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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/184/2022

ATA/929/2023 du 29.08.2023 sur JTAPI/391/2023 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/184/2022-LCI ATA/929/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 août 2023

3ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Jean-François MARTI, avocat

contre

B______

représentée par Mes Amanda BURNAND SULMONI et Yves JEANRENAUD

 

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 avril 2023 (JTAPI/391/2023)


EN FAIT

A. a. B______ (ci-après : B______) est propriétaire de la parcelle n° 5'338, sise quai C______ 2 et rue D______ 23, en zone 1.

Un bâtiment d'activités comportant 9 niveaux (2 sous-sols, rez-de-chaussée, 6 étages et des combles), est érigé sur cette parcelle, en zone de degré de sensibilité (DS) III au sens de l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41).

Il est compris dans le plan de site n° 1______ de E______ (Arrêté du Conseil d’État [ACE] du 4 octobre 1993), modifié partiellement le 27 avril 2020 (plan n° 2______ - ACE du 27 avril 2020 ; ci-après : le plan de site), ainsi qu’à l'inventaire des sites construits d'importance nationale à protéger (ci-après : ISOS), avec un objectif de sauvegarde A.

b. Depuis 1993, « A______ (ci-après : A______) est locataire dans cet immeuble de locaux de surfaces respectives d'environ 264 m2 au rez-de-chaussée, 338.40 m2 au 1er étage, 338.40 m2 au 2ème étage, 230.50 m2 au 1er sous-sol, 56.10 m2 et 52.7 m2 au 2ème sous-sol.

A______, dont le but est notamment le commerce de bijoux, de pierres précieuses et de montres, exerce une activité de commerce au rez-de-chaussée et une activité administrative aux 1er et 2ème étages des locaux précités.

Le contrat de bail en vigueur, de durée déterminée, venait à échéance le 30 septembre 2022 et prévoit une option de renouvellement de 5 ans.

B. a. Le 8 juin 2021, F______ a déposé, pour le compte de B______, une requête en autorisation de construire portant sur la rénovation de l'enveloppe thermique du bâtiment et des installations techniques avec une climatisation de confort (DD 3______).

La durée des travaux était estimée à 12 mois.

b. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, qui a fait l'objet de plusieurs modifications, les préavis suivants ont notamment été rendus :

- favorables, les 17 juin et 8 octobre 2021, par la direction des autorisations de construire (DAC), sous condition de l'accord de la commune concernant l'empiètement des façades sur le domaine public ;

- le 23 août 2021, la commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) a sollicité une modification du projet quant aux étages et au rez-de-chaussée ;

- le 8 novembre 2021, favorable sous conditions, par le service des monuments et des sites (SMS), le projet n° 2 enregistré le 21 septembre 2021 répondant aux remarques formulées dans son premier préavis du 23 août 2022, tout en émettant des réserves dans la rubrique correspondante. Il était précisé que, 30 jours avant l’ouverture du chantier, tous les détails d’exécution ainsi que les choix de matériaux et de teinte devraient lui être soumis, avant la commande des travaux ;

- le 8 novembre 2021, favorable, par la Ville de Genève (ci-après : la ville), après un premier préavis défavorable du 21 juillet 2021, sous réserve que « les potentiels éventuels de réduction des besoins de climatisation grâce à la végétation environnante / in situ soient exploités » et que « l'installation réponde aux contraintes légales (loi sur l'énergie du 18 septembre 1986 - LEn - L 2 30 ; art. 22B), notamment que les niveaux de performance énergétique relatifs au confort estival du bâtiment et que le concept d'ensemble soient validés par l'OCEN ».

c. Par décision du 3 décembre 2021, le département a accordé l'autorisation de construire DD 3______/1 principale sollicitée, laquelle a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du même jour.

d. Une autorisation complémentaire DD 3______/2 a été délivrée à B______ le 19 décembre 2022, laquelle fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci - après : TAPI) dans une cause A/399/2023.

C. a. Le 18 janvier 2022, A______ a, dans la présente cause, interjeté recours auprès du TAPI à l'encontre de l’autorisation de construire principale du 3 décembre 2021.

Locataire de locaux dans le bâtiment en cause, elle subirait directement les nuisances dues à la rénovation projetée et un impact direct sur l'activité de son commerce et ce pour une durée conséquente, puisque la durée prévue des travaux était d'au minimum douze mois.

L’autorisation violait l'art. 3 du plan de site. Alors que le bâtiment se trouvait sur la Place D______, devant le Pont G______, en face ou à proximité de bâtiments spécifiquement et individuellement protégés, aucun examen approfondi de la compatibilité avec l'aspect futur de l'immeuble, dont le gabarit serait augmenté et l’aspect des façades modifié, n'avait eu lieu.

La décision attaquée violait son droit d’être entendue et l’art. 15 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), le projet ne précisant pas les matériaux et teintes qui seraient employés pas plus que les interventions projetées sur les façades et en toiture. Elle n'était dès lors pas en mesure d'appréhender et de se déterminer en toute connaissance de cause sur le projet de l'intimée. Elle s'étonnait de plus du traitement différencié par rapport aux immeubles rue D______ 21 et 40, pour lesquels le département avait refusé d'octroyer une autorisation de modifier les façades, notamment au rez-de-chaussée.

La ville avait, de manière opaque, modifié son appréciation et n'avait pas donné son accord pour l'empiètement des façades sur le domaine public communal.

L'autorisation violait l'art. 14 al. 1 LCI et l’OPB. Alors que le préavis du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) prévoyait que les nouvelles installations fixes et les systèmes de chauffage, ventilation et climatisation devraient respecter les valeurs de planification de 60 dB le jour et 50 dB la nuit, conformément à l'OPB, le dossier ne contenait aucune précision quant aux installations prévues, aux précautions qui seraient à prendre s'agissant de l'éventuelle présence d'amiante ou d'autres polluants, ni aux installations de chantier qui seraient source d'inconvénients graves.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

Le bâtiment litigieux, qui entrait dans la catégorie « autre bâtiment », avait fait l'objet d'un examen minutieux par la CMNS et le SMS. Au-delà des exigences énergétiques et d'entretien, l'enjeu était également de revaloriser le bâtiment et son intégration urbaine dans le site de E______. Le dossier comprenait nombre d'informations quant aux interventions projetées sur les façades et en toiture. Le SMS avait même d'ores et déjà précisé, dans son préavis du 8 novembre 2021, les détails d'exécution concernant le traitement de la toiture et des panneaux solaires. Le changement de préavis de la ville avait été expliqué dans le cadre des correspondances échangées.

Le dossier comprenait l'ensemble des informations nécessaires en lien avec le préavis du SABRA, repris dans l'autorisation querellée y compris le respect des valeurs de planification de 60 dB le jour et 50 dB la nuit. Les documents utiles en lien avec la présence éventuelle d'amiante ou d'autres polluants, respectivement les installations de chantier, avaient été dûment fournis.

La situation des bâtiments sis 21 et 40, rue D______, n'était pas similaire à celle du bâtiment visé par l'autorisation querellée, dans la mesure notamment où les deux premiers étaient maintenus dans le plan de site.

c. B______ a conclu à l’irrecevabilité du recours et, au fond, à son rejet.

A______ n'ayant pas exercé valablement et en temps utile l'option de prolongation prévue dans son contrat de bail, ni requis une quelconque prolongation judiciaire, ce dernier prendrait automatiquement fin le 30 septembre 2022. Au jour où le TAPI trancherait l’affaire, elle aurait ainsi sans nul doute perdu toute qualité pour agir, faute d'intérêt actuel.

Il ressortait des différents préavis versés au dossier que tant la CMNS que le SMS s'étaient montrés soucieux de la parfaite intégration du bâtiment, après rénovation, dans le site de E______ et que leurs différentes remarques et exigences avaient été pleinement intégrées dans le projet modifié. Elle soumettrait au SMS, le moment venu, tous les détails d'exécution, pour approbation avant commande.

A______, qui au demeurant ne saurait être consultée sur les choix des matériaux et teintes, n'avait aucun intérêt digne de protection à se prévaloir d'une violation de son droit d'être entendue en lien avec de tels choix. La ville pouvait enfin parfaitement modifier son préavis à la suite de la modification du projet étant rappelé que son premier préavis « défavorable » résultait d'une erreur.

d. Dans sa réplique du 30 mai 2022, A______ a relevé qu’elle avait saisi le 27 mai 2022 la « Cour d'arbitrage à Genève » d'une demande visant à la requalification du contrat la liant à B______, à la constatation de sa durée indéterminée, subsidiairement à l'octroi d'une prolongation d'une durée de six ans, jusqu'au 30 septembre 2028, ainsi qu'à une diminution du loyer. Elle disposait ainsi d'un intérêt actuel pour agir et son recours était bien recevable.

e. B______ a relevé que la saisine de la Cour d’arbitrage était intervenue dans un délai respectant les exigences prévues par la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) pour un bail de durée déterminée. Elle contestait catégoriquement une telle requalification. Vu toutefois la procédure arbitrale en cours, elle s’en rapportait à justice s’agissant de la recevabilité du recours.

f. Le 7 octobre 2022, B______ a indiqué au TAPI que la procédure arbitrale n’en était qu’à ses débuts. Elle estimait qu’une sentence arbitrale ne serait pas rendue avant l'été 2023, au plus tôt.

g. Le 21 octobre 2022, A______ a sollicité la suspension de l'instruction du recours jusqu'à droit connu dans la procédure arbitrale.

h. Le TAPI a, par jugement du 6 avril 2023, rejeté le recours.

Le contrat de A______ déployait toujours ses effets, vu la procédure arbitrale en cours. Elle se prévalait de violations de dispositions légales en lien avec le droit de la construction susceptibles d'avoir une incidence concrète sur sa situation de fait. Partant, sa qualité pour recourir était admise.

Il n’existait pas de motif justifiant la suspension de la procédure, le litige pouvant être tranché sans délai.

Le bâtiment litigieux entrait dans la catégorie « autre bâtiment ». L’autorisation querellée se fondait sur les préavis favorables sous conditions de la CMNS et du SMS lesquels avaient procédé à un examen minutieux du projet, étant relevé que le dossier de requête contenait l'ensemble des plans, coupes, façades, mais aussi deux notes détaillées des 4 juin et 17 septembre 2021 à l'attention du SMS, munies de plans de détail. Le concept d'intervention y était précisé, soit l'amélioration de l'enveloppe vétuste ainsi que le remplacement des installations techniques qui ne correspondaient plus aux demandes actuelles de l'OCEN. L'enjeu était également de revaloriser ce bâtiment et son intégration urbaine dans le site de E______. La CMNS avait demandé des adaptations du projet afin d'assurer une bonne intégration du bâtiment dans le périmètre du plan de site. Aux étages, elle avait accepté le principe proposé d'une façade en aluminium éloxé tout en relevant que la modénature proposée relevait plus d'une expression minérale. Elle avait en revanche demandé une solution alternative à des garde-corps en verre, étrangers au caractère du site. Pour le rez-de-chaussée, elle avait accepté la façade en pierre ainsi que sa modénature, mais avait demandé que le travail des modules d'arcades soit repris pour présenter une amélioration par rapport à la situation existante, et être en lien avec les étages supérieurs ainsi qu'avec la structure. Afin de répondre à ces demandes, un « dossier SMS - Modification de projet » avait été établi le 17 septembre 2021. Les façades des étages (p. 3) et les garde-corps vitrés avaient été supprimés et les fenêtres prévues sur toute la hauteur remplacées par des ouvrants à mi-hauteur. La partie fixe située sous la fenêtre était conservée en verre afin d’atteindre les objectifs de luminosité qui faisaient actuellement défaut. La traverse du cadre de la fenêtre répétait les lignes horizontales présentes à ce niveau sur les bâtiments voisins. La teinte exacte serait à définir ultérieurement, une teinte chaude, mais plus claire que celle de la trame principale semblant être la plus appropriée. Pour les façades du rez-de-chaussée, le projet proposait de rendre lisible au rez-de-chaussée la trame d'origine de l'immeuble composée d'un module de petite dimension et d'un module plus large. Le 8 novembre 2021, le SMS avait relevé que le projet modifié répondait aux remarques formulées, tant pour ce qui concernait le traitement des contrecœurs des fenêtres aux étages courants que pour le travail des arcades au rez-de-chaussée et émis un préavis favorable avec les réserves y relatives, en lien notamment avec les détails d'exécution ainsi les choix de matériaux et de teintes qui devaient lui être soumis pour approbation avant la commande des travaux.

Il ressortait du courrier du 20 septembre 2021 du mandataire de B______ que la ville avait rendu son premier préavis, défavorable, sur la base d'anciennes prescriptions. L’empiètement des façades sur le domaine public apparaissait clairement sur les plans du service de l'espace public du 8 juin 2021 et une requête ad hoc avait été présentée le 1er juin 2021.

La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) avait déjà jugé que le fait que le dossier ne comporte aucune précision sur le choix des matériaux ne constituait pas une lacune d'instruction.

Les installations techniques étaient représentées sur les différents plans versés au dossier, outre le rapport d'étude acoustique du 4 mai 2021, les justificatifs énergétiques, le préavis du SABRA, l'attestation de substances dangereuses, le rapport d'expertise amiante et trois plans d'installations de chantier.

La question de l’impact de la rénovation sur l’activité du commerce de ROYAL SWISS relevait des relations de droit privé entre les parties.

Le SMS avait toutes les informations nécessaires pour se prononcer sur l'intégration du projet. Les bâtiments sis 21 et 40, rue D______ se trouvaient dans le plan de site, raison pour laquelle ils devaient être maintenus dans leur substance.

D. a. A______ a formé recours à la chambre administrative le 16 mai 2023, concluant à l’annulation dudit jugement, de même que de l’autorisation de construire (principale), subsidiairement au renvoi du dossier au TAPI pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Le bâtiment en cause faisait partie du périmètre protégé par le plan de site, mais également celui dit des « Rues-H______ et I______ », d’importance nationale, figurant à l’ISOS. Une fiche de bonnes pratiques émise par la CMNS donnait des lignes directives s’agissant de ces bâtiments dont elle exigeait « une grande harmonie », aux fins d’éviter « de ruiner l’effet d’ensemble ».

La recourante a en quelques phrases abordé ses craintes quant aux nuisances à attendre du chantier, aux matériaux et teintes employés pour la nouvelle façade, aux précautions s’agissant de l’éventuelle présence d’amiante ou d’autres polluants et au traitement différencié et inexplicable entre l’immeuble et ceux des 21 et 40, rue D______. Elle est revenue brièvement sur les circonstances de l’émission par la ville, « sans raison objective » d’un préavis défavorable puis favorable notamment quant à l’empiètement des façades sur le domaine public.

Elle a précisé ne pas remettre en cause la modification des installations de chauffage et de ventilation, pour autant que les normes de protection contre le bruit soient respectées, vu l’amélioration de la situation énergétique de l’immeuble attendu.

Le recours ne portait « dès lors » que sur la modification de la façade qui n’apparaissait pas conformes aux normes en vigueur.

L’art. 3 du plan de site, le devoir de motivation découlant de l’art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et l’art. 15 LCI avaient été violés.

Contrairement à ce qu’avait retenu le TAPI, il ne ressortait nullement du dossier que la CMNS et le SMS auraient effectué une analyse détaillée de l’intégration urbaine du projet litigieux dans le site de E______. Or, vu la situation de l’immeuble, un examen rigoureux de la compatibilité entre son futur aspect, avec l’augmentation de son gabarit et le changement d’aspect des façades, et l’environnement protégé, en particulier de E______, était absolument nécessaire. Le SMS, dans son préavis du 8 novembre 2021, avait émis « d’importantes réserves » en soulignant que les interventions sur le traitement des façades, de la toiture et des panneaux solaires devaient faire l’objet d’un suivi particulier et de détails présentés à une échelle appropriée. Il ne s’était dès lors pas assuré que l’aspect futur du projet et son implémentation respecteraient l’harmonie de E______. Si la CMNS avait certes sollicité des adaptations du projet, il ne ressortait toutefois pas qu’une analyse approfondie et contextuelle des futures façades ait été effectuée.

Le raisonnement du TAPI selon lequel le dossier d’autorisation serait complet ne pouvait être suivi. Des détails d’ordre esthétique et intimement liés à l’implémentation des façades d’un bâtiment sis en zone protégée par un plan de site ne pouvaient pas être réglés postérieurement à l’octroi de l’autorisation. Le SMS ne disposait pas de toutes les informations utiles au moment de sa prise de décision, puisqu’il avait demandé qu’un prototype/échantillon du module de façade lui soit présenté sur place. Il n’avait pas exposé les motifs qui l’avaient guidé pour parvenir à la conclusion que le futur projet respecterait l’harmonie et le caractère architectural du périmètre protégé. Elle n’était donc pas en mesure d’appréhender et de se déterminer en toute connaissance de cause sur le projet litigieux. Cela signifiait également que l’autorisation de construire n’offrait aucune garantie d’intégration.

b. B______ a conclu au rejet du recours.

Les 6 avril et 12 mai 2022, la ville lui avait octroyé des permis d’empiètement sur le domaine public en lien avec l’installation d’une isolation sur les piliers et d’un soubassement en pierres à différents emplacements, puis le 24 février 2023 en lien avec la nouvelle marquise prévue.

Les deux recours successifs interjetés à l’encontre des autorisations de construire principale et complémentaire bloquaient les travaux depuis désormais plus de 18 mois.

Il allait de soi qu’elle soumettrait le choix des teintes et des matériaux au SMS avant commande et les choisirait pour s’intégrer parfaitement dans le site de E______.

c. Le département a conclu au rejet du recours.

d. Dans une brève réplique, la recourante a relevé que bien que son recours ne porte que sur la modification de la façade, et qu’elle ne s’oppose pas à l’amélioration énergétique de l’immeuble, elle ignorait si les travaux projetés engendreraient une amélioration de son confort, l’impact environnemental réel desdits travaux ou encore financier sur ses charges. Alors qu’elle avait réalisé la façade au rez‑de‑chaussée et au 1er étage à ses frais, à des fins de visibilité de son commerce, elle n’avait pas été consultée par l’intimée, alors que le projet attaqué visait à modifier ladite façade et à rehausser la marquise.

e. Les parties ont été informées, le 26 juillet 2023, que la cause était gardée à juger.

f. Leurs arguments et la teneur des pièces au dossier seront pour le surplus repris ci-dessous dans la mesure nécessaire au traitement du litige.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA – E 5 10).

2.             2.1 Selon l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

La jurisprudence a précisé que les lettres a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/286/2018 du 27 mars 2018 et la jurisprudence citée).

2.2 La qualité pour recourir contre une autorisation de construire des locataires dont les baux n'étaient pas résiliés a été admise lorsque, si elle était confirmée, ladite autorisation les priverait de la jouissance de locaux situés dans les combles de l'immeuble dont la transformation était projetée. Certains des griefs invoqués portaient sur le gabarit de l'immeuble après travaux et sur les vices de forme ayant affecté la procédure qui, s'ils devaient se révéler bien fondés, pourraient aboutir à un refus de l'autorisation de construire litigieuse, à l'abandon du projet, voire à un remaniement substantiel de celui-ci, et à la mise en œuvre d'une nouvelle enquête (arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2011 du 4 mai 2011 ; ATA/710/2021 du 6 juillet 2021 ; ATA/985/2020 du 6 octobre 2020).

2.3 En l’espèce, la qualité pour recourir de la locataire qui se plaint devant la chambre administrative uniquement de l’aspect esthétique de la façade après travaux se pose. Elle souffrira de rester indécise vu ce qui suit.

3.             La recourante se plaint d’une violation des art. 3 du plan de site, 29 Cst. et 15 LCI.

L’objet du litige n’est plus que la question de l’intégration du bâtiment après les travaux projetés, à savoir l’aspect esthétique.

Comme justement retenu par le TAPI, les éventuelles répercussions des travaux projetés sur ses charges, comme occupante d’une partie des locaux, respectivement le fait que l’intimée ne l’aurait pas consultée s’agissant des modifications prévues sur la façade et la marquise, alors qu’elle aurait réalisé à ses frais des travaux touchant ces parties de l’immeuble, sont exorbitantes au litige et doivent être portées le cas échéant devant les instances civiles.

3.1 En droit fédéral, les plans d'affectation règlent le mode d'utilisation du sol. Ils délimitent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger (art. 14 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). Les zones à protéger comprennent notamment les cours d'eau, les lacs et leurs rives (art. 17 al. let a LAT), les paysages d'une beauté particulière, d'un grand intérêt pour les sciences naturelles ou d'une grande valeur en tant qu'éléments du patrimoine culturel (art. 17 al. 1 let. b LAT) et les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels ou culturels (art. 17 al. 1 let. c LAT). Lorsque les circonstances se sont sensiblement modifiées, les plans d'affectation font l'objet des adaptations nécessaires (art. 21 al. 2 LAT).

3.2 En droit genevois, les plans de zone, qui sont des plans d'affectation du sol, comprennent les zones protégées, qui constituent des périmètres délimités à l'intérieur d'une zone à bâtir ordinaire ou de développement et qui ont pour but la protection de l'aménagement et du caractère architectural des quartiers et localités considérés (art. 12 al. 5 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 [LaLAT - L 1 30]).

Les plans de site de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) constituent des plans d'affectation spéciaux précisant l'affectation et le régime d'aménagement des terrains compris à l'intérieur d'une ou plusieurs zones (art. 13 al. 1 let. c LaLAT). Ils déploient des effets contraignants pour les particuliers (Thierry TANQUEREL, La participation de la population à l'aménagement du territoire, 1988, pp. 259 et 260).

3.3 La LPMNS a pour but de conserver les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture, les antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton ainsi que le patrimoine souterrain hérité des anciennes fortifications de Genève (art. 1 let. a), de préserver l'aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (art. 1 let. b), d'assurer la sauvegarde de la nature, en ménageant l'espace vital nécessaire à la flore et à la faune, et en maintenant les milieux naturels (art. 1 let. c), de favoriser l'accès du public à un site ou à son point de vue (art. 1 let. d), d'encourager toutes mesures éducatives et de soutenir les efforts entrepris en faveur de la protection des monuments, de la nature et des sites (art. 1 let. e) et d'encourager les économies d'énergie et la production d'énergies renouvelables lors de la rénovation d'immeubles au bénéfice d'une mesure de protection patrimoniale (art. 1 let. f).

La LPMNS poursuit la protection générale des monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et des antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets et leurs abords (art. 4 let. a), et des immeubles et des sites dignes d'intérêt, ainsi que des beautés naturelles (art. 4 let. b).

S'agissant des bâtiments, elle prévoit l'établissement d'un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4 (art. 7 al. 1), ainsi que la possibilité pour le Conseil d'État d'ordonner la classement d'un monument ou d'une antiquité (art. 10).

S'agissant de la nature et des sites, elle prévoit la protection des sites et paysages, espèces végétales et minéraux qui présentent un intérêt biologique, scientifique, historique, esthétique ou éducatif (art. 35 al. 1), soit notamment des paysages caractéristiques, tels que rives, coteaux, points de vue (art. 35 al. 2 let. a) et ensembles bâtis qui méritent d'être protégés pour eux-mêmes ou en raison de leur situation privilégiée (art. 35 al. 2 let. b), sous réserve des dispositions de la LCI sur les zones protégées.

3.4 En ce qui concerne les sites, l'art. 38 LPMNS permet au Conseil d'État d'édicter les dispositions nécessaires à l'aménagement ou à la conservation d'un site protégé par l'approbation d'un plan de site assorti, le cas échéant, d'un règlement (al. 1). Les plans et règlements déterminent notamment les mesures propres à assurer la sauvegarde ou l'amélioration des lieux, telles que : maintien de bâtiments existants, alignement aux abords de lisières de bois et forêts ou de cours d'eau ; angles de vue, arborisation (al. 2 let. a), les conditions relatives aux constructions, installations et exploitations de toute nature (implantation, gabarit, volume, aspect, destination - al. 2 let. b) et les cheminements ouverts au public ainsi que les voies d'accès à un site ou à un point de vue (al. 2 let. c). À défaut d'autres règles fixées dans le plan de site ou son règlement, les art. 90 al. 1, et 93 al. 1, 2 et 4 LCI sont applicables par analogie aux travaux exécutés dans les immeubles déclarés maintenus, sous réserve des cas d'intérêt public (al. 3). Les immeubles maintenus au sens de l'al. 2, let. a, ne peuvent, sans l'autorisation du Conseil d'État, être démolis, transformés ou faire l'objet de réparations importantes (al. 4).

Le plan de site fait l'objet d'un réexamen périodique. Sous réserve d'éléments d'ordre secondaire, pour lesquels une nouvelle enquête publique n'est pas nécessaire, sa modification ou son abrogation est soumise à la même procédure (art. 40 al. 10 LPMNS).

3.5 Le plan de site n° 1______ a pour but de préserver le site de E______ et à ce titre le caractère architectural et historique des bâtiments situés à front de quai de E______ et de places attenantes, ainsi que les autres éléments rattachés aux quais et au plan d'eau, qui méritent protection (art. 1 du règlement du plan de site ; ci-après : le règlement). Sur le pourtour de E______, il recense les immeubles classés, les bâtiments et ensembles maintenus (art. 4 du règlement), les bâtiments avec éléments intéressants (art. 5 du règlement), et les bâtiments d'architecture contemporaine (1945-1970) maintenus (art. 4 du règlement). Les bâtiments ne figurant dans aucune de ces catégories constituent les « autres bâtiments » (art. 6 règlement).

Le bâtiment objet de la présente procédure est classé dans la catégorie des « autres bâtiments ».

3.6 La protection par le plan de site est plus large et plus souple que le classement ou l'inscription à l'inventaire. Dans le cadre de la première LPMNS, du 19 juin 1920, le classement constituait la seule mesure de droit public à la disposition des autorités pour assurer la conservation des bâtiments dignes de protection. Généralement, cette mesure ne pouvait concerner qu'un seul bâtiment à la fois ou une partie d'un bâtiment. Le législateur a toutefois expressément pris le parti de protéger légalement des biens patrimoniaux appréhendés plus largement. Cette option a été explicitement motivée comme suit dans l'exposé des motifs à l'appui du projet de la nouvelle LPMNS, du 4 juin 1976 : « Au fil du temps, le cercle des biens dignes de protection et dont la sauvegarde revêt un caractère croissant d'intérêt général s'est considérablement élargi pour s'étendre à de nouvelles composantes du patrimoine commun que menacent ou détruisent les nuisances de notre société [...] Ce phénomène est particulièrement sensible dans notre canton, dont le territoire fort exigu abrite une agglomération en expansion. Partout, en Europe et ailleurs, ces questions préoccupent les autorités chargées de l'aménagement du territoire [...] Dans le cadre genevois beaucoup plus modeste, il convient de protéger particulièrement certains lieux : monuments, ensembles bâtis ou naturels, paysages particulièrement remarquables, etc., et d'en ouvrir - si possible - l'accès à la population soucieuse de sauvegarder son patrimoine culturel et de jouir d'un constat paisible avec la nature » (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1974, p. 3244).

Le rapport de la commission du Grand Conseil chargée d'examiner le projet de loi qui a donné lieu à l'adoption de la LPMNS du 4 juin 1976, précise que la commission « a voulu introduire la possibilité de protéger des ensembles bâtis, notamment dans le cadre des dispositions sur les sites. Les art. 32 à 35 ont été modifiés dans ce sens. Il semble, en effet, plus judicieux de traiter des ensembles bâtis sous le régime du plan de site que sous celui du classement » (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1976, p. 1906).

Le terme « notamment » utilisé à l'art. 35 al. 2 LPMNS indique que la notion de « site » doit être comprise largement. Le législateur a refusé de circonscrire la notion de site à celle correspondant au sens courant de ce terme, mais a étendu cette notion en y englobant d'autres objets à protéger, parmi lesquels peuvent être inclus les constructions de quartiers, le tissu urbain dans lequel elles s'inscrivent et la végétation qui les englobe (ATA/784/2016 du 20 septembre 2016 consid. 5b).

