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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3436/2022

ATA/95/2023 du 31.01.2023 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3436/2022-FPUBL ATA/95/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 janvier 2023

 

dans la cause

 

Madame A______ recourante
représentée par Me Robert Assaël, avocat

contre


VILLE DE GENÈVE intimés

et

Monsieur B______

 



EN FAIT

A. a. Madame A______ a été engagée le 1er juillet 2014 en qualité de cheffe d’unité au service C______ de la Ville de Genève (ci-après : la ville). Le 18 novembre 2015, elle a été nommée au poste de directrice du département D______ (ci-après : D______), avec effet au 1er février 2016.

b. Par décision du 19 janvier 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le conseil administratif de la ville (ci-après : CA) a prononcé la suspension avec effet immédiat de Mme A______ de son activité de directrice du D______ jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement et l’a informée de ce que le CA avait décidé, dans un premier temps, de mandater un expert externe pour effectuer notamment un état des lieux de la situation au sein de la direction du D______.

Le recours formé par Mme A______ le 31 janvier 2022 contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par arrêt du 23 juin 2022 (ATA/652/2022).

B. a. Par décision du 2 mars 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de Mme A______, qu’il a confiée à Monsieur B______. Cette décision était signée par Monsieur E______, secrétaire général de la ville.

Le recours formé par Mme A______  contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative par arrêt du 23 août 2022 (ATA/836/2022).

b. Par décision du 18 mars 2022, le CA a rejeté la demande de récusation de M. B______ formée par Mme A______.

Le recours formé par Mme A______ le 28 mars 2022 contre cette décision devant la chambre administrative a été rejeté par arrêt du 3 mai 2022 (ATA/461/2022). Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral le 26 octobre 2022 (8C_392/2022).

c. Mme A______ a à nouveau sollicité la récusation de M. B______ le 10 mai 2022. Par décision du 2 juin 2022, le CA a déclaré cette demande irrecevable et, en tout état, infondée.

Cette décision a été confirmée par la chambre administrative par arrêt du 23 août 2022 (ATA/837/2022).

d. Par courrier du 23 juin 2022, M. B______ a pris acte de la requête de Mme A______ s’agissant de la production d’un certain nombre de pièces et précisé qu’il entendait conduire son enquête de manière objective et indépendante.

Le recours interjeté par Mme A______ contre ce courrier a été déclaré irrecevable par arrêt de la chambre administrative du 27 septembre 2022 (ATA/968/2022).

e. Par décision du 9 août 2022, M. B______ a refusé d’accéder à la demande formée par Mme A______ de faire interdiction au service juridique de la ville de diffuser les procès-verbaux d’audience à qui que ce soit au sein de la ville, « Magistrate comprise ».

Le recours formé à l’encontre de cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative par arrêt du 11 octobre 2022 (ATA/1023/2022).

f. Mme A______ a à nouveau sollicité la récusation de M. B______ le 19 août 2022. Par décision du 19 octobre 2022, le CA a rejeté cette demande.

Cette décision a été confirmée par la chambre administrative par arrêt du 29 novembre 2022 (ATA/1194/2022).

C. a. Parallèlement, par courriel du 5 septembre 2022 adressé à l’enquêteur, Mme A______ a sollicité l’audition de dix témoins, dont notamment celle de Monsieur F______, ancien conseiller administratif, et de M. E______.

b. Par courrier du 6 septembre 2022, M. B______ a informé Mme A______ que M. E______, en tant que secrétaire général de la ville et au nom du CA, avait signé la décision d’ouverture de l’enquête administrative du 2 mars 2022. Il ne pouvait donc être entendu en qualité de témoin.

c. Le 6 octobre 2022, M. B______ a communiqué les dates des audiences à venir, ainsi que le nom des témoins qui seraient entendus. Il a informé Mme A______ qu’il renonçait à entendre MM. F______ et E______. S’agissant de M. F______, les griefs de la ville tels qu’exposés dans son courrier du 2 mars 2022 portaient sur une période postérieure à la magistrature de ce dernier. M. E______, conformément au courrier de l’enquêteur du 6 septembre 2022, avait signé la décision du 2 mars 2022 d’ouverture de l’enquête administrative, de sorte qu’il était partie à la procédure, à l’instar de Mme G______, qui avait déjà été entendue en cette qualité.

D. a. Par acte du 17 octobre 2022, Mme A______ a interjeté recours devant la chambre administrative contre la décision du 6 octobre 2022, concluant à son annulation et à ce que l’enquêteur soit enjoint d’entendre, en qualité de témoins, MM. F______ et E______.

La décision consacrait une violation de son droit d’être entendue et du principe de l’égalité de traitement. Contrairement à ce qu’affirmait l’enquêteur, les griefs de la ville ne portaient pas que sur la période postérieure à la législature de M. F______. Certains griefs visaient expressément des comportements remontant à la période où il présidait le département. Le témoin devait par ailleurs être interrogé au sujet de la lettre de recommandation qu’il avait rédigée en sa faveur. M. E______ avait beaucoup interagi avec elle, notamment sur des problématiques visées dans les griefs de la ville. Il devait être entendu en qualité de témoin, le fait qu’il ait signé la décision d’ouverture de l’enquête administrative ne signifiant pas qu’il ait participé, ni adhéré, à la décision.

b. Par observations du 18 novembre 2022, M. B______ a conclu à l’irrecevabilité du recours, la décision refusant l’audition de M. F______ ne causant pas de préjudice irréparable. S’agissant du refus d’auditionner M. E______, le recours était dirigé contre la mauvaise décision et était tardif. Après l’audition de quinze témoins, l’objet de l’enquête se dessinait, ce qui permettait de saisir la pertinence des auditions de témoins et d’éviter des auditions superflues.

c. Par réponse du 25 novembre 2022, la ville a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Elle s’est rapportée à justice quant à la condamnation de Mme A______ à une amende ou à un émolument pour téméraire plaideur.

Mme A______ n’avait pas agi dans les délais contre le refus d’entendre M. E______, selon le courrier de l’enquêteur du 6 septembre 2022. Elle était forclose à contester ce point. Le recours était par ailleurs irrecevable, faute pour la décision de créer un préjudice irréparable. D’une part, les offres de preuve ne portaient pas sur des faits pertinents, d’autre part, l’intéressée ne se trouvait pas dans l’impossibilité de contester ultérieurement la décision finale. Sur le fond, l’enquêteur n’avait pas porté atteinte au droit d’être entendue de Mme A______, puisque les offres de preuve n’étaient ni pertinentes ni essentielles pour l’enquête. Enfin, le secrétaire général de la ville était si étroitement lié aux décisions prises par le CA qu’il devait nécessairement être assimilé à celles-ci.

d. Mme A______ a répliqué le 23 décembre 2022.

Dans son courrier du 6 septembre 2022, l’enquêteur avait accepté toutes les auditions. Contrairement à ce qu’indiquait la ville, il n’avait pas dit que M. E______ ne pouvait pas être entendu, mais s’était limité à dire qu’il n’avait pas le statut de témoin. Il était incompréhensible que l’enquêteur ait accepté d’entendre tous les témoins de la ville, même un qui n’avait jamais travaillé pour la magistrate, alors qu’il lui avait refusé deux témoins importants. Les auditions de MM. F______ et E______ étaient pertinentes et essentielles.

e. Le 10 janvier 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours est interjeté en temps utile contre une décision incidente en matière d’administration des preuves devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Reste à examiner si la recourante peut se prévaloir d’un préjudice irréparable.

2.1 Les décisions incidentes ne sont susceptibles de recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

2.2 L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018 p. 432 n. 1265). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

2.3 En matière d'enquête administrative, la chambre administrative a déclaré irrecevable, pour défaut de préjudice irréparable, un recours contre une décision de l'enquêteur administratif d'entendre en qualité de témoins des collaborateurs d'une autorité ayant requis du Conseil d'État l'ouverture de l'enquête administrative (ATA/715/2013 du 29 octobre 2013 consid. 3). Elle a également nié l’existence d’un préjudice irréparable dans le cas d’une décision incidente du département refusant de procéder à l’audition de douze témoins (ATA/917/2016 du 1er novembre 2016).

Dans un arrêt du Tribunal fédéral 2P.183/2005 du 19 juillet 2005, le Tribunal fédéral a rejeté un recours dirigé contre un jugement du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 29 juin 2005 déclarant irrecevable un recours contre une décision de refus d'audition de témoins dans le cadre d'une enquête administrative, au motif qu'une telle décision prise en matière d'administration des preuves ne pouvait causer un préjudice irréparable. La notion de décision incidente créant un dommage irréparable, prévue par le droit de procédure administrative cantonale pour régir les conditions de recevabilité d'un recours contre une décision incidente, avait été interprétée par cette instance conformément à celle prévue par le droit fédéral (art. 45 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021) et le jugement attaqué ne pouvait être taxé d'arbitraire.

2.4 Devant la chambre de céans, la recourante soutient que la décision attaquée, en tant qu’elle rejette les demandes d’audition de MM. F______ et E______ en qualité de témoins, lui cause un préjudice irréparable, dès lors qu'elle viole son droit d'être entendue.

L’intéressée perd toutefois de vue que la décision litigieuse ne la prive pas de la possibilité de faire valoir ses moyens, y compris ceux relatifs à la violation de règles de procédure, après le dépôt du rapport de l’enquêteur. En cas de sanction prononcée à son encontre, elle pourra, dans le cadre d'un recours à la chambre de céans, se plaindre à nouveau de la violation de ses droits procéduraux et se prévaloir, en cas d'admission d'une telle violation, des conséquences procédurales que celle-ci entraîne. Conformément à la jurisprudence précitée, c’est à ce stade qu’il appartiendra à l’autorité de recours d’examiner si c’est à juste titre que l’enquêteur a procédé à une appréciation anticipée des preuves, en administrant seuls celles qu’il jugeait pertinentes. Le fait de devoir procéder, en cas d’admission du recours, à l’audition de certains témoins qui n’auraient pas été entendus par l’enquêteur ne suffit pas pour retenir un préjudice irréparable, étant précisé que la simple prolongation de la procédure ou l’accroissement éventuel des frais de celle-ci constituerait un dommage de pur fait qui n’est pas considéré comme irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4).

La première hypothèse de l’art. 57 let. c LPA n’est, partant, pas remplie.

La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA, à savoir la venue à chef immédiate d'une décision finale susceptible d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse n'est pas davantage réalisée. En effet, la chambre de céans ne voit pas, et la recourante ne l’explique pas, en quoi l’admission du recours aboutirait à une décision finale. Cela avait, au contraire, pour conséquence de rallonger l’instruction.

Le recours doit ainsi être déclaré irrecevable. Compte tenu de l’issue du recours, il n’est pas nécessaire d’examiner si le recours formé contre le refus d’auditionner M. E______ était tardif.

2.5 Vu l'issue de la procédure, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, étant relevé que l’intimée dispose de son propre service juridique (art. 87al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 17 octobre 2022 par Madame A______ contre la décision de l’enquêteur du 6 octobre 2022 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assaël, avocat de la recourante, à Monsieur B______, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Balzli

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :