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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1068/2023

ATA/916/2023 du 29.08.2023 ( PROF ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DISCIPLINAIRE;PROCÉDURE DISCIPLINAIRE;MESURE DISCIPLINAIRE;AVOCAT;PROFESSION JURIDIQUE;AUTORITÉ DE SURVEILLANCE;DEVOIR PROFESSIONNEL;AVERTISSEMENT(SANCTION)
Normes : LLCA.12.leta; LLCA.17.al1.leta; LLCA.20.al1; LPAv.43
Résumé : Recours dirigé contre une décision de la commission du barreau prononçant un avertissement à l’encontre d’un avocat pour violation de l’art. 12 let. a LLCA suite à sa dénonciation d’une fonctionnaire au Conseil d’État, avec copie au secrétariat général du Grand Conseil. Contrairement à ce qui a été retenu dans la décision litigieuse, les conclusions de l’avocat, qui était convaincu que les déclarations de la fonctionnaire dénoncée étaient erronées, ne résultent pas d’une analyse hâtive d’un rapport, mais de la rédaction approximative de ce dernier. Le recourant aurait dû nuancer ses affirmations et prendre des précautions rédactionnelles, mais les termes utilisés dans sa dénonciation ne paraissent pas excessifs ou inadmissibles, compte tenu du contexte. L’avocat, qui exerce depuis plus de 20 ans et n’a jamais fait l’objet de sanction, a agi dans l’intérêt de sa cliente et émis des regrets dès qu’il a appris que les faits relevaient d’un malentendu. Une sanction ne se justifie pas. Admission du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1068/2023-PROF ATA/916/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 août 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Stéphane GRODECKI, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU intimé



EN FAIT

A. a. A______, titulaire du brevet d’avocat depuis 2001, est inscrit au registre des avocats du canton de Vaud. Il a été mandaté par la B______ (ci-après : B______), active dans le domaine immobilier, notamment dans l’acquisition, la promotion et la construction de biens immobiliers.

b. Depuis 2014, B______ est propriétaire de la parcelle n° 765 de la commune de C______, sise en zone de développement, sur laquelle est érigée une villa.

B. a. Le 20 août 2014, le Conseil d’État a approuvé le plan localisé de quartier
(ci-après : PLQ) n° 1______ comprenant les parcelles nos 762, 763 et 764 de la même commune, sises en zone de développement. Ces parcelles sont grevées de diverses servitudes au profit d’autres parcelles environnantes, dont la parcelle
n° 765, bénéficiaire de plusieurs servitudes de restrictions d’affection et au droit de bâtir, et d’une servitude d’interdiction de surélévation de terrain.

b. Le 18 janvier 2017, les propriétaires des parcelles nos 762, 763 et 764 ont déposé une demande d’autorisation de construire en vue de réaliser un immeuble de trois allées à destination principalement d’habitation avec deux bureaux au
rez-de-chaussée et parking souterrain, pour une surface brute de plancher de
6'300 m2, qui a été enregistrée sous le n° DD 2______.

c. Le 14 juin 2019, l’autorisation de construire DD 2______ a été délivrée.

d. Par jugement du 20 février 2020, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a rejeté les recours de plusieurs voisins contre ladite autorisation (JTAPI/190/2020). Le recours interjeté contre ce jugement a été rejeté par arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 22 décembre 2020 (ATA/1359/2020), entré en force.

C. a. Le 27 février 2019, le Conseil d’État a déposé le projet de loi 12'469 (ci-après : PL 12'469) visant à déclarer d’utilité publique la construction des bâtiments prévus par le PLQ et à lui permettre de décréter l’expropriation des servitudes dont jouissait notamment B______.

b. Deux oppositions ont été formées à l’encontre du PL 12'469. La première par B______ et la seconde par neuf propriétaires représentés par un seul avocat.

c. Le 29 janvier 2020, la commission du logement du Grand Conseil, chargée d’étudier le PL 12'469, a rendu son rapport PL 12'469-A (ci-après : rapport PL-A), aux termes duquel le PL 12'469 a été accepté.

Il en ressort que A______ a été auditionné par la commission du logement et a notamment exposé que sa mandante était au bénéfice de deux servitudes particulières qui lui aménageaient une certaine tranquillité en limitant les constructions possibles. Elles avaient été créées quand le propriétaire avait consenti à la division de sa parcelle, à la condition de maintenir son environnement. Sa cliente n’avait pas fait l’objet d’une véritable proposition quant à l’expropriation des servitudes, alors que la négociation préalable était une obligation légale. Seule une mise à disposition d’une rampe d’accès lui avait été proposée, offre à prendre ou à laisser. Sa mandante souhaitait obtenir une correcte indemnisation.

Le mandataire des autres propriétaires a indiqué que ces derniers n’avaient pas les mêmes servitudes que celles évoquées par A______ et qu’il s’agissait de servitudes de voisinage croisées. Il n’y avait pas eu d’offre de la part des promoteurs, « mais la demande de renoncer sans indemnisation aux servitudes faute de quoi ils construiraient des logements sociaux et un projet maximaliste ».

D______, alors juriste à la direction administrative et juridique de l’office cantonal du logement et de la planification financière (ci-après : OCLPF), a déclaré à la commission du logement qu’il y avait en l’occurrence une limitation de la hauteur des bâtiments [projetés] et que les servitudes profitaient exclusivement à la parcelle n° 765 appartenant à B______ et à huit autres parcelles. Les servitudes n’ayant en tant que telles pas de valeur vénale selon la jurisprudence, il n’y avait normalement pas d’indemnité en cas de suppression, sauf en cas de dommage concret au propriétaire qui devait être démontré au TAPI. La propriétaire de la parcelle n° 765 n’avait pas de « servitude très particulière », puisqu’il s’agissait de servitudes empêchant de construire ou limitant l’affectation, afin de limiter tout commerce. Il s’agissait donc de servitudes très classiques que l’on trouvait en zone villas. B______ appartenait à un promoteur professionnel immobilier qui avait fait appel à l’État pour que ce dernier mette en œuvre la réalisation du PLQ sur le territoire de la commune de Genève (rues E______ et F______) par l’expropriation de 45 servitudes de restriction de bâtir. S’agissant de l’absence de négociation avant le dépôt du projet de loi, cette assertion était fausse car il y avait une correspondance qui datait de 2011 entre les différents propriétaires et les porteurs du projet. Les discussions avaient donc commencé en 2011 et une négociation avait donc bien été entamée avant que le PLQ soit adopté. Les procédures d’expropriation étaient longues et coûteuses. Les promoteurs sollicitaient par ailleurs une radiation réciproque, ce qui augmentait la valeur des terrains. La loi n’imposait pas de négociation préalable, mais dans la pratique les promoteurs et l’État le faisaient quand même.

d. Le 4 janvier 2021, le rapport PL-A a été renvoyé par le Grand Conseil à la commission du logement en raison d’éléments nouveaux.

e. Le 1er novembre 2021, ladite commission a finalisé les travaux et déposé un rapport PL 12'469-B (ci-après : rapport PL-B) le 8 novembre 2021.

D______, devenue directrice de la G______ (ci-après : G______), a été à nouveau entendue devant la commission du logement. La procédure d’autorisation de construire était achevée, l’arrêt de la chambre administrative étant entré en force, alors que la procédure de levée des servitudes suivait encore son cours. Sur question des commissaires, elle a précisé « qu’il est possible de trouver l’identité du développeur immobilier sur le registre du commerce. Celui-ci avait fait appel à l’État pour pouvoir lui-même développer un PLQ. Il a sollicité l’État pour que celui-ci recoure à l’expropriation des servitudes afin qu’il puisse développer son projet. Elle précise que ce PLQ est aussi en zone de développement ». La directrice de la G______ a ensuite été interrogée sur « la problématique des arbres » et sur l’entrée en force de l’arrêt de la chambre administrative. Le paragraphe suivant mentionne : « Sur la possibilité qu’il y ait des pourparlers entre les différentes parties concernant la radiation des servitudes en parallèle du processus qui vient d’être évoqué, Mme D______ répond que ce n’est pas le cas à sa connaissance. Elle rappelle qu’il y a eu un changement de propriétaire. Ce dont le département a été informé par les développeurs est qu’ils ont entamé des négociations qui n’ont pas abouti et que c’est pour cette raison qu’ils ont demandé à l’État de lancer une procédure d’expropriation. Généralement, si les développeurs peuvent s’entendre avec les propriétaires concernés, ils le font directement eux-mêmes en échange d’une indemnisation, car cela va beaucoup plus vite. La procédure d’expropriation n’est pas à leur avantage car elle est relativement longue ». Les discussions ont ensuite porté sur la procédure de déclaration d’utilité publique pour radier les servitudes et la condition qu’au moins 60% des surfaces brutes de plancher réalisables selon le PLQ soient destinées à l’édification de logements d’utilité publique. La directrice a notamment expliqué : « il est possible d’avoir une phase de négociation après l’entrée en force de l’autorisation de construire, mais elle précise que la négociation a pour but de faire avancer la procédure de levée des servitudes, qui est une procédure distincte de la procédure d’autorisation de construire. C’est pour cette raison que l’OCLPF a souhaité avancer avec ce dossier en parallèle afin que la procédure d’expropriation soit relativement avancée au moment de la délivrance de l’autorisation de construire. Cela permet en effet d’accélérer le processus de construction ». La partie du rapport relative aux travaux de la commission s’est achevée sur les deux paragraphes suivants : « Un commissaire (S), se référant à un projet de loi figurant à l’ordre du jour, a cru comprendre qu’il y a eu une négociation d’entrée entre le promoteur et ces personnes. Eu égard au blocage des négociations, le département a essayé d’aller de l’avant, et il demande si c’est bien le cas ». La directrice de la G______ a répondu « qu’il y a eu plusieurs négociations à partir de 2015 avec la personne titulaire des servitudes. Une somme conséquente a été proposée en échange de la radiation de la servitude. Ce mécanisme de compensation a toujours été refusé par le propriétaire en question qui estimait que sa servitude valait bien plus que la somme en question. Ses demandes n’étaient toutefois pas acceptables aux yeux du développeur. Celui-ci a donc fait appel aux services de l’État pour enclencher une procédure d’expropriation de la servitude. Cette procédure aura pour conséquence un examen par le TAPI concernant l’éventuelle indemnisation du propriétaire ».

f. Le PL-B a été voté lors de la séance du Grand Conseil du 27 janvier 2022.

D. a. Le 29 novembre 2021, A______ a écrit à sa mandante, concernant le rapport PL-B : « Tu verras qu’en page 11 in fine, il est exposé qu’une somme conséquente vous aurait été proposée par le promoteur contre la radiation des servitudes, ce qui est un pur mensonge. Je te propose dès lors de diriger votre défense, si vous en avez encore l’énergie, contre ce propos. Tu pourrais relayer auprès des députés (ton beau-frère) que cette affirmation, sur laquelle réponse [recte : repose] le préavis, est fallacieuse. Si tu le souhaites, je pourrais rechercher si un faux témoignage devant le Grand Conseil est un faux témoignage au sens pénal ».

b. Dans un courriel du 21 décembre 2021, A______ a fait part à B______ des possibilités qui s’offraient à elle pour contester le témoignage de la directrice de la G______. Il a notamment indiqué : « Malheureusement, dès lors que ses propos n’ont pas été tenus devant un tribunal ou une autorité similaire, ayant la compétence de recueillir des témoignages au sens du code pénal. En revanche, il est possible de dénoncer son comportement auprès du Conseil d’État, de la commission de gestion du pouvoir judiciaire et du département du territoire, dans le but d’initier une procédure judiciaire pour violation du devoir de fonction. Je te remercie de m’indiquer si tu souhaites que des démarches soient entamées à ce titre ». Après avoir détaillé la suite du processus jusqu’à l’expropriation, il a ajouté en fin du message : « Enfin, indépendamment de ta décision de dénoncer Mme D______ ou non, nous suggérons d’envoyer un courrier au Grand Conseil, afin de les prévenir que le rapport rendu par la Commission de logement se fonde sur des informations erronées, soit celles fournies par Mme D______– ceci est d’autant plus pertinent qu’à la lecture du rapport, plusieurs parlementaires ont évoqué la nécessité de trouver une solution amiable ».

c. Le 17 janvier 2022, A______ a adressé au Conseiller d’État en charge du département du territoire (ci-après : le département) une dénonciation visant la directrice de la G______, avec copie au secrétariat général du Grand Conseil. Il se devait de « communiquer des griefs très graves à l’encontre de la déposition » de celle-ci devant la commission du logement. Cette « déposition fausse » entachait « d’un vice grave le vote » de la commission. Il a rappelé les deux derniers paragraphes des travaux de la commission du PL-B et fait état de « fausse déclaration » et d’affirmation « tout simplement fausse », puisque les promoteurs n’avaient jamais proposé de somme quelconque à sa mandante en échange de la radiation des servitudes. Qu’une fonctionnaire de l’État « prétende faussement devant une assemblée parlementaire » que sa mandante s’était vu proposer une somme « conséquente » était « tout simplement grave et constitutif d’une violation de devoir de service ». L’intention n’avait jamais été de trouver une solution permettant à sa cliente d’être justement indemnisée, « mais uniquement de passer en force le Projet de loi ». « L’inexactitude des propos » de la directrice ne s’arrêtait pas là car elle avait « également affirmé que l’absence de solution amiable entre les parties sur la levée de servitudes relevait du fait qu’il y a eu un changement de propriétaire, et que des négociations avaient été entamées avec les nouveaux propriétaires, sans qu’elles n’aboutissent. Cette affirmation était « fausse et trompeuse », étant rappelé que les négociations auraient été initiées en 2015 alors que sa mandante était propriétaire depuis 2014. ». À la lecture du rapport, on ne pouvait que « se questionner quant aux véritables motifs » qui avaient « mené les promoteurs à ne pas offrir une indemnité adéquate lors des négociations initiales », et la directrice de la G______ « à fournir des indications fausses à cet égard » aux membres de la commission du logement. La directrice avait également expliqué que l’OCLPF avait souhaité que la procédure d’expropriation soit relativement avancée au moment de la délivrance de l’autorisation de construire, ce qui permettait d’accélérer le processus de construction. Ainsi, « l’empressement avec lequel le département a procédé à l’élaboration du projet de loi, en l’absence de réelles négociations, avait pour but de placer [sa] mandante dans une position de faiblesse, la contraignant ainsi à céder en acceptant un montant dérisoire d’entrée de jeu, ou à faire face à une procédure d’expropriation coûteuse, dont l’issue serait imminente compte tenu de la rapidité avec laquelle la procédure a été initiée. Cette façon de procéder n’est tout simplement pas acceptable lorsqu’il s’agit de porter atteinte au droit fondamental à la propriété ». Ainsi, « il ne fait aucun doute » que ces faits étaient » constitutifs d’une violation du devoir de service » de la directrice. « Une communication de faits faux, montés de toutes pièces par l’exécutif pour obtenir qu’une loi soit promulguée porte une atteinte grave au principe constitutionnel de l’État. L’atteinte est d’autant plus grave, qu’elle a été commise dans le but de privilégier la mise en œuvre d’un PLQ certes, mais également des intérêts de promoteurs privés, dispensés de compenser la levée des servitudes à leur juste prix ». La directrice avait porté préjudice à l’État et abusé de la confiance qui lui était attribuée par la fonction.

E. a. Le 23 février 2022, le Conseiller d’État a saisi la commission du barreau d’une dénonciation à l’encontre de A______, lui reprochant d’avoir jeté le discrédit sur la directrice de la G______, titulaire du brevet d’avocat, sur sa probité, ses compétences professionnelles, sa considération et son honneur, sur la base d’affirmations inexactes. Les citations mises dans la bouche de la directrice par l’avocat ne concernaient pas la B______, mais portaient sur un autre projet de loi
(PL 12'601-A) alors porté à l’ordre du jour du Grand Conseil. Cela ressortait expressément d’une citation d’un commissaire « se référant à un projet de loi figurant à l’ordre du jour ». En outre, le rapport PL-B visait la levée de « plusieurs servitudes » dont « plusieurs propriétaires voisins » étaient titulaires, et B______ était titulaire de « plusieurs servitudes ». Or, dans la citation que A______ entendait utiliser à l’encontre de la directrice de la G______, il n’était fait état « que d’une personne titulaire d’une servitude, respectivement d’un propriétaire opposé à la levée de son unique servitude ». En outre, l’extrait faisait référence à des négociations ayant eu lieu à partir de « 2015 », alors que le rapport PL-A faisait état d’une correspondance échangée en « 2011 ». Ainsi, l’avocat n’avait pas pu raisonnablement comprendre que les explications développées par la directrice concernaient le PL 12'469 ni reconnaître sa mandante dans les descriptions, alors qu’elle n’avait pas été désignée. En tout état, les négociations avaient débuté dès 2011, de sorte que les explications de la directrice étaient parfaitement cohérentes avec l’acquisition de la parcelle n° 765 par B______ en 2014. A______ avait signé personnellement le courrier de dénonciation, usant de sa qualité d’avocat et des compétences y rattachées, et renforçant ainsi ses accusations portées de manière publique. Sa dénonciation figurait désormais dans la correspondance du Grand Conseil.

b. Le même jour, le Conseiller d’État a informé A______ qu’il procédait à sa dénonciation auprès de la commission du barreau, reprenant pour l’essentiel l’argumentation développée dans le courrier précité.

c. En date du 1er mars 2022, A______ a répondu au Conseiller d’État, en son propre nom. Il avait conclu de bonne foi et raisonnablement que les paragraphes en cause concernaient le PL 12'469 et la SGFI. Les faits relevaient finalement d’un malentendu, non décelable à la lecture du rapport, qui ne lui était pas imputable. Il était « évident » qu’il déplorait les conséquences subies par la directrice qui n’avait pas affirmé des éléments faux et trompeurs en vue de la promulgation d’une loi.

d. Par écritures des 17 octobre et 29 novembre 2022, suite à l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre, A______, représenté par un avocat, a communiqué ses observations à la commission du barreau.

e. Par décision du 13 février 2023, notifiée le 20 février 2023, la commission du barreau a constaté que A______ avait violé l’art. 12 let. a de loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), lui a infligé un avertissement et mis à sa charge les frais de la procédure comprenant un émolument de CHF 600.-.

Sans qu’il soit nécessaire de se livrer à une exégèse du rapport PL-B, on pouvait admettre que la lecture proposée par l’avocat des propos tenus par la directrice de la G______ lors de son audition procédaient d’une « analyse hâtive et superficielle ». « Vu la référence à "un autre projet de loi" dans la bouche du commissaire qui posait la question, et compte tenu de ce que les circonstances évoquées par la fonctionnaire divergeaient sensiblement de la situation intéressant la B______, l’homme de loi aurait pu se demander si elle ne parlait pas d’autre chose, plutôt que de retenir précipitamment qu’elle avait affirmé le faux ».

Cela étant, rien ne permettait de retenir que l’avocat avait « agi sciemment, de mauvaise foi ». Il apparaissait bien plutôt qu’il avait commis « une erreur d’appréciation, tirant des conclusions hâtives, peut-être trop heureux d’avoir cru identifier un moyen susceptible de permettre à sa mandante d’éviter le vote du projet de loi qu’elle combattait, étant encore souligné qu’il y avait une certaine urgence. Cette erreur d’appréciation, dictée par la volonté de défendre les intérêts de la cliente », était « malheureuse dans ses conséquences », ce que l’avocat semblait admettre, « du bout des lèvres sous sa plume, plus franchement sous celle de son conseil », mais ne relevait « pas d’un manquement significatif aux devoirs de la profession ».

Certes, la dénonciation était une voie de droit à la disposition des administrés permettant d’attirer l’attention de l’autorité hiérarchique ou de surveillance sur un possible comportement contraire aux devoirs de la personne dénoncée, nécessitant une intervention. Néanmoins, dans le cas d’espèce, le véritable objectif était autre, puisqu’il s’agissait d’utiliser le dépôt de la dénonciation pour mieux convaincre le pouvoir législatif de surseoir à l’adoption du PLQ.

L’ouverture d’une procédure disciplinaire, qui plus était dans le contexte de rapports de travail au sein de la fonction publique, était susceptible d’être lourde de conséquences pour la personne visée, ne serait-ce qu’au plan psychologique. Une dénonciation ne saurait ainsi être entreprise à la légère. Il incombait à l’avocat dans ce contexte de prendre des précautions rédactionnelles, dans la mesure du possible. En l’occurrence, il aurait pu se contenter de souligner l’inexactitude, selon son interprétation, des propos de la directrice et se borner à indiquer qu’elle était susceptible de relever d’une violation des devoirs de fonction. En tout état, il aurait dû s’abstenir de prétendre que l’objectif de l’intéressée était non seulement d’obtenir l’adoption du PLQ, mais également de privilégier les intérêts de
promoteurs privés et encore davantage d’inviter à s’interroger sur les raisons de ce comportement, prématurément car sans réserves, « taxé de "malhonnête", ce qui revenait à distiller le soupçon que la fonctionnaire eût pu être guidée par une proximité avec les promoteurs, voire la recherche d’un avantage ». La retenue s’imposait d’autant plus que la dénonciation s’apparentait davantage à un moyen stratégique qu’à une fin en soi, sans égards pour les conséquences qu’elle pouvait avoir sur la fonctionnaire en cause. Ces excès de plume étaient d’autant plus critiquables que l’avocat s’était également adressé au Grand Conseil, soit un cercle de personnes large.

L’intéressé avait ainsi dépassé les « bornes » d’une défense énergique mais admissible des intérêts de sa cliente et contrevenu à son devoir de dignité, dénonçant avec virulence une fonctionnaire afin de mieux asseoir la position de sa cliente, sans égards pour le préjudice qu’il pouvait ainsi causer à l’intéressée. Il fallait toutefois tenir compte de ce qu’il avait agi dans l’urgence et dans l’intention de veiller au respect des intérêts qu’il était chargé de sauvegarder. L’autorité de surveillance devait faire preuve de retenue pour déterminer si les limites de l’acceptable avaient été dépassées ou non et, en cas de réponse affirmative, pour choisir la sanction. La faute était en fait moins lourde dans un domaine où la frontière était difficile à tracer. Enfin, il fallait tenir compte des regrets exprimés par l’avocat, même si ce n’était que tardivement, et du fait qu’il n’avait pas d’antécédents disciplinaires. Le prononcé d’un avertissement était suffisant.

F. a. Par acte expédié le 22 mars 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre ladite décision. Il a conclu préalablement à la tenue d’une audience de comparution personnelle et, cela fait, à l’annulation de la décision du 13 février 2023 et au classement de la procédure de la commission du barreau. Le recourant a invoqué une violation de son droit d’être entendu, une constatation arbitraire des faits, une constatation inexacte des faits, une violation de l’art. 12 let. a LLCA, de l’art. 16 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et de l’art. 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950
(CEDH - RS 0.101).

Ses arguments seront repris dans la mesure nécessaire au traitement du litige.

b. L’autorité intimée s’est référée aux considérants de sa décision, tout en relevant que les développements longuement consacrés par le recourant à sa compréhension du rapport de la commission du logement étaient dénués de pertinence, sa décision retenant qu’il n’avait pas été de mauvaise foi, de sorte qu’elle n’avait retenu aucun manquement à ses obligations professionnelles.

c. Le recourant a répliqué le 9 mai 2023. Les observations de l’intimée étaient imprécises et son raisonnement erroné. Elle ne pouvait considérer qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une exégèse du rapport ou que la lecture qu’il avait faite de ce dernier n’avait aucune importance, puisque ces éléments constituaient précisément la base factuelle sur laquelle reposaient ses critiques.

d. Lors d’une audience tenue le 26 juin 2023, à laquelle l’intimée a été excusée, la juge déléguée a entendu A______.

Ce dernier a notamment confirmé qu’à la lecture du rapport litigieux, ni lui, ni sa collaboratrice, ni sauf erreur la stagiaire, ni encore sa mandante, n’avaient eu le moindre doute s’agissant de ce qu’ils avaient considéré être de faux propos de la part de la directrice de la G______. Il avait choisi la voie de la dénonciation au Conseil d’État plutôt qu’un courrier à la G______ car ils n’avaient aucun doute sur la tenue de propos mensongers, ignorant toutefois s’il s’agissait d’un oubli, d’une négligence ou d’un acte intentionnel. Ils n’avaient pas le temps, puisque le processus législatif était sur le point d’aboutir et ils devaient donc saisir une voie de droit rapidement et en parallèle en informer le Grand Conseil qui allait statuer à brève échéance. Sa seule intention était de défendre les intérêts de sa mandante dont le droit constitutionnel de la garantie de propriété était sérieusement en danger.

L’avertissement l’avait affecté personnellement et le prononcé d’une sanction, si elle devait être maintenue, le conduisait à s’interroger sur la capacité des avocats à pratiquer. Souvent les faits qu’ils couchaient dans leurs écritures ou dont ils faisaient état devant l’autorité étaient moins certains que ceux dont il avait la compréhension au moment de l’envoi de la dénonciation, qui était la première qu’il avait déposée dans ce genre de circonstances.

Il ne connaissait aucune des personnes concernées par le projet en cause. Les conséquences n’avaient pas été importantes pour la directrice car en définitive elle n’avait pas tenu de propos mensongers et l’affaire s’était rapidement réglée.

e. La cause a été gardée à juger à l’issue de l’audience.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑
LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L’objet de la procédure est la décision de la commission du barreau du
13 février 2023 prononçant un avertissement à l’encontre du recourant.

3.             Selon l’art. 12 let. a LLCA, l’avocat doit exercer sa profession avec soin et diligence.

L’art. 17 al. 1 let. a LLCA prévoit qu’en cas de violation d’une règle professionnelle, l’autorité de surveillance (cantonale) peut prononcer à l’encontre d’un avocat, entre autres mesures disciplinaires, un avertissement.

L’art. 20 al. 1 LLCA précise que l’avertissement est radié du registre cantonal des avocats cinq ans après son prononcé.

3.1 La commission du barreau exerce une fonction d’autorité de surveillance des avocats par la LLCA, ainsi que les compétences attribuées par la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10).

En matière disciplinaire, l’art. 43 LPAv stipule que la commission du barreau statue sur tout manquement aux devoirs professionnels et prononce selon la gravité du cas des sanctions énoncées à l’art. 17 LLCA.

3.2 L’avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l’art. 12 LLCA. Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l’intérêt public, la profession d’avocat, afin d’assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l’égard des avocats
(ATF
135 III 145 consid. 6.1).

L’obligation de diligence imposée à l’art. 12 let. a LLCA est directement déduite de l’art. 398 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220). Elle interdit à l’avocat d’entreprendre des actes qui pourraient nuire aux intérêts de son client (Walter FELLMANN, Kommentar zum Anwaltsgesetz, 2011, n. 25 ad art. 12 LLCA) et lui impose un devoir de fidélité et de loyauté (ATF 135 II 145 consid. 9.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_358/2014 du 12 décembre 2014 consid. 3.1 et les références citées).

L’art. 12 LLCA constitue une clause générale qui permet d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession. Elle ne se limite pas aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations de l’avocat avec les confrères, ainsi qu’avec toutes les autorités
(ATF 144 II 473 consid. 4.1 et les arrêts cités) et non seulement les autorités judiciaires stricto sensu (arrêts du Tribunal fédéral 2C_101/2023 du 11 mai 2023 consid. 6.1 ; 2C_167/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.4).

Si un avocat se voit certes reconnaître une large marge de manœuvre s’agissant de déterminer les moyens et stratégies qui sont les plus aptes à la défense des intérêts de ses clients, il doit néanmoins demeurer circonspect. La jurisprudence a souligné que l’avocat est le « serviteur du droit », dans la mesure où sa mission est de conseiller et soutenir ses clients dans la poursuite de leurs intérêts juridiquement protégés. En ce sens, l’avocat assume une tâche essentielle à l’administration de la justice en garantissant le respect des droits des justiciables et joue ainsi un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Dans ce cadre, il doit se montrer digne de confiance dans les relations avec les autorités judiciaires ou administratives et s’abstenir de tout acte susceptible de remettre en question cette confiance (ATF 144 II 473 consid. 4.3 et les références citées).

3.3 Toute violation du devoir de diligence contractuel n’implique pas l’existence d’un manquement de nature disciplinaire au sens de l’art. 12 let. a LLCA. Cette disposition suppose l’existence d’un manquement significatif aux devoirs de la profession. L’avocat ne risque une sanction disciplinaire que lorsqu’il viole de manière intentionnelle ou gravement négligente son devoir de diligence. Un mauvais conseil ou une erreur de procédure, s’ils peuvent entraîner une responsabilité contractuelle de l’avocat, n’ont pas de conséquences disciplinaires (ATF 144 II 473 consid. 4).

De jurisprudence constante, l’avocat qui peut se prévaloir de la liberté d’opinion (art. 16 Cst.), dispose d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice, tant qu’il le fait dans le cadre de la procédure, que ce soit dans ses mémoires ou à l’occasion de débats oraux. Cette liberté de critiquer l’administration de la justice implique de devoir s’accommoder de certaines exagérations
(ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 ; ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_101/2023 du 11 mai 2023 consid. 6.1). Si l’avocat se voit interdire une critique non fondée, il ne lui est plus possible de présenter sans risque une critique éventuellement fondée. L’avocat n’agit contrairement à ses devoirs professionnels et, partant, de façon inadmissible, que s’il formule des critiques de mauvaise foi ou dans une forme attentatoire à l’honneur, au lieu de se limiter à des allégations de fait et à des appréciations mesurées (arrêts du Tribunal fédéral 2C_101/2023 du
11 mai 2023 consid. 6.1 ; 2C_167/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.5).

Tombe dans l’excès et viole son devoir de diligence l’avocat qui se sert de moyens juridiques inadéquats pour exercer des pressions (François BOHNET/
Vincent MARTENET, Droit de la profession d’avocat, 2009, p. 531 n. 1257), d’autant plus lorsque de tels moyens peuvent jeter le discrédit sur la personne concernée (arrêts du Tribunal fédéral 2A.448/2003 du 3 août 2004 consid. 5 ; 2P.263/1999 du 12 novembre 1999 consid. 4 in Rep. 1999 p. 94, RDAT 2000 II 55 n. 14). Tel est le cas lorsque l’avocat dépose des plaintes pénales à l’encontre de magistrats pour abus de pouvoir et tentative de contrainte sans disposer d’éléments permettant de confirmer l’exactitude de ses graves reproches (arrêts du Tribunal fédéral 2P.304/2002 du 9 avril 2003 consid. 4.3.1 in Pra 2004 16 n. 3 ; 2P.212/2000 du 5 janvier 2001 consid. 3c). La même conclusion s’impose à l’égard de l’avocat qui porte plainte contre des fonctionnaires, notamment pour contrainte, sans avoir consciencieusement examiné auparavant si les éléments à sa disposition pouvaient lui permettre de conclure à la justesse de la thèse de son mandant (décision de la Commission de surveillance des avocats du canton de Bâle-Ville du 5 mai 2000 in BJM 2004 p. 217 ; François BOHNET/Vincent MARTENET, op. cit., p. 534
n. 1264).

3.4 L’autorité de surveillance doit faire preuve d’une certaine réserve dans son appréciation du comportement de l’avocat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.3). L’art. 12 let. a LLCA est une disposition subsidiaire. Pour que le comportement d’un avocat justifie une sanction au sens de cette disposition, la violation du devoir de prudence doit atteindre une certaine gravité qui, au-delà des sanctions relevant du droit des mandats, nécessite, dans l’intérêt public, l’intervention proportionnée de l’État (arrêt du Tribunal fédéral 2C_933/2018 du 25 mars 2019 consid. 5.1).

La chambre administrative examine librement si le comportement incriminé contrevient à l’art. 12 let. a LLCA (art. 67 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.318/2006 du 27 juillet 2007 consid. 12.1 ; ATA/258/2021 du 2 mars 2021 consid. 7).

4.             En l’espèce, l’intimée a considéré que le recourant avait procédé à une analyse « hâtive et superficielle » des propos tenus par la directrice de la G______ et qu’il avait commis une « erreur d’appréciation ».

Si elle n’a pas retenu que l’avocat avait agi sciemment ou de mauvaise foi, ni qu’il avait manqué de façon significative aux devoirs de la profession, elle lui a reproché de ne pas avoir pris suffisamment de précautions rédactionnelles, notamment en mentionnant que l’objectif de la directrice était également de privilégier les intérêts de promoteurs privés, en taxant son comportement de « malhonnête », en jetant ainsi sur elle le soupçon d’avoir été guidée par une proximité avec les promoteurs, voire la recherche d’un avantage. Elle lui a également fait grief de s’être adressé au Grand Conseil et a tenu compte de regrets exprimés tardivement.

4.1 Les conclusions de l’intimée quant à l’analyse « hâtive et superficielle » du recourant reposent sur deux motifs : d’une part, la référence à « un autre projet de loi » dans la bouche du commissaire qui avait posé la question et, d’autre part, en raison des circonstances évoquées par la directrice, lesquelles divergeaient sensiblement de la situation de B______.

4.1.1 La chambre de céans relève toutefois avec le recourant que, contrairement à ce qu’indique la décision litigieuse, le libellé du rapport ne mentionne justement pas qu’il était fait référence à un « autre projet de loi ».

Les termes exacts figurant dans le rapport PL-B (p. 11, deux derniers paragraphes) sont les suivants :

« Un commissaire (S), se référant à un projet de loi figurant à l’ordre du jour, a cru comprendre qu’il y a eu une négociation d’entrée entre le promoteur et ces personnes. Eu égard au blocage des négociations, le département a essayé d’aller de l’avant, et il demande si c’est bien le cas.

Mme D______ répond qu’il y a eu plusieurs négociations à partir de 2015 avec la personne titulaire des servitudes. Une somme conséquente a été proposée en échange de la radiation de la servitude. Ce mécanisme de compensation a toujours été refusé par le propriétaire en question qui estimait que sa servitude valait bien plus que la somme en question. Ses demandes n’étaient toutefois pas acceptables aux yeux du développeur. Celui-ci a donc fait appel aux services de l’État pour enclencher une procédure d’expropriation de la servitude. Cette procédure aura pour conséquence un examen par le TAPI concernant l’éventuelle indemnisation du propriétaire ».

Ainsi, la formulation utilisée dans le seul document à disposition du recourant, lequel n’avait accès ni à l’ordre du jour de la séance, ni au procès-verbal de l’audition de la directrice, manque de rigueur, faute d’indiquer si la question du commissaire se référait « à un autre projet de loi » ou « au projet de loi », ce qui engendre une ambigüité certaine.

4.1.2 S’agissant des « circonstances évoquées » par la directrice de la G______, elles comprennent plusieurs éléments, soit « la personne titulaire des servitudes », l’existence de « plusieurs négociations à partir de 2015 », la demande du « développeur » qui a « fait appel aux services de l’État pour enclencher une procédure d’expropriation de la servitude » qui entraînera « un examen par le TAPI concernant l’éventuelle indemnisation du propriétaire ».

En ce qui concerne le premier élément, le paragraphe litigieux contient une contradiction, puisqu’il cite alternativement la personne titulaire « des servitudes », puis « la » et « sa » servitude, ce qui vient confirmer le manque de précision dans la rédaction du rapport et l’incertitude qui en découle. Le recourant ne pouvait donc pas en déduire que la discussion ne visait plus sa cliente au motif que cette dernière disposait de plusieurs servitudes. De même, la mention de « la titulaire », alors que le projet PL 12'469 concerne B______ ainsi que plusieurs autres propriétaires, n’était pas propre à semer le doute. En effet, les rapports PL-A et PL-B ont constamment effectué une distinction claire entre B______, « voisin direct » des parcelles concernées par l’autorisation de construire, représentée notamment par le recourant, et les autres titulaires des servitudes, situés à « proximité immédiate », représentés par un autre avocat (rapport PL-B, p. 7, 12, etc.). Le traitement et l’examen des oppositions mentionnent ainsi « les opposants et l’opposante » (rapport PL-B, p. 12 ss) et uniquement l’opposante lors de l’examen d’un grief qu’elle a été seule à soulever (rapport PL-B p. 21). Le recourant pouvait donc légitimement penser que « la titulaire » visée par la directrice désignait sa cliente.

La mention de « plusieurs négociations à partir de 2015 », alors que les discussions ont débuté en 2011 dans l’affaire concernant le PL 12'469, ne pouvait permettre au recourant de saisir que le débat avait soudainement porté sur un autre projet de loi. Il est rappelé que B______ a acquis la parcelle n° 765 en 2014 et n’a donc pas participé aux pourparlers de 2011. La directrice a d’ailleurs signalé le changement de propriétaire et relaté que les négociations alors entreprises par les développeurs n’avaient pas abouti. Ainsi, l’« offre conséquente » qui aurait été faite à B______ ne pouvait en aucun cas intervenir avant 2014, ce qui permettait d’expliquer que la directrice ne se soit pas référée aux négociations antérieures. D’ailleurs, celle-ci a parfois fait état des discussions survenues en 2017 sans rappeler celles de 2011. À titre d’exemples, lors de sa première audition, elle a indiqué que « les différents propriétaires et copropriétaires de ces servitudes ont été interpellés en 2017 par les porteurs du projet en vue d’obtenir une radiation des servitudes à l’amiable » (rapport PL-A p. 2). Interrogée sur une éventuelle proposition de compensation financière, elle a répondu « au printemps 2017, les porteurs du projet avaient demandé la renonciation des servitudes dans le cadre de leurs rapports de droit privé » (rapport PL-A, p. 4). Ces deux extraits ne mentionnent ainsi pas les premières négociations de 2011. En outre, les rapports paraissent incomplets, voire inexacts, s’agissant du contenu des négociations, puisque la directrice n’a pas fait référence à l’offre mentionnée par le recourant, « à prendre ou à laisser », consistant en la mise à disposition d’une rampe d’accès à un garage (rapport PL-A, p. 8), et qu’il est mentionné : « Il convient de rappeler que les opposants et l’opposante ont d’abord été interpelés au sujet de la radiation des servitudes par les porteurs du projet en 2011 et en 2017 » (rapport PL-A, p. 30), ce qui ne peut pas être le cas, puisque l’opposante n’était pas encore propriétaire en 2011. Compte tenu de la rédaction approximative du rapport, le recourant ne pouvait avoir de raison de penser que les négociations concernaient en réalité un autre projet de loi.

Enfin, les propriétaires des parcelles nos 762, 763 et 764 ont également sollicité l’État afin qu’il entame une procédure d’expropriation, ce qui entraînera un examen par le TAPI d’une éventuelle indemnisation. Les situations des deux projets de loi sont identiques sur ce point.

4.1.3 Partant, il ne saurait être reproché au recourant de s’être livré à une « analyse hâtive et superficielle » du rapport et d’avoir conclu « précipitamment » que les déclarations de la fonctionnaire dénoncée étaient erronées.

Ce d’autant plus que la partie du rapport PL-B qui concerne l’audition de la directrice (« Travaux de la commission », rapport PL-B, p. 3 à 12) comporte
47 paragraphes, dont seuls les deux derniers concernent un autre projet de loi, sans que l’attention du lecteur ne soit attirée sur ce changement. C’est encore le lieu de relever que lorsque d’autres objets ont été abordés durant le premier examen de la commission du logement, ceux-ci ont été expressément désignés (rapport PL-A,
p. 6 : « PLQ 3______ [adopté le 28 février 2018] », « PLQ 4______ »,
« PLQ 5______ ») ou étaient à tout le moins facilement identifiables (rapport PL-A, p. 11 : « 3 PLQ adoptés entre 1993 et 2005 », « Juste à côté du périmètre concerné par le PL 12'469, il y a un PLQ réalisé qui date de 1997 », etc.). On aurait donc pu s’attendre à ce que le PL 12'601-A soit spécifiquement cité.

4.2 S’agissant du contenu de la dénonciation elle-même, l’intimée admet que le recourant a utilisé une voie de droit à sa disposition, mais elle lui fait le reproche de s’en être servi pour « permettre à sa mandante d’éviter le vote du projet de loi qu’elle combattait », et non pour dénoncer un comportement contraire au devoir nécessitant une intervention.

La motivation que l’intimée prête au recourant est discutable. En effet, il ressort du courriel que ce dernier a adressé à sa cliente le 21 décembre 2021 qu’il lui a suggéré, si elle choisissait de ne pas dénoncer la fonctionnaire, de « tout de même écrire au Département, afin de nous offusquer des propos tenus ». Il a donc voulu signaler les déclarations de la fonctionnaire qu’il tenait pour fausses et a eu recours au moyen adéquat pour ce faire.

Contrairement à ce que suggère la décision entreprise, le recourant n’a pas utilisé le terme « malhonnête » dans son courrier du 17 janvier 2022. Il a en revanche noté que l’affirmation de la fonctionnaire relative à la « somme conséquente » était
« fausse et trompeuse », que la fonctionnaire avait ainsi donné des « indications fausses », fait une « déposition fausse », qu’elle avait prétendu « faussement » que sa mandante s’était vu proposer un certain montant. Elle avait également
« faussement affirmé » que l’absence de solution tenait à un changement de propriétaire avec lequel les négociations avaient échoué. En se limitant à qualifier les déclarations de fausses et trompeuses, le recourant a émis des allégations de fait et des appréciations, sans utiliser des termes attentatoires à l’honneur de la personne dénoncée. Il s’est d’ailleurs bien gardé de dénoncer un « mensonge », terme qu’il a réservé à l’attention de sa cliente, dans un courriel qu’il n’a produit que pour démontrer qu’il était convaincu que la directrice faisait référence à sa cliente et qu’il n’avait pas du tout conscience de son erreur.

Concernant la phrase : « À la lecture du Rapport, on ne peut que se questionner quant aux véritables motifs qui ont mené les promoteurs à ne pas offrir une indemnité adéquate lors des négociations initiales, et Mme D______ à fournir des indications fausses à cet égard aux membres de la Commission du logement », il sied de rappeler que B______ n’a jamais reçu la moindre proposition de compensation financière. Les interrogations de l’avocat étaient donc compréhensibles, puisqu’il était persuadé que la directrice avait soutenu le contraire. Comme déjà observé, la méprise du recourant ne résulte pas d’un examen peu consciencieux de sa part, mais de la rédaction approximative du rapport PL-B.

Enfin, le recourant a noté : « une communication de faits faux, montés de toutes pièces par l’exécutif pour obtenir qu’une loi soit promulguée porte une atteinte grave au principe constitutionnel de l’État. L’atteinte est d’autant plus grave, qu’elle a été commise dans le but de privilégier la mise en œuvre d’un PLQ certes, mais également des intérêts de promoteurs privés, dispensés de compenser la levée des servitudes à leur juste prix. En effet, comme exposé lors de séance devant la commission du logement, compte tenu de la contrainte exercée envers ma mandante par l’expropriation, cette dernière ne disposerait plus, en cas de promulgation de la loi et subséquemment de l’arrêt d’expropriation, du moindre pouvoir de négociation. Il est ainsi évident que […] Mme D______ a porté préjudice à l’État, en portant directement atteinte au principe fondamental de la séparation des pouvoirs, mais elle a également abusé de la confiance qui lui est attribuée par sa fonction ».

Certes, le recourant aurait dû s’abstenir de prêter des intentions à la directrice, ou de façon plus large au département. Il aurait également dû nuancer ses affirmations, se montrer plus circonspect et prendre des précautions rédactionnelles, en utilisant par exemple le conditionnel. Toutefois, ses propos ne paraissent pas excessifs et inadmissibles, compte tenu du contexte. Comme développé par l’intéressé dans ses écritures, la directrice de la G______ a expliqué que l’OCLPF avait voulu que la procédure d’expropriation soit relativement avancée au moment de la délivrance de l’autorisation de construire, afin « d’accélérer le processus de construction ». La priorité était ainsi clairement donnée à la réalisation du projet, ce qui profitait effectivement aux promoteurs, au détriment des autres propriétaires, dont la cliente du recourant qui n’avait pas participé à de réelles négociations et qui pouvait se sentir injustement lésée. La directrice a en outre fait référence à plusieurs reprises à la qualité de promoteur immobilier de B______ et relevé que cette société avait demandé et obtenu l’expropriation de 45 servitudes de restrictions de bâtir pour développer un projet en zone de développement. Cette évocation pouvait effectivement être comprise comme la suggestion que B______ pouvait à son tour subir une telle expropriation, sans qu’une juste indemnisation ne doive lui être proposée. De plus, la directrice a déclaré que la loi n’imposait pas de négociations préalables, mais que les promoteurs et l’État le faisaient quand même dans la pratique (rapport PL-A, p. 15) et que « Généralement, si les développeurs peuvent s’entendre avec les propriétaires concernés, ils le font directement eux-mêmes en échange d’une indemnisation, car cela va beaucoup plus vite » (rapport PL-B, p. 8). Étant donné que les porteurs d’un projet indemnisent habituellement les titulaires des servitudes pour éviter une longue et coûteuse procédure d’expropriation, le recourant pouvait être déconcerté qu’aucune offre valable n’ait été faite à sa mandante et que l’OCLPF veuille aller rapidement de l’avant. Ce d’autant plus que sa cliente bénéficiait de nombreuses servitudes qui avaient été précisément prévues par le précédent propriétaire pour garantir le même environnement. À cet égard, il peut encore être relevé que la directrice a indiqué que la mandante du recourant ne bénéficiait pas de servitudes « particulières » car il s’agissait de servitudes « très classiques » en zone villas. Sans autre argumentation, cette affirmation est peu compréhensible puisque la parcelle en question est située en zone de développement et que les servitudes sont différentes de celles de tous les autres propriétaires concernés. Le recourant pouvait ainsi tenir ses critiques pour fondées.

4.3 Il ressort des rapports PL-A et PL-B que plusieurs commissaires avaient sollicité des informations quant à l’existence de négociations préalables et la possibilité de trouver une solution à l’amiable, de sorte que ces éléments étaient importants et justifiaient que le recourant les soulève, dans l’intérêt de sa cliente.

Compte tenu de la séance du Grand Conseil du 27 janvier 2022 et du vote imminent sur le PL-B, le recourant disposait de peu de temps et a agi dans l’urgence. S’il s’était contenté de demander des explications à la personne dénoncée ou de signaler les faits au Conseiller d’État, les membres du Grand Conseil n’auraient probablement pas été renseignés à temps sur l’existence d’indications « erronées » contenues dans le rapport.

4.4 Enfin, dès réception du courrier du Conseiller d’État l’informant que les propos échangés entre le commissaire et la directrice s’agissant de la « somme conséquente » ne visaient pas sa mandante, le recourant a immédiatement admis que la directrice n’avait rien affirmé de faux ou de trompeur et il a expressément déploré les conséquences subies par l’intéressée. Il n’a donc pas tardé à émettre des regrets.

Enfin, il ressort du dossier que le recourant, auquel on peut reprocher un manque de distance et de réserve, exerce la profession d’avocat depuis plus de 20 ans et n’a jamais fait l’objet d’une sanction disciplinaire.

Eu égard à tout ce qui précède, la chambre de céans considère que le recourant n’a pas violé son devoir de diligence et que le prononcé d’une sanction ne se justifie pas.

5.             Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision de l’intimée annulée. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 2e phrase LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

Le dénonciateur n’étant pas partie à la procédure devant la chambre de céans, ni le présent arrêt ni son dispositif ne lui seront notifiés (ATA/475/2015 du
19 mai 2015 ; ATA/388/2014 du 27 mai 2014 ; ATA/132/2014 du 4 mars 2014 et les références citées). La tâche d’informer le dénonciateur reviendra ainsi à la commission (ATA/475/2015 précité).

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 mars 2023 par A______ contre la décision de la commission du barreau du 13 février 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision de la commission du barreau du 13 février 2023;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Stéphane GRODECKI, avocat du recourant, ainsi qu’à la commission du barreau.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Florence KRAUSKOPF,
Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN,
Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :