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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1951/2024

ACPR/127/2024 du 19.02.2024 sur OTMC/222/2024 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : DÉTENTION(INCARCÉRATION);DIRECTIVE 2008/115/CE
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1951/2024 ACPR/127/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 19 février 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de mise en détention provisoire rendue le 23 janvier 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 2 février 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 janvier 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné sa mise en détention provisoire jusqu'au 21 mars 2024.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette ordonnance, à sa mise en liberté immédiate, au constat de l'illégalité de sa détention et à l'octroi d'une indemnité de CHF 2'600.- en réparation de son tort moral, depuis le 2 février 2024 [sous réserve d'amplification].

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 21 janvier 2024, la police a interpellé A______, de nationalité guinéenne, né le ______ 1987, à l'occasion d'une surveillance visant à lutter contre le trafic de stupéfiants dans le quartier D______ [GE]. Il était porteur d'une carte d'identité italienne valable du 9 mars 2017 au 10 novembre 2027 et d'un permis de séjour de longue durée pour l'Union européenne avec date de validité illimitée [selon photographies annexées au rapport de police] ainsi que de 6.4 grammes brut de cocaïne, de CHF 266.10 et de deux [portables de la marque] E______.

Selon le rapport d'arrestation du même jour, A______ "visiblement fortement alcoolisé (yeux rouges et forte odeur d'alcool)" a refusé de se soumettre au contrôle de police. L'usage de la force a été nécessaire pour le menotter, effectuer la fouille de sécurité et vérifier son identité dans la base de données AFIS (système automatique d'identification des empreintes digitales). Il a également refusé de se soumettre à un éthylotest.

b. Le lendemain, A______ a été prévenu de rupture de ban (art. 291 CP), d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 CP) et de contravention à l'art. 19a LStup pour avoir, le jour de son interpellation, séjourné en Suisse alors qu'il faisait l’objet d'une expulsion judiciaire, s'être débattu pour empêcher les policiers de le contrôler et détenu des stupéfiants en vue de sa consommation.

c. A______ – qui avait refusé de répondre aux questions de la police – a déclaré au Procureur, habiter en Italie avec ses parents et y travailler dans l'import-export. Son épouse et deux de ses enfants se trouvaient en Côte d'Ivoire. Il était sorti de prison le 21 mars 2023 et était revenu, pour la première fois, en Suisse deux jours auparavant afin de rendre visite "vite fait" à sa fille de 11 ans. Il sortait d'un magasin de tabac lorsque les policiers lui avaient pris les bras "par surprise". Même s'ils s'étaient identifiés, il leur avait "simplement dit [qu'il] ne savai[t] pas s'ils étaient vraiment des policiers" et leur avait demandé "de faire doucement". Il avait un peu bu ce jour-là et avait été surpris de l'intervention des policiers. Ils l'avaient fait tomber et il s'était blessé à la lèvre. Il n'avait pas refusé de souffler à l'éthylotest, n'y étant pas arrivé car il était choqué et essoufflé.

d. Entendu au Ministère public le 2 février 2024, l'inspecteur F______ a expliqué qu'il connaissait le prévenu "comme un trafiquant de drogue" raison pour laquelle il avait décidé de le contrôler. A______ s'était opposé passivement au contrôle et refusait de se laisser menotter. Il avait contacté la Centrale Vidéo Protection (CVP) pour obtenir les images de l'interpellation, qu'il avait visionnées.

e. Le même jour, le Ministère public a rendu un avis de prochaine clôture de l'instruction.

f. À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse [état au 22 janvier 2014], A______ est connu sous 11 alias. Il a été condamné à 8 reprises depuis le 18 septembre 2013, pour les dernières fois :

- le 28 janvier 2020 par le Tribunal de police de Genève pour délits contre la loi sur les stupéfiants, contravention à l'art. 19a LStup et opposition aux actes de l’autorité, à une peine privative de liberté de 30 jours et à une peine pécuniaire de 20 jours-amende, peines assorties du sursis durant trois ans, sous déduction d'un jour de détention avant jugement ainsi qu'à une amende de CHF 100.-;

-   le 6 septembre 2021 par le Tribunal de police de Genève pour délits contre la loi sur les stupéfiants, contravention à l'art. 19a LStup, entrée illégale, séjour illégal et infraction à l'art. 119 al. 1 LEI, à une peine privative de liberté de 12 mois, dont 6 mois avec sursis durant 3 ans, sous déduction de 79 jours de détention avant jugement, et une amende de CHF 300.-. Son expulsion a été prononcée pour une durée de 3 ans (date de départ : 20.12.2021, raison du départ : exécution de l’expulsion);

-   le 16 novembre 2022 par le Tribunal de police de Genève, pour violence ou menace contre les autorités ou les fonctionnaires, lésions corporelles simples de peu de gravité, délit contre la loi sur les stupéfiants et rupture de ban [pour la période pénale du 13 au 23 août 2022], à une peine privative de liberté de 7 mois, sous déduction de 87 jours de détention avant jugement.

C.           Dans son ordonnance querellée, le TMC retient que les charges sont graves et suffisantes pour justifier la mise en détention provisoire de A______, eu égard aux constatations de la police et aux circonstances de l'interpellation. Il y avait un risque de fuite concret, y compris sous forme de disparition dans la clandestinité en Suisse, compte tenu de sa nationalité étrangère et de son absence de domicile fixe. Ce risque était renforcé par la peine-menace et concrètement encourue. Le risque de réitération était tangible, considérant les antécédents du prévenu notamment pour des infractions spécifiques. Aucune mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre les mêmes buts que la détention. Il s'exposait au prononcé d'une peine privative de liberté pour l'infraction de rupture de ban, dès lors qu'il avait quitté la Suisse depuis sa dernière sortie de prison et y était revenu malgré l'expulsion dont il faisait l’objet, étant précisé qu'un autre délit lui était reproché.

Il a ordonné la détention provisoire de A______ pour une durée de deux mois, cette durée étant suffisante pour entendre les policiers et renvoyer le prévenu en jugement.

D.           a. Dans son recours, A______ considère que sa détention provisoire viole l'art. 221 CPP et la Directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 sur le retour. Il n'avait pas commis de rupture de ban, faute de renvoi dans son pays d'origine [en Guinée]. Lors de sa dernière sortie de prison, il avait été transféré à G______ [TI] et relâché à la frontière. Il s'était rendu volontairement en Italie. Aucune peine privative de liberté ne pouvait ainsi être prononcée à son encontre. En outre, il n'avait eu aucune intention de s'opposer à son interpellation. En état d'ébriété, il avait été surpris et, par peur, il avait "simplement riposté à ce qu'il croyait être une attaque illégitime". Enfin, son interpellation n'était justifiée par aucun soupçon fondé et son comportement n'avait pas menacé l'ordre public. Il demande la réparation de son tort moral pour le dommage subi.

b. Le Ministre public propose de rejeter le recours.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance sans autres observations.

d. Le recourant réplique.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes, en ce sens qu'il n'avait eu aucune intention de s'opposer à son interpellation et commis seulement une contravention en détenant des stupéfiants. Par ailleurs, comme rien n'avait été entrepris par les autorités helvétiques pour le renvoyer en Guinée, il ne pouvait non plus être condamné à une peine privative de liberté pour séjour illégal ou rupture de ban.

2.1. À teneur de l'art. 221 al. 1 CPP, la détention provisoire suppose que le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit. Selon la jurisprudence, il n'appartient pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 143 IV 330 consid. 2.1 p. 333).

2.2. La Directive 2008/115/CE – dite "Directive sur le retour" – pose le principe de la priorité des mesures de refoulement sur le prononcé d'une peine privative de liberté du ressortissant d'un pays tiers qui est en séjour illégal (ATF 147 IV 232 consid. 1.2 ; 143 IV 249 consid. 1.5 et 1.9). Un tel genre de peine ne peut entrer en ligne de compte que lorsque toutes les mesures raisonnables pour l'exécution de la décision de retour ont été entreprises (ATF 147 IV 232 consid. 1.2). Les principes dégagés de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, examinés par le Tribunal fédéral sous l'angle du séjour illégal, doivent être transposés à la rupture de ban au sens de l'art. 291 CP (ATF 147 IV 232 consid. 1.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1092/2021 du 23 mai 2022 consid. 3.1 et la référence citée). Cette disposition punit d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui aura contrevenu à une décision d'expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton. La Directive sur le retour n’est pas applicable aux ressortissants des pays tiers qui ont commis, outre le séjour irrégulier, un ou plusieurs autres délits en dehors du droit pénal sur les étrangers (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2022 du 2 septembre 2022 consid. 1.1.2). Ces considérations sont applicables à la détention provisoire (ATF 143 IV 264 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_31/2022 du 11 février 2022 consid. 2.1).

2.3. En l'occurrence, le recourant ne peut être suivi lorsqu'il soutient que la Directive sur le retour lui serait applicable.

Il a admis habiter et travailler en Italie – pays lui ayant délivré une carte d'identité et un titre de séjour –. À teneur de son casier judiciaire, son expulsion de Suisse a été exécutée le 20 décembre 2021 et il a déjà été condamné, le 16 novembre 2022, à une peine privative de liberté, notamment pour rupture de ban. Selon ses propres déclarations, lors de sa dernière sortie de prison [le 21 mars 2023], il a été conduit à la frontière italienne avant de quitter volontairement la Suisse pour y revenir à nouveau, le 19 janvier 2024, apparemment pour voir sa fille. Ces éléments suffisent à rendre vraisemblable une nouvelle condamnation à une peine privative de liberté pour rupture de ban.

Par conséquent, les charges retenues par le premier juge sont suffisantes pour autoriser le placement du recourant en détention provisoire. La prétendue innocence du recourant en lien avec l’infraction à l’art. 286 CP devra être plaidée devant le juge du fond.

3.             Le recourant ne consacre pas une ligne sur les risques de fuite et réitération. Il n'y a donc pas à s'y attarder, mais à renvoyer, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art. 82 al. 4 CPP; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références).

4.             4.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), il convient de mettre en œuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention.

4.2. En l'espèce, on ne voit pas quelle mesure de substitution – le recourant n'en proposant au demeurant aucune – serait de nature à pallier les risques retenus, en particulier le risque de fuite concret qu'il présente.

5.             La durée de la détention provisoire, pour une durée de deux mois, est largement proportionnée à la peine concrètement encourue si le recourant devait être reconnu coupable des infractions dont il est soupçonné.

6.             Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.

7.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

8.             Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

8.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).

8.2. En l'espèce, le recourant soulève dans son recours une contestation des charges qui repose, pour l'essentiel, sur une lecture erronée de la jurisprudence et des principes juridiques applicables à la théorie de l'infraction pénale et à la Directive sur le retour, aux éléments constitutifs de la rupture de ban ainsi qu'au pouvoir d'examen de l'autorité de recours en matière de détention avant jugement. Pareilles contestations doivent être considérées comme d'emblée vouées à l'échec en instance de recours au sens de l'art. 222 CPP. Dès lors, la prise en charge des honoraires de son défenseur d'office sera refusée.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Refuse l'assistance judiciaire pour le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1951/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

 

 

Total

CHF

985.00