Le Tribunal fédéral a relevé que dans la pratique genevoise, l'instrument du plan de site était large, et avait été utilisé pour la protection de périmètres ou d'objets assez divers et ne présentant pas nécessairement une homogénéité architecturale ou historique. Tel était le cas de E______ de Genève, du centre de la ville de Carouge ainsi que des villages au caractère typique comme Hermance ou Dardagny. Il a même admis que des quartiers comme la Roseraie ou Beau-Séjour - contenant des éléments disparates, comme des établissements hospitaliers, des groupes de villas, des bâtiments de grand gabarit et des constructions isolées - constituaient un site (arrêt du Tribunal fédéral 1P.44/2004 du 12 octobre 2004 consid. 2.1.3, faisant suite à l'ATA/884/2003 du 2 décembre 2003 consid. 4).

3.7 Selon l'art. 11 de l'Ordonnance concernant l'ISOS du 13 novembre 2019 (OISOS - RS 451.12), les cantons tiennent compte de l’ISOS lors de l’établissement de leurs planifications, en particulier des plans directeurs, conformément aux art. 6 à 12 LAT (al. 1). Ils veillent à ce que l’ISOS soit pris en compte sur la base des plans directeurs cantonaux, en particulier lors de l’établissement des plans d’affectation au sens des art. 14 à 20 LAT (al. 2).

3.7.1 L'inventaire ISOS est fondé sur l'art. 5 de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage du 1er juillet 1966 (LPN - RS 451), qui charge le Conseil fédéral d'établir, après avoir pris l'avis des cantons, des inventaires d'objets d'importance nationale. Celui-ci peut se fonder sur des inventaires dressés par des institutions d'État ou par des organisations œuvrant en faveur de la protection de la nature, de la protection du paysage ou de la conservation des monuments historiques. Les critères qui ont déterminé le choix des objets sont indiqués dans les inventaires. Ils ne paraissent pas a priori semblables à ceux qui déterminent la protection par les plans de site, et les éventuelles critiques adressées par l'inventaire ISOS au bâtiment ne sont pas de nature à priver de sa pertinence la procédure de protection par le plan de site (ATA/352/2021 du 23 mars 2021 consid. 11 e).

3.7.2 Aux termes de l'art. 23 al. 1 let. a de la directive concernant l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse ISOS du 1er janvier 2020 (ci-après : DISOS), l'objectif de sauvegarde A établit une distinction entre deux spécifications, la sauvegarde de la substance d'une part et la sauvegarde de l'état existant en tant qu'espace agricole ou libre d'autre part. Une partie de site peut se voir appliquer l'une ou l'autre spécification ou les deux à la fois. La sauvegarde de la substance signifie sauvegarder intégralement toutes les constructions et installations et tous les espaces libres ainsi que supprimer les interventions parasites (art. 9 al. 4 let. a OISOS).

Lorsque des transformations ou des aménagements sont prévus sur une partie de site à sauvegarder, il est indiqué de requérir le conseil du service des monuments historiques, d'autres instances officielles spécialisées ou d'experts. Pour son application concrète, l'ISOS formule des recommandations générales concernant la conservation, l'entretien et la valorisation des sites construits (art. 24 al. 1 DISOS). Lorsqu'il s'agit de « sauvegarder la substance », les dispositions générales sont l'interdiction de démolir, l'interdiction de constructions nouvelles et l'obligation d'arrêter des prescriptions détaillées en cas d'intervention (art. 24 al. 2 DISOS).

3.7.3 Suite à un arrêt de la chambre de céans ATA/281/2016 du 5 avril 2016 en lien avec la surélévation d’un bâtiment à la Jonction, le Tribunal fédéral a examiné la question de la protection instaurée par l'ISOS. Il a retenu à cette occasion que, même si la protection découlant de l'inventaire ISOS n'avait pas été expressément mentionnée dans les préavis, le département avait pris en compte le quartier dans lequel se situait la surélévation litigieuse pour opérer la pesée des intérêts existants. Le besoin de protection du quartier avait donc été pris en considération.

Le bâtiment faisait partie du périmètre « P17 Quartier de la Jonction » et bénéficiait d'un objectif de sauvegarde prioritaire (A), à savoir préconisant la sauvegarde de la substance (conservation intégrale de toutes les constructions et composantes du site, de tous les espaces libres). Les perturbations les plus récentes (deux immeubles en cours d'achèvement) étaient particulièrement graves, dans la mesure où ces constructions ne respectaient absolument pas les alignements sur rue existants.

Il était vrai qu'une référence explicite à l'inventaire fédéral ne ressortait ni du préavis de la CMNS ni de la décision du département. Quant aux instances judiciaires, le TAPI avait mentionné l'appartenance du quartier à l'ISOS, alors que la cour cantonale ne s'y référait pas. Cependant, cette dernière instance avait tenu compte du quartier dans lequel se situait la surélévation litigieuse pour opérer sa pesée des intérêts. Elle avait retenu en particulier que la surélévation devait s'intégrer dans le milieu existant, raison pour laquelle la CMNS avait exigé notamment que la cinquième façade, soit la toiture de la surélévation, fasse l'objet d'un traitement soigné, du fait de sa visibilité depuis le quartier de Saint-Jean. Elle avait aussi relevé que la CMNS possédait une connaissance globale et approfondie de tous les aspects de cette surélévation ; la CMNS avait travaillé à une intégration adéquate de la surélévation dans cet endroit particulièrement exposé au bord D______ ainsi qu'à l'esthétisme offert à la vue depuis le quartier de Saint-Jean, qui le surplombait directement. Le besoin de protection du quartier avait donc été pris en considération dans le cadre de la pesée des intérêts, ce que les différentes évolutions que le projet avait connues sous la direction de la CMNS démontraient. De plus, même si l'inventaire ISOS était dépourvu de force contraignante en l'espèce, le projet litigieux respectait les recommandations de l'ISOS qui préconisaient principalement la conservation intégrale de toutes les constructions et l'interdiction de leur démolition, puisque les travaux projetés ne modifiaient pas le bâtiment d'origine. À cela s'ajoutait que la cour cantonale avait pris en considération le fait que le bâtiment litigieux figurait aussi à l'inventaire cantonal au sens des art. 7 ss LPMNS et que les façades originelles, avant la première surélévation, côté rue, fenêtres comprises, étaient protégées (arrêt du Tribunal fédéral 1C_226/2016 du 28 juin 2017 consid. 4.3.2).

3.8 À teneur de l'art. 15 LCI, le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la commission d’architecture ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la CMNS. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).

Cette disposition renferme une clause d’esthétique, qui constitue une notion juridique indéterminée, laissant ainsi un certain pouvoir d’appréciation à l’administration, celle-ci n’étant limitée que par l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation. L’autorité de recours s’impose une retenue particulière lorsqu’elle estime que l’autorité inférieure est manifestement mieux en mesure qu’elle d’attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, soit quand elle fait appel à des connaissance spécialisée ou particulières. Ainsi, dans l’application de cette disposition, une prééminence est reconnue au préavis de la CMNS lorsqu’il est requis par la loi (ATA/435/2023 du 25 avril 2023 consid. 5g et les références citées).

3.9 L’art. 3 al. 3 LCI prévoit notamment que les demandes d’autorisation sont soumises, à titre consultatif, au préavis des communes, des départements et des organismes intéressés. L’autorité de décision n’est pas liée par ces préavis.

Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/486/2023 du 9 mai 2023 consid. 6.1.1 et les références citées).

Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/422/2023 du 25 avril 2023 consid. 5.3 et les références citées).

3.10 Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours. La CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/97/2019 du 29 janvier 2019 consid. 4d et les références citées).

3.10.1 La CMNS est une commission consultative. Elle donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort. Elle se prononce en principe une seule fois sur chaque demande d’autorisation, les éventuels préavis complémentaires étant donnés par l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) par délégation de la commission. Elle peut proposer toutes mesures propres à concourir aux buts de la LMNS. Elle peut déléguer ses pouvoirs à des sous-commissions permanentes ainsi qu’à l’OPS (art. 47 LPMNS).

La CMNS donne son préavis notamment sur tout projet de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire, classé ou situé en zone protégée (art. 5 al. 2 let. c, e et f RPMNS). Il appartient au département de saisir la commission ou les sous-commissions concernées des projets pour lesquels un préavis ou des propositions sont requis en application de l’al. 2. Lorsqu'un préavis est exprimé par une sous-commission, il vaut préavis de la commission (art. 5 al. 3 let. c, e, f RPMNS).

3.10.2 La CA est quant à elle consultée par le département, lorsqu'il doit se prononcer sur l'octroi d'une dérogation aux gabarits des constructions, tels que définis par les art. 26 ss LCI, lorsque l'immeuble se trouve en 3ème zone de construction (art. 11 al. 4 LCI et art. 27 al. 7 LCI). Selon l'art. 4 al. 1 de la loi sur les commissions d’urbanisme et d’architecture du 24 février 1961 (LCUA - L 1 55) auquel renvoie la dernière phrase de l'art. 11 al. 4 LCI, la CA n'est plus consultée lorsque le projet fait l'objet d'un préavis de la CMNS (art. 4 al. 1 LCUA).

Lors de l'adoption de ces normes, le souhait du législateur était d'exclure une double consultation de la CMNS et de la CA, afin d'alléger la procédure. Cette modification devait également permettre d'éviter les préavis contradictoires. Ainsi, seule la CMNS est compétente pour donner son avis sur des projets régis par la LPMNS ou situés dans des zones protégées. À teneur de la nouvelle disposition alors adoptée, la CA ne devait plus être consultée pour ces projets (MGC 2003-2004/XI A 5893 ; MGC 2005-2006/V A 3504 et ss ; ATA/281/2016 du 5 avril 2016 consid. 5).

3.11 Le droit d'être entendu comprend, notamment pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Il suffit toutefois que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 138 I 232 consid. 5.1; 137 II 266 consid. 3.2; 136 I 229 consid. 5.2). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêts du Tribunal fédéral 6B_970/2013 du 24 juin 2014 consid. 3.1 et 6B_1193/2013 du 11 février 2014 consid. 1.2).

4.             En l'espèce, aucune des instances de préavis, et en particulier la CMNS, pas plus que le TAPI, ne se sont référés expressément à l'inventaire ISOS. Le bâtiment en cause se situe dans le périmètre n° 4 du relevé de l’ISOS, recensé en tant que « quartier « Rues-H______ et I______ » », lequel bénéficie d'un objectif de sauvegarde A. La rénovation de son enveloppe et des installations techniques est projetée

S'agissant de la prise en considération du besoin de protection du quartier dans le cadre de la pesée des intérêts, il sera préalablement relevé que tant la CMNS que le SMS ont expressément fait référence au plan de site de E______ et à sa modification partielle du 27 avril 2020 dans leurs divers préavis. Ainsi, quand bien même ils n’ont pas expressément fait référence à l'inventaire ISOS, pas plus que le TAPI, il découle de ces préavis successifs que tant la CMNS que le SMS ont tenu compte de la situation du bâtiment, par rapport aux constructions adjacentes, à sa localisation, sur la Place D______, devant le Pont G______, en face ou à proximité de bâtiments spécifiquement et individuellement protégés. Il s'avère donc que l'examen attentif du projet auquel ont procédé la CMNS et le SMS est conforme aux principes jurisprudentiels développés en la matière, notamment dans l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_226/2016 précité.

La recourante soutient que la CMNS et le SMS n’auraient pas effectué une analyse détaillée de l’intégration urbaine du projet litigieux dans le site de E______ et que leurs préavis souffriraient d’un défaut de motivation. Elle ne saurait être suivie, étant aussi relevé que le TAPI s’est à son tour livré à une analyse minutieuse et complète desdits préavis, avec une lecture parallèle du dossier de requête, pour déterminer de quels éléments bénéficiaient ces instances au moment de se prononcer. Le dossier de requête contient, comme justement relevé par le TAPI, l'ensemble des plans, coupes, façades, mais aussi deux notes détaillées des 4 juin et 17 septembre 2021 à l'attention du SMS, munies de plans de détail. Le concept d'intervention y est précisé, soit l'amélioration de l'enveloppe vétuste ainsi que le remplacement des installations techniques qui ne correspondaient plus aux demandes actuelles de l'OCEN. L'enjeu était également de revaloriser ce bâtiment et son intégration urbaine dans le site de E______. En ce qui concernait les façades des étages, il a été relevé que le choix d'une matérialité en aluminium éloxé avait été dicté par la volonté de maintenir les relations d'origine des bâtiments existants en métal et verre de la Place D______. Pour les façades du rez-de-chaussée, il était proposé de garder les grandes ouvertures des vitrines et de simplifier les éléments décoratifs existants par des montants et traverses en pierre naturelle aux lignes épurées qui reprenaient le vocabulaire architectural des façades des étages supérieurs. La CMNS s’est quant à elle déclarée favorable au principe des travaux projetés, tout en demandant des adaptations de projet afin d'assurer la bonne intégration du bâtiment dans le périmètre du plan de site. Aux étages, elle a accepté le principe proposé d'une façade en aluminium éloxé tout en relevant que la modénature proposée relevait plus d'une expression minérale. Elle a en revanche demandé qu'une solution alternative soit trouvée en ce qui concernait l'introduction de garde-corps en verre, étrangers au caractère du site. Pour le rez-de-chaussée, elle a accepté la façade en pierre ainsi que sa modénature, mais a demandé que le travail des modules d'arcades soit repris pour présenter une amélioration par rapport à la situation existante et être en lien avec les étages supérieurs et la structure. Afin de répondre à ces demandes, un « dossier SMS - Modification de projet » a été établi le 17 septembre 2021. Concernant les façades des étages (p.3), les garde-corps vitrés ont été supprimés et les fenêtres prévues sur toute la hauteur ont été remplacées par des ouvrants à mi-hauteur. La partie fixe située sous la fenêtre doit être conservée en verre afin d’atteindre les objectifs de luminosité qui font défaut aux surfaces actuelles. La traverse du cadre de la fenêtre répétait les lignes horizontales présentes à ce niveau sur les bâtiments voisins. La teinte exacte serait à définir ultérieurement mais l’orientation vers une teinte chaude, mais plus claire que celle de la trame principale semblait être la plus appropriée. Pour les façades du rez-de-chaussée, le nouveau projet proposait de rendre lisible au rez‑de‑chaussée la trame d'origine de l'immeuble composée d'un module de petite dimension et d'un module plus large. En date du 8 novembre 2021, le SMS a relevé que le projet modifié répondait aux remarques formulées, tant pour ce qui concernait le traitement des contrecœurs des fenêtres aux étages courants que pour le travail des arcades au rez-de-chaussée et émis un préavis favorable avec les réserves y relatives, en lien notamment avec les détails d'exécution ainsi que les choix de matériaux et de teintes qui devaient lui être soumis pour approbation avant la commande des travaux.

Il appert ainsi que la CMNS et le SMS, puis le TAPI, qui s’est penché attentivement sur les divers préavis, ont procédé à un contrôle et à une analyse minutieuse du projet et qu’ils en ont examiné les caractéristiques en tenant compte des prescriptions prévues dans le plan de site et, partant, du contexte du quartier. Le TAPI doit être suivi lorsqu’il a retenu que la recourante ne fait que substituer sa propre appréciation à celle des instances de préavis précitées.

La chambre administrative a pour le surplus déjà jugé que le fait que le dossier ne comporte aucune précision sur le choix des matériaux ne constituait pas une lacune d'instruction. Cas échéant, la mise en œuvre est soumise ultérieurement à l'approbation de certains services spécialisés, condition préalable à l'ouverture du chantier (ATA/37/2020 du 14 janvier 2020), ce qui est précisément le cas en l’espèce, comme cela résulte du préavis précité du SMS.

La recourante ne remet plus en cause le fait que la ville a rendu son premier préavis, défavorable, sur la base d'anciennes prescriptions, avant d’en émettre un favorable, sous condition, le 8 novembre 2021. La question de l'empiètement des façades sur le domaine public, lequel apparaît clairement sur les plans datés du 8 juin 2021, est connue de la ville qui, les 6 avril et 12 mai 2022, a octroyé des permis dans ce sens en lien avec l’installation d’une isolation sur les piliers et d’un soubassement en pierres à différents emplacements et, le 24 février 2023, en lien avec la marquise prévue.

Enfin, il ne peut être fait de comparaison entre l’immeuble dont est question et ceux sis aux 21 et 40 rue D______, dans la mesure où ces deux derniers sont « maintenus » dans le plan de site, d’où une protection accrue.

Infondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu son issue, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 2’000 sera allouée à B______, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu’il est recevable le recours interjeté le 16 mai 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 avril 2023 ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à B______ à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-François MARTI, avocat de la recourante, à Mes Amanda BURNAND SULMONI et Yves JEANRENAUD, avocats de l'intimée, au département du territoire-OAC ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :