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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2280/2021

ACPR/215/2024 du 22.03.2024 sur OCL/4/2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);VIOLATION DE DOMICILE;IMPOSSIBILITÉ OBJECTIVE;EXPULSION DE LOCATAIRE
Normes : CPP.319; CP.181; CP.186; CO.119

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2280/2021 ACPR/215/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 22 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,


contre l'ordonnance de classement rendue le 3 janvier 2024 par le Ministère public,

et

C______, domiciliée ______, représentée par Me Pierre BANNA, avocat, BANNA & QUINODOZ, rue Verdaine 15, case postale 3015, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 15 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 janvier 2024, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a classé la plainte pénale déposée le 31 janvier 2021 contre C______ des chefs de violation de domicile et contrainte.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à son annulation et au renvoi de la cause au Ministère public pour condamnation de C______ ou renvoi en jugement de celle-ci.

b. Le recourant a versé en temps utile les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ était locataire, depuis le 1er avril 1996, d'un appartement de quatre pièces au 3ème étage de l'immeuble sis no. ______, avenue 1______ à Genève.

L'immeuble appartient à la SI D______ SA et est géré par la régie E______ (ci-après la régie).

b.a. Le 21 février 2020, un incendie s'est déclaré dans l'appartement.

Selon le rapport de renseignements de la police du 9 juin 2020, si de nombreux dégâts avaient été causés dans tout le logement, l'origine du feu se situait dans la chambre parentale, sous le lit et l'hypothèse la plus probable était que l'incendie soit dû à l'incandescence d'une cigarette laissée sur le matelas.

Les soupçons se sont rapidement portés sur le fils de A______, F______, alors âgé de 25 ans, qui se trouvait seul dans l'appartement peu avant et avait reconnu fumer environ un paquet de cigarettes par jour, même s'il niait s'être rendu dans la chambre de ses parents.

b.b. Une procédure pénale a été ouverte contre F______ sous la référence P/2______/2020, dans laquelle la SI D______ SA s'est portée partie plaignante.

Cette procédure est actuellement en cours, F______ ayant fait opposition à l'ordonnance pénale du 3 novembre 2020 le reconnaissant coupable d'incendie par négligence, et attribuant l'origine du sinistre à la vétusté de l'immeuble et à une prise murale, selon lui défectueuse.

c. L'appartement étant inhabitable, A______ a dormi dans un premier temps à l'hôtel, puis trouvé une solution de logement temporaire.

Il a néanmoins continué à s'acquitter du loyer de l'appartement et a confirmé à la régie – qui lui indiquait qu'il en était dispensé – son intention de réintégrer les lieux aussitôt les travaux de remise en état achevés.

d. Dès avril 2020, les relations entre les parties se sont tendues, la régie considérant que la responsabilité des locataires dans l'incendie pourrait être engagée, hypothèse contestée par A______, qui imputait l'incendie à la prise défectueuse.

e. Le 10 juin 2020, la régie a déposé une requête accélérée de transformation et rénovation de l'appartement, qui a été acceptée le 25 juin 2020.

À teneur des renseignements figurant sur la plateforme de suivi des dossiers d'autorisation de construire de l'État de Genève (Sadconsult), les travaux ont débuté le 13 juillet 2020 et ont été achevés le 15 septembre suivant.

f.a. Par avis du 9 septembre 2020, la SI D______ SA a procédé à la résiliation extraordinaire du bail, au sens de l'art. 257f al. 4 CO, pour le 31 octobre 2020, subsidiairement à sa résiliation ordinaire pour le 31 mars 2021, "pour autant que le contrat n'ait pas pris fin de lui-même compte tenu de la destruction totale de la chose louée".

f.b. A______ et son épouse ont contesté ces résiliations et, par acte du 9 octobre 2020, ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête visant à faire constater l'inefficacité de cette résiliation, subsidiairement à l'annuler. Ils admettaient que l'appartement avait été rendu inhabitable par l'incendie, mais estimaient qu'en l'état des investigations, la responsabilité du sinistre ne pouvait leur être imputée.

g. Le 31 janvier 2021, A______ a déposé plainte pour violation de domicile et contrainte contre la SI D______ SA, la régie et toute personne éventuellement concernée.

En novembre 2020, il avait constaté que les travaux de rénovation de son appartement étaient achevés, mais que les cylindres avaient été changés et son nom sur la porte effacé. Contactée, la SI D______ SA l'avait informé qu'elle ne pouvait lui en remettre les clés, l'appartement ayant été reloué à un tiers.

h. Entendue par la police, C______, représentante de la régie, a expliqué qu'à la suite du sinistre, une entreprise avait été mandatée pour vider et assainir l'appartement. Avisée, la famille [de] A______ n'avait, à sa connaissance, pas tenté de récupérer d'effets personnels, étant précisé que tout avait brûlé. L'appartement du dessous avait également été fortement endommagé par l'eau utilisée par les pompiers lors de leur intervention, les locataires ayant dû être relogés. Les travaux de rénovation de l'appartement avaient été effectués entre août et septembre 2020. Les cylindres d'origine avaient été remplacés par des cylindres dits "de chantier", comme cela se faisait usuellement lors de travaux pour éviter que des tiers se rendent sur place.

i. Par ordonnance du 18 décembre 2021, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte de A______, au motif que les faits dénoncés s'inscrivaient dans un contexte purement civil et que la cause était pendante devant les juridictions compétentes.

Par arrêt du 10 juin 2022 (ACPR/409/2022), la Chambre de céans a annulé cette ordonnance: la procédure en cours devant la juridiction des baux et loyers avait pour effet de suspendre la résiliation du bail, de sorte que A______ était toujours locataire de l'appartement et conservait un droit légitime à l'occuper tant et aussi longtemps que durerait la procédure. Les motifs avancés par la régie pour justifier le changement de serrure et la non remise d'un nouveau jeu de clés n'emportaient pas la conviction, ce d'autant moins que des éléments permettaient de penser que les cylindres avaient été changés après la fin des travaux. Le retrait du nom de A______ de la boîte aux lettres et la remise à bail de l'appartement à un tiers étaient donc susceptibles d'être qualifiés de contrainte. Il convenait par conséquent de déterminer si, au moment où elle avait agi, la propriétaire de l'immeuble, respectivement la régie, avait connaissance de la procédure de contestation du congé.

j. Entendue par le Ministère public, C______ a confirmé que le changement de cylindres relevait du processus usuel suivi par la régie en cas de rénovation d'appartement ou de réparations techniques, afin de permettre un contrôle des personnes pouvant accéder au chantier. Elle ignorait la date de l'intervention du serrurier et ne se rappelait pas quand la régie avait eu connaissance de la contestation des résiliations. La décision de mettre un terme au contrat avait été prise à réception du rapport de police, en août 2020, qui pointait la responsabilité du fils de A______ dans la survenance de l'incendie. Le nom avait été changé sur la boîte aux lettres probablement au moment de la relocation, vers fin novembre. La situation de A______ était exceptionnelle puisque, vu l'incendie, l'objet du bail n'existait plus. Une visite sur place après le sinistre, en présence de l'assureur, du gérant technique de la régie et des époux A______ avait en effet permis de constater que l'appartement était dans un état de dégât total, même si quelques objets personnels étaient encore visibles. Par la suite, A______ avait remis au gérant technique un jeu de clés, tout en en conservant un.

k. A______ a précisé qu'après avoir débarrassé ses effets de l'appartement, il y était retourné à plusieurs reprises pour voir si les travaux avaient débuté et constaté que tel n'était pas le cas. Il passait également chercher son courrier dans la boîte aux lettres, dont il avait conservé la clé. Un jour, il avait vu que le cylindre de la porte d'entrée avait été changé, de même que celui de la boîte aux lettres.

l. À la suite de cette audience, la régie a fait parvenir au Ministère public copie de la facture du serrurier, attestant du changement de cylindre le 1er juillet 2020, un courrier adressé à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers le 19 octobre 2020 pour s'enquérir du dépôt d'une éventuelle requête en contestation des congés, ainsi que le nouveau contrat de bail relatif à l'appartement, signé par la régie le 13 novembre 2020.

m. A______ a pour sa part précisé que des attestations de dépôt de procédures judiciaires avaient été établies le 23 octobre 2020 par la Commission de conciliation en matière de baux et loyers et qu'elles avaient été notifiées à la SI D______ SA le 5 novembre 2020. Il maintenait par ailleurs avoir pu accéder à son appartement tout au long de l'été et de l'automne 2020. Les infractions de violation de domicile et de contrainte étaient dès lors réalisées.

n. La SI D______ SA a rétorqué que la régie avait, dès le départ, indiqué à A______ qu'au vu de la destruction totale de l'appartement, les loyers n'étaient plus dus et qu'il devait trouver un logement de remplacement. En effet, lorsque la poursuite du contrat devenait objectivement impossible pour un motif non imputable au bailleur, le bail prenait fin sans que l'une des parties n'ait à le résilier. Les avis de congé n'avaient ainsi été notifiés "qu'en tant que de besoin". Les procédures en contestation des congés avaient été suspendues, à sa demande, par le Tribunal des baux et loyers, jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/2______/2020 visant F______.

o. Par courrier du 29 juin 2023, le Ministère public a informé C______ qu'elle revêtait désormais le statut de prévenue, pour avoir entravé A______ dans sa liberté d'action en l'empêchant de regagner son appartement, alors même que les congés qui lui avaient été notifiés étaient contestés.

p. Par avis du 9 octobre 2023, le Ministère public, après avoir reçu la prise de position de l'intéressée – consistant à soutenir que la destruction totale de l'appartement avait mis un terme à la location, A______ ne disposant plus d'aucun droit sur les locaux à dater du 22 février 2020 –, a informé les parties de son intention de classer la procédure.

C. Le Ministère public a justifié l'ordonnance querellée en reprenant l'argumentation de C______. N'étant plus locataire, A______ ne pouvait plus tirer aucun droit du contrat, la SI D______ SA étant libre de disposer des locaux à sa guise, en particulier de faire changer les cylindres et de conclure un nouveau bail avec un tiers une fois l'appartement remis en état. En toute hypothèse, la situation juridique en lien avec l'application de l'art. 119 CO n'étant pas claire, c'était sans intention, fût-ce par dol éventuel, que la SI D______ SA, respectivement C______, avait agi.

D. a. Dans son recours, A______ relève que, selon le rapport de la Brigade de la police technique et scientifique (BPTS) du 6 mai 2021, le feu avait initialement été restreint à la chambre des parents, mais s'était propagé dans le couloir et la chambre de F______, le temps que les clés du logement soient apportées; les autres pièces avaient surtout été abîmées par les suies et l'intervention des pompiers. La structure même de l'immeuble, et de l'appartement en particulier, n'avait donc pas été endommagée, constat partagé par l'assurance qui était venue sur place le 24 février 2020 et avait dressé une liste des choses endommagées/détruites. Les travaux de réfection n'avaient d'ailleurs duré que deux mois. Les conditions d'une impossibilité subséquente au sens de l'art. 119 CO n'étaient dès lors pas réalisées et, compte tenu de la contestation du congé, il était autorisé à demeurer dans l'appartement, ce dont les agissements de la bailleresse l'avaient empêché. Les éléments objectifs de l'infraction de contrainte et de violation de domicile étaient par conséquent clairement réalisés.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, en se référant à la motivation de son ordonnance.

c. Dans ses observations, C______ fait valoir que l'appartement avait été totalement détruit par l'incendie et que plusieurs autres logements, de même que les communs (façades, fenêtres), avaient été détériorés. Les travaux de réfection avaient duré jusqu'en septembre 2020 et coûté CHF 213'814.77. La cause la plus probable du sinistre était un mégot de cigarette mettant le feu au matelas dans la chambre parentale. Les conditions de l'art. 119 CO relatives à l'impossibilité matérielle objective sans faute du débiteur étaient dès lors réalisées et les résiliations du bail n'avaient été envoyées "qu'en tant que de besoin". Les époux A______ – qui n'étaient au demeurant plus domiciliés à l'avenue 1______, ainsi que cela ressortait des données de l'Office cantonal de la population – avaient ainsi perdu leur droit de réintégrer leur appartement, de sorte que le changement de serrures et la relocation du logement à un tiers n'étaient pas constitutifs de contrainte, ni de violation de domicile.

Elle a précisé que la procédure P/2______/2020 était toujours en cours et que le Ministère public avait, le 17 janvier 2024, adressé au Tribunal correctionnel, en vue des débats prévus le 18 mars 2014, une demande de mesure pour prévenu irresponsable. Une expertise du 12 décembre 2023 avait en effet posé un diagnostic de schizophrénie et de dépendance au cannabis et conclu à l'irresponsabilité de F______ sur le plan psychiatrique.

d. A______ réplique que l'on se trouvait dans un cas d'impossibilité temporaire à laquelle l'art. 119 CO n'était pas applicable. Il était en effet admis qu'il n'y avait pas impossibilité au sens de cette disposition lorsqu'il était établi que cette impossibilité cesserait avant la fin prévue du contrat. Les termes utilisés par la régie dans les différentes correspondances échangées jusqu'en septembre 2020 permettaient d'ailleurs d'en déduire qu'elle se sentait encore liée par des rapports contractuels.

e. La cause a été gardée à juger à réception.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant considère que les conditions d'un classement ne sont pas réalisées.

2.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let.) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être appliquée conformément au principe in dubio pro duriore, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

2.2. L'art. 186 CP, punit, sur plainte, quiconque, d’une manière illicite et contre la volonté de l’ayant droit, aura pénétré dans une maison, dans une habitation, dans un local fermé faisant partie d’une maison, dans un espace, cour ou jardin clos et attenant à une maison, ou dans un chantier, ou y sera demeuré au mépris de l’injonction de sortir à lui adressée par un ayant droit.

Dans la systématique du code pénal, cette infraction est incorporée dans le Titre quatrième, réprimant les crimes et délits contre la liberté. Plus particulièrement, le bien protégé est la liberté du domicile qui comprend la faculté de régner sur des lieux déterminés sans être troublé et d'y manifester librement sa propre volonté. La liberté du domicile appartient donc à celui qui a le pouvoir de disposer des lieux que ce soit en vertu d'un droit réel ou personnel ou encore d'un rapport de droit public (ATF 118 IV 167 consid. 1c; 112 IV 31 consid. 3).

La protection pénale de l'habitation est réservée à l'habitant, qui reste l'ayant droit aussi longtemps qu'il n'a pas quitté les lieux, quand bien même il y demeure sans droit (ATF 118 IV 167 consid. 1c; 112 IV 31 consid. 3; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 21 ad art. 186;
F.-R. STRASSER, Squatters et violation de domicile : réponses données à quelques idées reçues, in AJP/PJA 8/93 pp 929-940, p. 935).

2.3. L'art. 181 CP vise, du chef de contrainte, quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.

Le fait, pour un bailleur, de changer les serrures d'un appartement pour empêcher le locataire d'y pénétrer, mettant de la sorte, de facto, une fin prématurée au contrat de bail, est constitutif de contrainte au sens de cette disposition (arrêt du Tribunal fédéral 6B_334/2023 du 16 août 2023 consid. 3.3). Cela vaut y compris lorsque le bail a été résilié, mais qu'une procédure en contestation du congé est pendante (arrêts du Tribunal fédéral 4A_499/2013 du 4 février 2014 consid. 3.3.3 et 6B_8/2010 du 29 mars 2010 consid. 2.2.2).

Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi avec conscience et volonté, soit au moins qu'il ait accepté l'éventualité que le procédé soit illicite et entrave le destinataire dans sa liberté de décision (ATF 120 IV 17 consid. 2c). Le dol éventuel suffit (art. 12 al. 2 CP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_406/2020 du 20 août 2020 consid. 2.1).

Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait, mais également lorsque le résultat dommageable s'impose à l'auteur de manière si vraisemblable que son comportement ne peut raisonnablement être interprété que comme l'acceptation de ce résultat (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3; 133 IV 9 consid. 4.1; 131 IV 1 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 2.1).

2.4. À teneur de l'art. 119 al. 1 CO, une obligation s'éteint lorsque l'exécution en devient impossible par suite de circonstances non imputables au débiteur.

Cette disposition ne s'applique pas en cas d'impossibilité temporaire; une situation d'une durée imprévisible est en revanche assimilable à un empêchement durable (arrêt du Tribunal fédéral 4C.344/2002 du 12 novembre 2003 consid. 4.1 et 4.2).

Ainsi, si le bailleur, pendant la durée du bail, est dans l'impossibilité de délivrer la chose louée sans qu'il ait commis de faute, il y a impossibilité objective subséquente d'exécuter le contrat telle que l'entend l'art. 119 CO et le bail s'éteint de lui-même sans que le bailleur ne doive indemniser le locataire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2010 du 22 juin 2010 consid. 5.1).

En revanche, si la chose louée n'est que partiellement détruite et qu'elle puisse être remise en état, il s'agit d'un cas d'exécution défectueuse du bail, de sorte que le locataire dispose des droits ancrés aux art. 259ss CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2010 du 22 juin 2010 consid. 5.1).

Il s'ensuit que, si un immeuble est totalement détruit par un incendie, le locataire ne peut exiger du bailleur qu'il le remplace par une nouvelle construction
(ATF 39 II 289 consid. 2), mais que s'il n'est que partiellement détruit, il convient d'examiner s'il est raisonnable d'exiger du bailleur qu'il le reconstruise, ce qui dépendra notamment du coût des travaux au regard de la valeur de l'immeuble (cf. D. LACHAT / K. GROBET THORENS / X. RUBLI / P. STASTNY, Le bail à loyer, Lausanne, 2019, p. 238-239).

2.5. En l'espèce, la Chambre de céans a d'ores et déjà jugé, dans la présente affaire, que le fait de changer les serrures de l'appartement, de n'en point remettre les clés au recourant, d'enlever son nom de la boîte aux lettres et de relouer le logement à un tiers, apparaissaient comme autant de comportements susceptibles d'être qualifiés de contrainte (ACPR/409/2022 consid. 2.5).

Ce faisant, la Chambre de céans s'était fondée sur le fait que la procédure en cours devant la juridiction des baux et loyers avait pour effet de suspendre la résiliation du bail, de sorte que le recourant était toujours locataire de l'appartement.

Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a néanmoins considéré que l'appartement litigieux avait été totalement détruit par les flammes, ce qui avait entraîné une impossibilité objective, au sens de l'art. 119 CO, et, partant, l'extinction ipso jure du contrat de bail. La commission d'une infraction pénale en lien avec les locaux était dès lors exclue.

Ce raisonnement ne saurait toutefois être suivi, à ce stade de la procédure.

Force est en effet de constater que, selon le rapport de la BPTS, le feu n'a touché que les chambres à coucher et le corridor, les autres pièces n'étant endommagées que par les suies et l'intervention des pompiers. La destruction totale de l'appartement à la suite du sinistre ne peut dès lors être tenue pour acquise, quand bien même les lieux auraient été inhabitables, ce qui n'implique pas nécessairement une destruction totale. Le caractère inhabitable des lieux n'a en outre eu, semble-t-il, qu'un caractère temporaire, puisqu'ils ont pu être remis en état en l'espace de deux mois, laps de temps qui paraît a priori trop court pour être considéré comme un empêchement durable au sens de l'art. 119 CO. L'on ne peut par ailleurs rien tirer, pour déterminer l'ampleur des réfections dues à l'incendie, de la demande de transformation et rénovation de l'appartement déposée par la régie le 10 juin 2020, puisqu'il ressort de la plateforme Sadconsult que l'immeuble sis no. ______, avenue 1______ a fait l'objet, entre juillet 2013 et janvier 2024, de pas moins de 37 demandes visant la rénovation et la transformation d'appartements, témoignant d'une volonté de rénover entièrement le bâtiment, et ainsi de le valoriser, indépendamment de l'existence de défauts (étant précisé que, selon la jurisprudence, ces informations, disponibles sur internet, peuvent être considérées comme des faits notoires, dès lors qu'elles bénéficient d'une empreinte officielle et proviennent de sources non controversées, cf. ATF 143 IV 380 consid. 1.2).

Il n'existe ainsi aucune certitude quant à la réalisation des conditions de l'art. 119 CO. Il est d'ailleurs révélateur que la régie n'a jamais évoqué expressément l'extinction de facto du bail avant de résilier ce dernier, que C______ a reconnu que cette décision avait été prise non pas en raison d'une prétendue disparition de l'objet du contrat, mais de la responsabilité du fils du recourant dans la survenance du sinistre, pointée par le rapport de police reçu en août 2020, et qu'elle a persisté à parler de "réfection", terme qui désigne davantage une remise en état qu'une reconstruction. De même, le Tribunal des baux et loyers a estimé justifié de suspendre la procédure dans l'attente de l'issue de la procédure P/2______/2020, preuve qu'il ne privilégiait pas l'hypothèse d'une extinction de plein droit du bail.

L'on ne saurait dès lors, en l'état, soutenir que le recourant, sans l'ombre d'un doute, avait perdu le droit d'usage de l'appartement incendié. Or, en ne lui restituant pas de jeu de clés après le changement de cylindres – dont il est désormais établi qu'il est intervenu avant, et non après, les travaux – et en relouant l'appartement à un tiers, la régie, soit pour elle la prévenue, pourrait avoir commis des actes susceptibles de réaliser les éléments constitutifs objectifs de la contrainte au sens de l'art. 181 CP, comme l'a d'ailleurs déjà estimé la Chambre de céans.

L'absence de volonté de la prévenue de commettre une infraction, fût-ce par dol éventuel, paraît quant à elle contredite par le fait que la décision de mettre fin au bail a été justifiée par le comportement du fils du recourant et non par une impossibilité objective de fournir la prestation convenue; qu'elle a été prise alors que les travaux de réfection de l'appartement étaient sur le point d'être achevés, rendant une réintégration du recourant possible; que la résiliation pour motif extraordinaire a été doublée d'une résiliation ordinaire; que la régie s'est enquise, avant de conclure un nouveau bail avec un tiers, de l'existence d'une procédure de contestation de congé, ce qui lui a été confirmé.

L'argumentation du Ministère public, qui relève lui-même que l'application de l'art. 119 CO était "peu claire", est ainsi, sur ce point également, contraire au principe in dubio pro duriore qui prévaut en matière de classement.

Ce nonobstant, dans la mesure où l'incendie a contraint le recourant à se reloger et à vider l'appartement de tous ses effets, et où il a transmis ses clés à la régie afin qu'elle puisse procéder aux travaux nécessaires – l'autorisant de facto à y pénétrer –, la Chambre de céans considère qu'il n'existe pas de soupçons suffisants de la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction de violation de domicile, que ce soit sur le plan objectif ou subjectif.

Le classement sera dès lors confirmé en tant qu'il porte sur l'art. 186 CP.

La procédure devra en revanche se poursuivre, s'agissant de l'infraction de contrainte, pour laquelle il demeure des soupçons suffisants, ceux-ci n'ayant pas été levés par les actes d'enquêtes mis en œuvre postérieurement à l'arrêt de la Chambre de céans du 10 juin 2022.

3. Fondé, le recours sera partiellement admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public.

4. L'admission partielle du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5. Le recourant, partie plaignante, qui obtient gain de cause, a demandé une indemnité pour ses frais d'avocat de CHF 2'819.95 TTC pour le recours, correspondant à 40 minutes d'entretien et 6h30 pour la rédaction des écritures, au tarif horaire de CHF 350.-, et de CHF 1'424.05 TTC pour sa réplique, correspondant à 3h00 d'activité, soit un total de CHF 4'244.- TTC.

L'ampleur de l'activité semble toutefois quelque peu excessive, la cause ne présentant pas de difficulté factuelle ou juridique particulière – la plupart des points abordés ayant déjà été développés devant le Ministère public –, les écritures de recours ne comportant au demeurant que huit pages de faits et trois de droit et la réplique trois pages.

L'indemnité allouée sera, partant, limitée à 5h30 d'activité, soit un montant de CHF 2'080.90, TVA à 8.1% comprise, et mise à la charge de l'État (art. 433 al. 1 let a et 436 al. 1 CPP; ATF 141 IV 476 consid. 1.1-1.2; 139 IV 45 consid. 1.2; ACPR/433/2017 consid. 7.2 in fine).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet partiellement le recours.

Annule l'ordonnance querellée, en tant qu'elle a classé les faits sous l'angle de l'art. 181 CP et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision sur ce point, dans le sens des considérants.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés qu'il a versées à hauteur de CHF 1'000.-.

Alloue à A______, à la charge de l'État de Genève, une indemnité de CHF 2'080.90 TTC à titre d'indemnité pour ses frais d'avocat.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).