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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2532/2023

ATA/1099/2023 du 05.10.2023 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2532/2023-EXPLOI ATA/1099/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 5 octobre 2023

sur mesures provisionnelles

et suspension de la procédure

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Maikl GERZNER, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



Vu, en fait, que par décision du 25 juillet 2023 sur mesures provisionnelles, déclarée exécutoire nonobstant recours et rendue sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), le département des institutions et du numérique (ci-après : le département) a ordonné à A______ la cessation immédiate de l’exploitation de tout salon de massages ou d’agence d’escorte dans le canton de Genève et lui a interdit d’exploiter tout autre salon de massages ou d’agence d’escorte ; cette décision faisait suite à un rapport détaillé du 18 juillet 2023 de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI), dont il résultait qu’il avait, avec son frère B______, exploité sous forme d’un salon de massages « éclaté », sans être enregistré en qualité d’exploitant d’un salon de massages, 12 appartements destinés à l’habitation ; qu’il avait refusé de répondre à la plupart des questions de la BTPI, affirmé ignorer que ces appartements étaient considérés, indépendamment des personnes qui les occupaient, comme un salon « éclaté », mais admis sous-louer à des prostituées des appartements pour CHF 100.- par jour ; un délai au 25 août 2023 lui était imparti pour se déterminer sur les griefs qui lui étaient adressés ; dans l’intervalle, compte tenu de la gravité des infractions reprochées et des troubles à l’ordre public créés par la poursuite de l’activité, la cessation de toute activité était ordonnée sur mesures provisionnelles ;

que le 7 août 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation ; préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours, une copie complète du dossier produite par le département, la procédure devait être suspendue jusqu’à droit connu sur sa demande de récusation de deux inspecteurs de police ayant participé à l’instruction des faits et sa comparution personnelle, celle de son frère et l’audition des deux inspecteurs de police ainsi qu’une audience de plaidoiries publique devaient être ordonnées ; les inspecteurs avaient témoigné d’une prévention en sa défaveur et il avait demandé le 5 août 2023 au département leur récusation ainsi que l’annulation de tous les actes qu’ils avaient entrepris et de la décision du 25 juillet 2023 ; il avait restitué quatre appartements ; il s’était contenté de pratiquer la sous-location mais n’avait jamais agi comme exploitant de salon de massages et n’avait fourni aucune autre prestation ;

que le 21 août 2023, le département a conclu au rejet du recours, de la demande de restitution de l’effet suspensif et de la demande de suspension de la procédure ; les auditions conduites par la BTPI depuis septembre 2022 avaient révélé que le recourant mettait à disposition les appartements à des prostituées, encaissait un loyer de CHF 100.- par jour et vérifiait leur pièce d’identité pour ne pas être « inculpé de séjour illégal et ne pas louer un appartement à une mineure » ; le département avait demandé le 11 août 2023 aux inspecteurs de se déterminer jusqu’au 28 août 2023 sur la demande de récusation ; la prévention reprochée aux inspecteurs n’était ni étayée ni prouvée ; aucune animosité ne ressortait des procès-verbaux ; la retranscription des déclarations dans les procès-verbaux n’était pas contestée ; le recourant avait admis que la sous-location d’appartements à des prostituées constituait son « business » ; cette activité suffisait pour constituer l’exploitation d’un salon de massages « éclaté » ; il était plus que vraisemblable que le recourant avait exploité un salon clandestinement, soit sans s’être enregistré ; la décision avait un contenu purement négatif et le maintien d’une situation illégale ne pouvait constituer un intérêt digne de protection ; la demande de récusation était en cours d’instruction et la procédure ne devait pas être suspendue ; le département avait transmis au recourant la totalité du dossier qu’il détenait ;

que le 22 septembre 2023, A______ a persisté dans ses conclusions préalables et au fond ; il avait appris qu’une prostituée avait été entendue le 11 septembre 2023 par la BTPI et interrogée en partie à son sujet ; d’autres travailleuses du sexe auraient été interrogées récemment à son sujet ; les procès-verbaux de leurs auditions devaient être produits ; l’inspectrice dont il avait demandé la récusation avait admis le 21 août 2023 dans sa réponse à la demande de récusation « être intervenue dans le cadre d’une procédure dirigée contre [lui] » ;

que le 29 septembre 2023, les parties ont été informées que la procédure était gardée à juger ;

qu’il ressort des déterminations du 21 août 2023 des inspecteurs de la BPTI, produites par le recourant, que la sergente cheffe C______ a admis avoir travaillé dans les mêmes bureaux que le recourant environ une année, avoir entretenu avec lui une relation cordiale, s’agissant d’un collègues sympathique, n’avoir pas eu avec lui des liens « étroits », avoir été auditionnée à sa demande dans le cadre d’une procédure ouverte à son encontre, n’avoir plus jamais eu de contact avec lui et n’entretenir aucune animosité à son égard ; l’inspecteur principal D______ a contesté avoir affirmé à A______ qu’il n’aurait jamais un préavis favorable pour un salon ; il avait indiqué aux frères A______ que seul le département était à même de prendre une décision et leur avait, à leur demande, rappelé les décisions possibles et que dans les procédures de régularisation, la BTPI conseillait vivement aux administrés de ne pas conclure de baux avant la fin de la procédure, ajoutant qu’il n’était ni leur avocat ni le département et ne pouvait se prononcer sur les démarches qu’ils devaient entreprendre ; il n’avait jamais affirmé à A______ qu’il n’avait aucun avenir dans le domaine des salons de massages et les agences d’escorte, ni qu’il ferait mieux de changer de métier ou de canton ; il avait pris le temps de répondre à ses questions, lui indiquant que si la décision finale lui était défavorable, il pourrait d’orienter vers d’autres cantons, chaque canton ayant sa propre réglementation ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de celles-ci, par un juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/288/2021 du 3 mars 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que lors du prononcé de mesures provisionnelles, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que les décisions incidentes ne sont susceptibles de recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA) ;

que toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) ; la violation de l’obligation d’annonce fait l’objet de sanctions administratives (art. 21 al. 1 let. a LProst), soit (art. 21 al. 2 LProst) l’avertissement (let. a), la fermeture temporaire de l'agence d'escorte, pour une durée de 1 à 6 mois et l'interdiction d'exploiter toute autre agence, pour une durée analogue (let. b), la fermeture définitive de l'agence d'escorte et l'interdiction d'exploiter toute autre agence pour une durée de 10 ans (let. c) ;

que lorsque le sort d'une procédure administrative dépend de la solution d'une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu'à droit connu sur ces questions (art. 14 al. 1 LPA), l'art. 14 LPA étant une norme potestative et son texte clair ne prévoyant pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/1493/2019 du 8 octobre 2019 consid. 3b et l'arrêt cité) ;

qu’en l’espèce, l’interdiction a été prononcée à titre de mesure provisionnelle, soit pour la durée de la procédure ; la restitution de l’effet suspensif aurait pour effet de permettre au recourant de poursuivre, durant la procédure, l’activité que l’intimé lui reproche à titre d’infraction à la LProst ;

que le rapport de la BTPI du 14 juillet 2023 est détaillé et accompagné de cinq procès‑verbaux d’audition, dont deux de prostituées confirmant avoir loué au frère du recourant des appartements pour s’y prostituer et un d’un locataire principal expliquant avoir cru sous-louer au frère du recourant pour le loger puis appris que celui-ci sous-louait à son tour à des prostituées pour un loyer majoré ;

que la question du préjudice irréparable et partant de la recevabilité du recours contre des mesures provisionnelles pourra demeurer ouverte ; qu’en effet, en l’état, il apparait prima facie que le reproche de violation de la LProst et l’existence d’un trouble à l’ordre public ne sont pas dénués de toute vraisemblance ;

que l’exigence d’annonce posée par la LProst vise des intérêts publics et privés majeurs, en ce que l’annonce est la condition pour permettre le contrôle de l’activité par l’État et partant assurer en premier lieu la protection des travailleurs du sexe, ainsi que par ailleurs, depuis juillet 2017, s’assurer que les appartements peuvent être affectés à la prostitution (art. 10 let. d LProst ; ATA/1015/2023 du 18 septembre 2023 consid. 6) ;

que le recourant ne soutient pas qu’il aurait entrepris de régulariser les appartements qu’il sous-loue ;

que les intérêts publics et privés susmentionnés prévalent ainsi sur l’intérêt privé du recourant à poursuivre son activité et préserver la source de ses revenus pendant la durée de la procédure ;

qu’au vu de ce qui précède, la requête de restitution de l’effet suspensif sera rejetée ;

que par ailleurs et bien que les policiers nient tout motif de récusation, il convient d’attendre de connaître le sort définitif réservé à la demande de récusation et d’annulation des actes d’instruction qu’ils ont accomplis avant de pouvoir statuer sur le recours ;

que la suspension de la procédure sera ainsi ordonnée jusqu’à droit connu sur la demande de récusation et d’annulation des actes d’instruction ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais de la présente décision.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête en mesures provisionnelles ;

ordonne la suspension de la procédure, en application de l’art. 14 al. 1 LPA ;

invite les parties à informer la chambre administrative de la Cour de justice à droit connu sur la demande de récusation et d’annulation des actes d’instruction ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Maikl GERZNER, avocat du recourant, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

 

La vice-présidente :

 

 

 

Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :