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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/8804/2020

AARP/174/2024 du 21.05.2024 sur JTDP/534/2023 ( PENAL ) , REJETE

Recours TF déposé le 02.07.2024, 6B_534/2024
Descripteurs : DIFFAMATION
Normes : CP.173

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

P/8804/2020 AARP/174/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 21 mai 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocate,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/534/2023 rendu le 8 mai 2023 par le Tribunal de police,

 

et

C______, domicilié ______, comparant par Me D______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Saisine de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR)

a. En temps utile, Me A______ appelle du jugement JTDP/534/2023 du 8 mai 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de diffamation, condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 1'350.- l'unité, assortie du sursis avec un délai d'épreuve de trois ans, à une amende de CHF 8'100.- à titre de sanction immédiate, aux frais de la procédure, a rejeté ses conclusions en indemnisation et l'a condamné à verser à C______ une indemnité pour les dépenses occasionnées par la procédure.

b. Me A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à l'acquittement, à son indemnisation et à la publication du jugement.

c. Selon l'acte d'accusation du Ministère public (MP) du 25 mars 2021, il est reproché ce qui suit à Me A______ : il a, par courrier du 21 février 2020 adressé au Grand Conseil, avec copie à tous les députés, mais aussi aux présidents de partis, au Conseil d'Etat et à la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire, intentionnellement porté atteinte à l'honneur et à la considération du président de la Commission du Barreau (ci-après : CDB), C______, en l'accusant de commettre des abus d'autorité, des actes de contrainte et de menaces, afin d'empêcher l'accès à la profession d'autres avocats et de préserver ainsi ses propres intérêts personnels et professionnels [en écrivant ce qui figure sous chiffre B.g.b ci-dessous].

B.            Faits résultant du dossier de première instance

a. Me A______, inscrit au barreau genevois, exerce sa profession au sein d’une étude d'avocats, dont les locaux sont sis no.______ rue 1______.

b. Il est l’administrateur président, avec droit de signature individuelle, de E______ SA, société genevoise créée en 2016, sise no. ______ rue 1______ également.

Cette entité propose divers services aux avocats – quel que soit le barreau où ils sont inscrits, en Suisse ou à l’étranger – souhaitant exercer leur profession dans une structure distincte de celle des études traditionnelles. Elle offre notamment la possibilité de recevoir leur courrier à son siège (prestation dite de domiciliation) et d’utiliser ponctuellement des bureaux en son sein.

c. En 2017, la CDB a refusé l’inscription, au registre cantonal, d'avocats à l’adresse de E______ SA. Ses décisions ont été confirmées par la Chambre administrative de la Cour de justice.

Saisi d’un recours de ces avocats, le Tribunal fédéral a jugé, dans un arrêt du 4 juin 2019 publié aux ATF 145 II 229, que le caractère admissible de nouvelles méthodes de travail pour exercer la profession d'avocat devait être examiné de cas en cas, sans schématisme excessif (consid. 8.3) ; dans les présentes affaires, la façon dont les recourants entendaient exercer leur profession ne leur permettait pas de pratiquer conformément aux exigences d'indépendance structurelle et du secret professionnel ; toutefois, il n’était pas exclu que, moyennant le respect de plusieurs conditions [énoncées dans cet ATF], ils puissent constituer une structure suffisante (consid. 8.4).

d. Depuis, la CDB a été saisie de nouvelles demandes d’inscription d’avocats à l’adresse de E______ SA. Elle en a accepté deux.

Parallèlement, dans le cadre de l'instruction d'une autre demande, il est apparu que Me A______ maintenait dans les mêmes locaux, comptant ______ bureaux au total, dont une salle de conférence et un secrétariat, sa propre étude, A______ Avocats (comptant plusieurs avocats), E______ SA (comptant un nombre indéterminé d'avocats), ainsi que d'autres avocats inscrits comme indépendants des deux entités précitées.

La CDB a donc requis de Me A______ des précisions, voulant s'assurer que l'utilisation de la plateforme E______ SA ne correspondait pas à une utilisation fictive des locaux et qu'une séparation claire était opérée entre les diverses entités, notamment au niveau du personnel administratif, dans le respect des exigences légales.

Divers échanges épistolaires s’en sont suivis entre les intéressés.

Faute d'avoir obtenu les renseignements adéquats, la CDB a rejeté, le 6 janvier 2020, une demande d'inscription d'avocat – celle de Me F______ – estimant ne pas pouvoir y donner une suite favorable en l'état.

e. Le 4 février 2020, la CDB a informé E______ SA – soit pour elle son administrateur président – de ce qu'elle instruisait diverses demandes d’inscription d’avocats à son adresse. Pour statuer, elle devait disposer des renseignements requis dans ses précédentes missives. Il importait également qu’elle sache si la société employait du personnel administratif et, le cas échéant, s’il s’agissait de membres distincts/identiques de ceux travaillant pour l’étude. Elle souhaitait en outre savoir comment la gestion des conflits d’intérêts et les exigences du respect du secret professionnel étaient réglées, dès lors que l’étude comptait douze avocats, la plupart œuvrant en qualité d’"external of counsel", qui devaient partager leurs bureaux avec un nombre indéterminé d’autres avocats, contractants de la société.

Un délai a été imparti à E______ SA pour fournir les informations sollicitées, les demandes d’inscription "étant suspendues dans cette attente".

f. Le 10 février 2020, Me F______ a saisi la Chambre administrative de la Cour de justice d'un recours contre la décision de la CDB du 6 janvier 2020, concluant à ce qu'il soit ordonné à celle-ci de l'inscrire au registre cantonal des avocats "c/o E______ SA".

La CDB abusait de son pouvoir au nom et sous couvert de nobles principes, pour en réalité viser exclusivement la protection d'intérêts personnels. C'était inadmissible et une amende pour abus d'autorité et mauvaise foi caractérisés devait être prononcée.

g.a. Le 21 février 2020, Me A______, agissant comme administrateur de E______ SA, a adressé au Grand Conseil du canton de Genève, soit pour lui son président, une dénonciation visant la CDB. Il accusait cette commission, et plus particulièrement ses cinq membres avocats, dont Me C______, président, de commettre des actes d'abus d'autorité, de contrainte et de menace, dans le but d'empêcher l'accès d'autres avocats à la profession et de préserver ainsi leurs propres intérêts personnels et professionnels.

E______ SA y est présentée comme une société offrant ses services à des avocats indépendants, parmi lesquels la domiciliation professionnelle et l'utilisation ponctuelle de bureaux. Dès sa création, cette société avait rencontré des problèmes avec la CDB, qui considérait que ce type d'organisation était contraire aux devoirs et principes fondamentaux liés à la profession d'avocat. Une procédure judiciaire s'en était suivie, qui avait abouti à deux arrêts de principe rendus le 4 juin 2019 par le Tribunal fédéral (2C_1083/2017 [publié aux ATF 145 II 229] et 2C_1084/2017), reconnaissant le caractère admissible de ce type de structures, sous réserve de certains aménagements auxquels les avocats concernés devaient encore procéder avant de pouvoir en profiter. À la suite de ces arrêts, la CDB avait accepté par deux fois la domiciliation d'avocats chez E______ SA, avant de changer radicalement sa position, à la troisième demande. Le 4 février 2020, elle avait exigé de la société diverses informations sur son organisation, tout en suspendant, dans cette attente, l'examen des demandes d'avocats pendantes.

Me A______ a également adressé ce courrier au Conseil d'État et à la Commission de gestion du pouvoir judiciaire.

g.b. Plus précisément, ce document, long de vingt-trois pages, s'intitule – en caractère gras – "Politique discriminatoire de la Commission du Barreau - Distorsion de concurrence - Violation de la liberté économique" (p. 1).

Il débute par les termes : "Nous nous adressons au Grand Conseil en sa qualité d'autorité de surveillance de la Commission du Barreau de Genève […] Art. 2 c), 7 et 48 de la Loi sur la surveillance de l'Etat D 1 09".

La CDB est composée de neuf membres parmi lesquels figurent obligatoirement deux magistrats de carrière du pouvoir judiciaire et deux membres choisis en dehors de la profession d'avocat. Elle est présidée par Me C______, avocat. Les autres avocats membres de la CDB sont [suivent quatre noms]" (p. 2).

Il est ensuite fait référence à plusieurs reprises aux cinq avocats membres de la CDB (p. 8, 9, 10, 12, 17, 18, 20 et 21) dont Me C______, cité nommément par deux fois (p. 9 et 20).

g.c. À teneur du courrier :

"Il ne s'agit pas non plus de bisbilles personnelles. Le soussigné connaît les membres avocats de la Commission qu'il respecte. Il en tutoie plusieurs.

Simplement, la CDB s'oppose mordicus à toute évolution et innovation dans l'exercice de la profession, non par principe – car elle sait bien que l'évolution est certaine et concrète – mais uniquement pour gagner du temps. Sa politique est limpide et évidente :

Discriminer et empêcher les avocats qui entendent pratiquer leur métier, en parfait respect de toutes leurs obligations professionnelles, mais à moindres coûts et dans une saine concurrence.

Il faut tout faire, sous couvert de beaux et nobles principes pour les dissuader, les interdire ou en tous cas les restreindre dans leurs velléités légitimes en posant des barrières arbitraires et discriminatoires, voire en interdisant purement et simplement la domiciliation professionnelle dans une société de services telle que E______ SA.

Créer de toute pièce des distorsions de concurrence dûment entretenues par l'autorité" (p. 10) ;

"La CDB a écrit à E______ SA le 4 février 2020 […] La CDB exige de E______ SA diverses informations sur son organisation et n'hésite pas à suspendre l'étude des dossiers en cours (demandes d'avocats de se domicilier professionnellement chez E______ SA) tant que lesdites informations ne lui sont pas fournies. E______ SA a répondu que la CDB n'est pas un organe de surveillance de sociétés de services telles que E______ SA et que les informations requises n'ont pas à lui être communiquées car relevant du secret commercial et de la protection des données.

On voit que la CDB n'hésite pas à utiliser ses pouvoirs pour faire pression et menacer un acteur du marché, non avocat, d'un dommage financier important tant qu'elle n'obtient pas dudit tiers des informations qu'elle n'a pas à recevoir […] En réalité, elle est très tendance et moderne : elle fait du Trump pur sucre et utilise ses pouvoirs, sous couvert de nobles et très respectables principes, pour en réalité fausser le marché, le verrouiller pour le seul profit d'une caste d'avocats traditionnels dont les membres de la CDB sont l'archétype […] La CDB cause ainsi volontairement et consciemment un dommage à E______ SA de CHF 15'000.- par mois. Par conséquent, la présente est aussi envoyée au Conseil d'État, en attirant son attention sur le dommage causé de manière parfaitement indue, illégale et discriminatoire dont l'État sera responsable" (p. 10 et 11) ;

"Au surplus, E______ SA réserve tous ses droits sur l'abus d'autorité et la contrainte inadmissibles ici exercés par la CDB" (p. 11) ;

"La CDB n'est pas représentative. Tous ses avocats membres sont des avocats travaillant à l'ancienne dans des structures moyennes qui, à terme, n'ont plus aucun avenir et sont destinées à disparaître. Logiquement, les membres avocats de la CDB le savent et s'en inquiètent mais plutôt que de se réorganiser et de se mettre en situation de pouvoir répondre aux nouveaux défis et à la concurrence de plus en plus vive, ils utilisent les pouvoirs de la CDB pour verrouiller le marché et faire tout leur possible pour privilégier le statu quo et permettre ainsi à une caste de traditionnalistes de pouvoir encore gagner quelques années" (p. 17 et 18) ; 

"La politique suivie est aussi claire que discriminatoire et arbitraire. Pour assurer la survie (temporaire) des avocats "classiques et traditionnels", il s'agit de tout faire pour retarder l'inéluctable. Telle est la politique fondamentale suivie par la CDB" (p. 18).

"Pas de chance pour la CDB, le TF a effectivement rejeté les recours des deux avocats mais a donné la méthode pour que les avocats puissent utiliser les services de E______ SA. La CDB a bien dû ravaler ses arguments classiques sur le non-respect du secret, le manque d'indépendance et le risque de conflits d'intérêts et E______ SA a immédiatement modifié ses conditions générales suivant la méthode donnée par le TF. La CDB a donc autorisé deux avocats à se domicilier chez E______ SA et à bénéficier des services offerts. Mais dès la troisième demande d'un avocat, la CDB revient à ses premières amours et ses obsessions en refusant à l'avocat l'inscription de son domicile professionnel chez E______ SA car la CDB a soudain trouvé un nouveau "truc", à double détente, pour s'opposer à nouveau :

·         Les bureaux de E______ SA sont les mêmes que les bureaux de A______ Avocats et

·         Le requérant avait pris l'option de pouvoir bénéficier d'un mentor : Me A______.

[…] Et c'est reparti pour un nouveau tour judiciaire de 2 ou 3 ans !" (p. 19) ;

"Si le premier tour judiciaire était – peut-être – "de bonne guerre", le second, toujours basé sur les mêmes arguments réchauffés et totalement inappropriés, devient parfaitement indigeste ! Elle sait depuis longtemps qu'elle asphyxie financièrement E______ SA et l'empêche tout simplement de pouvoir exercer son activité. Elle refuse de trouver un modus vivendi et préfère faire durer des procédures dans l'attente de la faillite de E______ SA, privée de facto de pouvoir travailler […] E______ SA est ainsi confinée au rôle de victime collatérale de la politique de la CDB et ne peut rien entreprendre si ce n'est d'être renflouée chaque mois pour survivre" ;

"Par conséquent et très logiquement, les avocats membres de la CDB utilisent les pouvoirs de la CDB pour s'opposer avec acharnement à tout ce qui pourrait accélérer le déclin inéluctable de leurs structures, en particulier à toute possibilité de travailler en parfaite indépendance et respect des règles fondamentales de la profession, mais à moindres coûts […] De même et pour les mêmes raisons de survie professionnelle, les avocats de la CDB utilisent les pouvoirs de la CDB pour s'opposer très fermement à tout acteur qui pourrait précisément permettre à des avocats indépendants de pouvoir travailler en toute liberté et en parfait respect de leurs obligations professionnelles, mais à moindres coûts" (p. 21) ;

"À défaut d'utiliser des méthodes mafieuses, la CDB utilise les « méthodes trumpistes » et n'hésite pas à abuser de son pouvoir et de contraindre un acteur du marché non-avocat à lui transmettre des données confidentielles et en pleine violation de la protection des données" (p. 22) ;

"Nous considérons là qu'il s'agit de graves dérives qui doivent être corrigées et dénoncées. Par conséquent, nous vous prions de donner suite à la présente affaire en votre qualité d'organe de surveillance de la CDB" (p. 23).

h. Le 16 mars 2020, Me F______ a retiré le recours pendant auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice, ayant obtenu l'inscription requise.

i. Le 4 mai 2020, E______ SA a déposé plainte pénale pour abus d'autorité, contrainte et tentative de violation de la Loi fédérale sur la protection des données (LPD) contre C______, en lien avec le courrier adressé à E______ SA le 4 février 2020, ainsi que contre tout autre membre de la commission qui aurait participé à sa rédaction ou qui l'aurait approuvé (P/4______/2020).

La CDB commettait un abus d'autorité. Elle n'avait pas le pouvoir d'exiger d'une société de services dûment enregistrée de lui transmettre des informations ou des données protégées par le secret commercial et la LPD. E______ SA avait bien compris la contrainte exercée par la CDB à son égard, qui suspendait le traitement de dossiers relatifs à des demandes d'inscriptions d'avocats indépendants auprès d'elle et faisait tout pour la saborder.

j. Le 21 mai 2020, C______ a déposé plainte pénale contre A______ pour diffamation (art. 173 du Code pénal [CP]) et calomnie (art. 174 CP), en lien avec le courrier adressé au Grand Conseil et à d'autres entités le 21 février 2020.

Dans de multiples parties de ce document, Me A______ accusait la CDB et plus particulièrement son président, c'est-à-dire lui-même, et les quatre autres avocats membres titulaires de la commission d'abus d'autorité, de contrainte et de menaces. Il les accusait de commettre ces infractions pénales dans le but caché d'empêcher l'accès à la profession à d'autres avocats et de préserver ainsi leurs propres intérêts personnels et professionnels. Accuser les membres d'une autorité d'abuser des pouvoirs qui leur étaient conférés pour violer la loi, commettre des infractions pénales, distordre la concurrence, causer un préjudice financier à des tiers, le tout à des fins d'enrichissement personnel, constituait une atteinte à l'honneur et à la probité des personnes visées.

k. Dans un courrier adressé au Conseil d'État genevois le 3 juin 2020, E______ SA, soit pour elle Me A______, écrivait : "Par courrier du 24 février 2020, nous vous avons communiqué notre dénonciation envoyée au Grand Conseil et relative à la politique suivie par la Commission du barreau, en attirant votre attention sur le dommage important ainsi causé à notre société, soit CHF 15'000.- par mois depuis janvier 2020 […] La Commission du Barreau continue de mener une politique aussi incohérente qu'aléatoire, mais toujours aussi discriminatoire et arbitraire […] Enfin et étonnamment, il semblerait qu'il n'y ait aucune autorité compétente pour surveiller la Commission du Barreau qui est ainsi entièrement libre de suivre une politique discriminatoire et arbitraire tout en émettant des règles de distorsion de la concurrence ("les 10 commandements" par exemple) : Le Grand Conseil se déclare incompétent (pièce annexée), la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire également (pièce annexée). La commission de la Concurrence est hors-jeu également […] Nous considérons par conséquent que le Conseil d'Etat est l'autorité de surveillance de la Commission du Barreau […]".

l.a. Par ordonnance du 17 septembre 2020, le MP a refusé d'entrer en matière sur la plainte pénale de E______ SA.

l.b. Par arrêt du 12 janvier 2021, la Chambre pénale de recours (CPR) a rejeté le recours de E______ SA contre l'ordonnance de non-entrée en matière du 17 septembre 2020.

La CPR relevait : "la CDB – soit pour elle son président – était habilitée, dans le cadre de l’instruction de demandes d’inscription d’avocats au registre cantonal, à requérir de la recourante [E______ SA], qui doit être qualifiée de tiers à ces procédures, diverses informations (art. 27 al. 1 LPA) […] L’autorité précitée n’a pas davantage contrevenu au droit, en suspendant le traitement des demandes pendantes devant elle jusqu’à l’envoi, par la recourante, desdits renseignements – quand bien même une telle suspension aurait pu avoir un impact sur les revenus de l’intéressée – En effet, la CDB estimait nécessaire, pour statuer (art. 20 al. 1 LPA), de disposer de ces informations, qu’elle ne pouvait obtenir autrement, les parties à la procédure (i.e. les avocats requérants) n’étant pas en leur possession. Dans ces circonstances, l’on ne perçoit pas que les moyens utilisés et but poursuivi par la CDB aient revêtu un quelconque caractère abusif, illicite ou encore disproportionné. Les éléments constitutifs objectifs des infractions aux art. 312 CP, subsidiairement 181 CP, ne sont donc pas réalisés. Il en va de même des conditions subjectives. En effet, rien ne permet de considérer, en lien avec l’abus d’autorité, que la CDB aurait agi dans le dessein de nuire à la recourante et/ou d’obtenir un avantage illicite. Si tel avait été le cas, cette autorité n’aurait d’ailleurs jamais accepté, les 12 août 2019 et 9 mars 2020 (cf. lettres B.c.a et B.e.b), d’inscrire deux avocats à l’adresse de la société. Il ne résulte pas davantage des développements sus-exposés (cf. consid. 3.5 supra) que le président de la CDB aurait eu pour intention d’adopter un comportement illicite à l’endroit de la recourante. En conclusion, la non-entrée en matière doit être confirmée (art. 310 al. 1 let. a CPP)".

m. Au Ministère public, A______ a confirmé être l'auteur du courrier du 21 février 2020 et l'avoir envoyé au Grand Conseil, au Conseil d'État et à la Commission de gestion du pouvoir judiciaire. Il s'était adressé à ce qu'il croyait être une autorité de surveillance et avait voulu exprimer les critiques de E______ SA sur la politique de la CDB. Une dénonciation ne pouvait pas être constitutive de diffamation lorsqu'elle était faite de bonne foi à une autorité. Il se bornait à critiquer une politique, en insistant sur un aspect connexe d'abus d'autorité et de contrainte contenu dans une lettre de la CDB. Le fait de se plaindre d'une politique n'abaissait en rien les hommes qui étaient visés. En revanche, l'État avait le devoir de respecter le principe de neutralité ; il ne devait pas favoriser tel ou tel concurrent sur le marché. Or le reproche essentiel qu'il faisait à la CDB – et non à C______ – était de ne pas respecter cette neutralité.

Il assumait les propos figurant dans son courrier du 21 février 2020. Il n'y désignait pas Me C______ comme étant l'auteur d'une quelconque infraction. Il ne le visait pas en tant que personne. Il ne mettait en cause que la CDB. Ce n'était qu'en lien avec la demande du 4 février 2020 que l'on trouvait les expressions "abus d'autorité" et "contrainte".

Le recours de Me F______ du 10 février 2020 – il admettait l'avoir personnellement rédigé – contenait les mêmes termes que ceux figurant dans le courrier du 21 février 2020. Or, suite à ce recours, la CDB avait reconsidéré sa décision, ce qui signifiait qu'elle en acceptait les termes. Cela montrait que Me C______ avait une notion de la diffamation à géométrie variable.

n.a. Au Tribunal, A______ a contesté le caractère diffamatoire des termes utilisés dans son courrier du 21 février 2020.

Il ne l'avait pas envoyé à l'ensemble des députés mais uniquement au président du Grand Conseil. Il l'avait également envoyé au Conseil d'État, en raison de la responsabilité de l'État, et aux présidents de partis, afin de les sensibiliser et susciter le débat. Il l'avait en outre remis à la Chambre de commerce, en raison de la distorsion de concurrence qu'il dénonçait. Il l'avait donc expédié à une dizaine de personnes au total.

Il croyait de bonne foi que le Grand Conseil était l'autorité de surveillance de la CDB.

Chaque fois que C______ était cité dans le courrier litigieux, cette mention était immédiatement suivie de "Président de la CDB", de sorte qu'il estimait ne pas l'avoir visé en tant que Monsieur C______ ou Maître C______.

Combiner une demande de renseignements – "légitime" – à la menace de ne plus rendre de décision jusqu'à l'obtention desdits renseignements constituait un abus d'autorité. Bien sûr que la CBD avait le droit de demander ce qu'elle voulait à qui elle voulait. Mais elle ne pouvait pas dire : "tant que vous ne donnez pas les informations que je demande, on ne rend pas de décision !". Ce qui faisait l'abus d'autorité, c'était la menace, non la demande de renseignements. C'était cela qu'il dénonçait.

Il avait rédigé le courrier litigieux pour dénoncer la politique de la CDB, dans le but qu'elle soit modifiée et qu'elle cesse. A ses yeux, la pratique de la CDB constituait du harcèlement et trahissait la volonté d'empêcher notamment les jeunes avocats d'exercer indépendamment et à moindres coûts. C'était là le corps de sa réflexion, de sa colère et de sa dénonciation, l'autre aspect étant que des plateformes similaires à E______ SA existaient déjà dans le monde. On pouvait toujours être plus intelligent "après coup" mais c'était de la "rage".

Il n'entendait pas rétracter ses propos.

n.b. C______ a expliqué avoir évoqué le courrier litigieux avec les autres membres de la CDB lors d'une séance plénière. Ils avaient tous été choqués par les propos qu'il contenait. Il avait informé les membres du fait qu'il entendait déposer plainte pénale contre A______. Ils étaient tous convenus qu'il la déposerait seul, pour son compte, et qu'ils ne procèderaient pas collectivement, bien qu'il eût le soutien de tous les membres. Il avait agi en sa qualité d'avocat mais aussi de président de la CDB, étant principalement visé par les propos litigieux dans la mesure où son nom apparaissait plusieurs fois.

Les propos insinuant que lui-même et les autres membres avocats de la CDB abusaient de leur autorité, voulaient distordre la concurrence et exerçaient de la contrainte et de la menace étaient attentatoires à l'honneur.

Les propos contenus dans le recours de Me F______, pour autant qu'ils fussent identiques à ceux du courrier litigieux, étaient eux aussi attentatoires à l'honneur. Cependant, il n'avait pas envisagé de déposer plainte pénale contre l'intéressé car ses propos étaient formulés dans le cadre d'une procédure administrative.

La CDB recevait régulièrement des lettres insultantes ou menaçantes, mais en quatre ans de présidence il n'avait jamais déposé plainte contre les auteurs de ces courriers, qui étaient souvent des personnes en souffrance ou qui invoquaient à tort un droit. Le cas d'espèce était différent puisqu'il s'agissait d'un avocat qui connaissait le droit et s'adressait aux plus hautes instances du canton pour tenir des propos mensongers et diffamatoires.

Avant les arrêts du Tribunal fédéral de 2019, les domiciliations dans des structures de type E______ SA n'étaient pas autorisées. Depuis, chaque demande était examinée au cas par cas. La CDB n'avait pas de politique arrêtée ; elle appliquait simplement la loi et la jurisprudence. Elle ne pratiquait pas de politique discriminatoire envers E______ SA. À cet égard, la demande de Me F______ était la troisième demande déposée après les arrêts du Tribunal fédéral. Entretemps, la CDB avait constaté que plusieurs entités occupaient les mêmes locaux, ce qui était l'un des problèmes relevés par le Tribunal fédéral. La CDB avait donc rendu une décision négative au motif qu'elle n'avait pas encore reçu tous les renseignements sollicités. La CDB avait continué de communiquer avec Me A______ et E______ SA. Celui-ci avait indiqué que certains avocats avaient quitté A______ Avocats, qu'il avait oublié d'en informer la CDB et que cette étude cesserait son activité prochainement. Sur la base de ces informations, la CDB avait donc finalement accepté la demande de Me F______. Il y avait entre 2'700 et 2'800 avocats inscrits au registre cantonal sous l'égide de la CDB, de sorte qu'il était absurde de dire que celle-ci voulait faire de la discrimination ou de la distorsion à l'égard de E______ SA pour deux ou trois inscriptions, pour protéger les intérêts des membres de la CDB.

C.           Procédure d'appel

a. Aux débats, Me C______ a persisté dans sa plainte pénale.

Me A______ avait adressé le courrier du 21 février 2020 à tous les conseillers d'Etat, au président du Grand Conseil mais aussi, par e-mails, à tous les députés et, enfin, aux présidents des partis. Des députés l'avaient d'ailleurs interpellé à ce sujet.

Toutes les infractions pénales qui lui étaient reprochées dans ce courrier le diffamaient.

b. Me A______ a persisté dans ses déclarations.

Il était clair pour la CDB que le projet de E______ SA était contraire à tout, que ce soit en termes de structure, de secret, etc., alors que ce type de structure était pourtant parfaitement licite à l'étranger. Pendant trois ans E______ SA avait dû se battre contre la CDB. Elle avait dû dépenser CHF 300'000.- à CHF 400'000.- pour se faire entendre, ce qui était sans doute "de bonne guerre". Suite à l'arrêt du Tribunal fédéral, Me C______ était venu sur place et avait constaté qu'il s'agissait tant des locaux de A______ Avocats que de E______ SA, ce qui ne lui avait pas posé de problème. S'en étaient suivies les deux autorisations de la CDB puis le refus de la troisième demande au motif que A______ Avocats et E______ SA occupaient les mêmes locaux, la CDB y voyant subitement un problème de conflit d'intérêts et d'indépendance. Pour lui, cet argument était contraire à la bonne foi. Quant à l'argument du mentorat, il ne tenait pas car même l'Ordre des avocats le préconisait. C'était d'ailleurs sur la base d'un rapport que Me G______, bâtonnier, avait fait circuler au sein du barreau qu'il avait ajouté le mentorat, susceptible d'aider les jeunes avocats. Car son seul but était bien celui-là : aider les jeunes – et les moins jeunes – à travailler comme indépendants à moindre coût, avec l'appui d'un mentor.

La CDB s'acharnait, pas forcément contre lui ou E______ SA, mais on voyait qu'elle ne voulait tout simplement pas de concurrence. Elle ne voulait pas que des avocats puissent travailler à moindre coût, ce qui était aberrant puisque ceci est autorisé partout. Elle cherchait à le faire repartir pour trois ans de procédure.

Il avait envoyé son courrier à six personnes au maximum, ainsi qu'à la Chambre de commerce, intéressée à ce que la concurrence "joue". Et personne n'avait réagi, sauf Me C______, comme avocat.

Il n'avait pas rédigé sa lettre contre ce dernier, mais contre la politique de la CDB. L'État se devait de respecter la règle de la neutralité dans la politique qu'il menait et il ne disait rien d'autre dans son courrier. En quoi Me C______ pouvait-il être atteint dans son honneur comme avocat ? Dire, à ce qu'il croyait être l'autorité de surveillance, que la CDB distordait la concurrence n'était pas diffamant. Tout au plus le langage utilisé dans son courrier était-il "fleuri". E______ SA ne pouvait pas laisser passer cela et être condamnée à refaire trois ans de procédure. Référence faite à l'acte d'accusation, il ne comprenait toujours pas en quoi il aurait accusé Me C______ d'un acte illicite. La CDB utilisait ses pouvoirs dans le respect des règles, certes, mais en faisait bénéficier ceux qui, en son sein, prenaient la décision ; ce n'était pas très éthique.

Il n'était pas disposé à rétracter ses propos.

E______ SA avait fini par porter plainte contre Me C______ car elle ne pouvait plus fonctionner. La CDB posait des questions et menaçait de ne plus prendre de décision tant qu'il n'y serait pas répondu. Bêtement, mais de bonne foi, il y avait vu de la contrainte. E______ SA avait refusé de donner suite, en rappelant à la CDB qu'elle n'était pas une autorité de surveillance. Puis la CDB avait accepté le recours de Me F______. Il y voyait le signe qu'elle cherchait par tous les moyens à gêner les activités de E______ SA.

Il était difficile pour un avocat de se retrouver sur le banc des accusés. Jamais il n'avait eu l'intention d'attaquer Me C______. Il tutoyait ce dernier, tout comme il tutoyait Me D______, ce qui montrait qu'il n'avait rien contre eux. Il suffisait de lire son courrier pour s'en convaincre. Tout était dans le titre de celui-ci : il se plaignait d'une politique, il contestait une politique, dans le contexte rappelé. Il considérait qu'il y avait un acharnement contre E______ SA et il y avait de quoi être en colère.

c.a. Par la voix de son conseil, Me A______ persiste dans ses conclusions. Ses arguments seront examinés ci-après.

c.b. Par la voix de son conseil, Me C______ conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris et prend des conclusions en indemnisation. Ses arguments seront examinés ci-après.

c.c. Le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

D.           Situation personnelle du prévenu et antécédents

a. Me A______ est âgé de ______ ans, de nationalité suisse, marié, père de deux enfants. Titulaire du brevet d'avocat, il exerce cette profession depuis ______ et perçoit à ce titre un revenu variable pouvant s'élever jusqu'à CHF 2'000'000.- par an. Il dispose de fortune, immobilière en particulier.

b. Il n'a pas d'antécédent inscrit au casier judiciaire suisse.

EN DROIT :

1.             L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décision illégale ou inéquitable (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions (art. 391 al. 1 CPP).

2.             2.1.1. Pour les délits contre l'honneur, l'action pénale se prescrit par quatre ans (art. 178 al. 1 CP). La prescription ne court plus si, avant son échéance, un jugement de première instance a été rendu (art. 97 al. 3 CP).

2.1.2. Les faits poursuivis datent du 21 février 2020. Le jugement du TP a été rendu le 8 mai 2023. La prescription ne court donc plus depuis cette date. Il n'existe, partant, pas d'empêchement de procéder.

2.2.1. À titre de réquisitions de preuves, Me A______, soit pour lui son conseil, sollicite l'interpellation de tous les membres composant la CDB à l'époque des faits [s'ensuivent 16 noms] et à ce qu'il leur soit soumis onze questions, ainsi que leur audition en fonction de leurs réponses auxdites questions. Il requiert également l'audition de H______ et I______, présidents de partis – "il s'agit d'établir [par l'ensemble de ces témoignages] comment la dénonciation a été perçue" –, et celle de Me F______.

2.2.2. Il appartient à la CPAR seule d'apprécier, librement, si le courrier incriminé est attentatoire à l'honneur, en se fondant sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances du cas d'espèce, lui attribuer, tout en tenant compte du contexte et des qualités du cercle de ses destinataires (ATF 148 IV 409 consid. 2.3.2 ; 133 IV 308 consid. 8.5.1). Selon la jurisprudence et la doctrine, il importe peu que le tiers ait eu personnellement conscience du caractère offensant de l'allégation poursuivie ou qu'il ait éprouvé ou non du mépris pour la personne visée (ATF 103 IV 22 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Volume I, 3e éd., Berne 2010, n. 46 ad art. 173), soit C______ ici. Il n'y a donc pas lieu de s'intéresser à comment H______ et I______, destinataires du pli litigieux, l'ont reçu ; de sorte que leur audition n'apparait pas nécessaire au prononcé du jugement. Quant aux membres de la CDB, ils n'ont pas qualité de tiers au sens de l'art. 173 ch. 1 CP, car A______ ne leur a pas adressé le courrier incriminé ; leur audition – ou interpellation – ne s'impose donc pas davantage. L'audition de Me F______ n'apparaît pas utile pour le surplus, car ses longues écritures du 10 février 2020 suffisent à renseigner (art. 389 al. 3 CPP).

La question préjudicielle est par conséquent rejetée. Il n'y a pas lieu d'ajourner les débats.

3.             3.1. La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe "in dubio pro reo", concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait (ATF 148 IV 409 consid. 2.2).

3.2.1. A teneur de l'art. 173 CP, quiconque, en s’adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon, est, sur plainte, puni d’une peine pécuniaire (ch. 1). L’auteur n’encourt aucune peine s’il prouve que les allégations qu’il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu’il a des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies (ch. 2). L’auteur n’est pas admis à faire ces preuves et il est punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l’intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d’autrui, notamment lorsqu’elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille (ch. 3). Si l’auteur reconnaît la fausseté de ses allégations et les rétracte, le juge peut atténuer la peine ou renoncer à prononcer une peine (ch. 4). Si l’auteur ne fait pas la preuve de la vérité de ses allégations ou si elles sont contraires à la vérité ou si l’auteur les rétracte, le juge le constate dans le jugement ou dans un autre acte écrit (ch. 5).

L'art. 176 CP précise qu'à la diffamation verbale est assimilée la diffamation par l’écriture, l’image, le geste, ou par tout autre moyen.

3.2.2. L'art. 173 ch. 1 CP protège la réputation d'être une personne honorable, c'est-à-dire de se comporter comme une personne digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme (ATF 132 IV 112 consid. 2.1). Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 148 IV 409 consid. 2.3.2 ;
133 IV 308 consid. 8.5.1). Selon la jurisprudence, un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble. Ce qui précède ne signifie cependant pas qu'il faille faire abstraction de l'impact particulier d'un titre ou d'un intertitre. Rédigés en plus gros caractères et en gras, ceux-ci frappent spécialement l'attention du lecteur. Très généralement, ils sont en outre censés résumer très brièvement l'essentiel du contenu de l'article (arrêt du Tribunal fédéral 6S_862/2000 du 20 mars 2001 consid. 1a ; ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3).

Jouit du droit à l'honneur toute personne physique et toute personne morale ou entité capable d'ester en justice, mais non les collectivités publiques, ni les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1020/2018 du 1er juillet 2019 consid. 5.1.1). Pour ces dernières en revanche, chaque membre individuel pourra, s'il est personnellement atteint dans son honneur par les propos en cause, se prévaloir de la protection conférée par les art. 173ss CP (ATF 69 IV 81 consid. 2 et 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_349/2016 du 20 septembre 2016 consid. 5.6 ; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 111-392 StGB, 4ème éd., Bâle 2019, n. 54 ad Vor Art. 173 ; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand Code pénal, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 52 ad Intro aux art. 173-178 ; B. CORBOZ, op. cit., n. 31 ad art. 173). La doctrine fait ici un parallèle avec le caractère reconnaissable de la personne contre laquelle l’atteinte est dirigée. En effet, sous couvert d’une désignation collective ou générique, une déclaration peut devoir être comprise comme visant une ou plusieurs personnes déterminées ou déterminables (cf. W. WOHLERS / G. GODENZI / S. SCHLEGEL, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Handkommentar, 4ème éd., Berne 2020, n. 5 ad art. 173 : "individuelle Beleidigung unter einer Sammel- oder Kollektivbezeichnung" ; voir aussi M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 52 ss ad Vor art. 173). Cette question s'est notamment posée en cas de propos visant un cercle de personnes : il faut alors que ce cercle soit relativement déterminé et pas trop large pour que chacun de ses membres puisse se sentir personnellement touché (B. CORBOZ, op. cit., n. 22 et 40 ad art. 173).

La réputation relative à l'activité professionnelle ou au rôle joué dans la communauté n'est pas pénalement protégée. Il en va ainsi des critiques qui visent comme tels la personne de métier, l'artiste ou le politicien, même si elles sont de nature à blesser et à discréditer. Dans le domaine des activités socio-professionnelles, il ne suffit ainsi pas de dénier à une personne certaines qualités, de lui imputer des défauts ou de l'abaisser par rapport à ses concurrents. En revanche, il y a atteinte à l'honneur, même dans ces domaines, si on évoque une infraction pénale ou un comportement clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises (ATF
145 IV 462 consid. 4.2.2).

Dans la discussion politique, l'atteinte à l'honneur punissable ne doit être admise qu'avec retenue et, en cas de doute, niée. La liberté d'expression indispensable à la démocratie implique que les acteurs de la lutte politique acceptent de s'exposer à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. Il ne suffit ainsi pas d'abaisser une personne dans les qualités politiques qu'elle croit avoir. La critique ou l'attaque porte en revanche atteinte à l'honneur protégé par le droit pénal si, sur le fond ou dans la forme, elle ne se limite pas à rabaisser les qualités de l'homme politique et la valeur de son action, mais est également propre à l'exposer au mépris en tant qu'être humain. L'art. 10 par. 2 CEDH ne laisse ainsi guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours et du débat politique, dans lequel cette liberté revêt la plus haute importance. En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique, visé en cette qualité, que d'un simple particulier: à la différence du second, le premier s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens. Il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_119/2017 du 12 décembre 2017 consid. 3.1).

L'art. 173 ch. 1 CP suppose une allégation de fait, et non un simple jugement de valeur (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.2). Les termes litigieux doivent donc avoir un rapport reconnaissable avec un élément de fait et ne pas être uniquement employés pour exprimer le mépris (arrêt du Tribunal fédéral 6B_512/2017 du 12 février 2018 consid. 3.2).

Le fait d'accuser une personne d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel entre dans les prévisions de l'art. 173 ch. 1 CP (ATF 132 IV 112118 IV 248 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2008 du 22 janvier 2009, consid. 3.1).

Du point de vue subjectif, l'art. 173 ch. 1 CP exige que l'auteur ait eu conscience du caractère attentatoire à l'honneur de ses propos et qu'il les a néanmoins proférés. Il n'est pas nécessaire qu'il ait eu la volonté de blesser la personne visée (ATF
137 IV 313 consid. 2.1.6 ; ATF 119 IV 44 consid. 2a).

3.2.3. Les conditions auxquelles l'art. 173 ch. 3 CP prive l'auteur du droit de faire les preuves libératoires sont d'interprétation restrictive. En principe, l'accusé doit être admis à faire les preuves libératoires et ce n'est qu'exceptionnellement que cette possibilité doit lui être refusée. Pour que les preuves libératoires soient exclues, il faut, d'une part, que l'accusé ait tenu les propos attentatoires à l'honneur sans motif suffisant (d'intérêt public ou privé) et, d'autre part, qu'il ait agi principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui. Ces deux conditions doivent être réalisées cumulativement pour refuser les preuves libératoires. Ainsi, l'accusé sera admis aux preuves libératoires s'il a agi pour un motif suffisant (et ce, même s'il a agi principalement pour dire du mal d'autrui) (ATF 132 IV 112 consid. 3.1 ;
116 IV 31 consid. 3).

3.2.4. Selon la jurisprudence relative à l'art. 173 ch. 2 CP, l'accusé qui a allégué la commission d'une infraction doit en principe apporter la preuve de la vérité par la condamnation pénale de la personne visée. Un accusé apporte la preuve de la vérité s'il établit que ce qu'il a dit est vrai ; il peut apporter même des éléments de preuve qui lui étaient inconnus au moment où il s'est exprimé, car la seule question pertinente est celle de la véracité du propos (ATF 124 IV 149 consid. 3a ;
122 IV 311 consid. 2c).

Aussi longtemps qu'elle n'a pas été révoquée, l'ordonnance de non-lieu ou de classement pour insuffisance des charges fait obstacle à la preuve de la vérité dans un procès en diffamation. En revanche, un jugement d'acquittement ou une
ordonnance de non-lieu n'empêche pas l'auteur de tenter d'établir sa bonne foi (ATF 106 IV 115 consid. 2e ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2008 du 22 janvier 2009, consid. 3.3 et 3.4).

Il résulte de l'art. 173 ch. 2 CP que la bonne foi ne suffit pas, il faut encore que l'accusé établisse qu'il avait des raisons sérieuses de croire à ce qu'il disait. Un devoir de prudence incombe à celui qui porte atteinte à l'honneur d'autrui. Il ne saurait s'avancer à la légère. Pour échapper à la sanction pénale, l'accusé de bonne foi doit démontrer qu'il a accompli les actes que l'on pouvait exiger de lui, selon les circonstances et sa situation personnelle, pour contrôler la véracité de ses allégations et la considérer comme établie. L'accusé doit prouver qu'il a cru à la véracité de ses allégations après avoir fait consciencieusement tout ce que l'on pouvait attendre de lui pour s'assurer de leur exactitude. Pour dire si l'accusé avait des raisons sérieuses de tenir de bonne foi pour vrai ce qu'il a dit, il faut se fonder exclusivement sur les éléments dont il avait connaissance à l'époque de sa déclaration ; il n'est pas question de prendre en compte des moyens de preuve découverts ou des faits survenus postérieurement. Il faut donc que l'accusé établisse les éléments dont il disposait à l'époque (ATF 128 IV 53 consid. 2a ; 124 IV 149 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_479/2022 du 9 février 2023 consid. 5.2 ; 6B_1296/2021 du 30 juin 2022 consid. 5.1.2).

Comme pour la preuve de la vérité, l'auteur supporte, s'agissant de la preuve de la bonne foi, le fardeau de la preuve, la charge de la preuve et le risque de la preuve (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ, op. cit., n. 40 ad art. 173).

3.2.5. Les motifs justificatifs de la partie générale du Code pénal priment sur l'art. 173 ch. 2 CP (ATF 123 IV 97 consid. 2c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_698/2012 du 18 janvier 2013, consid. 3.3).

Conformément à l'art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi. 

L'art. 14 CP peut, dans certaines hypothèses, exclure la culpabilité en cas d'atteinte à l'honneur. La jurisprudence admet que les déclarations attentatoires à l'honneur émanant de parties à un procès et de leurs avocats puissent être justifiées par le droit d'alléguer en procédure et les obligations y relatives consacrés par la Constitution et les lois, respectivement par un devoir de fonction. En d'autres termes, le devoir procédural d'alléguer les faits constitue un devoir de s'exprimer selon l'art. 14 CP ; une partie (et son avocat) peut ainsi invoquer cette disposition à la condition de s'être exprimée de bonne foi, de s'être limitée aux déclarations nécessaires et pertinentes et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 135 IV 177 consid. 4 ; 131 IV 154 consid. 1.3.1 in JdT 2007 IV 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_575/2015 du 27 avril 2016 consid. 3.1).

L'art. 10A de la loi sur la procédure administrative [LPA] prévoit que toute personne peut porter à la connaissance des autorités des faits susceptibles d'entraîner l'ouverture d'une procédure administrative. Toutefois, une telle disposition, en tant qu'elle consacre le droit à la dénonciation, ne fonde pas à elle seule un fait justificatif garantissant l'impunité au dénonciateur quant au caractère attentatoire à l'honneur de ses déclarations (ATF 116 IV 205 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_698/2012 du 18 janvier 2013, consid. 3.3.3).

La plainte pénale et la dénonciation (Aufsichtsbeschwerde) ne justifient pas par elles-mêmes une atteinte à l'honneur. Le droit d'adresser une dénonciation à l'autorité est, cependant, garanti par des exigences moins strictes quant à la preuve de la bonne foi du dénonciateur visé par une plainte pour atteinte à l'honneur, de surcroît si ses propos comportent essentiellement des soupçons (ATF 116 IV 205 consid. 3c). Il y a lieu de distinguer selon que celui qui rapporte des faits à l'autorité ou au supérieur hiérarchique a ou non le devoir de s'exprimer. Celui qui assume une telle obligation ne doit pas être exposé au risque d'une condamnation pénale. Il bénéficie d'un fait justificatif (art. 14 CP) et n'a donc pas à rapporter la preuve de la vérité ou de sa bonne foi. Celui qui, en revanche, choisit de s'exprimer ne peut se prévaloir de cette disposition. Les motifs qui le poussent à agir déterminent les conditions et modalités auxquelles est soumise la preuve de la bonne foi (art. 173 ch. 2 CP) qui peut, selon les cas, être allégée (notamment en cas de plainte ou de dénonciation: ATF
116 IV 205 consid. 3c) ou, à l'inverse, exclue (art. 173 ch. 3 CP) (arrêt du Tribunal fédéral 6B_698/2012 du 18 janvier 2013, consid. 3.2).

3.3.1. En l'occurrence, le courrier du 21 février 2020 contient des accusations, liées au traitement, par la CDB, d'une demande de domiciliation d'avocat à l'adresse de E______ SA. Son contenu ne se limite pas à une critique de l'institution en général, mais est dirigé contre un groupe délimité au sein de celle-ci, soit les membres avocats de la Commission, au nombre de cinq, nommément désignés dès la deuxième page du courrier. Ce sont bien ces membres que l'appelant vise dans le courrier incriminé, puisque son argumentation repose sur leur intérêt économique à empêcher un acteur nouveau d'accéder au marché et de leur faire concurrence. Il leur est ainsi reproché d'avoir imposé leurs vues au sein la Commission et, surtout, d'avoir "utilisé les pouvoirs" de celle-ci pour arriver à leurs fins.

Bien qu'apparemment dirigés contre la CDB, soit une autorité de surveillance (art. 14 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats [LLCA] et 14 de la loi genevoise sur la profession d'avocat [LPAv]), qui ne jouit donc pas du droit à l'honneur, les propos litigieux visent ainsi, en réalité, l'intimé et ses pairs avocats, membres de la Commission, pris individuellement.

Bien plus, la critique est en premier lieu dirigée contre l'intimé, dont le nom apparaît plusieurs fois, en sa qualité de président de la Commission. L'appelant ne s'en défend pas. Le fait qu'il a déposé plainte pénale contre l'intimé nommément, le 4 mai 2020, ôte tout doute à ce sujet.

Affirmer que "la CDB n'hésite pas à utiliser ses pouvoirs pour faire pression et menacer un acteur du marché, non avocat, d'un dommage financier important tant qu'elle n'obtient pas dudit tiers des informations qu'elle n'a pas à recevoir", déplorer "l'abus d'autorité et la contrainte inadmissibles ici exercés par la CDB" et le fait qu'elle n'"hésite pas à abuser de son pouvoir et [à] contraindre un acteur du marché non-avocat à lui transmettre des données confidentielles et en pleine violation de la protection des données", porte objectivement atteinte, aux yeux d'un lecteur non avisé, à la considération des membres avocats de la Commission, à commencer par l'intimé.

En reprochant ainsi à Me C______ d'abuser des pouvoirs de sa charge et d'entraver E______ SA dans sa liberté d'action, en l'obligeant à renseigner la CDB, l'appelant l'accuse ni plus ni moins d'avoir commis un crime (abus d'autorité (art. 312 CP)) et un délit (contrainte (art. 181 CP)). En évoquant de telles infractions, il dénonce des comportements moralement réprouvés, par définition. Qu'une telle accusation soit effectivement portée ne laisse pas la place au doute, puisque l'appelant "réserve" expressément "tous ses droits" à ce sujet.

Ces propos dépassent la critique de la personne de métier. L'appelant ne se contente pas de dénier des qualités à l'intimé, comme président de la CDB, ou de lui imputer des défauts ou un manque d'équité dans ses décisions. Il s'agit, au contraire, de suggérer que l'intimé abuse des pouvoirs de sa charge en faisant pression sur un concurrent direct, "pour en réalité fausser le marcher, le verrouiller pour le seul profit d'une caste d'avocats traditionnels dont les membres de la CDB sont l'archétype", c'est-à-dire à des fins propres, personnelles et lucratives. Cette pression se serait exercée par la menace "d'un dommage financier important". Même à retenir que, compte tenu de son poste, exposé, l'intimé devait savoir essuyer la critique, il n'avait pas à souffrir le reproche d'infractions pénales pour autant.

Il ne fait aucun doute que la présente cause a trait à la politique de la CDB. Il faut reconnaître à l'appelant que c'est en premier lieu cette politique qu'il a voulu dénoncer le 21 février 2020, soit la manière dont la CDB conduisait ses procédures et traitait ses dossiers, jugée "discriminatoire". Les termes de son courrier le démontrent, à commencer par son titre ; le mot "politique" y apparaît à de réitérées reprises. Il en va de même de son courrier, postérieur, adressé au Conseil d'État. Et l'appelant s'en est expliqué, de façon convaincante. Cela étant, outre le fait que l'intimé, président de la CDB et avocat, n'est pas un acteur de la vie politique, devant tolérer de se faire rabaisser dans les qualités qu'il croit avoir, l'appelant n'était aucunement légitimé à le faire apparaître comme méprisable. Lui reprocher la commission d'infractions sortait du cadre normal du "débat politique". C'était une chose que de lui faire le grief de favoriser tel ou tel concurrent sur le marché et de ne pas respecter le "principe de neutralité". C'en était une autre que de jeter le soupçon sur sa droiture et de le désigner comme l'auteur d'infractions.

En conclusion, aux yeux d'un lecteur moyen, les assertions de l'appelant, reprises dans l'acte d'accusation, font apparaître Me C______, membre avocat et président de la CDB, comme une personne méprisable. C'est bien d'une conduite contraire à l'honneur dont l'appelant l'accuse.

Le fait que l'appelant dit connaître les membres avocats de la CDB, les respecter et les tutoyer n'empêche pas ce constat.

Une réserve doit être apportée. Dire de l'intimé qu'il "fait du Trump pur sucre" et use de "méthodes trumpistes" relève d'un jugement de valeur, non d'une allégation de fait, qui ne tombe donc pas sous le coup de la loi.

L'appelant a communiqué ses propos par écrit à des tiers, soit au Président du Grand Conseil, aux Présidents des partis, au Conseil d'État et à la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire. Il n'est pas établi qu'il ait approché les députés du Grand Conseil également, les versions des parties étant contradictoires sur ce point. Quant à la Chambre de commerce, elle n'est pas visée par l'acte d'accusation (art. 9 et 350 CPP).

Il importe peu que ces destinataires aient éprouvé ou non du mépris pour l'intimé ou tenu pour vraies ou non les assertions. La diffamation n'est pas une infraction de lésion.

L'appelant a agi intentionnellement. À supposer qu'il n'ait pas voulu, en soi, porter atteinte à la réputation de Me C______, comme il le soutient, il n'a pu avoir que conscience du caractère attentatoire à l'honneur de sa communication, consistant notamment à mettre en avant la commission d'infractions, et il l'a néanmoins proférée. Le dol éventuel suffit.

Partant, les conditions objectives et subjective de l'art. 173 ch. 1 CP sont réalisées.

3.3.2. Il n'y a pas de fait justificatif.

Il est vrai que l'appelant, voulant dénoncer la politique de la CDB, s'est adressé à l'autorité de surveillance supposée de celle-ci. C'était là son intention – les termes de son courrier le montrent. Sous l'influence de cette appréciation erronée des faits (art. 13 al. 1 CP), il était donc fondé à porter à la connaissance du Grand Conseil (puis de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire et du Conseil d'État) des événements susceptibles d'entraîner l'intervention de cette autorité, afin d'obtenir des améliorations au sein de la CDB et que ses "graves dérives [soient] corrigées". Devant développer et étayer sa dénonciation, l'appelant était ainsi amené à alléguer des faits et à dire ce qu'il tenait pour vrai, bénéficiant par-là d'une certaine protection, à l'aune de l'art. 14 CP. Mais il n'en demeure pas moins qu'il était tenu, lui qui n'en avait pas l'obligation mais faisait le choix de s'exprimer, de se limiter aux déclarations nécessaires et pertinentes pour convaincre ses lecteurs de la "politique discriminatoire" menée par la CDB, et des "distorsion de concurrence" et "violation de la liberté économique" prétendument commises par celle-ci. Il ne pouvait faire état d'abus d'autorité et de contrainte ; ce d'autant moins qu'il ne les présentait pas comme de simples suppositions, mais comme des infractions avérées, réalisées. Ainsi, si Me A______ avait le droit de parler et de dénoncer des faits, il devait exercer ce droit dans le respect de l'honneur d'autrui. Il a failli sur ce point.

À cela s'ajoute que les Présidents de partis ne sont pas une autorité de surveillance. Le prévenu ne saurait donc se prévaloir d'un fait justificatif en ce qui les concerne.

La question de savoir si les termes du recours de Me F______ du 10 février 2020, attentatoires à l'honneur aux yeux de l'intimé, car comparables à ceux du courrier de l'appelant du 21 février 2020, auraient été couverts par l'art. 14 CP dans la procédure administrative diligentée par-devant la Chambre administrative de la Cour de justice, ce qui a semble-t-il amené l'intimé à renoncer au dépôt d'une plainte pénale, peut rester ouverte.

Les conditions d'application de l'art. 32 CP (indivisibilité) ne sont pas remplies car Me F______ et l'appelant, auteurs (théoriques) d'infractions distinctes, ne sont pas des participants au sens de cette disposition.

3.3.3. L'appelant doit être admis à la preuve libératoire.

Son but, en rédigeant le courrier litigieux, était notamment de préserver les intérêts de E______ SA, dont il était l'administrateur. À le suivre, celle-ci essuyait quelque CHF 15'000.- de pertes par mois et était asphyxiée financièrement suite au revirement de la CBD, dont la politique consistait désormais à refuser, contre toute attente, les nouvelles demandes d'inscriptions d'avocats. Les propos incriminés s'inscrivent dans ce contexte. Ce n'est donc pas sans motif suffisant (d'intérêt privé) que ceux-ci ont été tenus. On ne saurait par conséquent refuser à l'appelant la preuve libératoire, qui constitue au demeurant la règle.

La question de savoir si l'appelant a agi principalement dans le but de dire du mal de l'intimé peut, à l'aune de l'art. 173 ch. 3 CP, rester ouverte.

3.3.4.1. Sous l'angle de l'art. 173 ch. 2 CP, Me A______ est dans l'impossibilité d'apporter la preuve de la vérité. Il n'est pas en mesure de démontrer que les allégations qu'il a propagées, portant sur la commission d'abus d'autorité et de contrainte, sont vraies. Au contraire. L'ordonnance de non-entrée en matière du 17 septembre 2020, confirmée par l'arrêt de la CPR du 12 janvier 2020, sont pour lui rédhibitoires ("Les éléments objectifs des infractions aux art. 312 CP, subsidiairement 181 CP, ne sont […] pas réalisées. Il en va de même des conditions subjectives"). L'appelant ne prétend d'ailleurs pas pouvoir apporter une telle preuve.


 

3.3.4.2. Sous l'angle de la preuve de la bonne foi, il faut relever ce qui suit.

L'appelant a livré un récit constant : forte de l'arrêt du Tribunal fédéral de juin 2019, E______ SA – plus précisément les avocats concernés – avait obtenu de la CDB deux décisions positives, avant qu'elle ne se heurte, la troisième fois, à un refus inexpliqué et empreint de la mauvaise foi de son Président, avec pour conséquence la nécessité d'un "deuxième tour judiciaire". Que le prévenu ait eu des raisons suffisantes de s'en offusquer peut se concevoir. Qu'il ait dénoncé de bonne foi la "dérive" "politique" de la CDB peut s'entendre.

Encore faut-il qu'il établisse qu'il avait des raisons sérieuses de croire à ce qu'il affirmait, en accusant l'intimé de s'adonner à l'abus d'autorité et à la contrainte, qu'il disposait d'éléments concrets sur lesquels s'appuyer pour ce faire, la (seule) bonne foi ne suffisant pas. Or on cherche en vain quelles pourraient être ces raisons.

Certes, l'appelant a fini par déposer plainte pénale pour infractions aux art. 312 et 181 CP le 4 mai 2020, ce qui appuie sa position.

Mais il ne saurait prétendre avoir été de bonne foi dans ses accusations d'infractions, sachant que :

·         Rien au dossier ne suggère que l'intimé en aurait commises à la tête de la Commission. Il n'y a pas le moindre document susceptible de l'étayer, ni même de le suspecter. Et aucun témoignage ne vient l'asseoir ;

·         Il fonde et justifie ses accusations sur le courrier de la CDB du 4 février 2020. Or le contenu de ce courrier ne souffre pas la critique, comme le relèvera la CPR ultérieurement : la CDB pouvait non seulement requérir de E______ SA, tiers à la procédure, qu'elle la renseigne, mais encore suspendre toute demande dans l'attente des informations requises, pour pouvoir statuer en connaissance de cause (art. 27 al. 1, respectivement 20 al. 1 LPA), ces moyens et but n'étant ni abusifs ni illicites ni disproportionnés. Juriste de formation et avocat, l'appelant ne pouvait ignorer la teneur de ces articles de loi et, à supposer qu'il les ignorât, il se devait de contrôler la véracité de ses allégations en procédant préalablement à toute vérification. En s'indignant du courrier du 4 février 2020 et en retenant d'emblée, par un raccourci choquant, que la CDB commettait, ce faisant, des infractions, l'appelant n'a pas fait consciencieusement ce que l'on pouvait attendre de lui pour s'assurer de l'exactitude de son propos. Il suffisait qu'il se réfère aux dispositions de la LPA pour se convaincre qu'aucune infraction n'était réalisée ;

·         Il a évolué, à cet égard, dans ses déclarations. S'il a initialement soutenu que les informations requises par la CDB n'avaient "pas à lui être communiquées car relevant du secret commercial et de la protection des données", il a fini par admettre que la requête de la Commission était "légitime". Cette concession ébranle la bonne foi alléguée ;

·         Les infractions dénoncées auraient été commises dans le but, selon lui, de préserver les intérêts économiques des membres avocats de la Commission. Or les quelques demandes de domiciliation pendantes auprès de E______ SA n'étaient pas susceptibles, vu leur (très) faible nombre, de concurrencer les Études traditionnelles et d'influer sur les intérêts en question. Ce d'autant moins au regard des 2'700 à 2'800 avocats déjà inscrits au registre cantonal. Le mobile prêté à l'intimé – "le seul profit d'une caste d'avocats traditionnels" – apparaît donc peu consistant, voire artificiel, ce qui affaiblit le propos, la bonne foi mise en avant ;

·         Bien que le fardeau de la preuve lui incombe, il ne propose l'audition de témoins qu'en lien avec les conditions d'application de l'art. 173 ch. 1 CP (interprétation à attribuer aux propos incriminés), non en lien avec l'art. 173 ch. 2 CP (preuve libératoire). C'est le signe de son incapacité de faire la preuve de la bonne foi.

Il en résulte l'impossibilité de retenir l'existence de raisons sérieuses, pour l'appelant, de croire à ce qu'il affirmait. Il ne disposait pas d'éléments suffisants pour écrire ce qu'il a écrit, de raison sérieuse de tenir ses propos pour vrais. Il échoue dans la preuve qui lui incombe.

La preuve de la bonne foi ne saurait être "allégée" au sens de la jurisprudence (cf. 3.2.5 supra) car l'appelant ne s'est pas contenté d'évoquer de simples soupçons.

Quant au recours de Me F______, auquel, bien que de contenu diffamant, l'intimé n'a pas réagi, on cherche en vain en quoi il aurait amené l'appelant à croire de bonne foi, en tenant des propos quasi-identiques onze jours plus tard, à la véracité de ceux-ci. Il n'en demeure pas moins qu'il n'a rien fait pour s'assurer de leur exactitude.

Me A______ sera par conséquent déclaré coupable de diffamation.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

3.3.5. L'appelant n'a pas fait la preuve de la vérité de ses allégations. La CPAR devrait le constater formellement dans son dispositif, conformément à l'art. 173 ch. 5 CP. Cela étant, il y sera renoncé. D'abord, l'intimé n'indique pas qu'il entend obtenir un tel constat (ATF 80 IV 250). Ensuite, ce point n'est pas discuté en appel.

4. 4.1. La peine sera fixée d'après la culpabilité de l'auteur. La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures. Il sera tenu compte des antécédents de l'auteur, de sa situation personnelle ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir (art. 47 CP).

4.2. Le TP ayant correctement tenu compte des critères de l'art. 47 CP, il peut être renvoyé à son exposé des motifs, que la CPAR fait siens (art. 82 al. 4 CPP ; ATF 141 IV 244 consid. 1.2.3). La peine, au demeurant non-discutée à titre subsidiaire, sera par conséquent confirmée, tout comme le montant du jour-amende et l'amende, adéquats (art. 34 et 42 al. 4 CP). Le sursis est acquis à l'appelant (art. 391 al. 2 CPP).

Vu l'issue de la cause, les conditions d'application de l'art. 68 al. 2 CP (publication du jugement) ne sont pas réalisées.

5. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État, qui comprennent un émolument de CHF 2'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 14 al. 1 let. e RTFMP).

Il n'y a pas lieu de revoir les frais fixés par l'autorité inférieure (art. 428 al. 3 CPP a contrario).

L'intimé, qui obtient gain de cause, peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 let. a et 436 al. 1 CPP). La durée de l'activité à indemniser s'élève à cinq heures et trente minutes au tarif horaire de CHF 450.- (avocat chef d'étude), correspondant à un montant de CHF 2'475.-, en lien avec la procédure d'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/534/2023 rendu le 8 mai 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/8804/2020.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 2'825.-, qui comprennent un émolument de CHF 2'500.-.

Condamne A______ à verser à C______, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure, CHF 2'475.-.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Déclare A______ coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 30 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 1'350.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne A______ à une amende de CHF 8'100.- (art. 42 al. 4 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution de 81 jours.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Condamne A______ à verser à C______ CHF 4'819.60, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'100.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

[…]

Condamne A______ à payer un émolument complémentaire de CHF 600.- à l'Etat de Genève."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Anne-Sophie RICCI

 

Le président :

Fabrice ROCH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'700.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

140.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

110.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

2'825.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

4'525.00