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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24163/2022

ACPR/889/2023 du 13.11.2023 sur ONMMP/2417/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;INFRACTIONS CONTRE L'INTÉGRITÉ SEXUELLE;ABUS DE LA DÉTRESSE;SOUPÇON
Normes : CPP.310; CP.193; CP.189

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24163/2022 ACPR/889/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 13 novembre 2023

 

Entre

A______, représentée par Me B______, avocate,

recourante,

 

contre les ordonnances de non-entrée en matière et de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendues le 19 juin 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy – case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 7 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance de non-entrée matière du 19 juin 2023, expédiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte contre C______ pour des infractions à l'intégrité sexuelle.

La recourante conclut, préalablement, à l'octroi de l'assistance judiciaire pour le recours et, principalement, à l'annulation de l'ordonnance entreprise et à l'ouverture d'une instruction, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 1'938.60.

b. Par un second acte expédié le même jour, A______ recourt contre l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire du 19 juin 2023 rendue par le Ministère public et expédiée par pli simple.

La recourante conclut à l'annulation de la décision entreprise et à l'octroi de l'assistance judiciaire avec effet au 11 novembre 2022, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 1'033.92.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par pli daté du 11 novembre 2022, A______ a déposé plainte contre C______.

Elle a exposé avoir été, depuis janvier 2022, l'employée de D______ [recte D______ Sàrl], entreprise dont le directeur est C______ et dont le but est, notamment, la prise en charge de personnes âgées à leur domicile. De nationalité italienne, elle venait d'arriver en Suisse pour rejoindre sa sœur et se trouvait dans une situation financière précaire.

Dès ses débuts dans l'entreprise, le prénommé s'était montré gentil, mais insistant ; elle avait peur de lui en raison de sa position dirigeante. Il lui avait demandé de faire le ménage et le repassage à son domicile, lieu où il exprimait des propos vulgaires et sexuels en sa présence. Elle se sentait obligée de rire à ses blagues vulgaires. À partir de mars 2022, il lui avait demandé de manière récurrente, notamment par message électronique, de lui envoyer des images de ses parties intimes. Elle répondait sur le ton de l'humour en espérant qu'il la laisserait tranquille, l'invitant notamment à aller chercher des images sur des sites pornographiques pour qu'il cesse de l'importuner. Elle-même lui avait envoyé des images trouvées sur Internet pour satisfaire ses demandes et y mettre fin. Il lui écrivait à toute heure de la journée et de la nuit et se montrait agressif lorsqu'elle manifestait sa volonté de prendre ses distances avec lui.

Lorsqu'ils se trouvaient chez des clients, il lui demandait de passer devant lui pour qu'il puisse observer ses fesses et lui disait qu'il allait l'attraper pour entretenir des relations sexuelles. Elle se sentait obligée de rire par peur de sa réaction en cas de refus.

En août 2022, chez une cliente, il lui avait touché les parties génitales à travers son pantalon, puis prise dans ses bras et serrée de force. Il avait alors exprimé sa volonté d'avoir des relations sexuelles sur le lit de la cliente, une dame âgée souffrant de la maladie d'Alzheimer, son désir se manifestant par une érection qu'elle avait pu remarquer. Elle avait exprimé son refus et, tétanisée, lui avait déclaré : "Pas aujourd'hui". Il était alors parti.

Choquée et craignant de perdre son travail, elle ne savait que faire et en avait parlé à sa sœur, tout en cherchant un autre emploi.

À la même époque, chez une autre cliente auprès de laquelle elle passait la journée, elle avait vu arriver C______ qui apportait du matériel. Il l'avait à nouveau prise de force dans ses bras et affirmé qu'ils allaient entretenir une relation sexuelle. Malgré qu'elle essayât de se recroqueviller pour qu'il la lâchât, il l'avait retournée de force et avait collé son corps au sien. Elle était sous le choc et lui avait dit qu'elle avait ses règles, bien qu'étant ménopausée. Il lui avait alors demandé de lui montrer sa poitrine, car il avait remarqué qu'elle ne portait pas de soutien-gorge. Elle s'était exécutée par peur et parce que rien ne semblait pouvoir l'arrêter, même en présence des clients. Il avait encore tenté de l'embrasser sur la bouche, mais elle avait pu se dégager à temps.

À partir de là, il lui avait confié moins de travail, par vengeance, et lui faisait des reproches pour des fautes professionnelles qu'elle n'avait pas commises. Alors qu'il lui envoyait régulièrement des messages à toute heure pour lui demander des images sexuelles et d'elle nue, il avait cessé d'un seul coup pour ne plus lui adresser que des messages professionnels, très formels.

Après une réunion avec plusieurs collègues, il lui avait demandé de ne plus venir chez lui pour faire des travaux ménagers et son taux de travail avait été abaissé à 70%, sans qu'il la consulte.

Elle souffrait depuis de peur – dont des terreurs nocturnes –, de désorientation et d'énurésie, ainsi que des pertes de concentration. Incapable de travailler, elle avait été mise en arrêt maladie et suivait un traitement psychologique.

Elle a conclu à ce que le Ministère public saisisse les échanges avec la ligne utilisée par C______, dont elle a communiqué le numéro, et entende deux témoins, sa sœur et une collègue de travail.

Elle a conclu à l'octroi de l'assistance judiciaire.

b. Le 16 novembre 2022, le Ministère public l'a invitée à lui remettre copie des messages électroniques.

c. Elle a ainsi produit des messages qui couvrent la période du 29 juillet au 27 novembre 2022 et s'avèrent être en partie en arabe et en partie en français pour les messages écrits. Les parties en français portent exclusivement sur des questions liées au travail de A______, si ce n'est l'échange suivant daté du 17 septembre 2022 :

C______ : "Salam A______, Comme tu le sais en est des amis intimes et Nos familles se connaissances avant que tu travailles chez D______, Nos échanges le montrent clairement, et grâce à cette amitié que tu as trouvé ce travail. Appartement tu possèdes des enregistrements audiovisuel de mes passages chez les clients de D______ et tu as parlé à tes collègues que tu les auras informée que ces derniers seront utilisées pour me faire chanter au cas où tu perds ton travail. Dans le cas où c'est juste je ferai le nécessaire de déposer plainte contre toi auprès des autorités compétentes pour m'avoir enregistrer sans mon accord. À l'occasion je t'invite à me rendre les CHF 800.- restante de la somme de 1'000.- que je t'ai prêtés le mois de mai 2022 pour l'opération de ta maman. Finalement, je suis déçue que notre amitié ce termine de la sorte. Bonne journée".

A______ : "Bonjour C______, malheuresement je ne sais pas de quoi vous parler. Je pense sincerement que vous avez eu des mauvaises informations à mon egard et je ne possede absolument pas des enregistrements de vos passages. Je suis au courant que ceci est très grave et je ne permetterai jamais de faire des enregistrements de la sorte. Je suis navrée que vous avez eu ce type d'informations mensangeres sur ma personne car je suis trés loin d'etre comme ça."

C______ : "J'éspère bien aussi comme je t'ai toujours connue de bonne famille, et une bonne éducation. C'est ce que j'ai apprécié chez toi et c'est pour cela que tu es devenu mon ami intime et confidente. Bonne journée à toi et à bientôt".

"Je te demande stp juste de faire un effort et essayer de commencer à me rembourser les CHF 800.- , même en me donnant CHF 100.- par mois. Merci".

A______ : "Merci beaucoup de le dire C______. Je tiens à vous dire que je ne serai jamais la cause de vos problemes ou de peines. Je n'ai jamais fait rien de mal à ton egard et je ne commencerai certainement pas maintenant."

C______ : "Merci , bon week-end".

A______ : "Et bien sur, notre accord je le suis, je vous rend l'argent chaque mois et si je peux meme plus que 100. Merci et bon week-end".

Les messages vocaux sont presqu'exclusivement en arabe. Ont été produites aussi plusieurs photographies représentant une dame âgée dans différentes situations de sa vie quotidienne, des plannings et des certificats médicaux. La seule image à caractère sexuel représente un dessin d'une femme se faisant frapper le postérieur, dénudé, par un homme. Une image animée de petite fille dessinée envoyant des cœurs avec sa bouche et un dessin de fantôme faisant de même, ainsi que deux vidéos, l'une représentant un enfant dansant et l'autre, censée être humoristique, représentant une femme frappant un homme tenant un bébé ou une autre tentant de voler le portefeuille d'un autre dans la même position, complètent le contenu du support numérique de la plaignante.

C. a. À teneur de l'ordonnance de non-entrée en matière entreprise, le Ministère public constate qu'aucune image à caractère sexuel n'avait été échangée entre les parties, mais qu'un litige financier sous-jacent était présent. Une non-entrée en matière se justifiait.

b. Parallèlement, le Ministère public a refusé le bénéfice de l'assistance judiciaire à A______, car l'action civile paraissait vouée à l'échec.

D. a. À l'appui de son recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière, la recourante complète sa présentation des faits en produisant des certificats médicaux émanant de son médecin généraliste et d'un psychiatre et attestant d'une incapacité de travail pour des raisons non précisées, mais qu'elle affirme être en lien avec les faits dénoncés. L'incapacité de travail avait débuté le 14 octobre 2022 et les certificats l'attestent jusqu'au 31 mai 2023.

Elle a aussi produit une attestation signée par une psychologue intervenant pour le Centre genevois de consultation pour victimes d'infractions. Les faits relatés dans ce rapport diffèrent quelque peu de la présentation faite par A______ dans sa plainte. Notamment, selon ce document, les rapports de travail litigieux étaient harmonieux jusqu'en mars 2022. Lorsque A______ travaillait au domicile de C______, celui-ci lui aurait proposé de "faire des trucs" ou de la "prendre par derrière". Il lui avait touché les fesses et les seins à travers ses vêtements. Lors de l'épisode où le prénommé l'avait forcée à lui montrer sa poitrine, il lui avait bloqué la porte en lui disant qu'elle ne pourrait pas partir tant qu'elle ne lui montrerait pas ses seins. Une fois qu'elle s'était exécutée, il avait "longuement soupesé" sa poitrine. Elle s'était confiée en outre à une collègue qui avait confronté C______. Celui-ci avait alors contacté A______ pour lui dire qu'elle était "consentante et majeure" et que la police ne pourrait rien pour elle.

À relever que ce document ne mentionne pas une partie des faits résultant de la plainte résumée ci-dessus (attendu B.a.), principalement le fait qu'il lui avait touché les parties génitales à travers son pantalon.

Selon la psychologue rédactrice du rapport, les propos de A______ étaient cohérents et son état psychique apparaissait inquiétant, les symptômes semblant compatibles avec les faits relatés.

Elle a aussi nouvellement rapporté avoir été licenciée le 15 novembre 2022 et avoir entamé des démarches prud'homales avec l'aide d'un syndicat, dans le cadre desquelles elle a notamment dénoncé des atteintes à son intégrité sexuelle. Ici encore, de nouveaux épisodes, qui ne ressortent ni de la plainte, ni de l'attestation du Centre d'aide aux victimes susrapportée, ont été exposés : C______ lui aurait dit, dans le cadre du travail, "qu'elle avait une belle taille, que c'était une femme mûre et douce et qu'elle lui plaisait beaucoup", la touchant de manière inappropriée aux bras et au visage. Une fois confronté par la collègue de A______, C______ lui aurait dit "C'est arrivé à mes oreilles que je t'ai fait des avances et que je t'ai touchée" et qu'elle était consentante, la menaçant ensuite de lui faire perdre son travail. La date du 18 mars 2022 est mentionnée comme celle à laquelle il lui aurait demandé des photos intimes.

En parallèle, C______ avait déposé plainte pénale contre elle le 26 octobre 2022 pour diffamation et pornographie. Il lui reprochait d'avoir rapporté au syndicat qui la défendait des comportements répréhensibles et de lui avoir envoyé par messages du 31 mai 2022 des vidéos à caractère sexuel. Le Ministère public, sous la plume de la même Procureure qui était chargée de la présente procédure, a refusé d'entrer en matière, car les propos tenus le concernant, de même que le litige dans son ensemble, relevaient d'une procédure civile en cours et car il n'existait aucun moyen de preuve permettant de retenir une version plutôt qu'une autre.

Elle a enfin produit un rapport médical d'un médecin psychiatre à l'attention du médecin-conseil de son assurance perte de gain, daté du 30 janvier 2023, lequel relate une partie des faits susmentionnés en lien avec C______, ainsi que d'autres tentatives d'agression qu'elle aurait subies dans d'autres contextes. Le médecin met en lien les troubles constatés avec le harcèlement professionnel dont elle dit avoir été victime et pose un diagnostic d'épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques et modification durable de la personnalité après une maladie psychiatrique.

Sur le plan juridique, la recourante invoque une violation de son droit à un procès équitable, de son droit d'être entendue et de son droit à une enquête effective et diligente, reprochant à l'autorité de n'avoir pas pris en compte les preuves disponibles, ni procédé à aucun acte d'enquête sollicité.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et observe que la recourante avait "alimenté cette relation, qui peut être qualifiée de coquine" en faisant croire, par des rires et les réponses aux messages, qu'elle approuvait le comportement du mis en cause. La crainte de perdre son travail n'était pas liée au comportement de celui-ci : il ne l'avait jamais menacée de représailles si elle ne se soumettait pas à ses désirs sexuels, de sorte qu'il n'avait pas exploité sciemment un lien de dépendance. Il n'avait d'ailleurs pas usé de violence ou de menace pour obtenir des messages ou des photographies à caractère sexuel. Les événements survenus chez des clientes, subséquentes à ces messages et aux plaisanteries échangées, donnaient l'apparence du consentement de la recourante. D'ailleurs, elle n'avait pas formulé de refus catégorique face à son comportement en répondant "pas aujourd'hui" ou qu'elle avait ses règles, ce qui exprimait plutôt une volonté de reporter les événements suggérés. Ainsi, le mis en cause ne pouvait pas savoir qu'elle ne voulait pas entretenir une relation de nature sexuelle ou qu'elle n'éprouvait aucun plaisir.

c. A______ réplique en reprenant les éléments résultant de ses précédentes écritures.

E. a. À l'appui de son recours contre l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire, A______ reproduit les faits développés à l'appui de son premier recours.

En droit, elle expose que les conditions à l'octroi de l'assistance judiciaire étaient réunies.

b. Par rapport du 28 août 2023, le greffe de l'Assistance juridique a attesté de l'indigence de A______.

EN DROIT :

1.             Les deux recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner chacun une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Au vu de leur connexité, les deux recours seront joints et traités par un seul arrêt.

2.             Les faits nouveaux et les pièces nouvelles produites par la recourante sont recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

3.             La recourante fait grief au Ministère public d'avoir refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

3.1.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

3.1.2. Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, il s'imposerait, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis typiquement "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.2). Concernant plus spécialement la poursuite des infractions contre l'intégrité sexuelle, les déclarations de la partie plaignante constituent un élément de preuve qu'il incombe au juge du fond d'apprécier librement, dans le cadre d'une évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires figurant au dossier (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité consid. 3.2 in fine et 6B_808/2022 du 8 mai 2023 consid. 1.2).

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation si: la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles ; il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité consid. 2.2 et 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).

3.1.3. Enfreint l'art. 189 CP celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister l'aura contrainte à subir un acte analogue à l'acte sexuel ou un autre acte d'ordre sexuel.

L'art. 189 CP tendent à protéger la libre détermination en matière sexuelle, en réprimant l'usage de la contrainte aux fins d'amener une personne à faire ou à subir, sans son consentement, un acte d'ordre sexuel. Pour qu'il y ait contrainte en matière sexuelle, il faut que la victime ne soit pas consentante, que l'auteur le sache ou accepte cette éventualité et qu'il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; 122 IV 97 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1317/2022 du 27 avril 2023). L'art. 189 CP ne protège des atteintes à la libre détermination en matière sexuelle que pour autant que l'auteur surmonte ou déjoue la résistance que l'on pouvait raisonnablement attendre de la victime (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; 133 IV 49 consid. 4; arrêts du Tribunal fédéral 6B_802/2021 du 10 février 2022 consid. 1.2 et 7B_72/2022 du 24 juillet 2023 consid. 4.2).

En introduisant la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où la victime se trouve dans une situation sans espoir, sans pour autant que l'auteur ait recouru à la force physique ou à la violence. Les pressions d'ordre psychique concernent les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets d'ordre psychique, tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; 128 IV 106 consid. 3a/bb; 122 IV 97 consid. 2b). La pression psychique générée par l'auteur et son effet sur la victime doivent atteindre une intensité particulière (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; 131 IV 167 consid. 3.1 et les références citées). Certes, la loi n'exige pas que la victime soit totalement hors d'état de résister. L'effet produit sur la victime doit toutefois être grave et atteindre l'intensité d'un acte de violence ou d'une menace. C'est notamment le cas lorsque, compte tenu des circonstances et de la situation personnelle de la victime, on ne saurait attendre de résistance de sa part ou qu'on ne saurait l'exiger et que l'auteur parvient à son but contre la volonté de la victime sans devoir toutefois user de violence ou de menaces. La soumission de la victime doit, en d'autres termes, être compréhensible (ATF 131 IV 167 consid. 3.1). Pour déterminer si l'on se trouve en présence d'une contrainte sexuelle, il faut procéder à une appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; 131 IV 107 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_72/2022 précité consid. 4.2).

Sur le plan subjectif, la contrainte sexuelle est une infraction intentionnelle. L'auteur doit savoir que la victime n'est pas consentante ou en accepter l'éventualité
(ATF 148 IV 234 consid. 3.4). L'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur. S'agissant de la contrainte en matière sexuelle, l'élément subjectif sera réalisé lorsque la victime a donné des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l'auteur - tels des pleurs, des demandes d'être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d'amadouement ou d'essayer de fuir (ATF 148 IV 234 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_589/2021 du 8 juin 2022 consid. 2.1; 6B_395/2021 du 11 mars 2022 consid. 3.2.3; 6B_502/2017 du 16 avril 2018 consid. 2.1).

3.1.4. Conformément à l'art. 193 al. 1 CP, celui qui, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail ou d'un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé celle-ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

La question de savoir s'il existe un état de détresse ou un lien de dépendance au sens de l'art. 193 CP et si la capacité de la victime de se déterminer était gravement limitée doit être examinée à la lumière des circonstances du cas d'espèce
(ATF 131 IV 114 consid. 1). La situation de détresse ou de dépendance doit être appréciée selon la représentation que s'en font les intéressés (cf. ATF 99 IV 161 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_895/2020 du 4 février 2021 consid. 2.4.1 et les références citées). L'art. 193 CP est réservé aux cas où l'on discerne un consentement. Il faut que ce consentement apparaisse motivé par la situation de détresse ou de dépendance dans laquelle se trouve sa victime. Il doit exister une certaine entrave au libre arbitre. L'art. 193 CP envisage donc une situation qui se situe entre l'absence de consentement et le libre consentement qui exclut toute infraction. On vise un consentement altéré par une situation de détresse ou de dépendance dont l'auteur profite. Les limites ne sont pas toujours faciles à tracer. L'infraction doit permettre de réprimer celui qui profite de façon éhontée d'une situation de détresse ou de dépendance, dans un cas où la victime n'aurait manifestement pas consenti sans cette situation particulière (arrêts du Tribunal fédéral 6B_895/2020 précité consid. 2.4.1 et les arrêts cités et 6B_457/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1).  

Selon la jurisprudence, l'infraction d'abus de la détresse n'est pas réalisée si la femme concernée n'a pas consenti à un rapport sexuel en raison de la dépendance, mais pour d'autres raisons, ou si elle en a pris l'initiative (ATF 124 IV 13 consid. 2c). Le Tribunal fédéral a ainsi exclu le lien de dépendance entre un thérapeute et sa patiente en constatant que les relations sexuelles n'étaient pas intervenues à l'initiative du prévenu, mais de la patiente, qui avait entrepris de manipuler et de séduire son thérapeute à cette fin, et qu'elles s'étaient produites parce que le prévenu, par faiblesse, n'avait pas su repousser les avances de la patiente, et non pas parce que cette dernière, en raison du lien thérapeutique, aurait été déterminée à les subir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1307/2020 du 19 juillet 2021 consid. 1.6.1).

Entre notamment dans le champ d'application de l'art. 193 al. 1 CP, la situation où une employée est contrainte de subir des actes sexuels par un contremaître qui est habilité, dans l'entreprise, à déterminer le nombre de personnes nécessaires à l'exécution du travail et qui décide sur quel chantier les employés doivent travailler. Le contremaître avait en l'occurrence la possibilité d'influer sur les perspectives d'obtenir du travail de l'employée, qui en avait besoin, et en était de surcroît le chef. L'employée, étrangère peu au courant des usages du travail en Suisse, avait été isolée sur un chantier, malgré son refus d'accomplir des actes sexuels avec le contremaître, et avait été déterminée à s'exécuter par les remarques de celui-ci sur sa position dirigeante, sur l'obligation de lui obéir et sur le besoin de travail de l'employée qu'il connaissait (arrêt du Tribunal fédéral 6B_895/2020 du 4 février 2021 consid. 2.3).

3.2. En l'espèce, la recourante a dénoncé des comportements, des paroles et des écrits à caractère sexuel que lui aurait fait subir ou aurait tenté de lui faire subir son responsable hiérarchique d'alors.

Sans entendre le mis en cause, le Ministère public a refusé d'entrer en matière pour des motifs qui n'ont été réellement explicités qu'au stade du recours : selon cette autorité, la recourante avait alimenté la relation "coquine" avec son responsable, lequel ne l'avait jamais menacée, et elle avait donné l'apparence de consentir aux comportements qu'elle dénonçait.

La plainte de la recourante comporte deux volets et se rapporte, d'une part, à des échanges de messages électroniques, d'autre part, à des interactions survenues sur le lieu de travail.

S'agissant des premiers, la recourante a, certes, produit des copies de messages échangés avec le mis en cause dans le second semestre de 2022. Elle n'a cependant pas produit les messages qu'elle incrimine plus précisément dans sa plainte et datant du premier semestre de 2022. Il s'agirait, selon la plainte, de messages dans lesquels le mis en cause lui aurait demandé, de manière récurrente, des photographies intimes ou lui aurait témoigné de l'agressivité. Or, aucun message figurant au dossier ne recèle de tels propos. Par ailleurs, les messages produits par la suite ne contiennent pas de textes ou d'images permettant de fonder une prévention pénale. En effet, les dessins échangés peuvent paraître inconvenants, particulièrement celui représentant une femme se faisant frapper le postérieur dénudé par un homme, mais ils n'ont pas de connotation sexuelle répréhensible, en l'absence de tout autre élément. La recourante s'est pour le surplus limitée à produire de nombreux messages en arabe, sans traduction, ni référence précise à l'un ou l'autre d'entre eux. Il n'incombe pas, sans contribution de sa part, à l'autorité pénale de procéder à un tri et à une traduction qu'elle aurait pu fournir, avec l'assistance de son avocat, si elle estimait que des éléments de preuves pertinents s'y trouvaient. En résumé, les messages produits ne permettent pas de fonder de prévention pénale, ni d'étayer les allégations de la recourante, aucune explication n'étant apportée par celle-ci sur l'absence de pertinence des messages produits. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'instruire davantage ce point.

Cela étant, concernant le second volet de la plainte, en rapport avec des déclarations et des comportements sur le lieu de travail, la recourante a décrit en détail l'ascendant exercé par le mis en cause en raison de la position hiérarchique de celui-ci et de sa position précaire à elle. Elle a ainsi exposé que son consentement, ou pour le moins l'absence de refus ferme aux avances alléguées du mis en cause, n'était pas librement donné. Elle a aussi insisté sur le fait que son attitude consistant à ne pas céder aux avances du mis en cause avait eu comme conséquence la diminution du travail qui lui était confié, puis, finalement, son licenciement. Or, comme les parties se connaissaient antérieurement à la prise d'emploi, il est possible que le mis en cause, conscient de la situation personnelle et financière de la recourante, ait pu en abuser.

Il ne peut donc être retenu, en l'état, que la plainte n'ait décrit qu'une relation "coquine" alimentée par la recourante.

Par ailleurs, la recourante a produit plusieurs documents médicaux ou d'un centre de protection des victimes qui font état de conséquences psychiques en lien avec les actes dénoncés. Certes, les récits de la recourante ont quelque peu varié en fonction de ses interlocuteurs, mais les contradictions ne sont pas telles qu'il faille d'emblée retenir qu'ils sont inventés. En effet, les épisodes décrits sont les mêmes, seuls certains détails étant différents.

Il s'ensuit qu'au vu des accusations graves et cohérentes d'agression sexuelle qu'elle contient et des éléments susévoqués, la plainte ne peut être écartée d'emblée. Une audition du mis en cause paraît indispensable pour pouvoir confronter les versions des deux protagonistes, eu égard au caractère "entre quatre yeux" des faits dénoncés, la recourante ne prétendant pas qu'un tiers en aurait été témoin.

Par conséquent, le recours sera admis sur ce point et la cause retournée au Ministère public pour qu'il agisse dans le sens des considérants, soit en procédant ou en faisant procéder à l'audition du mis en cause.

4.             La recourante fait grief au Ministère public de lui avoir refusé le bénéfice de l'assistance judiciaire et sollicite son octroi tant pour la procédure à mener devant le Ministère public que pour l'instance de recours.

4.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b). L'assistance judiciaire comprend (art. 136 al. 2 CPP), outre l'exonération des frais de procédure (let. a), la désignation d'un conseil juridique gratuit, lorsque la défense des intérêts de la partie plaignante l'exige (let. c).

4.2. En l'espèce, l'indigence de la recourante, qui a déclaré se constituer partie plaignante, tant sur le plan civil que pénal, est établie. Par ailleurs, au vu de l'issue du présent recours, ses prétentions civiles n'apparaissent pas vouées à l'échec.

La nécessité d'un conseil juridique gratuit sera admise.

Partant, l'assistance judiciaire sera accordée à la recourante, au sens de l'art. 136 al. 2 let. a et b CPP, et Me B______ désignée en qualité de conseil juridique gratuit (art. 136 al. 2 let. c CPP) avec effet au 11 novembre 2022, date du dépôt de la demande.

5.             La recourante étant au bénéfice de l'assistance judiciaire et obtenant gain de cause, les frais afférents au recours seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).

6.             6.1. Les art. 135 al. 1 cum 138 al. 1 CPP prévoient que le conseil juridique gratuit est rétribué conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c). Seules les prestations nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.2. En l'espèce, la recourante a requis une indemnisation de son conseil à hauteur de CHF 1'938.60 pour le recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière et de CHF 1'033.92 pour le recours contre le refus d'assistance judiciaire.

Certes, les deux recours totalisent 42 pages, mais il s'agit pour l'essentiel d'une réécriture des faits contenus dans la plainte pénale. La réplique compte trois pages. Par ailleurs, le montant de l'indemnité requise par la recourante comprend le forfait relatif aux courriers et téléphones, qui ne s'applique pas dans la procédure de recours (ACPR/762/2018 du 14 décembre 2018).

Ainsi, une indemnité correspondant à 4h00 d'activité d'avocate apparaît comme suffisante au vu de la complexité limitée de la cause. Le montant de CHF 861.60, TVA incluse, sera donc alloué.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours et les admet.

Annule les ordonnances entreprises et retourne la cause au Ministère public afin qu'il procède dans le sens des considérants.

Admet A______ au bénéfice de l'assistance judiciaire avec effet au 11 novembre 2022 et désigne Me B______ en qualité de conseil juridique gratuit.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 861.60, TVA (7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).