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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7655/2022

ACPR/273/2023 du 13.04.2023 sur ONMMP/8/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;AVOCAT
Normes : CPP.310; CP.14; CP.173; CP.174

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7655/2022 ACPR/273/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 13 avril 2023

 

Entre

A______ et B______, domiciliées ______, comparant toutes deux par
Me Philippe JUVET, avocat, rue de la Fontaine 2, 1204 Genève,

recourantes,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 3 janvier 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 19 janvier 2023, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 3 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte du 4 avril 2022.

Les recourantes concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Les recourantes ont versé les sûretés en CHF 1'200.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ et D______, née [D______], se sont mariés à E______ (France) le ______ 1945.

b. De leur union sont issus huit enfants : F______, G______, H______, I______, née [I______], J______, B______, K______ et A______.

c. Par pli du 4 avril 2022, A______ et B______ – domiciliées à Genève – ont déposé plainte contre leur neveu, L______ – domicilié en France ; cf. B.g. infra –, des chefs de diffamation, calomnie, faux dans les titres et tentative de contrainte.

En substance, elles exposaient que deux "groupes" s'étaient opposés durant des années dans le cadre de la succession de leurs parents, soit d'une part, I______, H______, K______ et elles-mêmes et, d'autre part, J______ et G______; F______ ayant répudié la succession.

Leur frère, K______, dont elles étaient les curatrices, était décédé le ______ 2021. Par testament du 5 avril 2013, ce dernier leur avait attribué l'intégralité de sa fortune. Bien qu'atteint de déficience mentale, leur frère était capable de discernement. Après la remise de cet acte à la Justice de paix, leur sœur, G______, par l'intermédiaire de son fils L______, s'était opposée à la délivrance des certificats d'héritiers. Vu les relations particulièrement conflictuelles au sein de la fratrie, la Justice de paix avait ordonné l'administration d'office de la succession.

Dans ce cadre, par pli du 20 février 2022 – qu'elles produisent – adressé à la Justice de paix, L______ les avait accusées d'avoir remis un "faux testament" dans le but de "s'accaparer" la fortune de douze millions de leur frère. Le prénommé y expliquait que K______ souffrait de Trisomie 21 de sorte qu'il ne disposait pas de la capacité de discernement. De plus, ce dernier ne savait ni lire ni écrire, n'ayant jamais reçu d'instruction scolaire. Ainsi, "[c]e faux testament, inique, honteux et grotesque [était] parfaitement illégal par nature". L______ joignait à sa lettre plusieurs plis faisant état de la fragilité de son oncle: "(pièces 2,3 et 4)". Il disait redouter que la presse s'empare de cette affaire, à savoir que "le descendant du fondateur de [la multinationale] M______, atteint de trisomie 21, se fait détourner sa fortune par un faux testament ridicule au profit de ses curatrices".

Ces propos portaient atteinte à leur honneur. L______ connaissait la fausseté de ses allégations. Il ne devait pas être admis à faire valoir les preuves libératoires dès lors que leur conseil lui en avait déjà laissé l'occasion, en vain.

En outre, L______ avait joint à son pli une "pièce 2", soit une lettre qu'il avait prétendument adressée le 9 juin 2013 à leur sœur, I______, faisant notamment état du handicap dont souffrait K______. Comme preuve de cet envoi, il avait annexé un avis de réception de recommandé. Or, selon leur sœur, la lettre reçue ne correspondait pas au courrier produit par leur neveu. Ce comportement était constitutif de faux dans les titres.

Enfin, L______ les avait menacées à réitérées reprises de déposer des plaintes pénales dans le but de les contraindre à indiquer à la Justice de paix que le testament était un faux.

d. À l'appui, elles produisent encore les échanges intervenus entre elles, leur conseil et L______, dont il ressort que l'avocat avait demandé au prénommé d'expurger le pli du 20 février 2022 de certains termes – qu'il a listés – les accusant de comportements contraires à l'honneur (lettre du 2 mars 2022). Par la suite, L______ avait à nouveau reproché aux plaignantes d'avoir rédigé un "testament frauduleux" (courriels des 2 et 7 mars 2022). Il avait aussi écrit "souhaitez-vous le retirer sans délai, sans frais et en classant l'affaire ou souhaitez-vous une procédure couteuse avec une condamnation à la clef?" (courriel du 2 mars 2022), "étant donné que vous n'avez pas manifesté l'intention d'annuler par vous-même le testament frauduleux, seule une réponse judiciaire pourra être envisagée ( ) [a]ussi je vous informe mettre en œuvre les procédures judiciaires appropriées tant en Suisse qu'en France, tant civiles que pénales" (courriel du 7 mars 2022). L'avocat avait en outre dû lui rappeler de ne pas s'adresser directement à ses mandantes mais de respecter l'élection de domicile faite en son Étude (courriers des 3 et 8 mars 2022). Par courriel du 12 mars 2022 adressé au conseil des recourantes, L______ avait dit laisser "48h pour régler le problème à l'amiable sans quoi les procédures judiciaires ser[aient] lancées sans retour possible". Dans sa réponse du 14 mars 2022, l'avocat avait attiré son attention sur le fait qu'en l'état, ces propos ne s'adressaient qu'à ses mandantes et à lui-même, mais qu'il en irait autrement si ce "genre" de propos était communiqué à des "tiers".

e. Par pli du 16 mai 2022, A______ et B______ ont déposé un complément de plainte contre L______ pour diffamation, le prénommé ayant adressé deux courriels – qu'elles produisent – le 12 mai 2022 à des "tiers" dans lesquels il réitérait ses accusations contre ses tantes.

f. Par pli du 20 mai 2022 adressé à la police, L______ a contesté les faits reprochés et détaillé sa position sur ceux-ci.

Il a notamment expliqué être juriste. "Dernièrement" il avait écrit à ses cousins germains, lesquels connaissaient "très" bien la famille et le dossier de succession, pour leur demander leur aide afin d'éviter une nouvelle procédure. Il n'avait pas cité le nom de ses tantes. Les destinataires desdits courriels étaient de nationalité française et vivaient en France de sorte que les autorités genevoises n'étaient pas compétentes.

À l'appui, il a produit de nombreux documents dont certains issus de procédures civiles relatives à la succession de ses grands-parents.

g. L______ a été entendu le 7 juillet 2022 par la police. Selon le procès-verbal d'audition, ce dernier est domicilié en France.

Lors de son audition, il est revenu sur le contexte familial conflictuel consécutif à la succession de ses grands-parents, précisant que le testament de K______ était "faux à 100%".

S'agissant de la pièce 2 transmise à la Justice de paix, il l'avait envoyée à sa tante Isabelle le 9 juin 2013. La présence de son écriture sur le recommandé prouvait qu'il avait manipulé l'enveloppe. Comme sa tante refusait tout courrier de sa part, il avait été contraint de joindre cette lettre à un pli que sa mère avait adressé à cette dernière; il y avait donc deux plis dans une enveloppe. Ses différents courriels et courriers visaient à faire prendre conscience à ses tantes de la "gravité de leurs actes", sans intention de les menacer.

Il reconnaissait avoir adressé deux courriels le 12 mai 2022 à des membres de sa famille, dont à "N______", qui était pasteur.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que les propos litigieux visés par la plainte du 4 avril 2022 avaient été tenus dans le cadre d'une lettre adressée le 20 février 2022 à une autorité judiciaire dont les collaborateurs étaient astreints au secret de fonction, conscients des circonstances particulières dans lesquelles ces propos avaient été énoncés et capables de prendre du recul par rapport à ceux-ci. Ces accusations avaient été renouvelées dans le cadre de courriers adressés aux parties plaignantes. Aucun élément au dossier ne permettait d'établir que L______ avait tenu les propos dénoncés auprès de tiers. En outre, vu le handicap dont souffrait K______ et ses conséquences potentielles sur sa capacité de tester, L______ pouvait de bonne foi émettre des doutes quant à la validité du testament et faire valoir une preuve libératoire (art. 173 ch. 2 CP).

S'agissant du faux dans les titres, aucun élément objectif ne permettait de trancher entre les versions des parties et de déterminer avec certitude le déroulement exact des faits, les allégations des parties devant être considérées avec la plus grande prudence compte tenu du contexte particulièrement conflictuel dans le cadre duquel la plainte s'insérait.

Enfin, s'agissant de l'infraction de contrainte, sans minimiser le ton et les propos utilisés, aucun élément au dossier ne permettait d'affirmer que L______ avait agi dans un autre but que celui invoqué, soit de signaler les faits aux autorités judiciaires, étant souligné qu'il était en droit de contester la validité du testament (art. 519 CC). Les mentions relatives au rayonnement médiatique ne paraissaient pas relever de la menace mais d'une constatation, pertinente au vu des parties en présence lesquelles s'opposaient dans le cadre de la succession des héritiers du fondateur de la multinationale M______.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______ soutiennent que la position du Ministère public ne pouvait être suivie dès lors que le Tribunal fédéral ne prévoyait pas que des propos attentatoires à l'honneur adressés à des personnes soumises au secret de fonction n'étaient pas punissables, et ce bien que la doctrine critiquât la largesse de la qualification de "tiers". En outre, le fait d'accuser des personnes d'avoir rédigé un faux testament afin de voler de l'argent et d'avoir usé de la faiblesse d'une personne atteinte de Trisomie 21 revêtait clairement une intensité suffisante portant gravement atteinte à leur honneur.

S'agissant des propos tenus dans les courriels du 12 mai 2022, les membres de la famille de L______ devaient être considérés comme des "tiers", ces personnes ne faisant pas partie du cercle familial étroit et n'étant pas héritiers de leurs parents ni de K______. Le fait que N______ fût pasteur n'y changeait rien, la jurisprudence n'étant pas d'avis qu'une personne soumise au secret professionnel doive être considérée comme un "confident nécessaire". En outre, le Ministère public ne pouvait retenir d'emblée que L______ était légitimé à douter de la validité du testament compte tenu de la maladie dont souffrait K______, sans examiner si les troubles cognitifs étaient importants. Enfin, L______ les avait accusées d'avoir rédigé un faux testament dans un courriel du 12 mars 2022 adressé à leur avocat, lequel devait être aussi qualifié de "tiers".

S'agissant du faux dans les titres, le Ministère public devait, à tout le moins, entendre I______, confronter les parties ou encore solliciter la production par L______ de la preuve du refus de ses lettres par ses tantes avant de considérer qu'il ne pouvait trancher entre les versions des parties.

Enfin, il était clair que par ses menaces, L______ entendait les contraindre à indiquer à la Justice de paix que le testament de K______ n'était pas valide. Se disant "juriste", il ne pouvait ignorer que les procédés utilisés étaient illicites.

À l'appui, elles produisent une attestation établie par O______, ostéopathe ayant suivi K______ de 2014 à 2021, dont il ressort que ce dernier faisait preuve d'un "discernement certain".

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais, sans formuler d'observations.

c. Les recourantes n'ont pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et – faute de respect des réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane des plaignantes qui, parties la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont en principe qualité pour agir.

2.             Les recourantes reprochent au Ministère public de ne pas être entré en matière sur leur plainte.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91).

2.2.1. L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, en s'adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, de même que celui qui aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon.

Cette disposition protège la réputation d'être une personne honorable, c'est-à-dire de se comporter comme une personne digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'être humain (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.1.). Le fait d'accuser une personne d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel entre dans les prévisions de l'art. 173 ch. 1 CP (ATF 132 IV 112 consid. 2.2.).

Pour qu'il y ait diffamation ou calomnie, il faut que l'auteur s'adresse à un tiers. Est en principe considérée comme tiers toute personne autre que l'auteur et l'objet des propos qui portent atteinte à l'honneur (ATF 86 IV 209).

2.2.2. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

2.2.3. Des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure (art. 14 CP). Ce fait justificatif doit en principe être examiné avant la question des preuves libératoires prévues par l'art. 173 ch. 2 CP (ATF 135 IV 177 consid. 4 p. 179). L'art. 14 CP dispose que celui qui agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi. La licéité de l'acte est, en tous les cas, subordonnée à la condition qu'il soit proportionné à son but (ATF 107 IV 84 consid. 4 p. 86; arrêts du Tribunal fédéral 6B_960/2017 du 2 mai 2018 consid. 3.2; 6B_507/2017 du 8 septembre 2017 consid. 3.4). Ainsi, tant la partie que son avocat peuvent se prévaloir de l'art. 14 CP à condition de s'être exprimé de bonne foi, de s'être limité à ce qui est nécessaire et pertinent et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.1 p. 157; 123 IV 97 consid. 2c/aa p. 99; 118 IV 248 consid. 2c et d p. 252/253; 116 IV 211 consid. 4a p. 213 ss).

2.2.4. En l'espèce, il est indéniable que les accusations contenues dans le pli du 20 février 2022 selon lesquelles les recourantes auraient établi un "faux testament" dans le but de "s'accaparer" la fortune de leur frère est attentatoire à leur honneur. Le fait de n'avoir été adressé qu'à une autorité judiciaire, dont les collaborateurs sont soumis au secret de fonction, n'en supprime pas le caractère diffamatoire. Cela étant, il n'est pas contesté que ces propos ont été proférés après que l'intéressé a appris que les recourantes avaient remis un testament à la Justice de paix, lequel les instituaient héritières de l'intégralité de la fortune de K______. Les allégations n'avaient donc, à l'évidence, pas pour but de dire du mal des recourantes mais de justifier, auprès du juge civil, la requête formulée pour le compte de sa mère, héritière légale du prénommé.

Au surplus, l'accusation litigieuse a été tenue uniquement dans le cadre de la procédure civile, devant des personnes informées et conscientes des circonstances particulières dans lesquelles les assertions étaient formulées, à savoir les relations particulièrement conflictuelles entre les héritiers depuis plusieurs années, et soumises à une obligation de secret de fonction. Ainsi, on peut retenir que les déclarations litigieuses du mis en cause pouvaient entrer dans le cadre d’allégations en justice, proportionnées au but poursuivi, sans excéder la mesure admissible (art. 14 CP).

C'est donc à bon droit que le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits dénoncés de diffamation et a fortiori de calomnie. Aucun acte d'instruction ne serait de nature à modifier les conclusions qui précèdent. Les recourantes n'en disent mot, d'ailleurs.

2.2.5. Les recourantes reprochent au mis en cause d'avoir tenu, à leur avocat à elles, des propos attentatoires à leur honneur dans le cadre du courriel du 12 mars 2022.

Force est tout d'abord de constater que l'avocat des recourantes ne revêt pas la qualité de "confident nécessaire" du mis en cause (cf. ATF 145 IV 462 consid. 4.3.3, à teneur duquel l'avocat pouvant, à certaines conditions, être considéré comme le confident de son propre client).

Il n'est pas non plus un tiers au sens des art. 173 ss CP mais doit être considéré comme un intermédiaire, dès lors que les recourantes l'ont constitué au soutien de leurs intérêts, avec élection de domicile (cf. ACPR/576/2022 consid. 4.4.). Ledit conseil a correspondu avec le mis en cause en tant que représentant des recourantes. Le mis en cause ne pouvait d'ailleurs pas faire autrement qu'adresser son courriel audit conseil, celui-ci lui ayant au demeurant expressément demandé de respecter strictement l'élection de domicile en son Étude. Par conséquent, à défaut de "tiers" à qui ces propos ont été relatés, la diffamation est exclue.

2.2.6. Enfin, s'agissant des courriels du 12 mai 2022, le mis en cause soutient qu'ils auraient été adressés à des destinataires en France.

L'incompétence des autorités pénales suisses à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1355/2018 du 29 février 2019 consid. 4.5.1; 6B_127/2013 du 3 septembre 2013 consid. 4; ACPR/488/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2.1; cf. toutefois l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1045/2014 du 19 mai 2015 consid. 4.3, non publié in ATF 141 IV 205, qui y voit une condition à l'ouverture de l'action pénale). La question du for doit être examinée d'emblée et d'office par l'autorité de recours.

À teneur de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse.

Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

S'agissant de délits commis par le biais d'internet, le lieu de l'acte, et ainsi le for, est localisé au lieu où se trouve l'auteur au moment d'effectuer les manipulations nécessaires à la diffusion ou au stockage des contenus illicites, mais non au lieu de situation du serveur sur lequel ces derniers seraient téléchargés, qui n'entre, en principe, pas en ligne de compte (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, Bâle 2017, n. 17 ad art. 8 et les références citées).

Quant au lieu du résultat, pour éviter d'étendre à l'excès la compétence territoriale helvétique dans ce domaine, il convient de ne pas se satisfaire de la simple accessibilité des contenus illicites depuis le territoire helvétique, mais de n'admettre un rattachement territorial que si l'auteur savait et voulait que lesdits contenus soient portés à la connaissance de tiers en Suisse (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 19 ad art. 8 et les références citées).

2.2.7. En l'occurrence, les courriels contenant les propos litigieux ont été envoyés par le mis en cause, domicilié en France, à des destinataires qui, selon ses dires, seraient des membres de sa famille, vivant en France. La maxime de l'instruction d'office (art. 6 CPP) ne dispensait pas les recourantes – qui n'ont pas contesté les allégations du mis en cause sur ce point – de fournir aux autorités de poursuites pénales les éléments pertinents pour fonder l'existence de leur compétence, ce d'autant qu'il paraît disproportionné de procéder à des actes d'instruction à l'étranger, par la voie de commission rogatoire, pour une infraction dont rien n'indique qu'elle ait un point de rattachement avec la Suisse.

Il résulte de ce qui précède que la non-entrée en matière pour une éventuelle infraction aux art. 173 et 174 CP sera confirmée sur ce point, par substitution de motifs. Point n'est donc besoin d'examiner les autres griefs des recourantes.

2.3.1. L'art. 251 ch. 1 CP punit celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.

Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

L'art. 251 CP doit être appliqué de manière restrictive (ATF 117 IV 35 consid. 1d). Un document mensonger n'acquiert pas un caractère probant prépondérant du seul fait que quelqu'un le destine subjectivement à servir de preuve ou par le seul fait qu'il soit produit en justice. En effet, si tel était le cas, toutes les pièces mensongères qui tomberaient en possession de la justice deviendraient alors automatiquement des faux intellectuels (arrêt du Tribunal fédéral 6P.15/2007 du 19 avril 2007 consid. 8.2.1). Il est donc indispensable que la valeur probante du document réponde également à des critères objectifs (Message concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire (infractions contre le patrimoine et faux dans les titres) du 24 avril 1991, in FF 1991 II 933ss, p. 961-962).

L'art. 251 ch. 1 CP vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Ce dernier vise la constitution d'un titre vrai mais mensonger. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. La confiance que l'on peut avoir à ne pas être trompé sur la personne de l'auteur est plus grande que celle que l'on peut avoir à ce que l'auteur ne mente pas par écrit. Pour cette raison, la jurisprudence exige, dans le cas du faux intellectuel, que le document ait une crédibilité accrue et que son destinataire puisse s'y fier raisonnablement (on parle de valeur probante accrue : arrêt du Tribunal fédéral 6B_55/2017 du 24 mars 2017 consid. 2.2). Une simple allégation, par nature sujette à vérification ou discussion, ne suffit pas; il doit résulter des circonstances concrètes ou de la loi que le document est digne de confiance, de telle sorte qu'une vérification par le destinataire n'est pas nécessaire et ne saurait être exigée (ATF 138 IV 130 consid. 2.1 p. 134; 132 IV 12 consid. 8.1 p. 14 s.;
129 IV 130 consid. 2.1 p. 133 s.; 126 IV 65 consid. 2a p. 67 s.).

2.3.2. En l'espèce, le document, dont les recourantes estiment qu’il serait constitutif de faux dans les titres, est un pli que le mis en cause dit avoir adressé à l'une de leur sœur le 9 juin 2013, lequel faisait référence à l'état de santé fragile de K______.

Or, il apparaît que ce document, même produit par-devant une juridiction civile, ne revêt pas la valeur probante accrue nécessaire à la qualité de titre, dès lors qu'il ne contient que de simples déclarations écrites unilatérales, qui sont, par nature, sujettes à vérification ou à discussion. La pièce produite dans le cadre de la procédure civile relève donc d'un allégué visant à soutenir la thèse défendue par le mis en cause.

Partant, les éléments objectifs de l'infraction de faux dans les titres, en particulier la condition de la valeur probante accrue du document, ne sont manifestement pas remplis. C'est donc à juste titre que le Ministère public n'est pas entré en matière sur ce point.

Les actes d'instruction sollicités par les recourantes – à savoir une confrontation des parties ou encore l'audition de la destinataire – ne sont pas de nature à apporter des éléments complémentaires probants concernant l'existence ou non d'un titre, puisque ces actes permettraient, tout au plus, de déterminer si ledit pli a été ou non inséré par le mis en cause dans l'enveloppe envoyée par G______, et non d'établir l'état de santé de K______.

2.4.1. En vertu de l'art. 181 CP, se rend coupable de contrainte celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.

La contrainte n'est contraire au droit que si elle est illicite (ATF 120 IV 17 consid. 2a p. 19 et les arrêts cités), soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux mœurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1). Réclamer le paiement d'une créance ou menacer de déposer une plainte pénale (lorsque l'on est victime d'une infraction) constitue en principe des actes licites; ils ne le sont plus lorsque le moyen utilisé n'est pas dans un rapport raisonnable avec le but visé et constitue un moyen de pression abusif (arrêt du Tribunal fédéral 6B_415/2018 du 20 septembre 2018 consid. 2.1.3; ATF 120 IV 17 consid. 2a/bb p. 20). Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n'adopte pas le comportement voulu par l'auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262106 IV 125 consid. 2b).

2.4.2. En l'espèce, les propos tenus par le mis en cause, mis en évidence sous B.d., ne sont pas constitutifs d'une menace sérieuse. En effet, il appert que les courriels litigieux ont été adressés aux recourantes, respectivement leur avocat, après que le mis en cause eut transmis sa requête à la Justice de paix. L'évocation d'une possible plainte pénale, intervenait ainsi dans un contexte de négociations extrajudiciaires, dans le cadre d'un litige successoral aigu. Elles apparaissent comme une invitation – certes ferme – à entreprendre des discussions en vue d'un accord transactionnel. Dans un tel cas de figure, il est usuel que les parties exposent leurs prétentions et tentent de se dissuader l'une l'autre de faire valoir les siennes, au besoin en subordonnant l'introduction ou la poursuite d'une action judiciaire à la renonciation de l'autre partie. Ainsi, on ne peut considérer qu'il ait fait usage d'un moyen de pression abusif.

Les mentions du mis en cause relatives au rayonnement médiatique d'une telle procédure, vu les parties en cause, ne s'apparente pas non plus à une menace.

Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le Ministère public a ainsi, à raison, estimé que les faits n'apparaissaient pas constitutifs de tentative de contrainte. Faute de prévention pénale suffisante, la décision querellée ne prête dès lors pas le flanc à la critique sur ce point.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera confirmée.

4.             Les recourantes, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ et B______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourantes, soit pour elles leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/7655/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

-

CHF

Total

CHF

1'200.00