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Décisions | Chambre civile

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C/14537/2012

ACJC/667/2020 du 11.05.2020 sur JTPI/8608/2019 ( OO ) , JUGE

Recours TF déposé le 25.06.2020, rendu le 20.09.2021, CONFIRME, 4A_344/2020
Recours TF déposé le 25.06.2020, rendu le 20.09.2021, CASSE, 4A_342/2020
Normes : CO.754.al1; CO.717.al1; CO.398.al2; CO.759; CO.44.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14537/2012 ACJC/667/2020

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du LUNDI 11 MAI 2020

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (VD), appelant et intimé d'un jugement rendu par la 7ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 juin 2019, comparant par Me Tal Schibler, avocat, boulevard du Théâtre 3 bis, case postale 5740, 1211 Genève 11, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], appelant et intimé, comparant d'abord par Me Julien Waeber, avocat, puis en personne,

et

C______ SA, sise ______ [GE], appelante et intimée, comparant par
Me Jacques Roulet, avocat, boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/8608/2019 rendu le 14 juin 2019, notifié le 21 juin 2019 à C______ SA et à B______ et le 24 juin 2019 à A______, le Tribunal de première instance a condamné B______ et A______ à verser, conjointement et solidairement, à C______ SA 81'000 EUR, avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2011 (chiffre 1 du dispositif), condamné B______ à verser à C______ SA un montant de 162'000 EUR, avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2011 (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 36'240 fr. (ch. 3), compensés avec les avances fournies par les parties à hauteur de 36'940 fr. pour C______ SA, de 2'200 fr. pour B______ et de 100 fr. pour A______ (ch. 4) et mis à hauteur de 18'120 fr. à charge de C______ SA, de 12'080 fr. à charge de B______ et de 6'040 fr. à charge de A______ (ch. 5), condamné B______ à verser 9'880 fr. à C______ SA (ch. 6), condamné A______ à verser 5'940 fr. à C______ SA (ch. 7), ordonné à l'Etat de Genève, soit aux Services financiers du Pouvoir judiciaire, de restituer 3'000 fr. à C______ SA (ch. 8), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 9) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 10).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 21 août 2019, C______ SA a formé appel de ce jugement et conclu à son annulation. Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour condamne B______ et A______ à lui payer 486'000 EUR, plus intérêts à 5% l'an depuis le 9 décembre 2011 et les déboute de toutes leurs conclusions, sous suite de frais et dépens.

b. B______ a conclu préalablement à l'audition de l'inspecteur D______ de la Police judiciaire. Principalement, il a conclu à l'annulation du jugement entrepris et, cela fait, à ce que la Cour rejette la demande en paiement de C______ SA, sous suite de frais et dépens.

c. A______ a conclu au déboutement de C______ SA de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

d. C______ SA a répliqué et persisté dans ses conclusions.

e. B______ a dupliqué et persisté dans ses conclusions.

f. Par avis du 28 janvier 2020, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. a. Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 août 2019, B______ a formé appel de ce jugement et conclu préalablement à l'audition de l'inspecteur D______ de la Police judiciaire. Principalement, il a conclu à ce que la Cour annule le jugement entrepris et rejette la demande en paiement de C______ SA, sous suite de frais et dépens.

Il a produit des pièces nouvelles.

b. C______ SA a conclu à ce que la Cour déclare irrecevable la conclusion préalable de B______, ainsi que les pièces B et C produites à l'appui de son mémoire. Au fond, elle a conclu au déboutement de B______ et A______ de toutes leurs conclusions, sous suite de frais et dépens.

c. A______ a conclu au déboutement de C______ SA de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

d. B______ a répliqué et persisté dans ses conclusions.

e. C______ SA a dupliqué et persisté dans ses conclusions.

f. Par avis du 28 janvier 2020, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

D. a. Par acte déposé le 26 août 2019, A______ a formé appel de ce jugement et conclu à l'annulation de chiffres 1, 5, 7, 9 et 10 de son dispositif. Cela fait, il a conclu au déboutement de C______ SA de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

b. B______ a conclu préalablement à l'audition de l'inspecteur D______ de la Police judiciaire. Principalement, il a conclu à l'annulation du jugement entrepris et, cela fait, à ce que la Cour rejette la demande en paiement de C______ SA, sous suite de frais et dépens.

c. C______ SA a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

d. Par avis du 28 janvier 2020, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

E. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. E______ (SUISSE) SA - devenue C______ SA en 2002 (cf. attendu c. infra) - a été inscrite au registre du commerce du canton de Vaud le 24 décembre 1997.

B______ et A______ étaient les administrateurs avec pouvoir de signature collective à deux de E______ (SUISSE) SA, puis de C______ SA. Leurs pouvoirs ont été radiés le ______ 2012.

b. L'entier du capital-actions de E______ (SUISSE) SA était détenu par F______, société sise à G______ en France.

F______ a conclu avec B______ et A______ un contrat de fiducie le 8 février 2001.

Ce contrat prévoyait qu'afin de se conformer aux dispositions de l'article 707 CO, qui imposent aux administrateurs d'être actionnaires de la société, B______ et A______ seraient désormais inscrits au registre des actionnaires comme propriétaires chacun d'une action.

Il précisait que B______ et A______ conservaient les actions susmentionnées pour le compte de F______ (article 1).

L'article 3 avait la teneur suivante :

B______ et A______ s'engagent à exercer le droit de vote attaché aux actions objets du présent contrat et à administrer et gérer la société, conformément à un règlement d'organisation établi selon les instructions de F______.

L'article 4 avait la teneur suivante :

Le présent mandat peut être rétribué. Dans ce cas, le montant des honoraires sera fixé d'entente entre les parties dans une convention séparée. [...]

L'article 5 avait la teneur suivante :

F______ s'engage, tant pour elle-même que pour tous tiers sur lesquels elle exercerait un droit de contrôle, à ne pas rechercher B______ et A______ en leur qualité d'administrateurs ou d'actionnaires de la société, à moins qu'ils n'aient agi dolosivement ou commis une faute grave au sens de l'art. 100 al. 1 CO.

c. Le 3 avril 2001, le groupe C______ - qui dispose notamment de filiales à H______ et à I______ - a acquis F______ et notamment E______ (SUISSE) SA.

E______ (SUISSE) SA a été radiée du registre du commerce du canton de Vaud le ______ 2002 suite au transfert de son siège à Genève. La raison sociale a été changée à cette époque pour devenir C______ SA. Dès ce moment, J______ - qui est le fondateur, le président et l'actionnaire majoritaire du groupe C______ - a occupé les fonctions d'administrateur président avec pouvoir de signature individuelle, ce jusqu'en 2017.

d. Le but social de C______ SA est le développement, la promotion, la maintenance, le commerce sous toutes ses formes, la location et le financement de tous produits et logiciels ayant trait à l'informatique, ainsi que la fourniture de conseils et services dans ces domaines, la fourniture de services dans les domaines financiers, administratifs et comptables, notamment l'exercice de mandats d'administration, de gestion et de contrôle, la location et le service notamment de personnel.

Son capital social est de 150'000 fr.

C______ SA était presqu'exclusivement utilisée pour l'encaissement de factures adressées à des clients du groupe C______. Une fois les montants encaissés, ceux-ci étaient régulièrement rapatriés sur le compte de la maison mère du groupe C______ en France.

e. Un mandat de gestion courante de C______ SA a été donné à K______ Sàrl. Le siège de C______ SA se trouvait dans les locaux de K______ Sàrl.

B______ était seul associé gérant de K______ Sàrl. L______ et M______ étaient des employés de cette société.

La rémunération du mandat de gestion courante donné à K______ Sàrl et celle de B______ en sa qualité d'administrateur de C______ SA étaient de 40'000 fr. par année.

f. La rémunération de A______ en sa qualité d'administrateur de C______ SA était de 3'500 fr. par année.

g. C______ SA a ouvert en juin 2002 une relation bancaire n° 1______ auprès de N______ SA (ci-après : le compte).

J______ disposait d'une signature individuelle sur le compte et B______ et A______ d'une signature collective à deux.

h. En tant qu'administrateurs de C______ SA, B______ et A______ avaient pour tâches de procéder à l'administration courante de la société. J______ surveillait cette activité à distance depuis O______ [France] et venait parfois à Genève pour participer à des séances du conseil d'administration.

B______ et A______ étaient notamment chargés d'effectuer les transferts bancaires par le biais du compte.

Ils ne disposaient pas de marge de manoeuvre en lien avec ces comptes : toutes les opérations de transfert s'effectuaient selon les instructions données directement ou indirectement par J______ en tant qu'administrateur-président de C______ SA et président et actionnaire majoritaire du groupe C______.

Les ordres de transfert relatifs aux salaires et aux frais des employés, ainsi qu'aux factures des fournisseurs étaient donnés par l'antenne du groupe C______ à P______ [France].

Les autres ordres de transferts, notamment les transferts entre sociétés du groupe C______ ou à des tiers, étaient donnés par le siège du groupe C______ à O______, soit par Q______, comptable, R______, directeur financier, et rarement par J______ ou par son assistante S______.

Les transferts de fonds importants, de l'ordre de 500'000 EUR, consistaient en des rapatriements de fonds de C______ SA au groupe C______. Des transferts à des sociétés externes au groupe n'avaient eu lieu qu'en faveur des sociétés T______ LTD et U______ SPRL.

Les ordres de transfert étaient la plupart du temps donnés par téléphone et confirmés par un courriel ou simplement par courriel. Aucune pièce n'était généralement jointe aux demandes de transfert.

L______ qui était comptable auprès de K______ Sàrl et en charge de C______ SA, a exposé avoir préparé à plusieurs reprises des paiements en faveur de sociétés qu'il ne connaissait pas. Dès qu'il devait effectuer un tel versement, il demandait une confirmation par courriel. Aucun autre exemple de sociétés externes au groupe à qui des versements auraient été effectués, mis à part T______ LTD et U______ SPRL, n'a été donné.

A______, qui n'avait pas de contact direct avec le groupe C______, était informé par B______ des ordres de transfert requis afin qu'il les valide.

A titre d'exemples d'ordres de transfert passés, B______ a produit un ordre donné le 29 mai 2008 par Q______ par courriel avec en copie V______, dont la teneur est la suivante :

"B______,

Etant donné la situation de tréoerie [sic] confortable de C______ SUISSE (+266K CHF et +124K e) peux tu effectuer le virement des commissions à T______ LTD pour les années 2005/2006/2007.

Le montant validé par J______ et V______ est de 180 000 e, V______ merci de confirmer.

Cordialement."

Un ordre du 21 avril 2010 envoyé par Q______ par courriel, avec en copie J______ et R______, a le texte suivant :

"B______,

Merci de regler [sic] ce jour la facture jointe de 30000 Euro [sic] à la société U______ SPRL.

J______ et R______ ont donné leur aval sur ce reglement [sic].

[Suivent les coordonnées de U______ SPRL sise en Belgique]

D'avance merci et salutations

Q______."

Un courriel de J______ adressé à B______ le 3 mars 2010 avec en copie R______ se lit de la façon suivante :

"Bonjour B______,

[...] Je te propose de venir nous rendre visite asap sur O______ [...]

Merci de ton retour rapide,

J______"

i. J______ disposait d'un téléphone portable suisse que B______ lui avait fourni afin qu'il le contacte. J______ a indiqué ne l'avoir utilisé qu'à une ou deux reprises, mais jamais pour donner des ordres de transfert.

j. B______ a indiqué avoir, dès 2003, informé J______ des risques liés à un tel modus operandi et aux questions de sécurité propres au système informatique utilisé par le groupe C______. Il aurait demandé à J______ d'établir un processus de communication des ordres de virement requis (limiter le montant possible de virement sans confirmation de J______, communiquer des ordres signés, etc.).

En mai 2010, B______ a organisé une réunion avec une de ses relations professionnelles et amicales, W______, expert en sécurité informatique, et J______.

Aucune mesure n'a été prise suite à cette réunion.

k. Le vendredi 9 décembre 2011 à 10h03, L______ a reçu un appel d'un numéro masqué sur sa ligne interne de K______ Sàrl que seuls cinq ou six clients privilégiés connaissaient, dont, notamment, le groupe C______.

L'interlocuteur, qui s'est fait passer pour J______, a demandé à parler à B______.

B______ a demandé - en guise de question de sécurité - à son interlocuteur quel était son sport favori et ce dernier a répondu correctement, soit que B______ jouait au Polo.

Le dernier contact téléphonique entre J______ datait de deux à quatre mois.

L'interlocuteur - dont B______ était persuadé qu'il s'agissait de J______ - a ensuite indiqué à B______ qu'en raison d'un contrôle fiscal inopiné dont il ne pouvait parler, il avait impérativement besoin de procéder à un virement de fonds du compte de C______ SA sur un compte dont le numéro lui serait indiqué par un certain X______ - dont B______ n'avait jamais entendu parler jusque-là - qui le contacterait dans la journée. Il lui a remis un code à transmettre à ce dernier.

Il a ajouté qu'il ne devait en aucun cas tenter de le joindre ou d'évoquer cette transaction et qu'il le contactait depuis un téléphone sécurisé.

l. Une personne se présentant comme X______ a contacté B______. Il s'est présenté comme un ami d'enfance de J______ et lui a indiqué qu'il s'agissait d'une démarche qui devait impérativement rester confidentielle. Il lui a confirmé que J______ était en difficulté.

B______ a indiqué avoir besoin d'un courriel de confirmation de J______.

m. A 12h23, B______ a reçu un courriel par le biais de l'adresse J______/7@C______.com. Le nom de J______ était affiché sur le courriel à côté de ladite adresse.

L'adresse réelle de J______ était J______/8@C______.com, étant précisé qu'il avait utilisé jusqu'en 2008 environ l'adresse J______/9@C______.com.

Ce courriel, dont l'objet était "facture 3______", avait la teneur suivante :

"bonjour M B______

Veuiller regler la facture d un montant de 486 000 Euros au fournisseur Y______

IBAN sera communique par tel

Cordialement

M J______

Consulting and Integration of business intelligence C______ (Headquarters)

______

______

France - Tel. : + 33 2______"

n. B______ a reçu un appel téléphonique de X______. Celui-ci lui a transmis le numéro de compte.

o. A______, qui était en déplacement à Genève, s'est rendu dans les locaux de K______ Sàrl afin d'enregistrer avec B______ l'ordre de transfert requis.

B______ lui a expliqué les circonstances entourant le transfert.

A 13h59, A______ a, par la banque en ligne, donné l'ordre de transférer 486'000 EUR du compte de C______ SA sur le compte de Y______ auprès de Z______ en Chine.

Cet ordre de transfert a été validé par B______ à 14h03.

Précédemment, pour obtenir suffisamment de liquidités sur le compte, des transferts internes de comptes à comptes ont été effectués.

Est mentionné comme motif du paiement : "achat, fourniture, bureautique et administratif facture 3______".

A______ a quitté les locaux de K______ Sàrl après que ledit ordre de transfert a été enregistré.

p. L'ordre de transfert n'ayant pas pu être confirmé, la localité de la banque bénéficiaire étant invalide, B______ en a fait part par courriel à X______.

q. A 16h55, B______ a reçu un courriel envoyé par X______, par l'adresse X______@gmail.com, dont l'objet était "Re: Doc. N______".

Ce courriel avait la teneur suivante :

"Bonjour

Voici les coordonnées des interlocuteurs

Banque
Z______
adresse: 4______, H______
[Chine]

Fournisseur
Y______ CO LTD
______, AD______
China ______

Je pars en week end maintenant et je vous recontact Lundi
j'ai souligné votre discretion et votre reactivité a qui de droit

Cordialement
X______
"

r. Le samedi 10 décembre 2011 à 20h59, B______ a reçu un courriel envoyé par X______, dont l'objet était "Re: Doc. N______".

Ce courriel avait la teneur suivante :

"Bonsoir

Je viens de réaliser que je ne vous avais pas laissé mon numero de telephone le voici : 5______

je vous appel ce lundi a 8h.30

Cordialement

X______"

s. Le 12 décembre 2011 à 8h26, B______ a reçu un courriel envoyé par X______, dont l'objet était "Re: Doc. N______".

Ce courriel avait la teneur suivante :

"Bonjour,

Apres analyse du document vous avez oublié certains elements veuillez modifier les elements en gras Mettez bien l'exhaustivité des elements pour le transfert

Banque
Bank of communication off shore bank center
adresse:______, H______
[Chine]

Fournisseur
Y______/10______ CO LTD
______
______, AD______
China ______
Cordialement
X______
"

t. Le 12 décembre 2011 à 8h56, B______ a transféré à AA______, chargé de la relation bancaire avec C______ SA auprès de N______ SA, les courriels reçus de X______ le vendredi 9 décembre 2011 à 16h55 et le samedi 10 décembre 2011 à 20h59.

AA______ a procédé à une correction du SWIFT relatif au transfert de 486'000 EUR et l'a transmis à B______, par courriel du même jour à 11h51.

La ville du siège du fournisseur a été modifiée et son adresse a été ajoutée.

A 15h11, B______ a transmis à AA______ le courriel de X______ du 12 décembre 2011 de 8h26.

AA______ a procédé à une nouvelle correction du SWIFT relatif au transfert de 486'000 EUR et l'a transmis à B______, par courriel du même jour à 16h02.

Le nom du fournisseur a été modifié de Y______ CO LTD en
Y______/10______ CO LTD.

Par courriel du mardi 13 décembre 2011 à 9h10, AA______ a transmis à B______ le SWIFT 6______ confirmant le transfert requis.

u. Le 16 décembre 2011, Q______, du service comptabilité du groupe C______, a découvert que C______ SA avait procédé à un virement de 486'000 EUR sur le compte de Y______/10______ CO LTD en Chine.

Q______ a contacté l'assistante de J______, S______, pour s'enquérir de la raison d'un tel virement. Celle-ci a appris, après avoir téléphoné à B______, que c'était J______ qui lui aurait demandé de procéder à ce transfert.

J______ a pris contact avec B______ qui l'a informé avoir procédé à ce transfert suite aux instructions données par une personne qu'il avait prise pour lui.

C______ SA a porté plainte pénale à Genève le même jour.

B______ a requis le même jour de N______ SA le retour des fonds.

v. Le 19 décembre 2011, J______ s'est rendu à Genève et a organisé une réunion en présence de B______.

Lors de cette réunion, une personne se présentant comme X______ a contacté par téléphone B______ afin de s'entretenir sur le bon déroulement de l'opération. Il lui a également passé un autre interlocuteur, un prétendu AB______, avocat au barreau de O______ [France] et ami de J______.

B______ a tenté en vain d'organiser une entrevue, prétextant avoir d'autres clients ayant des problèmes fiscaux qu'il voudrait leur présenter.

Suite à cette réunion, B______ a remis à C______ SA démission avec effet immédiat de son poste d'administrateur. Il a allégué avoir démissionné suite aux reproches injustifiés de J______.

w. A______, qui n'a pas assisté à cette réunion, a été informé de ces faits par téléphone. J______ lui a indiqué que C______ SA avait été victime d'une escroquerie. Il lui a demandé de démissionner.

x. Sur requête de J______, une assemblée générale des actionnaires de C______ SA s'est tenue le même jour en présence de J______.

Le procès-verbal précisait qu'il était pris acte de la démission écrite présentée par B______ et que l'assemblée décidait de mettre immédiatement fin aux fonctions d'administrateur de B______ et de A______.

y. Par courriers du même jour, C______ SA a exposé la situation à N______ SA et lui a demandé la confirmation du blocage des fonds.

Elle a également exposé la situation à Z______ et requis le blocage des fonds. Elle a mandaté un avocat à H______.

Une plainte pénale a été déposée à O______ le 20 décembre 2011.

C______ SA a été informée par son avocat à H______ que le transfert de 486'000 EUR avait été effectué sur un compte ouvert auprès de Z______ non pas à H______, mais à AC______ en Chine et que le solde de ce compte était nul au 20 décembre 2011.

Les démarches entreprises pour identifier les auteurs de l'infraction et récupérer les fonds n'ont pas abouti.

z. C______ SA, considérant que B______, A______ et K______ Sàrl avaient gravement violé leur devoirs d'administrateurs, les a mis en demeure de la dédommager.

Les échanges épistolaires des parties ne leur ont pas permis de trouver un accord, B______, A______ et K______ Sàrl contestant leur responsabilité.

F. a. Par demande déposée par-devant le Tribunal de première instance de Genève le 28 juin 2012, non conciliée le 26 septembre 2012 et introduite le 16 novembre 2012, C______ SA a conclu à ce que le Tribunal condamne B______, A______ et K______ Sàrl, conjointement et solidairement, à lui verser 486'000 EUR avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2011, sous suite de frais et dépens.

b. Dans leurs mémoires réponses du 10 mai 2013, B______, A______ et K______ Sàrl ont conclu au déboutement de C______ SA, sous suite de frais et dépens.

S'agissant des allégués de C______ SA portant sur les faits que le transfert litigieux avait eu lieu vers une société inconnue de celle-ci, que J______ n'avait jamais donné l'ordre de transfert et, de manière générale, que C______ SA avait été victime d'une escroquerie, B______ et A______ les ont partiellement contestés et n'ont pas allégué que le transfert aurait été ordonné par le véritable J______ et qu'il s'agirait donc d'une machination du groupe C______ destinée à leur faire porter la responsabilité d'une prétendue tromperie commise à l'encontre de C______ SA.

c. K______ Sàrl a été dissoute le 22 avril 2013, puis déclarée en faillite le ______ 2014.

La faillite a été clôturée le ______ 2018 et la société a été radiée du Registre du commerce.

d. Les parties ont persisté dans leurs conclusions dans leurs plaidoiries écrites du 31 janvier 2019 et leurs répliques spontanées.

La cause a été gardée à juger quinze jours après la transmission le 24 avril 2019 des dernières répliques spontanées du 16 avril 2019.

G. Dans le jugement entrepris, le Tribunal, après avoir écarté K______ Sàrl de la procédure en raison de sa radiation du Registre du commerce, a considéré que les conditions de la responsabilité d'administrateurs de A______ et de B______ étaient réalisées. Les deux prénommés avaient ordonné un débit en faveur d'un tiers, sans qu'aucune contrepartie ne soit fournie à C______ SA. La faute était grave, car aucune instruction en ce sens n'avait été donnée par l'administrateur président. Même si celui-ci avait réellement donné l'ordre de transfert, le motif invoqué, soit éviter un contrôle fiscal, n'était pas justifiable. Le fait que les deux administrateurs étaient dépourvus de marge de manoeuvre face aux instructions arrivant de la maison mère et plus particulièrement de l'animateur du groupe, soit J______, ne les exonérait pas de leur responsabilité. La question de la validité de la convention de fiducie pouvait être laissée ouverte, car la faute était grave. L'absence de marge de manoeuvre des deux administrateurs recherchés ne suffisait pas à rompre l'existence d'un lien de causalité, mais jouait un rôle dans la répartition du dommage. Ainsi, faisant application de l'art. 759 CO, le Tribunal a retenu qu'outre leur soumission aux ordres émanant de J______, les deux administrateurs ne disposaient d'aucune marche à suivre précise quant à la transmission et à l'enregistrement des ordres de transfert. Aucune mesure de sécurité n'avait été prise. Ainsi, C______ SA supportait une part de 50% de responsabilité dans la perte subie. Pour le solde, A______ avait un rôle limité, ainsi qu'une rémunération réduite, de sorte qu'il ne répondait du dommage qu'à concurrence de 81'000 EUR. B______ répondait pour 243'000 EUR.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

Dès lors qu'en l'espèce les conclusions prises en dernier lieu par C______ SA devant le premier juge tendaient au paiement de sommes en capital s'élevant à un total équivalant à plus de 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Les appels ont été interjetés dans le délai de trente jours (art. 311 al. 1 et 145 al. 1 let. a CPC) et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Ils sont ainsi recevables.

1.3 Les trois appels seront joints et traités en un seul arrêt, dans la mesure où les faits sont identiques (art. 125 let. c CPC).

C______ SA sera désignée ci-après comme l'appelante, A______ comme l'appelant 1 et B______ comme l'appelant 2.

1.4 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC). Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

1.5 La recevabilité de pièces et d'allégués nouveaux des appelants 1 et 2 est contestée.

1.5.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte au stade de l'appel que s'ils sont produits sans retard (let. a) et ne pouvaient l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

1.5.2 Les allégués nouveaux de l'appelant 1 concernant le fait qu'il n'aurait pas eu connaissance des motifs du transfert avancés par le faux J______ sont nouveaux en appel et irrecevables. Il aurait pu les formuler en première instance, ce qu'il n'a pas fait.

Il en va de même du fait que le véritable J______ avait donné l'ordre de transfert, ce point étant développé au consid. 2.2.1 ci-dessous.

Les deux pièces nouvelles produites par l'appelant 2 sont anciennes (2014 et 2016) et auraient pu être produites en première instance, en faisant preuve de la diligence requise. Elles sont irrecevables, ainsi que les faits qui s'y rapportent.

2. Les appelants 1 et 2 contestent que les conditions de leur responsabilité soient réalisées. L'appelante estime qu'une réduction de la responsabilité des précités en raison d'une prétendue faute concomitante est erronée.

2.1
2.1.1
L'article 754 al. 1 CO prescrit que les membres du conseil d'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion répondent à l'égard de la société, de même qu'envers chaque créancier social, du dommage qu'ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs.

La responsabilité des administrateurs est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir un manquement par l'organe à ses devoirs, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et un lien de causalité naturelle et adéquate entre le manquement et le dommage. Il appartient au demandeur à l'action en responsabilité de prouver la réalisation de ces conditions cumulatives (art. 8 CC; arrêt du Tribunal fédéral 4C_281/2004 du 9 novembre 2004, consid 2.3, SJ 2005 I p. 221; ATF 128 III 180, consid. 2d). Cependant, comme le rapport juridique entre la société et ses organes s'apparente à un mandat (ATF 129 III 499 consid. 3), la faute se présume en application de l'art. 97 al. 1 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_467/2010 du 5 janvier 2011 consid. 3.2). Il incombe donc aux organes d'établir les circonstances permettant de démontrer l'absence de faute (arrêt du Tribunal fédéral 4A_373/2015 du 26 janvier 2016 consid. 3.3).

2.1.2 L'administrateur gère les affaires de la société (art. 716 al. 2 CO). Il est tenu d'exercer ses attributions avec toute la diligence nécessaire et de veiller fidèlement aux intérêts de la société (art. 717 al. 1 CO).

Le devoir de diligence signifie que le responsable doit déployer les efforts que l'on peut attendre de lui pour bien accomplir la mission qui lui est confiée. Il ne suffit pas d'observer la "diligentia quam in suis", c'est-à-dire le soin que l'on apporte à ses propres affaires. L'étendue du devoir de diligence se détermine de manière objective en fonction des circonstances concrètes (ATF 122 III 195 consid. 3a; Corboz/Aubry Girardin, Commentaire romand - CO II, 2ème éd. 2017 n. 19 ad art. 754 CO).

L'administrateur s'occupe de tout ce qui concerne la gestion de la société; il doit s'efforcer de remplir au mieux sa mission, que celle-ci soit dictée expressément par la loi ou résulte des circonstances. Il doit notamment s'abstenir de se lancer dans des opérations exagérément risquées. Il n'est pas responsable du seul fait que son choix, examiné a posteriori, ne paraît pas le plus judicieux. Il faut se placer au moment du comportement qui lui est reproché et se demander, en fonction des renseignements dont il disposait ou pouvait disposer, si son attitude semble raisonnablement défendable (Corboz/Aubry Girardin, op. cit., n. 22 ad art. 754 CO). On doit donc comparer le comportement adopté concrètement par l'administrateur avec celui qu'aurait eu une personne agissant en pareille situation; il faut apprécier le comportement concret ex ante, en fonction de l'état du droit à l'époque et des faits que le responsable pouvait connaître. La jurisprudence fait preuve de retenue en jugeant des choix après coup, pour autant que ces choix aient été faits à la suite d'une procédure décisionnelle menée de manière diligente, sur la base d'informations suffisantes. L'administrateur peut par exemple engager sa responsabilité en provoquant, par un comportement répréhensible, un procès dirigé contre la société (Corboz/Aubry Girardin, op. cit., n. 22a et 22b ad art. 754 CO).

La faute de l'administrateur qui se considère comme un homme de paille incapable de résister à l'administrateur président n'en est pas moins réelle, car celui qui se déclare prêt à assumer un mandat d'administrateur tout en sachant qu'il ne peut pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Même si l'administrateur est en réalité un "homme de paille" (ou un prête-nom) et/ou s'il ne s'occupe pas du tout de sa tâche, il doit assumer la responsabilité liée à sa charge. Un administrateur ne peut pas non plus s'abriter derrière le fait qu'il s'est fié aux paroles rassurantes du directeur de la société, s'il devait se rendre compte que celles-ci l'amenaient à un comportement contraire aux devoirs de sa charge (arrêt du Tribunal fédéral 4A_373/2015 du 26 janvier 2016 consid. 3.2.2).

Dans les groupes de société, les administrateurs dépendants se définissent comme les membres du conseil d'administration des filiales désignés par la société de contrôle pour exercer le contrôle sur elles en ses lieu et place. Les administrateurs dépendants appartiennent à la catégorie plus large des administrateurs fiduciaires. Ces derniers se définissent comme les administrateurs qui exercent un mandat en leur nom propre mais qui agissent selon les instructions et pour le compte d'un tiers, soit le fiduciant. Ces dirigeants sont soumis aux mêmes règles, et notamment à la même responsabilité, que n'importe quel autre membre du conseil d'administration (Blanc, Corporate Governance dans les groupes de sociétés - De l'organisation équilibrée des organes dirigeants dans les groupes de sociétés - Etudes de droit suisse avec de larges références aux droits allemand et américain, 2010, p. 172).

Conformément à l'art. 398 al. 2 CO, le mandataire est responsable envers le mandant de la bonne et fidèle exécution du mandat. Ainsi, selon le Tribunal fédéral, le premier devoir du mandataire est de veiller diligemment et fidèlement aux intérêts du mandant, d'agir au profit de ce dernier et non à son détriment. S'il a reçu des instructions inopportunes ou irréalisables, il s'en ouvrira au mandant et lui demandera de prendre position. Dès le moment où il se sera rendu compte que des instructions sont inopportunes ou inobservables, il ne poursuivra pas l'exécution du mandat sans égard à ces instructions. S'il a seulement des raisons de supposer que les instructions pourraient être inopportunes ou irréalisables, il s'efforcera immédiatement de tirer la question au clair, conformément à son devoir de diligence; si ses suppositions se vérifient, il en fera part au mandant, sans délai. Il ne poursuivra son travail que dans la mesure indispensable pour tenir un délai d'exécution (ATF 108 II 197 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2017 du 18 mai 2018 consid. 5.2.2).

2.1.3 En général, la banque doit vérifier l'authenticité des ordres qui lui sont adressés uniquement selon les modalités convenues entre les parties ou, le cas échéant, spécifiées par la loi. Elle n'a pas à prendre de mesures extraordinaires, incompatibles avec une liquidation rapide des opérations. Bien qu'elle doive compter avec l'existence de faux, elle n'a pas à les présumer systématiquement. Elle procédera cependant à des vérifications supplémentaires lorsqu'il existe des indices sérieux de falsification, lorsque l'ordre ne porte pas sur une opération prévue par le contrat ou résultant de la pratique, ou encore lorsque des circonstances particulières suscitent le doute (arrêt du Tribunal fédéral 4A_386/2016 du 5 décembre 2016 consid. 2.2.6; ATF 132 III 449 consid. 2 in fine et les réf.; 116 II 459 consid. 2a).

On trouve, dans des affaires où la banque a exécuté les instructions de tiers non autorisés agissant dans un but frauduleux, la mention selon laquelle la banque doit prouver l'exécution régulière du contrat (ATF 111 II 263 consid. 1b; arrêt du Tribunal fédéral 4C_253/1991 du 14 février 1992 consid. 2 in fine), c'est-à-dire établir les faits permettant de déduire une telle conclusion juridique. Il s'agit d'une application du principe selon lequel le créancier/demandeur doit prouver l'existence de sa prétention contractuelle, tandis que le débiteur/défendeur doit établir qu'il a exécuté correctement son obligation et éteint de ce fait la créance (arrêt du Tribunal fédéral4A_625/2015 du 29 juin 2016 consid. 5.1; ATF
125 III 78 consid. 3b).

2.1.4 Constitue une faute grave la violation de règles élémentaires de prudence dont le respect se serait imposé à toute personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 4A_398/2009 du 23 février 2010 consid. 6.1; ATF 128 III 76 consid. 1b p. 81; 119 II 443 consid. 2a). Commet, en revanche, une négligence légère la personne qui ne fait pas preuve de toute la prudence qu'on aurait pu attendre d'elle, sans toutefois que sa faute - non excusable - puisse être considérée comme une violation des règles de prudence les plus élémentaires (arrêt précité 4A_398/2009 consid. 6.1). Le juge apprécie (art. 4 CC) les agissements de l'auteur négligent en se référant à la diligence que l'autre partie était en droit d'attendre, en vertu, notamment, des clauses du contrat et des usages professionnels (arrêts du Tribunal fédéral 4A_386/2016 du 5 décembre 2016 consid. 2.2.5; 4A_438/2007 du 29 janvier 2008 consid. 5.3).

2.1.5 A teneur de l'art. 759 CO, si plusieurs personnes répondent d'un même dommage, chacune d'elles est solidairement responsable dans la mesure où le dommage peut lui être imputé personnellement en raison de sa faute et au vu des circonstances (al. 1). Le demandeur peut actionner plusieurs responsables pour la totalité du dommage et demander au juge de fixer au cours de la même procédure les dommages-intérêts dus par chacun des défendeurs (al. 2).

La solidarité différenciée signifie que, dans les rapports externes, l'étendue de l'obligation de réparer est déterminée de manière individuelle. Chaque coresponsable peut faire valoir les facteurs d'atténuation prévus par l'art. 43 al. 1 et 44 CO qui lui sont propres. Le montant de la dette n'est donc pas automatiquement aligné sur celui du coresponsable qui doit le plus. Chaque coresponsable peut faire valoir ses motifs personnels d'atténuation de la responsabilité (la faute légère, la gêne, l'acte de complaisance, la différence des situations économiques, la faible rémunération; Corboz/Aubry Girardin, op. cit., n. 14 ad art. 759 CO).

Aux termes de l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les dommages-intérêts, ou même n'en point allouer, lorsque les faits dont la partie lésée est responsable ont contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou qu'ils ont aggravé la situation du débiteur. Une faute concomitante du lésé doit être retenue si ce dernier, par son comportement, a contribué dans une mesure importante à créer ou à aggraver le dommage alors que l'on aurait pu attendre raisonnablement de tout tiers se trouvant dans la même situation qu'il prenne des mesures de précaution, susceptibles d'écarter ou de réduire ce dommage (arrêt du Tribunal fédéral 4A_124/2007 du 23 novembre 2007 consid. 5.4.1).

En vertu de l'art. 44 CO, il incombe au débiteur qui invoque la faute concurrente du lésé de l'établir (art. 8 CC; cf. ATF 112 II 439 consid. 2; 108 II 64 consid. 3;
96 II 57; 83 II 532).

En matière bancaire, il a été retenu qu'il ne pouvait pas être reproché une faute au client, lorsqu'il n'avait pas été établi qu'il ne protégeait pas suffisamment sa messagerie électronique, qu'on ignorait comment les pirates étaient parvenus à en prendre le contrôle et quelles mesures auraient pu les en empêcher. Une argumentation fondée sur des conjectures (mot de passe insuffisamment complexe, accès par des ordinateurs non protégés, etc.) ne permettait pas de retenir que des mesures de sécurité que l'on pouvait attendre d'être prises ne l'avaient pas été (arrêt du Tribunal fédéral 4A_386/2016 du 5 décembre 2016 consid. 4.4).

2.1.6 Lorsque la relation de causalité naturelle entre un comportement donné et un certain résultat est retenue, il faut encore se demander si le rapport de causalité peut être qualifié d'adéquat, c'est-à-dire si le comportement en question était propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 123 III 110 consid. 3a et les références). Il s'agit alors de résoudre une question de droit (ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 519 consid. 4a). La causalité adéquate peut être exclue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre; l'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, et notamment le comportement de l'auteur (ATF 122 IV 17 consid. 2c/bb et les arrêts cités). Pour faire apparaître inadéquate la relation de causalité entre le comportement de l'auteur et le dommage, la faute de la victime doit être si lourde et si déraisonnable que l'on ne pouvait compter avec sa survenance (ATF 116 II 519 consid. 4b). Cela étant, avant de procéder à cet examen, encore faut-il que l'existence d'une autre ou d'autres circonstances ayant concouru à la réalisation du résultat soit constatée en fait (cf. consid. 2d/bb non publié de l'ATF 127 II 496). La preuve du lien de causalité incombe à la victime, mais non celle des facteurs interruptifs de la causalité qui incombe à l'auteur du dommage (Werro, Commentaire romand CO I, 2ème éd. 2012 n. 49 ad art. 41 CO).

2.1.7 Les conventions d'actionnaires ne déploient que des effets personnels entre les parties. Par voie de conséquence, de telles conventions n'obligent ni la société, ni ses organes (Bloch, Les conventions d'actionnaires et le droit de la société anonymes avec un aperçu du droit boursier - Étude de droit suisse, 2006, p. 15).

2.2
2.2.1
La question du dommage sera traitée en premier, puisqu'elle permet de traiter la question parallèle de l'existence - contestée en appel - d'une infraction pénale commise au préjudice de l'appelante.

En effet, les appelants 1 et 2 soutiennent en appel que l'appelante n'avait pas suffisamment démontré avoir réellement perdu l'argent transféré vers un compte bancaire en Asie. Dans ce contexte, ils invoquent pêle-mêle et en substance que le fait que J______ n'était pas à l'origine du transfert litigieux n'était pas suffisamment prouvé et que l'appelante n'aurait pas effectué des démarches sérieuses pour retrouver le montant perdu.

Il ressort pourtant du dossier de première instance que les appelants 1 et 2 n'ont pas précisément contesté le fait qu'un tiers s'était fait passer pour J______ afin de donner l'ordre litigieux et n'ont pas non plus clairement allégué que cet ordre avait, en réalité, été voulu par les dirigeants du groupe C______.

Il s'ensuit que les nouveaux allégués formulés à ce sujet au stade de l'appel sont irrecevables (art. 317 al. 1 CPC), respectivement ne trouvent aucune assise dans le dossier, car ils n'ont pas fait l'objet des enquêtes de première instance, faute de contestation suffisamment explicite.

En effet, le dossier ne contient aucun élément concret qui tendrait à démontrer que le groupe C______ aurait mis en place une machination à l'encontre des appelants 1 et 2, soit de faire croire à un transfert qui n'était pas voulu, alors que celui-ci avait été ordonné par J______. Aucune mesure d'instruction en ce sens n'a été demandée en première instance.

L'existence d'un dommage subi par l'appelante à hauteur de 486'000 EUR perdus involontairement en raison du transfert litigieux est ainsi démontrée.

2.2.2 S'agissant de la question de la violation des devoirs des administrateurs, il est patent que les appelants 1 et 2 ont violé leurs devoirs dans la mesure où l'exécution d'un paiement en faveur d'escrocs et en pure perte pour l'appelante est une violation objective de leurs devoirs, ce qui ne souffre pas la discussion.

Il sera en outre retenu que, même en l'absence d'une escroquerie, le fait d'exécuter un paiement dont le motif réel est d'éviter "un contrôle fiscal inopiné" est une violation des devoirs d'administrateur. Il n'est pas soutenable de considérer que ce motif pourrait d'une quelconque manière justifier un versement, encore moins si ce motif est suffisamment inavouable pour qu'il doive être dissimulé par une facture inexistante portant sur des biens et des services inexistants, ce que savaient les appelants 1 et 2. D'ailleurs, le fait même de dissimuler un versement par une facture fictive est aussi constitutif d'une violation des devoirs de l'administrateur.

L'appelant 1 soutient à ce sujet qu'il ne connaissait pas le but du transfert et s'était seulement fié aux informations transmises par l'appelant 2.

Dans ce cadre, l'appelant 1 affirme que son rôle d'administrateur se limitait à valider les paiements sur la foi des indications de l'appelant 2. Ayant fait cela, il n'avait commis aucune violation de ses devoirs. Cette argumentation est peu convaincante, puisqu'elle revient à affirmer que l'appelant 1 n'avait aucun pouvoir décisionnel propre et qu'il aurait été prêt à valider n'importe quel ordre sans aucune vérification. En d'autres termes, l'appelant 1 revendique son statut d'"homme de paille" pour tenter de s'affranchir de toute responsabilité, ce qui n'est pas admissible. Il doit donc répondre de ses actes au même titre qu'un administrateur "ordinaire". Outre que ce sont des allégués nouveaux irrecevables en appel (art. 317 al. 1 CPC), l'appelant 1 prétend désormais avoir pensé à l'époque que le versement était fondé sur la facture inexistante indiquée sur l'ordre de transfert. Cet argument confine à la témérité, dès lors que l'appelant 1, même à supposer qu'il n'ait pas su que le motif sous-jacent du versement était un contrôle fiscal, aurait été tout aussi négligent de croire sur parole l'appelant 2 et de procéder à un versement de près de 500'000 EUR pour des services indéterminés, sans voir de facture et alors que l'appelante est une PME employant moins de vingt personnes. Il sera souligné que les escrocs dont a été victime l'appelante n'ont pas osé avancer un motif aussi grotesque pour obtenir le versement litigieux, mais qu'ils ont dû inventer un prétendu contrôle fiscal pour rendre leur supercherie plus crédible. Il sera donc retenu que l'appelant 1 répond en qualité d'administrateur des devoirs de sa charge et que ses connaissances étaient identiques à celles de l'appelant 2 quant aux circonstances entourant le versement.

S'agissant ensuite de l'organisation propre à un groupe de sociétés, laquelle serait de nature à exclure toute violation fautive des devoirs des appelants 1 et 2, la Cour constate que le Tribunal a retenu, à juste titre, que les appelants 1 et 2 administraient l'appelante sous la surveillance de J______, administrateur de la société mère, avec qui ils étaient liés par une convention d'actionnaire les obligeant à respecter ses instructions. Ils n'avaient donc aucune marge de manoeuvre pour les transferts.

Les arguments des appelants 1 et 2, qui reprochent au premier juge d'avoir ignoré ces points, tombent à faux, puisque le Tribunal a précisément tenu compte des éléments qu'ils avancent dans l'examen de leur comportement.

Il est incontesté que l'appelante avait pour fonction de recueillir des paiements de clients du groupe auquel elle appartient, de procéder à des versements à des sociétés de son groupe (rapatriement de fonds) et de payer des fournisseurs. Les rapatriements de fonds avaient lieu uniquement vers la France. Dans ce cadre, il n'est pas non plus contesté que, compte tenu de son appartenance à un groupe, les transactions financières de l'appelante pouvaient servir un but qui n'était pas forcément directement lié à son activité propre, mais, à l'instar du rapatriement de fonds en France, permettre le bon fonctionnement du groupe.

Cela ne signifie cependant pas que les appelants 1 et 2 pouvaient exécuter n'importe quel versement ordonné par la société mère ou ses organes pour que leur comportement soit conforme à leurs devoirs. A titre d'exemple, l'exécution d'un versement, même ordonné par la maison mère, constitutif d'une infraction pénale serait manifestement contraire à leurs devoirs et ordonné fautivement, s'ils avaient connaissance de la situation. Ainsi, la situation d'administrateurs dépendants des appelants 1 et 2 n'excuse pas à elle seule le versement litigieux. En outre, un versement effectué pour un tel motif et par de tels procédés ne saurait être compris comme ayant un quelconque intérêt pour le groupe en général : il n'est pas compréhensible de soutenir que la volonté d'éviter un contrôle fiscal en effectuant un versement fondé sur une fausse facture, sans contreprestation réelle, pourrait servir le groupe dans son ensemble.

Il s'ensuit que les appelants 1 et 2 ont violé leurs devoirs d'administrateurs.

La question de savoir s'il leur était possible de déceler la supercherie dont ils ont été victime sera examinée ci-après.

2.2.3 A titre liminaire, avant l'examen de la condition de la faute, la question de l'applicabilité de la convention de fiducie conclue entre E______, actionnaire de l'appelante et rachetée par le groupe C______, et les appelants 1 et 2 doit être traitée.

Cette convention a été conclue entre l'actionnaire majoritaire et deux actionnaires très minoritaires et porte sur l'utilisation des droits découlant de la détention d'actions par ceux-ci. Il s'agit donc d'une convention d'actionnaires.

En tant que telle, elle ne lie donc pas l'appelante, qui n'y était pas partie. Elle n'est donc pas applicable à la présente cause.

2.2.4 Il s'agit donc de déterminer si les appelants 1 ou 2 pouvaient déceler, au regard des spécificités de leurs fonctions et du rôle qu'ils jouaient dans l'organisation de l'appelante et de son groupe, la supercherie dont ils ont été victimes.

A ce sujet, l'appelante liste neuf signaux d'alerte qui ont été ignorés par les appelants, à savoir : l'utilisation d'un procédé inhabituel pour la transmission de l'ordre, par le biais d'une ligne téléphonique non usuelle et d'une adresse de messagerie électronique inconnue, l'envoi d'un courriel libellé et signé différemment, le montant du versement à effectuer, l'identité du bénéficiaire, l'absence de toute contrepartie au virement, la modification à plusieurs reprises des données de paiement et le caractère manifestement illégal de l'opération demandée.

S'agissant du procédé utilisé par les escrocs, les constatations résultant du dossier permettent de retenir que J______ passait parfois des ordres par téléphone. Il n'a pas été précisé quelle ligne téléphonique était utilisée à ces occasions. Il en résulte que le fait que J______ téléphone, sur une ligne connue du groupe C______ et réservée aux clients privilégiés, pour passer un ordre n'était pas de nature à éveiller les soupçons.

Quant à la "question de sécurité" - l'appelant 2 ayant demandé au faux J______ quel était son sport préféré -, elle paraît anecdotique et sans pertinence, au vu de ce qui suit. Il n'est donc pas nécessaire d'évaluer son efficacité.

S'agissant ensuite de la confirmation par courriel, il faut relever en premier lieu qu'elle a été demandé à X______, mais non à une personne connue antérieurement des appelants 1 et 2. Ceux-ci soutiennent cependant avec raison que le fait que l'adresse usitée soit légèrement différente n'était pas de nature à éveiller leur soupçon, étant précisé que l'appelante a admis que les adresses des dirigeants de la société mère pouvaient changer. Il est aussi exact que l'utilisation d'une adresse de courriel terminée par "@C______.com" était propre à les rassurer. Toutefois, cette circonstance n'a joué aucun rôle puisque le nom "J______" apparaissait en lieu et place de l'adresse de courriel, conformément aux dires de l'appelant 2. Cette possibilité est d'ailleurs offerte à toute personne créant une adresse de courriel. Quoi qu'il en soit, il résulte des courriels pour des ordres donnés précédemment que plusieurs personnes - soit des membres de la direction du groupe C______ - étaient toujours mentionnées en copie. L'absence de toute personne connue dans le prétendu courriel de confirmation devait éveiller des soupçons chez un administrateur attentif. Par ailleurs, aucun exemple d'un ordre donné par J______ n'a été apporté à la procédure. Il apparaît par ailleurs que J______ s'adressait à l'appelant 2 par son prénom, signait lui-même par son prénom, qu'il le tutoyait et ne mentionnait pas, dans la signature du courriel, les coordonnées de la société mère. Or, il ressort du courriel adressé par le faux J______ que celui-ci a appelé l'appelant 2 par son nom de famille précédé par la formule de politesse abrégée "M.", l'a vouvoyé, qu'il a signé par son prénom et nom de famille précédé de la même formule de politesse et qu'il a intégré une signature contenant les données de la société mère. Il en résulte que l'impression générale du courriel des personnes malveillantes est tout à fait autre qu'un courriel du véritable J______. Certes, une comparaison détaillée des courriels ne pouvait pas être exigée, par analogie avec la pratique bancaire, mais l'ensemble éléments de ce courriel était à ce point différent des courriels échangés usuellement que cela devait le rendre suspicieux aux yeux de l'appelant 2.

Le montant en lui-même du versement ne peut pas être considéré comme une source de méfiance, puisqu'il a été démontré que l'appelante effectuait parfois des versements de cet ordre.

Néanmoins, l'ampleur du versement doit être mise en perspective avec les autres circonstances qui lui sont liées. Ainsi, il n'a pas été démontré que des versements excédant 180'000 EUR auraient été exécutés en faveur de sociétés étrangères au groupe. D'ailleurs, les versements extérieurs au groupe étaient toujours effectués en faveur de deux sociétés bien précises. Il n'a pas non plus été démontré que, bien que le groupe possède des filiales en Asie, un seul versement aurait été effectué vers cette région depuis l'appelante. D'ailleurs, on relèvera que la bonne pratique de l'appelant 2 et de son collaborateur était que celui-ci demande au groupe C______ une confirmation par courriel lors de l'envoi d'argent vers un correspondant inconnu, ce qui n'a pas été fait ici, puisque la confirmation a été demandée à une personne dont il n'a jamais été allégué qu'elle travaillait pour le groupe ou que l'on pouvait raisonnablement le croire. Le versement était donc inusuel et aurait dû éveiller la méfiance des appelants 1 et 2. Il était par conséquent fautif de ne prendre aucune mesure, en particulier un simple téléphone au siège de la société mère ou un courriel à une personne connue aurait permis de dissiper le comportement malveillant en cause.

Ensuite, le motif invoqué à l'appui du versement - soit l'imminence d'un contrôle fiscal - aurait dû alerter les appelants 1 et 2 même s'il avait été donné par le véritable J______. Il n'est pas soutenable de considérer que ce motif pourrait d'une quelconque manière justifier un versement, encore moins si ce motif est suffisamment inavouable pour qu'il doive être dissimulé par une facture inexistante portant sur des biens qui n'ont pas été vendus. Il est à peine concevable que cette circonstance n'ait pas causé un appel téléphonique au groupe ou un échange de courriel pour en éclaircir les raisons. Le fait que précédemment des versements sans motif et sans que la facture idoine soit produite aient été exécutés n'est d'aucun secours pour les appelants 1 et 2, puisque des pratiques négligentes et fautives passées ne justifient pas une nouvelle violation de leurs obligations. Il n'a pas été démontré que le groupe C______ aurait déjà formulé des demandes d'évasion fiscale précédemment.

Enfin, il faut relever que l'intervention soudaine du prétendu X______ - qui utilisait une adresse fournie par gmail.com - aurait dû aussi éveiller les soupçons des appelants 1 et 2. En effet, des administrateurs diligents qui auraient vu leur méfiance attisée par le courriel suspicieux de J______, le montant élevé du versement à un tiers inconnu, sans motif digne de ce nom, n'auraient pu que confirmer leur soupçon par l'intervention d'une personne dont on ignore tout et surtout quelle aurait été sa prétendue fonction au sein du groupe C______. Cela est plus particulièrement vrai par le fait que, dans les ordres donnés en exemples par les appelants 1 et 2, des dirigeants du groupe connus intervenaient toujours en copie.

Il en résulte que, en ignorant des signaux d'alerte se présentant à eux, les appelants 1 et 2 ont fautivement violé leurs devoirs d'administrateurs. Cette faute est grave, car les deux administrateurs ont ignoré le fait que le versement leur était demandé de façon inusuelle, pour un montant inhabituel compte tenu des circonstances, vers une destination insolite et pour un bénéficiaire inconnu, qu'un motif fallacieux et confinant à l'infraction pénale était invoqué, justifiant l'indication d'un faux motif sur l'ordre, et qu'une personne qui leur était totalement étrangère et sans connexion avec le groupe avait joué un rôle déterminant dans l'exécution du virement.

Il ne peut donc être retenu que l'arnaque dont a été victime l'appelante était tellement bien ficelée qu'elle n'aurait pas pu être déjouée par un administrateur diligent. L'audition d'un inspecteur de police sur ce point, dont il n'est pas allégué qu'il aurait des connaissances de première main particulières sur la présente espèce, mais plutôt qu'il s'agirait d'une forme d'expertise, qui n'a jamais été demandée en première instance, sur la question de ce type de comportement malveillant en général, ne sera pas ordonnée.

Aucune explication cohérente n'a été donnée quant à la raison pour laquelle il ne serait pas fautif de remplacer le motif réel d'un paiement par une facture fictive. Ce comportement est aussi fautif.

L'organisation du groupe C______, ainsi que le comportement subséquent de N______ SA seront examinés ci-après dans le cadre de la causalité et de la faute concomitante.

Il découle de ce qui précède que la violation des devoirs des appelants 1 et 2 était gravement fautive.

2.2.5 Il faut maintenant examiner la causalité entre le comportement des appelants 1 et 2 en analysant si les circonstances interruptives de la causalité invoquées existent, notamment le fait de la victime ou d'un tiers. Dans le même contexte, la question de la faute concomitante de la victime ou d'un tiers sera examinée.

Sur ce point, le Tribunal a formulé les considérations suivantes : le lien de causalité n'était pas rompu par le comportement du lésé ou d'un tiers, mais l'absence de marge de manoeuvre des appelants 1 et 2, l'absence de marche à suivre précise pour les ordres de transferts (donnés par téléphone, par courriel et par différents interlocuteurs) et l'absence de mesure de sécurité pour éviter un piratage avaient facilité la commission d'un comportement malveillant et justifiait qu'une part de 50% du dommage soit supportée par l'appelante. En outre, l'appelant 1 avait eu un rôle limité et une rémunération moindre, ce qui justifiait de réduire le montant à sa charge par rapport à l'appelant 2.

La Cour relèvera tout d'abord que le dommage causé à l'appelante, soit la perte de plus de 450'000 EUR versés à des escrocs, est naturellement et adéquatement causale de la violation fautive des devoirs d'administrateurs des appelants 1 et 2 qui ont ordonné un versement indu à des tiers. Par contre, le fait d'avoir violé fautivement leurs devoirs d'administrateurs en indiquant un motif de virement erroné reposant sur une facture fictive n'a pas en soi causé de dommage à l'appelante : si les appelants avaient indiqué un autre motif de virement, le dommage serait survenu de façon identique. Tout au plus, l'indication d'un motif fallacieux est l'un des maillons de la chaîne causale allant de l'ordre de verser l'argent à la perte de celui-ci, puisqu'elle aura joué un rôle lors de l'intervention de la banque ainsi que cela sera démontré ci-après.

Les parties ne contestent pas, à juste titre, que le virement ordonné par les administrateurs a été la cause de la perte de l'argent. Cependant, les appelants 1 et 2 estiment que le comportement de l'appelante et de N______ SA étaient fautifs et rompaient le lien de causalité. Ainsi, la désorganisation du groupe C______ dans le processus conduisant à donner des ordres de transfert, ainsi que des lacunes dans leurs systèmes informatiques, étaient telles qu'elles constituaient des facteurs interruptifs du lien de causalité. En outre, N______ SA avait modifié à plusieurs reprises les ordres de virements afin que ceux-ci puissent être exécutés. La passivité de l'appelante après la survenance des faits litigieux était un facteur aggravant du dommage.

Les griefs des appelants 1 et 2 sont sans consistance. La prétendue désorganisation du groupe C______ dans la préparation des ordres de transfert était connue d'eux depuis plusieurs années, puisqu'ils soutiennent avoir voulu y remédier. Il ne s'agit donc aucunement d'un comportement imprévisible auquel ils ne pouvaient pas s'attendre. Il n'en va pas différemment de l'attitude de la banque qui a procédé à des modifications de l'ordre de virement afin que celui-ci puisse être exécuté, puisqu'elle a seulement, à cette occasion, exécuté ses obligations contractuelles. Il n'est pas imprévisible qu'une banque donne suite à un ordre de virement.

Le lien de causalité n'a donc pas été rompu.

S'agissant de l'appréciation de la faute concomitante, l'appelante estime qu'il n'avait pas été démontré que son système informatique était déficient en terme de sécurité. En outre, le statut d'administrateurs dépendants ne permettait pas aux appelants 1 et 2 de voir leur responsabilité réduite.

Ceux-ci invoquent, outre les facteurs déjà décrits ci-dessus en lien avec la rupture du lien de causalité, que l'appelante était restée inactive et n'avait entrepris aucune démarche en Chine pour recouvrer l'argent dérobé.

En l'espèce, l'on peine à discerner pourquoi l'absence de marge de manoeuvres des appelants 1 et 2 serait un facteur assimilable à une faute concomitante du lésé. Ce statut était compris et accepté des deux parties et, conformément à la loi et à la jurisprudence, les administrateurs fiduciaires restent pleinement responsables de leurs actes.

En outre, les prétendues failles de sécurité du système informatique du groupe C______ n'ont pas été démontrées. Un piratage de ce système qui aurait permis la création d'une adresse courriel constitue une hypothèse qui n'a pas été rendue même vraisemblable. Le simple fait que l'appelant 2 ait demandé à une connaissance professionnelle d'évaluer sommairement les failles informatiques ne suffit pas à démontrer qu'une attaque aurait eu lieu in casu.

Quant à la prétendue désorganisation du groupe C______, il ressort des développements qui précèdent que le modus operandi des personnes malveillantes est d'avoir utilisé une marche à suivre complètement insolite par rapport à la marche habituelle des affaires entre la société mère et l'appelante. Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il n'apparaît pas que le fait que les courriels n'étaient pas cryptés et ne comportaient pas de signature électronique serait une faille de sécurité imputable à l'appelante. Les banques procédaient, au moins à l'époque au vu des jurisprudences sur le sujet, notoirement à l'exécution d'ordre par la réception de courriels non crypté et sans signature électronique, de sorte qu'il n'a pas été démontré que cette façon de procéder était déficiente. Par ailleurs, l'absence de marche à suivre définie semble sans pertinence, puisque l'on a constaté que les appelants 1 et 2 étaient en mesure de déceler que la façon de faire des escrocs était différente des procédés habituels.

Quoi qu'il en soit, les appelants 1 et 2 ne peuvent se prévaloir des défaillances qu'ils invoquent, même à supposer qu'elles soient démontrées, puisqu'ils étaient les administrateurs de l'appelante à l'époque et avaient donc le pouvoir de modifier les procédures et les outils utilisés, voire au moins de faire des suggestions à la direction du groupe. Cas échéant, si ces mesures n'étaient pas respectées et que les appelants 1 et 2 n'étaient pas écoutés, ils ne pouvaient pas simplement continuer à fournir leurs services : leur rôle tant à l'égard de la société mère que de l'appelante était fondé sur le mandat, de sorte que, si l'exécution de celui-ci engageait leur responsabilité, ils ne pouvaient pas continuer sans risque et devaient donc cesser leur travail. Leur position d'administrateur dépendant n'y change rien.

Enfin, l'appelante a déposé une plainte pénale en Suisse et une autre en France. Elle a activé des contacts en Chine pour tenter d'en savoir plus. Ces procédures pénales n'ont pas abouti. Il a seulement été possible de localiser le compte bancaire qui avait réceptionné l'argent et dont le solde était désormais nul. Il est difficile d'envisager ce qui aurait pu être fait de plus, sans tomber dans des hypothèses dont les chances de succès sont difficiles à évaluer, mais, en tous les cas peu élevées. Le fait de ne pas avoir recouru à un contact proposé par l'appelant 2 et dont on ignore tout n'est pas déterminant. Il ne peut donc pas être reproché à l'appelante son inactivité.

Ainsi, la faute concomitante de l'appelante sera écartée.

Reste à examiner si N______ SA a commis une faute concomitante. A ce sujet, les considérations des appelants 1 et 2 sont particulièrement floues. L'on ne discerne pas en vertu de quelle obligation N______ SA aurait dû bloquer l'ordre de paiement. D'ailleurs, l'on ne comprend pas davantage pourquoi le fait de modifier l'ordre de paiement afin de le rendre exécutable serait une faute commise par N______ SA, puisque son rôle, pour tant qu'on le comprenne, consistait justement à exécuter les ordres de virement qui lui étaient transmis. Les appelants 1 et 2 ne peuvent tout simplement pas reprocher à N______ SA d'avoir exécuté un ordre qu'ils lui ont donné. D'ailleurs, en mettant un motif fallacieux (soit une facture fictive) dans leur ordre, les appelants ont contribué - certainement en connaissance de cause, puisqu'ils ne pouvaient ignorer que de mettre "éviter un contrôle fiscal inopiné" comme motif alerterait la banque - à empêcher la banque d'effectuer correctement son contrôle. Une faute concomitante de la banque sera donc écartée.

La responsabilité des appelants 1 et 2 dans la survenance du dommage est donc pleine et entière.

2.2.6 Il faut encore répartir le dommage entre les deux coresponsables, conformément à l'art. 759 CO, le Tribunal ayant retenu que l'appelant 1 avait un rôle limité et une rémunération moindre.

L'appelant 2 critique cette répartition, estimant que sa position d'administrateur avec signature collective à deux était identique à celle de l'appelant 1. La rémunération supplémentaire était en lien avec les services rendus par K______ Sàrl, dont il était associé gérant. La rémunération reçue pour le travail d'administrateur était la même.

En l'espèce, l'appelant 2 était seul en contact direct avec la société mère. Il fournissait aussi un travail plus important, notamment par le biais de sa société, dans le trafic des paiements en lien avec le groupe C______. Ceci explique ainsi la rémunération supplémentaire.

Quant à l'appelant 1, il se limitait à valider les paiements préparés par l'appelant 2, de sorte que son implication était beaucoup plus limitée.

Ainsi, les rémunérations globales des deux appelants étaient différentes, de même que les services qui étaient rendus et leur qualité.

Il ne semble néanmoins pas équitable de réduire la responsabilité de l'appelant 1 pour la seule raison qu'il assumait moins de tâches dévolues aux administrateurs de l'appelante par rapport à l'appelant 2. En effet, ainsi qu'on l'a vu supra, les connaissances qu'il avait de l'affaire avant d'exécuter le paiement étaient les mêmes que l'appelant 2 et sa faute est tout aussi grave. Le simple fait que l'appelant 1 se soit cantonné à un rôle d'enregistrement des paiements qui lui étaient soumis, sans aucune vérification, ni aucun regard critique, ne saurait autoriser de réduire sa responsabilité par rapport à l'appelant 2 qui tentait d'exécuter ses tâches de façon plus approfondie et professionnelle.

Par conséquent, les responsabilités des appelants 1 et 2 sont équivalentes et ils ont tous deux, par leur négligence grave, causé l'intégralité du dommage.

Aucun des deux appelants n'ayant pris de conclusion concernant un éventuel recours dans les rapports internes, il n'y a pas lieu de statuer à ce sujet.

2.3 Les appelants 1 et 2 seront condamnés solidairement à payer 486'000 EUR à l'appelante, avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2011.

3. 3.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Conformément à l'art. 106 CPC, les frais sont mis à la charge de la partie succombante (al. 1). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (al. 2).

En l'espèce, le montant des frais judiciaires de première instance arrêtés à 36'240 fr. n'est pas remis en cause par les parties et sera donc confirmé.

Les frais seront mis à charge des appelants 1 et 2 solidairement, qui succombent intégralement (art. 106 al. 1 et 3 dernière phr. CPC).

Le montant des frais judiciaires de première instance sera compensé avec l'avance de frais versée par les parties, soit 36'940 fr. versés par l'appelante, 2'200 fr. versés par l'appelant 2 et 100 fr. versés par l'appelant 1, soit 39'240 fr. au total (art. 111 al. 1 CPC), le solde de 3'000 fr. étant restitué à l'appelante.

Les appelants 1 et 2 seront donc solidairement condamnés à verser 33'940 fr. à l'appelante à titre de remboursement des frais judiciaires de première instance.

Les appelants 1 et 2 seront condamnés solidairement à verser 25'000 fr. à l'appelante à titre de dépens de première instance (art. 105 al. 2, 106 al. 1, 107 al. 1 let. a CPC; art. 84 et 85 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

3.2 Les frais judiciaires d'appel, pour les trois appels, seront arrêtés à 30'000 fr. (art. 13, 17 et 35 RTFMC), mis à charge de appelants 1 et 2 solidairement (art. 106 al. 1 CPC) et entièrement compensés avec les avances de frais fournies par l'appelant 2 en 24'000 fr., de 5'000 fr. fournies par l'appelant 1 et 1'000 fr. versée par l'appelante (art. 111 al. 1 CPC). Les appelants 1 et 2 seront solidairement condamnés à verser 1'000 fr. à ce titre à l'appelante.

Le solde de l'avance de 19'000 fr. versée par l'appelante lui sera restituée (art 111 al. 2 CPC).

Les appelants 1 et 2 seront condamnés solidairement à verser à l'appelante 25'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 105 al. 2, 106 al. 1, 107 al. 1 let. a CPC; art. 84 et 85 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevables les appels interjetés par C______ SA le 21 août 2019, B______ le 22 août 2019 et A______ le 26 août 2019 contre le jugement JTPI/8608/2019 rendu le 14 juin 2019 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14537/2012-7.

Au fond :

Annule le jugement entrepris, cela fait, statuant à nouveau :

Condamne solidairement B______ et A______ à verser 486'000 EUR à C______ SA avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2011.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 36'240 fr., les met à charge de B______ et A______ solidairement et les compense avec les avances versées par les parties qui demeurent acquises à l'Etat de Genève à concurrence de ce montant.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 3'000 fr. à C______ SA.

Condamne solidairement B______ et A______ à verser 33'940 fr. à C______ SA à titre de remboursement des frais judiciaires de première instance.

Condamne solidairement B______ et A______ à verser 25'000 fr. à C______ SA à titre de dépens de première instance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 30'000 fr., les met à charge de B______ et A______ solidairement et les compense avec les avances versées par les parties qui demeurent acquises à l'Etat de Genève à concurrence de ce montant.

Condamne B______ et A______ solidairement à rembourser à ce titre 1'000 fr. à C______ SA.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 19'000 fr. à C______ SA.

Condamne solidairement B______ et A______ à verser 25'000 fr. à C______ SA à titre de dépens d'appel.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

 

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Mesdames
Verena PEDRAZZINI RIZZI et Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

La présidente :

Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE

 

La greffière :

Jessica ATHMOUNI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.