Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/6956/2023

ACPR/586/2023 du 27.07.2023 sur ONMMP/1810/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;COMPÉTENCE RATIONE LOCI;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;ASTUCE
Normes : CPP.310; CP.3; CP.8; CP.138; CP.146; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6956/2023 ACPR/586/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 27 juillet 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______[TI], représentée par Me Andrea LENZIN, avocat, via Domenico Fontana 14, 6902 Lugano,

recourante

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 mai 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 19 mai 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 29 mars 2023, A______ a déposé plainte contre B______ pour escroquerie et abus de confiance.

Elle a expliqué qu'après le décès de son mari, le prénommé, une connaissance depuis plusieurs années, l'avait contactée et lui avait proposé d'entrer dans un "pool d'investisseurs", incluant notamment des membres de la famille de celui-ci. Cet investissement reposait sur un programme de "trading" via une plateforme australienne auprès de laquelle il avait été accrédité. La première tranche de cet investissement proposait un rendement élevé de 20%, le programme dans sa globalité arrivait à échéance en mai 2018 et les garanties avaient été préparées par le cabinet d'avocats "C______". B______ ne lui avait fourni aucune autre information, ni documentation officielle, sous prétexte qu'il assumait toute la responsabilité devant le conseil d'administration du fonds et était soumis à une obligation de confidentialité. Sur la base de la confiance qu'elle lui portait et de l'insistance de celui-ci quant à l'exclusivité de cette opportunité, réservée à des investisseurs privilégiés, elle y avait souscrit. Elle avait ainsi transféré, en plusieurs fois, une somme totale d'EUR 850'000.-, depuis son compte bancaire à Genève sur un compte de la banque D______ à Hong-Kong au nom de la société de B______, E______ LIMITED, "société incorporée aux Iles Britanniques Vierges et domiciliée à Hong-Kong". Elle avait versé à deux reprises, EUR 200'000.-, les 9 décembre 2015 et 8 avril 2016. Puis, le 31 mars 2017, EUR 150'000.-, après que B______ l'avait informée que "le capital investi jusqu'alors [(EUR 400'000.-)] a atteint
EUR 1'899'982.77
" et lui avait demandé ladite somme pour "bridge financing afin de régler les frais d'avocats". Enfin, le 25 juillet 2017, elle avait effectué un dernier versement d'EUR 300'000.-, correspondant à la dernière phase du programme d'investissement. Dès mai 2018, alors que ledit programme arrivait à échéance, B______ avait invoqué divers blocages, notamment liés à des problèmes de compliance, empêchant le versement des sommes promises. Le 27 juin 2018, après plusieurs demandes, il lui avait remboursé EUR 80'000.-, depuis des comptes à l'étranger. Le 1er août 2019, tout en mentionnant pour la première fois un contrat de prestation, B______ l'avait rassurée sur le bon déroulement du programme d'investissement, en se référant notamment à une plus-value "coefficient sur ratio de l'ordre de 10 sur l'investissement de base" et lui avait annoncé une valorisation globale de plus de "8 millions d'euros". À ce jour, elle n'avait toujours pas été remboursée des montants investis, ni perçu la plus-value annoncée.

En juin 2020, elle avait découvert qu'au moment où B______ lui avait proposé d'investir, il rencontrait des difficultés financières, notamment via les sociétés dont il était administrateur. Elle le soupçonnait donc de l'avoir incitée à investir dans un programme fictif afin qu'il puisse détourner les fonds en vue de les utiliser pour ses propres besoins à lui.

b. À l'appui de sa plainte, elle a produit plusieurs documents, en particulier des échanges intervenus entre les parties, à teneur desquels B______ expliquait notamment que le programme d'investissement envisagé "garanti[t] de manière ferme et officielle sur capital un retour net mensuel de 20%" – courriel du
3 décembre 2015 –; qu'un contrat serait signé en "bonne et due le moment venu "face to face" qui fera clairement apparaître le capital investi soit les 850KE avec les versements intervenus de 70KE (sic) en juin 2018 puis le solde à venir et la soulte de l'investissement se portant au total avec le capital compris soit à 8.2ME. Montant qui sera versé selon un échéancier" – WHATS'APP du 9 novembre 2019 –; qu'elle lui avait versé EUR 850'000.-, après avoir insisté pour participer à des programmes d'investissement privés afin d'extraire progressivement ses fonds (à elle) de Suisse et d'Europe, ceux-ci devant servir, par la suite, à son avenir (à elle) à l'étranger. À cette fin, il l'avait notamment aidée à fonder une société et ouvrir un compte auprès de F______, à Taiwan, sur lequel les fonds devaient, par la suite, lui être reversés. La totalité des fonds transférés par A______ avait bien été investie dans le fonds d'investissement privé, comme prévu. Depuis l'échéance du programme, divers problèmes et règles inhérents à ce type de placement, indépendants de sa volonté et persistants à ce jour, avaient empêché la récupération des fonds investis et des profits. Il avait toujours été clair et fluide dans ses explications. Malgré les différents blocages, il avait remboursé à A______ un montant d'EUR 80'000.-, comme demandé. A______, ancienne banquière, connaissait parfaitement les codes et les normes bancaires. Il résidait en région Asie-Pacifique depuis plusieurs décennies – lettre du 1er juin 2020 –.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a considéré qu'en l'absence de toute documentation relative à l'investissement litigieux, il n'était pas possible de déterminer ses modalités, son but, ni le profil risque convenu. Malgré l'absence de tels documents, A______ avait quand même procédé aux investissements de sorte qu'elle devait être pleinement consciente des risques liés à ceux-ci, soit qu'ils pouvaient générer des pertes. De plus, dans de telles circonstances, il ne pouvait être établi que B______ avait donné une représentation erronée de la réalité tant s'agissant des investissements – en garantissant un retour sur investissement – que des risques encourus – en les dissimulant –. À l'instar de tout investissement privé dans une société en devenir, l'éventualité de subir des pertes en cas d'échec du modèle ne pouvait échapper à A______. Cette dernière était libre d'investir et n'avait à aucun moment été forcée de le faire. Il ne ressortait pas non plus de la procédure que B______ savait déjà au moment de la conclusion du contrat qu'il n'allait pas pouvoir honorer ses obligations découlant de celui-ci. Enfin, il n'était pas établi que le précité n'avait pas utilisé les fonds versés conformément au contrat et qu'il avait effectué des investissements qu'il n'était pas en droit d'exécuter.

Ainsi, il n'était pas possible de retenir que les éléments constitutifs des infractions d'escroquerie, abus de confiance ou gestion déloyale étaient réunis.

Par ailleurs, la plainte s'inscrivait dans le cadre d'un litige de nature essentiellement civile, en lien avec un contrat de mandat de gestion conclu oralement. Il convenait dès lors de se référer au principe de subsidiarité du droit pénal et de partir de l'idée que, dans le cas présent, les dispositions du droit civil étaient de nature à assurer une protection suffisante à A______.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir fait preuve d'arbitraire en rendant la décision querellée alors que les pièces au dossier permettaient de retenir : que B______ lui avait parlé d'un rendement mensuel de 20%; qu'il lui avait toujours confirmé que l'investissement proposé ne comportait aucun risque et qu'à tout le moins, elle récupérerait l'intégralité de la somme versée; qu'il avait toujours refusé de lui fournir un document contractuel et/ou des justificatifs indiquant les modalités précises et l'évolution de l'investissement.

Par ailleurs, dans la mesure où on ignorait totalement le sort de la somme qu'elle avait investie, le Ministère public ne pouvait considérer que les éléments constitutifs des infractions envisagées n'étaient manifestement pas réalisés.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes, inexactes voire arbitraires du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief est rejeté.

4.             4.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. b CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la dénonciation qu'il existe un empêchement de procéder.

La mise en mouvement de l'action publique peut en effet se heurter à des obstacles permanents ou définitifs, qui entraînent une fin de non-recevoir. L'incompétence des autorités pénales suisses à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2018 du 28 février 2019 consid. 4.5.1). Cette question doit être examinée d'office à tous les stades de la procédure (JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 11 et 14 ad art. 310).

4.2. Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. Cette disposition reprend le principe de base applicable en droit pénal international qui est celui de la territorialité, en vertu duquel les auteurs d'infractions sont soumis à la juridiction du pays où elles ont été commises (ATF 121 IV 145 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 6B_21/2009 du 19 mai 2009 consid. 1.1.).

Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

Le lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir est le lieu où il a réalisé l'un des éléments constitutifs de l'infraction. Il suffit qu'il réalise une partie – voire un seul – des actes constitutifs sur le territoire suisse ; le lieu où il décide de commettre l'infraction ou le lieu où il réalise les actes préparatoires (non punissables) ne sont toutefois pas pertinents (ATF 144 IV 265 consid 2.7.2).

4.3.1. L'abus de confiance, réprimé par l'art. 138 CP, et l'escroquerie, qui fait l'objet de l'art. 146 CP, sont des délits matériels à double résultat, à savoir l'appauvrissement de la victime, d'une part, et l'enrichissement de l'auteur, d'autre part (ATF 109 IV 1 consid. 3c).

Le Tribunal fédéral a jugé suffisant, du point de vue de l'art. 8 CP, le fait que l'argent obtenu à l'étranger par le biais d'une escroquerie soit crédité sur/ débité depuis un compte ouvert dans un établissement bancaire suisse (ATF 133 IV 171 consid. 6.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2018 du 28 février 2019 consid. 4.5.2).

4.3.2. De même, il a admis que l'abus de confiance était réalisé là où l'auteur utilise sans droit, ou s'approprie, les fonds confiés, le lieu où le lésé avait accompli les actes de disposition important peu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_178/2011 du 20 juin 2011 consid. 3.3). En revanche, le seul fait que des montants détournés, dans un autre pays, aient été préalablement débités d'un compte ouvert en Suisse ne suffit pas, sous l'angle de la qualification de l'abus de confiance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2018 précité 4.5.2).

4.3.3. Quant à la gestion déloyale, la jurisprudence considère que le lieu où devait se produire le résultat recherché par l'auteur, soit l'enrichissement, est un lieu de résultat au sens de l'art. 8 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_663/2014 du 22 décembre 2017 consid. 5.4.1).

4.4. En l'espèce, il ressort des propres allégués de la recourante que les sommes investies avaient été transférées, de son compte bancaire à Genève, vers un compte de la banque D______ à Hong-Kong au nom de E______ LIMITED, "société incorporée aux Iles Britanniques Vierges et domiciliée à Hong-Kong", afin de participer à un programme d'investissement par le biais d'une plateforme australienne. Selon les éléments au dossier, les sommes devaient lui être reversées sur un compte ouvert auprès d'une banque à Taiwan. Rien ne permet de retenir que B______ se trouverait ou aurait agi – ou utilisé les fonds transférés par la recourante – en Suisse. Bien au contraire, selon les différents messages produits, il résidait, déjà au moment des faits, en Asie-Pacifique, ce qui, au demeurant, n'est pas contesté par la recourante.

Dans ces circonstances et conformément à la jurisprudence précitée, s'il apparaît exister un lien suffisant avec la Suisse pour l'éventuelle commission d'infraction d'escroquerie – il suffit que l'argent ait été débité d'un compte bancaire en Suisse comme ce fut le cas ici –, tel n'est pas le cas pour les autres infractions envisagées.

En effet, il n'existe pas de lien de rattachement suffisant avec la Suisse pour les infractions d'abus de confiance et de gestion déloyale, lien fondé tant sur le lieu de l'acte prétendument illicite que sur celui de la survenance du résultat allégué, au sens des art. 3 et 8 CP.

Dès lors, les autorités judiciaires pénales suisses ne sont manifestement pas compétentes pour poursuivre ces deux infractions.

La décision de non-entrée en matière du Ministère public sera donc confirmée sur ce point, par substitution de motifs.

5.             Reste la question de savoir si la non-entrée en matière est fondée pour l'infraction d'escroquerie.

5.1. Le Ministère public rend également immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'un acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 78 consid. 4.1.2 et les références citées).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 310).

5.2. À teneur de l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2).

Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2).

L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. La conclusion d'un contrat suppose en effet qu'on prête à son cocontractant un minimum d'honnêteté et qu'on ne le traite pas avec une méfiance de principe (ATF 147 IV 73 consid. 3.2).

L'astuce n'est exclue que si la dupe n'a pas procédé aux vérifications élémentaires que l'on pouvait attendre d'elle au vu des circonstances, notamment compte tenu de son degré d'expérience dans le domaine concerné (ATF 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_977/2018 du 27 décembre 2018 consid. 1.1). Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels, soit lorsque son imprudence fait passer le comportement frauduleux de l'auteur au second plan (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.4).

Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a omis de prendre les mesures de prudence élémentaires, il ne suffit pas de se demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la tromperie. Il faut, au contraire, prendre en considération la situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaît et l'exploite, par exemple une faiblesse d'esprit, l'inexpérience ou la sénilité, mais aussi un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur. L'exploitation de semblables situations constitue précisément l'une des caractéristiques de l'astuce (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; 128 IV 18 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1010/2018 du 22 janvier 2019 consid. 3.3.1).

5.3. En l'occurrence, il ressort de sa plainte que la recourante a transféré la somme totale d'EUR 850'000.- sur le compte de la société du mis en cause sans procéder à la moindre vérification préalable, alors qu'elle considérait ce dernier comme une "connaissance", et que, selon ses propres déclarations, il ne lui avait fourni aucune documentation ni aucun détail sur l'investissement présenté.

Les pièces versées au dossier permettent néanmoins d'établir que le mis en cause a expliqué que l'investissement garantissait "de manière ferme et officielle sur capital un retour net mensuel de 20%" et qu'il s'agissait d'un investissement privé auprès d'une plateforme australienne.

Or, de telles circonstances – soit la promesse d'un rendement régulier aussi élevé que 20% et compte tenu des montants à investir –, commandaient, vu l'absence de véritable détail sur l'investissement proposé, à tout le moins, qu'un minimum de vérifications soit entrepris, voire l'obtention de documentation, ce qui pouvait raisonnablement être attendu, même d'une personne qui n'est pas versée dans le monde des affaires.

Dans ces circonstances, la condition d'astuce nécessaire à la réalisation d'une escroquerie fait manifestement défaut.

6.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée par substitution de motifs et le recours rejeté.

7.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à
CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6956/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00