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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16309/2021

ACPR/542/2023 du 18.07.2023 sur OMP/22307/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DOMMAGE EFFECTIF;DOMMAGE DIRECT
Normes : CPP.118; CPP.115.al1; CPP.115.al2; CP.251
Par ces motifs

 

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16309/2021 ACPR/542/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 18 juillet 2023

 

Entre

 

A______ SA, ayant son siège ______, comparant par Me Eric BEAUMONT, avocat, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus de qualité de partie plaignante rendue le 19 décembre 2022 par le Ministère public,

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 30 décembre 2022, A______ SA recourt, en personne, contre l'ordonnance rendue le 19 précédent, notifiée le 22 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public lui a dénié la qualité de partie plaignante.

Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de cette décision, le statut précité devant lui être reconnu.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'800.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. En 2019 et 2020, A______ SA et B______ ont conclu deux contrats.

a.a. Premièrement, celle-là a mandaté celui-ci comme consultant afin qu’il procède à un audit en son sein. La rétribution prévue pour cette tâche, censée débuter le 24 septembre 2019 et se terminer le 31 décembre 2020, était de CHF 50'000.-, payable courant 2020.

Les parties ont convenu, à la demande de B______, que ce gain lui serait versé par C______ SA – société active dans ______ –, A______ SA devant honorer, pour sa part, la facture d’un montant équivalent que lui adresserait C______ SA. À cet effet, les trois précités ont signé un contrat d’intermédiaire.

a.b. Secondement, A______ SA a engagé B______ en qualité d’employé, à compter du 1er janvier 2020. De durée indéterminée, la convention prévoyait l’exercice d’une activité à plein temps, rémunérée directement par l’employeuse.

À cette suite, B______, jusqu’alors bénéficiaire d’indemnités de l’assurance-chômage versées par la caisse D______, s’est désinscrit de ladite assurance.

Le prénommé a été licencié le 30 septembre 2020 et libéré immédiatement de son obligation de travailler. Le terme du contrat, fixé au 31 décembre suivant, a été reporté au 31 janvier 2021, en raison d’une incapacité de travail totale pour maladie (du 12 octobre 2020 au 24 février 2021).

b.a. Parallèlement, le 7 mai 2020, B______ a adressé un courriel à C______ SA concernant sa rétribution de CHF 50'000.- liée au premier contrat.

Il informait cette société "souhaite[r] mettre le scénario suivant en place : 1x Facturation en juin/juillet [par C______ SA à A______ SA] de 50KCHF – paiement entre le 1er sept et 1er Déc 2020[;] 3 fiches de salaires [pour B______] sur probablement nov, déc 2020 et Jan 2021 de approx 16 KCHF ( )".

b.b. Le 18 mai 2020, C______ SA a établi un "[c]ontrat de mission, complément au contrat-cadre de travail temporaire", signé par son représentant, E______, et B______.

D’après ce document, la société précitée engageait le dernier nommé pour effectuer une activité de quatre mois, entre le 1er novembre 2020 et le 28 février 2021, auprès d’une "client[e]", A______ SA.

b.c. À une date non connue, C______ SA a élaboré des fiches de salaire, destinées à B______, pour les quatre mois précités, faisant état d’une rémunération brute de CHF 12'500.-.

b.d. Le 19 mai 2020, C______ SA a envoyé une facture de CHF 50'000.- à A______ SA, avec pour unique libellé : "[p]restations B______".

Cette dernière société s’est acquittée du montant réclamé.

c.a. Le 25 février 2021, B______ s’est, à nouveau, inscrit auprès de l’assurance-chômage, remettant à D______, entre autres documents, les contrat de mission temporaire et fiches de salaire susmentionnés.

c.b. À cette suite, D______ et A______ SA ont eu plusieurs échanges, lors desquels celle-ci a expliqué à celle-là ignorer l’existence du contrat de mission temporaire du 18 mai 2020, jusqu’à ce qu’elle le lui transmette pour détermination; B______ n’avait jamais officié pour elle durant les quatre mois concernés, ayant été libéré de son obligation de travailler dès octobre 2020; le gain de CHF 50'000.- concernait le premier contrat l’ayant liée au prénommé, rapport qui avait débuté le 24 septembre 2019 et s’était, finalement, achevé le 31 décembre 2019, l’intéressé ayant été, subséquemment, salarié en son sein.

d.a. En août 2021, A______ SA a déposé une plainte pénale contre B______, E______ et C______ SA du chef de faux dans les titres (art. 251 CP), pour avoir créé/utilisé le contrat de mission temporaire litigieux.

Elle y précisait que B______ avait, en octobre 2020, effacé l’intégralité de ses emails professionnels du serveur informatique [de A______ SA], comportement qui avait motivé le dépôt d’une précédente plainte, instruite dans une cause parallèle (P/1______/2021).

d.b. Début avril 2022, D______ a porté plainte contre B______, lui reprochant d’avoir obtenu illicitement des prestations de l’assurance-chômage (art. 148a CP et 105 LACI).

En substance, le prénommé avait omis de l’informer, en 2019, de l’activité de consultant accomplie en faveur de A______ SA, de sorte qu’il avait perçu, entre septembre et décembre 2019, des indemnités plus élevées que celles auxquelles il aurait eu droit. Il lui avait, par ailleurs, fourni de faux renseignements et documents (parmi lesquels les contrat du 18 mai 2020 et fiches de salaire y relatives). D’après elle, les explications de A______ SA, selon lesquelles cette dernière ignorait l’existence dudit contrat jusqu’à ce qu’elle la lui signale, étaient crédibles.

e. B______ et E______ ont été prévenus, pour le premier, d’infractions aux art. 251 et 148a CP et, pour le second, de faux dans les titres.

Ils dénient tout caractère pénal à leurs agissements [décrits à la lettre B.b ci-dessus].

f.a. Courant 2022, B______ a fait savoir au Ministère public que, si d’aventure A______ SA avait été admise à la procédure en qualité de partie plaignante, il contesterait alors un tel statut. En effet, le contrat de mission temporaire litigieux n’avait causé aucun préjudice économique à cette société. Quant au "désagrément" causé par la mention du nom de A______ SA sur ce contrat, au titre de "client[e]", il pouvait être "vite dissip[é]", étant ajouté que rien, dans ce document, ne laissait suggérer que A______ SA aurait participé à sa confection.

f.b. Pour sa part, A______ SA a relevé qu’après le licenciement de B______, D______ l’avait contactée à diverses reprises pour comprendre l’historique de leurs relations contractuelles. Elle en déduisait que cette caisse l’avait suspectée de "dissimulation d’informations". Aussi avait-elle été directement atteinte dans ses intérêts individuels (art. 115 al. 1 CPP). À cela s’ajoutait que "la qualité pour porter plainte", au sens de l’art. 115 al. 2 CPP, lui avait été reconnue, de sorte qu’elle disposait bien du statut de lésé.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que A______ SA n’avait subi aucun dommage patrimonial du chef de la remise, par B______, à D______ du contrat querellé. Par ailleurs, rien ne permettait de retenir que le prénommé aurait, en déposant ce document – non signé par A______ SA – auprès de la caisse de chômage, porté atteinte à l’honneur de son ancienne employeuse. À cette aune, le statut de partie plaignante devait être refusé à A______ SA.

D. a. À l'appui de son recours, cette dernière société persiste dans ses précédents arguments, ajoutant que, comme le faux dans les titres constitue une infraction de mise en danger abstraite, sa qualité de lésée ne saurait être conditionnée à l’existence d’une atteinte effective. Quoiqu’il en soit, l’acte incriminé l’avait concrètement touchée dans ses droits. En effet, ses employés avaient consacré plusieurs heures de travail à répondre aux interrogations de D______, au détriment d’autres tâches, la prétéritant ainsi financièrement. Par ailleurs, l’apparence qu’avait créée la mention de son nom sur le contrat de mission temporaire litigieux, portait atteinte à son honneur, donnant l’impression qu’elle était "mêlé[e]" aux fausses indications y figurant. B______ avait agi pour lui nuire, comme en attestaient ses "nombreux [comportements] malfaisants"; ainsi, il ne lui avait toujours pas restitué des copies des emails qu’il avait illicitement supprimés, contrairement à l’engagement pris par ses soins dans la cause P/1______/2021.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d’écritures ni débats.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de refus de qualité de partie plaignante, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la société qui s'est vu refuser un tel statut, laquelle a qualité pour agir (art. 382 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2021 du 8 mars 2022 consid. 1 et 3).

2. La juridiction de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les actes manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3. 3.1.1. Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil.

La notion de lésé est définie à l'art. 115 al. 1 CPP; il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte. Pour être touché, le lésé doit, en outre, subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (ATF 148 IV 170 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid 2.1.1).

Les délits de mise en danger abstraite ne fondent en principe pas le statut de lésé, faute de pouvoir être la cause directe d'une atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_753/2012 du 25 février 2013 consid. 3.3.2).

Celui qui prétend à la qualité de partie plaignante doit rendre vraisemblable le préjudice subi et démontrer le lien existant entre son dommage et l'infraction poursuivie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1).

3.1.2. L'art. 251 CP – infraction de mise en danger abstraite (arrêt du Tribunal fédéral 6B_574/2011 du 20 février 2012 consid. 2.3.1) – protège, en première ligne, des biens juridiques collectifs (arrêt du Tribunal fédéral 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 2.2.2), à savoir la confiance particulière placée dans un titre ayant une valeur probante dans des rapports juridiques, respectivement la loyauté dans les relations commerciales (arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 précité consid. 2.1.2).

Cela étant, un faux dans les titres peut aussi porter atteinte à des intérêts individuels, lorsqu'il vise précisément à nuire à une personne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 précité consid. 2.1.2). Tel peut être le cas quand ledit faux : est ou pourrait être présenté à un tiers susceptible de prendre des dispositions sur cette base (ATF 148 IV 170 précité, consid. 3.5.1); est l'un des éléments constitutifs d'une infraction perpétrée contre le patrimoine d’autrui (arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 précité); est créé/utilisé pour porter atteinte à l'honneur d’une personne (cf. ATF 147 IV 269 consid. 3.3).

3.2. En vertu de l’art. 115 al. 2 CPP, est toujours considéré comme lésé celui qui a qualité pour déposer plainte pénale.

Cette norme étend le statut de lésé à des personnes habilitées [de par la loi] à porter plainte, même si elles ne sont pas directement et personnellement touchées par l'infraction; ainsi en va-t-il, par exemple, des représentants légaux ou héritiers du lésé (arrêt du Tribunal fédéral 1B_576/2018 du 26 juillet 2019 consid. 2.3).

3.3.1. In casu, la recourante confond les conditions d’application de l’art. 251 CP – délit qui n’exige point, pour envisager une condamnation de son auteur, la survenance d’une lésion effective – et celles de l’art. 115 al. 1 CPP – norme subordonnant le droit d’un plaignant à participer à la procédure pénale à la condition qu’il soit concrètement touché par le faux dans les titres allégué –.

Il convient donc d’examiner si le contrat de mission temporaire litigieux – au sujet duquel il n’est pas contesté (que ce soit par les prévenus ou d’autres intervenants à la procédure) qu’il contient des informations inexactes – a causé un préjudice direct à la recourante, autrement dit, s’il visait à lui nuire.

Ce document n’a nullement été établi pour la tromper, à défaut de lui être destiné. Il ne lui a pas davantage été présenté, de sorte qu’elle n’a point pris de disposition préjudiciable à ses intérêts sur cette base.

La création/utilisation dudit contrat ne lui a causé aucun dommage économique. En effet, elle s’est acquittée, sur présentation d’une facture – qui est muette sur le contrat/la période d’activité, qu’elle concerne – établie par C______ SA, de CHF 50'000.-, somme qu’elle estimait être due pour les prestations accomplies par B______ en 2019 (en qualité de consultant). Elle ne prétend pas avoir versé une seconde fois ce montant, pour rémunérer la prétendue mission temporaire litigieuse, ni avoir été requise de le faire. Quant au temps consacré par ses employés à répondre aux interrogations de D______, au détriment d’autres tâches, il constitue une atteinte indirecte à ses intérêts, consécutive aux demandes de la caisse de chômage, et non un préjudice résultant directement du comportement imputé aux prévenus, seul pertinent au regard de l’art. 115 CPP.

Les actes incriminés n’ont pas non plus porté atteinte à son honneur. En effet, la seule mention de son nom, sur le contrat du 18 mai 2020, au titre de "client[e]", est impropre à donner l'impression qu'elle aurait participé à la confection de ce document, au demeurant non signé par ses soins et destiné à régler les rapports de travail entre C______ SA et B______. Par ailleurs, D______ ne l'a jamais suspectée de "dissimulation d'informations", tenant, au contraire, pour crédibles ses déclarations selon lesquelles elle ignorait tout de l’existence dudit contrat.

Que B______ ait pu se comporter de façon prétendument "malfaisant[e]" durant l’instruction de la cause P/1______/2021, est impropre à retenir qu’il aurait agi, en lien avec les actes – distincts – objets de la présente procédure, aux fins de nuire à son ancienne employeuse.

La recourante n’ayant subi aucun préjudice effectif du chef de l’infraction alléguée à l’art. 251 CP, elle ne saurait revêtir le statut de lésé au sens de l’art. 115 al. 1 CPP.

3.3.2. Elle ne peut davantage se voir reconnaître une telle qualité sur la base de l'art. 115 al. 2 CPP, faute de disposition légale l’habilitant à déposer une plainte pénale en l’absence d’un dommage direct.

3.4. À cette aune, le recours se révèle infondé et doit être rejeté.

4. La recourante succombe (art. 428 al. 1CPP).

Elle supportera, en conséquence, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1’800.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'800.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

 

 

 


 

P/16309/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'715.00

Total

CHF

1'800.00