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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3729/2022

ATA/920/2023 du 29.08.2023 sur JTAPI/412/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3729/2022-PE ATA/920/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 août 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 avril 2023 (JTAPI/412/2023)


EN FAIT

A. a. A______ est une société anonyme inscrite le 26 juillet 2021 à Genève et qui a pour but « l'acquisition, la détention, la location, l'exploitation, l'achat et la vente d’immeuble dans le domaine des loisirs, à l'exception des opérations prohibées en Suisse par la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41) ; l'exploitation de centres de loisirs ainsi que toute activité dans le domaine de la restauration ; la société peut créer des succursales ou des filiales en Suisse et à l'étranger, participer à d'autres entreprises en Suisse et à l'étranger, acquérir ou fonder des entreprises visant un but identique ou analogue, faire toutes opérations et conclure tous contrats propres à développer son but ou s'y rapportant directement ou indirectement ; elle peut également effectuer toutes opérations financières, fiduciaires, commerciales ou industrielles, mobilières et immobilières se rattachant à la réalisation de son but ; elle peut accorder des prêts ou des garanties à ses actionnaires et à des tiers, se porter caution d'emprunts souscrits par des actionnaires ou des tiers, garantir ces emprunts par l'émission ou le nantissement de titres hypothécaires ou par la souscription de tout autre engagement financier ».

b. B______, née le ______1990, est de nationalité sénégalaise. Elle réside à Genève depuis le 31 octobre 2017 et était au bénéfice d'une autorisation de séjour pour formation valable initialement jusqu'au 31 août 2022.

Elle avait ainsi, en juillet 2017, sollicité une telle autorisation afin d'étudier auprès de l'école de journalisme de Genève (école privée) pendant deux ans, dès le mois de septembre 2017. Elle s'était engagée à retourner au Sénégal à l'issue de ses études, afin de « terminer [s]es études (3ème et dernière année de [s]a licence en Journalisme à l'IMC ».

L'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) lui avait dans un premier temps fait part de son intention de refuser sa demande, aux motifs notamment que le séjour prévu relevait de sa convenance personnelle et que sa sortie de Suisse au terme de la formation n'était pas suffisamment garantie.

B______ lui avait toutefois répondu que « Vivre à long terme en Suisse n'est, de mon point de vue, ni souhaité ni souhaitable ». Elle avait rappelé son engagement oral et écrit ainsi que sa « détermination sincère et inébranlable » à quitter le pays à l'issue de ses études.

Après obtention de l’autorisation précitée, elle en a à plusieurs reprises demandé la prolongation, en raison d'une réorganisation de son plan d'études, souhaitant effectuer un bachelor en relations internationales à l'Université de Genève, du fait que son plan d'études finirait en juin 2020, puis le 31 octobre 2020 vu la pandémie, puis pour démarrer un « master exécutif en digital marketing et communication de l'institut CREA, session 2020 - 2022 » après avoir terminé ses études en journalisme. En juin 2021, elle avait indiqué à l’OCPM vouloir participer à un stage de six mois pour valider son master auprès de l'institut CREA, jusqu’en avril 2022. Une convention de stage indiquait qu’elle devait travailler pour l'organisation internationale de la francophonie (OIF) du 12 juillet au 31 décembre 2021. En avril 2022, elle a sollicité une nouvelle fois le renouvellement de son autorisation de séjour pour études, jusqu'au 3 juin 2022, afin de soutenir son travail de master. Le 11 avril 2022, elle avait commencé un stage chez A______, lequel s’achèverait le 31 août 2021 (recte 2022).

Le 23 mai 2022, elle a demandé une prolongation de cette autorisation jusqu'au 30 novembre 2022. Elle avait terminé ses cours et obtiendrait son diplôme le 8 juillet 2022. Elle terminerait son stage chez A______ le 31 août 2022. « Cette prolongation me permettra en outre de terminer mon traitement d'orthodontie entamé en novembre ».

Le même jour, l'OCPM lui a répondu qu'il n'était pas possible de traiter sa demande de stage comme une prolongation de permis pour étudiant si elle ne l'était plus. De plus, l'école n’avait pas indiqué que le stage faisait partie intégrante des études avec le nombre de crédits s'y rapportant. Le but de son séjour était atteint dès le 3 juin 2022, date de la soutenance du travail de master. Sa présence était « tolérée jusqu'à l'obtention du diplôme soit le 8 juillet à titre exceptionnel ».

Par courriel du 23 mai 2022 encore, B______ a exposé à l’OCPM qu'elle avait besoin de quelques mois après les cours afin de préparer son retour. Après cinq ans, il était « très compliqué du jour au lendemain de partir sans au préalable boucler certaines affaires ». Elle suivait un traitement dentaire, souhaitait assister à la remise de diplôme et finir son stage chez A______. Elle demandait donc une prolongation jusqu'au mois de novembre 2022.

c. Le 24 mai 2022, l'OCPM l’a autorisée à exercer une activité lucrative auprès de A______ « valable pour la durée requise et pour autant qu'elle n'excède par l'échéance du permis de séjour », soit le 31 août 2022.

B. a. Le 19 juillet 2022, A______ a sollicité de l’OCPM que « votre automobile [sic] soit prolongée au 31 décembre 2022 ». Bien que B______ ait obtenu son diplôme, elle souhaitait pouvoir « poursuivre le stage jusqu'au terme des projets en cours de développement ».

b. Le 8 août 2022, A______ a adressé à l’OCPM une demande de permis de séjour de courte durée avec activité lucrative (permis L) en faveur de l’intéressée. Une rémunération mensuelle de CHF 1’500.- était indiquée sur le formulaire M. Un descriptif des tâches et « objectifs de stage » était joint à la demande.

c. Le 28 septembre 2022, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a demandé à A______ des informations complémentaires, y compris une réévaluation salariale conforme au calculateur national de salaires et les preuves des recherches effectuées pour démontrer le respect de l’art. 21 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

d. Par courrier du 7 octobre 2022, A______ a rappelé la situation de B______ et confirmé qu'elle n'avait pas fait de recherches.

e. Par décision du 10 octobre 2022, l’OCIRT a refusé l'octroi d’une autorisation en vue d’une activité lucrative de courte durée, non contingentée, en faveur de B______, aux motifs que le principe des art. 22 LEI et 22 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) n'était pas respecté.

L'employeur n'accordait pas à l'intéressée les conditions de rémunération usuelles à Genève, dans la profession et la branche. Seuls les stages faisant partie intégrante des études pouvaient être autorisés à certaines conditions. Or, tel n'était pas le cas. L'intéressée était par conséquent soumise aux mesures de limitation ordinaires prévues aux art. 18 ss LEI. La demande d’autorisation ne servait pas les intérêts économiques de la Suisse. L'ordre de priorité de l'art. 21 LEI n'avait pas été respecté. L'employeur n'avait pas démontré qu'aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d’un pays de l'UE et de l'AELE n'avait pu être trouvé.

C. a. Par acte du 9 novembre 2022, A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

S'il lui avait été notifié clairement qu'il fallait qu’elle soumette une demande de travail et non une prolongation de stage, le salaire minimum à Genève aurait été appliqué.

b. L’OCIRT a conclu au rejet du recours.

Le fait que l'intéressée résidait en Suisse depuis le 31 octobre 2017 au bénéfice d'une autorisation temporaire pour études ne lui conférait aucun droit à une prise d'activité. A______ n'avait pas fait la moindre recherche et n'avait pas annoncé la vacance du poste à l'office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE). Elle n’avait par conséquent pas respecté le principe de la priorité dans le recrutement. Le salaire mensuel de CHF 1'500.- ne respectait ni l'art. 22 LEI, ni le salaire minimum du canton de Genève fixé dans la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05). L'approbation de l'autorité fédérale à l'octroi d'un éventuel permis restait en tout état de cause réservée.

c. Dans une réplique du 20 février 2023, A______ a expliqué que dans la mesure où, en Suisse, un stage pouvait être renouvelé une fois, elle avait prolongé le contrat de l’intéressée jusqu'au 31 décembre 2022. Elle avait repéré son profil, correspondant au poste de « stagiaire-assistante marketing manager », sur la plateforme « C______ » de D______ éducation, où ils publiaient leurs offres de stages et d’emploi.

En cas d'autorisation, le salaire minimum à Genève (CHF 4'680.-) lui serait versé.

B______, vu son parcours, sa formation et ses engagements, était parfaitement en phase avec les dispositions de la LEI pour bénéficier d'une autorisation de travail de courte durée en Suisse.

d. Par jugement du 17 avril 2023, le TAPI a rejeté le recours.

L’intéressée étant ressortissante du Sénégal, la demande de permis déposée en sa faveur ne pouvait être examinée que sous l’angle de la LEI. Le fait qu’elle réside à Genève depuis le 31 octobre 2017 au bénéfice d'une autorisation temporaire pour études ne lui confétait aucun droit quant à une prise d'activité. Elle devait donc être considérée comme une nouvelle demandeuse d'emploi.

A______ ne contestait pas ne pas avoir effectué de recherches sur le marché local ou européen de l'emploi en vue d'engager un travailleur suisse ou ressortissant d'un pays de l'UE/AELE. Elle n'avait donc pas respecté le principe de la priorité dans le recrutement. Par conséquent, ne serait-ce que sous ce seul aspect, la décision litigieuse était fondée et il n’était pas nécessaire d'examiner si les autres motifs de refus indiqués dans la décision litigieuse étaient fondés.

D. a. A______ a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 17 mai 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative).

Ce jugement n’était pas motivé puisqu’il ne retenait qu’un motif sans s’intéresser au contexte de l’engagement de l’intéressée, qu’elle rappelait. Elle l’avait engagée dans le cadre d’un stage obligatoire qu’elle voulait prolonger jusqu’au 31 décembre 2022, ce qui n’était pas illégal en Suisse. Au sein de son entreprise, elle s’était engagée à promouvoir l’égalité des chances, de sorte que dans ses processus de recrutement elle ne distinguait ni la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques, l’ascendance nationale ou l’origine sociale. Une priorité absolue était accordée aux aptitudes professionnelles et à la réelle capacité du candidat à occuper un poste, ce qui était le cas de B______, vu ses compétences rédactionnelles, ses connaissances en marketing digital et communication et ses expériences dans le bénévolat et la vie associative à Genève. Il était aussi préférable que la collaboratrice en place puisse mener à terme des projets déjà entamés, plutôt que de recourir aux services d’un autre collaborateur pour les terminer, d’autant plus qu’elle était une jeune société.

Elle sollicitait qu’il soit donné une suite favorable à son « appel » en accordant à l’intéressée une autorisation de travail de courte durée. Celle-ci n’avait jamais émargé à l’aide sociale ni ne s’était trouvée en conflit avec les lois et la justice de son pays d’accueil. Elle s’était toujours acquittée du paiement de son impôt annuel.

b. L’OCIRT a conclu au rejet du recours en se référant au jugement entrepris et à ses précédentes écritures.

c. Dans une réplique du 24 juillet 2023, A______ a soutenu ne pas avoir violé l’ordre de priorité. Elle n’était pas allée chercher un candidat dans un pays tiers et avait légalement engagé une collaboratrice avec laquelle elle souhaitait poursuivre des projets entamés. Elle développait les raisons pour lesquelles l’admission de B______ servait les intérêts économiques du pays. C’était une travailleuse qualifiée. Sa capacité d’adaptation professionnelle et sociale, ses connaissances linguistiques ainsi que son intégration à la culture genevoise, ressortant des pièces produites, n’étaient plus à démontrer.

Selon les dispositions internationales, tout le monde avait le droit au travail et il ne devait y avoir aucune discrimination fondée sur l’ascendance nationale.

d. Les parties ont été informées, le 26 juillet 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. 2.1 Selon l’art. 65 LPA, l’acte de recours contient sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). En outre, il doit contenir l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d’irrecevabilité (al. 2).

2.2 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le juge et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/595/2020 du 16 juin 2020 consid. 2b). Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/398/2020 du 23 avril 2020 consid. 2b).

2.3 En l’espèce, la recourante a « sollicité » qu’il soit donné une suite favorable à son « appel » en accordant à l’intéressée une autorisation de travail de courte durée. Même si elle n’a pas pris de conclusions formelles, on comprend par-là qu’elle est en désaccord avec la décision de l’autorité intimée ayant refusé la délivrance d’une telle autorisation et le jugement du TAPI qui a confirmé cette décision.

Le recours est recevable.

3. L'objet du litige porte sur le refus de l'OCIRT de délivrer à la société recourante une autorisation de séjour avec activité lucrative en faveur de l’intéressée, d’origine sénégalaise.

3.1 La LEI et ses ordonnances, en particulier l’OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Sénégal.

3.2 Selon l'art. 11 al. 1 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d'une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l'autorité compétente du lieu de travail envisagé. L'art. 18 LEI prévoit qu'un étranger peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative salariée aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a) ; son employeur a déposé une demande (let. b) ; les conditions fixées aux art. 20 à 25 LEI sont remplies (let. c). Lesdites conditions sont cumulatives (ATA/361/2020 du 16 avril 2020 consid. 4b et les arrêts cités).

Les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation. En raison de sa formulation potestative, l’art. 18 LEI ne confère aucun droit à l'autorisation sollicitée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_30/2020 du 14 janvier 2020 consid. 3.1 ; ATA/361/2020 du 16 avril 2020 ; ATA/1660/2019 du 12 novembre 2019). De même, un employeur ne dispose d'aucun droit à engager un étranger en vue de l'exercice d'une activité lucrative en Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 3).

3.3 Selon le ch. 4.3.1 des Directives du secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM), domaine des étrangers, 2013, état au 1er février 2023 (ci-après : Directives du SEM) qui ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré et pourvu qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATA/1660/2019 précité consid. 4c), l'autorité doit apprécier le cas en tenant compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l'évolution économique durable et de la capacité de l'étranger concerné de s'intégrer.

3.4 S'agissant de l'implantation d'une entreprise, il est admis que le marché suisse du travail tire durablement profit de l'implantation lorsque la nouvelle entreprise contribue à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, obtient ou crée des places de travail pour la main-d'œuvre locale, procède à des investissements substantiels et génère de nouveaux mandats pour l'économie helvétique (Directives du SEM, ch. 4.7.2.1 ; arrêts du TAF C-2485/2011 du 11 avril 2013 et C-7286/2008 du 9 mai 2011).

3.5 La notion d'« intérêts économiques du pays » est formulée de façon ouverte. Elle concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s'agit, d'une part, des intérêts de l'économie et de ceux des entreprises. D'autre part, la politique d'admission doit favoriser une immigration qui n'entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l'équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d'activité, il existe une demande durable à laquelle la main-d'œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêt du TAF C‑8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 5.1 ; ATA/1147/2018 du 30 octobre 2018 consid. 7c ; ATA/1018/2017 du 27 juin 2017 consid. 4c ; Marc SPESCHA/Antonia KERLAND/Peter BOLZLI, Handbuch zum Migrationsrecht, 2ème éd., 2015, p. 173 et ss). L'art. 3 al. 1 LEI concrétise le terme en ce sens que les chances d'une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l'environnement social sont déterminantes (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 et les références citées). L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 146 et les références citées).

3.6 L’autorisation doit également s’inscrire dans les limites du contingent fixé par le Conseil fédéral (art. 20 LEI), selon un nombre maximum fixé dans l’annexe 2 OASA. L’art. 20 al. 1 1ère phr. LEI prévoit plus particulièrement que le Conseil fédéral peut limiter le nombre d’autorisations de séjour initiales (art. 32 et 33 LEI) octroyées en vue de l’exercice d’une activité lucrative. Cette compétence se trouve mise en œuvre aux art. 19, 20 et 21 OASA. Plus particulièrement, l’art. 20 al. 1 OASA dispose que les cantons peuvent délivrer des autorisations pour des séjours en vue d’exercer une activité lucrative d’une durée supérieure à un an, dans les limites des nombres maximums fixés à l’annexe 2 ch. 1 let. a OASA (arrêt du TAF C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 7.1). Compte tenu du contingent restreint accordé aux cantons, les autorités du marché de l’emploi sont contraintes de se montrer restrictives dans l’appréciation des demandes dont elles sont saisies et ne peuvent retenir que celles qui traduisent un intérêt pour la collectivité.

3.7 En vertu de l’art. 21 al. 1 LEI, un étranger ne peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative que s'il est démontré qu'aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d'un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n'a pu être trouvé.

L'admission de ressortissants d'États tiers n'est possible que si, à qualifications égales, aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un État de l'UE ou de l'AELE ne peut être recruté (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469 ss, spéc. p. 3537 ; arrêt du TAF C-2907/2010 du 18 janvier 2011 consid. 7.1 et la jurisprudence citée). Il s'ensuit que le principe de la priorité des travailleurs résidants doit être appliqué à tous les cas, quelle que soit la situation de l'économie et du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 2D_50/2012 du 1er avril 2013 ; ATA/401/2016 du 10 mai 2016).

Les employeurs sont tenus d’annoncer le plus rapidement possible aux office régionaux de placement (ORP) les emplois vacants, qu’ils présument ne pouvoir repourvoir qu’en faisant appel à du personnel venant de l’étranger. Les offices de placement jouent un rôle clé dans l’exploitation optimale des ressources offertes par le marché du travail sur l’ensemble du territoire suisse. L'employeur doit, de son côté, entreprendre toutes les démarches nécessaires – annonces dans les quotidiens et la presse spécialisée, recours aux médias électroniques et aux agences privées de placement – pour trouver un travailleur disponible. On attend des employeurs qu’ils déploient des efforts en vue d’offrir une formation continue spécifique aux travailleurs disponibles sur le marché suisse du travail (Directives du SEM, ch. 4.3.2.1 ; arrêt du TAF C-1123/2013 du 13 mars 2014 consid. 6.4 ; ATA/494/2017 précité ; ATA/24/2015 du 6 janvier 2015).

Il revient à l'employeur de démontrer avoir entrepris des recherches sur une grande échelle afin de repourvoir le poste en question par un travailleur indigène ou ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'AELE conformément à l'art. 21 al. 1 LEI et qu'il s'est trouvé dans une impossibilité absolue de trouver une personne capable d'exercer cette activité (arrêt du TAF C-6074/2010 du 19 avril 2011 consid. 5.3 ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 et les références citées).

L'employeur doit être en mesure de rendre crédibles les efforts qu'il a déployés, en temps opportun et de manière appropriée, en vue d'attribuer le poste en question à des candidats indigènes ou à des candidats ressortissants de l’UE/AELE. Des ressortissants d’États tiers ne seront contactés que dans le cas où les efforts entrepris n’ont pas abouti. Il convient dès lors de veiller à ce que ces démarches ne soient pas entreprises à la seule fin de s’acquitter d’une exigence. Elles doivent être engagées suffisamment tôt, dans un délai convenable avant l’échéance prévue pour la signature du contrat de travail. En outre, il faut éviter que les personnes ayant la priorité ne soient exclues sur la base de critères professionnels non pertinents tels que des séjours à l’étranger, des aptitudes linguistiques ou techniques qui ne sont pas indispensables pour exercer l’activité en question, etc. (Directives du SEM, ch. 4.3.2.2 ; arrêt du TAF C-1123/2013 précité consid. 6.4).

Même si la recherche d'un employé possédant les aptitudes attendues de la part de l’employeur peut s'avérer ardue et nécessiter de nombreuses démarches auprès des candidats potentiels, de telles difficultés ne sauraient à elles seules, conformément à une pratique constante des autorités en ce domaine, justifier une exception au principe de la priorité de recrutement énoncée à l'art. 21 LEI (arrêt du TAF C‑8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 8.1 ; ATA/1368/2018 précité).

La seule publication d'une annonce auprès de l'OCE, bien que diffusée également dans le système EURES, ne peut être considérée comme une démarche suffisante (ATA/1147/2018 du 30 octobre 2018 consid. 11). Par ailleurs, des démarches intervenues après un refus d'octroi d'autorisation de séjour avec activité lucrative doivent être considérées comme entreprises dans le seul but de s'acquitter des exigences légales (ATA/2/2015 du 6 janvier 2015 consid. 2c).

3.8 À teneur de l'art. 96 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (al. 1). Lorsqu'une mesure serait justifiée, mais qu'elle n'est pas adéquate, l'autorité compétente peut donner un simple avertissement à la personne concernée en lui adressant un avis comminatoire (al. 2).

4. En l’occurrence, la société est active dans le domaine de l’immobilier au sens large. La question de savoir si son activité sert les intérêts du pays peut rester ouverte, compte tenu de ce qui suit.

C’est à juste titre que la recourante ne remet pas en cause le fait que la personne qu’elle entend engager résidait à Genève depuis le 31 octobre 2017 au bénéfice d'une autorisation temporaire pour études, puis par tolérance, « à titre exceptionnel », jusqu’au 8 juillet 2022, date de soutenance de son master, ce qui ne lui confère aucun droit quant à une prise d'activité. Elle doit donc être considérée comme une nouvelle demandeuse d'emploi.

Comme exposé précédemment, l'art. 21 al. 1 LEI commande que la recourante ait démontré à satisfaction de droit qu'elle a entrepris des recherches suffisantes afin de repourvoir le poste en question par une personne indigène ou ressortissante d'un État membre de l'UE ou de l'AELE et s'est trouvée dans l'impossibilité de recruter, dans cette catégorie de personnes, un candidat apte à exercer l'emploi à repourvoir.

En l’occurrence, la société a conclu, au-delà du stage de l’intéressée se déroulant dans le cadre de son master un contrat directement avec elle sans entreprendre de quelconques démarches pour repourvoir autrement le poste en question. Au moment du dépôt de la demande d’autorisation, son choix s’était déjà porté sur la candidature de l’intéressée. Elle concède qu’elle n’avait aucunement l’intention d’engager une autre personne et, au contraire, la ferme volonté de s’adjoindre les services de l’intéressée.

On notera, au passage, que s’agissant de la possibilité pour un étranger titulaire d'un diplôme d'une haute école suisse d’être admis si son activité lucrative revêt un intérêt scientifique ou économique prépondérant, il est observé que l’intéressée a obtenu son master au plus tard après avoir soutenu son travail le 8 juillet 2022, soit il y a plus d’une année, de sorte que son engagement souhaité auprès de la recourante ne s’inscrit pas dans le délai de six mois applicable à l’exception prévue par l’art. 21 al. 1 al. 3 LEI.

Enfin, le poste recherché ne revêt pas de particularité spécifique et la recourante ne le soutient pas. Le fait qu’elle entende engager des personnes en prenant garde de ne pas être discriminante, notamment quant aux origines, n’y change rien.

Il ne se justifiait ainsi nullement de faire une exception au principe de la priorité dans le recrutement, tel que la loi en vigueur la prévoit, étant rappelé que l’autorisation de séjour en vue d’exercer une activité lucrative est soumise à des conditions strictes.

Dans ces circonstances, l'OCIRT pouvait retenir sans violer la loi ni commettre d’abus de son pouvoir d’appréciation que la recourante n’avait pas démontré qu’elle se trouvait dans l'impossibilité de trouver un travailleur correspondant aux exigences du poste sur le marché local ou européen, après avoir entrepris toutes les recherches utiles pouvant être exigées d'elle.

En l’absence du respect de l’ordre de priorité de l'art. 21 al. 1 LEI, qui constitue une condition légale cumulative à d’autres (art. 18 let. c cum 21 al. 1 LEI) en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour avec activité lucrative, la décision de l’OCIRT est conforme au droit.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 mai 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 avril 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :


Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.