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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19597/2020

ACPR/877/2023 du 09.11.2023 sur ONMMP/2373/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : MOTIVATION DE LA DÉCISION;DÉCISION DE RENVOI;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;OUVERTURE DE LA PROCÉDURE
Normes : Cst.29.al2; CPP.309; CPP.318.al1; CPP.312

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19597/2020 ACPR/877/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 9 novembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ et B______, domicilié ______, représentés par Me C______, avocat,

recourants,

contre l'ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle rendue le 14 juin 2023 par le Ministère public,

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 30 juin 2023, B______ et A______ recourent contre l'ordonnance du 14 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leurs plaintes des 8 octobre 2020 et 4 mars 2021 contre D______, ainsi que sur une partie de la plainte du premier cité contre ce dernier du 18 septembre 2021.

Les recourants concluent, préalablement, à l'octroi de l'assistance judiciaire et, principalement, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance "de classement partiel" et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'ouvrir une instruction et de "rendre une décision dans le sens des considérants".

b. Les recourants ont été dispensés du versement des sûretés (art. 383 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 8 octobre 2020, complété par pli du 18 juin 2021, B______ a déposé plainte contre D______, E______ et une autre personne notamment pour diffamation (art. 173 CP), calomnie (art. 174 CP), menaces (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP) et violation de domicile (art. 186 CP).

Le 18 septembre 2021, B______ s'est présenté à la police pour déposer une nouvelle plainte contre D______, lui reprochant en substance d'être entré, le 24 août 2021, dans le hall d'entrée de son domicile, d'avoir dérobé un trousseau de clefs, de l'avoir injurié et de l'avoir poussé des deux mains.

Ces plaintes ont été enregistrées sous les numéros de procédure P/19597/2020 et P/3247/2022.

b. Le 4 mars 2021, A______ a déposé plainte contre D______ et E______ des chefs d'extorsion et chantage (art. 156 CP), injure (art. 177 CP), menaces (art. 180 CP) et violation de domicile (art. 186 CP), leur reprochant des faits commis entre les 14 septembre 2020 et 22 février 2021, respectivement le 12 décembre 2020.

Cette plainte a été inscrite sous la référence P/5204/2021.

c. Par ordonnances des 31 janvier et 14 février 2022, le Ministère public a ordonné la jonction des procédures P/3247/2022, P/5204/2021 et P/19597/2020 sous ce dernier numéro.

d. Selon la page de garde de la procédure, une instruction a été ouverte le 1er février 2022, sans que l'on sache pour quels faits.

e. Le même jour, B______ et A______ ont été entendus par le Ministère public en qualité de personnes appelées à donner des renseignements. Le second a déclaré retirer sa plainte contre E______.

f. Dûment cité à comparaître à une audience de confrontation par devant le Ministère public le 13 mai 2022, D______ ne s'est pas présenté, sans être excusé.

g. Le même jour, le Ministère public a délivré un mandat d'amener à l'encontre de D______ pour les faits dénoncés par B______.

h. Par ordonnance du 20 mai 2022, le Ministère public a accordé l'assistance judiciaire à B______, avec effet au 19 octobre 2020, et désigné Me C______ à cet effet.

i. Les 23 et 31 août 2022, le Ministère public a décerné un second mandat d'amener contre D______ pour les faits dénoncés par B______, ainsi qu'un mandat d'actes d'enquête fondé sur l'art. 312 CPP, chargeant la police d'entendre les précités et A______.

j. Entendu par la police le 13 septembre 2022 – à la suite des mandats précités –, D______ a refusé de répondre aux questions posées en lien avec les plaintes de B______ et A______.

k. Concomitamment à l'ordonnance querellée, le Ministère public a, par ordonnance pénale – frappée d'opposition –, déclaré D______ coupable de soustraction d'une chose mobilière (art. 141 CP) et de violation de domicile (art. 186 CP) pour avoir, le 24 août 2021, pénétré sans droit dans le hall d'entrée du domicile de B______ et lui avoir soustrait, sans dessein d'enrichissement illégitime, un trousseau de clefs.

Le Ministère public a également rendu deux ordonnances de non-entrée en matière en faveur de E______ et de l'autre personne visée par la plainte du 8 octobre 2020 de B______, lesquelles n'ont pas fait l'objet d'un recours.

C. Dans l'ordonnance querellée – qui ne mentionne que B______ comme partie plaignante –, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les autres faits visés par les plaintes du précité, faute d'éléments de preuve suffisants et objectifs. Il apparaissait par ailleurs que le litige opposant les parties revêtait un caractère exclusivement civil.

S'agissant des faits dénoncés par A______, il existait un empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), le précité ayant "retiré sa plainte" lors de l'audience du 1er février 2022. De surcroit, il ne ressortait pas des éléments du dossier que le mis en cause eût commis l'infraction d'extorsion et chantage.

D. a. Dans leurs recours, B______ et A______ reprochent au Ministère public de ne pas avoir entendu D______ dans le cadre de l'instruction, ce d'autant que les infractions dénoncées étaient graves. Par ailleurs, contrairement à ce que soutenait le Ministère public, le retrait de la plainte lors de l'audience du 1er février 2022 ne concernait que des faits reprochés à E______.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée.

2.             2.1. Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité l'obligation de motiver sa décision afin, d'une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d'autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d'exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183; 138 I 232 consid. 5.1 p. 237).

2.2. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Le Ministère public n'a pas à informer les parties avant de rendre une ordonnance de non-entrée en matière et n'a pas à leur donner la possibilité d'exercer leur droit d'être entendu, lequel sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours (arrêt du Tribunal fédéral 6B_43/2013 du 11 avril 2013 consid. 2.1).

En revanche, si une instruction est ouverte au sens de l'art. 309 CPP, elle doit être clôturée formellement (art. 318 al. 1 CPP), de sorte qu'une ordonnance de non-entrée en matière ne peut plus être rendue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 2.1).

2.3. À teneur de l'art. 318 al. 1 CPP, lorsque le ministère public estime que l'instruction est complète, il rend une ordonnance pénale ou informe les parties de la clôture prochaine de l'instruction en leur octroyant un délai pour présenter leurs réquisitions de preuves. Si les parties requièrent l'administration de certaines preuves, le ministère public doit traiter ces demandes avant de donner suite à la procédure. L'avis de prochaine clôture a ainsi pour but de donner aux parties la possibilité de se prononcer sur le résultat et l'issue de l'instruction effectuée par le ministère public et, le cas échéant, de requérir un complément d'enquête (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 5 ad art. 318), voire de vérifier, avant de donner suite à la procédure, s'il a traité toutes les demandes des parties tendant à l'administration de preuves (ACPR/329/2019 du 8 mai 2019 consid. 2.1).

Les formalités de l'art. 318 al. 1 CPP sont essentielles et doivent obligatoirement précéder tout classement, toute ordonnance pénale et tout renvoi au tribunal. Une violation de cette disposition n'est pas réparable en instance de recours. Elle entraîne l'annulation de la décision querellée et le renvoi de la cause au ministère public, afin que celui-ci satisfasse à cette disposition légale impérative (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_208/2015 du 24 août 2015 consid. 5.3), puis rendre une nouvelle décision (arrêt du Tribunal fédéral 1B_59/2012 du 31 mai 2012 consid. 2.1.1; ACPR/407/2021 du 21 juin 2021 consid. 2.1 et les références citées).

2.4. En l'espèce, bien que le Ministère public n'ait pas procédé formellement à l'ouverture d'une instruction pénale au moyen de l'ordonnance ad hoc (art. 309 al. 3 CPP), il ne fait aucun doute qu'une telle instruction a été ouverte, puisque cette autorité a procédé elle-même à l'audition des parties plaignantes et a délivré un mandat d'actes d'enquête sur la base de l'art. 312 CPP – respectivement des mandats d'amener, soit une mesure de contrainte (art. 309 al. 1 let. b CPP) – à la police. Il n'était dès lors plus possible de statuer par la voie d'une ordonnance de non-entrée en matière, concomitamment à l'ordonnance pénale. Il importait donc que le Ministère public procédât conformément à l'art. 318 CPP, s'il estimait l'instruction complète, qu'il clôture l'instruction, fixe un délai aux parties pour leurs réquisitions de preuves, avant, selon ce qui pourrait lui être demandé, d'envisager la suite de la procédure. Les recourants n'ont ainsi pas eu l'occasion de présenter leurs moyens de preuve. De plus, on ne comprend pas pour quel motif le Ministère public, qui a délivré deux mandats d'amener contre le mis en cause pour les faits dénoncés par B______, a finalement décidé de ne pas entrer en matière.

En outre, d'après le procès-verbal de l'audience du 1er février 2022, A______ a retiré sa plainte contre E______. Or, le Ministère public n'explique pas dans l'ordonnance querellée pourquoi il a considéré que la plainte contre D______ était également retirée, étant relevé que A______ semble reprocher au précité des faits distincts de ceux reprochés à E______. Ainsi, la décision querellée est insuffisamment motivée et la Chambre de céans est dans l'impossibilité d'exercer son contrôle.

Ces manquements sont trop importants pour être réparés dans le cadre de la procédure de recours.

3. Fondé, le recours sera admis. La décision déférée sera donc annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

4. Au regard de la nature procédurale des motifs conduisant à l'admission du recours et dans la mesure où la Chambre de céans n'a pas traité la cause sur le fond, ne préjugeant ainsi pas de l'issue de celle-ci, il peut être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2 p. 296; arrêts du Tribunal fédéral 6B_662/2020 du 18 août 2020 consid. 2 et 6B_30/2020 du 6 avril 2020 consid. 2).

5. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6. Les recourants sollicitent d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

6.1. Les art. 135 al. 1 cum 138 al. 1 CPP prévoient que le conseil juridique gratuit est rétribué conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c). Seules les prestations nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.2. En l'espèce, dans la mesure où B______ est au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, et que le recours a été rédigé pour lui et A______, le conseil juridique gratuit sera indemnisé sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les conditions de l'art. 136 CPP sont également réalisées pour l'autre recourant.

Compte tenu de l'ampleur de l'écriture de recours – dont seules trois pages sont consacrées aux développements juridiques, sans aucune complexité –, une indemnité globale arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 215.40, TVA (7.7% incluse) lui sera allouée, montant jugé suffisant pour l'activité déployée.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours, annule l'ordonnance attaquée en tant qu'elle n'entre pas en matière sur les plaintes des recourants, et renvoie la cause au Ministère public, pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me C______, à la charge de l'État, pour l'activité déployée en seconde instance, une indemnité de CHF 215.40 (TVA 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière

 

La greffière :

 

Oriana BRICENO LOPEZ

 

La présidente :

 

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).