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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14134/2017

ACPR/691/2023 du 06.09.2023 sur ONMMP/3030/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14134/2017 ACPR/691/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 6 septembre 2023

 

Entre


A
______, domiciliée c/o M. B______, ______, représentée par Me Razi ABDERRAHIM, avocat, Rive Avocats, cours de Rive 4, 1204 Genève,

recourante,

 

contre les ordonnances de non-entrée en matière rendues le 31 juillet 2023 par le Ministère public,


et


LE MINISTÈRE PUBLIC
de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par actes expédiés le 14 août 2023, A______ recourt contre trois des quatre ordonnances rendues le 31 juillet 2023, notifiées sous pli simple, par lesquelles le Ministère public a refusé « d’entrer en matière » sur sa plainte du 19 août 2020.

La recourante conclut à l'annulation de ces décisions.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 18 février 2020, A______ a déposé plainte pénale contre son mari, à raison d’un changement d’adresse qu’il lui aurait caché jusqu’à ce jour-là et qui aurait provoqué insultes et bousculade, ainsi qu’en raison d’une relation sexuelle sous contrainte qu’il lui aurait imposée le mois précédent.

b.        Dans les jours qui ont suivi, elle a reçu la visite de cinq personnes, venues, les unes, pour régler un différend financier entre les époux, et les autres (deux imams) pour tenter d’apaiser les difficultés conjugales du couple. Elle affirme avoir été à cette occasion immobilisée, puis battue à coups de bâton par un prénommé « C______ » (l’un des imams, qui n’a pas pu être identifié), et ce, en présence des quatre autres personnes ; son mari et son fils se trouvaient pendant ce temps dans une autre pièce.

c.         Le 13 août 2020, A______ a fait parvenir au Ministère public deux photos, non datées – dont l’une de sa joue gauche montrant des marques rouges et éventuellement des croûtes, et l’autre, montrant une apparence d’ecchymose sur une région corporelle non spécifiée –, alléguant que ces prises de vue attestaient des violences commises.

d.        Le mari de A______ a expliqué que la réunion avait porté sur une tentative de conciliation, une forme « d’exorcisme », qu’il avait lui-même subi séparément ce jour-là. Il a déclaré en avoir pris l’initiative. Il avait entendu C______ lire le Coran à voix forte pendant que A______ se trouvait avec lui. Il n’avait pas constaté de marques sur elle à l’issue de la séance, après laquelle il avait bu le thé avec elle, C______ et l’un des visiteurs restés.

e.         Identifiés et entendus par la police, deux des visiteurs ont affirmé être rapidement repartis de l’appartement, sans avoir assisté à quoi que ce soit, et les deux autres ont déclaré qu’C______ avait procédé sur A______ à un rituel d’apaisement, consistant en l’imposition des mains pendant la lecture de versets du Coran.

f.         Une amie venue sur ces entrefaites auprès de A______ a constaté sur celle-ci des ecchymoses à la joue, aux bras et aux jambes, ainsi qu’un doigt tuméfié. Elle n’a pas évoqué de coups de bâton, mais des gifles. Elle a précisé que A______ avait refusé d’aller consulter un médecin.

g.        À l’audience d’instruction du 19 août 2020, A______ a déposé plainte pénale contre inconnu, refusant de viser une personne déterminée, au motif que ses visiteurs étaient intervenus à des fins de conciliation. Elle a ensuite affirmé, dans un premier temps (p.-v. p. 3), qu’C______ lui avait donné les coups à la joue au moyen d’une « sorte de bâton », puis, dans un second temps (p.-v. p. 4), qu’il lui avait frappé la joue de la main, et la jambe du bâton. Elle avait perdu connaissance.

h.        Réentendue par la police les 26 octobre 2021 et 21 février 2022, A______ a répété que C______ était le seul auteur des coups et précisé que l’autre imam avait déjà quitté les lieux.

C. a. Dans les trois décisions attaquées, le Ministère public estime qu’aucune des personnes visées, présentes avec C______, n’avait porté de coups à A______ ; qu’elles ne pouvaient donc se voir reprocher des lésions corporelles simples (art. 123 CP) ; que la plainte était de toute manière tardive (art. 31 CP) ; et que l’intensité des coups n’avait pas dépassé le seuil des lésions corporelles, de sorte qu’une agression (art. 134 CP) n’entrait pas en ligne de compte.

b. Dans une décision séparée, prise sous la forme épistolaire, le Ministère public constate que C______ n’a pas été identifié et que, dès lors, l’autorité pénale ne pouvait pas « procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP) ».

D. a. À l'appui de ses trois recours, de teneurs identiques, A______ allègue que les pièces du dossier montraient qu’elle avait reçu des coups de bâton au visage et avait été saisie à la gorge. Elle avait été victime d’une agression, au sens de la loi, et la poursuite des lésions corporelles eût dû s’exercer d’office, dès lors que le bâton avait été utilisé comme une arme, au sens de l’art. 123 ch. 2 CP. Le fait d’avoir été immobilisée pendant les coups relevait de la contrainte (art. 181 CP). Toutes les personnes présentes à ce moment-là avaient agi à titre de co-auteurs, subsidiairement de complices.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de date de notification établie (art. 85 al. 2 CPP) – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner des décisions sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à leur annulation (art. 382 al. 1 CPP).

Peu importe que le Ministère public ait intitulé ces décisions « non-entrées en matière » après avoir rendu un avis de prochaine clôture, car la voie de recours et le pouvoir d’examen de la Chambre de céans sont les mêmes en cas de classement comme de non-entrée en matière (art. 310 al. 2 et 391 al. 1 CPP).

Peu importe aussi que la recourante ne conclue formellement qu’à l’annulation des trois ordonnances, car, dans la motivation de ses recours, elle demande que la cause soit renvoyée au Ministère public et l’instruction, « reprise ».

2.             L’identité des faits de la cause et des griefs invoqués commande de joindre les causes et de les trancher par un seul arrêt.

3.             L’accusation de contrainte est nouvelle. Elle n’a pas fait l’objet d’une décision préalable du Ministère public. Aussi n’y a-t-il pas à l’aborder.

4.             La recourante fait grief au Ministère public de n’avoir pas continué ses investigations contre trois des quatre personnes qui se trouvaient avec elle lors des faits dont elle se plaint. La quatrième n’est plus inquiétée, et la recourante n’a pas attaqué le contenu de la décision lui annonçant que la poursuite de C______ n’était pas possible, faute d’identification.

4.1.       Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1.2). Face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2).

4.2.       L'art. 123 CP réprime le comportement de celui qui aura causé à un tiers des lésions corporelles simples. L'art. 123 CP réprime les lésions du corps humain ou de la santé qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP. Cette disposition protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique. Les lésions corporelles sont une infraction de résultat qui implique une atteinte importante aux biens juridiques ainsi protégés (ATF 134 IV 189 consid. 1.1; ATF 135 IV 152 consid 2.1.1). Relèvent de cette disposition les fractures sans complication guérissant complètement, des meurtrissures, des écorchures, des griffures provoquées par des coups, des heurts ou d'autres causes du même genre (ATF 119 IV 25 consid. 2). L'art. 123 CP vise en particulier toutes les dégradations du corps humain, externes ou internes, à la suite d'un choc ou de l'emploi d'un objet, telles les fractures, les foulures, les coupures et les hématomes (arrêt du Tribunal fédéral 6B_187/2015 du 28 avril 2015 consid. 2.1). Un coup de poing dans la figure ayant provoqué un hématome doit, déjà, être sanctionné en application de l'art. 123 CP, parce qu'un hématome est la conséquence de la rupture d'un vaisseau sanguin, dommage qui est une lésion du corps humain, même si celle-ci est superficielle et de peu d'importance (ATF 119 IV 25). S'il peut être établi que l'un des agresseurs a causé des lésions corporelles, l'infraction de lésions visées par les art. 122 ss CP absorbe, en ce qui le concerne, l'agression au sens de l'art. 134 CP. En effet, l'infraction de lésions corporelles saisit et réprime déjà la mise en danger effective de la personne blessée lors de l'agression. Dès lors, un concours entre les art. 134 CP et 122 ss CP ne peut être envisagé que lorsque la mise en danger de la personne qui a subi des lésions corporelles simples lors de l'agression a dépassé en intensité le résultat intervenu (ATF 135 IV 152 conisd. 2.1.2. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_373/2011 du 14 novembre 2011 consid. 3.3).

4.3.       L'art. 134 CP punit d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire l'auteur qui aura participé à une agression dirigée contre une ou plusieurs personnes au cours de laquelle l'une d'entre elles ou un tiers aura trouvé la mort ou subi une lésion corporelle.

S'il peut être établi que l'un des agresseurs a causé des lésions corporelles, l'infraction de lésions visée par les art. 122 ss CP absorbe, en ce qui le concerne, l'agression au sens de l'art. 134 CP. En effet, l'infraction de lésions corporelles saisit et réprime déjà la mise en danger effective de la personne blessée lors de l'agression. Dès lors, un concours entre les art. 134 CP et 122 ss CP ne peut être envisagé que lorsque la mise en danger de la personne qui a subi des lésions corporelles simples lors de l'agression a dépassé en intensité le résultat intervenu (ATF 135 IV 152 consid. 2.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_373/2011 du 14 novembre 2011 consid. 3.3).

4.4.       En l'espèce, la recourante ne s’est pas montrée constante dans sa narration des événements (nombre, nature et emplacement des atteintes à son intégrité corporelle ; personnes présentes pendant qu’une sorte de bâton était utilisé pour la frapper). Dans son recours, elle prétend nouvellement avoir été aussi saisie à la gorge.

Ainsi, la première question qui se pose n'est pas de savoir si l’une, l’autre ou les trois personnes qui se trouvaient avec la recourante l’ont battue, le cas échéant ensemble et de concert, à une date indéterminée du mois de février 2020, quelques jours après qu’elle eut déposé plainte contre son mari, mais si la procédure comporte des indices suffisants que la recourante a été victime ce jour-là de lésions corporelles, le cas échéant commises au moyen d’un bâton.

Or, la recourante, qui, peu après les faits, s'est confiée à une amie et lui a montré des blessures, n'a versé au dossier aucun certificat médical attestant de lésions constatées à une date précise ni de la compatibilité de celles-ci avec l’usage d’un objet contondant. Les deux photographies, non datées, qu’elle a produites – plusieurs mois après les faits et avant sa déclaration formelle de plainte lors de l’audience du Ministère public du 19 août 2020 (cf. art. 304 al. 1 in fine CPP) – ne peuvent pas à elles seules être mises en relation avec les événements dénoncés. Aucune de ces photos n’éveille non plus le soupçon d’une strangulation.

Les deux personnes qui admettent être restées avec C______, pendant le déroulement de ce qui apparaît comme un rituel religieux, n'ont pas attesté de violences infligées par celui-ci à la recourante.

Le mari de cette dernière, qui se trouvait dans une autre pièce, a affirmé n’avoir entendu que la lecture de versets du Coran, mais pas de cris ou bruits.

Venue après les événements allégués, l’amie de la recourante a, pour l’essentiel, répété à la police les explications que lui avait données l’intéressée. Si elle a parlé de coups dans le ventre que celle-ci n’a jamais mentionnés, elle n’a pas relaté l’utilisation d’un bâton, un serrage de gorge ou une perte de connaissance.

Par ailleurs, la recourante ne suggère l’administration d’aucune autre preuve qui permettrait d’étayer ses accusations contre les trois personnes qui auraient été présentes pendant qu’elle était battue.

Partant, l’origine des marques visibles sur les photos n’est pas établie, non plus que leur lien de causalité avec ces personnes. C'est donc à raison que le Ministère public a refusé d’entrer en matière.

5.             Cette issue rend superflu l’examen des questions de la poursuite d’office et du degré de participation des auteurs identifiés.

6.             Les recours doivent être rejetés et pouvaient, comme tels, être traités d’emblée par la Chambre de céans, sans échange d’écritures ni débats (art. 390 al. 2 a contrario CPP).

7.             La recourante était au bénéfice de l’assistance judiciaire pour la procédure préliminaire. Elle n’en a pas demandé l’extension à l’instance de recours. À juste titre, car sa contestation était vouée à l’échec (art. 136 al. 1 let. b CPP ; cf. ATF 139 III 396 consid. 1.2.).

8.             La recourante, qui succombe, supportera par conséquent les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président ; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges ; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/14134/2017

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00