Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4389/2022

ATA/135/2023 du 08.02.2023 ( DIV ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4389/2022-DIV ATA/135/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 9 février 2023

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ Sàrl
représentée par Me Charles Piguet, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



Attendu, en fait, que :

1) A______ Sàrl (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève du 25 juin 2020, et depuis le mois d'octobre 2022 au RC du canton de Vaud ensuite du déménagement de son siège à B______, a pour but notamment d’exercer en Suisse et à l'étranger toutes les activités dans le domaine de l'exploitation de crèches, jardins d'enfant et écoles et d’organiser des activités parascolaires. Madame C______, née le ______ 1989, en est l’associée gérante présidente et possède l'intégralité des parts, tandis que Madame D______ est gérante. Toutes deux ont la signature individuelle.

2) Mme C______ est titulaire de l’équivalent d’un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) d’assistante socio-éducative, accordé par le secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (ci-après : SEFRI) à la suite de la reconnaissance, le 14 janvier 2013, d’un certificat d’aptitude professionnelle de la petite enfance obtenu à E______ en 2012.

3) Le 1er décembre 2016, Mme C______ a transmis au service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour (ci-après : SASAJ) un « Diplôme de fin d’études théoriques » en « psychologie de la petite enfance » et un « Diplôme d’État d’Éducateur de Jeunes Enfants ».

4) Le 22 décembre 2016, le SASAJ a dénoncé Mme C______ auprès du Ministère public (ci-après : MP) pour avoir fabriqué et fait usage desdits diplômes afin d’exercer une activité d’éducatrice de la petite enfance.

5) Par ordonnance pénale du 14 février 2017, le MP a déclaré Mme C______ coupable de faux dans les certificats et l’a condamnée à une peine pécuniaire de cent cinquante jours-amende à CHF 40.- l'unité.

Mme C______ avait reconnu les faits. Elle avait eu l’idée de créer ces faux diplômes en raison de difficultés financières. Ses motivations relevaient d’une convenance personnelle.

6) Par décision du 7 février 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’office des autorisations de construire a ordonné, avec effet immédiat, l’interdiction d’exploiter le local situé au F______, à G______, comme lieu d’accueil de type « crèche ».

Par décision du même jour, déclarée exécutoire nonobstant recours et qui n’a pas été contestée en justice, le département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a fait interdiction à Mme C______ et à l’association H______, ainsi qu’à tout autre tiers, d’accueillir des enfants dans les locaux sis au F______, à G______. Il a également prononcé la fermeture immédiate du lieu.

7) Par ordonnance pénale du 25 février 2020, non contestée en justice, le SASAJ a infligé à Mme C______ une amende de CHF 1'000.- et décidé de la fermeture immédiate du local situé au F______, à G______.

8) Par décision du 4 juin 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours et doublée de la menace d’une peine comminatoire au sens de l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), le DIP a fait interdiction à Mme C______ d’accueillir des mineurs pour une durée de deux ans, à titre personnel, dans le cadre d’un groupe ou d’une institution et cela notamment pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs.

Depuis 2016 et à réitérées reprises, Mme C______ ne s’était pas conformée aux exigences légales, notamment de se soumettre à une autorisation pour accueillir des enfants en âge préscolaire dans une structure d’accueil ou à son domicile. Elle avait tenu des propos mensongers, erronés ou contradictoires au sujet de ses compétences en matière d’accueil d’enfants, des structures mises en place sans autorisation, des enfants gardés à son domicile et du personnel employé. Durant quatre ans, les conditions de prise en charge des enfants avaient été jugées insatisfaisantes. Les éléments disponibles mettaient en doute son intégrité, sa fiabilité et ses aptitudes éducatives. La sécurité et le bon développement des enfants accueillis par ses soins ne pouvaient pas être garantis.

9) Par arrêt du 22 décembre 2020 (ATA/1346/2020), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours interjeté par Mme C______ contre cette décision.

10) Par décision du 8 décembre 2022 déclarée exécutoire nonobstant recours et prononcée sous la menace de la peine prévue par l’art. 292 CP, le DIP a interdit avec effet immédiat à A______ d'accueillir des enfants dans les locaux sis F______ à G______ pour une durée indéterminée, prononcé la fermeture immédiate et pour une durée indéterminée du lieu d'accueil précité, ordonné à A______ – soit pour elle Mme C______ en tant qu'associée gérante présidente de la société – de prévenir immédiatement les représentants légaux des enfants accueillis et d'adresser au DIP la liste de ceux-ci.

Au moment de l'inscription de A______ au RC, Mme C______ était sous le coup de l'interdiction d'accueillir des enfants prononcée le 4 juin 2020, laquelle avait fait le 30 mai 2022 l'objet d'une prolongation de deux ans qui était en force. A______ n'était pas au bénéfice d'une autorisation d'exploitation d'une structure d'accueil préscolaire. Elle proposait pourtant sur son site Internet un accueil tous les mercredis pour les enfants dès l'âge de 4 ans ainsi que des camps de vacances, et il avait été découvert dans le cadre d'une procédure d'assurances sociales qu'elle avait créé une crèche de 40 places accueillant des enfants cinq jours par semaine à tout le moins depuis le 5 avril 2021. Enfin, une procédure pénale engagée en 2020 avait révélé que Mme C______ accueillait des enfants d'âge préscolaire à son domicile ainsi que dans les locaux de A______ au moins depuis avril 2020.

Outre ces problèmes de défaut d'autorisation et d'exploitation malgré des interdictions en force, la collaboration avec Mme C______ ainsi que les conditions de l'accueil proposées dans les structures dont elle était la responsable avaient toujours été insatisfaisantes, et ces structures d'accueil avaient toujours exposé les enfants accueillis à une mise en danger.

11) Par acte posté le 23 décembre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours et à la comparution personnelle des parties, et principalement à l'annulation de la décision attaquée ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

A______ se vouait à l'accueil parascolaire et périscolaire, et non préscolaire. A______ avait sollicité du DIP le 1er juillet 2022 une autorisation aux fins d'organiser un tel accueil, et il lui avait été répondu qu'il n'existait pas à Genève de dispositions particulières à ce sujet, mais qu'il lui fallait s'assurer que les personnes intervenant auprès des enfants présentent des garanties suffisantes à divers égards, et que les locaux utilisés devaient répondre aux normes. La gérante effective de la structure était Mme D______, et l'activité d'accueil n'avait commencé qu'en septembre 2022.

La décision attaquée lui interdisait d'exercer son activité dans les locaux qu'elle louait, et ce sur la base d'une compréhension manifestement erronée de la situation, dès lors que d'une part elle ne faisait pas d'accueil préscolaire et que d'autre part Mme C______ n'était pas impliquée personnellement dans l'exploitation de la structure d'accueil. A______ disposait d'une personnalité juridique propre et d'une gérante en la personne de Mme D______. L'interdiction était dépourvue de base légale s'agissant de l'accueil parascolaire qui était l'activité de A______, puisqu'un tel accueil ne nécessitait pas d'autorisation. Enfin, aucun manquement concret ni aucune mise en danger n'avaient été constatées, si bien que l'effet suspensif devait être restitué au recours.

12) Le 12 janvier 2023, le DIP a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif au recours.

A______ ne rendait pas vraisemblable l'atteinte à ses intérêts économiques, aucun détail sur sa situation financière n'étant fourni. Les horaires mentionnés sur Internet ne correspondaient pas à un accueil parascolaire, mais bien préscolaire, dans sa communication avec les parents A______ utilisait le mot « crèche », et il ressortait de la procédure pénale entamée en 2020 – laquelle portait sur des infractions de mise en danger de la santé des enfants – que l'intéressée avait mis en place une structure d'accueil préscolaire. Les décisions d'interdiction étaient en force, et Mme C______ était la seule personne active dans A______, ce qui ressortait de plusieurs éléments. Dès lors, la décision attaquée ne procédait pas d'une mauvaise compréhension de la situation et était fondée sur une base légale, à savoir l'art. 32 al. 1 de la loi sur l'enfance et la jeunesse du 1er mars 2018 (LEJ - J 6 01).

13) Le 16 janvier 2023, A______ a persisté dans sa demande de restitution de l'effet suspensif. Mme C______ effectuait bien quelques tâches administratives pour le compte de la société, mais elle ne réunissait pas, n'hébergeait pas, ne donnait pas d'enseignement, n'organisait pas et ne dirigeait pas les loisirs des mineurs accueillis.

14) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2) La recevabilité du recours sera examinée dans l'arrêt final de la chambre de céans.

3) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

4) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles, en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

5) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, 265).

6) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

7) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

8) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

9) En l'espèce, la restitution de l'effet suspensif au recours équivaudrait à accorder provisoirement à la recourante ce qu'elle demande au fond, ce qui est en principe prohibé.

De plus, les chances de succès du recours n'apparaissent, à ce stade de la procédure et sans préjuger au fond, pas si évidentes qu'elles justifieraient à elles seules de restituer l'effet suspensif. En effet, les parties divergent sur des questions factuelles qu'il convient d'élucider, telles que la nature réelle des activités déployées par A______ et le degré d'implication de Mme C______ dans lesdites activités, étant précisé toutefois d'une part que cette dernière est la présidente de la société qu'elle détient en intégralité, et d'autre part que l'intimé a déjà fourni un certain nombre de pièces étayant ses dires. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où l'enjeu est ici la santé et la sécurité de jeunes enfants, il importe que ces éléments soient établis et une instruction complète menée conformément à la LPA, ce qui n'est en l'état pas encore le cas.

L'intérêt privé de la recourante à poursuivre ses activités – intérêt qui est de nature purement économique, son dommage n'ayant par ailleurs pas été quantifié ni à plus forte raison démontré – doit ainsi céder le pas à l'intérêt public important à la sécurité des enfants placés. La requête de restitution de l’effet suspensif sera, partant, rejetée.

10) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Charles PIGUET, avocat de la recourante ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

 

 

Le vice-président :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :