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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4289/2022

ATA/991/2023 du 12.09.2023 ( PROF ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.10.2023, 2C_579/2023
Descripteurs : PROFESSION;PROFESSION JURIDIQUE;AVOCAT;DEVOIR PROFESSIONNEL;DÉNONCIATION(EN GÉNÉRAL);DÉNONCIATEUR;APPEL EN CAUSE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT ACTUEL;CHOSE JUGÉE;FORCE MATÉRIELLE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;POURPARLERS;NOTIFICATION DE LA DÉCISION;COMMUNICATION
Normes : Cst.29.al2; LLCA.2.al1; LLCA.8.al1.letb; LLCA.8.al1.letc; LLCA.12.leta; LPav.13; LPav.48; LPA.60.al1.leta; LPA.60.al1.letb
Résumé : Recours d'un avocat contre une décision de la commission du barreau de classer une procédure de dénonciation ouverte à son encontre. Le recourant se plaint des considérants de la décision, en tant qu'ils retiennent que le courriel litigieux était soumis aux réserves d'usage et qu'il ne pourrait ainsi pas, dans la mesure où il avait reçu ce courriel en sa qualité d'avocat soumis à la LLCA, le produire dans le cadre d'une procédure civile au fond, sauf à s'exposer à une sanction disciplinaire. Il se plaint également du fait que la décision a été communiquée dans son intégralité aux dénonciateurs. Examen de la qualité pour recourir contre les considérants de la décision. Question laissée indécise. Le recourant a entamé une procédure de recouvrement de ses honoraires à l'encontre des dénonciateurs et a ainsi agi dans le cadre de son activité professionnelle. La LLCA lui est donc applicable. Le courriel litigieux a été échangé entre le recourant et le conseil de ses anciens mandants, soit entre deux avocats. Il était donc soumis aux réserves d'usage, même en l'absence d'accord préalable de confidentialité, de sorte qu'il ne pourra pas être produit dans le cadre de la procédure civile au fond. Considérants de la décision querellée dès lors conformes au droit. Sa communication intégrale aux dénonciateurs s’imposait de façon manifeste, ces derniers étant en litige sur le plan civil avec le recourant et devant être informés du statut attribué au courriel litigieux, afin qu'ils puissent s'en prévaloir devant les instances civiles et faire valoir leurs droits procéduraux. Décision conforme au droit. Recours rejeté en tant qu'il est recevable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4289/2022-PROF ATA/991/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 septembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

COMMISSION DU BARREAU intimée

et

B______

C______ SA SA appelés en cause

représentés par Philippe GRUMBACH, avocat



EN FAIT

A. a. A______ exerce la profession d'avocat à Genève et est inscrit au registre cantonal des avocats.

b. Il a été le conseil d'B______ et sa société, C______ SA, de 2016 à 2020.

c. Les honoraires liés à l'activité déployée pour B______ ont été facturés, depuis 2017, à un trust dont ce dernier est l'un des bénéficiaires et dont D______, avocat exerçant en E______, est l'un des trustees.

d. Après avoir résilié le mandat les liant à A______, B______ et C______ SA ont contesté ses dernières notes d'honoraires.

e. Ces derniers ont souhaité entreprendre des négociations visant à les régler. Dans ce but, D______, agissant pour leur compte, a adressé le 1er avril 2021 à A______ un courriel portant la mention « sous les réserves d'usage », par lequel il lui proposait de régler ses dernières notes par le paiement d'un montant équivalant à 35% de la facture totale, pour solde de tout compte.

f. A______ a refusé cette proposition par courriel envoyé depuis son adresse professionnelle.

g. La commission du barreau (ci-après : CB) l'a délié de son secret professionnel à l'égard de ses deux anciens mandants.

B. a. A______ a déposé devant le Tribunal civil de première instance deux requêtes de conciliation en vue du recouvrement de ses honoraires, à l'encontre respectivement d'B______ et C______ SA.

b. Dans le cadre de la procédure de conciliation l'opposant à B______, A______, soit pour lui son conseil Vincent SOLARI, a produit le courriel du 1er avril 2021.

c. B______ et C______ SA, soit pour eux leur conseil Philippe GRUMBACH, ont dénoncé A______ à la CB, dans la mesure où il avait produit en procédure de conciliation ledit courriel.

d. Par décision du 14 novembre 2022, la CB a classé la procédure et communiqué sa décision à Philippe GRUMBACH (sic ; ch. 5 du dispositif).

En agissant en recouvrement de ses honoraires, A______ avait agi dans le cadre d'une activité professionnelle et non dans le cadre d'une pure affaire privée qui échapperait à la législation sur les avocats. Le courriel du 1er avril 2021 était manifestement une proposition confidentielle qui n'était pas destinée à être produite en justice. Néanmoins, ce n'était que si A______, ou son nouveau conseil, produisait ce document dans le cadre de la procédure au fond qu'il s'exposerait à une sanction disciplinaire.

C. a. Par acte déposé au greffe le 19 décembre 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision.

Il a conclu à son annulation partielle, limitativement au ch. 5 de son dispositif (« communique la présente décision à Me Philippe GRUMBACH »), et à ce qu'il soit ordonné à la CB de demander à Philippe GRUMBACH, respectivement à B______ et C______ SA, de lui restituer l'exemplaire de la décision entreprise, en leur faisant interdiction d'en conserver une copie.

Il a également conclu à l'annulation des considérants 8, 9 et 11 de la décision, qui retenaient respectivement que :

-          « la [CB] estime donc qu'en agissant en recouvrement de ses honoraires, Me A______ a agi dans le cadre d'une activité professionnelle et non dans le cadre d'une pure affaire privée qui échapperait à la [législation sur les avocats] » (consid. 8) ;

-          « la pièce litigieuse adressée à Me A______ par Me D______ porte la mention expresse "sous les réserves d'usage", de sorte qu'il s'agissait manifestement d'une proposition confidentielle qui n'était pas destinée à être produite en justice » (consid. 9) ;

-          « la [CB] estime donc que même si la pièce litigieuse était manifestement couverte par les réserves d'usage, sa production par l'associé de Me A______ en conciliation ne saurait justifier une sanction disciplinaire de celui-ci. Ce n'est que si Me A______, ou son nouveau conseil, produisait ce document dans le cadre de la procédure au fond, qu'il s'exposerait à une sanction disciplinaire » (consid. 11).

La décision entreprise avait en réalité une portée plus large que le classement de la procédure.

Elle n'aurait pas dû être communiquée dans son intégralité aux dénonciateurs. Il disposait d'un intérêt manifeste à ce qu'ils ne puissent s'en prévaloir, dans la mesure où elle émettait des considérants sur la portée des réserves d'usage dans le courriel du 1er avril 2021 ainsi que des remarques propres à en interdire l'utilisation dans la procédure au fond.

Elle consacrait un déni de justice, dans la mesure où la CB avait ignoré le fait que D______ lui avait adressé le courriel litigieux en sa qualité de trustee, et non d'avocat.

Ayant agi pour son propre compte en vue du recouvrement de ses honoraires, il n'était pas soumis à la législation sur les avocats. D______ lui avait adressé son courriel de manière unilatérale, sans accord préalable de confidentialité, de sorte que ce dernier n'était pas frappé des réserves d'usage.

b. La CB a maintenu sa position.

c. La chambre administrative a appelé en cause B______ et C______ SA.

d. Ces derniers ont conclu au rejet du recours.

e. Dans sa réplique, A______ a ajouté que la CB ne pouvait pas rendre une décision à titre préventif en lui faisant interdiction de faire usage ultérieurement du courriel du 1er avril 2021, sous la menace d'être sanctionné.

Aucun accord préalable n'était intervenu entre D______ et lui sur une quelconque confidentialité en lien avec ses honoraires impayés.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.1 Se pose la question de la qualité pour recourir du recourant.

