisonnablement exigible, les recourants n’ayant en particulier par exposé que des motifs médicaux, par exemple la poursuite impossible de leurs traitements au Kosovo, rendraient leur renvoi impossible ou illicite.

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et de l’OASA. Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les recourants ayant conclu à l’octroi d’une autorisation de séjour le 12 octobre 2018, la décision de refus est régie par l’ancien droit.

3.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

3.3 L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

3.4 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c ; directives LEI, ch. 5.6).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

3.5 Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

3.6 Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI). L'autorité compétente dispose d'un très large pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'examen des conditions de l'art. 31 al. 1 OASA.

3.7 Dans l'examen d'un cas de rigueur concernant le renvoi d'une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d'enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d'extrême gravité.

D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (arrêt du TAF C-636/2010 du 14 décembre 2010 consid. 5.4 et la référence citée). Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L'adolescence, une période comprise entre douze et seize ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/203/2018 du 6 mars 2018 consid. 9a). Sous l'angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107) ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C 3592/2010 du 8 octobre 2012 consid. 6.2 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

3.8 L'« opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L'« opération Papyrus » n'emporte aucune dérogation aux dispositions légales applicables à la reconnaissance de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite du séjour en Suisse (art. 30 al. 1 let. b LEI), pas plus qu'à celles relatives à la reconnaissance d'un cas individuel d'extrême gravité (art. 31 al. 1 OASA), dont les critères peuvent entrer en ligne de compte pour l'examen desdites raisons personnelles majeures (ATA/584/2017 du 23 mai 2017 consid. 4c).

3.9 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation. Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

3.10 En l’espèce, B______ est arrivé en Suisse en 1989, à l’âge de 16 ans, soit en pleine adolescence ainsi qu’il le rappelle. Cette circonstance, décisive à l’époque pour l’octroi d’autorisations de séjour puis d’établissement, n’est toutefois plus aussi déterminante s’agissant aujourd’hui d’examiner les conditions à l’octroi d’une autorisation de séjour après que l’autorisation d’établissement eût été déclarée caduque en novembre 2021 avec effet rétroactif à mars 2013.

Les recourants invoquent l’effet rétroactif du constat de caducité de leurs autorisations d’établissement s’agissant d’apprécier la durée de leur séjour. De jurisprudence constante, les années passées dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance – par exemple en raison de l'effet suspensif attaché à des procédures de recours – ne doivent normalement pas être prises en considération ou alors seulement dans une mesure très restreinte (arrêt du Tribunal fédéral 1D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2), sous peine de récompenser l’obstination à violer la loi (ATA/1030/2023 du 19 septembre 2023 consid. 2.6). La situation des recourants diffère, certes, de celle des administrés qui n’ont jamais disposé d’un titre de séjour. Leurs autorisations sont cependant devenues caduques en mars 2013 par l’effet de la loi, ce que l’OCPM a constaté.

La chambre de céans a en outre tenu pour établi dans son précédent arrêt du 6 décembre 2022 que les époux avaient déplacé leur centre de vie et scolarisé leur fils F______ en France entre septembre 2012 et septembre 2017, sans annoncer leur départ à l’OCPM. Les recourants ne pouvaient ignorer que leur départ sans annonce et leur établissement à l’étranger pour une longue durée entraînerait la caducité de leurs autorisations, ce d’autant plus que le 28 juillet 2016, B______ avait affirmé à l’OCPM, de manière contraire à la vérité, qu’il résidait rue X______ à Genève. Ils ne peuvent ainsi se prévaloir de leur bonne foi et leur situation est comparable à celle de l’administré qui savait vivre en Suisse sans autorisation, de sorte que la durée de leur séjour, qui totalise aujourd’hui six ans (septembre 2017 à septembre 2023), doit être fortement relativisée.

S’agissant de l’intégration socio-professionnelle des recourants, B______ est incapable de travailler depuis un accident de voiture subi en 2009 et bénéficie d’une rente de l’assurance-invalidité et son épouse travaille depuis le mois de juin 2023 à temps partiel pour une blanchisserie. Leur intégration socio-professionnelle ne saurait être qualifiée de remarquable, comme le TAPI l’a relevé à bon droit, et les connaissances professionnelles acquises en Suisse ne sont pas si spécifiques qu’elles ne pourraient être mises à profit au Kosovo, étant précisé que la rente de l’assurance invalidité du recourant, de CHF 3'101.- par mois selon l’attestation du 26 mai 2023 qu’il a produite, est exportable au Kosovo.

Le recourant a été condamné pénalement le 30 mars 2017 pour avoir mis à disposition un véhicule automobile à une personne non titulaire du permis requis. Cette infraction, sans rapport avec le droit des étrangers, ne dénote pas le respect de la loi et des institutions pouvant être attendu d’un étranger se disant désireux de s’intégrer et exclut à elle seule de pouvoir invoquer le bénéfice de l’opération « Papyrus ».

Les liens familiaux et amicaux tissés en Suisse par le recourant et son épouse ne dépassent pas en importance les liens usuels résultant de l’installation dans un pays, et leur intensité n’est pas telle que leur retour au Kosovo devait être considéré comme un déracinement qui ne pourrait leur être imposé. Ils n’allèguent pas par ailleurs s’être investis dans la vie sportive, associative ou culturelle.

Les recourants ont passé leur enfance et une partie de leur adolescence au Kosovo, et, pour la recourante, le début de sa vie d’adulte. Ils font valoir qu’ils ont passé l’essentiel de leur vie en Suisse. Ils ne peuvent être suivis. Outre que le recourant s’est installé en France entre septembre 2012 et septembre 2017, la recourante a admis avoir fait des aller-retours entre la Suisse et le Kosovo, où les enfants du couple, nés en 1994, 1996, 1999 et 2008, ont été scolarisés jusqu’en 2012. Il faut ainsi retenir que sinon toute la famille, du moins la recourante et ses enfants, ont conservé avec le Kosovo des liens étroits en tout cas jusqu’en 2012. Les recourants pourront compter au Kosovo sur la famille qu’ils y ont encore. Le recourant pourra bénéficier de sa rente d’invalidité suisse, exportable, qui leur assurera à lui, son épouse et son fils encore mineur, un revenu suffisant au regard du coût de la vie au Kosovo. La recourante pourra y faire valoir l’expérience professionnelle acquise en Suisse. Si la réintégration des recourants n’ira sans doute pas sans difficultés, elle ne sera pas plus difficile que celle de compatriotes placés dans la même situation, de sorte qu’elle peut leur être imposée sans excès de rigueur.

Le recourant laisse encore entendre qu’il ne trouverait pas les médicaments nécessaires à son traitement (acide valproïque) dans la municipalité dont il est originaire. Outre qu’il ne l’établit pas, il peut être attendu de lui qu’il s’installe dans une région adaptée, se déplace ou se fasse livrer son médicament. Le recourant soutient encore qu’il ne disposerait pas au Kosovo des soins psychothérapeutiques requis par ses troubles psychiques (trouble bipolaire). Il ne peut être suivi. Il ressort de la jurisprudence constante qu’il existe au Kosovo sept centres de traitements ambulatoires pour les maladies psychiques (Centres Communautaires de Santé Mentale) ainsi que des services de neuropsychiatrie pour le traitement des cas de psychiatrie aiguë au sein des hôpitaux généraux dans les villes de Prizren, Peja, Gjakova, Mitrovica, Gjilan, Ferizaj et Pristina. De plus, grâce à la coopération internationale, de nouvelles structures appelées « Maisons de l'intégration » ont vu le jour dans certaines villes. Ces établissements logent des personnes atteintes de troubles mineurs de la santé mentale dans des appartements protégés et leur proposent un soutien thérapeutique et socio‑psychologique (arrêts du TAF F‑7044/2014 du 19 juillet 2016 consid. 5.5.4 ; C-2748/2012 du 21 octobre 2014 ; C‑5631/2013 du 5 mars 2014 consid. 5.3.3 et jurisprudence citée ; ATA/821/2021 du 10 août 2021 consid. 3f et les arrêts cités, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 2C_671/2021 du 15 février 2022 consid. 8.2 et les références citées ; ATA/539/2022 du 24 mai 2022 consid. 8f).

S’agissant de F______, la reprise de la demande de placement de celui-ci chez son oncle, annoncée par les recourants, est sans portée sur l’issue du présent litige ainsi que la chambre de céans l’a déjà relevé dans son précédent arrêt (ATA/1228/2022 précité consid. 9d).

Les recourants font valoir que F______, né le ______ 2008, et aujourd’hui âgé de 15 ans, séjourne en Suisse depuis l’âge de 9 ans (septembre 2017), soit depuis six ans, et se trouve dans la période de l’adolescence, centrale pour la formation de sa personnalité. Ils produisent notamment une attestation de parcours scolaire dans l’enseignement public genevois dont il résulte qu’il a suivi la 5P en 2016-2017, l’enseignement spécialisé en 2017-2018 et 2018-2019, puis la 7P et une classe spécialisée en 2019-2020, la 8P et une classe spécialisée en 2020-2021, et enfin une classe spécialisée au Cycle d’orientation en 2021-2022 puis en 2022-2023.

Le TAPI a retenu à bon droit que la situation de F______ ne pouvait se comparer à celle d’un adolescent ayant suivi l’école durant plusieurs années et achevé sa scolarité avec de bons résultats. En effet, même si ce dernier a sans doute consenti des efforts, et suit l’école à Genève depuis un certain temps, le degré de réussite de sa scolarité et le fait qu’il n’a pas entamé de formation professionnelle ne permettent pas de conclure qu’il ne pourrait poursuivre sa formation au Kosovo ni qu’il ne pourrait y exploiter les connaissances acquises durant sa scolarité suisse, de sorte qu’un retour dans sa patrie ne constitue pas une rigueur excessive et peut être exigé de lui, étant observé qu’il y sera accompagné par ses deux parents.

Il suit de là que le renvoi des recourants est raisonnablement exigible.

C’est ainsi à bon droit que l’OCPM puis le TAPI ont conclu que les conditions à l’octroi d’autorisations de séjour pour cas individuel d’extrême gravité n’étaient pas réunies et ordonné le renvoi des recourants.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

Par arrêts séparés de ce jour, la chambre de céans a également rejeté les recours formés par A______ et E______ et G______.

4.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des époux B______ et C______ (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 juin 2023 par B______ et C______, agissant pour eux-mêmes et pour leur fils mineur F______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de B______ et C______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. de Lausanne 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yves RAUSIS, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Gaëlle VAN HOVE, juges.

 

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.