Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/21175/2021

ACPR/109/2023 du 10.02.2023 sur ONMMP/3619/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;VENTE;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;ESCROQUERIE;COMPTABILITÉ;ABUS DE CONFIANCE;ACTIONNAIRE;CONCURRENCE DÉLOYALE;FAUX RENSEIGNEMENTS SUR DES ENTREPRISES COMMERCIALES
Normes : CPP.310; LCD.23; CP.138; CP.251; CP.146; CP.152

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21175/2021 ACPR/109/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 10 février 2023

 

Entre

A______ SA, ______ [GE],

et

B______ SA, ______ [GE],

comparant toutes deux par Me Marc LIRONI, avocat, LIRONI AVOCATS SA, boulevard Georges-Favon 19, case postale 423, 1211 Genève 4,

recourantes,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 18 octobre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 31 octobre 2022, A______ SA et B______ SA recourent contre l'ordonnance du 18 octobre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public n'est pas entré en matière sur leurs plaintes respectives des 1er et 2 novembre 2021.

Les recourantes concluent, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de séquestrer et bloquer le ou les comptes bancaires de C______, séquestrer les parts de copropriété de ce dernier dans la PPE D______ 1______/2______ [GE], et séquestrer et restituer un téléphone portable.

b. Les recourantes ont versé les sûretés en CHF 1'500.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ SA est une société anonyme sise à Genève, dont C______, détenteur de la totalité du capital-actions, a été directeur du 14 mai 2004 au 19 novembre 2013, puis administrateur président jusqu'au 13 janvier 2021, au bénéfice d'un droit de signature individuelle.

A______ SA est une société anonyme sise à Genève. E______ en a été l'administrateur avec signature individuelle jusqu'au 15 janvier 2021, avant d'en devenir administrateur-président, toujours au bénéfice d'une signature individuelle. À la même date, F______ a rejoint le précité au conseil d'administration en qualité d'administrateur avec signature individuelle.

b. Le 12 novembre 2020, C______, A______ SA, représentée par E______, et F______ ont signé une lettre d'intention prévoyant les conditions du transfert de l'intégralité du capital-actions de B______ SA à A______ SA. Cette lettre réglait également diverses problématiques liées audit transfert, comme le sort de dettes de C______ à l'égard de B______ SA, celui des bénéfices des exercices 2019 et 2020, ainsi que le règlement des frais d'avocat et de fiduciaire en lien avec le contrat de vente d'actions à intervenir.

Ce document, signé par C______, E______ et F______, mentionnait, sous libellé "1. Objet de l'achat", que les deux derniers nommés avaient eu accès "aux comptes de l'entreprise et reçu toutes les informations et documents nécessaires [leur] permettant de réaliser une due diligence approfondie (notamment audit des états financiers, carnets de commandes, éléments commerciaux, etc. par M. G______). [Ils] confirm[aient] que la due diligence de la Société n'a[vait] fait apparaître aucun problème spécifique". Les parties ont également convenu que le contrat de travail liant C______ à B______ SA perdurerait jusqu'au 31 juillet 2021, avec une diminution progressive du taux d'activité, et que les futurs acquéreurs s'engageaient à ce que la société renonce à exiger la restitution du matériel (ordinateurs, appareil photo, bureau, bouteilles de vin, etc.) se trouvant au domicile privé de C______ à la fin des rapports de travail (ch. 12).

c. Le 11 décembre 2020, la fiduciaire H______ SA (ci-après : la fiduciaire) a établi un rapport sur le contrôle restreint des comptes intermédiaires pour la période du 1er janvier au 30 novembre 2020. Les comptes intermédiaires paraissaient conformes aux dispositions légales suisses en matière de tenue de la comptabilité, de présentation et d'évaluation. Le bilan intermédiaire pour la même période faisait état d'actifs à hauteur de CHF 2'655'400.21 et le compte d'exploitation intermédiaire faisait ressortir un bénéfice brut d'exploitation de CHF 2'127'690.-. L'annexe aux comptes indiquait que le bilan et le compte de résultats ne présentaient aucune particularité nécessitant un signalement.

d. Le 22 décembre 2020, C______ et E______, pour A______ SA, ont signé un document en vue, notamment, de préciser le financement des actions de la société, clarifier les rapports financiers entre le vendeur et celle-ci, en particulier s'agissant du remboursement de la dette du premier envers la seconde, le paiement de salaires et honoraires pour l'année 2020, et la prise en charge, par la société, des frais d'avocat et de conseil liés à l'établissement du contrat de vente.

e. Le 23 décembre 2020, C______ et E______, pour A______ SA, ont conclu un contrat de vente portant sur la totalité du capital-actions et des droits de vote de B______ SA pour un prix de CHF 2'600'000.-, payable par un virement de CHF 2'300'000.- et par un prêt de CHF 300'000.- du vendeur à l'acheteur.

Sous chiffre 6, intitulé "Garanties", figure notamment la mention suivante : "L'Acheteur reconnaît avoir pu mener l'Audit à son entière satisfaction et avoir obtenu du Vendeur toutes les informations nécessaires afin d'acquérir les Actions. L'audit n'a fait apparaître aucun problème spécifique. En plus de l'Audit, le Vendeur a remis à l'Acheteur un document décrivant les processus administratifs, opérationnels et techniques de la Société". Sous chiffre 6.1.2, les parties ont notamment stipulé les garanties suivantes du vendeur : "les états financiers au 30 novembre 2020 décrivent la situation financière de la Société à la date de ces comptes et ont été établis conformément aux principes comptables du code des obligations et les respectent pleinement. Les états financiers sont complets et exacts à tous égards et fournissent une vision fidèle et sincère de la situation économique de la Société et du résultat d'exploitation à la date de leur établissement" (let. a) et "toutes les transactions réalisées par la Société ont été régulièrement et correctement reflétées dans les états financiers" (let. b). Le chiffre 8.4.4 relatif à l'obligation de non-concurrence prévoit ce qui suit : "les Parties prennent note que le Vendeur créera après l'Exécution une société d'ingénieur-conseil expert en électricité [ ] qui sera exclusivement mandatée par la Société pendant la période de non-concurrence prévue par la clause 8.4.1 dans le canton de Genève. Cette exclusivité de mandat ne s'applique pas aux mandats exécutés en dehors du canton de Genève pour le compte de clients n'ayant aucun lien avec les clients passés et actuels de la Société [ ]".

f. Le 22 mars 2021, la fiduciaire a adressé aux membres du conseil d'administration de B______ SA un compte rendu de ses travaux de révision en 2020. Il en ressort qu'une facture de CHF 154'343.-, adressée à un client (N______ SA) et dûment comptabilisée dans les débiteurs, n'avait pas été mentionnée comme une créance à risque lors de la révision des comptes au 30 novembre 2020, malgré le fait que C______, en tant qu'administateur de B______ SA, savait déjà le 20 novembre 2020 que cette créance – non provisionnée – était contestée. Deux autres créances, l'une à l'encontre de I______ SA pour un montant de CHF 42'550.-, et l'autre à l'égard de CLINIQUE J______ SA pour un montant de CHF 10'949.-, n'avaient fait l'objet d'aucune provision, ce qui avait dû être corrigé lors de l'établissement des comptes au 31 décembre 2020. Par ailleurs, un montant de travaux en cours à hauteur de CHF 190'000.- avait été confirmé pour un chantier intitulé "Affaire 3______ Rue 4______ no. ______", alors que le montant réel des travaux déjà effectués était de CHF 32'000.- au 30 novembre 2020 et qu'une provision pour "perte de terminaison" à hauteur de CHF 70'000.- aurait dû être constituée en lien avec lesdits travaux. Enfin, des factures de K______ et de L______ pour environ CHF 73'000.-, pour des prestations connues de B______ SA et effectuées avant le 30 novembre 2020, avaient été reçues par B______ SA immédiatement après le bouclement de l'audit le 9 décembre 2020. S'ils avaient été communiqués par C______ puis comptabilisés par la fiduciaire, les éléments précités auraient eu un impact négatif sur le résultat au 30 novembre 2020 d'environ CHF 500'000.- et la fiduciaire aurait conclu, dans son rapport, que les comptes intermédiaires n'étaient pas conformes aux dispositions légales suisses.

g. Par courrier du 7 avril 2021, A______ SA, par son conseil, a adressé à C______ un avis des défauts, reprenant en substance les éléments relevés dans le rapport provisoire d'audit des comptes en 2020 établi le 22 mars 2021 par la fiduciaire. Elle a exigé une indemnisation du "dommage causé par ces défauts et [son] attitude commercialement déloyale et dolosive".

h. Le 22 avril 2021, soit deux jours après une rencontre entre les parties destinée à se déterminer sur le courrier du 22 mars précédent de la fiduciaire, A______ SA a complété son avis des défauts. Des honoraires d'avocat avaient été imputés à la société alors que chaque partie s'était engagée à assumer ses propres frais découlant du contrat de vente d'actions ; des factures d'avocats relatives à des périodes antérieures à la "due diligence" n'avaient pas été provisionnées à temps ; une facture de M______ SA de CHF 9'983.80 liée à la négociation du contrat avait été mise à charge de la société ; un montant de CHF 76'735.10 aurait dû être imputé dans les provisions au titre de la LPP et figurer dans les passifs transitoires ; et plusieurs factures et dettes antérieures à la date de clôture, pour un montant total de CHF 120'000.-, avaient été comptabilisées en décembre 2020 et en janvier 2021 malgré le fait qu'elles étaient connues de l'administrateur – qui ne les avait pas annoncées au réviseur – lors de l'établissement des comptes au 30 novembre 2020. A______ SA estimait son préjudice total à CHF 800'000.-.

i. Le même jour, la fiduciaire a précisé que la provision générale pour pertes sur débiteurs avait été augmentée de CHF 80'000.- au 31 décembre 2019 à CHF 180'000.- au 30 novembre 2020, de sorte que la perte sur la facture adressée à N______ SA était couverte par la provision générale pour perte sur débiteurs, qui ne revêtait toutefois plus le caractère de "provision non économiquement nécessaire". La provision évoquée de CHF 75'000.- en lien avec cette affaire était assimilable à une "contre-affaire", élément qui avait été précisé par C______ lors de la revue des travaux en cours. Un plan de paiement avait été mis en place concernant la facture de CHF 10'249.- adressée à la CLINIQUE J______. Par ailleurs, s'agissant du poste "travaux en cours" et des factures à K______ et L______, les remarques émises par courrier du 22 mars 2021 restaient actuelles.

j. Le 10 mai 2021, A______ SA a communiqué à C______ qu'elle exerçait, en raison des défauts constatés, son droit à la réduction du prix de vente à hauteur d'un montant de CHF 800'000.-, correspondant par CHF 500'000.- aux omissions constatées par la fiduciaire dans son courrier du 22 mars 2021 et par CHF 300'000.- aux "manquements" qu'elles avait elle-même relevés dans son courrier du 22 avril 2021.

k. Le 30 juin 2021, la fiduciaire a complété ses courriers des 22 mars et 22 avril 2021 par le constat d'une "insuffisance au niveau des charges et de la dette" en lien avec une facture de la Fondation LPP O______ de CHF 32'960.70. Elle a précisé que les créances adressées à I______ SA et CLINIQUE J______ SA avaient fait l'objet d'un plan de paiement, et qu'une "contre-affaire" à hauteur de CHF 75'000.- avait, selon C______, été discutée avec N______ SA en vue de compenser partiellement la créance à l'encontre de celle-ci, ce qui n'était toutefois pas comptabilisable en droit suisse dans la mesure où il s'agissait de travaux futurs. En revanche, les éléments relevés concernant le chantier "Rue 4______ no. ______" et les factures reçues de K______ et de L______ restaient inchangés.

l. Par courrier du 6 août 2021, A______ SA a indiqué que C______ avait tenu des "propos désobligeants" à son égard auprès de ses clients, pris contact avec ses employés en vue de les débaucher et produit, lors des rapports de travail, des certificats médicaux d'arrêt de travail tout en créant en parallèle une société concurrente. En outre, il était mis en demeure de restituer un téléphone portable appartenant à la société. Enfin, il avait fait payer à B______ SA des frais d'avocat le concernant, pour un montant total de CHF 60'000.- environ.

m. Le 21 octobre 2021, la fiduciaire a établi le rapport de révision sur le contrôle restreint relatif à l'exercice 2020, dont il ressort une perte nette avant impôts de CHF 207'567.14 et une situation de surendettement. Le résultat final des comptes au 31 décembre 2020 présentait une différence négative de CHF 588'674.48 par rapport à la situation des comptes provisoires au 30 novembre 2020.

n. Le 1er novembre 2021, A______ SA a déposé plainte contre C______ pour escroquerie (art. 146 CP), faux renseignements sur des entreprises commerciales (art. 152 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), abus de confiance (art. 138 CP) et infraction à la loi sur la concurrence déloyale (art. 23 LCD).

En substance, elle avait acquis B______ SA à un prix lié à la situation financière qui ressortait des états financiers au 30 novembre 2020. Or, il était apparu que C______, alors administrateur et vendeur de B______ SA, avait omis d'annoncer des informations essentielles en lien avec des montants conséquents. Il avait tu le caractère litigieux de plusieurs créances (CHF 154'343.- contre N______ SA, CHF 42'500.- contre I______ SA, CHF 10'949.- contre CLINIQUE J______ SA), qui ne faisaient pas l'objet de provisions spécifiques. Il avait dissimulé un impact négatif de CHF 228'000.- en lien avec un chantier ("rue 4______ no. ______"), pour lequel le montant des travaux déjà effectué s'élevait à CHF  32'000.-, au lieu de CHF 190'000.- annoncés, et une provision pour "perte sur terminaison" de CHF 70'000.- aurait dû être intégrée dans les charges. Deux factures, d'un montant total de CHF 73'000.-, reçues juste après l'audit, n'avaient pas été comptabilisées alors que celles-ci avaient été refacturées aux clients avant le 30 novembre 2020 et étaient donc connues de C______. Les factures d'avocat et de conseil liées à la négociation et à la préparation du contrat de vente avaient été mises à la charge de la société. Des factures d'avocat antérieures au 30 novembre 2020 n'avaient pas été provisionnées à temps. Un montant de CHF 76'735.10 à titre de provision LPP n'avait pas été intégré dans les passifs transitoires. Diverses factures, d'un montant total de CHF 120'000.- et antérieures à la date de clôture, avaient été comptabilisées en charges en décembre 2020 et janvier 2021 alors qu'elles étaient connues de C______ avant le 30 novembre 2020. La différence entre les comptes au 30 novembre 2020 et les véritables données comptables à la même date consistait en un montant d'environ CHF 500'000.-, de sorte que A______ SA avait été "trompée de manière crasse, volontaire et manifeste".

o. Le 2 novembre 2021, B______ SA a déposé une plainte pénale contre C______ pour abus de confiance (art. 138 CP), subsidiairement vol (art. 139 CP), et pour infraction à la LCD.

Elle reprochait au précité d'avoir mis à la charge de la société des frais qui auraient dû lui incomber personnellement, comme des factures liées à la négociation du contrat de vente d'actions du 23 décembre 2020, d'avoir insuffisamment provisionné certaines factures connues antérieurement au 30 novembre 2020 et d'avoir surfacturé certaines prestations à des débiteurs, en vue d'embellir les comptes établis à cette date. Par ailleurs, le 6 mai 2021, la société avait demandé à C______, qui avait été libéré de l'obligation de travailler, de rendre le matériel mis à sa disposition, en particulier un téléphone portable, ce que l'intéressé n'avait pas fait. En outre, C______ s'était prévalu d'une incapacité de travail à son égard tout en consacrant son temps à constituer une société concurrente. Ce faisant, il avait tenté de débaucher des employés de l'entreprise et pris contact avec des fournisseurs pour ternir la réputation de son employeur. Enfin, il avait adressé à la société un commandement de payer de CHF 67'450.26 dans le but de lui nuire.

Elle a requis que C______ soit interdit d'entrer en contact avec ses employés et ses fournisseurs, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, et le séquestre immédiat du téléphone portable en vue de sa restitution à l'entreprise.

p. Le 10 novembre 2021, le Ministère public a joint les plaintes de A______ SA et de B______ SA sous le numéro de cause P/21175/2021.

q. Par arrêt du 23 décembre 2021, la Chambre de céans a rejeté le recours interjeté par C______ contre l'ordonnance de jonction précitée (ACPR/918/2021).

r. Dans le cadre de l'enquête préliminaire, la police a procédé à deux auditions.

r.a. Le 7 avril 2022, P______, administrateur de la fiduciaire, a déclaré avoir effectué le travail de révision des comptes au 30 novembre 2020 à bref délai de manière à faire aboutir les négociations en vue de la vente. Lorsque les comptes annuels au 31 décembre 2020 avaient été révisés, la fiduciaire avait constaté des incohérences dans les comptes arrêtés un mois plus tôt. Par exemple, un client contestait une facture de CHF 154'343.-, ce que C______ savait mais avait omis d'annoncer. Or, cette facture aurait dû être provisionnée, même si C______ avait alors affirmé avoir une "contre-affaire" de CHF 75'000.- compensant partiellement cette perte. Il en allait de même de deux autres factures pour un montant total de CHF 52'000.-. Par ailleurs, certains travaux en cours n'avaient pas été facturés. Un excédent de CHF 158'000.- avait été comptabilisé au titre des travaux en cours concernant le chantier "rue 4______ no. ______", tandis qu'un montant de CHF 70'000.- de charges supplémentaires (pertes à terminaison) aurait dû être provisionné. La fiduciaire avait été "en quelque sorte grugé[e] par M. C______, en tous cas sur le poste débiteurs, car il connaissait les éléments problématiques". S'agissant des fournisseurs, C______ "aurait pu le savoir et a[vait] peut-être oublié de le [leur] dire". Enfin, les travaux en cours avaient été comptabilisés sur la base d'une liste fournie par l'intéressé, qui "aurait pu savoir qu'il y avait une erreur s'il avait été plus vigilant". Ces omissions avaient eu "un impact conséquent sur la santé financière de B______ SA [ ] et sur l'appréciation qu'en ont eue les futurs acquéreurs".

r.b. Le 22 juin 2022, C______ a déclaré avoir fait la connaissance des frères F______/G______ dans le cadre du chantier de la Clinique J______. F______, qui était l'assistant du responsable des travaux du chantier précité, connaissait bien B______ SA ainsi que ledit chantier et souhaitait acquérir cette société. Les frères F______/G______ étaient pressés de conclure la vente, de sorte qu'il avait accepté de vendre B______ SA sur la base d'un bilan intermédiaire restreint facultatif au 30 novembre 2020. En décembre 2020, G______, comptable ayant également travaillé dans le cadre du chantier de la Clinique J______, avait procédé, pour les acheteurs, à une "due diligence", lors de laquelle étaient présents deux représentants de la fiduciaire Q______, le sous-directeur et deux comptables de B______ SA ainsi que lui-même. G______ avait eu accès à tous les documents nécessaires et aux livres de comptes, ce qui comprenait l'évaluation des travaux en cours de réalisation, non facturés. Lors des discussions, l'état d'avancement réel des travaux avait été présenté par le chef de projet. Pour le cas du chantier de N______ SA, cette dernière était l'entreprise générale mandatée par un tiers et B______ SA la sous-traitante. Le montant de CHF 154'343.- représentait des travaux en plus-value, acceptés par N______ SA mais non par le maître d'ouvrage. Lors d'une discussion avec le CEO de N______ SA, il avait été convenu que cette dernière compenserait la facture ouverte avec des travaux à venir sur des "contre-affaires". En accord avec la fiduciaire, la moitié de cette somme avait été comptabilisée en pertes et l'autre moitié dans les travaux en cours. Les factures adressées à I______ SA, intermédiaire pour qui B______ SA avait travaillé sur le chantier de CLINIQUE J______ SA, et à cette dernière n'avaient pas fait l'objet de provisions spécifiques car des paiements échelonnés avaient été convenus. S'il y avait eu un doute sur ces débiteurs, G______, en tant que comptable ayant géré le chantier de la Clinique J______, aurait dû l'exprimer dans le cadre de la "due diligence". En ce qui concernait le montant des travaux en cours pour le chantier "rue 4______ no. ______", il avait fait confiance au responsable des projets de B______ SA, qui avait évoqué un montant de CHF 190'000.-, validé par la fiduciaire. Des frais d'avocat avaient été mis à la charge de B______ SA, conformément à la lettre d'intention signée par les parties. La création de la société de consulting était prévue par le contrat de vente. Il contestait avoir démarché des clients ou des fournisseurs de B______ SA dans ce cadre. Enfin, il avait restitué le 21 mai 2021 le téléphone de la société à son ancienne avocate. À la suite d'un malentendu, ce téléphone n'avait pas été restitué en même temps que les autres objets.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que le litige, de nature purement civile, fait l'objet de deux procédures distinctes en matière de droit des contrats et de droit du travail. Le prix de vente des actions de B______ SA avait été fixé, par suite d'un audit effectué par la fiduciaire, sur la base des états financiers au 30 novembre 2020. L'administrateur de la société responsable de l'audit avait affirmé à la police n'avoir eu "aucun doute sur la véracité des informations fournies par C______". Par ailleurs, G______ connaissait la situation financière de B______ SA et avait participé, pour le compte de A______ SA, à la "due diligence", avec accès à toute la documentation, sans soulever d'objection lors de l'approbation des comptes au 30 novembre 2020, notamment concernant les factures à l'égard de la Clinique J______, de L______ et de K______. Les montants retenus au titre de "travaux en cours" avaient été établis lors d'une séance à laquelle la fiduciaire Q______ avait participé. Celle-ci avait donné son approbation concernant N______ SA et le dossier "Rue 4______ no. ______". Les éléments constitutifs de l'escroquerie (art. 146 CP), de faux renseignements sur des entreprises commerciales (art. 152 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP) n'étaient donc manifestement pas réunis. Il en allait de même s'agissant du téléphone portable appartenant à B______ SA, remis par C______ à son conseil, à l'intention de celle-ci. Enfin, aucun élément concret ne permettait d'établir une infraction à l'art. 23 LCD, la création d'une société d'ingénieur-conseil expert en électricité étant expressément prévue par le contrat de vente du 23 décembre 2020.

D. a. À l'appui de leur recours, A______ SA et B______ SA font valoir que le prix de vente convenu avait été déterminé par les états financiers arrêtés au 30 novembre 2020. Or, C______ avait dissimulé des informations pour améliorer la situation comptable de B______ SA. Il n'avait pas informé la fiduciaire que la créance contre N______ SA était contestée, ni que les créances contre I______ SA et contre la Clinique J______ étaient douteuses, ni que le montant réel des travaux effectués sur le chantier "Rue 4______ no. ______" était de CHF 32'000.- et non de CHF 190'000.-, ni qu'une provision pour perte sur terminaison de CHF 70'000.- aurait dû être constituée dans le cadre dudit chantier. Il avait reçu des factures pour environ CHF 73'000.- juste après la fin de l'audit des comptes, sans qu'elles ne soient comptabilisées dans les charges alors qu'elles avaient déjà été refacturées aux clients avant le 30 novembre 2020. Une procédure civile opposait B______ SA à un couple de clients, dans laquelle la position de la première était "vouée à l'échec", ce qu'il avait omis d'annoncer, générant un dommage total de CHF 101'264.53. Aucun provisionnement n'avait été comptabilisé pour risque de perte du procès. Par ailleurs, le contrat de vente d'actions, qui remplaçait tout document antérieur, ne prévoyait pas la possibilité de faire supporter à la société des frais d'avocat ou de négociation du contrat. Ce nonobstant, C______ avait fait supporter de tels frais à B______ SA, sans les provisionner et en en ordonnant le paiement juste avant la vente. Il avait omis de procéder à un provisionnement de cotisations LPP. Sous l'angle de l'instruction, la complexité du dossier nécessitait de convoquer les parties en vue de procéder à une audience de confrontation.

En outre, C______ n'avait jamais restitué le téléphone portable qui lui avait été confié et avait constitué une société faisant concurrence directe à B______ SA, en procédant à des tentatives de débauchage d'employés et de fournisseurs. Enfin, il lui avait adressé une poursuite injustifiée dans le seul but de lui nuire et de l'empêcher de participer à des marchés publics.

b. Dans ses observations, le Ministère public expose que C______ n'avait pas intentionnellement trompé les recourantes en échafaudant un édifice de mensonges pour faire accroire que la société avait une valeur supérieure à sa valeur réelle. En effet, selon le témoin P______, il avait "peut-être oublié de fournir des éléments d'information". Aucun élément au dossier ne permettait de retenir une tromperie, ni que C______ aurait sciemment refusé de fournir des informations à l'acquéreuse, qui avait toute latitude pour solliciter des précisions. Le prix de vente avait été fixé sur la base de l'audit de la fiduciaire, réalisé en très peu de temps, ce que les recourantes ne pouvaient ignorer. Par ailleurs, la vente avait fait l'objet d'une "due diligence", à laquelle G______, mandaté par A______ SA, avait participé. S'agissant des infractions de faux dans les titres et de faux renseignements sur des entreprises commerciales, l'élément subjectif de l'intention faisait défaut. En ce qui concernait l'abus de confiance, rien ne démontrait que le montant de CHF 62'819.91 avait été détourné par C______ pour prendre en charge ses frais d'avocat et, même si cela avait été le cas, l'interprétation du contrat de vente du 23 décembre 2020, de la lettre d'intention du 12 novembre 2020 et de la lettre d'accompagnement du 22 décembre 2020 étaient des questions relevant du droit civil devant être tranchées par les juridictions civiles. Il en allait de même du sort du téléphone portable mis à disposition de C______ dans le cadre de son travail auprès de B______ SA. Faute d'utilisation de valeurs patrimoniales confiées, respectivement en l'absence d'un acte d'appropriation dudit téléphone portable, les éléments constitutifs de l'infraction d'abus de confiance faisaient défaut. Enfin, les recourantes ne fournissaient aucune preuve à l'appui de leurs allégations de violations de la LCD, la constitution d'une société d'ingénieur-conseil ayant été expressément mentionnée dans le contrat de vente. En définitive, le litige opposant les parties avait une nature exclusivement civile et deux juridictions civiles, à savoir le Tribunal de première instance et le Tribunal des prud'hommes, étaient d'ailleurs saisies.

c. Dans leur réplique, les recourantes soutiennent que l'administrateur de la fiduciaire a utilisé le terme "gruger" pour qualifier la manière dont C______ leur avait présenté les comptes, ce qui permettait d'établir que celui-ci avait dissimulé des informations essentielles que la fiduciaire, les acquéreurs et G______ n'étaient pas en mesure de découvrir. Le fait que ceux-ci puissent demander des informations n'exonérait pas C______ de toute responsabilité. Ces éléments avaient conduit les acquéreurs à surévaluer l'entreprise, de sorte que les éléments constitutifs et subjectifs des infractions reprochées étaient réalisés. S'agissant des infractions d'abus de confiance, subsidiairement de vol, les versements effectués par C______ au débit du compte de la société en vue de payer des frais d'avocat étaient établis par pièces. Il était également manifeste que l'abus de confiance était réalisé dans le cas du téléphone portable qu'il n'avait pas restitué. Enfin, le fait que le litige eût également un aspect civil n'impliquait pas l'absence de tout comportement pénalement relevant.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane de parties à la procédure, soit des plaignantes (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2. Seule une partie à la procédure qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée peut se voir reconnaître la qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

Tel est, en particulier, le cas du lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2 p. 78; 141 IV 454 consid. 2.3.1 p. 457).

Pour être directement touché, le lésé doit en outre subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les personnes subissant un préjudice indirect ou par ricochet, (arrêt du Tribunal fédéral 6B_857/2017 du 3 avril 2018 consid. 2.1 et les arrêts cités). S'agissant en particulier d'infractions contre le patrimoine, le propriétaire des valeurs patrimoniales est considéré comme la personne lésée (arrêts 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1; 1B_191/2014 du 14 août 2014 consid. 3.1; 1B_104/2013 du 13 mai 2013 consid. 2.2). Il en résulte notamment que, lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut prétendre à la qualité de lésé, à l'exclusion des actionnaires d'une société anonyme, des associés d'une société à responsabilité limitée, des ayants droit économiques et des créanciers desdites sociétés (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.3 p. 386; 140 IV 155 consid. 3.3.1 p. 158; arrêt du Tribunal fédéral 1B_62/2018 du 21 juin 2018 consid. 2.1 et les arrêts cités). En revanche, dans la mesure où une société simple est dépourvue de personnalité morale, tous les associés sont considérés comme personnellement et directement touchés par d'éventuelles malversations auxquelles se seraient livrés l'un ou plusieurs d'entre eux au détriment du patrimoine de la société (arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2015 du 8 octobre 2015 consid. 2.1; cf. aussi ATF 141 IV 380 consid. 2.3).

Lorsque la norme ne protège pas en première ligne les biens juridiques individuels, seule est considérée comme lésée la personne qui est affectée dans ses droits par l'infraction sanctionnée par la norme en cause, pour autant que l'atteinte apparaisse comme la conséquence directe du comportement de l'auteur (ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1). Un dommage n'est en revanche pas nécessaire, car l'atteinte directe, selon l'art. 115 CPP, se rapporte à la violation du droit pénal et non à un dommage (ATF 139 IV 78 consid. 3.3.3 1 et les références citées; voir aussi ATF 141 IV 231 consid. 2.5).

1.3.1. Les art. 138, 146 et 152 CP figurent parmi les infractions contre le patrimoine (art. 137 à 172ter CP) et visent à protéger, en tant que bien juridique, le patrimoine du lésé (ATF 129 IV 53 consid. 3.2 p. 57). S'agissant des art. 146 et 152 CP, la qualité de lésé appartient en particulier à l'acquéreur de parts sociales d'une société qui allègue avoir subi un préjudice du fait d'une tromperie en marge de la convention de cession (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1050/2019 du 20 novembre 2019 consid. 1.5). Dans le cadre de l'art. 152 CP, le lésé est toute personne en contact avec une entreprise commerciale, en particulier un investisseur, un créancier, un actionnaire, un fournisseur ou un employé (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ, Commentaire romand du Code pénal II, 2017, n. 1 ad art.152 CP).

1.3.2. La qualité pour déposer plainte pour infraction à l'art. 23 LCD appartient à quiconque, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, ainsi que les clients dont les intérêts économiques sont menacés ou lésés par un acte de concurrence déloyale (art. 23 al. 2 cum art. 9 et 10 LCD).

1.4.1. En l'espèce, dans la mesure où A______ SA invoque l'utilisation de biens de B______ SA pour des dépenses en faveur du mis en cause (en lien avec l'art. 138 CP) et la constitution d'une société concurrente à cette dernière ainsi que des tentatives de débauchage de collaborateurs ou de fournisseurs de ladite société (en lien avec l'art. 23 LCD), elle n'a pas la qualité pour recourir, n'étant, en sa qualité d'actionnaire de ladite société, pas titulaire directe du patrimoine le cas échéant atteint par les faits reprochés.

Elle a, en revanche, qualité pour recourir s'agissant des faits éventuellement constitutifs d'escroquerie, de faux renseignements sur des entreprises commerciales et de faux dans les titres, dans la mesure où elle invoque un préjudice patrimonial lié à la décision d'acquérir B______ SA à un prix déterminé, en rapport causal avec la commission des éventuelles infractions précitées.

1.4.2. Directement lésée, B______ SA dispose de la qualité pour recourir concernant les infractions alléguées d'abus de confiance (art. 138 CP) et à l'art. 23 LCD.

2.             Les recourantes reprochent au Ministère public une constatation erronée et incomplète des faits (art. 393 al. 2 let. b CPP). Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF
137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

3.             Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 310).

4.             A______ SA fait grief au Ministère public de ne pas être entré en matière sur les infractions d'escroquerie (art. 146 CP), de faux renseignements sur des entreprises commerciales (art. 152 CP), et de faux dans les titres (art. 251 CP) à titre subsidiaire à l'escroquerie.

4.1.       Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté. L'affirmation peut résulter de n'importe quel acte concluant. Il n'est donc pas nécessaire que l'auteur ait fait une déclaration et il suffit qu'il ait adopté un comportement dont on déduit qu'il affirme un fait. La tromperie par dissimulation de faits vrais est réalisée lorsque l'auteur s'emploie, par ses propos ou par ses actes, à cacher la réalité. S'il se borne à se taire, à ne pas révéler un fait, une tromperie ne peut lui être reprochée que s'il se trouvait dans une position de garant avec une obligation qualifiée de renseigner le lésé. Un tel devoir peut découler de la loi, d'un contrat ou d'un rapport de confiance spécial. Un simple devoir légal ou contractuel ne suffit toutefois pas à fonder une position de garant, pas plus qu'un devoir découlant du principe général de la bonne foi. Il faut au contraire que l'auteur se soit trouvé dans une situation qui l'obligeait à ce point à protéger les intérêts du lésé que son omission puisse être assimilée à une tromperie résultant d'un comportement actif. Une configuration de ce type suppose en principe que le devoir de protéger les intérêts du lésé et de le renseigner constitue une obligation principale ou du moins spécifique de l'auteur. Elle se conçoit notamment lorsque ce dernier est censé bénéficier d'une confiance accrue en raison de ses qualités particulières. De même, afin de conforter la victime dans son erreur, troisième comportement prévu par la loi, il ne suffit pas que l'auteur reste purement passif et bénéficie ainsi de l'erreur d'autrui. Il doit, par un comportement actif, c'est-à-dire par ses paroles ou par ses actes, avoir conforté la dupe dans son erreur. Cette hypothèse se distingue des deux précédentes en ce sens que l'erreur est préexistante (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2 ; 140 IV 11 consid. 2.3.2 et 2.4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_718/2018 du 15 mars 2019 consid. 4.3.1 ; 6B_817/2018 du 23 octobre 2018 consid. 2.3.1).

4.2.                L'art. 152 CP réprime le comportement de celui qui, en qualité de fondateur, titulaire, associé indéfiniment responsable, fondé de pouvoir, membre de l'organe de gestion, du conseil d'administration ou de l'organe de révision ou liquidateur d'une société commerciale, coopérative ou d'une autre entreprise exploitée en la forme commerciale aura donné ou fait donner, dans des communications au public ou dans des rapports ou propositions destinés à l'ensemble des associés d'une société commerciale ou coopérative ou aux participants à une autre entreprise exploitée en la forme commerciale, des renseignements faux ou incomplets d'une importance considérable, susceptibles de déterminer autrui à disposer de son patrimoine de manière préjudiciable à ses intérêts pécuniaires.

L'infraction peut être commise par omission improprement dite, lorsque l'auteur, en position de garant, garde le silence sur des éléments de faits précis qu'il est tenu de communiquer (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI, Petit commentaire du CP, Bâle 2017, n. 19 ad art. 152).

4.3.                À teneur de l'art. 251 CP, se rend coupable de faux dans les titres quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

La comptabilité commerciale et ses éléments (pièces justificatives, livres, extraits de compte, bilans ou comptes de résultat) revêtent la qualité de titre (ATF 141 IV 369 consid. 7.1).

4.4.                En l'espèce, les versions des parties divergent quant à savoir si le caractère litigieux de plusieurs factures (totalisant un montant dépassant CHF 200'000.-), qui n'ont pas fait l'objet de provisions spécifiques à teneur des comptes arrêtés au 30 novembre 2020, a été mentionné lors des pourparlers contractuels. Par ailleurs, la liste des "travaux en cours" comportait, selon le témoignage de l'administrateur de la fiduciaire chargée de l'audit, un montant excédentaire de CHF 158'000.- pour un chantier et des charges non provisionnées de CHF 70'000.- pour le même chantier, malgré la signature par le mis en cause d'une déclaration d'intégralité dans laquelle il confirmait que les travaux en cours avaient été correctement évalués. Ce point est également contesté, le mis en cause affirmant avoir communiqué ces informations lors de la séance de "due diligence" en décembre 2020.

Or, le comptable ayant effectué la "due diligence" pour l'acheteuse ne paraissait pas en mesure, sans information spécifique, de vérifier lui-même le caractère douteux ou non de la créance de CHF 154'343.- et l'état d'avancement du chantier "rue 4______ no. ______". Le fait que la provision générale permettait d'absorber pareille perte sur débiteur ne change rien à ce qui précède, dès lors que le montant de ladite provision pouvait donner l'impression d'une importante marge de sécurité, qui, en réalité, n'existait pas. À la suivre, la recourante dépendait ainsi uniquement des informations – prétendument incomplètes, voire fallacieuses – transmises par le mis en cause. À cet égard, l'administrateur de la fiduciaire ayant procédé à l'audit, n'a, selon ce dernier, pas participé à ladite séance. Il subsiste donc un doute important sur les informations communiquées au représentant des acheteurs lors de cette séance. En outre, il paraît établi, à ce stade, que les comptes présentés à cette occasion n'étaient pas exacts. Au vu de la nature des omissions reprochées – liées notamment à l'avancement de chantiers ou au caractère douteux de créances inscrites aux comptes sans provisions correspondantes –, il n'est en effet pas manifeste que les acheteurs eussent été en mesure de déceler eux-mêmes les manquements allégués par un travail de vérification, ce d'autant qu'une fiduciaire a attesté de la conformité des comptes intermédiaires.

Dès lors qu'aucun des participants à ladite séance – hormis le mis en cause – n'a été auditionné, rien ne permet, à teneur du dossier, de privilégier une version plutôt qu'une autre. Les déclarations de l'administrateur de la fiduciaire chargée de l'audit tendraient plutôt à corroborer le fait que le mis en cause aurait failli à son devoir de renseigner lors de l'établissement des comptes intermédiaires au 30 novembre 2020, les omissions ayant eu, selon lui, un impact important sur l'appréciation de l'état financier de la société. Si ces déclarations doivent être prises avec une certaine réserve – la fiduciaire ayant engagé sa responsabilité en attestant de la conformité des comptes intermédiaires –, il n'en demeure pas moins que ni l'existence d'un comportement actif du mis en cause dans le cadre de l'établissement des comptes ou lors de la séance de "due diligence" ni, à tout le moins, celle d'omissions ne sont exclues. Or, compte tenu de l'obligation qu'avait le mis en cause, en tant qu'administrateur, de présenter une comptabilité exacte (art. 716a al. 1 ch. 3 et 6 ainsi que les art. 957 ss CO), même de simples omissions – pour autant qu'elles soient intentionnelles – sont susceptibles de constituer une tromperie astucieuse. De plus, le lien de causalité entre une éventuelle tromperie intentionnelle sur la situation financière réelle de la société et le montant auquel les actions de celle-ci ont été transférées paraît donné.

Par conséquent, force est de constater que la version soutenue par la recourante n'est, en l'état, pas infirmée par les éléments du dossier et permet d'envisager à tout le moins une éventuelle infraction aux art. 146, 152 CP, et, à titre subsidiaire, à l'art. 251 CP. Partant, une instruction devra être ouverte aux fins d'auditionner R______ et/ou S______, qui ont assisté à la séance consacrée à la "due diligence", et de déterminer les éléments précis communiqués aux représentants de l'acquéreuse dans ce cadre.

5. La recourante B______ SA reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur les faits constitutifs, selon elle, d'abus de confiance et d'infraction à l'art. 23 LCD.

5.1. Commet un abus de confiance, au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP, celui qui, pour se procurer ou pour procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée.

D'un point de vue subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime, lequel peut être réalisé par dol éventuel (ATF 118 IV 32 consid. 2a p. 34). Celui qui dispose à son profit ou au profit d'un tiers d'un bien qui lui a été confié et qu'il s'est engagé à tenir en tout temps à disposition de l'ayant droit s'enrichit illégitimement s'il n'a pas la volonté et la capacité de le restituer immédiatement en tout temps. Celui qui ne s'est engagé à tenir le bien confié à disposition de l'ayant droit qu'à un moment déterminé ou à l'échéance d'un délai déterminé ne s'enrichit illégitimement que s'il n'a pas la volonté et la capacité de le restituer à ce moment précis (ATF 118 IV 27 consid. 3a p. 29 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1268/2018 précité consid. 2.2).

5.2. L'art. 23 LCD permet le prononcé de sanctions pénales contre des actes de concurrence déloyale définis aux art. 3 à 6 de cette loi. Les dispositions pénales de la LCD doivent être interprétées de manière restrictive (arrêt du Tribunal fédéral 6B_156/2012 du 11 octobre 2012 et les références jurisprudentielles et doctrinales citées).

Selon l'art. 1er LCD, cette loi vise à garantir, dans l'intérêt de toutes les parties concernées, une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée. La LCD ne concerne ainsi que le domaine de la concurrence. Cette notion vise une compétition, une rivalité sur le plan économique entre des personnes qui offrent des prestations. La concurrence suppose donc un marché, qui plus est, licite. Pour qu'il y ait acte de concurrence déloyale, il ne suffit pas que le comportement apparaisse déloyal au regard de la liste d'exemples figurant aux art. 3 à 8 LCD; il faut encore, comme le montre la définition générale de l'art. 2 LCD, qu'il influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs de clients. Autrement dit, il doit influencer le jeu de la concurrence, le fonctionnement du marché. Certes, il n'est pas nécessaire que l'auteur de l'acte soit lui-même un concurrent. Il n'empêche que l'acte doit être objectivement propre à avantager ou à désavantager une entreprise dans sa lutte pour acquérir de la clientèle, ou à accroître ou diminuer ses parts de marché. L'acte doit être dirigé contre le jeu normal de la concurrence et propre à influencer le marché; il doit être objectivement apte à influencer la concurrence. La LCD ne protège donc pas la bonne foi de manière générale, mais tend seulement à garantir une concurrence loyale (SJ 2000 I 337 et les références citées).

5.3. En l'espèce, le mis en cause dit avoir remis le téléphone portable litigieux le 21 mai 2021 à son ancien conseil pour qu'il le mette à disposition de la recourante. Aucun élément au dossier ne vient infirmer cette version. À cela s'ajoute qu'aux termes du chiffre 12 de la lettre d'intention signée le 12 novembre 2020, les parties ont prévu que la société renoncerait à exiger la restitution du matériel se trouvant au domicile privé du mis en cause à la fin des rapports de travail, de sorte que le sort actuel du téléphone portable confié par la société relève de l'interprétation de clauses contractuelles. Faute d'intention de s'approprier cet objet, les éléments constitutifs de l'infraction d'abus de confiance ne sont manifestement pas réalisés.

En outre, le mis en cause conteste avoir fait illicitement assumer à la société des frais liés à la vente des actions. Cette prise en charge était pourtant prévue par la lettre d'intention du 12 novembre 2020, clause que les parties ont reprise dans le document qu'elles ont signé le 22 décembre 2020 et qui se réfère au contrat du lendemain. Force est ainsi de constater que les versions des parties divergent sur un point relatif à l'interprétation du contrat du 23 décembre 2020, ce qui ne relève pas non plus du droit pénal.

Enfin, la recourante n'établit aucun dommage ni perturbation de la concurrence en lien avec de prétendus actes de concurrence déloyale, qu'elle se contente d'alléguer en renvoyant, à titre de preuves, à ses propres courriers et à sa plainte pénale. Quand bien même elle eût été en mesure d'apporter des éléments concrets à l'appui de ses allégués, le contrat de vente du 23 décembre 2020 prévoyait expressément la création d'une société d'ingénieur-conseil en électricité par le mis en cause, de sorte que les contours de la clause de non-concurrence stipulée entre les parties constituent une question d'interprétation du contrat.

6. Partiellement fondé, le recours de A______ SA sera admis, dans la mesure de sa recevabilité. Infondé, le recours de B______ SA sera rejeté.

7. Compte tenu de ce qui précède, il appartiendra au Ministère public d'examiner les demandes de séquestre sollicitées.

8. B______ SA, qui succombe, supportera la moitié des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'500.-, à savoir CHF 750.-, l'autre moitié étant laissée à la charge de l'Etat (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

9. A______ SA, partie plaignante, n'ayant ni chiffré ni a fortiori justifié l'indemnité requise pour ses frais de procédure, il n'y a pas lieu de lui en allouer (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare irrecevable le recours de A______ SA en tant qu'il a trait aux infractions aux art. 138 CP et 23 LCD.

Admet le recours de A______ SA, dans la mesure de sa recevabilité, et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Rejette le recours de B______ SA.

Condamne B______ SA SA à la moitié des frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'500.-, soit à CHF 750.-, et dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Laisse l'autre moitié (CHF 750.-) des frais de la procédure de recours à la charge de l'État et ordonne la restitution à A______ SA des sûretés versées, dans cette proportion.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourantes, soit pour elles leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/21175/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

-

CHF

Total

CHF

1'500.00