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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1070/2023

ATA/453/2023 du 02.05.2023 ( DIV ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1070/2023-DIV ATA/453/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 2 mai 2023

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

A______ 

M. B______
représentés par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ



Vu, en fait, le recours pour déni de justice formé le 22 mars 2023 par l’A______(ci-après : A______) et M. B______ contre le refus du département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS) de statuer sur leurs prétentions en constatation et en cessation du traitement illicite des données du personnel du corps de police ; qu’ils ont conclu que soit constaté le déni de justice commis par la responsable juridique départementale du DSPS, le caractère illicite de l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois et ordonné qu’il y soit mis fin ; que subsidiairement, le DSPS devait se voir ordonner, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), de rendre dans les dix jours suivant le prononcé de l’arrêt, une décision sujette à recours constatant l’illicéité et mettant fin à l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois ; que sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, il devait être ordonné au DSPS, à réception du recours, de suspendre l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois jusqu’à droit jugé au fond ;

qu’ils avaient interpellé le directeur de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) le 11 mai 2021 au sujet de l’introduction des « bodycams » dans la prison de Champ‑Dollon, s’interrogeant sur la légalité de cette pratique ; le même jour, celui-ci avait confirmé l’entrée en vigueur le 1er juin 2021 de la directive interne régissant l’utilisation des « bodycams » n° 5.04 indiquant que le recours à ces caméras reposait sur les art. 8 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP ‑ F 1 50) et 21 du règlement sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 (ROPP ‑ F 1 50.01) ; que le système était en place et employé à tout le moins dans les établissements de la Brenaz et de Curabilis ; que M. B______ avait interpellé le 9 juin 2021 l’OCD, indiquant qu’il doutait que ces dispositions représentent des bases légales suffisantes, et sollicitant l’ouverture d’une enquête administrative afin de constater l’illicéité de la pratique ; que son pli étant resté sans réponse, il avait renouvelé sa démarche le 7 décembre 2021 et exposé précisément l’illicéité de la pratique mise en œuvre par la directive n° 5.04 ; que les mêmes arguments avaient été réitérés lors d’une séance commune le 18 janvier 2022 ; que le 18 mai 2022, l’OCD avait livré une analyse jugeant l’usage licite ; que le 10 octobre 2022, le préposé cantonal à la surveillance des données et à la transparence (ci-après : PPDT) avait jugé l’usage des « bodycams » illicite, faute de reposer sur une base légale suffisante ; qu’ils avaient encore relancé le DPSP les 12 et 14 octobre 2022, sans résultat ; qu’ils avaient formé un recours pour déni de justice le 14 novembre 2022 (enregistré sous la référence A/3780/2022) ; que le 16 novembre 2022 puis le 1er décembre 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait refusé d’ordonner des mesures superprovisionnelles ; qu’elle avait refusé d’ordonner des mesure provisoires le 10 janvier 2023 ; que le 14 février 2023, elle avait partiellement admis le recours, et constaté un déni de justice ; qu’ils avaient interpellé le 9 décembre 2022 la responsable juridique départementale du DSPS afin qu’elle intervienne pour mettre fin au système avec effet immédiat et qu’elle constate la violation des droits des fonctionnaires protégés par la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08), conformément aux recommandations du PPDT ; qu’ils avaient formellement mis le DSPS en demeure de statuer le 31 janvier 2023 ; que le DSPS avait répondu que la chambre administrative étant saisie d’un recours il convenait d’attendre son résultat ;

qu’à tout le moins le traitement, mais aussi la récolte, des données causaient une atteinte irréparable à la personnalité des fonctionnaires ; que la suppression après coup des images ne pouvait être considérée comme donnée vu le risque de piratage et de fuite de données ; qu’au fond le traitement des données était illicite, car il était dépourvu de base légale suffisante dans la mesure où il pouvait porter une atteinte très importante à la sphère privée des détenus ;

que le 24 mars 2023, le juge délégué a rejeté la demande de mesures superprovisionnelles ;

que le 5 avril 2023, le DSPS a conclu à la radiation de la cause, subsidiairement à l’irrecevabilité du recours, plus subsidiairement à son rejet ainsi qu’au rejet de la demande de mesures provisoires ; que le délai de trente jours dès l’entrée en force de l’arrêt du 14 février 2023, notifié le 21 février 2023, imparti par la chambre administrative pour rendre une décision relative à la légalité des « bodycams » n’était pas échu, de sorte que le grief de déni de justice était infondé ; que le DSPS avait transmis le 4 avril au PPDT la demande des recourants du 9 décembre 2022 ainsi que ses doutes sur le respect de la forme écrite s’agissant d’un courriel, la qualité des recourants pour demander un préavis – M. B______, sous-directeur de la prison de Champ-Dollon, n’étant pas astreint au port de la « bodycam » et devant démontrer le traitement de données le concernant ; qu’il avait également indiqué au PPDT qu’il avait établi un projet de base légale concernant l’usage des « bodycams », en consultation auprès des associations représentatives du personnel et des établissements pénitentiaires, suivant sa recommandation du 10 octobre 2022 ; qu’un délai de deux mois pour transmettre la demande au PPDT n’était pas excessif ; que les mesures provisoires ne pouvaient anticiper le jugement au fond ; que les « bodycams » avaient été déployées pour protéger surveillants et détenus et que leur usage avait suscité des réactions positives, tant des directions d’établissement que des autorités de poursuite pénale ; qu’au sein des établissements, la presque totalité des espaces dans lesquels se trouvaient les détenus étaient équipés de vidéosurveillance et que chaque membre du personnel devait accepter d’être filmé lorsqu’il était en contact avec des détenus ; que les « bodycams » étendaient la surveillance de manière minime, puisqu’elles n’étaient activées que dans des situations limitées se présentant rarement ; que les recourants ne démontraient pas en quoi l’atteinte à la personnalité serait si importante et qu’il convenait de se demander si la gravité était suffisante pour appeler une protection juridique ;

que le 24 avril 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions ; que les mesures provisoires, tendant à une suspension de l’emploi des bodycams, n’équivalaient pas à la conclusion au fond tendant à son interdiction durable ; que selon le PPDT la personnalité des personnes concernées était atteinte ; que l’usage des « bodycams » posait des problèmes spécifiques particuliers de sorte qu’il ne pouvait être comparé à la vidéosurveillance en général ; que le délai employé par le DSPS pour saisir le PPDT était excessif ; que le DSPS ne définissait pas les intérêts qui justifiaient l’activité illégale de l’État ; que l’intérêt à la protection de la personnalité était manifestement prépondérant, les gardiens risquant quotidiennement une condamnation pénale ; que l’exigence de forme avait été respectée, ce que le DSPS admettait puisqu’il avait transmis la demande au PPDT, et qu’une position contraire relèverait de l’abus de droit et du formalisme excessif ; que la qualité pour agir de M. B______ avait été admise dans la précédente procédure ;

que le 26 avril 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur mesure provisoires ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par une juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que, par ailleurs, l'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018) ;

qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités) ;

qu’ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, ibidem) ;

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que lors de l'octroi de mesures provisionnelles, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

qu’elle n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités) ;

qu’en l’espèce, la question de la qualité pour recourir de l’A______, qui avait été niée dans l’arrêt ATA/147/2023 précité consid. 2.4, pourra demeurer ouverte à ce stade et sera traitée avec le fond du recours ; que la chambre de céans avait par ailleurs admis dans le même arrêt ATA/147/2023 précité consid. 2.5 la qualité pour recourir de M. B______ quand bien même celui-ci ne serait pas amené à porter lui‑même de « bodycam » ;

que les recourants concluent au fond à ce qu’il soit constaté le déni de justice commis par la responsable juridique départementale du DSPS, le caractère illicite de l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois et ordonné qu’il soit mis fin à l’emploi des « bodycams » ; que sur mesures provisionnelles, ils concluent qu’il soit ordonné de suspendre l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois jusqu’à droit jugé au fond ;

que la question de savoir si la conclusion sur mesures provisionnelles (suspendre l’usage) constitue bien, comme le soutiennent les recourants, un minus par rapport à la conclusion au fond (interdire l’usage) et non l’anticipation du jugement définitif, pourra demeurer indécise, vu ce qui suit ;

que les recourants invoquent principalement à l’appui de la suspension de l’usage le risque de préjudice irréparable résultant du traitement illicite de données quotidien, la suppression des images ne pouvant selon eux être considérée comme donnée dès lors que toute donnée est une proie à la fuite et au piratage ;

qu’il ressort de la directive n° 5.04 que l’usage des « bodycams » n’est prévu systématiquement que pour un nombre restreint de situations, soit l’extraction d’une cellule d’une personne récalcitrante ou présentant un danger pour le personnel ou elle-même, la mise en cellule forte, la mise en cellule de soins intensifs à Curabilis et l’intervention dans le cadre d’une médication sous contrainte – et qu’elle doit être ordonnée spécifiquement par la hiérarchie pour toute autre situation ; que l’intimé a exposé sans être contredit spécifiquement que l’utilisation des « bodycams » était prévue pour des cas se présentant rarement ;

que dans la précédente procédure, la chambre de céans avait relevé dans la décision sur mesures provisionnelles ATA/20/2023 du 10 janvier 2023 que l’atteinte à la sphère privée et au droit à l’image des recourants du fait de l’utilisation des « bodycams », alors déjà alléguée, ne paraissait, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas irréparable, rien n’indiquant que la suppression des images ne serait pas possible et les recourants ne faisant pas valoir qu’elles seraient susceptibles d’être diffusées dans le public ;

que l’invocation, par les recourants, dans le présence procédure, d’un risque général et abstrait de fuite des données, sans plus de preuves concrètes de la réalité d’un tel risque, n’est pas de nature à modifier cette appréciation ;

que par ailleurs, dans son avis du 10 octobre 2022, le PPDT a relevé que le principe de la vidéosurveillance en milieu carcéral reposait sur une base légale formelle (art. 42 al. 1 let. a LIPAD), que l’art. 8 LOPP et le ROPP encadraient la conservation des images et qu’il pouvait y être renvoyé s’agissant de la durée de conservation des images, de leur consultation et du cadre relatif à la sécurité des données ;

qu’enfin, si le PPDT a recommandé le 10 octobre 2023, l’élaboration d’un projet de base légale et la consultation de toutes les parties intéressées – tâches que le DSPS affirme avoir entreprises, sans être contredit spécifiquement – il n’a pas exigé la cessation de l’emploi des « bodycams », comme le relevait la chambre de céans dans la décision sur mesures provisionnelles ATA/20/2023 du 10 janvier 2023 précitée ;

que le DSPS fait valoir un intérêt public important, à la protection des détenus et du personnel pénitentiaire ; qu’il soutient, sans être contredit spécifiquement, que la diffusion des « bodycams » aurait suscité des premiers retours positifs ; que les recourants exposent ne pas être opposés par principe à l’utilisation des « bodycams » ;

que les recourants n’établissent ainsi pas, à ce stade de la procédure, que le refus d’ordonner la suspension de l’usage des « bodycams » jusqu’à droit connu sur le fond créerait pour eux, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 précité) ;

qu’au vu de ce qui précède, la requête sur mesures provisionnelles sera rejetée ;

qu’il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt au fond ;

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat des recourants, ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

 

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen Ruffinen

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :