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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14796/2020

ACPR/551/2024 du 29.07.2024 sur ONMMP/4860/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON;CONSTATATION DES FAITS;ACTE PRÉPARATOIRE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.217; CPP.310; CPP.393.al2.letb; CP.260bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14796/2020 ACPR/551/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 29 juillet 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], agissant en personne,

recourant

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 5 décembre 2023 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 18 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 précédent, notifiée le 7 décembre 2023, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur ses plainte et dénonciation pénales du 18 août 2020.

Parmi trente et une conclusions, il demande, préalablement, le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours et, principalement, l'annulation de l'ordonnance susmentionnée, le renvoi de la cause au Ministère public pour continuation de l’instruction, sous la direction d’un autre procureur que le Procureur ______, ainsi que la condamnation des policiers qu’il met en cause.

b. A______ a payé le 14 juin 2024 les sûretés, en CHF 1'000.-, qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Le 21 mai 2020, vers 18h20, une patrouille de police a été requise au foyer B______, à C______ (commune de D______ [GE]). Les policiers dépêchés se sont fait expliquer par les éducateurs qui les ont accueillis que quatre personnes (dont l’une s’avérera être A______) étaient venues s’enquérir de la présence au foyer d’un mineur dont elles savaient le prénom et, non sans les avoir filmés au moyen d’un téléphone portable, leur avaient posé des questions sur la possibilité pour les enfants de sortir du bâtiment, ainsi que sur la raison de volets fermés à cette heure du jour ; ces personnes avaient ouvert deux portails extérieurs, donnant accès à la cour du foyer, pour constater qu’aucun n’était fermé à clé, puis avaient quitté les lieux, l’une à bord d’une voiture [de marque] E______/1______ [modèle] grise et les autres à pied, prenant toutes la direction de F______ [GE].

b.             Pendant qu’ils se trouvaient sur place, les policiers ont remarqué qu’un drone survolait le foyer, restait stationnaire à son aplomb, puis en faisait le tour. Ils ont décidé de le suivre. Sur un chemin de D______, en bordure de la frontière, ils ont constaté la présence d’une E______/1______ grise, du côté suisse. Quatre personnes s’en sont approchées sur ces entrefaites, dont l’une s’est précipitée pour y déposer une sacoche. Les policiers y découvriront un drone. Les quatre personnes leur ont expliqué s’être rendues au foyer au motif qu’un enfant y était retenu illégalement. A______ a accepté de se laisser identifier, exhibant sa carte d’identité ; les trois autres personnes ont refusé. Les policiers ont demandé du renfort ; le Commissaire de service, contacté par téléphone, leur a enjoint de saisir le drone et un téléphone portable.

c.              Alors que ces objets venaient d’être mis en sûreté, A______, hurlant et gesticulant, selon les policiers, s’est approché de ceux-ci pendant le contrôle d’identité d’un autre membre du groupe ; il n’a pas obtempéré au policier qui lui demandait à plusieurs reprises de reculer. Il a alors été maîtrisé au moyen de prises aux bras, puis amené au sol et menotté. Il a été blessé au-dessus de l’arcade sourcilière gauche.

Le rapport d’interpellation, du 21 mai 2020, donne les détails (p. 5).

d.             Le Commissaire de service est arrivé sur ces entrefaites. Il a ordonné l’interpellation, le menottage et la conduite au poste de A______ et de deux personnes (l’une d’elle, ayant franchi la frontière française, n’a été appréhendée qu’un peu plus tard), estimant que leur comportement et les premières constatations des policiers avaient fait naître des soupçons d’actes préparatoires d’enlèvement.

e.              Au poste, A______ a été fouillé, en deux temps, puis les policiers ont requis un médecin pour l’examiner, à 22h30. Le rapport d’intervention retient que les deux plaies contuses constatées à l’arcade sourcilière gauche n’inspiraient aucune inquiétude (« Ø signe de gravité. Ø amnésie ni PC, exa neuro normal. ») et avaient été désinfectées et pansées. Une mention manuscrite à droite des signatures indique « Arrêt de travail 1 semaine », mais A______, entendu à l’occasion de son opposition à ordonnance pénale (cf. let. h. à j. infra), a déclaré qu’il ne retrouvait pas le document formel qui lui avait été délivré.

f.               Il a été remis en liberté le 23 mai 2020 à 12h32.

g.             Dans ses plainte et dénonciation, il explique avoir été interpellé et arrêté de façon illicite, sur plainte ou dénonciation d’un inconnu, après avoir terminé un « reportage » sur le foyer B______ et s’en être éloigné. Les policiers, qui n’avaient pas respecté les distances sociales alors en vigueur, l’avaient fait chuter violemment sur des cailloux, la tête la première, lui occasionnant deux cicatrices aux arcades sourcilières. Le commissaire venu sur place avait refusé d’en prendre des photos, ainsi que de lui faire dispenser des soins. Ceux-ci ne lui avaient été prodigués qu’à 22h.45, et il s’en était suivi huit jours d’arrêt de travail. Le coût de l’intervention du médecin et ses frais de pansement devaient lui être remboursés. Il avait été laissé dans l’ignorance des raisons de son appréhension (jusqu’à son placement en cellule), tout comme de ses droits. Une fouille complète lui avait été infligée.

h.             Le Procureur ______ a demandé une enquête à l’Inspection générale des services (IGS) et a versé au dossier un ordre de service et une copie de la procédure ouverte contre A______ (et ses trois compagnons) pour empêchement d’accomplir un acte officiel, dans le cadre de laquelle les quatre prévenus, après leur condamnation par ordonnances pénales, ont fait opposition et ont été entendus simultanément le 29 juin 2021.

i.               Cette poursuite-là a été classée au mois de septembre 2021. Les préventions d’actes préparatoires délictueux d’enlèvement et de violence ou menace contre les fonctionnaires ont fait l’objet de décisions séparées de non-entrée en matière. Les prévenus ont été indemnisés pour la détention subie avant jugement.

j.               Un recours formé par, notamment, A______ aux fins d’obtenir d’autres indemnisations a été déclaré irrecevable par la Chambre de céans (arrêt ACPR/382/2022), dont la décision a été maintenue par le Tribunal fédéral (arrêt 6B_851/2022).

C. Dans l’ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ avait souffert de deux plaies contuses à l’arcade sourcilière gauche, dues à une intervention légitime et proportionnée des policiers, par suite de son comportement menaçant. Il n’était pas possible de respecter les distances sanitaires avec lui à ce moment précis. L’éducatrice qui avait signalé sa présence au foyer B______ ne s’était pas rendue coupable de dénonciation calomnieuse, puisque les quatre personnes dont elle avait constaté la venue s’étaient montrées curieuses et intrusives, laissant soupçonner des actes préparatoires d’enlèvement d’enfant ou de séquestration et enlèvement. Il existait donc des raisons suffisantes d’établir leurs identités. L’annonce, au poste de police, des motifs de l’interpellation avait eu lieu dans un laps de temps conforme au CPP, tout comme la fouille. On ne voyait pas quelle infraction aurait été commise par l’absence de prise de photos, sur place, par les policiers. Des soins avaient été prodigués après une attente de trois heures, ce qui était acceptable. La durée de la garde à vue avait été conforme au CPP.

D. a. À l'appui de son recours, A______, qui déclare agir aussi au nom de l’un de ses comparses, fait valoir que le Ministère public était bel et bien entré en matière, de sorte qu’il était « trop tard » pour prendre cette décision et qu’il eût fallu prononcer un classement.

Il affirme, en substance, que chacun des points, tant en fait qu’en droit, de l’ordonnance attaquée serait arbitraire.

Il ne voyait pas ce qui permettait aux policiers de conclure à des actes préparatoires délictueux. Les membres du personnel du foyer qui avaient fait appel à la police n’étaient pas inconnus et devaient être poursuivis. Il avait chuté, et s’était blessé, parce qu’il avait été poussé vers l’avant par des policiers mal formés. Sa fouille avait été une mesure disproportionnée. Il n’existait aucun motif d’établir son identité. Le dossier n’était pas complet, puisqu’il ne comportait pas les appels passés à la CECAL. L’enquête n’avait pas été menée contradictoirement ni à décharge, en violation du droit d’être entendu.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP). Toutefois, le recourant, qui n’est pas avocat, ne saurait valablement représenter en justice l’un de ses comparses (art. 18 LaCP), comme il croit pouvoir le faire.

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant estime que le Ministère public était, en réalité, entré en matière sur sa plainte et qu’il aurait par conséquent dû rendre une décision de classement, sauf à violer son droit d'être entendu.

À tort.

Lorsqu’il charge l’IGS d’un complément d’enquête, comme en l’espèce, le Procureur ______ se limite par-là aux mesures d’investigation possibles, conformément à l’art. 309 al. 2 CPP, c’est-à-dire sans avoir ouvert d’instruction (ACPR/304/2023 du 3 mai 2023 consid. 3.2.). Le ministère public peut en effet demander des compléments d'enquête à la police, non seulement lorsqu'il s'agit de compléter un précédent rapport au sens de l'art. 307 CPP, mais aussi lorsque la plainte ou la dénonciation apparaît insuffisante (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2012 du 13 mai 2013 consid. 3.2). Lorsqu'il agit ainsi, le ministère public n'ouvre pas d'instruction, et l'enquête se poursuit ou est entamée dans le cadre de l'investigation policière (art. 306 CPP ; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 22 ad art. 309). Dans ce cas, l'avis préliminaire, demandé à la police antérieurement à l'ouverture de l'instruction, n'empêche pas le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière (arrêt du Tribunal fédéral 1B_262/2012 du 4 juin 2013 consid. 2.2).

Au demeurant, l’adverbe « immédiatement » à l’art. 310 al. 1 CPP ne signifie pas que le ministère public ne peut pas, sans pour autant ouvrir d'instruction, procéder à certaines vérifications et mettre en œuvre, pour ce faire, diverses mesures d'investigation, telle que l'audition des lésés et suspects par la police (art. 206 al. 1 et 306 al. 2 let. b cum art. 309 al. 2 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 7B_2/2022 du 24 octobre 2023 consid. 2.1.1 et 6B_875/2018 du 15 novembre 2018 consid. 2.2.1), afin de décider de la suite qu'il convient de donner à la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 6B_290/2020 du 17 juillet 2020 consid. 2.2.). Le droit d'être entendu des parties sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours, qui permet aux parties de faire valoir tous leurs griefs auprès d'une autorité disposant d'une pleine cognition en fait et en droit (cf. art. 391 al. 1 et 393 al. 2 CPP;
ATF 143 IV 397 consid. 3.3.2).

4.             Le recourant se plaint que le dossier ne comporte ni ses lettres de relance des 7 mars et 4 mai 2022 (dont il joint des copies à son acte de recours), ni les enregistrements des conversations téléphoniques entre la police, le foyer et le « tuteur » de l’enfant. Or, il importait de savoir qui, dans ces conversations, avait soulevé le soupçon de « repérages ».

Le dossier n’établit pas que le curateur de l’enfant aurait été présent au foyer, le jour des faits, et encore moins qu’il aurait alerté la police en dénonçant des présences insolites ou indésirables ce jour-là, à cet endroit. Le recourant ne dit pas sur quelle pièce il fonde pareilles assertions. Son grief est sans portée.

Par ailleurs, il n’apparaît pas que le recourant ait requis la préservation d’éventuels enregistrements de conversations téléphoniques ni que l’IGS s’y fût livrée spontanément. Par conséquent, pareilles pièces ne manquent pas au dossier. Pour le surplus, et bien que le recourant ne dise pas comment il saurait que des conversations téléphoniques entre la police, le foyer et le curateur évoqueraient des « repérages », il suffit de se reporter sur ce point aux déclarations du Commissaire de service à l’IGS, dûment versées au dossier. Cet officier de police a donné les raisons pour lesquelles les éléments que lui avaient communiqués les policiers par téléphone (quatre personnes se renseignant verbalement et de visu, non seulement sur l’hébergement d’un mineur dont ils donnèrent le prénom si ce n’est l’identité complète, mais aussi sur la configuration des lieux, filmant leurs interlocuteurs, vérifiant si des portails étaient fermés, puis étant trouvés équipés d’un drone qui avait survolé le foyer quelque temps auparavant) lui avaient laissé penser à des actes préparatoires d’enlèvement.

Enfin, on ne comprend pas ce que le recourant voudrait tirer de l’absence au dossier – ou de mention dans la décision attaquée – de deux lettres par lesquelles il s’inquiétait du sort de ses plainte et dénonciation. On le comprend d’autant moins que son recours ne s’exerce pas pour motif d’un retard injustifié à statuer (cf. art. 393 al. 2 let. a CPP), mais pour violation des dispositions sur la non-entrée en matière.

En résumé, les critiques susmentionnées du recourant ne peuvent pas s’assimiler à une constatation incomplète ou erronée des faits pertinents, au sens de l’art. 393 al. 2 let. b CPP.

5.             Le recourant soutient n’avoir pas été amené, mais projeté, au sol par les policiers, alors qu’il avait déjà les mains « bloquées » dans le dos, ce qu’une reconstitution démontrerait. Il soutient qu’il n’existait nulle infraction de sa part à élucider, mais plutôt une calomnie de la part du curateur de l’enfant placé ; les policiers avaient mal interprété l’appel des éducateurs à la CECAL et étaient intervenus dans le dessein de nuire à des innocents. Il s’était immédiatement identifié. Pour respecter la distance sociale de sécurité alors en vigueur, il eût fallu non pas le provoquer en réduisant celle-ci, comme l’avait fait le policier s’étant approché de lui, mais au contraire reculer. Il avait demandé la prise de photos sur les lieux comme preuve d’une « bavure » policière. Pendant l’attente du médecin, il eût pu souffrir de complications de ses blessures à l’arcade, par exemple un début de mauvaise cicatrisation. Or, il n’avait commis ni crime ni délit, ce que le succès de son opposition à ordonnance pénale avait confirmé.

5.1.       Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s’il ressort de la dénonciation, du rapport de police ou – même si l'art. 310 al. 1 CPP ne le mentionne pas – de la plainte que les éléments constitutifs d'une infraction ou les conditions de l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. L'art. 310 al. 1 let. a CPP doit être appliqué dans le respect de l'adage in dubio pro duriore, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions de la poursuite pénale ne sont pas remplies
(ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_77/2021 du 6 mai 2021 consid. 2.2).

5.2.       L'art. 123 CP réprime, sur plainte, les lésions corporelles simples (ch. 1), c'est-à-dire des atteintes physiques, voire psychiques, qui revêtent une certaine importance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1064/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.2). L'art. 123 CP vise en particulier toutes les dégradations du corps humain, externes ou internes, à la suite d'un choc ou de l'emploi d'un objet, telles les fractures, foulures, meurtrissures, écorchures, coupures, hématomes et griffures (ATF 119 IV 25 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1283/2018 du 14 février 2019 consid. 2.1 et 6B_1405/2017 du 10 juillet 2018 consid. 2.1 in fine). L’art. 125 al. 2 CP punit pareilles lésions lorsqu’elles ont été commises par négligence.

5.3.       L'art. 303 ch. 1 CP réprime notamment du chef de dénonciation calomnieuse quiconque aura dénoncé à l'autorité, comme auteur d'un crime ou d'un délit, une personne qu'il savait innocente, en vue de faire ouvrir contre elle une poursuite pénale. La dénonciation n'est calomnieuse que si la personne mise en cause est innocente, en ce sens qu'elle n'a pas commis les faits qui lui sont faussement imputés, soit parce que ceux-ci ne se sont pas produits, soit parce qu'elle n'en est pas l'auteur. Une dénonciation pénale n'est pas punissable du seul fait que la procédure pénale ouverte consécutivement à la dénonciation est classée (ATF 136 IV 170 consid. 2.2).

5.4.       L'art. 312 CP punit les membres d'une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge. L’auteur doit user illégalement des prérogatives attachées à sa fonction. Ainsi, il décide ou contraint dans un cas où il ne lui était pas permis de le faire (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_528/2021 du 8 juin 2022 consid. 1.1). L'auteur nuit à autrui dès qu'il utilise des moyens excessifs, même s'il poursuit un but légitime. Le motif pour lequel l'auteur agit est ainsi sans pertinence sur l'intention, mais a trait à l'examen de la culpabilité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_579/2015 du 7 septembre 2015 consid. 2.2.1 et 6B_699/2011 du 26 janvier 2012 consid. 1.3.3).

5.5.       Selon l'art. 215 al. 1 CPP, afin d'élucider une infraction, la police peut appréhender une personne et, au besoin, la conduire au poste dans le but notamment d'établir son identité (let. a). L'appréhension au sens de l'art. 215 CPP ne suppose pas d'emblée, au contraire de l'arrestation provisoire, que la personne concernée soit soupçonnée d'un délit (cf. ATF 139 IV 128 consid. 1.2 ; 142 IV 129 consid. 2.2). Lors d’une appréhension, parfois aussi appelée contrôle d’identité, la police restreint passagèrement la liberté de mouvement de personnes dans l’exercice de son droit d’investigation. Cette mesure lui permet d’établir l’identité d’une personne et de déterminer si elle a commis une infraction ou si elle a un lien quelconque avec celle-ci, en ayant par exemple vu quelque chose ou en se trouvant en possession d’objets recherchés.

5.6.       Aux termes de l'art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi. En ce qui concerne le devoir de fonction, c'est le droit cantonal qui détermine, pour les agents publics cantonaux, s'il existe un devoir de fonction et quelle en est l'étendue (ATF 121 IV 207 consid. 2a). Selon l'art. 47 LPol, les membres autorisés du personnel de la police ont le droit d'exiger de toute personne qu'ils interpellent dans l'exercice de leur fonction qu'elle justifie de son identité (al. 1). Si la personne n'est pas en mesure de justifier de son identité et qu'un contrôle supplémentaire se révèle nécessaire, elle peut être conduite dans les locaux de la police pour y être identifiée (al. 2).

5.7.       En l'espèce, il n’y eut nulle « dénonciation » du recourant et de ses comparses par les éducateurs du foyer. Le dossier établit que ceux-ci se sont contentés de signaler à la police la venue d’un quatuor inconnu s’étant montré intrusif et curieux, à la fois, de la présence d’un enfant déterminé et des aménagements ceignant le bâtiment. Leur réaction n’a pas été celle de dénoncer un crime ou un délit, au sens de l’art. 303 CP, ni même d’ailleurs quelque infraction que ce soit.

5.8.       Le recourant affirme s’être livré, lors de sa venue et de ses déambulations autour du foyer, à un « reportage », mais non à un repérage en vue d’enlever le mineur dont il cherchait à vérifier le lieu de placement.

On a vu plus haut que l’appréciation du Commissaire de service sur ce point pouvait se fonder sur des éléments suffisants (consid. 4. supra). Or, les repérages de lieux tombent sous le coup des actes préparatoires délictueux punissables (art. 260bis CP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_470/2023 du 20 septembre 2023 consid. 3.1.), notamment s’ils sont accomplis en vue de séquestration et enlèvement (art. 260bis ch. 1 let. e CP). Cette disposition institue un crime (art. 10 al. 2 CP). Qu’elle n’ait pas été retenue par la suite par le Ministère public ne saurait rendre illicites l’appréciation du Commissaire de service, ni sa décision subséquente de faire conduire le recourant au poste pour de plus amples investigations. Les « informations » à disposition du Commissaire étant fiables, au sens de l’art. 217 al. 2 CPP, il n’y a pas place pour un abus d’autorité de sa part. Au demeurant, comme on le verra plus bas, les faits et gestes du recourant lors de son appréhension justifiaient à eux seuls sa conduite au poste.

Pour le surplus, le recourant n’a pas qualité pour invoquer l’art. 304 CP (cf. son chef de conclusion n° 28), car cette disposition a pour but la protection exclusive de la justice pénale (arrêt du Tribunal fédéral 1B_510/2012 du 16 novembre 2012 consid. 1.3. ; ACPR/186/2024 du 13 mars 2024 consid. 1.2.3. et les références), et non des intérêts individuels.

5.9.       Les circonstances dans lesquelles le recourant a été prié de s’identifier, puis blessé par la contrainte policière exercée sur lui, sont suffisamment établies pour qu’une reconstitution apparaisse inutile.

Il paraît évident que, nantis des renseignements qu’ils avaient recueillis auprès des éducateurs du foyer, les policiers pouvaient à bon droit procéder, dans un lieu proche, à l’identification de personnes pouvant correspondre aux signalements reçus. Quoi qu’en dise le recourant, ce n’est donc pas l’hypothèse – qui n’est pas établie – que les policiers eussent évoqué un stationnement interdit, à un endroit ou à un autre, de la E______/1______ qui a conduit à son appréhension. Cette supputation de sa plainte pénale (p. 2) ne se retrouve dans les déclarations d’aucun des protagonistes entendus dans les jours ayant suivi les faits, et notamment pas les éducateurs.

5.10.   Au sujet de ses blessures, les déclarations du recourant, recueillies à son arrivée au poste, ne sont pas fondamentalement différentes des explications données de leur côté par les policiers.

En premier lieu, le recourant ne se saurait feindre avoir subi une contrainte physique indue de ceux-ci nonobstant la présentation diligente de sa carte d’identité. Cette contrainte s’est exercée peu après, et pour d’autres raisons. Il apparaît en effet que, en réalité, il s’était mêlé du contrôle d’identité en cours sur un comparse, sous prétexte que la distance sanitaire inter-personnelle en vigueur n’était pas respectée entre ce comparse et le policier. En faire la remarque audit policier n’était, certes, pas un acte d’opposition ou d’entrave. En revanche, le recourant ne s’est pas limité à s’offusquer de la distance, insuffisante selon lui : comme il l’a déclaré au Ministère public, il a « insisté » pour que le policier proche du comparse recule, lui a parlé « un peu plus fort », voire s’est aidé des mains, puis a fait un pas vers lui, l’index levé (procès-verbal du 29 juin 2021 p. 5).

Si l’on garde à l’esprit qu’à ce moment-là, ni les renforts ni le Commissaire n’étaient arrivés, l’on constate que deux policiers se trouvaient confrontés à quatre inconnus rétifs et que l’un d’entre eux, le recourant, avait commencé à gesticuler en faveur de l’un d’eux. Les conditions de l’empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP) se réalisaient. Dans de telles circonstances, la décision d’immobiliser le recourant pour l’éloigner de l’emplacement du contrôle d’identité en cours était légitime et proportionnée. Une infraction de cette nature suppose en effet une résistance qui implique une certaine activité, par exemple une obstruction physique ou la fuite (arrêt du Tribunal fédéral 7B_71/2023 du 8 mai 2024 consid. 4.2. et les références). Par parenthèse, c’est ce second comportement qu’adoptera un des comparses, et ce, en ayant apparemment mis à profit l’immixtion intempestive du recourant pour franchir la frontière.

Le recourant se plaint d’avoir été, par la suite, poussé en avant, les bras immobilisés dans le dos, chutant en raison d’un déséquilibre et se blessant à l’arcade sourcilière. Que le recourant n’ait pas été ménagé dans le feu de l’action ne saurait être blâmé, puisque, comme on l’a vu, les policiers étaient en infériorité numérique et que les trois comparses du recourant renâclaient à décliner leurs identités. Cela étant, le recourant a précisé au Ministère public (procès-verbal du 29 juin 2021 p. 5) que, déséquilibré, il s’était repris sur un pied et avait continué d’avancer, de sorte que les policiers lui avaient « bloqué » les jambes. Pour leur part, les policiers relatent, dans leur rapport d’interpellation (p. 5), que le recourant avait refusé de se mettre à terre et qu’il avait fallu une pression exercée sur lui au moyen du corps de l’un d’eux pour qu’il s’exécutât.

De ces deux versions, il ressort qu’il était inévitable qu’il chût.

Ses blessures, certes a priori constitutives de lésions corporelles, ne revêtaient toutefois aucun caractère de gravité, quel qu’ait pu être leur saignement. Il n’est qu’à lire le rapport du médecin. On constate, par exemple, qu’aucun point de suture n’a été posé. C’est pure conjecture du recourant que de mettre en avant sa crainte de complications. Il n’en a d’ailleurs objectivé aucune par la suite. La durée de son arrêt de travail n’est pas objectivée non plus, puisque la mention correspondante dans le rapport de l’intervention médicale au poste ne saurait valoir certificat médical d’un médecin traitant. On ne voit pas ce que la prise de photos de son état, sur place ou au poste, y aurait changé, sans compter que le recourant ne cite aucune prescription quelconque qui en eût fait obligation aux policiers. Que ses desiderata à ce sujet n’aient pas été honorés n’équivaut pas à un abus d’autorité.

Enfin, ses lésions sont la conséquence de son refus d’obéir, mais non d’un coup porté par les policiers ni d’un heurt ou frottement, délibéré de leur part, de sa face contre le sol. Cette constatation ôte tout caractère intentionnel aux blessures (cf. art. 12 al. 2 CP) et se fonde sur l’attitude adoptée par le recourant, sur sa chute due à son refus de s’allonger et sur le revêtement du sol à l’emplacement considéré. Les mesures de contrainte entreprises par les policiers étaient permises par la loi, puisque le recourant n’obtempérait pas. On ne voit pas ce que celui-ci eût attendu sur ce point aussi de la prise de photos montrant (si on le comprend bien) son immobilisation au sol.

5.11.   L’art. 286 CP est un délit, au sens de l’art. 10 al. 3 CP. Par conséquent, cette infraction suffisait, à elle seule à autoriser une conduite au poste, pour cause de flagrance (art. 217 al. 1 let. a CPP), et il n’y a, de ce chef non plus, pas place pour un abus d’autorité.

5.12.   Le déroulement ultérieur et la durée de la rétention policière ne sont plus critiqués (art. 385 al. 1 let. a CPP), étant ajouté que, sur tous les autres aspects, l’utilisation systématique du mot « arbitraire » ne saurait tenir lieu de motivation (art. 385 al. 1 let. b CPP).

6. Le recours sera, partant, rejeté.

7.             Le recourant demande, mais pour le cas d’admission de son recours, que l’instruction soit confiée à un autre procureur. Pareille conclusion conditionnelle ne saurait être comprise comme une demande formelle de récusation du Procureur ______. Au demeurant, elle ne serait pas motivée à satisfaction de droit (cf. art. 58 al. 1 in fine CPP) et serait, qui plus est, tardive (art. 58 al. 1 in initio CPP), puisque le recourant, pour avoir écrit au Procureur ______ à deux reprises au printemps 2022, n’ignorait pas qui, au Ministère public, traiterait ses doléances contre la police.

8.             Le recourant demande l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours.

8.1.       Conformément à l'art. 136 al. 1 CPP dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023, l'assistance judiciaire est accordée, entièrement ou partiellement, la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles, à la condition qu'elle soit indigente (let. a) et que l'action civile ne paraisse pas vouée à l'échec (let. b).

Lorsqu'une collectivité publique assume une responsabilité exclusive de toute action directe contre l'agent auteur de l’acte illicite présumé, la victime n’a pas de prétention civile à faire valoir contre ce dernier, mais contre l’État, de sorte qu'exercer l’action civile par adhésion à la procédure pénale est exclu, et qu'une telle action doit en principe être considérée comme vouée à l’échec au sens de cette disposition (ATF 138 IV 86 consid. 3.1).

La jurisprudence reconnaît néanmoins dans certains cas à la partie plaignante le droit d'obtenir l'assistance judiciaire, lorsque les actes dénoncés sont susceptibles de tomber sous le coup des dispositions prohibant les actes de torture et les traitements inhumains ou dégradants (art. 3 et 13 CEDH, 7 Pacte ONU II, 10 al. 3 Cst. et 13 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, RS 0.105 ; cf. ATF 138 IV 86 consid. 3.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 1B_561/2019 du 12 février 2020 consid. 2.2 et 1B_729/2012 du 28 mai 2013 consid. 2.1 et arrêts cités).

Pour que tel soit le cas, le traitement dénoncé doit en principe être intentionnel et atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des circonstances de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (ATF 139 I 272 consid. 4). Un traitement atteint le seuil requis et doit être qualifié de dégradant s'il est de nature à créer des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier ou à avilir la victime, de façon à briser sa résistance physique ou morale ou à la conduire à agir contre sa volonté ou sa conscience. Il y a également traitement dégradant, au sens large, si l'humiliation ou l'avilissement a pour but, non d'amener la victime à agir d'une certaine manière, mais de la punir (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_307/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4.1 non publié aux ATF 146 IV 76, 6B_1135/2018 du 21 février 2019 consid. 1.2.1 et 1B_771/2012 du 20 août 2013 consid. 1.2.2).

8.2.       En l'espèce, le recourant ne prétend pas que la contrainte exercée sur lui constituerait un acte de violence ayant eu pour but de l'humilier, pas plus qu'il ne décrit de sentiment de peur, d'angoisse ou d'infériorité. Il a, au contraire expliqué au Ministère public (procès-verbal du 29 juin 2021 p. 5) qu’il n’avait pas eu peur de la police et que son déséquilibre avant de tomber avait suscité chez lui la reviviscence d’une chute à ski, soit un traumatisme sans lien avec une violence étatique.

L'assistance judiciaire ne peut donc lui être allouée pour la procédure de recours.

9. Le recourant, qui succombe, sera dès lors condamné aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

Le refus d'octroi de l'assistance juridique gratuite est rendu sans frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure où il est recevable.

Rejette la demande d'assistance judiciaire.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/14796/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00