À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/454/2021 du 27 avril 2021 consid. 2a). La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/599/2021 du 8 juin 2021 consid. 8a).

Pour disposer d'un intérêt digne de protection, le recourant doit avoir un intérêt actuel et pratique à l'admission du recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 134 II 120 consid. 2). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1). La simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas à fonder un intérêt actuel (ATA/629/2020 du 30 juin 2020 consid. 5a).

Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_47/2021 du 21 juillet 2021 consid. 3.2) ou lorsqu’une décision n’est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101).

1.2 Un recours ne peut être en principe dirigé que contre le dispositif de la décision (ATF 140 I 114 consid. 2.4.2). Toutefois, les éléments des considérants auxquels le dispositif renvoie peuvent aussi faire l’objet d’un recours (ATAF 2009/46 consid. 2 ; ATA/355/2019 du 2 avril 2019 consid. 2b). En revanche, le recourant qui n’attaque que la motivation d’une décision n’aura pas la qualité pour agir faute d’intérêt à la modification du dispositif de celle-ci (ATF 115 V 416 consid. 3a ; ATA/355/2019 du 2 avril 2019 consid. 2b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 431, n. 1264).

1.3 L'autorité matérielle de la chose jugée signifie qu'un jugement formellement entré en force est déterminant à l'égard de toute procédure ultérieure opposant les mêmes parties. Elle a un effet positif et un effet négatif. Sous son aspect positif, l'autorité matérielle de la chose jugée implique que le tribunal est lié, pour tout procès ultérieur, par ce qui a été constaté dans le dispositif du jugement du procès précédent. D'un point de vue négatif, l'autorité matérielle de la chose jugée interdit à tout tribunal d'entrer en matière sur une action dont l'objet du litige est identique à celui qui a déjà été jugé définitivement (res iudicata), à moins que le demandeur ne puisse faire valoir un intérêt digne de protection à la répétition de la décision antérieure (ATF 145 III 143 consid. 5.1 ; 142 III 210 consid. 2 et 2.1).

L'autorité matérielle de la chose jugée d'une décision antérieure n'implique en principe qu'une obligation de respecter son dispositif. Toutefois, d'autres circonstances, notamment la motivation de la décision, peuvent être prises en compte pour déterminer la portée du dispositif (ATF 142 III 210 consid. 2.2 ; 116 II 738 consid. 2a). En d'autres termes, si l'autorité de la chose jugée (ou décidée) est limitée au seul dispositif du jugement, pour connaître le sens et la portée exacte du dispositif, il faut parfois se référer aux considérants en droit du jugement ou de la décision (ATF 142 III 210 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_816/2015 du 12 septembre 2016 consid. 3.1 et les références citées).

1.4 Le juge civil est lié par la décision administrative rendue par l'autorité compétente, à moins que cette décision ne soit absolument nulle (ATF 138 III 49 consid. 4.4.3 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_345/2021 du 14 septembre 2021 consid. 3.3.1).

1.5 En l'espèce, le recourant dirige son recours contre le ch. 5 du dispositif de la décision querellée mais également contre ses considérants.

Ainsi, si l'on devait s'en tenir strictement à la jurisprudence précitée, le recours devrait être déclaré irrecevable en tant qu'il vise l'annulation des considérants de la décision querellée, faute pour le recourant de pouvoir se prévaloir d'un intérêt juridique à l'annulation de cette dernière, qui prononce le classement de la procédure de dénonciation ouverte à son encontre.

Cela étant, pour déterminer si elle devait classer la dénonciation ou, à l'inverse, pouvait prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre du recourant, l’intimée a dû répondre à plusieurs questions, notamment celles de savoir si le précité avait agi, en vue du recouvrement de ses honoraires, dans le cadre de son activité professionnelle ou privée et si, dans la première hypothèse, le courriel du 1er avril 2021 était soumis aux réserves d’usage.

