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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1559/2024

ACPR/18/2025 du 08.01.2025 sur ONMMP/4401/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;MESURE DE CONTRAINTE(PROCÉDURE PÉNALE);VENTE;ESCROQUERIE;ABUS DE CONFIANCE;DROIT À UN DÉFENSEUR
Normes : CPP.310; CPP.309; CP.146; CP.138

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1559/2024 ACPR/18/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 janvier 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Louis STEULLET, avocat, STEULLET AVOCATS, rue des Moulins 12, case postale, 2800 Delémont 1,

B______, domicilié ______ [GE], agissant en personne,

 

recourants,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 octobre 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a.a. Par acte expédié le 18 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 précédent, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 18 décembre 2023, déposée contre B______ du chef d'escroquerie, subsidiairement abus de confiance.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 1'370.-, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction.

a.b. Le recourant a versé en temps utile les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

b. Par acte expédié le 19 octobre 2024, B______ recourt également contre cette ordonnance, notifiée le 10 précédent, en tant que le Ministère public a refusé de lui allouer une indemnité pour ses frais d'avocat.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 18 décembre 2023, A______, qui habite C______ (Jura), a déposé plainte pénale contre B______, domicilié à Genève, en expliquant ce qui suit:

Il connaissait l'intéressé de longue date et il existait entre eux un rapport de confiance particulier. En juin 2018, B______ l'avait contacté pour lui proposer de s'associer pour l'exploitation d'un restaurant qu'il possédait à Genève, le "D______". Lui-même s'était rendu sur place quelques semaines plus tard pour en discuter. B______ lui avait expliqué avoir un besoin urgent d'argent et lui avait offert de lui céder la moitié de ses parts dans le restaurant pour un prix de CHF 30'000.-, alors que sa valeur était en réalité de CHF 45'000.-. Toujours au prétexte d'un besoin urgent d'argent, son interlocuteur lui avait dit qu'il ne lui remettrait qu'ultérieurement les documents relatifs à l'établissement, notamment les comptes et que la signature des papiers nécessaires se ferait à réception du prix de vente.

Il avait payé la somme convenue de CHF 30'000.- en trois versements de CHF 10'000.- chacun durant le mois d'août 2018, sur le compte que lui avait désigné son cocontractant. Début 2019, ce dernier lui avait encore demandé de lui prêter CHF 6'000.-, soi-disant pour permettre d'accélérer l'établissement des documents requis par le transfert. Par la suite, B______ avait invoqué diverses excuses pour le faire patienter, lui promettant à chaque fois de lui remettre les papiers, y compris lors de leurs entrevues au "D______" courant 2021, sans jamais s'exécuter, hormis la restitution d'une somme de CHF 5'000.- en juin 2020.

Début 2022, il avait sommé B______ de lui rembourser son argent; lors d'une entrevue à Genève au mois d'août 2022, son cocontractant lui avait promis, soit de lui restituer les fonds avant la fin de l'année, soit de lui faire signer les papiers nécessaires afin qu'ils puissent exploiter ensemble le restaurant. B______ ne s'était toutefois pas exécuté, mais lui avait transféré, le 3 janvier 2023, CHF 1'200.- sur son compte avec le libellé "gain restaurant D______ de 2022". Considérant que si l'établissement avait fait un bénéfice en 2022, il en avait peut-être été de même les années précédentes, lui-même avait alors sollicité la comptabilité, sans succès. En mai 2022, B______ lui avait toutefois versé CHF 5'000.- avec le libellé "Remboursement dette".

En septembre 2023, il avait recroisé B______ à E______ [VD], lors d'un événement réunissant des membres de la communauté bangladaise, dont tous deux étaient issus. Lorsqu'il lui avait demandé des nouvelles de leur affaire, l'intéressé lui avait dit "je vais voir", sans y donner une quelconque suite.

Lui-même s'était donc récemment rendu à sa banque, pour s'enquérir de l'identité du titulaire du compte sur lequel il avait versé les CHF 30'000.-, et avait appris qu'il s'agissait d'une société F______ Sàrl, dont le but était la création et l'exploitation d'un restaurant, dont B______ avait été associé gérant avec son épouse, G______, de février 2009 à septembre 2017, son frère, H______ en ayant ensuite été le seul associé gérant, avec signature individuelle, à partir de novembre 2017, B______ ayant à nouveau été inscrit au registre du commerce comme liquidateur, en février 2022.

Lui-même avait alors réalisé que l'histoire du restaurant et de sa prétendue acquisition était fondée sur un édifice de mensonges, son cocontractant l'ayant trompé de manière astucieuse en affirmant être propriétaire du "D______", établissement dont lui-même avait pu constater la réalité, puisqu'ils s'y étaient rencontrés à plusieurs reprises, puis en opérant un versement en sa faveur intitulé "gain", ce qui l'avait conforté dans son erreur.

b. Interpellée par le Ministère public, la banque a indiqué que le compte de F______ Sàrl sur lequel A______ avait opéré son versement de CHF 30'000.-, et sur lequel B______ et G______ disposaient tous deux d'un pouvoir de signature, avait été clôturé le 9 décembre 2019.

c. Quelques jours plus tard, la banque a fait part au Ministère public qu'une erreur était survenue et que de la documentation concernant un tiers, non visée par l'ordre de dépôt, avait été transmise. La documentation remise physiquement devait par conséquent lui être retournée et toute donnée en lien avec cette relation, supprimée.

Par ordonnance du 18 avril 2024, le Ministère public a ordonné le retrait de cette documentation du dossier pénal et sa conservation à part, hors accès des parties.

Notifiée à la banque ainsi qu'à A______ en date du 22 suivant, cette décision n'a fait l'objet d'aucun recours.

d. À la suite d'un mandat de comparution qui lui a été adressé par la police, B______ a été entendu par celle-ci le 13 septembre 2024 – assisté de deux avocates-stagiaires – et a contesté toute infraction, en particulier toute fausse information ou volonté de tromper. Il était arrivé en Suisse en 1991 et avait assez rapidement orienté son activité professionnelle dans la restauration, après avoir obtenu la patente. En 2009, il avait ouvert un tea-room, qu'il avait géré par le biais de F______ Sàrl jusqu'en 2016, date à laquelle l'établissement avait fermé sur décision du centre commercial I______, dans lequel il se trouvait. Il avait alors investi un peu d'argent dans un bar, le "J______", où il pensait pouvoir travailler. Le bar n'avait toutefois jamais vraiment marché et, dans l'espoir que cela fonctionne mieux, avait été transformé en restaurant (i.e. le "D______") par K______, au travers de sa société L______ SA. Lui-même et un dénommé M______ avaient investi dans l'affaire un peu d'argent, sur la base d'un accord oral, soit, le concernant, CHF 40'000.- au début et CHF 25'000.- lors de la transformation du restaurant en 2018. Il était "en quelque sorte son associé, même s[il n'avait] pas participé à toutes les prises de décision". K______ le tenait informé de l'évolution de la situation. L'idée était de partager les bénéfices proportionnellement à leurs investissements, mais l'affaire n'avait jamais été rentable et il n'avait jamais rien reçu. Sans espoir de pouvoir travailler un jour dans le restaurant, il avait voulu sortir de l'affaire en 2018. Or, depuis le début, en 2017, A______ était intéressé à participer à l'affaire du "J______", mais K______ s'y opposait, le trouvant trop "dominateur". Lorsqu'en été 2018, alors qu'il était en vacances, une connaissance commune, N______ – qui s'était d'ailleurs porté garant auprès de la régie lors de la signature du bail – lui avait téléphoné pour lui dire que A______ était prêt à reprendre sa part à n'importe quel prix, il avait accepté de la lui céder pour le montant de son investissement, soit CHF 65'000.-. Les CHF 30'000.- qui avaient été payés sur le compte de F______ Sàrl constituaient un acompte. Il pensait "transmettre sa part" à son retour de vacances, en établissant un document attestant de la cession de sa part à A______, afin que celui-ci puisse participer à la gestion du restaurant et percevoir les bénéfices le jour où l'établissement en ferait. Cela devait se faire en présence de K______. Toutes les personnes impliquées, y compris son cocontractant, étaient parfaitement au courant de la situation. En septembre 2018, alors que lui-même et K______ avaient rendez-vous au "D______" avec A______, ce dernier ne s'était pas présenté, mais leur avait dit, par téléphone, qu'il n'avait pas réussi à réunir le solde du prix de vente et souhaitait se retirer de l'affaire. Comme lui-même ne voulait pas revenir sur ce qui avait été déjà fait, ils avaient convenu de rester tous deux dans l'affaire, avec chacun une part. Quelques temps plus tard, comme le restaurant faisait des pertes, ses associés et lui s'étaient mis d'accord pour apporter des fonds additionnels; il avait personnellement investi CHF 13'000.- supplémentaires, A______ CHF 6'000.- et il ignorait le montant ajouté par K______. Malgré cela, la situation ne s'était pas améliorée et, ne pouvant continuer à perdre de l'argent, ils avaient vendu le "D______" pour un montant de CHF 235'000.-. K______ s'était occupé de toutes les démarches et lui-même n'en connaissait pas les détails. À cette même période, comme il était dans une situation financière difficile, il avait contacté K______ – qui entretemps, à la suite de problèmes judiciaires, était reparti à l'étranger – et obtenu de lui un prêt de CHF 10'000.-. L'ayant appris, A______, pensant qu'il s'agissait d'un remboursement partiel des investissements dans le restaurant, lui avait réclamé sa part, de sorte que, par gain de paix et même si la somme reçue n'avait aucun lien avec l'affaire, il lui en avait versé la moitié. Parallèlement, le paiement de la vente du fonds de commerce avait traîné et l'acheteur avait versé à chacun des trois associés, en compensation du retard, une somme de CHF 2'400.-, qu'il avait partagée avec A______. Quand le solde du prix de vente avait été acquitté, il avait été affecté en priorité aux factures en suspens; il était resté CHF 16'000.- pour chacun des associés, que O______, frère de K______, lui avait remis en mains propres. Lorsqu'il avait informé A______ de cette répartition et lui avait proposé de lui verser la moitié de la somme reçue, l'intéressé avait refusé, en lui disant qu'il n'était pas d'accord de perdre autant d'argent et qu'il voulait récupérer la totalité de sa mise. Après discussion au domicile de N______, lui-même avait accepté de payer CHF 10'000.- pour solde de tout compte, ce qu'il avait fait, en acquittant personnellement CHF 5'000.- le 22 mai 2023, le solde ayant été payé le 5 juin 2023 par un tiers auquel il avait emprunté la somme. Quelques semaines plus tard, A______ était revenu à la charge en réclamant davantage d'argent, mais tous avaient refusé d'entrer en matière.

e. Il ressort de l'extrait du registre du commerce relatif à la société L______ SA, au capital social composé de 100 actions nominatives de CHF 1'000.- chacune, que K______ en a été l'administrateur président depuis sa constitution, en 2012, jusqu'en octobre 2019, date à laquelle il a été remplacé à cette fonction par son frère O______.

B______ n'a jamais été inscrit en lien avec cette société, à quelque titre que ce soit.

C. Le Ministère public a justifié la décision querellée par le fait que A______ n'avait procédé à aucune vérification pour s'assurer que B______ était propriétaire du restaurant "D______" et avait versé la somme de CHF 30'000.- sur la seule base des déclarations orales de son cocontractant, sans disposer d'aucun document. Le prêt de CHF 6'000.- avait quant à lui été accordé sans contrat, sans garantie et sans détermination de l'utilisation qui devait en être faite. Partant, aucune infraction n'était réalisée.

En outre, l'assistance d'un avocat n'apparaissant nullement nécessaire, il ne se justifiait pas d'indemniser le mis en cause pour ses frais de conseil.

D. a. Dans son recours, A______ estime qu'une instruction avait été ouverte et qu'une ordonnance de non-entrée en matière ne pouvait dès lors pas être rendue. En effet, le Ministère public avait ordonné une mesure de contrainte en adressant un ordre de dépôt à la banque et restreint l'accès des parties au dossier. En vue de l'audition de B______ par la police, il y avait par ailleurs tout lieu de penser qu'un mandat au sens de l'art. 312 CPP avait été décerné. De même, les termes utilisés dans l'ordonnance querellée laissaient penser que le Ministère public avait lui-même entendu le mis en cause. Son propre droit d'être entendu n'avait ainsi pas été respecté, le Ministère public ne l'ayant pas informé de cette audition et, a fortiori, ne l'y ayant pas convié, ce qui contrevenait à son droit de participer à l'administration des preuves. Cela était d'autant plus vrai que le Ministère public avait retenu la version du mis en cause sans lui donner l'occasion de se déterminer au sujet de celle-ci. Sur le fond, il existait des soupçons suffisants de l'existence d'une escroquerie: son cocontractant l'avait trompé sur l'existence et/ou la propriété du restaurant, la valeur réelle de sa part et son intention d'établir des documents écrits; il avait fait preuve d'astuce, compte tenu du lien de confiance particulier qui les unissait; lui-même avait été amené à faire un acte de disposition qui s'était révélé préjudiciable à ses intérêts pécuniaires. En toute hypothèse, en présence de versions contradictoires, le principe in dubio pro duriore commandait d'ouvrir une instruction. Pour le surplus, le Ministère public n'avait pas envisagé d'autre qualification juridique, par exemple celle d'abus de confiance.

b. Dans son recours, B______ fait valoir que le recours à un avocat procédait d'un exercice raisonnable de ses droits de procédure, son conseil lui ayant expressément recommandé de se faire assister, arguant de la complexité des questions juridiques liées aux accusations proférées à son encontre. Soucieux de faire les choses correctement et d'éviter toute erreur, il avait suivi cet avis, malgré sa situation financière précaire, les implications juridiques sous-jacentes aux questions qui lui avaient été posées par la police, notamment en terme de responsabilité pénale potentielle, rendant nécessaire une expertise juridique.

c. La cause a été gardée à juger à réception des sûretés, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Dans la mesure où ils concernent la même décision, il y a lieu de joindre les recours.

2.             Ceux-ci sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu, respectivement du plaignant qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

3.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

4.             A______ estime qu'une ordonnance de non-entrée en matière ne pouvait pas être rendue au regard des investigations menées et se plaint d'une violation de son droit d'être entendu.

4.1.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police, que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Le terme "immédiatement" indique que l'ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue à réception de la dénonciation, de la plainte ou du rapport de police avant qu'il ne soit procédé à de plus amples actes d'enquête et qu'une instruction ne soit ouverte selon l'art. 309 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_425/2022 du 15 février 2023 consid. 4.1.1).

Le ministère public peut néanmoins procéder à certaines vérifications. Il peut notamment donner des directives et confier des mandats à la police dans le cadre des investigations policières (art. 307 al. 2 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 6B_89/2022 précité consid. 2.2 et 6B_290/2020 du 17 juillet 2020 consid. 2.2). Il peut demander des compléments d'enquête à la police, non seulement lorsqu'il s'agit de compléter un précédent rapport, mais aussi lorsque la dénonciation elle-même apparaît insuffisante (art. 309 al. 2 CPP; cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_89/2022 précité consid. 2.2 et 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 2.2). Il peut aussi procéder à ses propres constatations (cf. art. 309 al. 1 let. a CPP), ce qui comprend le droit de consulter les fichiers, dossiers et renseignements disponibles. Il peut demander à la personne mise en cause une simple prise de position (arrêt du Tribunal fédéral 6B_89/2022 précité consid. 2.2). L'audition du prévenu et de la partie plaignante par la police ne dépasse pas le cadre des investigations policières qui peuvent être effectuées avant que le ministère public n'ouvre une instruction (art. 206 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_89/2022 précité consid. 2.2).

Le ministère public ne peut, en revanche, ordonner des mesures de contrainte ou procéder lui-même à des auditions sans ouvrir une instruction, dans la mesure où il s'agit d'actes de procédure des autorités pénales qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes intéressées (art. 196 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_431/2013 du 8 décembre 2013 consid. 2.2 et 1B_368/2012 précité). Cette règle ne concerne pas l'ordre de dépôt, qui permet à son destinataire de fournir volontairement les objets ou valeurs qui doivent être séquestrés, précisément afin d'éviter cette mesure de contrainte (art. 265 al. 4 CPP; ATF 143 IV 21 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 1B_492/2017 du 25 avril 2018 consid. 2.1; 6B_247/2017 du 21 mars 2018 consid.

4.1.2. En l'espèce, contrairement à ce que suppute le recourant, le Ministère public n'a pas entendu personnellement le mis en cause. La seule audition de ce dernier l'a été par la police, afin de recueillir sa position sur les accusations dont il faisait l'objet (cf.  art. 206 al. 1 et 2 CPP). Ces investigations n'ont donc pas été au-delà de ce que le Ministère public peut entreprendre avant d'ouvrir – formellement ou matériellement – une instruction. Par ailleurs, au vu de la jurisprudence rappelée ci-dessus, le fait qu'un ordre de dépôt ait été adressé à la banque ne prive pas le Ministère public de la possibilité de rendre une ordonnance de non-entrée en matière, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte.

Ce grief sera dès lors rejeté.

4.2.1. Si le ministère public considère qu'une ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue, il n'a pas à informer les parties de son choix puisque l'art. 318 CPP n'est pas applicable dans une telle situation; le droit d'être entendu des parties sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière. Cette procédure permet aux parties de faire valoir tous leurs griefs – formels et matériels – auprès d'une autorité disposant d'une pleine cognition en fait et en droit. Inversement, faute d'ouverture d'instruction, le droit de participer à l'administration des preuves ne s'applique en principe pas, et ce y compris en cas d'investigations policières diligentées à titre de complément d'enquête requis par le ministère public en vertu de l'art. 309 al. 2 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_496/2018 du 6 septembre 2018 consid. 1.3).

4.2.2. Au vu de ce qui précède, il y a également lieu de rejeter le grief relatif à la violation du droit d'être entendu du recourant, singulièrement de son droit de participer à l'administration des preuves.

5. A______ considère que des soupçons suffisants d'infraction empêchent en tout état de rendre une ordonnance de non-entrée en matière.

5.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1; 137 IV 219 consid. 7).

5.2. Se rend coupable d'escroquerie au sens de l’art. 146 ch. 1 CP quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

Par tromperie, il faut entendre tout comportement destiné à faire naître chez autrui une représentation erronée des faits (ATF 140 IV 11 consid. 2.3.2; 135 IV 76 consid. 5.1).

Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; encore faut-il qu'elle soit astucieuse. Tel est le cas lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 143 IV 302 consid. 1.3; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2).

5.3. Commet un abus de confiance, au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, la personne qui, sans droit, emploie à son profit des valeurs patrimoniales qui lui ont été confiées.

Cette infraction suppose qu'une valeur ait été confiée, autrement dit que l'auteur ait acquis la possibilité d'en disposer, mais que, conformément à un accord (exprès ou tacite) ou un autre rapport juridique, il ne puisse en faire qu'un usage déterminé (ATF 143 IV 297 consid. 1.3; 133 IV 21 consid. 6.2). Le comportement délictueux consiste à utiliser la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.1).

Celui qui transfère des valeurs patrimoniales à un tiers en contrepartie d'une prestation ne les lui "confie" pas, de sorte que le tiers ne peut pas être puni pour abus de confiance s'il ne verse pas la contre-prestation. En effet, les contrats synallagmatiques ne font en principe naître que des prétentions à une contre-prestation et non une obligation de conservation (ATF 133 IV 21 consid. 7.2; 118 IV 239 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 6B_239/2020 du 8 juin 2020 consid. 2.3.1 ; 6B_312/2009 du 17 juillet 2009 consid. 2.2).

Les valeurs patrimoniales remises dans le cadre d’un contrat de prêt peuvent néanmoins, à certaines conditions, être qualifiées de valeurs patrimoniales confiées. Tel est notamment le cas lorsque le contrat de prêt contient une obligation, à charge de l’emprunteur, de conserver la contre-valeur de ce qu’il a reçu, soit une obligation de rembourser en tout temps. Il est toutefois nécessaire que l’affectation des valeurs patrimoniales soit définie avec clarté et serve à couvrir les risques du prêteur ou, du moins, à diminuer son risque de perte. L'affectation convenue doit donc représenter en elle-même une forme de garantie. L'utilisation de l'argent prêté contrairement à sa destination convenue peut dès lors être constitutive d'abus de confiance lorsqu'elle remet en cause cet objectif et s'avère propre à causer un dommage (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.2 et 2.3; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 35 ad art. 138).

5.4. Dans le cas présent, A______ explique avoir transféré à B______ une somme de CHF 30'000.- en vue du rachat de parts dans le restaurant "D______".

Il ne prétend toutefois pas avoir procédé à une quelconque vérification avant d'effectuer cette transaction. Le seul fait d'avoir constaté l'existence de l'établissement pour s'y être rendu à quelques reprises est à cet égard insuffisant et ne lui permettait en tout état ni d'avoir une quelconque certitude quant à l'identité de son propriétaire, ni une idée de la valeur de la part qui lui était prétendument cédée. Si son origine commune avec le vendeur et le fait qu'ils se côtoient de longue date a pu créer un certain sentiment de confiance, les circonstances n'étaient pas telles qu'elles pouvaient justifier de renoncer à procéder à des investigations minimales. Celles-ci étaient pourtant d'autant plus aisées que la société propriétaire était inscrite au registre du commerce, qu'elle était dotée d'un capital de CHF 100'000.- composé d'actions nominatives, que B______ n'avait aucun pouvoir de l'engager et qu'une telle acquisition sans rien connaître de la marche des affaires, en particulier sans avoir eu accès aux comptes, était particulièrement insolite et risquée.

Dans ces conditions, quand bien même l'on admettrait l'existence d'une tromperie – à ce stade non établie, au vu des dénégations de son cocontractant et de tout autre élément objectif – l'on ne peut en aucun cas considérer qu'elle aurait été astucieuse.

Les éléments constitutifs de l'escroquerie ne sont dès lors manifestement pas réalisés, de sorte que c'est à juste titre que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte sur ce point.

Quant à l'existence d'un abus de confiance, la somme de CHF 30'000.- ne peut être considérée comme ayant été "confiée" au sens de l'art. 138 CP, dans la mesure où elle avait, selon les allégués mêmes du recourant, pour contrepartie des "parts" dans le restaurant.

Le prêt de CHF 6'000.-, qui semble au demeurant avoir été remboursé, a quant à lui été concédé sans affectation particulière – la seule intention d'accélérer l'établissement des documents requis, sans autre précision, étant à cet égard trop vague – et en toute hypothèse sans qu'une destination cas échéant convenue couvre, voire même diminue, un quelconque risque de perte.

Au vu de ce qui précède, c'est donc à bon droit que le Ministère public n'a pas examiné les faits sous l'angle de l'abus de confiance, infraction dont les éléments constitutifs n'étaient à l'évidence pas réunis.

Partant, le recours formé par A______ doit être entièrement rejeté.

6.             B______ estime, quant à lui, avoir droit à une indemnité pour les frais d'avocat liés à son audition par la police.

6.1. Conformément à l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté, totalement ou en partie, ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ces droits de procédure.

Bien que cette disposition ne mentionne pas expressément l'ordonnance de non-entrée en matière, cette dernière peut également donner lieu à indemnité (ATF 139 IV 241 consid. 1).

6.2. L'indemnité couvre en particulier les honoraires d'avocat, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. L'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (ATF 142 IV 45 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 7B_12/2021 du 11 septembre 2023 consid. 3.1.1 et 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.1).

L'allocation d'une indemnité pour frais de défense selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP n'est pas limitée aux cas de défense obligatoire visés par l'art. 130 CPP. Elle peut être accordée dans les cas où le recours à un avocat apparaît tout simplement raisonnable. Il convient de noter que dans le cadre de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, il s'agit de la défense d'une personne accusée à tort par l'État et impliquée contre sa volonté dans une procédure pénale. Il faut aussi garder à l'esprit que le droit pénal matériel et le droit de procédure sont complexes et représentent, pour des personnes qui ne sont pas habituées à procéder, une source de difficultés. Celui qui se défend seul est susceptible d'être moins bien loti. Cela ne dépend pas forcément de la gravité de l'infraction en cause. Dans le cadre de l'examen du caractère raisonnable du recours à un avocat, il doit être tenu compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait ou en droit, de la durée de la procédure et de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu (ATF 142 IV 45 consid. 2.1; 138 IV 197 consid. 2.3.5; arrêt du Tribunal fédéral 6B_403/2015 du 25 février 2016 consid. 2.1).

Le seul fait qu'un crime ou un délit soit reproché au prévenu n'entraîne pas automatiquement le droit à une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP. La jurisprudence admet en particulier que l'assistance d'un avocat ne procède pas nécessairement d'un exercice raisonnable des droits de la défense lorsque l'enquête pénale est close après une première audition par la police (ATF 138 IV 197 consid. 2.3.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024 consid. 2.5.1, 6B_1282/2021 du 7 septembre 2022 consid. 4.3.1 et 6B_73/2021 du 28 février 2022 consid. 3.3.1).

6.3. En l'occurrence, A______ a, certes, accusé le recourant d'un crime, au vu de la peine menace prévue par les art. 138 ch. 1 al. 2 et 146 al. 1 CP (art. 10 CP).

Le recourant est par ailleurs d'origine étrangère et de langue maternelle bengali, ce qui peut naturellement être source de difficultés et d'appréhension. Il n'en demeure pas moins qu'il réside en Suisse depuis près de 30 ans et maîtrise le français. Il n'a pas fait l'objet d'une arrestation et n'a été entendu qu'à une seule reprise, par la police, sur des faits clairement circonscrits, son rôle se limitant, à ce stade, à répondre aux questions qui lui étaient posées, ce qui ne présupposait aucune connaissance juridique. L'ordonnance querellée a par ailleurs été rendue moins d'un mois plus tard, de sorte que le recourant a été rapidement fixé sur l'issue de la procédure.

Dans ces circonstances, l'analyse du Ministère public, qui a estimé que l'assistance d'un avocat n'était pas nécessaire, n'est pas critiquable.

Le recours sera, partant, rejeté.

7. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

8. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.-, à raison de deux tiers à charge de A______ et du tiers restant à charge de B______ (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les rejette.

Condamne A______ aux deux tiers des frais de la procédure de recours, arrêtés en totalité à CHF 1'500.-, soit à payer à l'État de Genève un montant de CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Condamne B______ au tiers des frais de la procédure de recours, soit à payer à l'État de Genève un montant de CHF 500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, à B______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1559/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'405.00

Total

CHF

1'500.00