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Décisions | Chambre civile

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C/3809/2023

ACJC/21/2025 du 06.01.2025 sur OTPI/614/2024 ( SDF ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3809/2023 ACJC/21/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 6 JANVIER 2025

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 2 octobre 2024, représentée par Me Agrippino RENDA, avocat, route des Acacias 6, case postale 588, 1211 Genève 4,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Philippe CURRAT, avocat, Currat & Associés, Avocats, rue de Saint-Jean 73, 1201 Genève.

 


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1985, ressortissante rwandaise, et B______, né le ______ 1962, ressortissant ougandais, se sont mariés le ______ 2011 à C______ [GE].

b. De leur union sont issus deux enfants : D______, né le ______ 2012, et E______, née le ______ 2016.

La cadette des enfants est scolarisée à l'Ecole primaire F______. L'aîné, qui souffre d'un trouble du spectre autistique, est scolarisé en classe intégrée auprès de l'EP F______.

c. Depuis le début du mariage, les époux occupent un appartement de 6 pièces situé au ______ème étage de l'immeuble sis avenue 1______ no. ______, [code postal] G______ [GE]. Le loyer annuel est de 24'936 fr., soit 2'078 fr. par mois, charges non comprises.

d. Le 28 mars 2023, B______ a formé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale, concluant, notamment, à ce que le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) autorise les époux à vivre séparés, lui attribue le domicile conjugal et la garde exclusive des enfants, réserve à A______ un droit de visite devant s'exercer dans un milieu surveillé, à raison d'une demi-journée par semaine, et instaure une curatelle de surveillance et d'organisation des relations personnelles ainsi qu'une curatelle d'assistance éducative.

B______ a allégué qu'il assumait seul la prise en charge de D______ et de E______ depuis leur naissance; il leur prodiguait les soins nécessaires, se consacrait à leur éducation et subvenait à leur entretien financier. De son côté, A______ vivait sa vie sans se préoccuper de sa famille. Elle faisait preuve de violence envers les enfants et aurait même menacé de se suicider avec eux. La vie commune était devenue insupportable et lui-même ne pouvait vivre séparé des enfants puisqu'il s'en occupait au quotidien. Les enfants ayant besoin de stabilité, il était important qu'ils puissent continuer à occuper le logement familial et à fréquenter leur école. La mère devait donc quitter le domicile conjugal au plus vite.

e. Dans sa réponse du 30 juin 2023, A______ a conclu, notamment, à ce que le Tribunal lui attribue le domicile conjugal et la garde exclusive des enfants et réserve un droit de visite au père.

Elle a contesté l'ensemble des allégations de son époux. Elle a allégué que de 2015 à 2020, B______ avait travaillé à l'étranger ou hors de Genève. C'était donc elle qui s'était occupée seule des enfants pendant toutes ces années et non l'inverse. Elle n'avait jamais été violente envers D______ et E______.

f. Entre juillet 2022 et janvier 2024, B______ a déposé une dizaine de mains courantes auprès de la Police pour se plaindre de l'attitude de A______, à qui il reprochait notamment de se désintéresser de sa famille, d'accumuler des dettes ou encore d'être agressive envers lui et les enfants.

g. Le 15 janvier 2024, le Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (SEASP) a signalé la situation de la famille au Service de protection des mineurs (SPMi), en raison des allégations du père quant à des actes de violence de la mère sur les enfants.

Suite à ce signalement, un intervenant du SPMi a rencontré les membres de la famille. A______ a contesté les violences alléguées par son époux, exposant que celui-ci était un "pervers narcissique". Elle a précisé avoir eu un lien très fort avec ses enfants jusqu'au milieu de l'année 2022. Ce lien s'était altéré au fil du temps, sous l'influence du père. D______ avait commencé à se montrer violent avec elle; pour illustrer ses propos à ce sujet, A______ avait montré des vidéos à l'intervenant du SPMi, lequel avait noté que "le père film[ait] la scène".

h. Le 11 février 2024, B______ a quitté le domicile conjugal avec les enfants suite à une altercation avec A______. Il a allégué que cette dernière avait fait preuve de violence envers D______ et lui-même, ce que l'épouse conteste.

B______ a produit un constat médical des HUG daté du 12 février 2024, faisant état de lésions superficielles sur la main droite de D______, lequel avait indiqué au médecin avoir "reçu des griffures […] de la part de sa mère".

i. Dans son rapport d'évaluation sociale du 9 avril 2024, le SEASP a retenu qu'il était conforme à l'intérêt de D______ et E______ d'ordonner une expertise psychiatrique du groupe familial et, sur mesures provisionnelles, d'attribuer la garde des enfants au père, de réserver à la mère un droit de visite devant s'exercer dans un milieu thérapeutique et d'instaurer une curatelle d'assistance éducative ainsi qu'une curatelle d'organisation et de surveillance des relations personnelles.

Le SEASP a précisé que depuis la mi-février 2024, B______ et les enfants logeaient provisoirement dans un studio mis à leur disposition par le Centre LAVI. L'époux espérait réintégrer le domicile familial et ne cherchait pas de logement. L'important conflit parental avait un impact délétère sur les enfants qui n'étaient pas suffisamment préservés. Chaque membre de la famille évoquait des actes de violence verbale et physique, le père et les enfants imputant ces actes à la mère et celle-ci les imputant à D______. Une expertise psychiatrique était indispensable pour mieux comprendre la dynamique familiale et se prononcer sur la prise en charge des enfants sur le long terme. A titre provisionnel, la garde de D______ et E______ pouvait être attribuée à B______ qui assumait leur prise en charge actuelle et auquel les enfants étaient attachés. Il était nécessaire que le droit de visite de A______ s'exerce dans un cadre thérapeutique car la relation mère-enfants était mise à mal.

j. Lors de l'audience du Tribunal du 22 mai 2024, les parties se sont déclarées d'accord avec les modalités proposées par le SEASP sur mesures provisionnelles (garde, droit de visite, curatelles). A______ a toutefois déclaré que son accord était subordonné à l'attribution à elle-même du domicile conjugal, faisant valoir qu'elle n'avait pas les ressources financières pour trouver un autre logement.

B______ a déclaré que depuis la séparation, les enfants et lui-même avaient occupé 4-5 logements temporaires. D______ éprouvait des difficultés à s'adapter à un nouvel environnement compte tenu du trouble dont il souffrait. Actuellement, ils occupaient un logement temporaire de 2 pièces à H______ (France), loin de l'école et des activités usuelles des enfants (football et natation). La Gérance immobilière de la Ville de Genève avait rejeté sa demande de logement, car il était déjà locataire du domicile conjugal. Il faisait l'objet de poursuites, ce qui l'empêchait d'obtenir un appartement par le biais des régies privées.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a rendu une ordonnance de mesures provisionnelles, aux termes de laquelle il a, notamment, attribué la garde des enfants au père, réservé à la mère un droit de visite devant s'exercer en milieu thérapeutique et instauré les curatelles préconisées par le SEASP. Il a par ailleurs réservé sa décision sur l'attribution du domicile conjugal et imparti un délai aux parties pour se déterminer sur cette question.

k. Par ordonnance du 23 mai 2024, le Tribunal a ordonné une expertise du groupe familial, désigné l'expert et fixé la mission d'expertise.

l. Dans ses déterminations des 28 juin et 31 juillet 2024, B______ a conclu à ce que le Tribunal lui attribue la jouissance du logement conjugal, ainsi que du mobilier le garnissant, et ordonne à A______ de quitter ledit domicile d'ici au 19 août 2024 (date de la rentrée scolaire). Il a allégué, en substance, avoir été contraint de quitter le logement conjugal avec les enfants en raison du climat de crainte instauré par A______. Depuis lors, lui-même et les enfants étaient confrontés à des conditions de logement provisoires, voire précaires. D______ et E______ avaient tous deux besoin de retrouver de la stabilité et un environnement familier d'ici la rentrée scolaire d'août 2024.

Il a produit une attestation établie le 12 juin 2024 par la pédiatre des enfants. Celle-ci a relevé que les problèmes récents relatés par le père (difficultés d'endormissement pour la cadette, difficultés comportementales nouvelles à l'école pour l'aîné) montraient que D______ et E______ étaient en souffrance. La pédiatre a ajouté ce qui suit : "je désire souligner l'importance d'une stabilité dans la vie des enfants, notamment concernant leur lieu de vie. Ce besoin de constance est d'autant plus important pour D______ en raison de son trouble du spectre autistique, tout changement entraînant du stress. Un lieu de vie proche des écoles fréquentées par les enfants avec une chambre pour ceux-ci est hautement souhaitable. Je tiens à souligner que j'ai pris moi-même l'initiative de ce courrier pour appuyer la stabilisation du lieu de vie des enfants".

B______ a également produit trois courriers relatifs à ses recherches de logement datant de fin mai 2024.

m. Dans ses déterminations du 31 juillet 2024, A______ a conclu à ce que le Tribunal lui attribue le logement conjugal, ainsi que le mobilier le garnissant, sous réserve des effets personnels de B______ que celui-ci pouvait venir récupérer. A titre préalable, elle a conclu à ce que le Tribunal ordonne la comparution personnelle des parties "pour faire le point sur la situation, notamment eu égard aux recherches d'appartements effectuées par B______", ainsi que l'audition de deux intervenants en protection de l'enfant, du SPMi et du SEASP, qui avaient traité la situation.

Elle a fait valoir que le départ de son époux du domicile conjugal avec D______ et E______ était injustifié. B______ l'avait accusée à tort d'être violente avec les enfants pour la contraindre à quitter le domicile conjugal, voire à quitter la Suisse. Les enfants étaient manipulés par leur père. Toutefois, afin de ne pas les perturber davantage, elle ne s'était pas opposée à ce que leur garde soit provisoirement confiée à ce dernier. Elle demandait à conserver le domicile conjugal jusqu'à ce que la situation familiale ait fait l'objet d'une instruction complète, s'agissant en particulier des compétences éducatives du père, notamment au moyen de l'expertise familiale. Ayant récemment perdu son emploi, elle s'exposait à tomber dans le dénuement si elle devait quitter le logement conjugal à bref délai (cf. infra let. n.b).

n. La situation personnelle et financière des parties est la suivante :

n.a B______ bénéficie d'une formation d'informaticien.

De septembre 2020 jusqu'à sa démission en octobre 2023, il a été employé par I______, sise à Zurich, pour un salaire annuel brut de 137'000 fr. L'époux s'est inscrit au chômage début janvier 2024; il allègue n'avoir pas retrouvé d'emploi depuis lors.

Il ressort des pièces produites qu'il a fait l'objet d'une saisie arrangée sur ses gains de 2'600 fr. par mois dès juin 2023.

n.b A______ travaille dans le domaine du nettoyage. Assistée d'une interprète, elle a déclaré au Tribunal ne parler qu'anglais; elle avait suivi des cours de français mais ne maîtrisait pas cette langue.

Dès mars 2023, elle a travaillé auprès de J______ SA à K______, par le biais de la société intérimaire L______, qui la rémunérait à l'heure. Son salaire mensuel net a oscillé entre 2'162 fr. à 3'089 fr. de mai à novembre 2023.

Dès décembre 2023, A______ a fait l'objet d'une saisie sur salaire opérée par l'Office des poursuites. Pour calculer sa quotité saisissable, ledit Office a retenu qu'elle réalisait un revenu mensuel net de 2'777 fr.

Lors de l'audience du 22 mai 2024, A______ a déclaré au Tribunal qu'elle travaillait à temps partiel, mais ne pouvait augmenter son taux d'activité car elle devait se rendre à la sortie de l'école pour voir ses enfants. Une fois le droit de visite fixé par le Tribunal, elle était disposée à "prendre une activité supplémentaire".

Dans ses déterminations du 31 juillet 2024 (cf. supra let. m), A______ a allégué avoir récemment perdu son emploi. Elle a produit un échange WhatsApp avec "L______", non daté, duquel il ressort que sa mission chez J______ SA prenait fin "ce jour".

B. Par ordonnance OTPI/614/2024 du 2 octobre 2024, reçue le 4 octobre 2024 par les parties, le Tribunal, statuant sur mesures provisionnelles, a renoncé, à ce stade, à auditionner les intervenants du SPMi et du SEASP (ch. 1 du dispositif), attribué à B______ la jouissance exclusive du domicile conjugal ainsi que du mobilier le garnissant (ch. 2), ordonné à A______ de quitter le domicile conjugal dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision
(ch. 3), réservé la décision finale du Tribunal quant au sort des frais judiciaires
(ch. 4), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

Le Tribunal a retenu que B______, à qui la garde des enfants avait été confiée par ordonnance du 22 mai 2024, disposait d'un intérêt prépondérant à se voir attribuer le domicile conjugal, qu'il avait dû quitter précipitamment avec D______ et E______. Une telle attribution permettrait de ramener une certaine stabilité aux enfants, plus particulièrement à D______ qui souffrait d'un trouble du spectre autistique. De plus, B______ était actuellement au chômage et faisait l'objet de poursuites; il lui était ainsi difficile de trouver un autre logement, malgré les recherches entreprises. A______ s'était engagée lors de l'audience du 22 mai 2024 à augmenter son temps de travail une fois les modalités de son droit de visite fixées, ce qui avait été fait par ordonnance rendue le même jour. L'épouse était donc en mesure d'augmenter ses revenus et, cela fait, de trouver un autre logement dans le délai de deux mois accordé. Enfin, l'audition des intervenants du SPMi et du SEASP ne se justifiait pas sur mesures provisionnelles.

C. a. Par acte déposé le 14 octobre 2024 devant la Cour de justice, A______ a fait appel de cette ordonnance, concluant à son annulation et, cela fait, principalement, à l'attribution en sa faveur du domicile conjugal et du mobilier le garnissant, à l'exception des effets personnels de B______ que celui-ci pouvait venir récupérer, et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, le tout sous suite de frais et dépens.

A titre préalable, elle a conclu à ce que la Cour ordonne la comparution personnelle de parties "pour faire un point de situation, notamment eu égard aux recherches d'appartements effectuées par B______", ainsi que l'audition des intervenants du SPMi et du SEASP. Elle a également sollicité l'octroi de l'effet suspensif à son appel.

b. Dans ses déterminations du 21 octobre 2024, B______ a conclu au rejet de la requête en restitution de l'effet suspensif.

Il a produit une pièce nouvelle. Il s'agit d'un courriel qu'il a adressé le 3 octobre 2024 à la curatrice de D______ et E______, pour l'informer qu'il allait à nouveau devoir déménager avec les enfants, la chambre qu'il louait depuis mai 2024 devant être libérée d'ici fin novembre 2024.

c. Par arrêt du 23 octobre 2024, la Cour a rejeté la requête de A______ tendant à suspendre le caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée et dit qu'il serait statué sur les frais avec l'arrêt rendu sur le fond.

d. Dans sa réponse du 28 octobre 2024, B______ a conclu au rejet de l'appel, sous suite de frais et dépens.

e. Aucune réplique spontanée n'ayant été déposée, la cause a été gardée à juger le 27 novembre 2024, ce dont les parties ont été informées le même jour.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions sur mesures provisionnelles dans les affaires patrimoniales si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC).

En l'espèce, le litige porte sur l'attribution du domicile conjugal, soit une affaire de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral; 5A_934/2023 du 5 juin 2024 consid. 1; 5A_760/2023 du 19 mars 2024 consid. 1.1), dont la valeur litigieuse requise est atteinte (art. 91 al. 2 et 92 CPC), de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de dix jours (art. 271 et 314 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen
(art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), sa cognition est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb, JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_12/2013 du 8 mars 2013 consid. 2.2).

1.4 Selon l'art. 296 al. 1 CPC, la maxime inquisitoire s'applique lorsque le juge est saisi de questions relatives aux enfants dans les affaires de droit de la famille. Lorsque l'attribution du domicile conjugal concerne également les enfants mineurs des époux, les maximes d'office et inquisitoire illimitée s'appliquent à cette question (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_930/2012 du 16 mai 2013 consid. 3.3.3. et 3.3.4).

Les parties peuvent présenter des nova même si les conditions de l'art. 317 CPC ne sont pas réunies, dans la mesure où ils servent à rendre une décision conforme à l'intérêt de l'enfant (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).

La pièce nouvelle dont l'intimé se prévaut devant la Cour porte sur des faits survenus après que le Tribunal a gardé la cause à juger. Elle est dès lors recevable en vertu de l'art. 317 al. 1 CPC, de même que les faits auxquels elle se rapporte. Elle est de surcroît pertinente pour statuer sur l'attribution du domicile conjugal, problématique qui impacte également les enfants mineurs des parties.

2. L'appelante sollicite, à titre préalable, que la Cour ordonne la comparution personnelle des parties et l'audition des intervenants du SPMi et du SEASP.

2.1 Aux termes de l'art. 316 CPC, l'instance d'appel peut ordonner des débats ou statuer sur pièces (al. 1). Elle peut aussi administrer des preuves (al. 3).

En règle générale, la procédure d'appel est menée purement sur dossier, sans tenue d'une audience ni administration de preuves (ATF 142 III 413 consid. 2.2.1).

Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend pour le justiciable le droit de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique (ATF 135 II 286 consid. 5.1). Il ne garantit en revanche pas le droit de s'exprimer oralement devant l'autorité appelée à statuer (ATF 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, la Cour dispose des éléments pertinents pour trancher la question de l'attribution du logement conjugal, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'entendre – à nouveau – les parties qui se sont déjà exprimées à ce sujet en première instance et en appel.

L'audition de l'intervenante du SEASP n'est pas non plus utile pour statuer sur ce point, étant relevé que le rapport du SEASP porte essentiellement sur l'attribution de la garde des enfants et sur la fixation du droit de visite, soit sur des questions qui ne sont pas litigieuses en appel. Il en va de même de l'audition de l'intervenant du SPMi, qui a entendu les membres de la famille suite à un signalement du SEASP concernant d'éventuelles violences de la mère sur les enfants. L'on ne discerne ainsi pas en quoi l'intéressé pourrait apporter un éclairage pertinent sur la question de l'attribution du domicile conjugal à l'un ou l'autre époux.

La cause étant en état d'être jugée, la requête préalable de l'appelante sera rejetée.

3. L'appelante fait grief au premier juge d'avoir attribué la jouissance exclusive du domicile conjugal à l'intimé.

3.1.1 La question de savoir si des mesures provisionnelles peuvent être ordonnées dans le cadre d'une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, qui constituent déjà elles-mêmes des mesures provisionnelles (cf. ATF 137 III 475 consid. 4.1), est controversée en doctrine et n'a pas été tranchée par le Tribunal fédéral (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_590/2019 cité consid. 3.4), qui s'est limité à relever que de telles mesures ne devraient, si tant est que l'on considère qu'elles soient admissibles, être prononcées qu'avec retenue et en cas d'urgence (arrêt du Tribunal fédéral 5A_549/2016 du 18 octobre 2016 consid. 4.2).

La Cour de céans reconnaît la possibilité de prononcer valablement de telles mesures, notamment lorsque la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale risque de se prolonger (ACJC/1230/2024 du 8 octobre 2024 consid. 3.1; ACJC/178/2023 du 24 janvier 2023 consid. 4.1.1; ACJC/1454/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3.1 et les références citées).

Elles ne peuvent toutefois être ordonnées que pour autant que les conditions posées par l'art. 261 CPC soient réunies (ACJC/256/2021 du 2 mars 2021 consid. 5.1; ACJC/1684/2019 du 12 novembre 2019 consid. 4.1; ACJC/763/2019 du 14 mai 2019 consid. 1.3; ACJC/1452/2018 du 19 octobre 2018 consid. 3.1).

3.1.2 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable, d'une part, qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et, d'autre part, que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose d'une façon générale la vraisemblance du droit invoqué. Le requérant doit ainsi rendre plausible que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès (arrêt du Tribunal fédéral 5P.422/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3.2, SJ 2006 I p. 371; Bohnet, CR CPC, 2ème éd., 2019, n. 7 ad art. 261 CPC). En outre, la vraisemblance requise doit porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou matériel (Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC). La condition du préjudice difficilement réparable vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 116 Ia 446 consid. 2, JdT 1992 I p. 122). Elle suppose l'urgence, laquelle s'apprécie au regard des circonstances concrètes du cas (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC).

3.1.3 Si les époux ne parviennent pas à s'entendre au sujet de la jouissance de l'habitation conjugale, l'art. 176 al. 1 ch. 2 CC prévoit que le juge attribue provisoirement le logement conjugal à l'une des parties en faisant usage de son pouvoir d'appréciation. Il doit procéder à une pesée des intérêts en présence, de façon à prononcer la mesure la plus adéquate au vu des circonstances concrètes (arrêts du Tribunal fédéral 5A_829/2016 du 15 février 2017 consid. 3.1; 5A_298/2014 du 24 juillet 2014 consid. 3.3.2 et les références citées).

En premier lieu, le juge doit examiner à quel époux le domicile conjugal est le plus utile. Ce critère conduit à attribuer le logement à celui des époux qui en tirera objectivement le plus grand bénéfice, au vu de ses besoins concrets. A cet égard, entrent notamment en considération l'intérêt de l'enfant, confié au parent qui réclame l'attribution du logement, à pouvoir demeurer dans l'environnement qui lui est familier, l'intérêt professionnel d'un époux, qui, par exemple, exerce sa profession dans l'immeuble, ou encore l'intérêt d'un époux à pouvoir rester dans l'immeuble qui a été aménagé spécialement en fonction de son état de santé. L'application de ce critère présuppose en principe que les deux époux occupent encore le logement dont l'usage doit être attribué (ATF 120 II 1 consid. 2c; arrêts du Tribunal fédéral 5A_344/2022 du 31 août 2022 consid. 3.1 et 3.2; 5A_829/2016 du 15 février 2017 consid. 3.1). Le fait qu'un des époux ait par exemple quitté le logement conjugal non pas pour s'installer ailleurs mais pour échapper provisoirement à un climat particulièrement tendu au sein du foyer ou encore sur ordre du juge statuant de manière superprovisionnelle ne saurait toutefois entraîner une attribution systématique de la jouissance du logement à celui des époux qui l'occupe encore (arrêt du Tribunal fédéral 5A_823/2014 du 3 février 2015 consid. 4.1; 5A_829/2016 précité consid. 3.1).

Si ce premier critère de l'utilité ne donne pas de résultat clair, le juge doit, en second lieu, examiner à quel époux on peut le plus raisonnablement imposer de déménager, compte tenu de toutes les circonstances. A cet égard, entrent notamment en considération l'état de santé ou l'âge avancé de l'un des époux qui, bien que l'immeuble n'ait pas été aménagé en fonction de ses besoins, supportera plus difficilement un changement de domicile, ou encore le lien étroit qu'entretient l'un d'eux avec le domicile conjugal, par exemple un lien de nature affective. Des motifs d'ordre économique ne sont en principe pas pertinents, à moins que les ressources financières des époux ne leur permettent pas de conserver ce logement
(ATF 120 II 1 consid. 2c; arrêts du Tribunal fédéral 5A_344/2022 précité consid. 3.1 et 3.2; 5A_829/2016 précité consid. 3.1).

Le bien de l'enfant est un critère prioritaire (arrêts du Tribunal fédéral 5A_188/2018 du 1er mars 2018 consid. 4 et les références citées; 5A_470/2016 du 13 décembre 2016 consid. 5.1; 5A_904/2015 du 29 septembre 2016 consid. 4.2; 5A_829/2016 précité consid. 3.1 ; 5A_592/2017 du 24 août 2017 consid. 2.2).

3.2 En l'espèce, il apparaît nécessaire et urgent de régler – à titre provisionnel – la question de l'attribution du domicile conjugal. Les parties conviennent en effet que le Tribunal ne pourra pas statuer sur la requête de mesures protectrices à bref délai, dans la mesure où une expertise du groupe familial est en cours et que le rapport d'expertise ne sera probablement pas rendu avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Dans l'intervalle, les enfants, dont la garde a été provisoirement octroyée à l'intimé, n'ont plus accès au logement familial, où ils ont grandi et ont tous leurs repères, ce qui les a contraints à déménager à plusieurs reprises depuis février 2024. Or il est dans l'intérêt prépondérant de D______ et E______ – dont le besoin de stabilité a été souligné par leur pédiatre, en particulier pour l'aîné qui souffre d'un trouble du spectre autistique – de pouvoir retrouver leur cadre de vie habituel, en réintégrant le logement familial, qui est situé à proximité de leur école et qui est suffisamment spacieux pour que chacun d'eux y dispose de sa propre chambre.

L'intimé a exposé avoir quitté précipitamment le domicile conjugal avec les enfants en février 2024, non pas pour s'installer ailleurs, mais pour échapper provisoirement au climat délétère qui régnait au sein du foyer. Depuis lors, il a occupé des logements provisoires avec les enfants, sans parvenir à se reloger de manière durable, de sorte qu'il conserve un intérêt à se voir attribuer ledit domicile. L'appelante conteste certes les explications de l'intimé sur ce point. En particulier, elle conteste tout acte de violence de sa part envers son fils et sa fille. Il ressort néanmoins du rapport SEASP, mais aussi des mains courantes déposées par l'époux de juillet 2022 à janvier 2024, que le climat familial était extrêmement tendu à l'époque de la séparation et que les enfants souffraient de cette situation. Il est ainsi vraisemblable que l'intimé a quitté le domicile conjugal dans l'urgence afin de soustraire les enfants au conflit parental. Rien ne s'oppose donc à ce que ledit domicile soit attribué à l'intimé même s'il ne l'occupe pas en l'état.

Les arguments de l'appelante en lien avec les capacités éducatives de l'intimé sont, par ailleurs, dénués de pertinence. L'appel porte en effet uniquement sur l'attribution du domicile conjugal et non sur la question des droits parentaux – étant souligné que l'appelante n'a pas recouru contre l'ordonnance du Tribunal du 22 mai 2024 octroyant la garde provisoire des enfants à leur père. Il est par ailleurs constant que, depuis février 2024, l'intimé assume seul la prise en charge de D______ et E______ et que ceux-ci ne voient plus l'appelante que dans le cadre d'un droit de visite médiatisé.

Au surplus, la situation financière de l'intimé, qui est au chômage et fait l'objet de poursuites, entrave sa capacité à trouver un logement. Il n'est d'ailleurs pas parvenu à se loger durablement avec les enfants depuis février 2024. Si l'appelante fait également l'objet de poursuites, sa situation professionnelle actuelle demeure floue. Devant la Cour, elle n'a pas allégué avoir recherché activement un emploi à temps plein pour couvrir ses propres charges, en particulier ses frais de logement. Elle n'a pas non allégué – ni a fortiori rendu vraisemblable – avoir effectué sans succès des démarches concrètes et sérieuses en vue de trouver un logement de remplacement, étant encore relevé qu'il est plus aisé de se reloger pour une personne seule, par exemple en (sous-)louant une chambre chez l'habitant.

Il découle de ce qui précède que l'intérêt de l'intimé et des enfants à pouvoir réintégrer rapidement le domicile conjugal l'emporte sur celui de l'appelante à en conserver la jouissance.

La décision du Tribunal d'attribuer – à titre provisionnel – le domicile conjugal à l'intimé n'est donc pas critiquable. Le délai de départ de deux mois fixé par le premier juge apparaît en outre adéquat, étant relevé que l'appelante n'a pas pris de conclusion subsidiaire tendant à l'octroi d'un délai de départ plus long.

L'ordonnance attaquée sera dès lors confirmée.

4. Les frais judiciaires d'appel, qui comprennent l'émolument de décision sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 96 CPC; art. 23, 31 et 37 RTFMC) et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC). Celle-ci plaidant au bénéfice de l'assistance juridique, ces frais seront provisoirement supportés par l'Etat de Genève (art. 122 al. 1 let. b, 123 al. 1 CPC et 19 RAJ).

Compte tenu de la nature familiale du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. c CPC).

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 14 octobre 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/614/2024 rendue le 2 octobre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3809/2023.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont provisoirement supportés par l'Etat de Genève.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, dans les limites des art. 93 et 98 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.