Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/213/2023 du 07.03.2023 ( AIDSO ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1661/2022-AIDSO ATA/213/2023 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 7 mars 2023 1ère section |
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dans la cause
Madame A______ recourante
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES intimé
A. a. Madame A______ (ci-après : la bénéficiaire), mariée, née le ______ 1988, a deux enfants nés en 2016 et 2020. ![endif]>![if>
Elle est au bénéfice de prestations complémentaires familiales et d’aide sociale depuis 2018.
b. Par décision du 16 novembre 2021, le service des bourses et prêts d’études (ci-après : SBPE) lui a octroyé une bourse d’étude de CHF 24'000.- pour l’année scolaire 2020-2021 dans le cadre d’une formation universitaire à distance en droit.![endif]>![if>
B. a. Par décision du 25 février 2022, le service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) a recalculé son droit aux prestations d’aide sociale et lui a réclamé la restitution du montant de CHF 7'638.- à titre de prestations versées indûment du 1er septembre 2020 au 28 février 2021. Ce montant incluait un subside de CHF 502.- indûment versé par le service de l’assurance-maladie (SAM).![endif]>![if>
À teneur du plan de calcul, une bourse d’étude de CHF 21'000.- était prise en compte dans son revenu déterminant.
b. Le 22 mars 2022, la bénéficiaire a contesté cette décision. ![endif]>![if>
Elle n’aurait pas dû recevoir de bourse durant le semestre 2020 car elle n’était pas immatriculée à l’université durant cette période. Ce remboursement l’empêchait de satisfaire aux besoins de sa famille.
c. Par décisions sur oppositions du 13 avril 2022, portant sur les prestations d’aide sociale, le SPC a notamment rejeté l’opposition du 22 mars 2022.![endif]>![if>
Conformément à la décision du SBPE du 16 novembre 2021, il avait tenu compte de la bourse d’études dans les calculs de prestations d’aide sociale, cela rétroactivement au 1er septembre 2020. La déduction du montant de CHF 3'000.- (CHF 24'000.- - CHF 3'000.-) représentait les frais de formation pour les étudiants universitaires, cela conformément à une recommandation de la Cour des comptes.
d. Par décisions sur opposition du même jour, portant sur les prestations complémentaires familiales, le SPC a notamment rejeté l’opposition formée par la bénéficiaire le 26 janvier 2021 contre sa décision du 21 janvier 2021.![endif]>![if>
C. a. Par acte du 12 mai 2022, la bénéficiaire a recouru par-devant le SPC contre ces décisions, contestant celles qui avaient été prises à la suite de ses oppositions des 26 janvier 2021 et 22 mars 2022.![endif]>![if>
S’agissant de l’opposition du 22 mars 2022, elle s’opposait à la prise en compte du montant de la bourse dans ses revenus. N’ayant pas été inscrite à l’université en 2020, il y avait eu une erreur lors de l’établissement de la bourse Son parcours universitaire avait commencé en 2021. Elle s’engageait ainsi à rendre la somme reçue pour le semestre 2020.
b. Le 17 mai 2022, le SPC a transmis cette écriture à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) et à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : CJCA) pour raison de compétence.![endif]>![if>
c. Deux procédures ont été ouvertes : l’une à la CJCA (A/1661/2022) et l’autre à la CJCAS (A/1652/2022). ![endif]>![if>
d. Le 21 juillet 2022, le SPC s’est déterminé dans le cadre de la procédure A/1661/2022. En tant qu’il portait sur le rejet de son opposition du 26 janvier 2021, le recours était irrecevable, la chambre administrative n’étant pas compétente en matière de prestations complémentaires familiales. En tant qu’il portait sur le rejet de son opposition du 22 mars 2022, formée contre la décision de prestations d’aide sociale du 25 février 2022, le recours devait être rejeté. La demande de remboursement se fondait sur la décision du SBPE du 16 novembre 2021, entrée en force. ![endif]>![if>
e. La recourante n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.![endif]>![if>
f. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.![endif]>![if>
g. La procédure devant la CJCAS a abouti au rejet du recours de la bénéficiaire par arrêt du 21 octobre 2022 (ATAS/932/2022).![endif]>![if>
1.
1.1 Le recours est interjeté en temps utile dans le respect des exigences de forme et de contenu posés par la loi (art. 62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).![endif]>![if>
1.2 Conformément à l'art. 134 al. 3 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations cantonales complémentaires du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25) concernant les prestations complémentaires familiales au sens de l’art. 36A LPCC.![endif]>![if>
La CJCA est l’autorité compétente pour connaître d’un recours en matière d’aide sociale (art. 52 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04).
La compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie s’agissant de la décision sur opposition du 13 avril 2022 qui porte sur les prestations d’aide sociale. En revanche, la chambre de céans n’est pas compétente pour statuer sur un recours formé contre une décision portant sur les prestations complémentaires familiales. La conclusion en annulation de la décision du 13 avril 2022, portant sur les prestations complémentaires familiales et rejetant l’opposition de la recourante du 26 janvier 2021, est partant irrecevable. Cette conclusion a été traitée dans la procédure A/1652/2022 ayant abouti à l’arrêt de la CJCAS du 21 octobre 2022 (ATAS/932/2022).
2. Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que l’intimé a tenu compte de la bourse d’études reçue par la recourante pour l’année scolaire 2020-2021 dans le calcul de son droit aux prestations d’aide sociale.![endif]>![if>
2.1 Selon l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine (ATF 135 I 119 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_56/2012 du 11 décembre 2012 consid. 1.1).![endif]>![if>
En droit genevois, la LIASI et le règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) concrétisent l’art. 12 Cst. (ATA/452/2012 du 30 juillet 2012 ; ATA/440/2009 du 8 septembre 2009 ; ATA/809/2005 du 29 novembre 2005 et les références citées).
2.2 La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel
(art. 1 al. 1 LIASI), ainsi que de soutenir les efforts des bénéficiaires de la loi à se réinsérer sur le marché du travail et dans la vie sociale en général. Elle a également pour objectif plus général de garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 LIASI). Ses prestations sont fournies sous forme d’accompagnement social, de prestations financières et d’insertion professionnelle (art. 2 LIASI). Les prestations d’aide financière sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI).![endif]>![if>
Conformément à l'art. 21 al. 1 LIASI, ont droit aux prestations d’aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n’atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d'État. Selon l’art 21 al. 2 LIASI, font partie des besoins de base, le forfait pour l'entretien fixé par règlement du Conseil d'État (let. a), le loyer ainsi que les charges ou, si le demandeur est propriétaire de sa demeure permanente, les intérêts hypothécaires, dans les limites fixées par règlement du Conseil d'État (let. b), la prime d'assurance-maladie obligatoire des soins, mais au maximum le montant correspondant à la prime moyenne cantonale fixée par le Département fédéral de l'intérieur, sous réserve des exceptions temporaires prévues par règlement du Conseil d'État pour les nouvelles personnes présentant une demande d'aide sociale et dont la prime d'assurance-maladie obligatoire dépasse la prime moyenne cantonale (let. c) et, les prestations circonstancielles destinées à prendre en charge d'autres frais, définies par règlement du Conseil d'État (let. d).
Selon l'art. 22 LIASI, sont pris en compte les revenus et les déductions sur le revenu prévus aux art. 4 et 5 de la loi sur le revenu déterminant unifié du
19 mai 2005 (LRDU - J 4 06), sous réserve des exceptions figurant aux al. 2 et 3. Ces exceptions ne sont pas pertinentes en l’espèce.
L’art. 4 al. 1 LRDU contient une liste des éléments qui doivent être retenus à titre de revenu. Dans cette liste figure notamment, à la lettre h, « les autres prestations sociales non comprises dans l’art. 13 de la présente loi ». L’art. 13 LRDU contient une liste de prestations sociales dans laquelle figurent les bourses d’études (art. 13 al. 1 let. b ch. 6). Il s’agit, selon cette disposition, de prestations de comblement.
Selon les travaux préparatoires relatifs à l’art. 4 al. 1 let. b ch. 6 LRDU, cette lettre précise que « seules les prestations sociales non comprises dans la hiérarchie des prestations visée à l’article 13 sont prises en compte dans le RDU socle » (Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] 19-20 décembre 2013, session III, p. 21).
2.3 Selon l’art. 24 LIASI, intitulé « calcul du revenu déterminant », le revenu déterminant le droit aux prestations d’aide financière est égal au revenu calculé en application de l’art. 22 de la loi, augmenté d’un quinzième de la fortune calculée en application de l’art. 23 de la loi.![endif]>![if>
La LRDU contient également une disposition sur le calcul du revenu déterminant unifié à son art. 8 LRDU. Selon cette disposition, le calcul du RDU est individuel. Il s’applique aux personnes majeures et à l’ensemble des prestations sociales visées à l’art. 13 LRDU (al. 1). Le socle du RDU est égal au revenu calculé en application des art. 4 et 5 LRDU, augmenté d’un quinzième de la fortune calculée en application des art. 6 et 7 LRDU (al. 2). Lorsqu’une prestation catégorielle ou de comblement est octroyée en application de la hiérarchie des prestations sociales visée à l’art. 13 LRDU, son montant s’ajoute au socle du RDU selon l’al. 2 du présent article et le nouveau montant sert de base de calcul pour la prestation suivante. Les prestations accordées aux personnes mineures sont reportées dans le RDU du ou des parents concernés (al. 3).
2.4 Selon l’art. 36 LIASI, est considérée comme étant perçue indûment toute prestation qui a été touchée sans droit (al. 1). Le remboursement des prestations indûment touchées peut être réclamé si le bénéficiaire, sans avoir commis de faute ou de négligence, n'est pas de bonne foi (al. 3).![endif]>![if>
Le bénéficiaire qui était de bonne foi n'est tenu au remboursement, total ou partiel, que dans la mesure où il ne serait pas mis, de ce fait, dans une situation difficile (art. 42 LIASI).
2.5 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4).![endif]>![if>
2.6 En l’espèce, il ressort des plans de calcul annexés à la décision du 25 février 2022 qu’un montant de CHF 21'000.- à titre de bourse d’études a été retenu dans le calcul du revenu déterminant de la recourante pour la période du 1er septembre 2020 au 28 février 2021. ![endif]>![if>
Or, conformément à l’art. 4 al. 1 let. h LRDU, applicable par renvoi de l’art. 22 LIASI, seules les prestations sociales non comprises dans la hiérarchie des prestations visée à l’art. 13 sont prises en compte dans le RDU socle. Or, les bourses d’études figurent parmi la liste des prestations sociales de l’art. 13 LRDU. Il suit de là que celles-ci ne doivent pas être prises en compte dans le calcul du revenu déterminant au sens de l’art. 22 LIASI.
L’art. 8 al. 3 LRDU prévoit certes que le montant des prestations de comblement, dont font partie les bourses d’études (art. 13 al. 1 let. b ch. 6 LRDU), s’ajoute au socle du RDU. Cette disposition ne trouve toutefois pas application ici. Elle figure en effet au chapitre IIA de la LRDU, intitulé « calcul du revenu déterminant unifié ». Or, le calcul du revenu déterminant est spécifiquement réglementé pour les prestations d’aide sociale à l’art. 24 LIASI, qui s’applique à titre de lex specialis. Cette disposition prévoit toutefois uniquement que le revenu déterminant le droit aux prestations d’aide financière est égal au revenu calculé en application de l’art. 22 LIASI, augmenté d’un quinzième de la fortune calculée en application de l’art. 23 LIASI. Contrairement à l’art. 8 LRDU, l’art. 24 LIASI n’inclut pas les prestations de comblement dans le calcul du revenu déterminant. Cette disposition, qui tient compte des spécificités de l’aide sociale, déroge ainsi au régime général prévu par la LRDU.
C’est partant à tort que l’intimé a tenu compte de la bourse d’études de CHF 21'000.- dans le revenu déterminant de la recourante pour le calcul de ses prestations d’aide sociale s’agissant de la période du 1er septembre 2020 au 28 février 2021.
Le recours doit donc être admis et la décision querellée annulée en tant qu’elle rejette l’opposition de la recourante du 22 mars 2022. La cause sera renvoyée au SPC pour nouveau calcul du droit aux prestations d’aide sociale de la bénéficiaire pour la période du 1er septembre 2020 au 28 février 2021, au sens des considérants.
3. La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 3 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante, agissant seule, n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).![endif]>![if>
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
admet, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 12 mai 2022 par Madame A______ contre la décision du service des prestations complémentaires du
13 avril 2022 ;
annule la décision sur opposition du 13 avril 2022 en tant qu’elle rejette l’opposition du 22 mars 2022 ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'au service des prestations complémentaires.
Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme McGregor, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
S. Hüsler Enz
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| la présidente siégeant :
F. Payot Zen-Ruffinen |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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