Les réponses à ces questions, qui figurent dans les considérants de la décision querellée, revêtent une importance particulière dans le cadre de la procédure civile qui oppose le recourant aux appelés en cause. Elles permettent de déterminer si le courriel litigieux peut y être produit.

La solution retenue par l’intimée, à savoir que le recourant avait agi dans le cadre de son activité professionnelle et que ledit courriel était soumis aux réserves d'usage, empêche ce dernier, certes sans injonction formelle, de le produire dans le cadre de la procédure civile au fond, celui-ci s’exposant à une sanction disciplinaire s'il le fait.

Les considérants de la décision querellée sont ainsi essentiels pour connaître son sens et sa portée exactes, de sorte que l’autorité de la chose décidée doit également s’étendre à eux. Dès lors, selon la jurisprudence précitée, le juge civil saisi de la procédure au fond devrait en principe être lié par les considérants de ladite décision, dont il pourrait avoir connaissance par l'intermédiaire des appelés en cause, à qui elle a été notifiée, étant précisé que rien n'empêche ces derniers de la porter à sa connaissance. Si elle devait entrer en force, le juge civil n’aurait a priori d’autres choix que d’écarter de la procédure le courriel du 1er avril 2021 – car considéré comme frappé des réserves d'usage et donc comme une preuve illicite (ATF 140 III 6 consid. 3.1 ; 136 III 296 consid. 2.1) – si celui-ci devait être produit, hypothèse qui, eu égard à l'importance que lui prête le recourant, ne peut être écartée.

Sous cet angle, le recourant pourrait se voir reconnaître un intérêt juridique à l’annulation des considérants concernés de la décision litigieuse, ce qui lui conférerait la qualité pour recourir.

La question de savoir s'il dispose de cette qualité pourra toutefois demeurer indécise, compte tenu de ce qui suit, étant précisé que le recours est recevable en tant qu'il vise l'annulation du ch. 5 du dispositif de la décision querellée.

2.             Dans un grief d’ordre formel qu’il convient d’examiner avant les griefs au fond (ATF 141 V 495 consid. 2.2 et les arrêts cités), le recourant se prévaut d'un déni de justice, dans la mesure où l'intimée aurait ignoré le fait que D______ lui aurait adressé le courriel litigieux en sa qualité de trustee.

2.1 Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid 3.2.1). L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid 3.2.1). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée ; la motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 et les références citées).

2.2 La violation du droit d'être entendu entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. Selon la jurisprudence, sa violation peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5). La réparation d'un vice de procédure en instance de recours peut se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

2.3 En l'espèce, dans sa décision, l'intimée n'a pas indiqué expressément si elle avait considéré que D______ avait agi en qualité d'avocat ou de trustee en envoyant le courriel litigieux au recourant.

Toutefois, elle a désigné le précité comme « Me D______ », et non uniquement « D______ ». On comprend dès lors qu'elle a retenu qu'il a agi en tant qu'avocat et qu'elle a rejeté à tout le moins implicitement l'argument du recourant selon lequel il aurait agi uniquement en tant que trustee.

Rien ne permet dès lors de retenir qu'elle aurait commis un déni de justice.

Même à considérer que tel serait le cas, ce vice serait réparé devant la chambre de céans, qui dispose d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 al. 1 LPA).

Le grief sera donc écarté.

3.             Le litige porte, d'une part, sur la question de savoir si c'est à bon droit que l'intimée a considéré que le recourant avait agi, en vue du recouvrement de ses honoraires, dans le cadre de son activité professionnelle et que le courriel du 1er avril 2021 était soumis aux réserves d’usage.

D'autre part, il porte sur la question de savoir si l'intimé a communiqué à juste titre au conseil des appelés en cause l'intégralité de la décision querellée.

3.1 Le recourant prétend qu'ayant agi en recouvrement de ses honoraires, pour son propre compte, il ne serait pas soumis à la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61). De plus, D______, agissant en tant que trustee et non comme avocat, lui aurait adressé de manière unilatérale, sans accord préalable de confidentialité, le courriel litigieux, de sorte que ce dernier ne serait pas frappé des réserves d'usage.

3.2 La LLCA s'applique aux titulaires d'un brevet d'avocat qui pratiquent, dans le cadre d'un monopole, la représentation en justice en Suisse (art. 2 al. 1 LLCA). Elle régit l'ensemble de leur activité professionnelle, que celle-ci relève de la représentation ou du conseil (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_280/2017 du 4 décembre 2017 consid. 3.1).

3.3 De manière très générale, l'activité extra-professionnelle des avocats n'est pas soumise à la loi sur les avocats. Il en va ainsi non seulement des comportements qui relèvent de leur vie privée, mais aussi des activités politiques et associatives ainsi que de la participation à des organismes poursuivant un but économique, lorsque l'intéressé n'en fait pas partie en sa qualité d'avocat et cherche à promouvoir des intérêts étrangers à sa profession. La LLCA ne s'applique pas non plus lorsque l'avocat agit pour son propre compte dans le cadre d'une procédure qui le concerne personnellement. Les comportements relevant de ce champ d'activités ne tombent sous le coup de la LLCA que s'ils donnent lieu à des condamnations pénales incompatibles avec la profession d'avocat ou si, en raison d'une telle activité, l'intéressé fait l'objet d'un acte de défaut de biens (art. 8 al. 1 let. b et c LLCA ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_280/2017 du 4 décembre 2017 consid. 3.1 ; ATA/152/2018 du 20 février 2018 consid. 11 et les références citées).

Selon le Tribunal fédéral, l'usage d'un papier à lettre professionnel ou la référence à sa qualité d'avocat dans ses rapports avec les tiers peut également entraîner l'application de la LLCA, quand bien même cela interviendrait dans le cadre d'une activité privée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_280/2017 consid. 3.2 ; Michel VALTICOS in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS/ François BOHNET [éd.], Commentaire romand – Loi sur les avocats, 2e éd., 2022, n. 13a ad art. 12 LLCA).

La chambre de céans a déjà eu l'occasion de juger que c'est dans le cadre de son activité professionnelle, et non privée, que l'avocat intervient en vue du recouvrement de ses honoraires (ATA/97/2007 consid. 5c ; Michel VALTICOS in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS/François BOHNET [éd.], op.cit., n. 16 ad art. 12 LLCA).

3.4 L’avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l’art. 12 LLCA. Ce dernier définit exhaustivement les règles professionnelles applicables aux avocats (ATF 136 III 296 consid. 2.1 ; 131 I 223 consid. 3.4 ; 130 II 270 consid. 3.1. Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l’intérêt public, la profession d’avocat, afin d’assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l’égard des avocats (ATF 135 III 145 consid. 6.1).

Aux termes de l’art. 12 let. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, visant le soin et la diligence de l’avocat dans l’exercice de son activité professionnelle. Ceci l’astreint à se comporter de façon correcte vis-à-vis de ses clients, mais aussi envers les autorités judiciaires ou administratives, ses confrères et le public (ATF 130 II 270 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_555/2014 du 9 janvier 2015 publié in SJ 2015 I 229).

Divers principes instaurés par l'ancien Code suisse de déontologie (ci-après : aCSD), édicté par la Fédération Suisse des Avocats (FSA) et entré en vigueur le 1er juillet 2005, abrogé par le CSD du 9 juin 2023, entré en vigueur le 1er juillet 2023, peuvent de surcroît constituer une violation du devoir de soin et de diligence envers les confrères, dans la mesure où ils poursuivent un intérêt public, en particulier la violation des « réserves d’usage », soit le contenu des discussions transactionnelles confidentielles menées entre avocats. Ainsi, selon l'art. 6 aCSD, l'avocat ne porte pas à la connaissance du tribunal des propositions transactionnelles, sauf accord exprès de la partie adverse. Après avoir posé que le caractère confidentiel d'une communication adressée à un confrère doit être clairement exprimé, l'art. 26 aCSD répète qu'il ne peut être fait état en procédure « de documents ou du contenu de propositions transactionnelles ou de discussions confidentielles » (ATA/213/2022 du 1er mars 2022 consid. 4b et la référence citée).

Selon l'art. 13 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10), conformément aux us et coutumes de la profession d’avocat, nul ne peut se prévaloir d’échanges confidentiels (let. a). Sont confidentiels les échanges désignés comme tels par la mention « sous les réserves d’usage » ou ceux qui se rapportent à des propositions transactionnelles (let. b).

3.5 Dans un arrêt publié aux ATF 144 II 473, le Tribunal fédéral a posé les principes suivants.

Lorsque des discussions transactionnelles sont menées, par écrit ou oralement, entre avocats, il n’est pas nécessaire que le caractère confidentiel de celles-ci soit prévu de manière explicite. Conformément aux art. 6 et 26 aCSD, les avocats sont automatiquement soumis au devoir de confidentialité s’agissant non seulement du contenu, mais également de l’existence de pourparlers transactionnels. Ainsi, sous réserve d'une procédure en exécution d'un accord transactionnel dûment conclu, si un document envoyé par un avocat au mandataire de la partie adverse contient une proposition de nature transactionnelle, celui-ci ne peut pas le produire en justice, sous peine de violer l'art. 12 let. a LLCA interprété à l'aune des art. 6 et 26 aCSD (consid. 4.6.1).

S’agissant de pourparlers transactionnels entre un avocat et une partie non représentée, le Tribunal fédéral a admis que, lorsque cela a été expressément prévu par les parties, ceux-ci sont couverts par le devoir de confidentialité de l’avocat. Dans un tel cas, l’avocat qui a participé à la discussion transactionnelle (écrite ou orale) avec la partie adverse non représentée, tout comme l’éventuel avocat consulté par la suite par celle-ci, doivent respecter la confidentialité reconnue par les parties aux propos échangés dans ce cadre. Si l’un d’entre eux décide tout de même de se prévaloir en justice desdits propos, il viole son obligation d’exercer sa profession avec soin et diligence (art. 12 let. a LLCA cum art. 6 et 26 aCSD ; consid. 4.6.2).

3.6 En l'espèce, le recourant a entamé une procédure de recouvrement de ses honoraires à l'encontre des appelés en cause. Ainsi, conformément à la jurisprudence précitée, sur laquelle il n'y a pas lieu de revenir, faute d'éléments objectifs permettant d'effectuer un tel revirement, il a agi dans le cadre de son activité professionnelle, de sorte que la LLCA lui est applicable. Contrairement à ce qu'il prétend, le fait qu'il n'ait pas œuvré en faveur d'un tiers, mais de lui-même, n'y change rien.

Sa qualité d'avocat soumis à la LLCA dans le cadre de l'échange du courriel litigieux sera donc constatée.

Pour déterminer si et dans quelle mesure ce courriel était soumis aux réserves d'usage au sens de la loi, il convient encore de déterminer en quelle qualité D______ a agi dans le cadre de cet échange.

Il n'est pas contesté que ce dernier est intervenu en tant que trustee du trust dont l'un des appelés en cause est un bénéficiaire. Cela étant, D______ est aussi l'un des avocats des appelés en cause, en la qualité de laquelle il a manifestement agi en rédigeant le courriel litigieux, ce qu'il a confirmé dans une lettre adressée au bâtonnier le 9 juin 2022, dont le recourant n'a pas contesté le contenu ni l'authenticité. Par ailleurs, le fait qu'il ait inscrit la mention « sous les réserves d'usage » sur ce courriel renforce ce constat, dans la mesure où il s'agit d'une pratique essentiellement utilisée par les avocats.

Par conséquent, et nonobstant sa qualité du trustee, D______ a agi en tant qu'avocat des appelés en cause lorsqu'il a envoyé au recourant le courriel du 1er avril 2021.

Il s'ensuit que ce courriel, échangé entre deux avocats, était soumis aux réserves d'usage, même en l'absence d'accord préalable de confidentialité.

Au vu de ce qui précède, les considérants de la décision querellé ne prêtent pas le flanc à la critique et sont conformes au droit. Il ne saurait par ailleurs être reproché à l'intimée d'avoir « rendu une décision à titre préventif en faisant interdiction au recourant de faire usage ultérieurement du courriel litigieux, sous la menace d'une sanction ». En effet, dès lors qu'elle a retenu que le courriel litigieux était soumis aux réserves d'usage, l'interdiction de le produire dans le cadre de la procédure au fond est la conséquence logique de son raisonnement et rien ne l'empêchait de le mentionner. Par ailleurs, quand bien même une telle mention n'aurait pas figuré dans la décision, le recourant, rompu à la matière, aurait immanquablement su qu'il ne pourrait pas produire ledit courriel dans le cadre de la procédure au fond, au risque d'écoper d'une sanction.

Le grief sera donc écarté.

4.             Le recourant soutient enfin que l'intégralité de la décision querellée n'aurait pas dû être communiquée aux appelés en cause.

Selon lui, le choix de communiquer la décision dans son intégralité n'aurait fait l'objet d'aucune motivation. De plus, telle que celle-ci était motivée, elle reviendrait à lui faire définitivement interdiction de faire usage ultérieurement de la pièce litigieuse. Dès lors, la communication de la décision dans son intégralité à Philippe GRUMBACH, en sa qualité de dénonciateur et non de partie, aurait pour conséquence que celui-ci pourrait s'en prévaloir injustement dans le cadre de la procédure au fond, afin d'en faire écarter la pièce, qui pourrait être considérée comme une preuve illicite.

4.1 Aux termes de l'art. 48 LPAv, si la procédure a été ouverte sur une dénonciation, l'auteur de cette dernière est avisé de la suite qui y a été donnée. Il n'a pas accès au dossier. La CB lui communique la sanction infligée et décide dans chaque cas de la mesure dans laquelle il se justifie de lui donner connaissance des considérants.

Selon les travaux préparatoires relatifs au projet de loi du Conseil d'État sur la profession d'avocat, la commission doit pouvoir décider de la mesure dans laquelle les considérants, qui peuvent contenir des données personnelles ne concernant pas le dénonciateur, seront communiqués à ce dernier (MGC 2000 41/VII 6115).

4.2 En l'espèce, la commission n'a pas motivé sa décision de communiquer l’intégralité de sa décision. Il est cependant manifeste que sa communication s’imposait, les dénonciateurs étant en litige avec le recourant et devant être informés du statut attribué par l'intimée au courriel litigieux, lequel ressort des considérants de la décision et non de son dispositif. Contrairement à ce que prétend le recourant, ils disposent en effet d'un intérêt juridique à pouvoir se prévaloir de ce statut devant les instances civiles afin de faire valoir leurs droits procéduraux, étant rappelé que le juge civil étant lié par la décision administrative rendue par l'autorité compétente, il existe un intérêt public à ce que les juridictions civiles soient informées des décisions prises par les autorités administratives et de leur motivation, dans un souci notamment d'éviter les décisions contradictoires et par économie de procédure.

La commission n'a donc pas abusé de son pouvoir d'appréciation en communiquant l'intégralité de la décision aux appelés en cause.

Le grief sera donc écarté et le recours, mal fondé, sera rejeté.

5.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée aux appelés en cause, pris solidairement, à la charge du recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 19 décembre 2022 par A______ contre la décision de la commission du barreau du 14 novembre 2022 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

alloue une indemnité de CHF 500.- à B______ et C______ SA, pris solidairement, à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à la commission du barreau, ainsi qu'à Philippe GRUMBACH, avocat des appelés en cause.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :