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Décisions | Tribunal pénal

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P/69/2008

JTCR/3/2014 du 06.06.2014 ( PENAL ) , JUGE

Normes : CP.111 CP
En fait
En droit

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL CRIMINEL

Chambre 5


6 juin 2014

 

MINISTÈRE PUBLIC

Madame D. S. V., domiciliée ________, partie plaignante, assistée de Mes Alexandra LOPEZ et Alec REYMOND

c/

Monsieur S., né le ____, domicilié ________, prévenu, assisté de Mes Florian BAIER et Giorgio CAMPA


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut à ce qu'un verdict de culpabilité soit prononcé à l'encontre de S. pour toutes les infractions retenues dans l'acte d'accusation, soit pour dix assassinats, dont neuf en tant que coauteur et un en tant qu'auteur direct. S'agissant de la peine, il conclut à ce que S. soit condamné à la prison à vie. Il conclut à ce que la détention de sûreté de S. soit prolongée.

S'agissant de la demande d'indemnisation de la partie plaignante, il s'en rapporte à justice. Il conclut au rejet de la demande d'indemnisation du prévenu.

Me Alexandra LOPEZ et Me Alec REYMOND, Conseils de D. S. V., concluent à ce qu'un verdict de culpabilité soit prononcé à l'encontre de S. s'agissant de tous les actes mentionnés dans l'acte d'accusation. Ils concluent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions civiles déposées le 15 mai 2014.

Me Florian BAIER et Me Giorgio CAMPA concluent à l'acquittement de S. et à ce qu'il soit fait droit à leurs conclusions en indemnisation.


 

EN FAIT

A. De l’accusation

a. Par acte d'accusation du 10 janvier 2014, il est reproché à S., alors qu'il était Directeur général de la Police nationale civile du Guatemala (ci-après : "PNC") d’avoir :

- entre janvier et septembre 2006, parallèlement à un plan officiel intitulé PAVO REAL visant à la reprise du contrôle effectif de la prison "Ferme de réhabilitation de PAVON", sise au Guatemala, secrètement décidé et planifié, avec les plus hautes autorités policières, pénitentiaires et politiques de ce même pays – soit notamment avec A______ et B______ –, l'élimination physique des prisonniers les plus influents incarcérés dans ledit centre de détention, lors d'une opération prévue le 25 septembre 2006;

- lors de l'opération du 25 septembre 2006 débutée vers 06h00, donné l'ordre à un groupe d'individus lourdement armés, cagoulés et portant des uniformes de type "SWAT", de pénétrer dans le centre de détention, d'identifier et de séparer du reste de la population carcérale les prisonniers dont l'élimination avait été décidée, étant précisé que sept détenus ont ainsi été mis à l'écart, soit V1, V2 (alias "C______"), V3, V4, V5 (alias "D______"), V6 et V7, lesquels, totalement maîtrisés et n'opposant aucune résistance, ont été emmenés de force à l'endroit où vivait V4, où ils ont été tués par des projectiles d'armes à feu tirés par les membres du groupe précité, selon le plan et les instructions décidés en tout ou en partie par S., à l'exception de V5, lequel a été tué directement par S.;

- supervisé, à la suite des exécutions décrites supra, des manipulations des scènes de crime afin de faire croire à un affrontement armé entre les forces de l'ordre et les détenus, dans le but de dissimuler lesdites exécutions.

Faits qualifiés d'assassinats au sens de l'art. 112 CP.

b. Il est également reproché à S. d’avoir, parallèlement à un plan officiel intitulé "Plan Gavilan", lequel visait la constitution de groupes composés de membres des différents corps de la PNC afin de rechercher et capturer dix-neuf détenus évadés le 22 octobre 2005 du centre pénitentiaire EL INFIERNITO, sis dans le département d'Escuintla au Guatemala, élaboré et décidé, avec les plus hautes autorités du Ministère de l'Intérieur, un plan selon lequel lesdits évadés, une fois repris, devraient non pas être remis aux autorités pénitentiaires mais exécutés, et, dans ce but, constitué un groupe spécial constitué notamment de membres de la PNC, dont E______, lequel se trouvait sous les ordres de S. dans la hiérarchie de la PNC.

b.a. Le 3 novembre 2005, donné ordres, instructions et autorisations d'agir à E______ avec lequel il était en contact permanent, alors qu'à cette même date l'un des détenus évadés, soit V8, avait été capturé à l'intérieur d'une habitation sise à F______, Guatemala, que E______ avait ordonné le transfert dudit détenu, lequel était maîtrisé et menotté, au kilomètre 136,5 de la route menant à Guatemala City dans le secteur connu sous le nom de "Rio Hondo", département de Zacapa, que vers 14h00, sur instruction de E______, V8 a été placé sur le siège avant passager d'un véhicule MITSUBISHI LANCER alors qu'avait pris place, sur le siège arrière dudit véhicule, G______, lequel a ensuite tué V8 en lui tirant dans la tête avec une arme à feu emballée dans un T-Shirt, étant précisé qu'une mise en scène a ensuite été effectuée pour faire croire à un affrontement entre le détenu et les forces de l'ordre, dans le but de dissimuler que V8 avait été exécuté.

Faits qualifiés d'assassinat au sens de l'art. 112 CP.

b.b. Il est enfin reproché à S., alors qu'il était Directeur général de la PNC, dans le cadre du plan parallèle à celui, officiel, décrit sous A.b., d’avoir donné ordres, instructions et autorisations d'agir à E______, avec lequel il était en contact permanent, alors que, le 1er décembre 2005, deux des détenus évadés le 22 octobre 2005, soit V9 et V10, avaient été localisés à l'aube dans un lieu appelé "Las Cuevas" dans le département de Santa Rosa, Guatemala, qu'une équipe formée par des membres de la PNC et dirigée par E______ s'était rendue sur les lieux, que les deux fugitifs, qui ne s'étaient pas opposés, avaient été interpellés, neutralisés et maîtrisés et que, quelques instants après l'interpellation, V9 et V10 avaient été exécutés par les membres de l'équipe de E______ ou H______ sur ordre et avec l'aval de S., par des tirs d'armes à feu.

Faits qualifiés d'assassinat au sens de l'art. 112 CP.

B. Contexte politique à l'époque des faits

a. S., qui possède les nationalités guatémaltèque et suisse, a été nommé Directeur général de la PNC par le Ministre de l'Intérieur du Guatemala, soit à l'époque A______, en date du 22 juillet 2004 (201'746). S. a occupé ce poste, soit le plus élevé dans la hiérarchie de la PNC, jusqu'au 27 mars 2007 (200'075, trad. 200'092). Peu après la fin de son activité à la tête de ladite institution, S. a quitté le Guatemala pour s'installer durablement à Genève, départ intervenu à la fin du mois d'avril 2007 selon ses propres termes (500'013).

A l'époque où S. occupait la fonction de Directeur général de la PNC, les personnes suivantes occupaient, au Guatemala, des fonctions politiques dirigeantes, respectivement des fonctions hiérarchiques au sein de la PNC ou du système pénitentiaire :

- Oscar BERGER était Président de la République du Guatemala du mois de janvier 2004 au mois de janvier 2008.

- A______ était "Ministro de Gobernación", fonction analogue à celle de Ministre de l'Intérieur. Il a été nommé par Oscar BERGER le 22 juillet 2004 (201'649) et a démissionné au cours de l'année 2007 (201'652). La PNC, tout comme le système pénitentiaire du Guatemala, dépendaient du Ministère de l'Intérieur.

- B______ était Sous-Directeur général au sein de la PNC, d'abord dans la division de la santé policière, soit dès le 1er août 2005 (201'688), puis dans la division des enquêtes criminelles, soit dès le 13 janvier 2006, un terme ayant été mis à son contrat le 16 mars 2007 (201'696).

- E______ était commissaire au sein de la Direction générale de la PNC, dans la division des enquêtes criminelles. Selon les pièces figurant à la procédure, il a été nommé le 2 septembre 2003 (201'729), un terme ayant été mis à son contrat le 22 août 2007 (201'731).

- I______ était Directeur général du système pénitentiaire. Il a été nommé à cette fonction le 7 novembre 2005 par Oscar BERGER (201'744).

- J______ était chef assesseur en matière de sécurité au sein du système pénitentiaire du 1er mai 2006 au 15 novembre 2007 (procès-verbal du Tribunal criminel du 26 mai 2014, p. 15).

- GP1 était conseiller en sécurité au sein du système pénitentiaire du 1er juillet 2006 au 16 octobre 2006, date de sa démission (450'109, trad. 450'131 et 201'754).

En dehors des hiérarchies mentionnées supra, H______ était, à l'époque des faits, employé de longue date en tant que conseiller du Ministère de l'Intérieur (210'045, trad. 210'108). Par ailleurs, il ressort d'une attestation du 19 mars 2007 émise par la PNC que les frères K______ et L______ ont travaillé ad honores pour le compte de la PNC (202'030, trad. 451'244). Tant H______ que les frères K______ et L______ sont aujourd'hui décédés (ayant apparemment été assassinés).

Ouverture d'enquêtes au Guatemala et en Suisse

b.a. Le 12 décembre 2006, l'Organisation des Nations Unies (ci-après : "ONU") et la République du Guatemala ont conclu un accord, entré en force le 4 septembre 2007, portant sur la création d'un organisme indépendant et extérieur à l'ONU, soit la Commission Internationale Contre l'Impunité au Guatemala (ci-après : "CICIG"). La mise en place de cette Commission faisait suite à une demande formulée par le Gouvernement guatémaltèque, lequel souhaitait bénéficier de soutien dans la conduite d'investigations ainsi que le démantèlement de groupes de sécurité illégaux et d'organisations clandestines de sécurité. Ces derniers étaient définis comme des groupes, liés directement ou indirectement à des agents de l'Etat, qui commettaient en toute impunité des actes illicites portant atteinte au plein exercice des droits civils et politiques. Parmi ceux-ci figurait en particulier le droit à la vie, que le Guatemala s'était engagé, par divers traités internationaux, à protéger.

Afin d'accomplir sa mission, la CICIG possède notamment la compétence de conduire ses propres investigations et, à cette fin, de mettre en place et de superviser une équipe d'enquête, formée de professionnels – locaux ou étrangers – qualifiés. Un Ministère public spécial, détaché auprès de la CICIG, a été institué dans le but de faciliter et d'améliorer la collaboration entre cette dernière et le Ministère public du Guatemala. Ce Procureur spécial pour la CICIG est chargé d'enquêter sur les dossiers choisis par la Commission et le Ministère public du Guatemala (cf. 500'180 et 500'184).

Un rapport sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a été publié le 19 février 2007 par le Rapporteur spécial des Nations Unies, Philip ALSTON (ci-après : "le rapport ALSTON"). Ce rapport, rédigé suite à une enquête menée entre les 21 et 25 août 2006, révélait que le Guatemala était touché par un certain nombre de phénomènes violents parmi lesquels, entre autres, l'élimination des individus "socialement indésirables" dont l'Etat était parfois directement responsable. Plus précisément, de nombreux faits concouraient à indiquer que certains actes de nettoyage social – exécution de membres de gangs, de personnes suspectées d'actes criminels et d'autres "indésirables" – étaient commis par les forces de la PNC. Selon le rapport, ces actes n'étaient pas uniquement l'œuvre d'officiers "insoumis" ou "voyous", mais également le résultat probable d'une pratique institutionnelle. Le fait que ces exécutions étaient si répandues était clairement à mettre sur le compte d'un manque de volonté politique (100'388ss).

Se fondant, d'une part, sur les informations précitées ressortant du rapport ALSTON et, d'autre part, sur des renseignements relatifs à l'existence d'une structure parallèle effectuant du nettoyage social, relayés via un organisme étatique de protection des droits de l'homme au Guatemala, soit le "Procurador De Los Derechos Humanos" (ci-après : "PDH"), la CICIG a débuté, dans le courant de l'année 2008, des activités d'investigations notamment en lien avec des décès survenus dans le cadre des opérations "PAVON" et "GAVILAN" (500'161, 500'180 et procès-verbal du Tribunal de Ried Im Innkreis, p. 15ss). Dans la première de ces opérations datée du 25 septembre 2006, sept détenus avaient trouvé la mort lors d'une intervention des forces étatiques visant officiellement à reprendre le contrôle du centre pénitentiaire de PAVON. S'agissant de la seconde opération, dont le plan prévoyait, dans sa version officielle, la recapture de détenus évadés du centre de détention EL INFIERNITO le 22 octobre 2005, trois prisonniers avaient perdu la vie.

A l'issue de ses enquêtes, la CICIG a considéré que, durant l'exercice de ses fonctions en tant que Directeur général de la PNC, S. avait formé, entre autres avec A______, B______, H______, E______, I______ et J______, une structure criminelle clandestine. Celle-ci avait eu pour but de commettre, de manière systématique, des actes criminels, soit plus précisément des exécutions extrajudiciaires (200'092ss). De telles exécutions avaient été commises, dans le cadre de l'opération "PAVON", à l'encontre de V1, V2, V3, V4, V5, V6 et V7 (200'102ss). S'agissant de l'opération "GAVILAN", les exécutions extrajudiciaires de V8, de V9 et de V10 étaient, selon la CICIG, également imputables à la structure criminelle précitée (200'097ss et 200'100ss).

Se fondant sur le résultat des enquêtes menées par la PDH et la CICIG, les autorités judiciaires guatémaltèques ont émis, le 6 août 2010, dix-huit mandats d'arrêt, dont l'un était dirigé directement contre S. (202'053ss et 202'062). Ce dernier se trouvait alors déjà domicilié sur le territoire suisse.

b.b. Par courrier du 25 février 2009, M______, N______, O______, P______ et Q______ ont déposé une dénonciation, complétée les 30 août 2010 et 27 janvier 2011, auprès du Ministère public de Genève. Cette dénonciation faisait référence, outre à certains faits non reprochés à S. dans la présente procédure, aux exécutions extrajudiciaires des sept détenus commises dans le cadre de l'opération "PAVON" (100'358ss), ainsi qu'à celles des trois détenus évadés intervenues dans le cadre du plan "GAVILAN" (100'678ss).

Diverses pièces étaient annexées à cette dénonciation, soit en particulier des rapports relatifs à l'existence d'exécutions judiciaires au Guatemala – dont le rapport ALSTON – émanant de différentes organisations internationales, une présentation informatique établie par la PDH dans le cadre de son enquête sur l'opération "PAVON" (100'686) et un rapport établi par la CICIG, dans lequel figuraient notamment des photographies prises au cours de cette même opération (100'708ss).

Le 19 avril 2011, S. a été entendu en tant que personne appelée à donner des renseignements lors d'une audience devant le Ministère public de Genève. S'agissant des évènements survenus à PAVON, il a indiqué avoir appris, vers la fin de l'opération et de la bouche d'un conseiller du Ministre de l'Intérieur, que des prisonniers étaient décédés dans le cadre d'un affrontement avec les forces de l'ordre. Concernant le plan "GAVILAN", S. a déclaré n’avoir rien à voir avec la planification, la coordination et l'exécution de cette opération, laquelle avait été déléguée par le Ministère de l'Intérieur à l'un de ses conseillers (500'003ss).

Par commission rogatoire internationale du même jour adressée à son homologue guatémaltèque, le Ministère public de Genève a demandé à ce que lui soient communiqués notamment le rapport de synthèse de l'enquête effectuée au Guatemala en relation avec S. et tous les éléments de preuve, à charge et à décharge, permettant d'établir ou de dénier l'éventuelle implication de celui-ci dans les opérations "PAVON" et "GAVILAN" (200'001ss).

Dans sa réponse transmise le 21 septembre 2011 (200'039), le Ministère public spécial pour la CICIG, intervenant pour le compte du Ministère public du Guatemala, a fourni un exposé circonstancié des faits qu'il considérait imputables à S., notamment en relation avec lesdites opérations (200'092ss). Il a, à cet égard, transmis au Ministère public genevois une quantité importante de pièces issues de la procédure menée au Guatemala, soit en particulier divers rapports, de nombreuses photographies et vidéos ainsi que les procès-verbaux et retranscriptions de plusieurs dizaines de témoignages recueillis dans le cadre des investigations de la CICIG. Ces éléments versés à la présente procédure seront présentés plus en détails dans la suite du présent jugement.

Par courrier du 13 juin 2012, P______ a fait parvenir au Ministère public genevois deux DVD. Sur ces derniers figurait un entretien filmé avec R______, ressortissant français détenu à la prison de PAVON pendant plus de 15 ans, soit notamment à l'époque de l'opération du 25 septembre 2006 (605'002ss). Il ressortait en particulier de cet entretien que R______ affirmait avoir vu, lors de l'intervention du 25 septembre 2006, S. exécuter V5 en lui tirant une balle dans la tête (605'029).

Un mandat d'amener ayant été délivré à son encontre par le Ministère public genevois, S. a été interpellé par la police le 31 août 2012 puis placé en détention provisoire (801'005 et 801'018ss).

C. Des opérations PAVON

a.a. Le centre de détention de PAVON, inauguré à la fin des années 1960, devait à l'origine servir à la réhabilitation des détenus via des projets de production agricole, projet toutefois abandonné par la suite. A l'époque de l'intervention des forces étatiques du 25 septembre 2006, ladite prison, qui comptait plus de 1'800 prisonniers, n'était depuis longtemps plus gérée ni contrôlée par les autorités pénitentiaires guatémaltèques. Dans ce contexte, les détenus eux-mêmes avaient constitué un "Comité d'ordre et de discipline", lequel était, en apparence, censé assurer ces tâches de gestion et de contrôle au sein de l'établissement pénitentiaire (cf. 451'086ss, 500'101 et 500'145). Il s'est toutefois avéré qu'au lieu de veiller à ce que l'ordre soit maintenu au sein de l'établissement pénitentiaire, ledit comité a rapidement fait preuve d'attitudes arbitraires, s'adonnant par ailleurs à toutes sortes d'activités criminelles, soit notamment la fabrication et la vente de stupéfiants, des extorsions et des enlèvements (451'088ss, 500'437).

a.b. S'agissant de la réaction des autorités face à cette situation, un document émanant de la Direction générale du système pénitentiaire du Guatemala, intitulé "Plan des operaciones 'Pavoreal' 2006" (200'973ss et 450'755ss, trad. 450'766ss), a été élaboré. Il résulte de ce plan que le centre de détention de PAVON avait perdu, dans l'ensemble, sa vocation de réinsertion et s'était transformé en un centre opérationnel de la criminalité organisée. Pour la Direction du système pénitentiaire, il était par conséquent nécessaire de procéder à une réorganisation de l'établissement, avec pour objectifs affichés, d'une part, la reprise du contrôle sur celui-ci, contrôle à l'époque aux mains du Comité d'ordre et de discipline et, d'autre part, la réintroduction des procédures légales en matière de détention. Parmi les institutions censées participer à cette opération, mention était notamment faite de la PNC, du Ministère de la défense nationale, du Ministère public et de la PDH (200'974, trad. 450'767). S'agissant plus particulièrement de la PNC, le plan prévoyait, en son point 6, que la Direction générale de cette dernière devait fournir le soutien nécessaire demandé par la Direction générale du système pénitentiaire (200'979, trad. 450'772).

Le plan de l'opération, dont le commandement principal incombait au Directeur général du système pénitentiaire (200'983, trad. 450'776), prévoyait trois phases. Lors de la première de ces phases, soit celle de positionnement, de contrôle et de transfèrement, les forces étatiques étaient tout d'abord chargées de sécuriser le périmètre de la prison. Cela fait, l'explosion de quatre charges devait marquer le début de l'opération. Le Directeur du système pénitentiaire, ou son assistant, était alors chargé d'appeler les détenus à se rassembler, de manière pacifique, sur la place principale de la prison, préalablement à l'entrée dans l'établissement de véhicules blindés via des brèches ouvertes à certaines extrémités du site. Quatre groupes d'élite des gardiens de prison, chacun renforcé par cinq agents de la PNC mis à disposition par celle-ci –, devaient ensuite prendre position pour surveiller et contrôler les détenus, puis les faire sortir un à un ces derniers, après un contrôle d'identité au poste de commandement. Une fois celui-ci effectué, les détenus devaient être remis aux agents de la PNC en vue de leur transfèrement vers PAVONCITO, établissement pénitentiaire annexe – et sis à proximité – de PAVON. La seconde phase du plan consistait en la fouille, une fois les détenus contrôlés, de l'intérieur de la prison par les employés du système pénitentiaire. Ceux-ci étaient en particulier chargés de rechercher des armes, des explosifs, des drogues ou tout autre objet interdit. Au cours de cette étape de fouille, la sécurité des gardiens de prison devait être assurée par des agents de la PNC. Enfin, la troisième phase du plan consistait en la réorganisation du centre de détention de PAVON.

Il était mentionné, dans une section du plan consacrée à la coordination des opérations, que le transfèrement et la sécurité des détenus relevaient de la responsabilité de la "Direction de la sécurité de la Direction générale du système pénitentiaire", en collaboration avec la Direction générale de la PNC et le Ministère de la défense nationale (200'981, trad. 450'774). Dans l'éventualité d'une atteinte à l'ordre public en raison de l'utilisation d'armes à feu par les détenus ou des personnes extérieures au centre, les gardiens de prison, les agents de la PNC et le personnel militaire étaient autorisés à faire usage des moyens nécessaires, y compris de leurs propres armes. Cet usage de la force devait toutefois respecter les principes relatifs à la légitime défense et à l'état de nécessité, tels que définis par le droit guatémaltèque (200'982, trad. 450'775). En cas de blessés, ceux-ci devaient recevoir les soins nécessaires et être évacués vers un centre médical. Dans l'éventualité d'un décès, un périmètre de sécurité devait être établi afin de préserver la scène de toute contamination (200'979, trad. 450'772). Il était enfin indiqué que, durant l'intégralité de l'opération, les droits de l'homme et les lois nationales en vigueur devaient être respectés (200'982, trad. 450'775).

a.c. Concernant la planification officielle de l'opération PAVON, un ordre de service n° 013-2006 à l'en-tête du Commissariat n°X du District central de la PNC, a été libellé et signé par PNC1. Il est daté du 24 septembre 2006 (200'986ss, trad. 450'805ss). Ce document, intitulé "Soutien au système pénitentiaire dans le contrôle, l'inspection, et le replacement d'inculpés du Centre de Réinstauration Constitutionnelle PAVON", faisait suite à la demande adressée par le Directeur général du système pénitentiaire, I______, à son homologue au sein de la PNC, S. (200'987, trad. 450'807s).

En substance, cet ordre de service fournissait les détails du soutien que devait apporter la PNC au service pénitentiaire dans le cadre de l'opération "PAVOREAL". La mission de base était, comme dans le plan dont il était dérivé, de soutenir les autorités du système pénitentiaire dans la reprise du contrôle interne de la prison, dans la classification et le replacement de la population carcérale ainsi que dans la recherche d'objets en lien avec des délits (200'991, trad. 450'815). Indépendamment des effectifs mis à disposition par les autres institutions, il était prévu que 1'981 agents de la PNC participent à cette mission. S'agissant de la répartition de ces derniers, le document précité indiquait notamment qu'une partie du personnel de la PNC, de l'armée et du système pénitentiaire serait répartie en sept équipes de travail, lesquelles pénètreraient dans le centre de détention pour contrôler les prisonniers et sécuriser la zone. Les officiers supérieurs devaient, de manière générale, insister auprès de leurs subordonnés pour que l'action policière respecte les lois en vigueur, en particulier les droits de l'homme. Le personnel de la PNC ne devait pas porter d'armes à feu, exception faite, dans chacune des équipes précitées, d'un "noyau de personnes de réserve" aptes à faire face à une éventuelle attaque armée de la part des détenus (200'992, trad. 450'817). S'agissant de l'usage desdites armes, l'ordre de service rappelait qu'il n'était admis qu'en cas de nécessité, par exemple en cas de légitime défense, et uniquement dans le respect des principes d'opportunité et de proportionnalité (200'993s, trad. 450'820). En outre, le document prévoyait, tout comme le plan original, que les blessés éventuels devaient être pris en charge médicalement dans les délais les plus brefs (200'994, trad. 450'821). Enfin, tous les employés de la PNC étaient tenus de porter leur uniforme – y compris ceux qui n'en portaient pas en temps habituel – afin de permettre l'identification de leur unité (200'992, trad. 450'817).

Parmi les documents annexés à cet ordre de service, figurent notamment deux plans du centre de détention et un schéma : sur le premier plan, intitulé "Croquis del centro de reinstauraciòn constitucional Pavón, Fraijanes", deux points d'entrée pour l'opération sont indiqués (201'011); il ressort par ailleurs du second plan, intitulé "Cuetas de poder" (201'148), et du schéma nommé "Comité de PAVON" (201'178), que les noms de certains détenus, ainsi que leur lieu de résidence étaient également mentionnés, en particulier ceux des membres du Comité d'ordre et de discipline ou des détenus influents au sein de la prison.

De la version "officielle" du déroulement des évènements du 25 septembre 2006

b.a. L'opération "PAVON" s'est déroulée en date du 25 septembre 2006.

A la suite de celle-ci, le Commissariat n° X de la PNC a rédigé deux comptes-rendus aux contenus globalement similaires. Le premier était destiné au Directeur général de la PNC, soit S. (201'034ss, trad. F-279ss), tandis que le second était adressé au Ministère public du Guatemala (201'053ss, trad. F–263ss).

Les informations qui ressortent de ces rapports sont, en substance, les suivantes. Le 25 septembre 2006 à 06h00, 1'980 agents de la PNC – sous le commandement du Commissaire général PNC1 et d'autres Commissaires –, 1'200 membres de l'armée du Guatemala, "un groupe" de sécurité du système pénitentiaire et du personnel du Ministère public s'étaient mobilisés au centre pénitentiaire pour l'intervention. Lorsque, en exécution de l'ordre de service n° 013-2006, lesdits groupes avaient pénétré dans la prison, des détenus avaient ouvert le feu dans leur direction afin d'éviter la fouille. Dans le cadre de cet affrontement, sept détenus avaient trouvé la mort et un autre prisonnier, soit BG______, avait été blessé au pied (201'034, F-279).

S'agissant des détenus décédés, il était mentionné que des représentants du Ministère public de l'agence des Délits contre la vie avaient dressé, à 10h34 dans une habitation sise dans le secteur de la prison surnommé "Las Champas", des procès-verbaux relatifs aux personnes suivantes : V5, découvert au premier niveau du logement, détenait dans la poche droite de son pantalon une grenade à fragmentation, étant précisé que deux cartouches de calibre indéterminé se trouvaient sur son côté; un homme indéterminé (plus tard identifié comme étant V7), découvert au premier niveau à proximité du passage menant au second étage, tenait dans sa main gauche une grenade à fragmentation; V4, découvert au second niveau de l'habitation, était positionné sur un fusil d'assaut raccourci, lequel contenait un magasin avec onze cartouches à l'intérieur, étant par ailleurs précisé qu'un poignard se trouvait sur son côté. A 10h51, d'autres représentants du Ministère public avaient dressé, dans le même secteur de la prison mais en dehors du logement précité, les procès-verbaux relatifs aux décès des personnes suivantes : un homme indéterminé (plus tard identifié comme étant V2), découvert dans un "abri de bambou", tenait dans sa main droite une grenade à fragmentation; V6, découvert également dans un "abri de bambou", était positionné à proximité d'un fusil d'assaut raccourci de calibre 5.53 mm – 15 douilles et 8 cartouches de calibres indéterminés se trouvaient également sur les lieux –, étant précisé qu'un pistolet automatique de calibre 3.80 mm ainsi que deux magasins tubulaires – contenant respectivement cinq et onze cartouches du même calibre – étaient dissimulés dans un trou, hors de l'abri. Enfin, à 11h20, d'autres représentants du Ministère public encore avaient rédigé, dans le secteur dit "des ateliers", des procès-verbaux en relation avec les défunts suivants : S______ (en réalité V1), découvert dans la cour d'une maison, tenait dans sa main droite une grenade à fragmentation; un homme inconnu (par la suite identifié comme étant V3) tenait dans sa main droite une grenade à fragmentation (201'053ss, trad. F–263ss).

Les rapports faisaient état du fait que les armes, munitions et engins explosifs découverts sur les corps et à proximité de ces derniers avaient été conservés (201'053ss, trad. F–263ss).

b.b. S'agissant encore de l'enquête menée par le Ministère public guatémaltèque suite à ces décès, il ressort de différentes pièces versées à la procédure que, le jour de l'opération PAVON et postérieurement aux décès des détenus précités, différentes sous-divisions du Ministère public sont intervenues dans l'établissement pénitentiaire. A cette occasion, lesdites équipes ont, en particulier, photographié les sept cadavres aux lieux où ces derniers avaient été retrouvés, ainsi que les armes, douilles et munitions découvertes sur les corps ou à proximité (201'795ss, 201'812ss, 201'841ss). Les agents du Ministère public ont, en outre, établi des croquis de ces différents lieux, croquis sur lesquels figurent l'emplacement des corps et des objets précités (201'792, 201'809 et 201'837s).

b.c. Au cours de l'après-midi du 25 septembre 2006, des autopsies ont été pratiquées par le Service de médecine légale sur les corps des sept détenus. Des photographies de ces derniers ont également été prises lors desdits examens, exception faite de celui effectué sur V7 (202'304ss, classeur B 6.3). Des rapports d'autopsies relativement succincts ont été établis par le personnel médical entre les 5 et 19 octobre 2006 et adressés au Ministère public.

S'agissant d'V2, le rapport indiquait que son corps présentait deux blessures par projectiles d'arme à feu : la première avec un orifice d'entrée localisé en la fourchette sternale et un orifice de sortie sur la quatrième cervicale; la seconde avec un orifice d'entrée à hauteur du cinquième espace intercostal antérieur droit et un orifice de sortie au sixième para vertébral gauche (dorsal), avec trajectoire antéro-postérieure. L'homme présentait par ailleurs des écorchures sur les poignets (200'689, trad. 450'740). Selon le rapport, la mort avait été causée par une blessure produite par un projectile d'arme à feu en région thoraco-abdominale et un choc hypovolémique (200'689, trad. 450'740, et 200'712).

V6 présentait les blessures suivantes, causées par projectiles d'arme à feu : un orifice d'entrée au menton droit avec sortie au menton gauche; trois orifices d'entrée localisés dans l'hémothorax gauche et sorties dans la région dorsale postérieure (thorax); un orifice d'entrée localisé au neuvième espace intercostal (ligne moyenne droite) et un orifice de sortie à la septième dorsale droite. Selon le rapport, la mort avait été causée par des blessures produites par projectiles d'arme à feu en région thoraco-abdominale et un choc hypovolémique (200'690, trad. 450'741, et 200'724).

V3 présentait les blessures suivantes, causées par projectiles d'arme à feu : trois orifices d'entrée au niveau du pectoral gauche, avec sortie en région scapulaire gauche; une entrée au bord costal gauche et sortie en région scapulaire gauche; une entrée en épigastre et une autre sur le flanc gauche avec sortie en fosse rénale gauche; un faucillon en crête iliaque gauche; une entrée par devant le lobe de l'oreille droite et sortie en région pariétale gauche. Selon le rapport, la mort avait été causée par une perforation cérébrale en raison du passage d'un projectile d'arme à feu. Il était également mentionné qu'un fragment de projectile, trouvé dans le cadavre, demeurait à la disposition du Ministère public (200'692, trad. 450'743, et 200'735).

V1 présentait les blessures suivantes, causées par projectiles d'arme à feu : deux orifices d'entrée au thorax droit avec orifices de sortie au niveau du thorax gauche; un orifice d'entrée en ligne axillaire antérieure au quatrième espace intercostal, sans orifice de sortie; orifice d’entrée au thorax droit au cinquième espace intercostal, avec zone de contusion et épanchement au thorax côté droit au quatrième espace intercostal; ligne médiane antérieure au septième espace intercostal droit, et orifice de sortie au sixième espace intercostal gauche (avec une trajectoire de droite à gauche); orifice d'entrée en épigastre, et orifice de sortie au dos droit (trajectoire d'avant en arrière, de droite à gauche); orifice d'entrée au niveau du bord antérolatéral au tiers milieu du bras droit et orifice de sortie au bord interne et au tiers milieu du bras droit. Le rapport faisait également état d'une excoriation par effleurement en tiers moyen fessier droit, d'une excoriation par effleurement en face antérieure bras gauche, et d'une ecchymose violacée au cou côté gauche. Selon ce même document, la mort avait été causée par des blessures perforantes produites par projectile d'arme à feu dans la région du thorax et de l'abdomen, par perforation cardiaque, par perforation pulmonaire et par perforation hépatique (200'694s, trad. 450'745s, et 200'762). Il était également mentionné qu'un projectile demeurait à la disposition du Ministère public (200'695, trad. 450'746).

V5 présentait les blessures suivantes, causées par projectiles d'arme à feu : un orifice d'entrée dans la région scapulaire droite à la hauteur de la deuxième dorsale, avec sortie au bord supérieur, postérieur de l'épaule droite; orifice d'entrée au thorax antérieur sillon gauche au quatrième espace intercostal, avec tatouage au thorax et au visage du côté gauche, et orifice de sortie dans la région lombaire gauche à la hauteur de la troisième lombaire (trajectoire du haut vers le bas, de l'avant vers l'arrière, et de droite à gauche, sur le côté gauche); orifice d'entrée au poignet gauche au dos côté cubital et orifice de sortie en face antérieure côté cubital. Selon le rapport, la mort avait été causée par des blessures produites par projectiles d'arme à feu en région thoraco-abdominale et un choc hypovolémique (200'697, trad. 450'748, et 200'778). Par courrier du 25 janvier 2007 adressé au Ministère public du Guatemala, le médecin-légiste ayant procédé à l'autopsie du précité a précisé que V5 présentait un sillon d'excoriation de trois millimètres de grosseur autour des deux poignets, avec signes de vitalité (200'698, trad. 450'749).

V7 présentait les blessures suivantes, causées par projectiles d'arme à feu : un orifice d'entrée dans la région claviculaire droite avec sortie au niveau de l'épaule droite; un orifice d'entrée au deuxième espace intercostal antérieur, le projectile ayant ensuite parcouru la colonne cervicale et passé à travers la base du crâne, avec orifice de sortie au milieu des pariétaux (trajectoire du bas vers le haut); orifice d'entrée au troisième espace intercostal antérieur droit et orifice de sortie à la quatrième dorsale gauche (trajectoire de de l'avant vers l'arrière); orifice d'entrée au-dessus de l'ombilic, sans orifice de sortie; orifice d'entrée sur la face externe du bras droit avec sortie sur la face interne. Selon le rapport, la mort avait été causée par des blessures produites par des projectiles d'arme à feu dans le crâne, le thorax et l'abdomen, avec choc hypovolémique. Il était également mentionné que l'ogive d'un projectile, logée dans les tissus de l'hémothorax gauche, serait remise au Ministère public (200'699, trad. 450'750, et 200'793).

V4 présentait les blessures suivantes, causées par des projectiles d'armes à feu : un orifice d'entrée au cou antérieur gauche avec sortie au cou postérieur gauche; orifice d'entrée en région supra claviculaire droite avec sortie en région scapulaire droite; orifice d'entrée et orifice de sortie au niveau du thorax antérieur droit; orifice d'entrée au niveau de l'hémothorax antérieur droit avec sortie au dos droit; une blessure contuse par passage de projectile en avant-bras et main droite (face antérieure). Selon le rapport, la mort avait été causée par perforation jugulaire gauche et blessures perforantes au cou, au thorax et au membre supérieur droit, produites par projectiles d'arme à feu (200'701, trad. 450'752, et 200'803).

b.d. La Municipalité de Fraijanes a, en date du 19 octobre 2006, établi sept certificats relatifs aux décès de V5, V4, V1, V6, V2, V3, et V7 (200'810ss). Des fiches, établies par l'institut de médecine légale de l'organisme judiciaire et désignant nommément les précités, indiquaient que les cadavres de ces derniers avaient tous été restitués à leurs familles ou proches (200'696, 200'712, 200'724, 200'735, 200'762, 200'778, 200'793, 200'803).

b.e. A la demande du Bureau du Procureur des délits contre la vie et l'intégrité des personnes, MP1, employé du Département de technique scientifique au sein du Ministère public guatémaltèque, a effectué l'analyse balistique d'un certain nombre d'éléments, lesquels avaient été recueillis dans le cadre de la procédure menée jusque-là. Un rapport écrit a été rendu en date du 14 décembre 2006 (200'958ss, trad. 451'228ss).

b.e.a. En particulier, s'agissant des éléments en lien avec V5, V7 et V4, l'analyse se basait notamment sur le fusil d'assaut (référencé "C.1.1"), avec son chargeur, retrouvé sous V4, ainsi que sur neuf douilles et quatorze cartouches d'armes à feu, et sur le projectile pour arme à feu retrouvé lors de l'autopsie de V7 (200'958, trad. 451'228).

Concernant ensuite les éléments recueillis dans la procédure en lien avec les décès de V6 et d'V2, l'analyse portait notamment sur le fusil d'assaut (référencé "SN1") et le pistolet (référencé "SN2") retrouvés à proximité de V6, ainsi que sur quinze douilles et cinquante-quatre cartouches pour armes à feu (200'962s, trad. 451'228s).

Enfin, les deux projectiles trouvés lors des autopsies de V3, respectivement de V1, avaient également été transmis à MP1 (200'959, trad. 451'229).

b.e.b. Les fusils référencés "C.1.1" et "SN1" étaient des fusils d'assaut de modèle M16A2 commando, de calibre 5,56 x 45 mm. Contrairement au fusil "SN1", qui fonctionnait normalement, le fusil "C.1.1" n'était quant à lui pas en état de tirer en raison de l'absence de chien. Le pistolet "SN2" était un pistolet de marque KEVIN, modèle ZP98, de calibre ".380 de poing Auto" (9 mm court) en état de fonctionnement.

S'agissant ensuite des douilles découvertes dans l'enquête relative aux décès de V4, de V5 et de V7, le rapport mentionnait en premier lieu que six des neuf douilles examinées étaient de calibre 5,56 x 45 mm. Celles-ci avaient été percutées et détonnées par deux armes différentes du même calibre. Quatre, respectivement deux douilles, avaient ainsi été percutées et détonnées par chacune desdites armes. Aucune de ces armes ne correspondait cependant au fusil "SN1" découvert à côté du cadavre de V6. Les trois douilles restantes, toutes de calibre 7,62 x 39 mm, avaient été percutées et détonnées par une seule arme à feu de ce même calibre (200'962s, trad. 451'232s).

Concernant V6 et V2, le rapport concluait que, sur dix douilles de calibre 5,56 x 45 mm, huit avaient été percutées et détonnées par le fusil référencé "SN1", soit le fusil d'assaut retrouvé à proximité du premier nommé. Les deux autres douilles, de même calibre, avaient été percutées et détonnées par une autre arme. Cette dernière correspondait à celle avec laquelle deux douilles de calibre 5,56 x 45 mm, recueillies suite aux décès des trois détenus précités, avaient été percutées et détonnées. Quatre autres douilles, de calibre 7,62 x 39 mm, avaient été percutées et détonnées par une seule arme de même calibre. Celle-ci était toutefois différente de l'arme évoquée ci-dessus, avec laquelle trois douilles avaient été percutées et détonnées. Une cinquième douille, toujours de calibre 7,62 x 39 mm, n'avait pas pu être analysée en détail.

S'agissant des projectiles pour armes à feu, le rapport mentionnait que le fragment de chemise découvert lors de l'autopsie de V3 provenait d'un projectile de calibre 9 mm tiré par une arme à feu du même calibre. Cette dernière était cependant différente du pistolet "SN2" trouvé à proximité du corps de V6. Le projectile pour arme à feu découvert lors de l'autopsie de V1 était de calibre 5,56 mm mais n'avait pas été tiré par le fusil "SN1". Enfin, le projectile pour arme à feu retrouvé lors de l'autopsie de V7 était de calibre 7,62 mm, étant précisé que le rapport ne fournissait aucun renseignement s'agissant d'une éventuelle relation avec les armes analysées (200'961, trad. 451'231).

b.e.c. Il découle ainsi de ce rapport balistique, notamment, qu'outre le fusil retrouvé à côté du corps de V6, au moins quatre autres armes de calibre 5,56 x 45 mm ou 7,62 x 39 mm avaient été utilisées pour faire feu. Il avait été fait usage desdites armes soit sur les lieux où avaient été retrouvés les corps de V4, de V5 et de V7, soit sur ceux où avaient été découverts les cadavres d'V2 et de V6. Pour rappel, l'arme retrouvée sous V4 n'était pas en état de fonctionnement.

b.f. Le Ministère public du Guatemala a également procédé à l'audition de quelques témoins.

b.f.a. Il a, d'une part, entendu le 8 mai 2007 M1 (450'324ss, trad. 450'328ss), commandant militaire en charge le jour de l'opération du 25 septembre 2006. Celui-ci a indiqué être arrivé à PAVON aux environs de 03h00, doté d'un effectif d'environ 1100 personnes. Lorsque l'intervention avait débuté vers 06h00 ou 07h00, la PNC, suivie des soldats opérant en renforts, était entrée dans l'établissement. Lui-même était entré dans la partie nord de la prison en compagnie de S. qu'il avait accompagné pendant l'opération. Alors qu'ils pénétraient dans le centre pénitentiaire, des rafales de tirs en provenance de l'"intérieur" s'étaient fait entendre. Les deux hommes s'étaient alors rendus au centre de la prison où les détenus se rassemblaient devant l'église pour être menottés, puis transférés vers PAVONCITO. M1 n'avait pas vu de prisonniers morts, ni de photographies en lien avec ces derniers. Il a par ailleurs précisé que, lorsqu'il avait pénétré dans la partie sud de la prison, le secteur dans lequel se trouvaient les prisonniers décédés avait déjà été "bouclé" par les agents du Ministère public.

Le Ministère public a par ailleurs entendu, entre le 11 décembre 2006 et le 28 mai 2007, neuf agents de la PNC, lesquels étaient intervenus au sein de différentes unités lors de l'opération du 25 septembre 2006. Ces policiers n'avaient toutefois pas eux-mêmes assisté aux faits visés par l'enquête du Ministère public. En effet, lesdits agents ont indiqué ne pas avoir été positionnés à l'endroit où les coups de feu avaient été tirés, même si la plupart d'entre eux avaient entendu ceux-ci (200'617ss, trad. 450'253ss).

b.g. Il ne ressort pas du dossier de la procédure que d'autres actes d'enquête en lien avec les décès survenus lors de l'opération PAVON aient été menés par le Ministère public du Guatemala.

De l'enquête menée par la PDH

c.a. Créée au Guatemala antérieurement à la mise en place de la CICIG, la PDH est un organisme national dont le but est d'assurer la défense des Droits de l'homme, soit notamment le droit à la vie, tels que garantis par la Constitution de cet Etat et par plusieurs conventions et traités internationaux auxquels ce dernier est partie. Afin d'accomplir sa mission, la PDH dispose notamment de la compétence de mener des enquêtes et de solliciter la collaboration des autorités officielles.

L'article 16 de la loi sur la PDH et l'article 275 de la Constitution, définissant les activités spécifiques de la PDH pendant un régime d'exception, stipulent que cette dernière peut agir – soit d'office, soit à la demande d'une partie – en vue de garantir le respect des droits fondamentaux, dont l'exercice n'aurait pas été expressément restreint (451'095). De plus, selon la loi, la PDH n'est subordonnée à aucun organisme, institution, ni fonctionnaire, quel qu'il soit, et agit avec une indépendance absolue (500'635, trad. 451'094).

c.b. Il ressort des pièces de la procédure que, dans les jours ayant suivi l'opération PAVON, la PDH a ouvert une enquête visant à déterminer, d'une part, si les sept détenus précités avaient été privés, de manière illicite, de leur vie et, d'autre part, l'éventuelle responsabilité des autorités étatiques à cet égard. Les détails et les résultats de cette enquête ont été publiés dans un rapport de la PDH du mois de décembre 2006 (500'551ss, trad. 451'035ss). Le dossier laisse également apparaître que, après plusieurs décisions du Procureur en charge des droits humains, annulées par la Cour constitutionnelle dans le cadre de recours, les conclusions du rapport précité ont finalement été adressées au Président de la République du Guatemala et au Ministère public via une résolution du 29 mars 2010 (201'210ss, 450'857ss trad. 450'879ss, et 500'175).

Ces documents révélaient en premier lieu que, lors de l'opération PAVON, les dirigeants de celle-ci avaient refusé l'accès au centre pénitentiaire au personnel de la PDH (201'212, trad. 450'881), alors que l'état d'exception avait été décrété par la Présidence de la République dans la commune de Fraijanes – où la prison était située – (500'482s). Il était mentionné à cet égard que des membres de la PNC avaient, à plusieurs reprises le jour des faits, argué avoir reçu des ordres de leurs supérieurs à ce sujet. La PDH relevait par ailleurs que le Président de la Commission présidentielle pour la coordination de la politique de l'exécutif en matière de Droits de l'homme (ci-après : "COPREDEH"), également présent sur les lieux, avait refusé d'accorder son soutien au personnel de la PDH (500'630s, trad. 451'093s). Il était encore précisé, s'agissant de la COPREDEH, que cette dernière appartenait à l'organe exécutif de l'Etat, de sorte qu'il ne lui était pas possible d'émettre de jugement impartial s'agissant des agissements de ce dernier (451'095).

Dès lors, afin d'être à même de reconstituer les évènements du 25 septembre 2006, la PDH avait sollicité des rapports détaillés de l'intervention auprès du Directeur général du système pénitentiaire (201'312), des Ministres de l'Intérieur et de la Défense (201'310 et 201'320), du Procureur général (201'307), du Directeur général de la PNC (201'364) ainsi que de la COPREDEH (201'327). Alors qu'aucune desdites institutions n'avait accepté de lui remettre le plan des opérations, la commission était finalement parvenue, par ses propres moyens, à en obtenir une copie (500'553, trad. 451'040). Dans le cadre de son enquête, la PDH avait par ailleurs procédé à l'audition de 60 personnes, dont 39 avaient déposé sous couvert d'anonymat. Parmi ces témoignages, celui de D1, détenu à PAVON, figure à la procédure (201'277, trad. 450'321). Divers documents, soit notamment les rapports d'autopsies précités, des photographies (500'551ss) et des vidéos en lien avec l'intervention avaient encore été analysés (201'211, trad. 450'880).

La PDH a également établi, le 10 octobre 2006, un mémorandum sur les caractéristiques des détenus morts à PAVON, dans lequel figurent les identités complètes des défunts (201'285). Elle a encore effectué, auprès d'un Juge de Paix, une demande d'habeas corpus en faveur de certains détenus. Il ressort en particulier des auditions effectuées par le Juge de paix en date du 14 novembre 2006 que T______, selon ses propres termes vice-président du Comité d'ordre et de discipline, avait eu connaissance d'une liste d'environ 25 personnes à tuer. Cette liste, dont l'existence lui avait été révélée par E______, comprenait notamment les noms de V4 et de U______ (201'289ss, trad. 451'235).

Dans sa résolution du 29 mars 2010, la PDH qualifiait la version officielle relative au déroulement des opérations, à savoir celle d'un affrontement armé entre les détenus et les forces étatiques, de "peu ou pas fiable" (201'215, trad. 450'883). A cet égard, elle se fondait d'abord sur le fait qu'aucun membre desdites forces n'avait été blessé lors de l'intervention. Elle relevait ensuite que les rapports d'autopsies, lacunaires, révélaient néanmoins les éléments suivants : plusieurs des détenus avaient trouvé la mort par suite de choc hypovolémique, ce qui impliquait que les blessures causées par projectiles n'avaient pas provoqué le décès immédiat, mais que ce dernier était survenu suite à une perte importante de sang; les blessures constatées étaient concentrées sur le haut du corps (500'552, trad. 451'046); certaines d'entre elles, situées dans les extrémités supérieures, étaient compatibles avec des attitudes défensives des défunts; d'autres lésions observées sur les poignets de certains détenus indiquaient encore que ces derniers étaient attachés au moment de mourir (500'565, trad. 451'049); dans un cas, le rapport d'autopsie décrivait un tatouage sur la poitrine et sur le visage, ce qui correspondait à des blessures causées "à bout portant" (0 à 50 cm) (500'567, trad. 451'051). La PDH considérait les éléments qui précèdent comme incompatibles avec les blessures généralement observées en cas d'affrontement à distance. Elle avait encore relevé que les sept corps avaient été retrouvés dans la même zone, soit dans la maison de V4, soit dans le "poulailler" de cette même propriété, soit dans le secteur des "Ateliers", lequel était également sis à proximité de cette dernière (500'585, trad. 451'069).

Selon les informations recueillies par la PDH, en particulier des témoignages, les évènements du 25 septembre 2006 s'étaient en réalité déroulés de la manière suivante : vers 06h00, les membres des forces de sécurité avaient pénétré dans le pénitencier en ouvrant le feu, sans avoir rencontré préalablement de résistance armée de la part des détenus. Un groupe d'agents des forces spéciales, portant des passe-montagnes, avait été en possession d'une liste de noms de détenus, ainsi que de photographies de ces derniers, afin de les localiser et de les mettre à l'écart du reste des prisonniers. Six des sept détenus décédés avaient préalablement été écartés de la sorte. S'agissant du septième détenu, soit V4, l'homme avait dans un premier temps été transféré de la prison de PAVON vers celle de PAVONCITO, dans la mesure où il avait donné un faux nom aux agents qui l'avaient contrôlé. Toutefois, lorsque d'autres agents présents à PAVONCITO avaient annoncé que l'avocate de V4 désirait s'entretenir avec celui-ci, le détenu s'était manifesté et avait été ramené à PAVON. Avant d'être à nouveau transféré vers cette dernière prison, il avait remis à ses codétenus présents avec lui à PAVONCITO son blouson bleu de marque NIKE (500'595, trad. 451'079). Il était encore relevé que la libération de ce détenu était prévue le 5 novembre 2006, soit environ quarante jours après l'opération (500'581, 451'065). Une fois les sept détenus morts, les scènes de crime avaient été maquillées, notamment en plaçant des armes, soit des grenades, sur leurs cadavres (201'210ss, trad. 450'879ss).

Dans les conclusions figurant dans sa résolution du 29 mars 2010, le Procureur chargé des droits humains retenait ainsi que les autorités étatiques avaient, lors de l'intervention du 25 septembre 2006, violé la loi en perpétrant des actes de violence ayant causé la mort de V5, V4, V1, V6, V2, V3 et V7. Ladite résolution recommandait dès lors au Président de la République du Guatemala d'ordonner une enquête afin de déterminer précisément les responsabilités, institutionnelles et individuelles, dans les évènements précités. Elle recommandait en outre au Ministère public d'examiner la possibilité de nommer un Procureur spécial, lequel serait chargé d'enquêter sur ces faits (201'222s, trad. 450'890s).

Des actes d'enquête de la CICIG

d. Comme mentionné supra sous point B.b.b., le Ministère public spécial pour la CICIG a transmis au Ministère public genevois une quantité très importante de pièces issues de la procédure menée au Guatemala, en lien notamment avec les évènements du 25 septembre 2006. Parmi ces pièces, il convient de mentionner certains documents résultant des investigations effectuées par la CICIG elle-même, soit plus particulièrement des photographies et des vidéos en lien direct ou indirect avec l'opération PAVON. Divers rapports ont également été établis et/ou compilés par la CICIG. Enfin, de nombreux témoins ont été entendus, soit directement par le Procureur spécial auprès de la CICIG, soit, à sa demande, par d'autres autorités judiciaires.

Des photographies et autres documents

d.a.a. Concernant les photographies, la CICIG s'est procurée, en particulier, deux séries de clichés photographiques réalisés lors de l'intervention du 25 septembre 2006 à l'intérieur même du centre pénitentiaire de PAVON. Ces photographies sont celles référencées sous "P10500148" et suivantes (202'063ss), et sous "DSC05755" et suivantes (202'161ss). Ces clichés, sur lesquels figurent non seulement des agents de l'Etat et certains membres de l'autorité – dont S. –, mais également des détenus (vivants ou décédés), fournissent un certain nombre d'informations s'agissant du déroulement concret des évènements. Ils renseignent par ailleurs sur la configuration géographique à l'époque à l'intérieur du centre pénitentiaire et sur les différents lieux où ont été retrouvés certains des détenus décédés. La quasi-totalité des témoins entendus au Guatemala dans le cadre de l'enquête menée sur l'opération PAVON se sont d'ailleurs vus poser certaines questions sur la base de ces photographies. Ces dernières seront abordées plus en avant dans la suite de ce jugement.

d.a.b. Parmi les autres documents produits par la CICIG, figure une attestation manuscrite du 25 septembre 2006, selon laquelle le bureau de commandement du centre pénitentiaire de PAVON avait été remis, le même jour à 04h35, à PNC2 de la "Guardia de prevencion" (201'091).

Il convient également de relever l'existence d'un courrier du 15 novembre 2006 émanant du la Direction générale du système pénitentiaire (201'314, traduit et envoyé au Tribunal le 13 mai 2014). Ce document atteste que le système pénitentiaire, contrairement à la PNC et au Ministère de la Défense, n'avait fourni aucune des unités qui étaient intervenues lors de l'opération qui s'était déroulée à PAVON le 25 septembre 2006.

Des rapports relatifs aux autopsies pratiquées le 25 septembre 2006

d.b. S'agissant des rapports établis à la demande de la CICIG, il convient plus précisément de mentionner deux rapports "d'autopsies" des 22 octobre 2010 et 5 novembre 2010 rendus respectivement par ML, médecin-légiste, et CICIG1, enquêteur auprès de la CICIG (201'935ss, trad. 451'171ss; 201'886ss et 450'894ss, trad. 450'906ss). Alors que la mission confiée à CICIG1 visait à déterminer la dynamique des faits et le positionnement des victimes au moment des décès survenus à PAVON, celle confiée à ML devait établir : si les rapports d'autopsies "officiels" établis par le Service de médecine légale entre les 5 et 19 octobre 2006 – et ultérieurement complétés – et les documents de travail étaient conformes aux protocoles internationaux en vigueur; l'importance du respect de ces derniers et leur répercussion sur l'enquête; si les corps avaient été manipulés de manière adéquate; les aspects pertinents concernant les lésions, la distance des coups de feu et trajectoires; tout autre point que l'auteur considérait utile.

Ces deux documents étaient basés notamment sur les rapports officiels d'autopsies précités, sur les photographies des corps prises lors des autopsies (202'304ss, étant rappelé qu'il n'existe pas de photographies relatives à l'autopsie pratiquée sur V7), ainsi que sur le rapport balistique de MP1 (200'958ss, trad. 451'228ss). L'analyse de ML était en outre basée sur les rapports de levée de corps des sept détenus (soit, selon toute vraisemblance, les pièces 201'034ss et 201'053ss), ainsi que sur les photographies prises le jour de l'opération PAVON.

d.b.a. S'agissant de la manipulation des corps sur les lieux du décès, ML a conclu que celle-ci n'avait pas été entièrement conforme aux standards internationaux applicables. Elle relevait à cet égard que les procès-verbaux de levée de corps ne contenaient ni renseignements relatifs aux circonstances dans lesquelles s'étaient produits les faits, ni données sur l'aspect et la position des cadavres lors de la procédure. Les phénomènes cadavériques, les vêtements, les blessures et les lésions n'étaient pas non plus décrits. Sur la base des photographies examinées, ML retenait qu'il y avait eu une grande manipulation des corps et des habits pendant ce processus, ce qui, de manière générale, avait des répercussions directes sur la possibilité de trouver et de récupérer des preuves telles que des résidus de coups de feu et des éléments de type balistique. S'agissant ensuite de la procédure employée pour les autopsies elles-mêmes, celle-ci n'était, pour l'auteur, pas non plus conforme aux standards applicables. En particulier, les lésions avaient été décrites de manière insuffisante et les preuves n'avaient pas été préservées. L'absence de ces informations rendait difficile l'interprétation et l'analyse des blessures. La manipulation des vêtements était par ailleurs totalement inadéquate et ne correspondait pas aux standards internationaux.

Concernant ses constatations relatives à chacun des décès, ML a divergé des rapports d'autopsie officiels, ou souhaité compléter ces derniers, sur les points suivants :

- S'agissant d'abord de V2, elle a relevé que les orifices de sortie des projectiles présentaient les caractéristiques typiques de "pseudo anneau de contusion", lesquels apparaissent lorsque la surface du corps, par laquelle sort le projectile, se trouve appuyée sur une surface dure. L'auteur a également constaté que des érosions linéaires rougeâtres et des abrasions superficielles étaient visibles sur le côté gauche de la région du front (photographie en pièce 202'310). ML a également indiqué que les sillons de pression de couleur rouge-violacée présents sur les poignets d'V2 étaient compatibles avec des schémas d'attachement des deux poignets et "cohérentes avec le fait que la victime n'avait pas pu se défendre".

- Concernant V6, ML relevait qu'il présentait au moins sept impacts par projectile d'arme à feu. Des lésions sur le bras gauche et la région pectorale gauche, non décrites dans le rapport d'autopsie officiel, étaient cependant visibles sur certaines photographies (pièces 202'365 et 202'366). Pour l'auteur, la lésion dans le bras gauche était par ailleurs en relation avec une réentrée du projectile dans la partie gauche du thorax, ce qui pouvait signifier que, au moment de l'impact, le bras était levé et plié, "comme en position de défense". D'autres lésions traumatiques, soit notamment des irritations cutanées sur l'épaule droite, résultaient de mécanismes contondants et n'avaient pas été décrites dans le rapport officiel (cf. photographies en pièces 202'353 et 202'363).

- S'agissant de V3, l'auteur relevait neuf plaies causées par des projectiles d'arme à feu, sept localisées dans le tronc (thorax et abdomen), une dans la région maxillaire droite, et une dans l'avant-bras gauche. Des blessures en formes d'anneaux de contusion avaient également été observées.

- Dans le cas de V1, ML a émis l'hypothèse, concernant l'excoriation "par frottement" présente sur la fesse droite du corps, que celle-ci était due à un passage ou à un frottement de projectile d'arme à feu sans pénétration, lequel pouvait se produire par le passage tangentiel du projectile sur le corps.

- A propos de V5, ML relevait la présence de résidus de coups de feu sur le thorax et le visage, malgré le fait que, sur les photographies prises "sur la scène de crime" à PAVON, le défunt portait un t-shirt. Cette présence de résidus de coups de feu, de type tatouage, indiquait que le tir sur le thorax avait été effectué à courte distance et que les zones en question se trouvaient déshabillées au moment de l'impact. ML avait également observé des résidus de coups de feu sur le dos de la main gauche du détenu. Ces traces permettaient également d'imaginer que le coup de feu correspondant avait été tiré à courte distance. Selon l'auteur, ces traces signifiaient que V5 avait pu, dans le but de se protéger d'un coup de feu, positionner son avant-bras devant sa poitrine et son visage. L'auteure mentionnait enfin que les lésions de type sillon de pression de couleur rouge-violacé, localisées sur les deux poignets, étaient du type des blessures produites par mécanismes de serrage ou d'attachement.

- Concernant V4, l'auteur relevait que la lésion par projectile pour arme à feu, dont l'orifice de sortie était situé dans la région scapulaire, pouvait correspondre à un "pseudo anneau de contusion".

Pour ML, des conclusions plus générales pouvaient être tirées s'agissant des circonstances dans lesquelles les sept détenus avaient trouvé la mort. A cet égard, après avoir observé que, dans tous les cas, la cause de base de la mort avait été l'ensemble des lésions par projectiles pour arme à feu, l’intéressée avait relevé que, sur les 40 impacts par projectile d'arme à feu recensés au total, 30 se situaient sur le thorax ou l'abdomen supérieur – soit 75 % du total des impacts –. Par ailleurs, aucun impact n'était localisé sur les jambes. A propos de la trajectoire anatomique des projectiles, l'auteur a encore indiqué que 28 des 40 impacts avaient une trajectoire anatomique antéro-postérieure et que, pour chaque cas, "la plupart des lésions, pour ne pas dire la totalité, a[vait] une trajectoire anatomique antéro-postérieure". Ces éléments relatifs à l'emplacement et à la trajectoire des lésions, conjugués à la présence de traces de type tatouage dans un des cas, ne correspondaient pas au schéma de lésions habituellement observé dans les cas d'affrontements armés et/ou de combats. ML a encore rappelé, à ce sujet, que des lésions avec schéma d'attaches avaient été observées sur les poignets des détenus dans deux cas, ce qui était compatible avec une impossibilité, pour la victime, de se défendre.

d.b.b. Dans son rapport, CICIG1 parvenait à des conclusions proches, dans l'ensemble, de celles de ML. Il sied toutefois de mentionner les points particuliers suivants :

- S'agissant de V2, l'enquêteur relevait que l'un des deux impacts de projectile dans la région thoracique présentait une trajectoire de type "coup de grâce", soit un coup tiré sur une personne déjà gravement blessée afin qu'elle meure rapidement. Il a par ailleurs précisé que les lésions présentes sur les poignets étaient des excoriations de type perimortem, i.e. qu'elles étaient situées temporellement dans la période encadrant la mort. Il existait de fortes probabilités que ces lésions aient été causées par des "chaînes de sécurité", ce qui signifiait que le défunt avait les mains attachées avant sa mort. Comme ML, CICIG1 relevait que l'un des orifices de sortie présentait les caractéristiques d'un anneau de contusion.

- Concernant V6, l'auteur recensait cinq plaies provoquées par des projectiles d'arme à feu, ainsi qu'une excoriation sur l'épaule droite, de type post-mortem, laquelle laissait supposer que le corps avait été traîné. Selon CICIG1, la trajectoire balistique, de même que les caractéristiques des plaies présentées par le défunt, pouvaient indiquer qu'un tireur unique avait fait feu, dans une seule position. Par ailleurs, la concentration de trois projectiles de grande vitesse sur une surface d'environ 10 cm de diamètre n'était pas chose commune dans un affrontement : elle supposait en effet une grande expertise du tireur ou, à défaut, un tir à "bout portant" sur une région vitale du corps. L'auteur relevait encore que la position des douilles sur les lieux de la découverte du corps indiquait que les tirs étaient partis du même endroit, soit à deux mètres au moins du lieu où se trouvait le corps du détenu. Par ailleurs, le positionnement des douilles signifiait que les tirs ne provenaient pas de l'extérieur, dans la mesure où les armes automatiques ou semi-automatiques n'expulsaient pas de douilles à des distances supérieures à trois mètres sur le côté droit du tireur, fait objectif dont on pouvait déduire la position des armes au moment des tirs.

- Dans le cas de V3, CICIG1 dénombrait huit plaies causées par des projectiles d'arme à feu. La trajectoire suivie par ces derniers et les caractéristiques des plaies indiquaient qu'un tireur unique avait fait feu, dans une seule position. L'une des plaies présentait également les caractéristiques d'un "coup de grâce". Enfin, comme dans le cas de V6, trois impacts d'arme à feu étaient concentrés sur une surface d'environ 10 cm de diamètre.

- Concernant V1, l'auteur considérait que la trajectoire balistique, ainsi que les caractéristiques des plaies laissaient à penser que la victime se trouvait couchée sur le côté gauche au moment de recevoir les impacts de projectiles. Cette position ne concordait pas avec le modèle habituel de lésions constatées lors d'affrontements. Les éléments précités, auxquels s'ajoutait la concentration des impacts d'arme à feu, indiquaient qu'un tireur unique avait fait feu, "à bout portant". Il sied de relever que, pour CICIG1, l'excoriation présente sur le fessier droit, de type post-mortem, présentait les caractéristiques d'une plaie due au fait que le corps avait été traîné.

- Dans le cas de V5, l'auteur considérait, comme ML, qu'il existait des éléments objectifs permettant de conclure que les plaies par projectiles avaient été causées à bout portant, soit à moins d'un mètre du corps, puisque l'on remarquait un "tatouage" sur le thorax, le visage et l'avant-bras gauche du défunt. CICIG1 retenait également que les plaies d'entrée et de sortie sur le bras droit de V5 correspondaient à des lésions de type défensif. Il a précisé à cet égard que, généralement, les blessures par armes à feu sur les mains ou les bras des victimes indiquaient que le sujet s'était rendu compte qu'il allait être attaqué et que, dans un réflexe de protection, il avait protégé la zone d'attaque de ses mains et de ses bras. La trajectoire suivie par les projectiles indiquait en outre qu'un tireur unique s'était trouvé sur le côté droit et au-dessus du défunt. Concernant enfin les lésions observées sur les poignets du détenu, il s'agissait d'excoriations de type perimortem probablement causées par des "chaînes de sécurité ou des attaches", ce qui signifiait que la victime avait les mains attachées avant ou pendant sa mort.

- Concernant V7, CICIG1 considérait également que les plaies par arme à feu situées sur l'avant-bras droit du défunt étaient de type défensif. Les plaies d'entrée et de sortie sur le bras coïncidaient par ailleurs à la trajectoire de l'un des projectiles ayant causé une plaie au thorax. Cette dernière lésion présentait elle-même les caractéristiques d'un "coup de grâce".

- De même, s'agissant enfin de V4, CICIG1 considérait que les plaies sur la main droite, dues à une arme à feu, étaient de type défensif. Pour l'auteur, les orifices d'entrée sur la paume de la main droite et de sortie sur l'avant-bras droit coïncidaient avec la trajectoire de l'un des projectiles ayant causé une plaie au thorax. Il relevait finalement que l'orifice de sortie situé dans la région scapulaire présentait les caractéristiques d'un anneau de contusion.

S'agissant de remarques plus générales relatives au déroulement des évènements, CICIG1 mentionnait d'abord que les sept corps examinés présentaient des lésions dans les zones vitales, causées par des projectiles à grande vitesse tirés d'une même position. Dans certains cas, plusieurs impacts étaient par ailleurs concentrés sur de petites surfaces du corps. Il relevait à cet égard que, lorsqu'une personne se tient debout, la surface du corps humain correspondant aux organes vitaux ne représente que 20 % de la surface totale : dès lors, un impact de projectile tiré sans précision dans le cadre d'un affrontement armé n'avait qu'une relativement faible probabilité d'entraîner une conséquence fatale. De même, il était peu probable que survienne, dans le cadre d'un affrontement à distance, une concentration d'impacts sur une petite surface, ce d'autant plus que la logique voulait que des "insurgés" ne demeurent pas dans une position statique pendant un échange de tirs. CICIG1 a encore relevé qu'il était constant, dans une situation d'affrontement, que l'on recense des morts et/ou des blessés des deux côtés. Aussi, le scénario le plus probable était, selon lui, que les impacts observés sur les corps des détenus provenaient de tirs à bout portant, détenus dont on pouvait au demeurant présumer qu'ils avaient été maîtrisés. Pour l'auteur, la quantité d'impacts de projectiles observés sur chaque corps, tirés pour la plupart d'une même position avec une trajectoire antéro-postérieure, indiquait clairement que l'objectif des agents de l'Etat avait été de donner la mort, et non de soumettre l'adversaire. Il a précisé que les arguments qui précèdent, fondés sur des indices, reposaient sur les informations réunies et surtout sur l'expérience.

Des auditions de témoins

d.c. Le Ministère public spécial pour la CICIG a également transmis au Ministère public genevois un nombre important de pièces relatives à l'audition de témoins. Ces témoins, dont la plupart étaient des agents de l'Etat ayant participé à l'opération ou des personnes incarcérées à PAVON au moment des faits, ont été entendus soit devant le Ministère public spécial pour la CICIG (cf. 450'594ss, et 500'170), soit, s'agissant de certains témoins qualifiés d'"importants", devant un juge guatémaltèque "en avance de preuve" (500'180). Concernant ces dernières déclarations, celles-ci ont, dans un premier temps, été enregistrées avant d'être retranscrites par écrit par la CICIG et le Procureur spécial auprès de cette dernière.

d.c.a. Dans ce cadre, parmi les agents de l'Etat présents sur les lieux de l'intervention en date du 25 septembre 2006, les personnes suivantes ont notamment été entendues.

Des agents du système pénitentiaire

d.c.a.a. GP1, conseiller en sécurité au sein du système pénitentiaire, fait partie des témoins entendus en avance de preuve (450'109ss, trad. 450'131ss). Lors de son audition du 2 juillet 2010, il a indiqué avoir été informé qu'une grande perquisition aurait lieu à la prison de PAVON. Afin d'augmenter les chances de succès de cette opération, il avait été chargé par I______ de mener une enquête dans le centre de détention et d'établir un plan d'action. Dans le cadre de ses investigations, GP1 avait notamment recruté des informateurs au sein de la prison et pris contact avec des membres du Comité d'ordre et de discipline. Son enquête avait révélé, outre le fait que la prison était effectivement gouvernée par ledit comité, que peu d'armes, soit pas plus de sept armes légères, se trouvaient dans l'établissement. L’intéressé a toutefois précisé que cette information était difficile à vérifier. Quelques jours avant l'exécution du plan, J______ lui avait demandé d'établir deux listes : une première liste des 18 – augmentée par la suite à 25 – détenus les plus influents à PAVON, soit ceux faisant partie du Comité ou exerçant une influence sur ce dernier et une seconde liste de 25 détenus ayant adopté une bonne conduite à PAVONCITO. Les deux groupes devraient être "échangés" afin de rétablir l'ordre à PAVON. GP1 s'était exécuté et avait remis lesdites listes à son supérieur direct.

Selon GP1, l'opération avait été précédée d'un certain nombre de réunions et de séances. Ainsi, une séance s'était tenue au Ministère de l'Intérieur à laquelle avaient notamment participé A______, S., le Directeur adjoint de la PNC, le Chef de la Division des enquêtes criminelles au sein de la police, soit B______, le Commissaire E______, I______ et J______. Lors de cette séance, le plan avait été abordé dans les détails et les représentants de la PNC avaient effectué des suggestions, finalement adoptées, s'agissant du procédé relatif au fichage des détenus.

Concernant les séances avec les représentants de la PNC auxquelles il avait participé, GP1 a d'abord indiqué que, le 23 septembre 2006, le plan avait été présenté au Commandement de la PNC en présence de S.. Lors d'une autre réunion avec la Direction générale de la PNC, la discussion avait eu comme objet principal les médias et le Bureau de la PDH. A cette occasion, il avait été décidé que l'accès à la prison leur serait interdit durant l'opération et que l'information fournie aux médias serait par ailleurs filtrée. Durant l'après-midi du 24 septembre 2006, une nouvelle séance avait eu lieu à la Direction générale de la PNC en présence de B______, de K______ ou de L_____ ou des deux frères, des Commissaires PNC3 et E______ et de V______. Lors de cette séance, ce dernier avait demandé à GP1 d'identifier, sur un écran d'ordinateur, un certain nombre de personnes à partir d'un album photographique. Lui-même avait reconnu quatre ou cinq individus, soit notamment V6, V1, le vice-Président du Comité et W______. La séance avait été entièrement consacrée à cette identification.

Le jour de l'intervention vers 02h00, alors qu'il se trouvait avec d'autres dans les environs de la prison, GP1 avait vu deux "camionnettes agricoles", de couleur sombre et aux vitres teintées arriver à grande vitesse et se garer à proximité du lieu où il se trouvait. De ces véhicules étaient sorties huit personnes vêtues de noir, portant gants, cagoule, casque et armes, et qui n'appartenaient ni à la police nationale, ni à l'armée. Il n'avait d'ailleurs jamais vu auparavant un tel uniforme, de type "SWAT" américain, dans les forces armées du Guatemala. Trois de ces hommes avaient découvert leur visage et s'étaient dirigés vers les représentants de l'autorité présents sur les lieux, à savoir A______, S. et I______, pour les saluer et échanger quelques mots. Il avait alors identifié les trois individus comme étant B______, E______ et V______. Après ce contact, les hommes étaient partis en direction de la prison.

Entre 04h00 et 05h00, J______ lui avait indiqué que la prison devrait être placée sous le contrôle de la PNC et que la garde pénitentiaire, au lieu de procéder à la perquisition, devait quant à elle se retirer et se regrouper dans un bâtiment sis à l'extérieur de la prison. GP1 avait alors compris que le plan initialement prévu avait changé. Plus tard, I______ avait fait couper le courant dans l'établissement et, malgré l'insistance de GP1 à cet égard, avait refusé d'inviter par haut-parleur les détenus à se regrouper pacifiquement à l'endroit désigné à cet effet. Après avoir entendu des coups de feu, GP1, avec un autre employé de la garde pénitentiaire, était monté à bord d'un véhicule qui se dirigeait vers le lieu d'où provenaient les détonations. Ils étaient ainsi parvenus au niveau de l'ouverture faite dans la clôture à proximité de la maison de V4. Ce dernier, selon GP1, était un détenu colombien s'adonnant au trafic de drogue à l'intérieur de la prison qui, quelques jours avant l'opération, avait apparemment menacé I______. Comme le jour se levait, GP1 avait pu observer que le groupe de type "SWAT" entrait dans la prison tout en tirant des coups de feu. Il avait ensuite aperçu, près d'un arbre situé à côté de la maison précitée, des éclairs qu'il avait identifiés comme étant des coups de feu, de sorte qu'il avait sorti sa propre arme et tiré à trois reprises en direction de cet arbre. Plusieurs policiers s'en étaient alors pris à lui physiquement et l'avaient désarmé. Une fois ses esprits repris, et alors que des coups de feu se faisaient toujours entendre, il avait observé que des détenus, nus et escortés par des agents de la PNC, commençaient à sortir à toute vitesse de la prison depuis l'ouverture, pour être transférés à PAVONCITO.

Lorsque lui-même avait pénétré dans l'établissement pénitentiaire et s'était dirigé vers la maison de V4, il avait vu le groupe de type commando entourer celle-ci et faire feu vers l'intérieur. A son arrivée vers la bâtisse, les tirs avaient cessé mais les hommes étaient toujours présents. Dans un premier temps, il s'était vu refuser l'accès à la propriété, un officier de l'armée qu’il connaissait lui ayant expliqué à cet égard que "dedans c'était chaud". Toutefois, l'officier s'étant par la suite ravisé, GP1 avait pu entrer. A l'extérieur de la maison, il avait vu un hangar dans lequel se trouvaient un fusil et un cadavre, lequel correspondait selon lui à V6 (qu'il a d'ailleurs reconnu sur les photographies P1050188 à P1050191 [pièces 202'099 à 202'102] et P1050236 [202'145]). Un peu plus loin, il avait vu un second corps, lequel portait, sur "sa sangle, sa ceinture", l'inscription "C______" (il a identifié le corps sur la pièce 202'148, laquelle correspond à V2). Ce surnom était, selon lui, celui donné au garde du corps de V6.

Arrivé ensuite à une porte de la maison, laquelle donnait sur une salle à manger, il était entré et avait vu deux blessés, respectivement dans le couloir et sur des marches d'escalier, lesquels respiraient et gémissaient (il a identifié les deux hommes, soit V5 et V7, morts, sur photographie P1050240 [pièce 202'149]). Au même moment, au niveau de la table à manger, l'un des hommes cagoulés avait sorti d'un sac à dos un objet ressemblant à une grenade. GP1 avait quitté les lieux et, après avoir passé la porte par laquelle il avait pénétré dans la propriété, avait revu B______, E______ et V______, lesquels lui avaient dit, sur le ton de la plaisanterie : "Vous voyez, la fête a été bien joyeuse, n'est-ce pas ?".

Avant 10h00, le Commissaire PNC3 l'avait appelé pour lui demander si V4 avait été transféré à PAVONCITO. GP1 avait dès lors téléphoné à l'un de ses hommes positionné à PAVONCITO, soit GP2, afin d'obtenir cette information. Quelques minutes plus tard, GP2 avait confirmé la présence du détenu à PAVONCITO. Des bruits de pétards s'étaient à ce moment-là fait entendre à proximité de la maison de V4, ce que GP1 avait trouvé bizarre. Par la suite, lorsque J______ avait demandé l'identité des détenus décédés à V______, ce dernier avait répondu que parmi eux figuraient V6 et V4. Après avoir encore obtenu la précision que ce dernier détenu était mort dans sa maison, GP1 avait déclaré à J______ que, dans la mesure où V4 s'était trouvé à PAVONCITO, il devait avoir été assassiné. Son supérieur lui avait alors répondu de ne pas se faire de souci, que l'homme devait mourir, que tout était sous contrôle et que le Président, le Ministre de l'Intérieur, le Directeur de la police et le Ministère public étaient au courant, de sorte qu'il n'aurait aucun problème. GP1 avait finalement été informé que sept détenus étaient morts. Entre 11h30 et 12h00, I______ l'avait appelé pour lui demander de se rendre à la maison de V4 afin d'y rencontrer le Ministère public et donner à celui-ci tous les renseignements utiles.

A la question de savoir pourquoi, à son avis, sept personnes avaient perdu la vie lors de l'opération, GP1 a répondu que le plan, tel qu'il l'avait personnellement établi, ne prévoyait aucune victime. Selon lui, un autre plan, dont il n'avait jamais eu connaissance, s'était superposé au sien et avait remplacé le projet initial. Il a encore émis l'hypothèse selon laquelle la liste de détenus qu'il avait préparée représentait en réalité une liste de personnes à éliminer. A la question de savoir si les personnes abattues, dont les noms lui ont été rappelés lors de son audition, figuraient sur la liste, GP1 a répondu par l'affirmative s'agissant de V1, V2, V4, V6 et V7. V3 ne figurait pas sur la liste et, s'agissant de V5, il n'en était pas sûr.

d.c.a.b. GP2, employé du système pénitentiaire dont le supérieur direct était GP1, a été entendu par le Procureur spécial auprès de la CICIG le 18 février 2011 (200'547ss, trad. 450'608ss).

Il a indiqué que, le jour de l'intervention à PAVON, alors qu'il faisait encore nuit, I______ s'était adressé au groupe auquel il appartenait pour l'informer que le centre de détention allait être investi par l'armée et par la PNC et que les opérations seraient menées par ces dernières. Plus tard, après le début de l'intervention et alors que lui-même se trouvait positionné à PAVONCITO, GP2 avait remarqué qu'un grand nombre d'agents de la PNC se trouvaient dans l'allée principale de cet établissement. Les employés du système pénitentiaire étaient, quant à eux, assis sur des bancs. Lorsqu'il avait demandé à ces derniers pourquoi ils n'étaient pas à leur poste, ceux-ci avaient répondu que la PNC avait "pris les rênes de l'opération, et de PAVONCITO". Alors que le soleil "était déjà haut dans le ciel", GP2 avait reçu un appel téléphonique de GP1, lequel lui avait recommandé de ne pas entrer en conflit avec la police.

Plus tard dans la journée, à un moment où "il faisait déjà jour depuis longtemps", GP1 l'avait rappelé pour lui demander de s'occuper d'un certain "V4", dont il lui avait donné le nom complet et dont le surnom était "X______". GP2 avait demandé à l'un des gardiens de trouver celui-ci. Plus tard, le gardien était revenu avec un homme assez grand, chauve et mal rasé portant des "santiags", un jean et une chemise à fleurs. Lorsque GP2 avait demandé à l'homme s'il était le "X______", celui-ci avait répondu par l'affirmative. Informé de ce qu'il avait trouvé le détenu, GP1 lui avait dit : "Emmenez-le à l'entrée de PAVON sous bonne escorte afin qu'il ne disparaisse pas". GP2 avait alors fait appel à plusieurs gardiens et au conducteur d'un fourgon, à savoir une camionnette de marque NISSAN à "double cabine". Une rencontre avait ensuite eu lieu à "PAVONCITO (…) [où] il manquait un bout de grillage" avec GP1 accompagné d'environ huit policiers – dont au moins un, non-cagoulé, était vêtu de l'uniforme noir des commandos –. V4 avait été remis à GP1 alors que, selon les déclarations de GP2, "le soleil commençait à se coucher".

d.c.a.c. GP3, employé du personnel pénitentiaire, a également été entendu par le Procureur spécial pour la CICIG le 4 février 2011 (200'502ss, trad. 450'987ss). A cette occasion, il a déclaré que, le 25 septembre 2006 vers 04h00, alors qu'il se trouvait avec des collègues du personnel pénitentiaire à l'extérieur de la prison de PAVON, des agents de la PNC les avaient désarmés. Au même moment, son groupe avait été informé par le "Sous-directeur" qu'il n'avait plus le droit de retourner au centre pénitentiaire et qu'il était désormais placé sous la garde de la PNC. Ainsi, durant toute la matinée du 25 septembre 2006, les employés du système pénitentiaire avaient été encadrés, au niveau de l'entrée du centre pour les visiteurs de la prison, par des agents de la PNC. Ces derniers avaient indiqué que la mesure était justifiée par le fait que le décompte des détenus effectué par le personnel pénitentiaire était incorrect. L'intervention avait débuté peu de temps après.

GP3 a encore précisé n'avoir jamais remarqué, au cours des deux années pendant lesquelles il avait travaillé à PAVON, que des détenus possédaient des armes à feu. A sa connaissance, ils ne détenaient que des bâtons et des machettes.

Des agents de la PNC

d.c.a.d. PNC4, employé de la PNC à l'époque des faits, a été entendu sous couvert d'anonymat ("témoin B") par le Procureur spécial pour la CICIG en date du 4 novembre 2010 (200'668, trad. 450'722).

Il a déclaré que sa fonction, le 25 septembre 2006, avait consisté à sortir les prisonniers de la prison de PAVON en vue de leur transfert vers PAVONCITO. A cette date, le premier groupe à être entré dans l'établissement avait été composé d'une quinzaine d'hommes, armés et cagoulés, lesquels tiraient des coups de feu. D'autres agents, dont lui-même, avaient à leur tour pénétré dans l'enceinte de l'établissement tandis que des prisonniers commençaient à se rendre. Alors que ces derniers avaient été rassemblés à l'intérieur de la prison, le groupe des hommes cagoulés s'était présenté, en possession d'une liste de noms, et avait commencé à mettre certains détenus à l'écart pour les emmener dans la "maison de type canadien, dont on disait qu'elle appartenait au Colombien". Des coups de feu en provenance de cette maison s'étaient fait entendre.

PNC4 avait ensuite, en compagnie de plusieurs collègues, recherché dans la prison les détenus qui s'étaient par hypothèse cachés. Arrivé à la maison du Colombien, il avait remarqué que celle-ci était encerclée par les hommes cagoulés, lesquels en contrôlaient l'accès. Selon PNC4, les "autres agents de la PNC" n'étaient pas autorisés à entrer. Depuis l'endroit où il se trouvait, il pouvait voir à l'intérieur de la propriété et avait pu y observer H______, B______ et I______. Demeuré un moment sur place, il avait vu les hommes cagoulés amener un détenu, les mains attachées dans le dos et tenant une bible, et le faire entrer dans la propriété vers la porte principale. PNC4 avait ensuite entendu des coups de feu et vu le détenu – qu'il a identifié sur la photographie P1050238 [pièce 202'148] représentant V2 – tomber à terre. Il avait encore vu les personnes cagoulées faire entrer d'autres détenus puis entendu des rafales. Au total, cinq personnes avaient été amenées à cette maison selon un procédé similaire aux environs de 08h00. PNC4 a encore indiqué avoir vu, au fond de la propriété, un détenu étendu à terre, vêtu d'un pantalon de toile, d'un blouson bleu clair à manches longues et de bottes – qu'il a identifié sur la photographie DSC05817 [pièce 202'244], représentant V6 –. Du sang et un fusil étaient également visibles. A un moment, deux procureurs du Ministère public lui avaient demandé s'il allait "activer la procédure". Le Directeur général de la PNC, S., était ensuite arrivé en compagnie de A______ et tous deux avaient été autorisés à entrer dans la maison. PNC4 et ses collègues avaient quitté les lieux mais des coups de feu s'étaient encore fait entendre. Plus tard, alors que son groupe cheminait, PNC4 avait vu un prisonnier barbu, les mains attachées dans le dos, emmené par deux hommes cagoulés. L'homme, qui avait été battu, avait été sorti d'un pick-up noir de type "FRONTIER" – soit un véhicule de marque NISSAN – dans la mesure où, depuis sa position, PNC4 "pouvait voir à l'extérieur du côté de PAVONCITO". Il avait vu le prisonnier entrer dans la maison et, environ deux minutes plus tard, entendu un coup de feu.

PNC4 a finalement indiqué que les prisonniers ne s'étaient pas opposés à l'opération et n'avaient pas tiré avec des armes à feu. Par ailleurs, l'accès des "droits de l'homme" et de toute entité veillant sur les droits des prisonniers avait été limité.

d.c.a.e. PNC5 (450'041ss, trad. 450'056ss), employé de la division des enquêtes sur les explosifs et les armes à feu au sein de la PNC, a également été entendu par un juge en "avance de preuve". Il a indiqué que le jour de l'opération vers 03h30-04h00, il avait marché avec son groupe "vers le côté oriental" de la prison de PAVON, soit vers l'"entrée de l'autre centre de détention, PAVONCITO". Des agents de la PNC avaient sectionné la clôture. Vers 06h00, l'éclairage dans la prison avait été coupé et une forte détonation avait retenti. PNC5 avait alors vu un groupe de personnes sans insigne de la PNC portant cagoules, casques et lunettes entrer et tirer dans la prison.

Le groupe auquel lui-même appartenait, dont les membres n'étaient armés que de matraques – ils avaient dû déposer leur arme de service –, était également entré. Le jour de l'intervention, la mission dudit groupe avait consisté à capturer les détenus en vue de leur transfert vers PAVONCITO. Alors que PNC5 se trouvait dans le secteur des ateliers sur un chemin de terre menant aux baraques, il avait revu les personnes habillées avec "des uniformes de type commandos". Près de ce chemin, à l'intérieur des ateliers, son attention avait été attirée par un détenu qui riait, l'air moqueur, lequel avait été emmené par les cagoulés Il avait eu l'impression que la bouche de l'homme brillait, peut-être en raison d'une "dent d'un certain matériau". PNC5 avait ensuite continué son chemin jusqu'à la place sur laquelle se trouvait l'église et où de nombreux détenus étaient en train d'être fouillés. Sur cette place, il avait vu S. – lequel avait participé directement à l'opération avec Y______ – accompagné de personnes assurant sa sécurité. A 12h00, PNC5 avait reçu un appel du chef de la division des explosifs, lequel lui avait ordonné de se rendre au secteur des baraques où des engins explosifs avaient été localisés. Arrivé sur les lieux en compagnie de ses collègues, il avait vu, morte, la personne vue plus tôt en train de rire avec, à proximité, un fusil d'assaut appuyé contre une paroi. Le corps était couché au fond d'un local fait de planches, face à une maison de type canadien. Alors que les fenêtres de cette dernière présentaient de multiples orifices, probablement créés par des projectiles d'armes à feu, le local précité ne présentait quant à lui aucun indice d'un affrontement. PNC5 a indiqué que lorsqu'il avait vu, plus tôt, l'homme vivant, ce dernier portait des vêtements différents, soit notamment une cagoule, qui n'était pas complètement enfoncée – celle-ci ne lui couvrant que le cuir chevelu –, un pantalon et une chemise. Il a identifié cet homme comme étant celui figurant en pièce 201'826, soit V6. Par ailleurs, sur présentation de la photographie n° 10 figurant en pièce 201'816, PNC5 a déclaré que, lorsqu'il l'avait vu, le cadavre était situé "plus au fond".

L’intéressé a encore indiqué qu'étaient présents sur place des agents du Ministère public des délits contre la vie, des agents du commissariat n° Y et un major de l'armée (soit M2). Ce dernier, sur ordre du Ministère public, avait remis à PNC5 deux grenades à fragmentation trouvées sur les corps de différents détenus. Ces engins explosifs étaient en parfait état de marche. Le lieu de la remise était celui visible en pièce 201'824. Sur présentation de photographie figurant en pièce 201'813, sur lesquelles apparaît V2 tenant une grenade dans la main, PNC5 a indiqué penser que la grenade avait été placée dans la main du détenu. A cet égard, il a expliqué que si ce dernier avait voulu faire détonner l'engin, il aurait placé le levier de l'autre côté. En effet, en retirant la goupille – ce qui était déjà difficile avec la grenade dans cette position –, le levier de sécurité poussait l'engin vers l'avant, ce qui pouvait provoquer sa chute près de la personne qui l'actionnait. Selon son expérience militaire et technique, l'on n'empoignait pas de la sorte une grenade.

PNC5 a encore indiqué avoir, en 2005, dénoncé à la Direction générale de la PNC – notamment – des irrégularités liées à l'inventaire d'un dépôt de l'Unité des explosifs. Suite à cette dénonciation, il avait été transféré par ladite direction dans un autre service de la PNC, ce qui avait entraîné pour lui, outre la perte de sa spécialisation, une baisse de salaire. A l'inverse, il avait constaté que des officiers ayant commis des exactions étaient récompensés et bénéficiaient de promotions.

d.c.a.f. Entendu le 10 septembre 2010, PNC6 (200'642ss, trad. 451'008ss), employé comme inspecteur au sein du Régime disciplinaire du Bureau de l'inspecteur général de la PNC, a indiqué être arrivé vers 04h00 à PAVON le jour des faits. Sa mission avait été d'aider à l'évacuation des détenus.

Après avoir entendu deux explosions vers 06h00, il avait vu un groupe de policiers, armés et cagoulés, entrer dans le centre de détention "par le terrain de football". A environ 150 mètres, à l'intérieur de la prison, se trouvait une maison dont on disait qu'elle appartenait à un détenu. A ce moment, PNC6 avait entendu des détonations d'armes à feu, étant précisé que les seules personnes qu'il avait vues tirer avaient été celles du groupe précité. Par la suite, armé d'un seul bâton, PNC6 avait lui-même pénétré avec d'autres collègues par la même entrée dans la prison. Lorsque les détonations avaient cessé, des détenus avaient commencé à sortir, de sorte qu'il avait procédé à leur évacuation.

Plus tard, il s'était trouvé à la même entrée entre 06h30 et 07h00 lorsque deux des hommes cagoulés étaient arrivés avec un détenu menotté, lequel n'était pas frappé et n'opposait aucune résistance. Le prisonnier avait été conduit à la maison en bois dans laquelle il était entré. PNC6 avait entendu dire qu'il était Colombien. Trois minutes plus tard, il avait entendu quatre détonations à l'intérieur de la maison. Le jour suivant, il avait appris par la presse que ce détenu était décédé. Sur présentation de photographies, soit les pièces 201'852 et 201'853 de la procédure sur lesquelles figure V4, PNC6 a identifié le détenu précité.

Il a finalement déclaré avoir vu, avant l'entrée du Colombien dans la maison, deux cadavres à l'intérieur de celle-ci "depuis la porte". L'un des corps avait une grenade à la main et l'autre un fusil sur son côté. Il a précisé qu'au même moment, B______, en uniforme avec une "capuche", se trouvait également "à l'intérieur de la maison".

d.c.a.g. Entendu le 21 octobre 2010, PNC3 (200'542ss, trad. 451'005ss), inspecteur au sein de la PNC avait, le 24 juillet 2006, a été chargé par la direction de la PNC de coordonner les inspections oculaires durant l'opération PAVON. Il a indiqué avoir reçu, au moment où les détenus étaient enregistrés et photographiés pour être transférés à PAVONCITO, un appel téléphonique de B______. Ce dernier avait voulu savoir si, parmi les personnes transférées, figurait un nommé V4. Après avoir à son tour passé un appel téléphonique, PNC3 avait obtenu la confirmation que ce détenu avait bien été transféré à PAVONCITO.

d.c.a.h. PNC7 (450'072ss, trad. 450'090ss), inspecteur au sein de la PNC et chef de groupe de la sécurité de B______ au moment des faits, a été entendu par un juge en avance de preuve. Il a indiqué que, le 22 septembre 2006, une réunion avait eu lieu vers 19h00, à propos de laquelle B______ avait déclaré qu'elle devait servir à la coordination d'une importante opération. PNC7 avait entendu dire que la réunion se déroulait dans la maison du Ministre de l'Intérieur. Etaient présents S., tous les sous-directeurs de la PNC, I______ et H______.

Le jour de l'opération, PNC7 s'était rendu chez B______ vers 03h00. A cet endroit, il avait vu arriver Z______, frère du précité, et les K______ et L______. En quittant ledit domicile, les hommes portaient uniformes, cagoules et armes "spéciales". A leur arrivée à PAVON, une réunion s'était tenue devant l'établissement entre S., H______, E______ et B______. PNC7 n'avait pas entendu le contenu de cette discussion, les précités lui ayant demandé de s'éloigner. Il avait toutefois vu ces derniers regarder quelque chose ressemblant à une carte. Ensuite, B______ et lui-même, avec d'autres personnes, s'étaient rendus du côté sud-est de la prison où ils avaient pris place. Il avait suivi les frères F., lesquels étaient montés dans une tour, où ils avaient observé l'intérieur du centre à l'aide d’un fusil "télescopique". Depuis la tour, ils pouvaient voir une maison luxueuse. Après qu'ils furent redescendus de la tour, le personnel de E______, les frères K______ et L______, l'"équipe" de H______ et B______ et lui-même s'étaient mis en place. Tous, y compris ces deux derniers, étaient habillés de noir et cagoulés.

Vers 06h00, une fois la clôture ouverte, ces hommes avaient été les premiers à pénétrer dans la prison en bas d'une pente menant à la "maison de luxe". Alors que le groupe se dirigeait vers cette dernière, les hommes de E______, ceux de H______ et les frères K______ et L______ avaient commencé à tirer. PNC7 a précisé à cet égard qu'il n'avait à aucun moment constaté de résistance de la part des détenus. Les hommes étaient par la suite parvenus au niveau du grillage entourant la maison. L'équipe de H______ était entrée dans celle-ci, PNC7 précisant à cet égard : "nous on a suivi". Dans la ruelle, des prisonniers avaient commencé à sortir des habitations les mains en l'air et, sur ordre du groupe, à se déshabiller. A un moment, lorsque plusieurs détenus avaient été amenés par un policier, L______ avait dit à ce dernier : "Hé, rends-moi celui-ci" et "Je te le rends" avant de déclarer à B______ : "Regarde, un peu plus et ce V6 nous file entre les doigts". Alors que ledit prisonnier était sans habits, PNC7 avait remarqué qu'il portait une chaîne en or et une grande médaille. Le détenu avait ensuite été menotté avec des liens en plastique. PNC7 a identifié celui-ci sur la photographie P1050188 [pièce 202'099], sur laquelle figure V6.

Lorsque les K______ et L______ étaient revenus, B______ leur avait dit : "Le Colombien est nulle part, il faut le chercher", ce à quoi les frères avaient répondu: "C'est pas possible qu'il nous ait déjà échappé". Plus loin, dans le secteur des ateliers, deux files de prisonniers avaient été formées. Les frères K______ et L______ en avaient sorti une personne, soit un "gros basané", lequel s'était exclamé "Et pourquoi moi ?" avant d'être menotté, également avec des liens en plastique. PNC7 a identifié ce dernier détenu sur la photographie P1050241 [pièce 202'150] sur laquelle figure V5.

Par la suite, PNC7 et B______ étaient retournés vers la "maison de luxe" et avaient pénétré dans l'enceinte de celle-ci. L'équipe de H______ était déjà sur place, tout comme E______ et une personne qu'il connaissait sous le nom de "AA______". Les hommes s'étaient rendus derrière la maison. A un moment, AA______ était entré dans la bâtisse pour en faire sortir V6, alors tout habillé mais toujours menotté. PNC7 l'avait reconnu grâce à la chaîne et à la médaille remarquées plus tôt que ce dernier portait autour du cou. Le détenu avait été emmené par AA______ dans de petits hangars et, lorsque celui-ci était revenu seul, il avait dit à E______ : "Là-bas je t'ai laissé V6". E______ s'était à son tour rendu à l'endroit indiqué et des coups de feu avaient retenti. L'homme était revenu peu après en disant : "Putain, il n'est pas encore tout à fait mort, ce n'est pas encore son heure". E______ était reparti, d'autres coups de feu avaient retenti et, à son retour, il avait dit : "Bon, maintenant oui". B______ avait alors donné une tape sur l'épaule de E______ et les deux hommes avaient rigolé, puis le premier s'était rendu au lieu où les coups de feu avaient été tirés par le second, interdisant à PNC7 de le suivre. A son retour, B______ et d'autres personnes étaient entrés dans la "maison de luxe". Par la suite, PNC7 avait été prié, avec d'autres, de sortir de la propriété par le portail situé devant la maison, alors que B______, qui était resté sur place, lui avait dit que deux personnes du Ministère public viendraient pour "voir comment ça se passe". Il avait également dit à PNC7 d'aller vérifier si AB______, soit la personne sous le commandement de E______, allait bien venir. Peu après, AB______, qui portait un sac à dos, était arrivé et avait dit : "Je crois que ça suffit pour ce que vous avez demandé", puis il était entré brièvement dans la maison avant de s'en aller. Plus tard, des coups de feu s'étaient encore fait entendre, en provenance de l'intérieur de la maison. Des membres du Ministère public, qui ne portaient pas de gilet officiel, étaient arrivés et s'étaient dirigés avec B______ vers les hangars. S., qui était également arrivé accompagné de sa garde, s'était à son tour rendu en ce même lieu. Sur question, PNC7 a indiqué ne pas avoir entendu de coup de feu alors que S. se trouvait dans la maison.

A la question de savoir de quelle manière il avait fait la connaissance des frères K______ et L______, PNC7 a indiqué que, lorsque S. convoquait tous les chefs des institutions pour des séances, les frères K______ et L______. étaient également présents. Il a encore précisé n'avoir constaté la présence des frères qu'à partir du moment où B______ lui-même prenait part auxdites séances avec le Directeur général de la PNC. Il a ajouté que les frères K______ et L______ arrivaient dans la salle de réunion en empruntant la même porte que celle utilisée par S. et non pas celle utilisée par le reste des participants. A une occasion, il avait demandé à PNC10, chef de la sécurité de S., quel était le rôle des deux hommes. Son interlocuteur lui avait répondu qu'ils étaient des "conseillers du Directeur". Pour PNC7, B______ entretenait une relation de confiance avec les deux hommes. Il ne se souvenait pas si d'autres opérations ayant précédé celle de PAVON avaient eu lieu en présence des deux frères.

Questionné par ailleurs sur les relations professionnelles entre E______ et B______, respectivement S., PNC7 a indiqué que E______ était subordonné hiérarchiquement à ces deux derniers. La relation entre E______ et B______ n'était pas étroite car le second n'avait pas la confiance du premier dans la mesure où B______ n'était policier que depuis peu, contrairement à E______. Les contacts entre les deux hommes étaient toutefois fréquents.

Interrogé sur H______, PNC7 a indiqué que c'était celui-ci qui avait commandé l'opération dans la mesure où il avait donné les instructions. H______ avait déjà travaillé avec B______, les deux hommes entretenant des relations étroites. PNC7 a précisé à cet égard que H______ possédait de grandes connaissances en matière d'opérations policières. Il était "celui qui savait".

d.c.a.i. PNC8 (450'227ss, trad. 450'234ss), inspecteur au sein de la PNC et membre de la sécurité de B______ au moment des faits, a également été entendu par un juge le 22 juillet 2010. Il a tout d'abord indiqué que B______ ne s'entretenait jamais avec lui, les ordres et communications étant transmis à PNC7.

La veille de l'opération à PAVON, B______ avait pris part à une réunion mais PNC8 ignorait l'identité des autres participants. Le 25 septembre 2006 vers 03h00, ils avaient fait route en direction du Salvador depuis le domicile de B______. A Muxbal, les voitures s'étaient arrêtées à une station-service SHELL. A cet endroit se trouvaient un grand nombre de personnes, dont certaines étaient "vêtues en policiers mais avec des bonnets". PNC8 n'avait cependant pu identifier que S..

Entre 05h30 et 06h00 du matin, il avait pris position, avec B______ et ses collègues, au niveau de l'une des tours située à la périphérie du centre pénitentiaire. En ce lieu, PNC8 avait vu Z______. Par la suite, la clôture avait été abattue et un groupe de personnes, en uniforme de la police nationale, genre commando, cagoulées et armées, était entré. La seule personne qu'il avait pu reconnaître dans cette entité était E______. Le groupe auquel lui-même appartenait, composé de B______, de PNC7 et d'autres camarades, était entré quelques instants plus tard. Alors que les hommes avaient parcouru environ trois mètres, des détonations avaient retenti "de tous les côtés", de sorte qu'ils s'étaient jetés à terre. PNC8 avait vu le groupe situé devant le sien "tirer également à plusieurs reprises". Dans la mesure où les tirs s'étaient ensuite calmés, tous avaient pu avancer jusqu'au niveau d'une porte "en métal ou en clôture" donnant sur une maison luxueuse. Le groupe dont E______ faisait partie était entré dans la maison en courant. De nouvelles détonations s'étaient fait entendre puis les hommes étaient ressortis. A ce moment, d'autres agents appartenant à divers commissariats, tout comme PNC8, étaient entrés à leur tour dans la maison. Ce dernier avait vu un homme à terre, face vers le ciel, tenant un fusil à la main. L'homme, dont il n'avait pas su s'il était mort ou vivant, se trouvait dans une "espèce de petite bicoque (…) seulement entourée (…) de deux côtés et couvert en haut". A la question de savoir s'il avait communiqué cette information à quelqu'un, l’intéressé a répondu : "Bien sûr que non".

Son groupe avait ensuite continué son chemin sur la petite ruelle, étant précisé que PNC8 transportait alors un écarteur hydraulique. Ils étaient finalement parvenus à la place principale du centre pénitentiaire sur laquelle se trouvaient A______, I______ et S.. B______ avait rejoint ces derniers et une conversation, à laquelle PNC8 n'avait pas pris part, s'en était suivie. B______ et lui-même étaient ensuite retournés à la maison où se trouvaient déjà PNC9 et Z______. Après leur avoir ordonné de rester à l'extérieur, B______ était entré dans la maison. Au même moment, PNC8 avait observé une "voiture cabine blanche arriver à la clôture avec une espèce de fourgon de fourrière de couleur bleue". De cette dernière était descendue une personne de peau bronzée claire, barbue et portant un pantalon, laquelle était escortée par L______. Alors que l'homme et L______ entraient dans la maison luxueuse, PNC8 avait entendu quelqu'un dire : "Ils amènent V4". Au bout d'un moment, B______ était sorti de la maison et, lorsque tous avaient commencé à marcher et qu'ils se trouvaient à environ cinq mètres de la propriété, d'autres coups de feu s'étaient fait entendre. B______ s'était retourné, sans autre réaction particulière.

d.c.a.j. PNC9 (4501'56ss, trad. 4501'69ss), inspecteur au sein de la PNC et membre de la sécurité de B______ au moment des faits, a été entendu le 22 juillet 2010 par un juge. PNC7 avait été son supérieur. Ce dernier avait donné l'ordre à ses collègues d'être chez B______ tôt le matin du 25 septembre 2006. A la question de savoir s'il avait vu d'autres personnes ce matin-là au domicile du Sous-directeur, il a indiqué "imaginer que certaines avaient dû venir" mais qu'il n'y avait pas prêté attention dans la mesure où il était courant que B______ recevait des visites, notamment celles des frères K______ et L______.

Dans une "voiture-balai", ses collègues et lui-même avaient suivi la camionnette de B______ sur la route menant vers le Salvador. Avant d'atteindre l'entrée de Muxbal, ils s'étaient arrêtés à une station-essence. Le Sous-directeur était entré dans un magasin avant d'en ressortir pour discuter avec "un tas de gens". PNC9 a indiqué qu'il ne connaissait aucune de ces personnes, précisant n'avoir pas prêté d'attention particulière à ce moment dans la mesure où B______ parlait souvent avec beaucoup de monde.

Ils étaient ensuite repartis à destination de la prison de PAVON, où ils s'étaient garés face à l'entrée principale. PNC7 lui avait ordonné de transporter un sac à dos, sorti du véhicule de B______, et d'accompagner le frère de ce dernier, Z______, lequel était habillé des vêtements de type "commando". PNC9 avait marché le long de la prison, du côté extérieur, jusqu'à atteindre une tour. Z______ avait sorti une arme longue du sac et était monté avec son aide sur la structure. Le frère de B______ avait ensuite communiqué avec un tiers par téléphone ou par radio. Tout à coup, alors que des personnes avaient pénétré dans la prison, PNC9 avait entendu de nombreux coups de feu – dont certains avaient peut-être été tirés par Z______ – de sorte qu'il s'était couché. Il avait également entendu des personnes présentes dire "qu'ils étaient en train de tirer de l'intérieur vers l'extérieur". Par la suite, des personnes nues ou à moitié nues avaient commencé à sortir du centre pénitentiaire.

Peut-être 45 minutes plus tard, il avait retrouvé, à l'intérieur de la prison, PNC7 et PNC8, lesquels se trouvaient à l'extérieur de la clôture d'une maison. A cet endroit, PNC9 avait vu B______, les frères K______ et L______ et E______ sortir de la bâtisse. Il a précisé que de nombreuses autres personnes, qu'il ne connaissait pas, se trouvaient dans la propriété. Il a encore indiqué que des coups de feu avaient retenti dans la maison. Environ 30 minutes plus tard, après que les tirs avaient cessé, S., tout comme A______ et I______, étaient arrivés et avaient rejoint les précités "à l'intérieur de l'extérieur du périmètre de la clôture de la maison". Il n'avait pas vu de morts à cet endroit. Cette réunion avait eu lieu environ une demi-heure après les coups de feu.

d.c.a.k. Entendu le 28 juin 2010, PNC10 (450'241ss, trad. 450'247ss), agent au sein de la PNC, était, à l'époque des faits, chef du groupe qui assurait la protection de S.. La veille de l'intervention, ce dernier avait expliqué qu'une opération allait avoir lieu à PAVON, laquelle pourrait conduire à des décès parmi les détenus ainsi que dans les rangs de la police. L'équipe de sécurité avait attendu le Directeur général à son domicile vers 03h00. PNC10 a indiqué ne pas se rappeler si, après avoir quitté la résidence, le groupe s'était directement rendu au centre pénitentiaire.

Ils étaient arrivés au poste de commandement situé en face de l'entrée principale de la prison où se trouvaient déjà A______, un haut commandant de l'armée, I______, B______, des gens portant des gilets avec l'inscription des droits de l'homme et des employés du Ministère public. B______ était en train de donner des directives. Avant le début de l'intervention, S. et son équipe avaient fait le tour de la prison puis étaient retournés au centre de commandement. PNC10 pensait que l'opération avait débuté vers 05h50. Les effectifs avaient été divisés en trois groupes : celui, positionné au niveau de la porte principale, auquel appartenait S., et deux autres groupes placés respectivement du côté droit et gauche du terrain de football. Il ignorait qui dirigeait les groupes, ayant toutefois précisé à cet égard que S., qui n'avait fait qu'"observer simplement les opérations", ne commandait aucun groupe.

Alors que, dans un premier temps, personne n'avait eu le courage d'entrer, S. et ses hommes avaient finalement été les premiers, du côté de la porte principale, à pénétrer dans la prison. Les autres groupes avaient ensuite suivi l'exemple du Directeur général. Vers 06h30, des coups de feu en provenance du côté gauche, au fond de la prison, s'étaient fait entendre. Des agents de l'Etat avaient ensuite, pendant un certain temps, réuni les détenus sur un terrain de sport. Vers 08h30, S. et ses hommes s'étaient rendus à une maison, laquelle présentait des signes évidents d'un affrontement. PNC10 avait vu, à proximité de sacs, un cadavre, mais il ne se souvenait pas si ce dernier se trouvait proche d'une arme. Il n'avait pas vu de détenu entrer dans la maison. Il avait entendu B______ dire à S. que "cela avait été difficile" et que, heureusement, l'on ne dénombrait aucun décès du côté des forces de police. Il n'y avait eu que des morts parmi les prisonniers. Les deux membres de la Direction de la PNC avaient également mentionné que l'opération avait été un succès. E______, les frères K______ et L______ et d'autres personnes que PNC10 ne connaissait pas, tous cagoulés, se trouvaient également sur les lieux. S. avait observé la maison mais PNC10 ne se rappelait pas si le Directeur avait pénétré à l'intérieur, ajoutant que "c'était comme s'il ne voulait pas trop pénétrer sur la scène". Ils étaient restés sur les lieux environ 30 minutes puis S. et ses hommes s'étaient retirés pour faire le tour des maisons de prisonniers. Vers 12h00, ils s'étaient rendus à l'entrée de PAVONCITO pour observer l'arrivée des prisonniers.

Sur question, PNC10 a encore indiqué avoir été en permanence en compagnie du Directeur général pendant l'opération. Il n'avait vu ni détenu sorti des rangs, ni détenu sorti de PAVONCITO.

d.c.a.l. Entendu le 18 juillet 2010, PNC11 (450'698ss, trad. 450'704ss), agent au sein de la PNC, était affecté à l'escorte de S. à l'époque des faits. Il a indiqué avoir retrouvé, le 25 septembre 2006 vers 03h00, les autres membres de la sécurité du Directeur général au domicile de celui-ci. Après avoir quitté la résidence, ils s'étaient arrêtés, sur la route menant au Salvador, à une station-essence. A cet endroit, S. s'était réuni avec plusieurs personnes, soit notamment B______, PNC7 et les frères K______ et L______ Certains d'entre eux étaient habillés avec des vêtements de type "commando", d'autres avec des uniformes. PNC11 ne savait pas de quoi les précités avaient discuté dans la mesure où l'escorte était restée à l'écart. Ils étaient demeurés sur place environ 30 minutes avant de se rendre à PAVON où ils étaient arrivés vers 04h00.

Dans un espace situé à l'entrée principale de l'établissement, une autre réunion avait eu lieu entre S., B______, PNC7, les frères K______ et L______, H______ et I______. PNC11 a indiqué que S. et sa garde étaient entrés dans la prison vers 06h45 par la porte principale, une fois la prison sécurisée. Après avoir marché sur la gauche, le groupe avait atteint une maison, celle d'un "fameux Colombien". A leur arrivée, des gens cagoulés étaient positionnés en dehors de la clôture métallique entourant la maison. S. avait alors eu une autre réunion avec B______ et H______ (scène qui correspondait, selon PNC11, à la photographie P1050217 [pièce 202'126]). Il n'avait à nouveau pas entendu le contenu de cette conversation, qui avait duré environ 30 minutes. S. et sa garde s'étaient ensuite rendus vers les terrains de sport, où PNC11 avait vu de nombreux détenus. Des policiers présents sur les terrains interrogeaient ces derniers.

Sur question, il a indiqué ne pas se souvenir si des coups de feu avaient été tirés. Il avait quelques fois perdu de vue S. mais ce dernier n'était jamais resté sans escorte. Lui-même n'avait vu aucun cadavre dans la prison, ni aucun prisonnier pénétrer dans une maison de type canadien. Il n'avait pas non plus vu S. entrer dans une maison.

d.c.a.m. Entendu le 14 février 2011, PNC2 (200'537ss, trad. 451'001ss), employé en sein de la PNC, a indiqué qu'entre 04h00 et 05h00 le 25 septembre 2006, le commissaire AC______ l'avait forcé à signer un reçu dressé par un agent en uniforme du système pénitentiaire. PNC2 a indiqué que, selon les termes de ce document, le bureau de commandement de la prison de PAVON lui était remis. L'agent pénitentiaire lui avait simplement expliqué avoir reçu, de ses supérieurs, des ordres en ce sens. Son interlocuteur avait ensuite reçu l'ordre de se retirer.

Des militaires

d.c.a.n. Entendu le 8 septembre 2010, M3 (200'532ss, trad. 450'998ss), capitaine adjoint au sein de l'armée nationale du Guatemala, a indiqué avoir été informé, au cours d'une réunion du 24 septembre 2006, que l'armée participerait à une opération prévue pour le lendemain. Cette dernière visait à "libérer" la prison de PAVON. Au cours de la séance, des photographies de V6 et de ses adjoints avaient été projetées. Le premier avait été présenté comme le chef du Comité d'ordre et de discipline. Il avait également été conseillé aux personnes présentes de rester sur leurs gardes si elles étaient amenées à voir ces détenus.

Le jour de l'opération, le colonel M1 commandait tout le dispositif militaire. Lui-même avait pris place au niveau de l'entrée principale de la prison. S., accompagné de "beaucoup de monde" équipé pour le combat, et A______ avaient également été présents. Alors que tous se trouvaient aux abords du centre pénitentiaire, M3 avait vu à un moment V6 qui portait un chapeau. Il avait entendu, peu de temps après leur entrée dans la prison, des coups de feu en provenance de la zone où était sise la maison du Colombien, zone dont on lui avait dit qu'elle serait la plus sensible durant l'intervention. Par la suite, il avait vu les policiers regrouper les détenus en différents points du centre, soit notamment sur les terrains de football ou vers l'église. Une réunion s'était tenue entre A______, S., I______, et AD______, Ministre de la défense.

Vers 12h00, M3 s'était rendu à la maison du Colombien mais l'accès à cette dernière lui avait été refusé par des individus montant la garde. On lui avait par la suite donné l'ordre de "reconnaître" le terrain. Alors qu'il s'exécutait accompagné d'un soldat, il avait vu un groupe de policiers portant casques et cagoules, ainsi qu'une longue file de détenus. En les observant, M3 avait remarqué que les agents, qui tenaient des feuilles entre les mains, consultaient ces dernières tout en parlant aux détenus, de sorte qu'il avait pensé que les policiers classaient les prisonniers. Parmi ceux-ci, certains avaient été sortis de la file et regroupés à l'écart. Saisissant une conversation entre certains agents, il avait entendu que ces derniers recherchaient les détenus membres du Comité d'ordre et de discipline. Deux jours plus tard, la presse avait publié des photographies de cadavres de détenus. M3 avait alors constaté que l'un des détenus figurant sur les clichés était l’un de ceux qui faisait partie de ceux qui avaient été séparés d'une file de prisonniers lors de l'intervention.

Des détenus

d.c.b. Parmi les détenus incarcérés à la prison de PAVON en date du 25 septembre 2006, les personnes suivantes ont notamment été entendues :

d.c.b.a. D2 a été entendu par un juge le 29 juillet 2010 (450'004ss, trad. 450'011ss). Il a indiqué, en substance, avoir été avec V1 lorsque des policiers avaient, une première fois, appelé par son nom puis sorti ce dernier d'un groupe de détenus rassemblés sur le terrain de "babyfoot" devant l'église. A______, S. et I______ étaient présents. Lorsque V1 était revenu, le groupe de prisonniers avait été déplacé en direction des ateliers. A cet endroit, des policiers, dont certains portaient des casques ouverts, avaient à nouveau écarté son compagnon. D2 avait également vu à cet endroit V5, qu'il appelait "D______", lequel se trouvait déjà à l'écart. Il n'avait plus revu les deux hommes par la suite. D2 a encore indiqué que les détenus n'avaient pas opposé de résistance au moment où ils avaient été mis de côté.

d.c.b.b. D1 (450'019ss, trad. 450'030ss), surnommé "AE______" et proche de V4, a également été entendu par un juge le 29 juillet 2010. Il a indiqué s'être rendu, avec V4, sur la place face à l'église quelques instants après le début de l'opération, soit vers 06h20-06h30. V4 avait dit aux détenus se trouvant avec lui de ne pas résister à l'intervention et de ne pas se préoccuper de lui, précisant qu'il ne lui restait que 40 jours de détention à purger. V4 avait par la suite été frappé par des policiers, alors que S. et H______ se trouvaient à proximité, avant d'être emmené par les agents. D1 était, quant à lui, resté avec d'autres détenus sur la place pendant environ 30 à 45 minutes avant d'être déplacé en vue d'être transféré vers PAVONCITO. Alors que ses données personnelles allaient être relevées par des agents, il avait vu un pick-up, dans lequel était transporté V4, se diriger vers l'ouverture créée dans la clôture à proximité de la maison de ce dernier. Lorsqu'il avait indiqué son nom, un policer avait demandé : "Il est sur la liste ?" et un autre avait répondu par l'affirmative. D1 avait alors vu une liste, sur un papier blanc, où des noms étaient écrits à la main, au crayon gris.

D1 avait été placé à l'écart des autres détenus. Environ 15 minutes plus tard, trois personnes armées portant cagoules, casques et lunettes étaient venues à son contact en provenance du terrain de football puis lui avaient ordonné de les suivre. Ils s'étaient alors dirigés vers la maison de V4, laquelle était encerclée par des cagoulés en uniformes noirs, en possession d'armes sophistiquées. Le groupe s'était arrêté à l'arrière de la maison, où les personnes qui l'accompagnaient lui avaient ordonné d'attendre. D1 s'était toutefois approché d'une fenêtre, laquelle donnait sur les escaliers conduisant à la chambre de V4. Depuis cette fenêtre, il avait vu ce dernier monter les escaliers, précédé de S. et suivi de H______ et de E______, lequel était cagoulé. Il avait ensuite entendu S. dire : "Colombien, sale fils de pute (…) Qu'est-ce que tu crois, que tu peux introduire de la merde ici dans mon pays ?", avant d'entendre des bruits de coups et V4 crier. Au même moment, un homme, cagoulé et portant des bottes militaires, s'était approché de D1 et lui avait demandé ce qu'il faisait là et quel était son nom. L’intéressé ayant alors donné un autre nom que le sien, l'homme cagoulé avait demandé à deux personnes en retrait de ramener D1 dans la queue parmi les autres prisonniers. Après avoir marché sur une distance d'environ 30 mètres, D1 avait entendu des détonations d'armes en provenance de l'intérieur de la maison. Ayant rejoint la file des détenus, il avait à nouveau été mis à l'écart, tout comme un autre détenu, D3. Environ dix minutes plus tard, un officier avait ordonné aux agents présents de replacer les deux hommes parmi les autres détenus. Ils avaient ensuite été transférés à PAVONCITO.

D1 a encore indiqué qu'il se rendait fréquemment dans la maison de V4, contrairement à V2 qui n'y allait que rarement, précisant que les deux hommes n'étaient pas proches.

Il a finalement déclaré, s'agissant de V4, qu'à l'époque des faits, celui-ci s'était laissé pousser les cheveux depuis environ trois mois ainsi que la barbe alors que, d'habitude, l'homme se coupait les cheveux à ras et ne portait pas de barbe.

d.c.b.c. D3 (450'201ss, trad. 450'214ss), entendu par un juge le 29 juillet 2010, a déclaré s'être rendu, avec d'autres détenus, sur la place centrale de la prison lorsque l'intervention des forces étatiques avait débuté le 25 septembre 2006. Sur cette place, les prisonniers étaient rassemblés par les agents étatiques. Un groupe d'agents, vêtus en noir et cagoulés, était entré dans l'église pour en faire sortir certains prisonniers. Parmi ces derniers, D3 avait notamment identifié V4, D1 et le dénommé "AF______". Il avait ensuite vu V4 être emmené par le groupe d'agents. Un peu plus tard, A______, S. et I______, accompagnés de H______ et d'un tiers dont il pensait qu'il s'agissait du Procureur AG______, étaient apparus face à l'église. Il a précisé que tous étaient habillés en civil, à l'exception du Directeur général de la PNC, qui portait uniforme, gilet pare-balles et mitraillette. Les prisonniers avaient été informés qu'ils allaient être fouillés puis transférés à PAVONCITO. Après avoir marché un moment, ils étaient arrivés près du terrain de football, à l'endroit où avait été ouverte une brèche dans la clôture de la prison. A cet endroit, des agents de la PNC demandaient leur nom aux détenus avant de les transférer. Lorsque D3 avait donné son nom, un agent de la PNC avait ouvert un cartable et sorti une feuille sur laquelle figurait 25 noms, dont celui de V4 et le sien. Il avait alors été mis à l'écart, à côté de D1.

Tandis que les deux hommes se tenaient à cet endroit depuis un moment, un "pick-up" blanc s'était arrêté et trois hommes vêtus de noir et cagoulés en étaient descendus. L'un d'eux l'avait fixé du regard et lui avait dit : "Maintenant, je te tiens fils de pute, et aujourd'hui tu vas mourir et pour que tu voies qui je suis…". L'agent avait alors relevé sa cagoule et D3 avait reconnu E______, qu'il connaissait comme étant le chef de la division des enquêtes criminelles au sein de la PNC. Les agents partis, un autre homme, soit un militaire ou un homme en uniforme, était plus tard venu vers eux et leur avait demandé ce qu'ils faisaient à cet endroit. La même question avait été posée à des agents présents sur place, lesquels avaient répondu que les deux détenus se trouvaient sur une liste et que, selon les ordres, ils devaient demeurer à cet endroit. L'homme avait alors ordonné que D1 et D3 soient réintégrés dans la file et transférés à PAVONCITO. Une fois parvenu en ce dernier lieu, de nombreux détenus avaient indiqué à D3 que la police, qui était à sa recherche, posait de nombreuses questions à son sujet. En particulier, un détenu lui avait dit avoir été confondu avec lui et que les agents de l'Etat ne l'avaient laissé partir qu'après avoir vérifié ses empreintes digitales.

D3 s'est encore exprimé au sujet du Comité d'ordre et de discipline, indiquant qu'il ne servait, en réalité, qu'à "voler les gens". Son Président était V6. Parmi les autres membres de l'organisme, il a mentionné AH______, dont la position dans l'organigramme du Comité était "chef de services". S'agissant de V4, D3 l'a décrit comme un "conseiller" dudit Comité. Sur question, il a encore déclaré que V2 ne faisait pas partie de l'organisme mais qu'il était en quelque sorte un garde du corps de U______, dont la presse disait qu'il était le patron du laboratoire de cocaïne sis à PAVON.

A la question de savoir si, à sa connaissance, V5 était ami avec le détenu colombien et s'il fréquentait sa maison, D3 a répondu par la négative. Il a précisé que les amis de V4 étaient "AF______", "AE______" et le dénommé "AI______", précisant que seules 5 ou 6 personnes fréquentaient réellement l'intéressé.

d.c.b.d. D4 (450'180ss, trad. 450'191ss), surnommé selon ses propres termes "AJ______" mais appelé "AI______" dans la procédure, a également été entendu en "avance de preuves" le 29 juillet 2010. A cette occasion, il a indiqué que la police était entrée vers 06h00 dans le secteur de la prison dans lequel il vivait à l'époque des faits, soit le secteur des ateliers. Il se trouvait alors avec un groupe d'amis, lequel se réunissait souvent dans la maison de V4. Parmi ces amis, il a mentionné notamment V3. Alors que les détenus avaient été regroupés en files vers l'église en vue de leur transfert vers PAVONCITO, des policiers lourdement armés, portant des "capuches" et tenant une liste de noms, avaient sorti desdites files plusieurs prisonniers, dont V4. Ce dernier avait été emmené. D4 avait également vu, encore en vie et dans le même secteur, V1. Il avait revu plus tard pour la dernière fois V4 alors que celui-ci sortait de PAVONCITO dans un "pick-up" blanc pour retourner à PAVON. Il a précisé que lui-même se trouvait alors à l'entrée de PAVONCITO.

D4 a ajouté avoir été proche de V4, de sorte qu'il était au courant de beaucoup de choses. Il a ainsi indiqué que la libération de ce dernier était en principe prévue un mois après l'opération et que, deux mois avant celle-ci, un litige était survenu entre l'intéressé et I______. Le second avait, quelque temps avant l'intervention, averti le premier de ce qu'il allait lui "enlever" sa maison. Par ailleurs, pour D4, V4 était quelqu'un de "très important", mentionnant à cet égard que l'homme était détenu pour trafic de stupéfiants. Il a affirmé qu'il n'y avait jamais eu d'armes dans la maison de V4, qui avait d'ailleurs déclaré, à propos de l'intervention du 25 septembre 2006, que personne ne pouvait l'empêcher et qu'il ne fallait y opposer aucune résistance. Interrogé à propos de V5 et V2, il a déclaré que ces derniers n'étaient pas entrés dans la maison de V4, qu'ils ne fréquentaient par ailleurs pas. V4 et V6 entretenaient certains contacts. En effet, le Comité d'ordre et de discipline s'appuyait sur V4, peut-être pour des motifs financiers ou en raison des "connections" que possédait ce dernier.

d.c.b.e. D5 a été entendu le 11 mai 2010 par le Procureur spécial pour la CICIG (200'556ss, trad. 450'614ss). Il a indiqué que l'opération avait débuté à 06h00 par un bruit d'explosion et des coups de feu. Il s'était mis à courir en direction de l'église et de la place civique, notamment avec V4, qui demandait aux détenus l'entourant de ne pas opposer de résistance. Arrivé au niveau des terrains de jeux et alors que les forces de l'ordre avaient déjà investi les lieux, D5 s'était assis sur un banc à proximité de V1, lequel se trouvait avec "ses hommes". Depuis ce lieu, il avait d'abord vu un groupe de policiers en uniforme et cagoulés sortir V2 de l'église puis l'emmener par la "sexta avenida" à l'infirmerie. Plus tard, soit vers 07h30, A______, I______ et S. s'étaient arrêtés au niveau de la place civique. A______ avait alors fait signe à V1 de s'approcher, lequel s'était exécuté. Après quelques échanges avec les trois hommes, le détenu avait été saisi par deux policiers cagoulés qui l'avaient emmené, également par la "sexta avenida", vers l'hôpital.

Par la suite, lui-même avait été emmené vers le secteur des ateliers, où les détenus étaient fouillés. A cet endroit, un homme qui portait un pantalon commando, de grandes lunettes et une cagoule - qu'il a identifié sur la photographie P1050216 [pièce 202125] - lui avait demandé son nom et s'il faisait partie du Comité d'ordre et de discipline. Il avait rapidement été emmené par des agents dans un atelier dans lequel se trouvait déjà, agenouillé, V5. A la demande des hommes cagoulés, il avait dû, plusieurs fois, répéter son nom, mais les agents ne l'avaient dans un premier temps pas cru. Après avoir saisi un document administratif que D5 portait sur lui, les agents cagoulés lui avaient posé plusieurs questions afin de vérifier qu'il était bien celui qu'il prétendait être. L'un des agents avait alors dit : "Ramenez-le, il lui ressemble mais ce n'est pas celui que nous cherchons". Un camarade de D5 lui avait alors indiqué que les hommes l'avaient confondu avec le vice-président du Comité, soit T______. Finalement, il avait été transféré vers PAVONCITO. Par la suite, on lui avait remis un blouson dont on disait qu'il appartenait à V4. A son tour, il avait confié ledit vêtement à deux femmes travaillant pour une "commission internationale" enquêtant sur les évènements du 25 septembre 2006.

d.c.b.f. Entendu le 26 mai 2010, D6 (200'593ss, trad. 450'689ss), détenu proche du Comité d'ordre et de discipline, a indiqué s'être trouvé en présence de V6 dans les instants qui avaient précédé l'opération du 25 septembre 2006. Vers 06h00, lorsqu'une détonation avait retenti, il s'était mis à courir. Il avait vu, au niveau de l'église, I______ en compagnie d'autres personnes, soit notamment B______ et S.. V1, dont D6 a indiqué qu'il était celui qui avait "le plus d'affaires à PAVON", était présent parmi les prisonniers sur la place. S. s'était rendu, une liste à la main, au contact des détenus et avait ordonné qu'une file soit formée par ceux-ci. Alors que les détenus devaient décliner leur identité, le Directeur général de la PNC contrôlait sa liste et "cochait les noms". Les mains des détenus avaient ensuite été attachées avec des liens en plastique et ceux-ci avaient été conduits vers le secteur des ateliers. A cet endroit, D6 avait vu V1 être mis de côté puis emmené "à un autre côté de la partie supérieure des ateliers". Peu après, des coups de feu s'étaient fait entendre. Au niveau du portail des ateliers, D6 avait également vu V3 et V5. Il a ajouté qu'à PAVONCITO, d'autres détenus lui avaient dit, alors que V4 se trouvait au secteur trois de cette même prison, que des agents l'avaient fait sortir en disant que son avocate voulait lui parler. Aucun des prisonniers qu'il avait vus ne s'était opposé à l'intervention des autorités.

d.c.b.g. D7 (200'553ss, trad. 450'612ss), membre du Comité d'ordre et de discipline selon ses propres termes, a été entendu par le Procureur spécial pour la CICIG le 27 mai 2010. Il a indiqué avoir vu, quelques instants après le début de l'intervention des forces étatiques, V6 sur la place sise face à l'église. Ce dernier, qui était un ami, lui avait dit de se rendre avec lui dans le secteur des ateliers. En ce dernier lieu, des policiers cagoulés les avaient interpellés et avaient demandé à V6 de décliner son identité. Cela fait, les agents avaient dit à ce dernier : "C'est toi que nous cherchions". Alors que V6 était resté dans le secteur des ateliers, les autres détenus présents avaient dû retourner sur la place située en face de l'église. A cet endroit, qui se trouvait déjà sous bonne garde, D7 avait vu I______, A______ et trois autres personnes. Alors qu'il parlait avec V1 des évènements en cours, des gardiens étaient venus s'emparer du précité sur ordre d'I______. Ce dernier, les personnes qui l'accompagnaient et V1 étaient ensuite partis en direction de la maison de celui-ci. Par la suite, les détenus avaient dû se placer dans une file en vue de leur transfert vers PAVONCITO. A l'entrée des ateliers, des policiers en civil avaient séparé plusieurs détenus de la file après leur avoir préalablement demandé leur nom. Les prisonniers ainsi triés avaient été menottés. Lorsque lui-même était arrivé à PAVONCITO, D7 avait entendu dire par un gardien que V4 avait été sorti de ce même centre grâce à un mensonge des autorités.

d.c.b.h. Entendu le 6 mai 2010, D8 (200'569ss, trad. 450'630ss) a indiqué que, le jour de l'opération vers 06h00, il s'était rendu sur la place centrale de la prison. De très nombreux policiers se trouvaient déjà à cet endroit. Les détenus avaient d'abord été déplacés de la grande place aux "terrains de football à cinq" où ils avaient dû former une file. Durant ce déplacement, D8 avait vu V5, qui lui avait dit qu'il allait se placer dans la file. Trois personnes armées habillées en noir, casquées, cagoulées et portant des lunettes, étaient arrivées et avaient demandé son nom à un détenu. Les hommes regardaient des photographies comme s'ils recherchaient quelqu'un. Depuis la file, D8 avait également vu V1 avec ses hommes. Lui-même avait été menotté à un autre détenu puis ramené vers la grande place. Vers 08h30, des représentants de l'autorité étaient arrivés, soit A______, I______, S. et le Ministre de la défense. Il n'avait pas remarqué ces derniers donner d'ordres particuliers. Par la suite, soit aux environs de 09h00, il avait entendu des coups de feu provenant du secteur où habitait V4. Plus tard dans la journée, il avait été étonné d'apprendre que ce dernier, V5, V1 et V2 étaient morts, dans la mesure où il n'y avait pas eu de résistance de la part des détenus. Il a encore précisé que V4 n'était pas ami avec V5 et que celui-ci ne se rendait jamais à la maison du Colombien.

d.c.b.i. Entendu le 26 mai 2010, D9 (200'580ss, trad. 450'680ss) a déclaré s'être trouvé en face du logement de V6, situé derrière l'hôpital, lorsque l'opération du 25 septembre 2006 avait débuté. Vers 07h00, alors qu'il se trouvait avec des camarades à plat ventre à proximité de l'église catholique, des agents de la PNC leur avaient demandé où se trouvaient V6 et "C______". Etait également présent, avec le groupe desdits agents, S., lequel portait un fusil M16 ainsi qu'une radio. D9 avait entendu une phrase émise par cette dernière, soit : "Monsieur le Directeur, nous avons déjà V6".

Trente minutes plus tard, les policiers présents sur la place avaient attaché, avec des liens en plastique, les mains des détenus, avant de les déplacer en direction du secteur des ateliers, où des files de prisonniers avaient été formées. Sur place, des agents de la PNC, cagoulés, demandaient aux détenus où se trouvait V1. A l'entrée des ateliers, D9 avait constaté que des agents étaient en train de confondre D3 avec "C______". Toutefois, un agent présent avait par la suite ordonné de "laisser tranquille" ledit détenu, dans la mesure où une comparaison avec des photographies avait vraisemblablement été faite. Les détenus avaient ensuite été transférés vers PAVONCITO. Sur place, D9 avait entendu dire que V4, qui s'était également trouvé à PAVONCITO, avait été trompé par les autorités pour être renvoyé vers PAVON. Pour ce faire, lesdites autorités avaient prétendu que son avocate voulait s'entretenir avec lui. D9 a encore précisé qu'il n'avait pas constaté, dans les lieux dans lesquels il s'était trouvé, de résistance de la part des détenus.

d.c.b.j. D10 (200'583ss, trad. 450'682ss), entendu le 26 mai 2010, a indiqué s'être trouvé, vers 05h00 le jour de l'intervention, au "portail des Désespérés" avec d'autres détenus, soit notamment V6, V1 et D9. Plus tard, lorsque l'opération avait débuté, il s'était mis à courir avec d'autres en direction du terrain de football. A ce moment, soit vers 06h30-07h00, alors que le groupe de détenus se trouvait dans le secteur des ateliers, des policiers cagoulés s'étaient emparés de V6 en disant : "C'est celui-ci". Ce dernier avait été déshabillé et mis à genoux, puis ses mains avaient été attachées dans son dos. D10 a précisé que les policiers cagoulés qui avaient saisi V6 avaient un appareil-photo avec lequel ils comparaient des clichés et les détenus. Les détenus que les agents cherchaient étaient mis de côté. Il a ajouté que lui-même avait été rapidement transféré vers PAVONCITO. Des photographies de l'intervention lui ayant été présentées, il s'est identifié sur la photographie P1050198 [pièce 202108] correspondant au moment où il avait été menotté. Il a encore indiqué avoir vu S., avec d'autres personnes, au "portail de PAVONCITO" vers 07h30.

d.c.b.k. Entendu le 26 mai 2010, D11 (200'586ss, trad. 450'684ss), membre du Comité d'ordre et de discipline selon ses propres termes, a déclaré que, lorsque l'opération avait commencé vers 06h00, il s'était trouvé derrière l'église catholique avec d'autres détenus. Des policiers, qui l'avaient à son avis confondu avec V6 dans la mesure où il portait un chapeau ce matin-là, l'avaient séparé et emmené d'un autre côté de l'église. Plus tard, alors que les autres détenus étaient transférés vers PAVONCITO, il avait demandé quelle était la situation le concernant. A ce moment, les agents l'avaient relevé et transféré à son tour vers l'autre établissement pénitentiaire. D11 expliquait ce revirement par des rumeurs qu'il avait entendues, à savoir que V6 avait, à ce moment, déjà été trouvé. Il a par ailleurs ajouté avoir vu V5 vers 09h00 mis à l'écart par les agents et assis dans le secteur des ateliers. Alors que D11 entrait dans PAVONCITO vers 10h00 selon son souvenir, il avait vu V4 être sorti dudit centre. L'homme portait une écharpe qu'il avait alors remise à un autre détenu, indiquant que son avocate était venue le chercher. D11 a encore déclaré qu'il connaissait bien tant V6 que V4, ajoutant que les deux hommes travaillaient par ailleurs beaucoup ensemble.

d.c.b.l. D12 (200'574ss, trad. 450'675ss), entendu le 6 mai 2010, a indiqué s'être trouvé avec V2 à côté de l'église catholique lorsque la PNC était entrée dans PAVON le 25 septembre 2006 vers 05h30 ou 06h00. Plus tard, alors que de nombreux détenus étaient rassemblés devant l'église catholique, des agents de la PNC leur avaient attaché les mains avec des liens en plastique. A proximité de cet endroit, vers 08h30, il avait vu A______ accompagné de S.. Peu avant 10h00, alors que les détenus se déplaçaient vers les ateliers, B______, qui portait une veste verte et un casque, était arrivé en compagnie de policiers. Le Sous-directeur de la PNC avait déclaré, en désignant V2, "celui-ci est à moi", puis s'était adressé à ce dernier en disant : "Donne-moi la maison de drogues". Son compagnon avait ensuite été emmené par les agents. A l'entrée des ateliers, K______ ou L______, en uniforme et casqué, interrogeait les détenus qui passaient. E______, avec lequel D12 avait par le passé travaillé, était également présent, le visage à moitié masqué. Ayant constaté que certains détenus, tel V5, étaient séparés du reste des prisonniers, D12 n'avait pas dévoilé son véritable nom lorsque K______ ou L_______ lui avait demandé de décliner son identité. Peu après, il avait été transféré à PAVONCITO. Il a indiqué n'avoir vu aucun détenu s'opposer à l'intervention des forces étatiques.

d.c.b.m. Entendu le 26 mai 2010, D13 (200'577ss, trad. 450'678ss) a indiqué s'être trouvé, peu avant l'intervention de 25 septembre 2006, au "portail des Désespérés" avec d'autres détenus, dont V6. Alors que l'intervention était imminente, le groupe auquel il appartenait avait couru en direction des ateliers. Les détenus avaient alors croisé des policiers venant de la direction opposée, lesquels leur avaient ordonné de s'allonger par terre. Alors que, sur ordre des agents, V6 se déshabillait, un policier cagoulé avait dit à celui-ci : "C'est toi que je suis venu chercher, fils de pute". V6 n'avait pas répondu et les agents l'avaient frappé au niveau de la tête. D13 n'avait plus revu le précité par la suite. Lorsque les agents lui avaient demandé s'il appartenait lui-même au Comité, il avait répondu par la négative. Il avait ensuite été transféré, nu, vers PAVONCITO. A cet endroit, il avait vu V4, lequel était arrivé dans le même secteur que le sien vers 07h00 ou 07h30. Environ trente minutes plus tard, les agents étaient venus chercher le détenu colombien, qui les avait suivis de manière volontaire. D13 avait appris, de la bouche de détenus arrivés à PAVONCITO une demi-heure après le départ de V4, que ce dernier était mort.

Des photographies de l'intervention lui ayant été présentées, l'intéressé s'est identifié, complètement nu, à côté de V6, sur les photographies P1050188 [pièces 202'099] et P1050190 [202'101]. Sur question, il a encore précisé qu'aucun détenu ne s'était opposé à l'intervention des forces étatiques.

d.c.b.n. D14 (200'589ss, trad. 450'686ss), membre du Comité d'ordre et de discipline selon ses propres termes, a été entendu par le Procureur spécial pour la CICIG le 26 mai 2010. Il a indiqué que, dans les heures qui avaient précédé l'opération du 25 septembre 2006, V6 s'était adressé, via un mégaphone, aux autorités présentes autour de la prison. Il avait informé ces dernières de ce que les détenus ne s'opposeraient pas à l'intervention. Lorsque cette dernière avait débuté, alors qu'il se trouvait avec V6 et d'autres à proximité du "portail des Désespérés", les détenus avaient couru en direction du terrain de football, puis du portail des ateliers. Un groupe de policiers cagoulés venant en sens inverse avait toutefois ouvert le feu dans leur direction, les forçant à rebrousser chemin vers le terrain de sport. A cet endroit, les détenus, dont V6 et lui-même, avaient été appréhendés par d'autres agents cagoulés, lesquels leur avaient ordonné de se déshabiller. Alors que D14 avait ensuite été escorté vers l'ouverture faite dans le grillage en direction de PAVONCITO, V6 avait été contraint de rester au sol. A PAVONCITO, D14 avait vu V4, lequel était arrivé dans l'établissement "beaucoup plus tard que lui". Par la suite, un garde avait dit au détenu colombien que son avocate le cherchait, de sorte que ce dernier était parti et n'était plus revenu.

Des photographies de l'intervention lui ayant été présentées, l'intéressé s'est identifié, déshabillé, à côté de V6, sur la photographie P1050190 [pièce 202'101].

d.c.b.o. Entendu le 11 mai 2010, D15 (200'597ss, trad. 450'692ss) a déclaré s'être trouvé en face de l'église lorsque les autorités avaient pénétré dans PAVON le 25 septembre 2006. Des policiers avaient alors ordonné, via un mégaphone, aux détenus de se rassembler sur le terrain de football, ce que D15 et ses compagnons, dont V1, avaient fait. Sur place, après avoir formé une file, les détenus avaient été attachés deux par deux et emmenés "à la partie basse de PAVON où se trouvent les garages". A______, I______ et B______ étaient alors arrivés et s'étaient entretenus avec des agents lourdement armés, habillés en noir et portant des lunettes. Deux d'entre eux, qui avaient les yeux bleus, tenaient une liste à la main. Plus tard, A______ avait appelé V1, lequel était sorti de la file et avait rejoint le Ministre de l'Intérieur. Après avoir acquiescé à des questions que lui avait posées ce dernier, V1 était revenu vers le groupe des détenus. D15 avait alors perdu de vue ce prisonnier, dans la mesure où lui-même avait été fouillé, puis conduit au secteur des ateliers. A cet endroit, il avait vu V5, qui était assis près d'un arbre situé entre l'église et l'entrée des ateliers. Plus loin, là "où le chemin bifurquait pour mener au garage et aux ateliers", il avait revu V1 et le surnommé, lesquels étaient maîtrisés par les agents. Lui-même avait toutefois été contraint de continuer son chemin vers l'ouverture créée dans la clôture de la prison. Il avait alors entendu des bruits de pétards.

Lorsqu'il avait revu plus tard AK______, le précité lui avait raconté avoir été emmené, avec V1, dans la maison de V4. Sur place, un agent habillé en noir et portant des lunettes avait demandé à AK______ ce qu'il faisait là, lequel avait répondu qu'il était menotté à V1. S. ou A______ avait alors donné l'ordre de détacher AK______, qui avait rejoint les autres détenus présents dans le secteur des ateliers.

Des autres témoins

d.c.c. D’autres personnes ont encore été entendues par le Procureur spécial auprès de la CICIG.

d.c.c.a. Le 28 février 2011, PDH1 (200'507ss, trad. 450'991ss) a indiqué avoir été mandaté par la PDH pour vérifier, le 25 septembre 2006, que les droits fondamentaux des prisonniers étaient respectés par les forces étatiques présentes à PAVON. Lors de son audition, l’intéressé a confirmé avoir été empêché de pénétrer dans l'enceinte du pénitencier par des agents de la PNC, lesquels avaient indiqué avoir reçu des ordres en ce sens de leurs supérieurs. PDH1 a précisé qu'il portait alors un gilet de la PDH. Il a également confirmé que le Président de la COPREDEH, présent sur les lieux, avait refusé d'accorder son soutien au personnel de la PDH (500'630s, trad. 451'093s). Plus tard dans la journée, il avait vu un véhicule de type "pick-up", dans lequel se trouvaient plusieurs cadavres, sortir du centre pénitentiaire.

d.c.c.b. AL______ (200'520ss, trad. 450'994ss), Juge de paix dans la commune de AM______, a été entendu le 26 mai 2010. A cette occasion, il a indiqué s'être rendu à PAVON quelques jours avant l'opération du 25 septembre 2006 afin de connaître de recours d'habeas corpus en faveur de détenus craignant pour leur vie. Le jour des faits, il s'était rendu à la prison de PAVON entre 08h00 et 09h00. A ce moment, l'ordre avait déjà été rétabli. Il avait été autorisé à pénétrer à l'intérieur de l'établissement, y compris dans les lieux où les détenus avaient trouvé la mort. A cet égard, AL______ avait constaté que V6, soit l'un des requérants de l'habeas corpus, figurait parmi les sept prisonniers décédés. A la question de savoir ce qu'il avait pensé des lieux sur lesquels les cadavres des détenus avaient été retrouvés, il a répondu que la scène était "dantesque" et qu'il avait pensé, en raison de l'expérience qu'il avait acquise en matière de levées de corps, que certaines choses semblaient avoir été manipulées, "comme par exemple le fait qu'un des cadavres portait des armes de grand calibre et qu'un autre même portait des accessoires de type commando et qu'ils se trouvaient dans la maison de V4". AL______ a ajouté n'avoir constaté aucune trace de confrontation de l'intérieur vers l'extérieur.

Le Juge de paix a encore indiqué s'être entretenu lors de sa visite avec un certain nombre de détenus, lesquels, citant notamment l'exemple de V4, affirmaient que des exécutions extrajudiciaires avaient été commises. Selon lesdits détenus, des agents cagoulés étaient en effet venus appréhender le prisonnier colombien alors que celui-ci se trouvait déjà à PAVONCITO. A cet égard, une veste bleue de marque NIKE, dont les détenus soutenaient qu'elle leur avait été remise par V4 à PAVONCITO au cas où quelque chose lui arriverait, avait par ailleurs été confiée. Ce vêtement avait par conséquent été consigné par ses soins et conservé à la disposition du Ministère public.

De la procédure genevoise

e. Comme relevé supra sous B. b. b., S. a été interpellé par la police genevoise en date du 31 août 2012 (801'005). Le même jour, il a été mis en prévention pour avoir, d'une part, ordonné l'exécution de V6, V4, V1, V7, V3 et V2 et, d'autre part, pour avoir lui-même exécuté V5 (500'006).

En date du 1er mars 2013, D. S. V., mère de V1, s'est constituée partie plaignante dans le cadre de la procédure genevoise (100'768ss).

De l'audition de S.

e.a.a. Devant le Ministère public genevois, S. s'est exprimé sur les faits relatifs à l'opération PAVON, dans un premier temps lors des audiences des 31 août 2012 (500'005ss), 15, 18 et 26 octobre 2012 (500'103ss, 500'106ss et 500'111ss) ainsi que des 5 et 8 novembre 2012 (500'115ss et 500'120ss).

Il a contesté les faits qui lui étaient reprochés et clamé son innocence.

Il a expliqué que, début 2005, afin d'"améliorer la perception publique du phénomène de criminalité", un cabinet de sécurité, composé notamment du Président de la République, du Vice-Président, des Ministres de la Défense et de l'Intérieur, du Directeur du système pénitentiaire, du Procureur général et de lui-même, avait décidé de reprendre le contrôle du service pénitentiaire, entre autres dans la prison de PAVON. Le Directeur du système pénitentiaire avait alors été chargé d'élaborer un plan en ce sens, plan qui avait été présenté entre trois et six mois avant l'opération du 25 septembre 2006. Lui-même n'avait été impliqué dans les détails organisationnels qu'environ quatre semaines avant l'intervention, à l'occasion d'une première réunion. Le 22 septembre 2006, les plans d'exécution définissant le rôle de la police dans l'opération lui avaient été présentés par le Directeur général adjoint de la PNC, soit PNC12. A cette même date, il avait pris connaissance du plan global, lequel avait alors été nommé PAVO REAL. La veille de l'opération, une dernière réunion interinstitutionnelle, à caractère politique, avait eu lieu dans les bureaux de A______, en présence du Vice-Président, du Ministre de la Défense et du Directeur du système pénitentiaire. Lors de cette séance, les conséquences sur l'opération d'un article de presse de quatre pages, paru le même jour, avaient été discutées. Cet article citait les noms de plusieurs membres du Comité d'ordre et de discipline. S'il connaissait de longue date l'existence de ce Comité, il n'avait toutefois jamais connu l'identité de ses membres, dans la mesure où cela n'était pas de sa responsabilité. Il n'avait dès lors pas prêté attention aux informations contenues dans cet article. Il a ajouté qu'il ne connaissait aucun détenu incarcéré à PAVON et ignorait, en particulier, qui était V4 avant l'opération. Il n'avait jamais entendu parler d'une liste de détenus qu'il fallait isoler et/ou éliminer.

Concernant le rôle des différents intervenants prévus par le plan PAVON, S. a déclaré que la fonction de diriger les effectifs de la PNC – soit 1'500 personnes selon son souvenir – le jour de l'opération était attribuée au chef du commissariat de la région de PAVON (Commissariat n° X). Questionné sur son propre rôle, il a d'abord indiqué n'avoir eu "aucun rôle spécifique" et a précisé qu'à l'instar des Ministres et des Sous-Directeurs, sa présence sur place avait principalement été due à la demande du Service de la communication sociale de la Présidence. En effet, il était important que des figures de l'autorité soient présentes afin de démontrer l'importance accordée par celle-ci à la lutte contre l'insécurité. Il n'avait assumé ainsi qu'un "rôle de représentation". Il sied de relever que S. a, par la suite, quelque peu nuancé ses propos en indiquant que, s'il n'avait pas eu une responsabilité opérationnelle lors de l'intervention, il avait toutefois assumé une responsabilité politique de sorte qu'il avait dû veiller au bon déroulement des opérations. Questionné sur la hiérarchie au sein de la PNC, S. a indiqué qu'en-dessous de sa propre fonction de Directeur général de la PNC, située au plus haut de ladite hiérarchie, se trouvaient les fonctions suivantes, classées par ordre décroissant d'importance : Directeur général adjoint, Sous-Directeur général, Chef des opérations, Chef de "permanence", Chef de district, puis Chef de commissariat. Il a précisé qu'au niveau national, la PNC comptait 27 Chefs de commissariat. Un schéma récapitulatif a été produit par S. à cet égard (500'110).

A la question de savoir à quelle heure il devait se rendre à PAVON le jour de l'intervention, S. a indiqué que "rien n'était prévu" et qu'il pouvait "faire comme il le souhaitait", précisant qu'il n'avait pas de rendez-vous prévu sur place. Il était toutefois arrivé au centre pénitentiaire vers 04h00. Il s'était rendu au centre de commandement, où se trouvaient déjà notamment I______, B______, M1, les chefs de la police du district central, le chef du commissariat n° X et des représentants du Ministère public et de la COPREDEH. Entre 05h00 et 05h30, il avait fait le tour – extérieur – du centre pénitentiaire en compagnie de M1 afin de vérifier le bon placement des troupes. Faisant référence à des interventions passées, S. a indiqué que la partie nord de la prison, où était sise l'entrée principale, était historiquement la plus dangereuse pour les autorités. Il avait par conséquent décidé, "à des fins de supervision", d'accompagner les troupes qui devaient entrer à cet endroit. L'entrée sud devait, quant à elle, être supervisée par le chef de la police du district central, tandis que l'entrée Est devait l'être par B______. S'agissant de son armement, S. a indiqué avoir porté, le jour des faits, un AK92M, un pistolet BERETTA 9 mm, un GLOCK 9 mm, ainsi qu'un COLT para ordonnance 45. Il n'avait fait usage, durant cette journée, d'aucune de ses armes.

S'agissant de l'intervention elle-même, S. a déclaré avoir entendu, au moment où son groupe allait pénétrer dans le centre pénitentiaire, soit entre 06h00 et 07h00, une longue séquence de coups de feu sans savoir d'où ces derniers provenaient. Ayant alors constaté que des membres des forces étatiques étaient apeurés et refusaient d'entrer, il avait montré l'exemple en entrant le premier et leur avait ordonné d'accomplir leur devoir. Une fois à l'intérieur, son groupe avait emprunté le corridor central et s'était ensuite dirigé vers la place de l'église. Il avait continué vers l'entrée sud, puis avait longé, à l'intérieur de la prison, la clôture jusqu'à l'entrée est. Depuis cette dernière, il avait remonté, à la suite de policiers et d'un véhicule blindé, un chemin qui menait à des constructions de type "favelas". En haut de ce chemin, du côté droit, se trouvait un groupe composé de nombreux agents, dont certains portaient des uniformes n'appartenant ni à la police, ni à l'armée et d'autres des cagoules, avec ou sans uniforme. A ce moment, soit aux environs de 07h10, S. avait rencontré, pour la première fois le jour de l'intervention, H______, conseiller du Ministre de l'Intérieur. Ce dernier l'avait informé de manière informelle qu'un certain nombre de détenus avaient perdu la vie lors d'échanges de coups de feu avec les policiers. S. était ensuite entré dans une propriété protégée par un grillage sur laquelle était située une maison de deux étages. En regardant par la porte entrouverte de cette dernière, il avait constaté que des policiers gardaient, probablement dans l'attente de l'arrivée du Ministère public, un ou deux cadavres. S. n'était pas entré dans cette maison afin de ne pas contaminer la scène. Il avait continué son chemin sur des terrains clôturés et, arrivé à une sorte de poulailler, avait pu voir des policiers et des membres d'autres institutions à côté d'une personne allongée, probablement décédée, dont il n'avait aperçu que les jambes. Le groupe de S. avait ensuite quitté les environs de la maison en compagnie de B______ pour retourner vers l'entrée nord. Il devait alors être entre 07h00 et 08h00. Il avait procédé, avec de nombreuses personnes, à l'inspection de tous les bâtiments de la prison. Celle-ci achevée, il était retourné au secteur des ateliers, puis à la maison à deux étages. Son groupe ne s'était toutefois pas approché de cette dernière, dans la mesure où la police scientifique se trouvait alors sur les lieux. Environ une heure plus tard, après un rapport préliminaire du chef du commissariat n° X sur le déroulement de l'opération, une conférence de presse avait été organisée. Ultérieurement au cours de la journée, ce même commissaire l'avait informé que sept détenus au total étaient décédés. Il avait découvert, le lendemain matin dans le rapport qu'il recevait quotidiennement, l'identité de ces sept prisonniers.

S. a ajouté que tous les employés de la PNC participant à l'opération avaient eu l'obligation de porter l'uniforme. S'agissant des cagoules, seuls les agents de la division des enquêtes criminelles – dont il ignorait le rôle lors de l'intervention – ou des forces spéciales étaient autorisés à en porter, en plus de leur uniforme. Sur question, il a indiqué que parmi les différents services auxquels pouvaient appartenir des agents cagoulés, sans uniforme, figurait la section anti-enlèvement, dirigée à l'époque par H______. S. a précisé avoir été surpris de rencontrer ce dernier et son équipe à proximité de la maison de V4 dans la mesure où leur participation n'avait pas été, selon son souvenir, planifiée.

Le Procureur lui ayant demandé comment il expliquait la présence, sur certaines photographies, de V6, vivant, déshabillé et maîtrisé (P1050188ss [pièce 202'099ss]), puis mort et habillé (P1050236 [202'145]), S. a déclaré que rien ne "garantissait" que les individus apparaissant sur les clichés étaient bien la même personne, étant précisé que la qualité des clichés était très mauvaise. A la question de savoir s'il avait été informé que l'un des détenus décédés le 25 septembre 2006 avait préalablement été interpellé par les forces de police, S. a déclaré n'avoir entendu une théorie en ce sens que bien après les faits, soit lorsque la PDH avait ouvert son enquête. Il a ajouté qu'il ne pouvait "ni confirmer ni infirmer que des détenus auraient été arrêtés avant d'être retrouvés morts", précisant à cet égard que la PDH n'avait pas fourni d'autres renseignements à cet égard. S'agissant de l'hypothèse selon laquelle V4 aurait, avant son décès, été préalablement transféré à PAVONCITO, S. n'en avait pas non plus entendu parler avant l'ouverture de l'enquête de la PDH.

Interrogé sur les frères K______ et L______, S. a indiqué les avoir vus la première fois au Ministère de l'Intérieur avant que B______ ne les lui présente ultérieurement. Selon lui, les frères K______ et L______ n'appartenaient pas officiellement aux différents services du gouvernement. Ils avaient toutefois été engagés, de manière régulière, par la Sous-Direction des enquêtes criminelles de la PNC en tant que consultants. Dans le cadre de ces missions, ils accompagnaient constamment B______ et prenaient, à ces occasions, des photographies et des notes dans le but d'améliorer l'organisation de la Sous-Direction. Ils avaient également participé à des enquêtes internes, par exemple lorsque des doutes existaient quant à l'aptitude de certains policiers à remplir leur mission. Considérés comme des délateurs, ils s'étaient fait beaucoup d'ennemis parmi les autres membres de la Sous-Direction. Le 25 septembre 2006, S. pensait avoir vu à PAVON l'un des deux frères, soit K______. Il supposait que les frères avaient alors accompagné B______ dans le cadre des activités précitées.

Interrogé sur H______, S. a indiqué que celui-ci exerçait, au moment des faits, la fonction de conseiller auprès du Ministère de l'Intérieur depuis plus de dix ans. Lorsque S. avait pris ses fonctions au sein de la PNC, H______ lui avait été présenté, avec d'autres, comme faisant partie intégrante du Ministère de l'Intérieur. Par la suite, il le voyait régulièrement lorsqu'il se rendait audit Ministère pour des réunions, ordinaires ou extraordinaires. Dans la mesure où S. n'était pas son supérieur, il ignorait quel avait été le rôle de l’intéressé lors de l'opération PAVON. Il ne pouvait que supposer que la présence du conseiller était liée à une affaire d'enlèvement.

S'agissant de la réception par l'opinion publique de cette opération, S. a indiqué qu'elle avait été, dans un premier temps, très bonne. Grâce au succès de l'intervention, I______ avait, par exemple, pu se présenter aux élections présidentielles qui avaient suivi. S. a précisé que, deux mois après l'opération, il avait appris que la PDH avait ouvert une enquête relative aux décès survenus le 25 septembre 2006. Il avait été informé, le même jour, que le Ministère public menait également sa propre enquête, sur la base des informations que lui avait transmises la PDH. Par la suite, soit en 2008, le nouveau Président de la République avait "ordonné la persécution" des responsables au sein du précédent gouvernement. En 2010, S. avait finalement appris par les médias qu'il était lui-même visé par une enquête sur PAVON, raison pour laquelle il avait spontanément pris contact avec le Ministère public genevois.

S'agissant des faits dont il était prévenu, S. a indiqué avoir toujours adopté un comportement irréprochable et tenté de servir au mieux le service public. Il n'avait ni tué, ni planifié l'exécution de quiconque. S'il avait d'ailleurs eu connaissance d'informations selon lesquelles l'opération sortirait du cadre légal, il n'aurait jamais accepté d'y participer. Il a ajouté avoir, dans le cadre de son activité, mené d'importantes actions contre la corruption qui gangrénait la police. En particulier, l'Inspection générale des services avait été créée, parallèlement au renforcement du Bureau des enquêtes internes. Des sommes importantes avaient été investies afin de moderniser le système de réception des plaintes. Il avait encore contribué à équiper les véhicules de police de GPS. Grâce à ce dernier système, des policiers membres de la Sous-Direction des enquêtes criminelles avaient, par exemple, pu être arrêtés après l'assassinat de députés salvadoriens. C'était d'ailleurs B______ lui-même, avec l'aide des frères K______ et L______, qui avait procédé à l'enquête et aux interpellations. Pour S., ces mesures n'étaient pas celles qu'entreprendrait un Directeur de la police souhaitant couvrir les agissements illégaux de ses subordonnés.

e.a.b. S. a produit, au cours de la procédure, deux expertises privées (706'040ss et 706'057ss) relatives aux photographies référencées P10500192 [202'103] – sur laquelle apparaît V6 vivant – et P1050233 [202'142], respectivement à la photographie P1050182. Ces analyses retiennent, en substance, la présence d'éléments "douteux" et de possibles retouches.

Des témoins entendus à Genève

e.b. Divers acte d'enquête ont été accomplis au cours de l'instruction dirigée par le Ministère public, soit en premier lieu l'audition d'un certain nombre de témoins :

Enquêteurs CICIG

e.b.a. CICIG2, coordinateur de l'enquête menée par la CICIG, a été entendu par le Procureur en date du 4 mars 2013 (500'159ss).

Il a tout d'abord produit, en grand format, un plan aérien du centre pénitentiaire de PAVON tel qu’existant à l’époque (avec la précision que la photographie n’avait pas été prise le jour des faits, le terrain de football étant inondé. Il a notamment indiqué, sur ce dernier, l'emplacement de la maison de V4 et les trois entrées (marquées "A", "B", et "C") par lesquelles les forces étatiques avaient pénétré dans la prison lors de l'intervention du 25 septembre 2006.

Il a indiqué que la CICIG avait obtenu d'un informateur secret de la PDH, se faisant appeler "AN______", des renseignements relatifs à l'existence d'une structure parallèle chargée de faire du "nettoyage social", soit d'éliminer des délinquants. Ladite structure avait sous ses ordres des groupes de policiers chargés d'exécuter les ordres donnés. La CICIG avait dès lors formé, aux environs d'octobre 2008, une équipe d'enquêteurs composée notamment de CICIG3 et de lui-même, à laquelle s'était entre autres ajouté par la suite CICIG4. Dans ce cadre, la commission avait enquêté sur S., A______, B______, I______, H______, E______ et J______, s'agissant notamment des décès survenus lors de l'opération PAVON.

Concernant les conclusions de la CICIG dans cette même enquête, CICIG2 a, en résumé, confirmé que la commission considérait que les sept détenus décédés n'avaient pas opposé de résistance lors de l'intervention des forces étatiques. En réalité, un corps de police "parallèle", formé de plusieurs membres de la PNC et de civils cagoulés, avait été chargé par les autorités d'exécuter les 25 détenus les plus influents de la prison dont les noms figuraient sur une liste non officielle. Cette dernière liste avait été établie par GP1, lequel avait été chargé d'élaborer le plan original relatif à l'opération PAVON. C'était dans ce contexte que les sept détenus avaient été abattus le 25 septembre 2006, vraisemblablement entre 06h00 et 10h00. A______ et S. avaient eu connaissance de tous les éléments qui précèdent.

Le témoin a encore déclaré qu’avant les investigations menées par la CICIG, le Ministère public n'avait pas enquêté, précisant à cet égard que les dossiers étaient répartis entre plusieurs bureaux de procureurs et que certains "étaient restés dans des tiroirs". Dans la mesure où les preuves recueillies étaient réparties entre ces différentes unités, le Ministère public n'avait disposé "d'aucune vision d'ensemble". CICIG2 a également relevé que les autopsies, ainsi que les rapports officiels rédigés à leur suite, avaient été défaillants. Il a cité l'exemple de V5, dont les lésions sur les poignets n'avaient pas été immédiatement décrites à la suite de l'autopsie survenue dans l'après-midi même du 25 septembre 2006. Ces défaillances avaient constitué la raison pour laquelle la CICIG avait demandé deux expertises en lien avec les autopsies. L’intéressé a encore précisé que, dans les premiers temps de l'enquête menée par la CICIG, celle-ci avait rencontré quelques difficultés dans sa collaboration avec le Ministère public. Cependant, les relations entre les deux entités s'étaient améliorées avec la création du Ministère public spécial détaché auprès de la CICIG.

S'agissant de son implication personnelle dans le cadre de cette enquête, CICIG2 a déclaré avoir personnellement assisté à toutes les auditions de témoins s'étant déroulées devant le Ministère public spécial pour la CICIG. Questionné quant à l'existence d'éventuelles contradictions entre les déclarations effectuées par les différents témoins entendus, il a indiqué que ces contradictions, quand elles existaient, avaient essentiellement trait à l'heure exacte à laquelle s'étaient déroulés les différents moments de l'intervention le 25 septembre 2006. A la question de savoir si des personnes avaient refusé de témoigner par crainte de représailles, CICIG2 a répondu par l'affirmative, précisant que certains témoins avaient exposé faire l'objet d'intimidations. Il a ajouté que les témoins qu'il avait entendus lui avaient paru totalement crédibles.

Questionné sur l'origine des photographies relatives à l'opération PAVON transmises par les autorités guatémaltèques au Ministère public genevois (photographies P1050148ss [pièces 202063ss, classeur B.6.1.] et 1ss et DSC05755ss [202161ss, classeur B.6.2.], mentionnées supra sous point C.d.a.), CICIG2 a indiqué qu'elles avaient été prises par différents agents de la PNC et remises à la CICIG par un informateur lui-même policier. Ce dernier avait déclaré avoir pu conserver lesdits clichés malgré le fait que, quelques jours après l'opération PAVON, les frères K______ et L______ s'étaient rendus à l'unité audiovisuelle de la PNC dans le but de s'emparer de toute trace photographique et vidéographique de l'intervention. Craignant pour sa vie, l'informateur avait refusé de témoigner. S'agissant des informations fournies par lesdites photographies, CICIG2 a soutenu qu'elles révélaient, notamment, que :

- V6 avait, dans un premier temps, été maîtrisé par les agents de l'Etat avant d'apparaître mort (comparaison des photographies P1050188ss [pièces 202'099ss] et P1050236 [202'145]).

- Il en allait de même s'agissant de V7, lequel apparaissait vivant et maîtrisé sur l'une des photographies, sur laquelle figurait également, selon le témoin, Z______ (photographie P1050233 [pièce 202'142]). CICIG2 considérait par ailleurs que ce cliché démontrait "ce que de nombreux témoins avaient dit, à savoir que tous les prisonniers devaient passer par un poste de contrôle afin d'être identifiés". Il a également indiqué que ces contrôles avaient eu pour but de mettre à l'écart 25 détenus dont les noms figuraient sur une liste.

- Les fenêtres de la maison de V4 présentaient toutes des trous centrés, alors que la porte de la demeure était entièrement intacte (photographie P1050234 [pièce 202'143]). Or, selon l’intéressé, "lorsque la police est confrontée à une opposition et qu'elle veut pénétrer, elle casse la porte car elle ignore s'il y a encore un danger ou non".

- Sur quelques clichés pris devant la maison de V4, S. apparaissait en train de converser avec B______ et l'un des frères K______ et L______ (phots P1050216 et P1050217 [202'125 et 202'126]).

CICIG2 a finalement relevé, s'agissant des photographies remises par l'informateur, qu'elles différaient parfois de celles effectuées par le Ministère public sur les lieux. A cet égard, il a cité comme exemple le cas de V2, dont la main droite apparaissait avec doigts fermés et collés sur la photographie remise par l'informateur (P1050239 [202'147]), alors que la main droite de ce même détenu apparaissait doigts ouverts et tenant une grenade sur la photographie du Ministère public (201'813 et 500'294).

Interrogé sur H______, CICIG2 a indiqué que ce dernier était mort le 7 avril 2008, soit après la création de la CICIG. Il a précisé qu'après avoir été licencié par le Président de la République, l'ancien conseiller était sur le point de terminer un rapport relatif à son activité lorsqu'il avait été victime d'une embuscade sur la route lors de laquelle il avait été abattu.

e.b.b.a. CICIG3 a été entendu par le Ministère public en date du 13 mars 2013 (500'433ss). Il a expliqué qu'après avoir travaillé au sein de la police espagnole de 1996 à 2008 – pour laquelle il avait été amené à participer à de nombreuses commissions rogatoires internationales –, il avait été engagé comme enquêteur par la CICIG en 2008.

Cette dernière avait été informée par un membre de la PNC que, depuis 2001, il existait au sein du Ministère de l'Intérieur un groupe de policiers hauts gradés qui s'adonnait à des activités illicites, soit notamment le blanchiment d'argent, l'extorsion, le trafic de stupéfiants ainsi que les exécutions extrajudiciaires et les assassinats. La CICIG s'était efforcée de vérifier la véracité de cette information, de sorte que ses enquêteurs avaient à cette fin procédé à l'audition de près de 200 personnes. Selon les renseignements ainsi obtenus, cette organisation, qui avait bien existé entre 2001 et 2008, avait, à l'origine, été formée par des membres du Ministère de l'Intérieur. Engagé comme conseiller du Ministre de l'Intérieur, H______ avait formé un premier groupe composé de policiers, lequel était à la base destiné à enquêter sur des affaires de prises d'otages au Guatemala. Ce premier groupe avait étroitement collaboré avec un second, dirigé par E______, lequel avait recours aux différentes sections de policiers au sein de la division des enquêtes criminelles. Ces deux groupes utilisaient les informations qu'ils recevaient dans le cadre de leur travail pour commettre les activités illicites précitées. Lorsque A______ avait été nommé Ministre de l'Intérieur, il avait nommé, dans la foulée, S. comme Directeur général de la PNC, lequel avait à son tour nommé B______ en tant que Sous-directeur de cette institution. Ces deux derniers n'étaient absolument pas des professionnels de la police et n'avaient aucune expérience en la matière. Selon le témoin, les investigations menées par les enquêteurs avaient permis d'établir que S. et B______ avaient créé, au sein de cette organisation, leur propre groupe nommé "Los Elefantes Demoledores". Les deux intéressés avaient engagé les frères K______ et L______en tant que "conseillers en sécurité pour les opérations menées avec les groupes de H______ et de E______". Le témoin a également déclaré que son enquête avait établi que ce dernier groupe agissait avec l'accord et l'autorisation de S..

CICIG3 a par ailleurs expliqué que, pour entrer dans l'un de ces groupes, il existait un procédé d'initiation, à savoir que les membres potentiels devaient participer directement à un homicide ou un acte de torture. Il s'agissait d'une certaine manière de garantir que toutes les personnes appartenant au groupe garderaient le silence sur les activités criminelles de la structure, dans la mesure où chacune d'elles se serait "salie les mains". A la question de savoir s'il avait interrogé des personnes ayant personnellement pris part à ces groupes clandestins, le témoin avait répondu par l'affirmative, ayant précisé avoir lui-même entendu environ cinq de ces participants. Ces derniers lui avaient paru "absolument crédibles" et avaient décrit un même mode opératoire. Il ressortait encore de l'enquête que l'organisation avait bénéficié, en particulier, de la couverture du Ministère public, soit parce que celui-ci ne menait pas d'enquête officielle relative aux délits commis par la première, soit, lorsque tel était le cas, en y faisant obstruction. Selon le témoin, le Procureur général AO______ ainsi que le Procureur chef de la section des délits contre la vie, AG______, avaient participé à couvrir les activités de ladite organisation.

S'agissant du déroulement des investigations relatives à l'opération PAVON, CICIG3 a notamment indiqué que, lorsqu'avait débuté l'enquête de la CICIG, les employés de cette dernière avaient tout d'abord demandé au Ministère public la documentation que celui-ci détenait à ce sujet. Les enquêteurs avaient alors constaté que le dossier relatif à l'affaire était en quelque sorte "dormant", soit, en d'autres termes, que "les responsables de l'enquête n'avaient rien fait". Le témoin a, à cet égard, toutefois relevé que parmi les pièces examinées, un rapport de la PDH concluait déjà qu'il n'y avait pas eu d'affrontement entre les forces de l'ordre et les détenus et que les prisonniers décédés avaient en réalité été exécutés de manière extrajudiciaire. Ce rapport de la PDH avait été établi trois mois après les faits.

Le témoin a également relevé qu'afin de vérifier si un affrontement avait ou non véritablement eu lieu, les enquêteurs de la CICIG avaient notamment voulu entendre des témoins directs des faits, soit en particulier des détenus. Toutefois, à la suite de l'intervention du 25 septembre 2006, ces derniers avaient été éparpillés dans différentes prisons du pays. A titre d'exemple, les membres du Comité d'ordre et de discipline avaient été transférés à la prison de Quetzaltenango, tandis que d'autres détenus avaient été envoyés à EL INFIERNITO ou à PAVONCITO. Les enquêteurs s'étaient dès lors rendus en ces différents lieux pour procéder aux auditions et à la récolte d'informations. Ils avaient constaté que les déclarations des détenus étaient concordantes et se recoupaient sur plusieurs points, soit notamment sur la présence d'un groupe de cagoulés, en possession d'une liste et de photographies, lequel mettait à l'écart certains prisonniers.

CICIG3 a encore indiqué que V4 était, pour tous ceux qui, à l'époque des faits, s'intéressaient aux trafiquants de drogue ou à la police, quelqu'un de très connu.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles, à son avis, sept détenus auraient été exécutés lors de l'opération, le témoin a d'abord mentionné que les montants financiers issus des activités illégales des détenus pouvaient constituer une première explication. Il a également ajouté que l'opération avait également pu servir d'exemple afin que "tout le monde sache qui dirigeait au Guatemala". Enfin, CICIG3 a mentionné l'hypothèse, émise par un détenu proche de V4, selon laquelle un trafiquant de drogue ennemi aurait été capable de payer pour voir le Colombien éliminé. Il a toutefois qualifié d'improbable cette dernière possibilité.

e.b.b.b. Lors de cette même audience, CICIG3 a produit un document intitulé "Rapport des actions relatives aux interrogatoires des principaux témoins de l'enquête du cas PAVON", rédigé par ses soins (500'446ss, trad. 451'109ss). Il était notamment mentionné dans ce rapport que les faits survenus à PAVON le 25 septembre 2006, à savoir des exécutions extrajudiciaires, s'inscrivaient dans une stratégie établie par la structure criminelle précitée, au sommet de laquelle se trouvait A______. Il était également écrit que les plus hauts responsables du Ministère public participaient à couvrir les activités de cette organisation, "aussi bien au début en maquillant les scènes de crime qu'ultérieurement en empêchant l'enquête d'être menée à bien et en mettant des obstacles à sa résolution". Enfin, le rapport relevait notamment que AP______, épouse de l'un des détenus – soit AQ______ – ayant collaboré avec les autorités du système pénitentiaire dans l'établissement du plan, avait été assassinée à la sortie du centre de détention.

Expert

e.b.c. ML a été entendue par le Procureur en date du 9 septembre 2013 (500'672ss). A cette occasion, elle a confirmé le contenu et les conclusions de son rapport du 22 octobre 2010 (201'935ss, trad. 451'171ss).

S'agissant de V5, elle a précisé, en particulier, que les résidus apparaissant sur les photographies effectuées durant l'autopsie indiquaient qu'un des coups de feu avait été tiré à "courte distance". Même s'il était impossible de déterminer exactement cette dernière, l'on entendait généralement, lorsque l'on parlait de "courte distance", une distance d'approximativement un mètre s'agissant des armes à haute vitesse. Concernant les armes à basse vitesse, il était possible de retrouver des résidus de tirs lorsque le coup était tiré à une distance inférieure ou égale à 60 cm. Dans le cas du détenu précité, il n'avait toutefois pas été possible de déterminer avec lequel de ces deux types d'armes il avait été fait feu. ML a précisé, s'agissant de la lésion par balle identifiée sur la partie antérieure du poignet de V5, qu'il était possible qu'elle ait été causée par le même projectile que celui ayant causé la lésion au thorax, "comme si V5 avait levé le bras devant sa poitrine au moment du tir". Cette théorie était basée sur les résidus de tirs également retrouvés sur le poignet du détenu, sur la lésion au thorax et sur les résidus de tirs présents sur celui-ci. Il n'était cependant pas possible d'affirmer que cette lésion au poignet était une lésion d'autodéfense. Le témoin a finalement répété que les résidus de tirs en relation avec V5 avaient été trouvés sur certaines parties du corps habituellement recouvertes par un vêtement, ce qui signifiait que le détenu ne portait pas, au moment du tir, de vêtements sur le thorax.

Sur question, ML a en outre indiqué que le fait qu'une balle reste logée dans le corps ne fournissait pas, de manière générale, d'indications quant à la distance du tir. Par ailleurs, selon le témoin, l'existence d'impacts de balles rapprochés sur le corps n'était pas prise en compte pour déterminer la distance de tir. ML a enfin déclaré que, de façon générale, la documentation remise lui avait permis de déterminer que trois genres d'armes avaient été utilisés, soit deux arme à haute vitesse (5,56 mm et 7,62 mm) et une arme à basse vitesse (9mm).

PDH

e.b.d. PDH2, directeur au sein de la PDH à l'époque des faits, a été entendu les 17 et 18 septembre 2012 par le Ministère public (500'092ss et 500'097ss). Il a, en substance, confirmé le contenu et les conclusions du rapport publié par la PDH au mois de décembre 2006 mentionné supra sous point C.c.b. (500'551ss, trad. 451'035ss). Le témoin a, en particulier, confirmé que l'équipe de la PDH envoyée à PAVON le jour des faits avait été empêchée par des agents de la PNC, ayant indiqué avoir reçu des ordres de leurs supérieurs, d'entrer dans le centre pénitentiaire. A cet égard, PDH2 a rappelé que la présence de la PDH dans ce dernier était obligatoire dans la mesure où l'état d'exception avait été décrété à Fraijanes par la Présidence de la République. Le lendemain de l'intervention, la PDH s'était également adressée, vainement, aux autorités afin d'obtenir un rapport des opérations. PDH2 a par ailleurs indiqué avoir lui-même participé à l'audition de certains des quelque 60 témoins entendus par l'institution. A cet égard, certains des détenus avaient déclaré avoir été soumis, pendant l'intervention, à des contrôles effectués par des hommes vêtus de vêtements ressemblant à des "uniformes officiels mais sans marque distinctive" et coiffés de passe-montagnes. Ces hommes détenaient une liste et appelaient certains détenus avant de les écarter du reste des prisonniers. Il ressortait également desdites déclarations que V4 avait, dans un premier temps, donné une fausse identité aux agents étatiques, ce qui lui avait permis d'être transféré à PAVONCITO. Il avait cependant été identifié par la suite et transféré à nouveau vers PAVON, étant précisé que ledit détenu avait pu, dans l'intervalle, remettre son survêtement à un autre prisonnier.

e.b.e. PDH3, employée au sein de la PDH à l'époque des faits, a été entendue en date du 30 mai 2013 (500'539ss). Elle a indiqué avoir participé à l'élaboration du rapport publié au mois de décembre 2006 s'agissant l'opération PAVON (500'551ss, trad. 451'035ss), suite à l'enquête dont elle avait été la responsable.

Le témoin a encore expliqué qu'à la suite de l'intervention, s'était déroulée une campagne médiatique où l'accent avait été mis sur la reprise par les autorités du contrôle sur le centre pénitentiaire. Suite au dépôt du rapport précité, les autorités n'avaient pas modifié cette version officielle. PDH3 n'avait pas été surprise par cette absence de réaction dans la mesure où il n'existait aucune volonté politique d'enquêter et de poursuivre les violations des droits de l'homme que la PDH dénonçait. A sa connaissance, aucune enquête interne n'avait par ailleurs été effectuée, que ce soit par la PNC, le Ministère de l'Intérieur ou le système pénitentiaire, afin d'établir la réalité des évènements survenus le 25 septembre 2006. PDH3 a déclaré que le rapport relatif à l'opération PAVON avait cependant fait l'objet d'une présentation lors d'une réunion au Ministère de l'Intérieur, en présence notamment de A______ et de S.. Ce dernier avait écouté attentivement la présentation et formulé quelques commentaires – que le témoin n'avait pas entendus – aux autres personnes présentes. A l'issue de la séance, l'ancien Directeur général n'avait toutefois fait aucune remarque. Le témoin a précisé qu'en 2006, les rapports de la PDH avec les membres du Ministère de l'Intérieur, respectivement avec ceux de la PNC, étaient tendus. Ces tensions étaient liées, selon elle, au fait que la PDH dénonçait alors, depuis plusieurs années, des cas de violations des droits humains commis par ces autorités et plus particulièrement par des membres de la PNC. Selon PDH3, ces tensions constituaient l'une des raisons pour lesquelles l'équipe de la PDH envoyée à PAVON le 25 septembre 2006 n'avait pas été autorisée à pénétrer à l'intérieur du centre pénitentiaire. Le témoin a par ailleurs confirmé que la PDH s'était vainement adressée aux différentes autorités afin d'obtenir le plan relatif à l'opération PAVON ainsi que les rapports d'autopsies officiels.

La PDH avait, s'agissant de l'opération PAVON, dénoncé les faits au Ministère public et transmis à celui-ci l'intégralité de la documentation que l'organisme avait réunie. Le Ministère public avait ouvert une enquête dont le témoin ignorait toutefois les conclusions.

PDH3 a finalement déclaré qu'au cours de l'enquête menée par la PDH, des détenus, ou des membres des familles des détenus décédés, avaient indiqué faire l'objet d'intimidations et de menaces. Certains prisonniers avaient, pour cette raison, refusé de s'exprimer ou de fournir des renseignements aux enquêteurs. Le témoin a ajouté que, de manière générale, beaucoup de déclarations de témoins étaient convergentes et concordantes, de sorte qu'elles avaient été considérées crédibles.

Agents de l'Etat

e.b.f. Entendu le 5 mars 2013, GP1 a confirmé l'intégralité de sa déclaration faite au Guatemala (500'309ss). Le témoin a en particulier confirmé que le plan qu'il avait élaboré en vue de l'opération prévoyait qu'il appartenait aux membres du système pénitentiaire de pénétrer dans la prison pour reprendre le contrôle de celle-ci. D'après ce plan, il devait diriger le groupe de la garde pénitentiaire chargé d'effectuer la fouille. Il devait, par ailleurs, être le seul élément armé. Les choses ne s'étaient toutefois pas déroulées de cette manière. I______ avait confiné ledit groupe dans ses dortoirs et la PNC avait pris les choses en mains. Au total, cinq réunions avaient eu lieu avant le jour de l'opération. Lors de la dernière de ces séances, les photographies des détenus avaient été présentées et projetées sur le mur de la salle de réunion. Selon GP1, toutes les personnes alors présentes étaient au courant de l’élaboration de cette liste de 25 détenus. Il se rappelait avoir pu identifier V4, V6, V1, W______, D3 et le vice-président du Comité. Le témoin a encore ajouté que la première liste qu'il avait remise comportait 18 à 20 détenus, précisant à cet égard que c'était J______ qui lui avait fourni la liste des détenus à ajouter pour parvenir au nombre de 25 noms.

L'intéressé a précisé, s'agissant du jour de l'opération, que la discussion ayant eu lieu avant l'intervention entre B______, V______ et E______, d'une part, ainsi que A______, S. et I______, d'autre part, s'était déroulée face à l'entrée principale de la prison (soit au point A sur le plan remis par CICIG2). S'agissant des coups de feu tirés lorsque les hommes cagoulés avaient pénétré dans le centre pénitentiaire, GP1 a indiqué avoir réalisé beaucoup plus tard qu'il n'y avait pas eu, en réalité, d'affrontement entre un groupe de détenus et la police.

GP1 a également précisé que l'officier de l'armée qui l'avait laissé entrer dans la propriété de V4 se nommait AR______ et que ce dernier n'avait pas autorisé la personne se trouvant avec lui, soit GP4, à pénétrer dans cette propriété. S'agissant de V5 et de V7, GP1 a précisé avoir vu depuis l'extérieur de la maison, par une porte vitrée ou une porte entrouverte, deux personnes blessées qui gémissaient, ce qui lui avait paru suspect, de sorte qu'il avait renoncé à entrer dans la maison. Entre les deux blessés se trouvait un individu cagoulé et habillé de noir qu'il n'avait pu reconnaître. L'homme avait sorti d'un sac à dos, posé sur la table de la salle à manger, quelque chose ressemblant à une grenade. C'était à ce moment qu'il avait écarté l'hypothèse d'un affrontement entre les détenus et la police. Il avait tout de suite quitté la propriété de V4 pour se rendre au "Centre civique" près du terrain de basketball. A une intersection située à environ 30 mètres de la maison, il avait vu B______, E______ et V______. Les trois hommes étaient en train de discuter. Ils s'étaient salués, puis B______ lui avait dit : "Frère, la fête était joyeuse, n’est-ce pas ?". GP1 a encore précisé avoir rencontré, dans le secteur des terrains de sport situé devant l'église, I______, A______, S., J______ et, possiblement, V______. Les détenus étaient alors sous contrôle et se rendaient sur le chemin indiqué en trait-tillés noirs sur le plan qui lui était soumis. Lui-même était resté environ 10 à 15 minutes sur le terrain de sport.

Le témoin a confirmé que GP2 l'avait rappelé pour lui dire que V4 était effectivement à PAVONCITO. Lorsqu’il avait informé PNC3 de ce fait, celui-ci avait demandé que ledit détenu soit à nouveau transféré à PAVON afin que ses données personnelles soient enregistrées. GP1 avait appelé GP2 pour l'informer de la venue de policiers et des raisons de leur visite. Ayant cependant eu un doute à cet égard, il avait dit à son interlocuteur que tous les détenus, y compris V4, devaient demeurer à PAVONCITO. Plus tard, approximativement vers 10h00, J______ l'avait informé que V4 figurait parmi les détenus morts. A l'annonce de cette nouvelle, GP1 avait rappelé GP2 et lui avait demandé pour quelle raison il avait désobéi à ses ordres. Ce dernier lui avait répondu avoir reçu un ordre en ce sens de A______. Informé des déclarations de GP2 selon lesquelles celui-ci lui avait remis le détenu colombien, GP1 a affirmé que tel n'avait pas été le cas.

GP1 a encore précisé que V4 était quelqu'un de très connu. Selon lui, même si S. ne connaissait pas ce détenu personnellement, il connaissait cependant certainement son nom, son activité et son influence au sein de la prison. Il a ajouté que J______ lui avait indiqué que V4 était très connu de la PNC car des enquêtes étaient en cours à son sujet. V6 était également très connu, tant par la police que dans le système pénitentiaire. Interrogé sur H______, GP1 a indiqué qu'il s'agissait d'un personnage très connu, lequel travaillait, selon lui, pour la PNC. Il l'avait vu le 25 septembre 2006 à PAVON.

Finalement, GP1 a confirmé qu'en amont de l'opération, il avait été décidé "de ne pas faire appel à la PDH". Cette décision lui paraissait étrange, le témoin ayant indiqué à cet égard : "Si on n'a rien à se reprocher, pour quelle raison on interdirait l'accès à la PDH". Il a ajouté avoir fait l'objet, à la suite de l'opération, de menaces et d'intimidations. A cet égard, il a indiqué avoir été accusé d'extorsion auprès de détenus par I______ et J______.

e.b.g. PNC5 a brièvement été entendu par le Ministère public en date du 6 mars 2013 (500'330ss). A cette occasion, il a confirmé l'intégralité de ses déclarations faites au Guatemala. En particulier, sur présentation d'une photographie représentant V6 (DSC05818 [pièce 202'245]), le témoin a confirmé qu'il s'agissait du détenu qu'il avait d'abord vu vivant dans une ruelle, maîtrisé par les hommes cagoulés, casqués et armés. Il l'avait revu par la suite, mort, dans une zone où se trouvaient les procureurs du Ministère public. Le témoin a encore indiqué avoir travaillé, pendant cinq ans, en tant que technicien en explosifs au sein de la PNC.

e.b.h. PNC4 a été entendu le 6 mars 2013 (500'335ss). Il a confirmé sa déclaration faite devant le Ministère public guatémaltèque dans laquelle il était désigné comme "témoin B". Il a précisé avoir été assigné, au début de l'opération, à côté du terrain de football inondé où une ouverture avait été pratiquée dans la clôture de la prison. Depuis cet endroit, il pouvait voir la "maison du colombien". Il a confirmé qu'un groupe avait pénétré dans la prison, composé d'une quinzaine de personnes habillées de noir et cagoulées, avec des grandes armes. Ces hommes s'étaient dirigés vers la maison de type canadien tout en tirant en direction de cette dernière. Même s'il avait vu des "étincelles", soit de possibles coups de feu, PNC4 a indiqué n'avoir, à aucun moment, eu l'impression que des coups de feu étaient tirés dans sa direction. Parallèlement à cette scène, des détenus, qui se déshabillaient volontairement et n'opposaient aucune résistance, descendaient vers l'ouverture faite dans la clôture. Il a ajouté que, de manière générale, il n'avait vu à aucun moment des détenus s'opposer à l'opération en cours. PNC4 s'était alors rendu vers la maison de V4, laquelle était entourée par les hommes cagoulés, puis avait commencé à chercher si des détenus étaient restés cachés dans la prison. Il s'était ensuite dirigé vers "le chemin qui mène à PAVONCITO", où il avait croisé un groupe de prisonniers nus. Ces derniers étaient encadrés par des individus présentant les mêmes caractéristiques que ceux du groupe armé précité. Les hommes tenaient une liste à la main, de format A4, et appelaient des noms qu'ils y lisaient. Les détenus appelés se présentaient puis étaient attachés les mains dans le dos.

PNC4avait plus tard été posté à l'entrée de la maison du Colombien vers une porte en fer. Un homme habillé en noir, qui amenait un détenu dont les mains étaient ligotées dans le dos, était entré dans la maison de V4 par la porte en fer. Le témoin avait ensuite entendu des détonations, qui correspondaient selon lui à des coups de feu. Un second prisonnier, "gros et rasé derrière la tête avec les cheveux très courts sur le dessus, style 'coupe champignon'", avait par la suite été amené. L'homme tenait une bible dans les mains. Peu après la venue de ce second détenu, PNC4 avait vu A______, S. et I______ arriver sur la propriété du Colombien. A une distance d'environ 5 mètres du témoin, les trois membres de l'autorité avaient discuté avec B______, E______ et H______, lesquels se trouvaient déjà sur place. PNC4, toujours posté à côté du portail en fer, avait alors entendu une nouvelle détonation et, se demandant ce qu'il se passait, était entré dans la propriété. Il avait alors vu le détenu arrivé en premier, en sang, possiblement mort (identifié comme étant V6, photographie DSC05817 [202'244]), à côté duquel était appuyé, contre un mur, un fusil noir. Il avait également vu le second prisonnier couvert de sang, identifié au cours de l'audience sur une photographie comme étant V5 (photographie P1050240 [202'149]). Lorsque les chefs précités avaient remarqué sa présence à proximité des détenus, l'un d'eux avait dit : "Sortez-le !". Suite à cet ordre, et alors qu'il allait quitter les lieux, PNC4 avait vu trois autres prisonniers, mains attachées dans le dos et escortés par des agents cagoulés, pénétrer dans la propriété de V4. Un peu plus tard, il avait entendu des détonations, possiblement des coups de feu.

Lorsqu'il avait quitté la propriété de V4, il s'était rendu vers l'entrée sud (soit le point C du plan) pour déjeuner et avait vu un véhicule de type "pick-up" transportant un détenu barbu – qui avait visiblement été frappé – se diriger vers l'entrée est (soit le point B sur le plan précité). Il avait ensuite vu le détenu barbu, tenu par les bras, être escorté à l'intérieur du pénitencier en direction de la maison du détenu colombien, puis avait entendu des détonations correspondant peut-être à des coups de feu. Il a identifié le détenu barbu sur une photographie représentant V4 (202'462).

A la question de savoir si des Procureurs s'étaient trouvés dans la prison, PNC4 a répondu avoir rencontré, à côté du cadavre de V6, deux auxiliaires du Ministère public. Les chefs, dont S., étaient présents sur la propriété. Il ne pouvait pas exclure l'hypothèse selon laquelle des gilets avec l'inscription du Ministère public avaient été remis à des personnes n'appartenant pas à celui-ci.

Le témoin a finalement indiqué qu'il s'était rendu à l'audience devant le Ministère public genevois pour dire la vérité en toute honnêteté, précisant que, s'il n'avait pas dénoncé ces faits au Guatemala à l'époque de l'opération, c'était parce que ceux qui avaient organisé cette dernière détenaient le pouvoir dans le pays. Il a précisé craindre toujours pour sa vie et celle des membres de sa famille.

e.b.i. PNC7, entendu par le Ministère public les 6 et 7 mars 2013 (500'359ss et 500'372ss), a confirmé sa déclaration faite en avance de preuve au Guatemala.

Il a notamment précisé que, le 25 septembre 2006, il était resté de manière quasi permanente avec B______. A certains moments toutefois, ce dernier lui avait ordonné de le laisser. Au matin de l'opération, une réunion avait eu lieu face à l'entrée principale de la prison entre B______, S., E______, H______, I______ et Z______. Ces derniers avaient discuté et examiné une carte. Lui-même n'avait toutefois pas pu s'approcher dans la mesure où H______ l'en avait empêché. Il s'était ensuite rendu au point B figurant sur le plan avec d'autres personnes alors que des soldats et policiers étaient présents dans le secteur.

Le témoin a également précisé que, lorsque les précités étaient parvenus au niveau de la "maison de luxe", certains des participants avaient continué à avancer dans la rue des "champas" alors que l'équipe de H______ était directement entrée dans la maison. Interrogé à cet égard sur sa déclaration faite au Guatemala selon laquelle il avait alors suivi le groupe de H______, PNC7 a affirmé qu'il n'était pas entré dans la "maison de luxe". Lui-même avait poursuivi en direction de la ruelle.

Le témoin a confirmé avoir vu V6 être mis à l'écart alors qu'il se trouvait dans la rue des ateliers avec B______, qui tentait d'ouvrir une porte avec une pince hydraulique. Il avait vu L______ se diriger vers le Sous-Directeur et lui dire : "Regardez qui allait nous échapper !", avant de prononcer le nom de V6. Une fois les mains des détenus attachées dans le dos à l'aide d'un "ruban en plastique", L______ avait soulevé V6 et était parti avec ce dernier en direction de la "maison de luxe". Sur présentation d'une série de photographies (P1050188 à P1050203 [202099 à 202112]), le témoin a, en substance, indiqué que celles-ci correspondaient au moment où ledit détenu avait été arrêté et avait dû se dévêtir en présence de L______. PNC7 a par ailleurs reconnu B______ sur l'un des clichés (P1050202 [202'111]) et s'est lui-même identifié sur un autre (P1050198 [202'108]). Par la suite, B______ et PNC7 étaient partis dans la direction opposée à celle prise par L______. Plus loin dans la rue des ateliers, le témoin avait vu deux files de prisonniers, lesquels étaient fouillés et devaient donner leur nom. S'agissant de S., PNC7 a indiqué qu'il était arrivé à la maison de V4 peu après l'exécution de V6. Le témoin l'avait vu pénétrer dans l'enceinte de la propriété et s'apprêter à entrer dans la maison.

Il a confirmé avoir également assisté à la mise à l'écart par K______ d'un "gros basané" aux cheveux courts (identifié sur photographie comme étant V5 "au vu de la chemise jaune qu'il porte", P1050240 [202'149]), qui avait été sorti de la file, attaché puis emmené par K______ en direction de la "maison du luxe". Interrogé à propos de V4, PNC7 a indiqué que, postérieurement à l'appréhension de V6, à un moment dont il ne se souvenait pas, B______ avait reçu un appel téléphonique l'informant que "le Colombien n'était pas à la maison" puis il l'avait entendu dire : "Cherchez le Colombien car il n'est pas là et le temps arrive à sa fin".

A propos de la présence d'agents du Ministère public à PAVON, PNC7 a précisé que, alors qu'il se trouvait derrière le portail de la "maison de luxe", B______ lui avait dit : "Cette opération est bien ficelée, car des personnes du Ministère public vont venir pour préparer la scène du crime". Des individus étaient effectivement arrivés par la suite et s'étaient dirigés vers la "galera" à l'intérieur de la propriété. Il n'avait toutefois pas vu d'autres membres du Ministère public dans la zone de la maison.

S'agissant des liens entre B______ et S., PNC7 a mentionné que, le jour de l'opération, les deux hommes avaient travaillé en accord l'un avec l'autre. Il a ajouté que B______ lui avait un jour dit qu'il était "presque frère" avec S.. Le témoin a encore ajouté qu'à la suite de l'opération PAVON, les autorités avaient organisé une conférence de presse au cours de laquelle il avait été soutenu faussement qu'il y avait eu un affrontement entre les détenus et les policiers. Il a ajouté que son devoir de policier aurait été de dénoncer les faits immédiatement mais la peur de mourir l'en avait dissuadé. Pour lui, "il était clair que les hautes autorités étaient d'accord avec ce qui était arrivé, comme elles l'ont indiqué devant les citoyens et le monde". Le témoin a finalement affirmé n'avoir subi aucune pression de la part de la CICIG, ni eu connaissance d'articles de presse selon lesquels d'autres témoins auraient subi de telles pressions.

L'audience du 6 mars 2013 a donné lieu à un incident entre PNC7 et S., celui-ci lui ayant notamment demandé comment se portait sa famille, ce qui avait dérangé le témoin, qui avait en outre ressenti les questions de S. comme une forme de pression. Enfin, lors de l'audience du lendemain, S. a déclaré déposer plainte pénale contre PNC7 pour faux témoignage et a, par l'intermédiaire de ses Conseils, demandé l'arrestation immédiate de ce dernier.

e.b.j. PNC8 a été entendu par le Ministère public le 8 mars 2013 (500'406ss). Il a confirmé ses déclarations faites au Guatemala.

Il a répété que, sur la route menant à PAVON, un arrêt très rapide avait été effectué dans une station-essence SHELL et qu'un grand nombre de personnes habillées en policiers étaient descendues des véhicules. Il a confirmé ne se souvenir, sur place, que de S., dont il ne se rappelait au demeurant pas s'il avait discuté avec B______. A PAVON, le groupe auquel il appartenait s'était rendu à pied à l'entrée est (point B sur le plan) en passant par l'entrée sud (point C). A l'arrivée du groupe, Z______ se trouvait déjà sur les lieux. Interrogé sur les déclarations faites par PNC7 selon lesquelles une réunion entre B______, S., I______, E______ et H______ avait eu lieu devant la prison, PNC8 a indiqué ne pas s'en souvenir, étant précisé que, parfois, PNC7 et lui-même s'étaient trouvés éloignés – "mais pas trop" – l'un de l'autre.

S'agissant des coups de feu qui avaient été tirés dans les instants qui avaient suivi l'entrée du groupe d'hommes cagoulés et armés dans la prison, le témoin a répété avoir entendu des détonations, sans pouvoir dire qui en était à l'origine. Par la suite, il avait toutefois vu le groupe précité, situé devant B______, PNC7 et lui-même, ouvrir le feu en direction de la "maison de luxe". Il a confirmé avoir observé une partie du groupe des cagoulés entrer dans ladite maison par la "porte grillagée". Après que des coups de feu furent entendus, les individus – dont E______ – étaient ressortis par le portail. Le témoin a précisé qu'après la sortie du groupe, des collègues policiers, lesquels devaient prêter leur appui lors de l'intervention, étaient entrés à leur tour dans la propriété. B______ lui avait alors ordonné de se joindre à ces derniers, étant précisé que le Sous-Directeur et PNC7 étaient quant à eux restés à l'extérieur de la propriété. Lorsque PNC8 était entré, il avait vu, dans une "champa", une personne immobile couchée sur le dos, un fusil à la main. Devant le Ministère public genevois, le témoin a identifié cet individu sur une photographie représentant V6 (P1050236 [202'145]). PNC8 a encore précisé être resté environ 15 minutes sur la propriété, période durant laquelle il n'avait pas pénétré à l'intérieur de la maison et n'avait pas eu dans son champ de vision B______ et PNC7. Lorsqu'il était finalement ressorti de la propriété, et alors que les deux précités avaient continué leur chemin sur la ruelle, il était retourné, seul, à l'ouverture par laquelle il était entré dans la prison pour récupérer une pince hydraulique. En possession de cette dernière, il était parti retrouver ses collègues. Après avoir fouillé quelques habitations, tous s'étaient dirigés vers la cour principale, où le témoin avait vu A______, S. et I______, avec lesquels B______ était allé parler. PNC8 a estimé qu'il était alors entre 8h00 et 9h00.

Il a précisé être retourné environ 30 minutes plus tard à la "maison de luxe" en compagnie de B______ et de PNC7. Sur place, B______ avait ordonné à PNC7, PNC9 (qui les avait rejoints) et lui-même d'attendre devant le portail de la propriété et de surveiller que personne ne rentre dans la propriété, puis dans la maison-même. A ce moment, un "pick-up", aménagé pour le transport de détenus, était arrivé à environ 100 mètres du groupe, au niveau du lieu où la clôture était "tombée" (point B sur le plan). Deux hommes étaient descendus de ce véhicule, soit L______ – habillé en noir et cagoulé, mais dont la cagoule était remontée – et un homme barbu, vêtu d'un pantalon court, que le témoin a reconnu sur une photographie comme étant V4 (202'462). PNC8 avait alors entendu l'un des nombreux policiers présents dire : "On amène V4". Les deux hommes étaient passés devant les trois collègues avant de pénétrer dans la propriété puis dans la maison. Au même moment, B______, qui sortait de la demeure, avait croisé les deux personnes. Alors que ce dernier et sa sécurité quittaient les lieux, PNC8 avait entendu des coups de feu.

Sur question, PNC8 a encore précisé ne pas avoir vu de membres du Ministère public, que ce soit sur la place principale de la prison ou à proximité de la maison de V4, lorsque ce dernier avait été escorté de force chez lui.

e.b.k. I______ a été entendu par le Procureur les 10 et 11 avril 2013 (500'462ss et 500'472ss).

En substance, l'ancien Directeur général du système pénitentiaire a indiqué que, le 25 septembre 2006, les responsables de l'intervention avaient été notamment A______, AD______, S. et lui-même, lesquels avaient constitué le "commandement central" de l'opération. Il a contesté qu'une réunion ait eu lieu, avant l'intervention, à proximité de l'entrée principale, avec S., A______, B______, E______, H______ et V______. Une réunion s'était bien déroulée mais avec les membres du commandement central et à l'exclusion des quatre derniers nommés. L’intéressé a ajouté ne pas avoir vu – ni savoir s'ils avaient même été présents le jour de l'opération – H______, V______, E______ et les frères K______ et L______. Il ne connaissait pas, à l'époque des faits, E______ et les frères K______ et L______ et a indiqué ignorer si H______ avait commis d'éventuels crimes ou infractions alors qu'il exerçait comme conseiller de A______.

Interrogé sur le bon déroulement du plan le jour de l'opération, I______ a déclaré que tout s'était passé comme prévu, à l'exception du comportement adopté par GP1. Il a déclaré que, contrairement à ce qu'affirmait ce dernier, il n'était pas possible que GP1 se soit trouvé à l'entrée de la prison avec lui au début de l'opération et qu'il ait également été en mesure de voir, quelques instants plus tard, les premiers agents de l'Etat pénétrer dans la prison. A cet égard, I______ a précisé que lesdits agents se trouvaient à "1,5 km de distance" de l'entrée principale. S'agissant encore de GP1, le témoin a admis que le plan de l'opération PAVON avait bien été établi à sa demande par son ancien subordonné. Il a toutefois précisé que les déclarations de GP1 relatives à l'existence d'une liste de détenus à exécuter étaient mensongères.

I______ a encore indiqué avoir connu, avant le début de l'intervention, de par sa fonction, V6 et V4. Tous deux avaient été membres du Comité d'ordre et de discipline. Cependant, lors de la phase préparatoire de l'opération du 25 septembre 2006, des noms particuliers de détenus n'avaient jamais été évoqués dans la mesure où l'intervention n'avait pas eu pour but de rechercher des personnes en particulier mais uniquement de récupérer le contrôle sur la prison. Interrogé sur les circonstances dans lesquelles les sept détenus avaient trouvé la mort, le témoin a indiqué qu'ils étaient décédés dans le cadre d'un affrontement avec les forces de l'ordre. A sa connaissance, aucun agent étatique n'avait été blessé lors de l'intervention mais, lors d'une précédente opération similaire, deux policiers avaient perdu la vie. Le Procureur lui ayant demandé comment il expliquait alors la présence sur certaines photographies de V6 vivant, déshabillé et maîtrisé (P1050188ss [202'099ss]), puis mort et habillé (P1050236 [202'145]), le témoin a déclaré qu'il ne pouvait savoir si ces clichés avaient bien été réalisés lors de l'opération du 25 septembre 2006. Il a ajouté que ces photographies n'avaient fait l'objet d'aucune expertise.

I______ a par ailleurs critiqué la légitimité de la CICIG ainsi que les méthodes employées par celle-ci. Il a notamment déclaré, s'agissant de l'hypothèse relative à l'existence d'une organisation criminelle, que la CICIG avait "présenté une théorie qu'elle n'avait pas pu démontrer". Il a également cité l'absence de preuves "scientifiques" concrètes, précisant que les dossiers de la CICIG n'étaient basés que sur des témoignages controversés, dont certains avaient d'ailleurs été "fallacieusement modifiés". Il déplorait le statut de "collaborateur efficace" que l'organisme pouvait accorder à certains témoins et qui, selon lui, permettait à ces derniers d'obtenir, en substance, de meilleures conditions de vie en échange de déclarations.

Détenus

e.b.l. D3, entendu lors des audiences des 7 et 8 mars 2013, a confirmé ses déclarations faites au Guatemala (500'389ss, et 500'400ss).

Il a précisé que les policiers qui avaient sorti V4 de l'église, puis emmené ce dernier, étaient vêtus d'un uniforme officiel et ne portaient pas de cagoule. Lorsqu'arrivé à proximité du terrain de football proche de l'entrée sud (point C sur le plan), il avait donné son identité aux agents de la PNC – lesquels portaient également l'uniforme officiel –, ceux-ci lui avaient dit que son nom figurait sur une liste, qui avait été exposée à sa vue. Une partie de cette liste, sur laquelle avaient été inscrits 25 noms, était dactylographiée tandis que l'autre avait été écrite à la main. Son nom figurait dans cette dernière catégorie. Il se rappelait qu'outre son propre patronyme, la liste comportait notamment les noms de V1, V4 et V6. Lorsqu'il avait demandé à un agent de la PNC pourquoi il avait été écarté de la file de détenus, celui-ci avait répondu que les prisonniers se trouvant sur la liste allaient être transférés vers une autre prison. Il s'était alors retrouvé de côté avec "AE______" – soit D1 –, qui lui avait fait part de la suite du récit des évènements qu'il avait vécu plus tôt le même jour. A un moment, soit approximativement entre 09h00 et 10h30, deux véhicules de type "pick-up", arrivés par la route extérieure à la prison, s'étaient arrêtés. Quatre individus, vêtus de noir, cagoulés et armés de fusils, étaient descendus de chaque véhicule. En s'approchant des deux détenus, l'un des hommes avait relevé sa cagoule et, après avoir saisi le bras de D3, avait dit : "Je te tiens fils de pute !" et "Aujourd'hui, vous mourez". Le témoin l'avait alors identifié comme étant E______. Ce dernier avait dit à l'un des agents de la PNC de les maintenir au même endroit puis avait quitté les lieux avec les autres membres du groupe.

D3 a encore indiqué que E______, S. et A______ faisaient partie d'une bande organisée qui kidnappait, assassinait et volait de la drogue et des véhicules. Il a précisé à cet égard que dans la mesure où, d'une part, il était encore détenu au moment de sa déclaration au Guatemala et où, d'autre part, les précités représentaient alors les autorités, il n'avait, par peur, rien pu dire à ce sujet. Au moment de l'audience devant le Ministère public genevois, il a indiqué qu'il était toujours terrorisé car ""ils" avaient l'habitude d'envoyer des personnes pour tuer des gens".

e.b.m. R______, ressortissant français entendu à trois reprises par le Ministère public, soit les 1er septembre 2012 (500'016ss), 14 décembre 2012 (500'127ss) et 18 février 2013 (500'146ss), a été incarcéré à la prison de PAVON du 29 janvier 1992 au 5 novembre 2007 (605'004), soit notamment à l'époque de l'intervention du 25 septembre 2006.

Il a déclaré qu'à cette dernière date vers 05h00-05h30, il avait vu les forces étatiques sectionner le grillage du centre pénitentiaire en vue d'y pénétrer, avant que ne retentissent les premiers coups de feu, tirés en direction de la maison de V4 par des "tireurs d'élite". Aux environs de 05h45, R______, ainsi que d'autres détenus, s'étaient dirigés vers l'église où ils étaient arrivés cinq minutes plus tard. Tous les détenus s'étaient alors regroupés sur trois petits terrains de sport situés devant l'église. Un agent de la PNC avait alors expliqué, au moyen d'un porte-voix, que les détenus n'avaient rien à craindre et que l'opération consistait uniquement en une fouille de la prison. Sans pouvoir donner d'indications précises s'agissant de l'heure qu'il était, R______ l'estimait aux environs de 09h00. A ce moment, il avait vu, sur le parvis de l'église, I______, A______ et S. ainsi qu'une vingtaine d'agents étatiques. Ces derniers, en tenue noire et dont certains portaient des passe-montagnes, ne portaient aucun signe visible d'appartenance à une division particulière. Les détenus présents sur les terrains de sport avaient ensuite dû passer un par un devant les trois membres de l'autorité avant d'être escortés par des policiers en direction des ateliers. Arrivé à l'entrée de ce secteur où les prisonniers étaient "bloqués", un officier de l'armée l'avait fait sortir de la file des détenus. Les mains de R______ avaient été attachées dans son dos au moyen de liens en plastique puis il avait été "jeté" à côté d'un muret. V3, V5 et deux autres détenus – dont l'un appartenait à un gang nommé "AS______" – étaient également présents avec lui à cet endroit. V3 portait alors un haut de survêtement et un jean. V5 était pour sa part vêtu d'un haut noir et blanc avec un col en V (R______ a toutefois mentionné, au cours d'une audience ultérieure, un haut de survêtement bleu et blanc avec un col en V), d'un pantalon noir et chaussé de "tennis". Il a précisé que les nombreux autres prisonniers avaient, quant à eux, été acheminés vers le bas de la prison à proximité du terrain de football qui n'était alors pas praticable. Depuis ce dernier lieu, les autres détenus n'avaient aucun angle de vue sur le secteur des ateliers.

Après être restés un "bon moment" sur place, les cinq prisonniers avaient été emmenés à tour de rôle "à l'abattoir" par des agents de la PNC, jusqu'au milieu du chemin qui parcourait le secteur des ateliers et menait à la maison de V4. Au milieu dudit chemin, d'autres agents, soit ceux qui portaient des passe-montagnes, avaient pris le relais pour les conduire en direction du fond des ateliers. R______ a toutefois précisé qu'il n'était pas possible de voir, depuis le muret à côté duquel il se trouvait, le bout du chemin, de sorte qu'il ignorait où les autres détenus présents à ses côtés avaient précisément été emmenés. Le détenu membre des "AS______" avait été emmené en premier, suivi de V3, puis de l'autre détenu dont il ne se rappelait pas le nom. R______ a cependant précisé, à cet égard, qu'il lui était difficile de se rappeler de l'ordre exact dans lequel les évènements s'étaient déroulés. Il avait, à la suite de V5, été escorté jusqu'à proximité de la maison de V4, tout en étant malmené par des agents de la PNC. Il avait alors vu, gisant à terre dans l'atelier de menuiserie appartenant à ce dernier, le corps habillé de V6, lequel se trouvait à environ 6 ou 7 mètres de lui. Il a ajouté qu'il avait auparavant vu ce détenu en vie, ainsi que d'autres membres du Comité d'ordre et de discipline, alors que lui-même se trouvait sur les terrains de sport. V6 et les membres du Comité présents avaient en effet été emmenés par des agents étatiques "sur le terre-plein situé à côté de l'église". Après avoir, dans un premier temps, indiqué que le détenu précité était alors "à moitié nu", R______ a finalement déclaré que celui-ci était habillé avec un haut couleur "peau" et un pantalon.

Alors qu'il venait d'apercevoir le corps de V6, R______ a indiqué avoir vu S. sortir une arme disposée au niveau de sa cuisse et tirer "une balle dans la tête de V5", qui se trouvait alors à un mètre tout au plus de l'arme. Il a toutefois précisé par la suite qu'il ne pouvait pas être "totalement affirmatif" quant à la partie exacte du corps alors visée par S.. La scène avait eu lieu à l'extérieur de la maison de V4, alors que lui-même était positionné à environ 8 ou 10 mètres de la demeure. S. et d'autres agents étatiques se trouvaient quant à eux à environ 4 ou 5 mètres de l’endroit où il se trouvait, entre lui-même et la maison. R______ a précisé avoir également entendu des cris en provenance de la maison de V4. Lorsque S. avait remarqué qu’il était là, escorté par des agents cagoulés, un des "chefs de la police" présent sur les lieux, que R______ ne connaissait pas, avait déclaré au Directeur de la PNC "Non, pas celui-là", précisant que le détenu était un ressortissant français. Il avait finalement été conduit auprès des autres détenus. R______ a encore déclaré avoir croisé, au moment de son transfert pour PAVONCITO, V4, qui faisait le chemin inverse encadré par des agents de la PNC. R______ avait eu l'impression que, durant toute la journée, les agents de l'Etat avaient été à la recherche de certains détenus en particulier. De multiples contrôles avaient été effectués mais, vu le nombre de prisonniers incarcérés à PAVON, il avait été possible de donner de faux noms aux agents présents. Selon lui, c'était de cette manière que V4 avait pu être transféré à PAVONCITO.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles il pensait avoir été sorti de la file des détenus et mis à l'écart, R______ a simplement répondu qu'on lui avait dit qu'il avait été confondu avec un Colombien ou un Mexicain. S'agissant de l'heure à laquelle s'était produite l'exécution de V5, R______ a déclaré qu'il devait être environ 16h00, précisant toutefois qu'il était très difficile de répondre à cette question dans la mesure où sa montre lui avait été retirée dès 08h00 le jour de l'intervention. A la question de savoir s'il avait vu V1 le jour de l'opération, il a répondu par l'affirmative. En effet, au moment où lui-même était évacué du terrain multisports, il avait aperçu le détenu précité alors que ce dernier partait avec I______ et les forces de sécurité, après avoir été mis à l'écart des autres prisonniers. R______ a encore déclaré que la politique, instaurée depuis 1998 par le Comité au sein de la prison de PAVON, avait été l'interdiction totale des armes à feu. Selon ce que tout le monde disait dans la prison, V6 possédait toutefois un "petit revolver" que le témoin n'avait toutefois jamais vu.

R______ a finalement déclaré être venu témoigner afin que justice soit faite. Il a indiqué avoir contacté par email, en 2009, les autorités judiciaires suisses à Berne, suite à un appel à témoins lancé par des organismes de protection des droits de l'homme. Il avait reçu en réponse un courrier électronique écrit en allemand, dont il n'avait pas entièrement saisi la teneur. Il avait alors contacté AT______, association qui l'avait à son tour dirigé vers P______. Lors de sa première audition, R______ a indiqué avoir été contacté par cette dernière association en mai ou en juin 2012, par l'intermédiaire de AU______, qui lui avait demandé s'il avait été présent à PAVON lors de l'intervention du 25 septembre 2006. Lors d'une audience ultérieure, R______ a toutefois précisé avoir lui-même été à l'origine de la prise de contact avec P______.

Il sied de relever qu'en date du 12 décembre 2012, S., par l'intermédiaire de ses Conseils, a déposé plainte pénale contre R______ pour dénonciation calomnieuse et faux témoignage (704'021ss). La procédure, séparée, ouverte à la suite de cette plainte, a été suspendue jusqu'à droit jugé dans la présente affaire.

Des commissions rogatoires internationales

Autriche

e.c.a. Par commission rogatoire internationale du 7 novembre 2012 adressée à son homologue autrichien (205'000ss), le Ministère public de Genève a demandé à ce que lui soient transmis, notamment, tous les procès-verbaux des auditions effectuées dans le cadre de la procédure ouverte dans ce pays à l'encontre de B______. Le Ministère public de Ried im Innkreis a transmis la documentation requise, soit les procès-verbaux des auditions de B______, par courrier du 13 novembre 2012 (205'022ss).

Par la suite, le Ministère public genevois a également requis, par commission rogatoire internationale du 13 décembre 2012, de pouvoir procéder à l'audition en tant que témoin de B______ (205'015 et 205'322). Une audience, à laquelle ont assisté le Procureur genevois et l'un des Conseils de S., a ainsi eu lieu en date du 27 mars 2013 (205'347ss).

e.c.b. Les éléments suivants ressortent, en substance, des déclarations de B______ :

Avant de quelque peu nuancer son discours s'agissant du déroulement des évènements à PAVON, B______ a indiqué, dans un premier temps, que le responsable de la mort des sept détenus était H______ (205'255). Concernant ce dernier, il a notamment indiqué qu'il était un conseiller "spécial" de A______ dont les pouvoirs étaient illimités, et qu'il avait auparavant travaillé pour la CIA et au Salvador en tant que spécialiste des enlèvements. B______ a précisé que H______ avait eu comme fonction non officielle de commettre des assassinats. Il avait ainsi fait tuer, par un groupe de policiers et par d'autres personnes qui travaillaient pour lui, des délinquants mais également des innocents (205'254). Malgré les éléments qui précèdent, B______ a indiqué avoir eu "une sorte de relation amicale" avec le conseiller car beaucoup d'informations en matière d'enquêtes criminelles passaient par ce dernier. De son côté, H______ informait A______ de la manière dont "ils" faisaient leur travail. B______ a ajouté qu'au moment de l'opération PAVON, il n'avait plus confiance en H______ dans la mesure où, dans la période allant de janvier à septembre 2006, il avait identifié que le conseiller était lié à de nombreuses personnes ayant commis des actes illégaux. Toutefois, les deux hommes se parlaient "normalement" (205'417). A la question de savoir pourquoi S. n'avait rien entrepris contre H______, l'ancien Sous-Directeur a soutenu que le Ministre de l'Intérieur avait donné l'instruction de soutenir son conseiller "dans toute la mesure du possible" (205'292). B______ a précisé que ces révélations relatives à H______ mettaient la vie des membres de sa famille en danger (205'254).

Concernant les frères K______ et L______, B______ a, à de multiples reprises, déclaré qu'ils avaient été des conseillers de S.. Ce dernier les avait "nommés officiellement" et avait été leur chef (205'309, 205'428, 205'356). Lui-même n'avait eu aucune relation hiérarchique directe avec les deux frères, même s'il a indiqué, lors d'une audience, qu'il avait travaillé avec ces derniers lors d'interventions et qu'il entretenait une bonne relation professionnelle avec eux, "étant donné qu'ils étaient les conseillers de S.". Dans le cadre du travail, les deux frères étaient parfois venus le chercher à son domicile mais ne restaient jamais que quelques minutes chez lui (205'429). A la question de savoir à quel groupe K______ et L______ avaient appartenu lors de l'opération PAVON, B______ a indiqué qu'ils avaient été "actifs dans la même zone que lui". Il ne pouvait pas dire qu'ils faisaient partie du groupe de H______ mais il avait vu les frères avec les hommes de ce dernier pendant l'opération et avait eu l'impression qu'ils collaboraient. Il a ajouté que H______ et les frères K______ et L______ travaillaient souvent ensemble (205'428). Lors d'une audience, B______ a d'abord déclaré ignorer quelle avait été la fonction exacte des frères K______ et L______ lors de l'intervention du 25 septembre 2006, avant d'indiquer penser qu'ils avaient déployé des activités de "service secret" (205'429).

B______ avait entretenu une relation purement professionnelle avec E______. Ce dernier lui était subordonné hiérarchiquement mais H______ avait obtenu de A______ l'autorisation de pouvoir travailler directement avec l'intéressé sans passer par B______. Il a précisé que H______ et E______ avaient auparavant travaillé ensemble pendant environ onze ans dans la section anti-enlèvements, de sorte qu'ils entretenaient de bonnes relations. S'agissant de l'opération PAVON, B______ a indiqué n'avoir donné aucune instruction à E______, lequel était entré dans la prison avec le groupe de H______ (205'429).

B______ a encore indiqué, s'agissant de la réunion à la station-service SHELL dont certains témoins avaient fait état, que, le jour des faits, une halte de 15 minutes avait effectivement eu lieu dans une station-essence, soit le temps pour B______ de prendre un petit-déjeuner. Ses gardes du corps l'avaient attendu à l'extérieur. Aucune réunion n'avait eu lieu à ce moment mais, dans la mesure où lui-même ne connaissait pas la route menant au centre pénitentiaire, S. avait envoyé son chauffeur à la station pour les guider jusqu'à la prison (205'416, 205'435 et 205'348).

A propos du déroulement même de l'opération PAVON, B______ a indiqué être arrivé au centre pénitentiaire vers 04h45. Il s'était rendu au centre de commandement où se trouvaient déjà notamment A______, S. et "ses conseillers", I______ et H______. S. l'avait alors prié de se joindre au groupe d'engagement qui devait pénétrer "de l'autre côté" (205'349), là où une entrée devait être créée et de l'aviser par radio de tout ce qui se passerait. Sur place, il avait vu H______ et son groupe puis avait appris "à la dernière minute" qu'il y avait un changement dans le plan. En effet, les forces du système pénitentiaire n'allaient pas participer à l'engagement mais seraient regroupées dans une zone spécifique (205'415s). Aux environs de 06h00, il avait vu les hommes de H______ pénétrer dans la prison. Deux ou trois minutes plus tard, ses hommes et lui-même étaient entrés à leur tour. Toutefois, après avoir parcouru 5 ou 6 mètres, "on" leur avait tiré dessus depuis le secteur où était située la maison de V4 (205'417s). D'après lui, il s'agissait d'un groupe de détenus qui souhaitait s'opposer à l'intervention (205'422, 205'450 et 205'454).

A propos de la maison de V4, B______ a indiqué dans un premier temps qu'il s'était rendu, avec S., sur les lieux où se trouvaient des corps. A cet endroit, H______ lui avait dit qu'il s'occuperait de tout (205'278). Par la suite, B______ a soutenu qu'il s'était arrêté au niveau d'un portail métallique et n'était jamais entré dans la propriété, de sorte qu'il n'avait vu ni les lieux des faits ni les cadavres (205'427). Son attention ayant été attirée sur le caractère contradictoire de ses déclarations, B______ a finalement déclaré avoir aperçu, en regardant à travers un mur de bois en direction du poulailler, les pieds d'un cadavre. Il a par ailleurs répété ne jamais être entré dans la maison (205'456s). Interrogé sur les raisons pour lesquelles il n'était pas entré dans cette dernière, alors qu'il était Sous-directeur de la division des enquêtes criminelles, B______ a répondu qu'il ne voulait "rien avoir à faire avec les actes de H______" (205'421).

B______ a finalement déclaré ne pas avoir eu connaissance, lors de l'opération, que des personnes spécifiques étaient recherchées. Pour lui, la liste de détenus à abattre, à laquelle certains témoignages faisaient référence, était une "pure invention". Il en voulait pour preuve que certains détenus, qui soutenaient que leur nom figurait sur cette liste, étaient toujours en vie (205'430 et 205'451). Enfin, B______ a confirmé avoir téléphoné à PNC3 afin de savoir si V4 figurait parmi les personnes transférées à PAVONCITO. Il a expliqué à cet égard que "beaucoup de personnes" étaient intéressées par cette information en vue de la conférence de presse. Contrairement toutefois à PNC3, B______ a soutenu que son interlocuteur lui avait répondu par la négative (205'451).

Espagne

e.d.a. Par commission rogatoire internationale du 7 novembre 2012 adressée à son homologue espagnol (210'000ss), le Ministère public de Genève a demandé à ce que lui soient transmis, notamment, tous les procès-verbaux des auditions effectuées dans le cadre de la procédure ouverte dans ce pays à l'encontre de A______. Le Ministère public de Madrid a transmis la documentation requise, soit les procès-verbaux des auditions de A______ (210'086ss), de CICIG3 (210'052ss) et de AV______ (210'117ss), par courrier reçu le 1er février 2013 (205'022ss).

e.d.b. Entendu le 16 décembre 2010, A______ a confirmé que H______ avait été un conseiller du Ministère de l'Intérieur, précisant qu'au moment de sa prise de fonction, l'homme occupait déjà ce poste depuis plusieurs années. Lui-même n'avait fait que renouveler le mandat du précité. H______, qui s'occupait de l'unité anti-enlèvements, l'informait et l'aidait dans différents programmes de restructuration, notamment de formation de la police. A______ a indiqué ignorer si son conseiller avait participé à l'opération PAVON. Celui-ci avait plus tard été assassiné (210'108s).

Il n'avait jamais eu de contact avec E______, qui était un fonctionnaire de police s'occupant de la division des enquêtes criminelles au sein de la PNC. A______ a précisé que E______ "rapportait tout" au Directeur des opérations et au Directeur général de la police. L'homme était déjà en fonction au moment où S. avait été nommé Directeur général de la PNC, lequel l'avait également maintenu dans ses activités. Selon A______, E______, en tant que membre de la division précitée, avait dû prendre part à l'intervention du 25 septembre 2006 (210'108s).

S'agissant de la préparation de l'opération PAVON, A______ a indiqué que les "unités opérationnelles" avaient remis un plan général au cabinet de sécurité. Ce plan détaillait les unités qui participeraient à l'intervention, "tout comme la partie intérieure d'identification des détenus du Comité d'ordre et de discipline" (210'091). Il a précisé, à propos de ce dernier élément, qu'il s'agissait de quelque chose de notoire et qu'identifier les détenus qui géraient le centre ne supposait pas un grand travail de renseignement. Ces informations avaient par ailleurs été constamment relayées par les médias, de sorte que l'"on" savait qui donnait des ordres au sein de ces Comités et comment s'articulait la structure (210'091s). A la question de savoir si une liste de détenus avait dès lors été établie, A______ a, dans un premier temps, répondu par la négative (210'092). Il a précisé à cet égard qu'il n'y avait eu aucune consigne visant à identifier une personne spécifique pour la transférer ou lui accorder un traitement spécial. Il avait toutefois été prévu, dans le cadre du transfert des détenus, d'attribuer des cellules individuelles aux membres du Comité d'ordre et de discipline afin de dissoudre ce dernier. La remarque lui ayant été faite que l'attribution de cellules individuelles aux membres du Comité impliquait l'identification préalable desdits membres, A______ a indiqué qu'il y avait eu, dans ce but, une liste de 15 ou 16 personnes faisant partie du Comité (210'093).

Interrogé sur la nature des forces étatiques qui avaient pénétré dans PAVON le jour des faits, il a déclaré que c'était la PNC qui était entrée, avec l'administration pénitentiaire et l'armée du Guatemala (210'095). A sa connaissance, aucun blessé n'avait été recensé parmi les forces étatiques malgré le fait que, selon les rapports transmis au Ministère public, celles-ci avaient été accueillies par des coups de feu (210'096). D'après les informations qu'il avait reçues suite à l'intervention, les sept détenus décédés figuraient parmi les membres du Comité d'ordre et de discipline. Lui-même n'avait pas accédé aux lieux où les corps avaient été retrouvés (210'110). A______ a ajouté que, vu l'attitude agressive d'au moins 200 membres du Comité et la présence d'armes dans la prison, le bilan relatif au nombre de morts avait été bien inférieur aux prévisions du cabinet de sécurité (210'095). Ce n'était qu'au mois d'août 2010 qu'il avait appris par les médias que les faits du 25 septembre 2006 faisaient l'objet d'une enquête (210'100).

e.d.b.b. Entendu en Espagne le 31 octobre 2012, CICIG3 a fait des déclarations dans l'ensemble identiques à celles effectuées devant le Ministère public genevois, ainsi qu'aux conclusions figurant dans son rapport versé à la procédure.

Il a confirmé en particulier qu'il y avait eu "beaucoup d'informations, beaucoup de témoins, beaucoup de personnes" selon lesquelles s'était instaurée, dans la structure de l'Etat, un groupe consacré à commettre différents types de crimes, notamment des exécutions extrajudiciaires, ainsi que des actes de torture et de nettoyage social (210'054). CICIG3 a également confirmé que les frères K______ et L______ avaient travaillé comme conseillers de S. dans le cadre du groupe que ce dernier avait créé avec B______ (210'061).

CICIG3 a ajouté que, le jour de l'intervention à PAVON, l'équipe de la PDH qui s'était rendue sur place avait été empêchée de pénétrer dans le centre pénitentiaire, contrairement à la COPREDEH. Il a relevé à cet égard que la COPREDEH était une commission présidentielle, subordonnée au gouvernement guatémaltèque en place (210'077).

L'intéressé a également déclaré que l'enquête de la CICIG avait "connu un tournant" grâce aux détenus dans la mesure où, avec leur aide, V6 avait pu être identifié, toujours en vie, sur certaines photographies. Ces dernières étaient par ailleurs conformes à la scène qu'avaient décrite plusieurs prisonniers, ce qui constituait, pour CICIG3, une "preuve objective" que "ce qu'ils nous avaient raconté était vrai" (210'066s).

Le précité a encore indiqué qu'il existait "énormément de témoignages" relatifs à la présence d'un groupe de personnes cagoulées et lourdement armées, lequel sélectionnait des détenus pour les mettre à l'écart (210'059). De même, selon les déclarations qu'avait recueillies CICIG3, V4 avait remis sa veste à un autre détenu avant d'être transféré de PAVONCITO à PAVON (210'064). Deux des détenus décédés le 25 septembre 2006 avaient très probablement été tués par "erreur", CICIG3 expliquant à cet égard que certains prisonniers, dont les noms ne figuraient pas sur la liste des autorités, avaient été confondus en raison d'une ressemblance physique avec d'autres dont les noms étaient bien inscrits sur cette même liste (210'068). A l'inverse, certains détenus, soit précisément D3 et D1, avaient dans un premier temps été écartés du reste des prisonniers avant d'être plus tard, probablement à cause de la confusion qui régnait alors, réintégrés par un policier dans les files puis transférés vers PAVONCITO (210'065s).

CICIG3 a encore fait référence aux déclarations de GP1, selon lesquelles seulement sept armes légères avaient été recensées à l'intérieur de la prison avant l'opération du 25 septembre 2006. Pour l'enquêteur, cet élément indiquait que les détenus n'étaient dans tous les cas pas en mesure de contrecarrer une offensive des forces étatiques, qu'ils savaient lourdement armées et bénéficiant de l'appui de blindés légers, d'hélicoptères et d'unités spéciales. L'hypothèse d'une résistance armée à l'opération, de la part des détenus, n'était ainsi pas plausible (210'062). Par ailleurs, selon les informations qu'il avait récoltées, la perquisition effectuée par les autorités dans le centre pénitentiaire n'avait, au final, abouti ni à la découverte d'armes, ni à celle de drogue ou d'argent (210'057).

Guatemala

e.e. Par commission rogatoire internationale du 2 août 2013, le Ministère public genevois s'est une nouvelle fois adressé aux autorités guatémaltèques compétentes afin d'organiser l'audition par le Ministère public de la CICIG de 22 témoins (220'009ss). Préalablement à l'envoi de cette demande, le Procureur a accordé aux parties un délai pour transmettre les éventuelles questions qu'elles souhaitaient voir poser aux témoins (610'125ss). Les Conseils de S. se sont "catégoriquement opposés" à cette commission rogatoire considérée comme une manœuvre dilatoire destinée à maintenir leur client en détention (610'132).

Cette demande, une fois exécutée, a d'abord révélé que D4 était mort le 8 septembre 2010 (220'316) et que D14 et PNC3 avaient refusé de s'exprimer par peur de représailles (220'356 et 220'361). Les éléments suivants ressortent en outre des auditions effectuées au mois de septembre 2013 :

e.e.a. PNC9 (220'310ss) a confirmé que, sur la route menant à PAVON, un arrêt avait été effectué dans une station-service. Diverses voitures s'étaient arrêtées et B______ et Z______ avaient discuté avec quelques personnes qu'il ne connaissait toutefois pas. Par la suite, il avait vu S. arriver à la prison et s'entretenir avec A______, I______, B______, le frère de ce dernier et des gradés militaires. Plus tard encore, il avait vu sortir de la maison de V4 B______ et E______, lesquels portaient alors des armes de poing et des fusils.

e.e.b. PNC6 (220'319ss) a confirmé avoir vu deux hommes cagoulés emmener dans la maison de type canadien un détenu menotté puis avoir, quelques minutes plus tard, entendu trois ou quatre détonations à l'intérieur de ladite maison.

e.e.c. PNC2 (220'359) a confirmé ses précédentes déclarations, soit que, dans les instants qui avaient précédé l'intervention du 25 septembre 2006, un agent du système pénitentiaire lui avait fait signer une attestation selon laquelle le bureau du commandement de garde, notamment, lui était remis.

e.e.d. D1 (220'304ss) a confirmé ses déclarations faites devant la PDH le 29 septembre 2006. Il a déclaré que certains détenus avaient été écartés par les forces de l'ordre. Parmi les prisonniers mis à l'écart figuraient, outre lui-même, V3, V2, V5, V1 et V4 (220'305). Alors qu'il se trouvait à l'écart, il avait vu un véhicule de type "pick-up" qui ramenait V4, tenu par des agents étatiques, "vers la brèche ouverte sous sa maison". Les agents l'avaient fait descendre du véhicule et emmené à sa maison où il était attendu par E______, H______ et S.. L'intéressé a encore ajouté s'exprimer "uniquement pour que justice soit faite et pour que les exécutions qu'ils ont commises ne restent pas impunies".

e.e.e. D7 (220'322ss) a notamment confirmé que les agents cagoulés avaient demandé leur nom à plusieurs détenus. Ils s'étaient notamment emparés de V6 après que celui-ci eut décliné son identité. Les policiers avaient alors déclaré : "On te cherchait, nous deux". S'agissant de V1, il a confirmé que ce dernier avait été écarté du reste des détenus sur la cour de l'église à la demande d'I______. D7 a encore déclaré que d'autres détenus avaient été mis à l'écart, soit notamment V5.

e.e.f. D5 a d'abord confirmé avoir vu, au cours de l'intervention du 25 septembre 2006, un certain nombre de détenus encore vivants, lesquels étaient décédés le même jour. Il avait ainsi vu V4 à la porte du secteur des ateliers, V2 être sorti de l'église par les agents de l'Etat, V1 être appelé par A______ sur la place principale puis emmené et V5 assis et menotté dans la zone des ateliers. Il a par ailleurs confirmé qu'un agent cagoulé l'avait pendant un moment confondu avec le vice-président du Comité. Il a enfin indiqué avoir vu S. le jour des faits sur la place principale en possession d'une liste.

e.e.g. D13 (220'337ss) a notamment confirmé avoir vu, d'une part, V6 maîtrisé et, d'autre part, V4 vivant dans le secteur 3 de PAVONCITO, lieu dans lequel celui-ci était resté de 06h00 à 07h30 environ. Il avait entendu quelqu'un dire au détenu colombien : "Ton avocat est là, va vers la zone dix-huit".

e.e.h. D9 (220'342ss) a confirmé avoir entendu, à travers la radio de S., que V6 avait été capturé, ce à quoi le Directeur général de la PNC avait répondu : "Emmenez-le". Il a encore déclaré avoir vu certains agents des forces de l'ordre munis d'une liste de noms, lesquels interrogeaient les détenus sur leur identité. Il a confirmé avoir vu D3 à l'entrée du secteur des ateliers, lequel avait été confondu avec "C______" avant d'être "relâché".

e.e.i. D6 (220'345ss) a déclaré avoir vu, le jour des faits, des agents de l'Etat, parmi lesquels S., en possession d'une liste de noms de détenus. Il a également confirmé avoir vu, en vie et maîtrisé, V1, qui avait été emmené. Il avait également vu être sortis des files de détenus ou mis à l'écart V5, V3 et V2.

e.e.j. D10 a répété avoir vu V6 être appréhendé et maîtrisé durant l'opération par des agents qui disposaient notamment d'un appareil-photo et qui "cochaient chaque personne". Il a ajouté qu'il avait également vu, en vie, V4 à l'entrée de PAVONCITO. Enfin, il avait aperçu V3 et V5, également en vie, au cours de l'intervention.

e.e.k. D11 (220'352ss) a confirmé avoir vu V4 en vie à PAVONCITO, alors que celui-ci avait été sorti par une ruse vers 06h00 selon son souvenir. Il a ajouté avoir vu V6 être capturé par des agents cagoulés dans le secteur des ateliers, ainsi que V1, en vie, sur la place civique. Au même endroit, il avait aperçu V3. Il a encore déclaré avoir vu V5 en train de pleurer, assis à la porte d'entrée des ateliers "avec d'autres qu'ils avaient capturés".

e.f.a. S. a été entendu par le Ministère public genevois, sur la base notamment des résultats des commissions rogatoires précitées notamment, lors des audiences des 9 janvier 2013 (500'141ss), 8 et 29 novembre 2013 (500'741ss et 500'750ss).

Interrogé sur les déclarations de B______ selon lesquelles H______ était, en substance, un assassin notamment responsable de la mort des sept détenus le jour des faits, il ne pouvait "ni affirmer, ni nier que les agissements décrits par B______ avaient pu avoir lieu". Il ignorait si H______ avait ordonné ou planifié des exécutions extrajudiciaires avant ou pendant l'opération PAVON et a précisé que B______ ne lui avait jamais fait part d'une information de ce type. Interrogé une nouvelle fois sur ses contacts avec le conseiller le jour des faits, S. a déclaré ne pas avoir été informé à l'avance de sa présence, qui n'était au demeurant pas prévue dans le plan de l'opération. H______, qui n'appartenait pas à la PNC, n'avait par ailleurs pas demandé à y participer. S. a ajouté ne pas se rappeler clairement s'il l'avait salué avant le lancement de l'intervention mais a confirmé l'avoir rencontré par la suite, soit lorsqu'il était arrivé dans le secteur des cabanons. H______ lui avait alors indiqué que des coups de feu avaient été échangés et que certaines personnes étaient décédées. Il ne l'avait plus revu durant cette journée. S. a toutefois précisé avoir remarqué, lorsqu'il était arrivé dans le secteur où les corps avaient été découverts, la présence de nombreux membres de l'équipe de H______.

S. a également précisé que B______ avait requis son autorisation afin d'ouvrir des enquêtes à la fois contre H______ et contre les membres de l'équipe de celui-ci, étant précisé que le Sous-directeur les suspectait d'avoir commis des actes illicites, notamment dans le cadre d'opérations policières. Il avait donné son accord aux enquêtes mais, dans la mesure où B______ et lui-même avaient par la suite quitté la police, celles-ci n'avaient pas pu aboutir.

Informé de l'existence de plusieurs témoignages selon lesquels il n'y avait pas eu d'affrontement armé entre les détenus et les forces de l'ordre, S. a indiqué que plusieurs témoins affirmaient le contraire et que lui-même avait entendu des tirs et été informé que des échanges de coups de feu étaient survenus. Il a également déclaré qu'il existait à la procédure un enregistrement vidéo attestant du contraire.

S. a déclaré qu'au niveau des portails de transfert, les agents de la PNC avaient effectivement contrôlé l'identité de détenus, photographié ceux-ci et pris leurs empreintes digitales. L'objectif avait toutefois été d'enregistrer ces informations dans des ordinateurs afin de dresser par la suite une liste de tous les détenus. S'agissant d'une liste restreinte de 25 détenus, S. n'en avait jamais eu connaissance et ne l'avait jamais vue. Si celle-ci devait réellement avoir existé, il se demandait par ailleurs pourquoi seuls 7 des 25 détenus mentionnés avaient perdu la vie. A sa connaissance, les autorités n'étaient pas parties, le jour des faits, à la recherche des détenus qui avaient trouvé la mort dans la prison.

Interrogé sur les déclarations de D9, lequel affirmait avoir entendu, en provenance de sa radio de fonction, que V6 avait été appréhendé, S. a déclaré n'avoir reçu aucun message relatif à la capture d'un quelconque détenu. Il a ajouté avoir été, tout comme le détenu précité, entouré de très nombreuses personnes, de sorte que, s'il avait réellement reçu un message en ce sens, il devait exister davantage de témoignages à cet égard. Il a ajouté qu'un système spécial de communication par radio avait été mis en place le jour de l'opération et que toute personne qui aurait souhaité s'entretenir avec lui par ce biais aurait dû utiliser le code "ORO". En substance, il s'agissait donc d'un témoin qui voulait s'en prendre aux autorités. Egalement appelé à se déterminer sur les déclarations de D1 le mettant en cause, S. a affirmé n'apporter aucun crédit à celles-ci, lesquelles, en plus d'être à chaque fois contradictoires, visaient uniquement à incriminer les autorités étatiques.

De manière générale, S. a déclaré qu'il ne se trouvait pas, dans tous les cas, ni sur les lieux des tirs, ni sur ceux où, par hypothèse, des détenus décédés auraient préalablement été interpellés par les autorités.

e.f.b. S. a produit, au cours de la procédure, l'enregistrement vidéo – intitulé "Assaut-Est" – évoqué lors de son audition (figurant comme DVD dans le classeur F3). Il ressort principalement de cette vidéo que :

- des coups feu sont entendus et des étincelles sont visibles notamment lors de deux séquences distinctes, soit lors de l'assaut par le groupe des cagoulés aux minutes 05:32 à 05:44, à 06:02 et 06:03 puis à 06:47; après l'assaut, juste avant l'arrivée à la maison de V4 de S. entre 13:28 et 13:38 (avec la précision qu'un membre des forces de l'ordre avec un signe distinctif orange se fige et regarde en direction de la maison de V4);

- le groupe de cagoulés est présent sur les images pendant sa montée vers la maison de V4 entre 05:28 et 05:43 puis devant le portail à la minute 13:08;

- plusieurs groupes de détenus apparaissent à divers moments, notamment : un premier groupe de détenus nus en train d'être emmené vers l'extérieur de l'enceinte à la minute 06:43 puis entre 07:45 et 08:03, ainsi qu'un deuxième groupe, bras levés dans la rue des ateliers, dès la minute 09:02;

- V6 est maîtrisé dans la rue des ateliers, apparaissant habillé à la minute 09:52, désigné par L______ à 10:04, à terre à 10:13, puis, enfin, en train de se déshabiller entre 10:35 et 10:37;

- B______ et PNC7 effectuent une fouille avec une pince hydraulique dans la rue des ateliers entre les minutes 11:54 et 12:17;

- la présence de S. est établie dans plusieurs endroits de la prison, soit près de la maison de V4 entre les minutes 13:56 et 14:26, à son arrivée puis pendant la réunion avec les frères K______ et L______, H______ et E______ lors de laquelle il prononce le mot "[nom de famille de E______]" à la minute 14:18; par la suite il apparaît proche de la place centrale en discussion avec B______, I______ et A______ entre 15:25 et 15:43;

- un tri de détenus a été opéré au portail des ateliers, scène filmée entre les minutes 14:35 à 15:23;

- les cadavres de V6, V2, V5 et V7 sont filmés dès la minute 17:36;

- B______ et A______ ont participé à une conférence de presse, dès la minute 18:42 et respectivement 22:07.

II. De l'opération GavilAn

f. Il ressort des pièces de la procédure qu'un ordre de service n° 116-2005 intitulé "OPERACIÓN GAVILAN" daté du 22 octobre 2005 a été établi par la Sous-direction générale des opérations de la PNC, sous la signature PNC12, lui-même employé de cette institution (200'370ss, trad. 450'377ss). Cet ordre de service faisait suite à l'évasion survenue plus tôt le même jour de 19 détenus – parmi lesquels V8, V9 et V10 – du centre pénitentiaire EL INFIERNITO sis dans le département d'Escuintla.

Ce document, dont l'objectif était la capture des détenus précités, fournissait le détail logistique de l'opération ainsi que des instructions destinées au personnel mobilisé dans le cadre de cette dernière. Le commandement général était confié à la Direction générale de la PNC, tandis que la supervision des enquêtes incombait au Chef de la division des enquêtes criminelles de cette même institution. S'agissant des instructions, il convient en particulier de mentionner que les équipes de recherches devaient respecter, dans l'exercice de leurs fonctions, les principes d'opportunité et de proportionnalité dans l'utilisation des moyens à leur disposition. S'agissant de l'usage des armes à feu, celui-ci n'était possible qu'en cas de légitime défense, d'état de nécessité et de l'exercice justifié d'un droit.

Volet RIO HONDO

Rapport officiel

g.a. Selon un rapport du 3 novembre 2005 (200'276ss, trad. 450'362ss), rédigé par le service des enquêtes criminelles de la PNC – signé par PNC13 et PNC14 –, V8 était décédé.

Le même jour, l'auteur des rapports avait été informé qu'un cadavre se trouvait dans une voiture, signalée comme volée, à hauteur du kilomètre 136,5 de la route menant à Rio Hondo dans le département de Zacapa. L'auteur du rapport s'était dès lors rendu avec un collègue sur les lieux. Le véhicule, de marque MITSUBISHI LANCER, se trouvait encastré contre un mur et présentait divers impacts de balles. Sur le siège avant, côté passager, le cadavre présentait des blessures par arme à feu sur différentes parties du corps et tenait, entre ses jambes, un fusil d'assaut avec son chargeur, lequel contenait trois cartouches de même calibre. Quatre douilles, probablement de même calibre, se trouvaient sur le siège arrière droit. Parmi les personnes présentes sur les lieux, le figuraient notamment E______, le Sous-commissaire G______, et l'enquêteur PNC15. Selon les informations transmises par E______, le travail d'enquête effectué, ainsi que des informations confidentielles, avaient permis de déterminer qu'à l'aube ou dans l'après-midi du jour en question, des personnes – dont V8 –, portant des armes à feu de gros calibre, passeraient à cet endroit à bord du véhicule précité. Un dispositif de surveillance avait dès lors été mis en place à la hauteur du kilomètre 136,5. Arrivé sur les lieux à 14h00, ledit véhicule ne s'était pas arrêté, malgré l'injonction des policiers, et ses passagers avaient ouvert le feu sur ceux-ci. Des échange de tirs s'étaient alors produits, lesquels avaient conduit à la mort du précité. La voiture s'était ensuite encastrée dans le mur situé au bord de la route et son conducteur avait réussi à prendre la fuite, tout en continuant à tirer des coups de feu. Les policiers n'étaient finalement pas parvenus à le rattraper. Le cadavre de V8 avait été transporté à la morgue de l'hôpital départemental de Zacapa.

g.b. Un rapport relatif à l'autopsie de V8 a été dressé en date du 8 novembre 2005, suite à l'examen du cadavre le 4 novembre 2005 (200'368). Il ressort notamment de ce document que, parmi les lésions subies par le précité, figurait une blessure, causée par un projectile d'arme à feu, au niveau de la paupière inférieure de l'œil gauche. Des photographies du corps de V8 avaient été effectuées lors de cet examen (200'282ss).

g.c. MP1, employé du Département de technique scientifique au sein du Ministère public guatémaltèque, a effectué l'analyse balistique d'un certain nombre d'éléments recueillis dans le cadre de la procédure menée jusqu'alors. Un rapport écrit a été rendu en date du 17 février 2006 (200'365ss).

Enquête de la CICIG

h.a. Dans le cadre des investigations menées par la CICIG, les témoins suivants, tous agents de la PNC, ont notamment été entendus, soit par un juge en "avance de preuves" soit par le Procureur spécial auprès de la CICIG :

h.b. PNC14, à l'époque des faits chef de la division des enquêtes criminelles de Zacapa et coauteur du rapport du 3 novembre 2005, a été entendu par le Procureur spécial pour la CICIG en date du 11 février 2012 (200'262ss, trad. 450'343ss).

Il a indiqué s'être rendu, le 3 novembre 2005, au croisement de Rio Hondo, où un cadavre avait été découvert et où se trouvaient notamment, à son arrivée, H______ et E______, soit son supérieur hiérarchique. Ce dernier lui avait, en substance, dicté le contenu figurant dans le rapport du même jour, sans qu'il n'ait eu la possibilité de vérifier la véracité des déclarations de son supérieur. Il a précisé que E______ avait affirmé dire la vérité et que le contenu du rapport devait correspondre à cette version. Plusieurs jours plus tard, E______ s'était rendu au poste de Zacapa et l'avait "grondé". L'homme était en effet très énervé et lui avait reproché d'avoir envoyé le rapport du 3 novembre 2005. Il lui avait alors dicté, puis obligé à signer une communication (200'279) que PNC14 avait ensuite dû transmettre au Ministère public. S'agissant des raisons pour lesquelles il s'était exécuté, PNC14 a indiqué avoir eu peur de perdre son travail, mais également craint pour sa vie. Au moment de sa déclaration devant la CICIG, il a précisé avoir toujours peur, dans la mesure où "ils avaient toujours du pouvoir".

Il se rappelait par ailleurs que durant la nuit ayant précédé cet évènement, l'officier "[Prénom de PNC16]", accompagné de deux personnes, lui avait demandé s'il pouvait dormir au siège de la délégation de Zacapa. "[Prénom de PNC16]", qui avait expliqué être le chef d'un groupe qui visait à capturer des fugitifs lui avait indiqué qu'il partirait au matin.

h.c. PNC16, employé au sein de la PNC à l'époque de faits, a été entendu par un juge (200'125, trad. 450'424ss). Il a indiqué qu'une réunion, à laquelle A______, H______, E______, S. et B______ étaient présents, s'était tenue le lendemain ou le surlendemain de l'évasion. Au cours de cette séance, qui avait eu lieu sur une terrasse de la Direction générale de la PNC, plusieurs groupes de recherches, auxquels des "cas spécifiques" avaient été attribués, avaient été constitués. Son groupe, dans lequel se trouvait également PNC15, avait été chargé de retrouver V8 ainsi qu'un autre détenu. Lors de la réunion, S. avait essentiellement motivé les policiers présents.

Quelques jours plus tard, il avait appris que V8 était en communication avec l'un de ses oncles. Grâce à ce dernier, intéressé par la récompense de quetzals (ci-après : GTQ) 50'000.- offerte, il avait ainsi pu localiser le logement dans lequel se trouvait le fugitif. Dans la nuit du 2 au 3 novembre 2005, malgré le fait que les policiers ne disposaient pas d'une autorisation de visite domiciliaire délivrée par un juge, E______ leur avait ordonné de procéder à l'arrestation de V8. Ne sachant que faire, PNC16 avait appelé le sous-commissaire PNC17, qui lui avait conseillé de suivre les instructions de E______ car, dans le cas contraire, ce dernier lui "enverrait des gens" et était capable de le tuer. Après minuit, les agents étaient dès lors entrés dans le logement et avaient procédé à l'interpellation du fugitif, qui n'avait opposé aucune résistance.

Contacté par téléphone, E______ avait ordonné que les agents amènent V8 au carrefour de Rio Hondo, conformément au "plan B". L'homme avait été placé à l'arrière de leur véhicule et menotté puis les agents s'étaient rendus sur le lieu du rendez-vous. Avant d'arriver sur place, vers 03h30, E______ l'avait appelé pour lui demander si le fugitif était menotté avant de lui ordonner de le démenotter, de placer du papier journal sur ses poignets, puis de le menotter à nouveau. Des membres de l'unité anti-enlèvement, soit notamment G______ et AW______, étaient également arrivés sur les lieux, tout comme H______ – qui l'avait félicité pour son travail – et AX______, surnommé "AA______". A un moment, PNC15 avait, sur ses instructions, filmé l'interrogatoire de V8 qu'effectuait G______. AW______ prenait, quant à lui, des notes. Des questions sur la manière dont l'évasion s'était déroulée avaient notamment été posées au détenu. Plus tard, soit vers 10h30, les hommes avaient mangé et, lorsqu'il avait proposé de la nourriture au détenu, qui avait été démenotté, celui-ci lui avait demandé s'il était exact qu'il allait être tué. Lorsque E______ avait constaté que V8 était pieds nus, le nécessaire avait été fait pour que des chaussures lui soient fournies.

Vers 14h00 ou 15h00, après qu'AX______ eut conduit sur les lieux une MITSUBISHI, E______, qui avait mis sa cagoule, avait ordonné à certains agents présents de placer d'autres véhicules en travers de la route, et de ne laisser passer aucune voiture. G______ et AX______ avait fait monter V8 sur le siège avant, côté passager, de la MITSUBISHI, puis avaient fermé la porte. AX______ s'était positionné sur le siège conducteur, tandis que G______ avait pris place à l'arrière de la voiture, après avoir enveloppé un pistolet dans un chiffon ou une chemise de plage. Le premier avait fait avancer le véhicule sur une quinzaine de mètres, puis l'avait encastré dans un mur. Les deux agents étaient alors sortis du véhicule, étant précisé qu'AX______ avait laissé la portière ouverte, puis ils avaient fait feu en direction de la voiture, la criblant de balles. L'un des deux hommes avait ensuite placé un fusil d'assaut, de type AK47 selon son souvenir, entre les jambes de V8 qui était mort. E______ avait alors demandé à PNC16 : "Vous voyez comment on fait le travail ?". Alors que certaines autorités parvenaient sur les lieux, E______, avec d'autres, avaient crié : "Le voilà, le voilà, le voilà, le voilà", tout en se dirigeant vers une butte sur laquelle ils tiraient. PNC16 a également déclaré avoir entendu, suite à l'exécution du fugitif, H______ parler au téléphone. L'homme avait dit : "Oui Monsieur le Ministre".

Lorsque le Ministère public ou le juge avait interrogé E______, ce dernier avait effectué une déposition similaire au contenu du rapport du 3 novembre 2005, rédigé par PNC14. E______ avait ordonné à PNC16 de rédiger un rapport en ce même sens et de le lui remettre le lendemain. Lors de ladite remise, E______ avait indiqué, à propos d'un tiers, "il a vu comment nous faisons le travail", ce à quoi PNC16 avait répondu "Oui, c'est un message pour que les gens ne partent pas". Entendu ultérieurement par le Ministère public, PNC16 avait, toujours sur les instructions de E______, déclaré avoir été informé d'un échange de tirs et, qu'à son arrivée sur les lieux, V8 était déjà mort.

PNC16 n'avait pas dénoncé les faits à l'époque car il n'avait pas eu confiance dans les autorités au pouvoir et savait qu'on le tuerait. Il avait toutefois dit à PNC15 de garder la vidéo que ce dernier avait réalisée et qu'elle leur servirait le jour où la situation changerait.

h.d. PNC15, employé au sein de la PNC au moment des faits, a également été entendu par un juge (200'149ss, trad. 450'457ss). Il a indiqué avoir, suite à l'évasion de détenus du centre pénitentiaire EL INFIERNITO, participé à une réunion à laquelle avaient également pris part A______, S., E______ et PNC17. Lors de cette séance, des groupes de recherches avaient été formés, étant précisé qu'il s'était trouvé dans le groupe dirigé par PNC16. Ayant par la suite eu connaissance d'un informateur qui affirmait savoir où V8 se trouvait, une réunion, à laquelle s'était joint H______, avait été organisée au Ministère de l'Intérieur. L'homme avait fourni les renseignements en sa possession après s'être fait remettre une certaine somme d'argent par H______. Ce dernier avait par la suite chargé le groupe de PNC15 de "travailler sur l'information".

Le groupe avait été en mesure de localiser V8 et de procéder à l'interpellation de celui-ci. Sur ordre de E______, les policiers s'étaient ensuite rendus avec le fugitif à Zacapa, où ils étaient arrivés vers 03h30. Le groupe avait d'abord été rejoint par H______ et G______, accompagnés de leurs hommes, puis par E______. Par la suite, soit vers 04h30-05h00, G______ et AW______ avaient procédé à l'interrogatoire du détenu, tandis que PNC15 filmait discrètement la scène. Ce dernier a précisé avoir entendu, vers 06h00 et alors que H______ s'était absenté, E______ dire au téléphone : "Oui Monsieur, à vos ordres Monsieur le Ministre". Plusieurs heures plus tard, soit vers 14h00, une paire de chaussures avait été remise à V8, lequel n'en portait pas jusque-là.

Au même moment, une voiture beige de marque MITSUBISHI LANCER était arrivée sur les lieux. AX______ avait placé le fugitif sur le siège avant passager dans "la camionnette", avant de prendre position sur le siège conducteur. G______, qui tenait à la main un pistolet enveloppé dans une chemise de plage, avait quant à lui pris place à l'arrière du même véhicule, derrière le détenu. Juste après, des détonations dudit pistolet avaient retenti, alors que PNC15 se trouvait à environ 5 mètres du véhicule. AX______ avait ensuite relâché le frein du véhicule, qui avait avancé de 5 mètres, puis les deux agents en étaient descendus, laissant le fugitif à l'intérieur. E______ avait par la suite crié "Attrapez-le", "il va là-bas" et "tirez-lui dessus", et certaines personnes présentes avaient commencé à tirer sur le véhicule. AX______ avait plus tard placé un fusil d'assaut entre les jambes de V8.

Par la suite, E______ leur avait dit de ne rien révéler de ce qui s'était passé et qu'une version des événements avait déjà été fournie, précisant que le Ministère public de Zacapa était au courant. Ainsi, la version "officielle" avait été qu'un prétendu fugitif avait été retrouvé mort et que PNC15 et ses collègues étaient arrivés sur les lieux plus tard pour établir les faits.

PNC15 a remis au Ministère public un DVD sur lequel figure la séquence filmée par ses soins le jour des faits (200'154, trad. 450'465 et 200'389).

h.e. Dans le cadre de son enquête, la CICIG s'est par ailleurs fait remettre ou a fait établir :

- un carnet photographique et un croquis des lieux où étaient survenus les faits (200'291ss et 200'299ss);

- un certificat émis le 28 avril 2011 par le Registre d'état civil de Rio Hondo, Zacapa, relatif au décès de V8 (200'363);

- une décision du Ministère de l'Intérieur du 11 novembre 2005, autorisant le versement d'une récompense de GTQ 50'000.-, suite à des informations ayant permis de localiser V8;

- un rapport d'"autopsie" du 22 octobre 2010 établi par ML laquelle devait établir : si le rapport d'autopsie "officiel" établi par le Service de médecine légale le 8 novembre 2005 et les documents de travail étaient conformes aux protocoles internationaux en vigueur; l'importance du respect de ces derniers et leur répercussion sur l'enquête; si les corps avaient été manipulés de manière adéquate; les aspects pertinents concernant les lésions, la distance du coup de feu et les trajectoires; tout autre point que l'auteur considérait utile (202'013ss).

Volet LAS CUEVAS

Rapport officiel

i.a. Le 1er décembre 2005, PNC18, chef du poste auxiliaire de la PNC sis à ______ ______, a rédigé un rapport suite à la découverte, le même jour à 12h30, de deux cadavres sur un terrain de basket de la Municipalité (200'420ss, trad. 450'542ss). Les corps avaient été identifiés comme correspondant à ceux de V9 et V10, lesquels étaient connus pour s'être évadés le 22 octobre précédent du centre pénitentiaire EL INFIERNITO. L'heure des décès n'avait pas pu être établie, mais la mort avait été causée par des projectiles d'armes à feu.

Plus tard dans la journée, le Sous-commissaire G______ avait informé PNC18 que les deux hommes étaient décédés au cours d'une fusillade avec des personnes inconnues. Celle-ci s'était produite plus tôt dans la journée dans la partie montagneuse de cette même juridiction, au bord d'une rivière. Le Sous-commissaire avait expliqué que, sur place, des gens – notamment des riverains – avaient menacé de brûler les corps qu'ils savaient appartenir à des fugitifs. Aussi, "pour préserver les preuves trouvées sur la scène de crime ainsi que les cadavres", les agents qui s'étaient rendus sur les lieux avaient décidé de faire transporter les corps à ______ ______. G______ avait également précisé qu'un pistolet de calibre 38 mm avait été découvert dans la main droite de l'un des détenus.

Un juge de paix avait procédé le même jour à la levée des corps (200'422ss, trad. 450'543ss), lesquels avaient été transférés à la morgue en vue d'une autopsie médico-légale.

i.b.a. Selon le rapport d'autopsie du 1er décembre 2005 (200'497, trad. 450'556), V9 présentait onze lésions causées par des projectiles d'armes à feu : trois étaient situées dans le crâne, deux dans le thorax, une dans l'abdomen et cinq dans les extrémités.

Selon un second rapport du même jour (200'498, trad. 450'557), V10 présentait, quant à lui, cinq lésions causées par projectiles d'armes à feu, étant précisé que seules quatre de ces blessures étaient décrites : deux situées dans le crâne et deux dans l'abdomen.

i.b.b. 17 photographies, prises à l'occasion des examens pratiqués sur les corps de V9 et V10, ont été transmises au Ministère public (200'427ss).

i.c. Un rapport a été établi le 5 décembre 2005 par PNC19, au nom de la division des enquêtes criminelles de la PNC, en lien avec les décès de V9 et V10 (200'453ss, trad. 450551ss). En substance, ce rapport recommandait aux autorités compétentes de verser à AY______, la récompense offerte par l'Etat pour la communication de renseignements permettant la localisation des détenus précités.

PNC19 expliquait à cet égard qu'une équipe d'enquête, dont il avait fait partie, s'était rendue discrètement sur les lieux désignés par l'informateur. Le 29 novembre 2005, le groupe avait pu constater la présence sur place de V9 et de V10. Les fugitifs, dont l'un était armé d'un revolver de calibre 38 mm, se cachaient dans une grotte située au bord d'une rivière. Afin d'organiser l'interpellation des deux hommes, PNC19 avait notamment pris contact, par téléphone, avec H______. Selon le plan mis en place, deux équipes séparées devaient intervenir afin d'éviter toute nouvelle fuite des détenus. Parmi les membres de la police qui intégreraient ces équipes, PNC19 mentionnait notamment PNC20 et E______. Le 1er décembre 2005 vers 02h30, les deux groupes s'étaient ainsi dirigés vers la grotte, via des itinéraires différents. Arrivés sur les lieux et après s'être identifiés, les policiers avaient ordonné aux détenus de se rendre pacifiquement, les menaçant d'ouvrir le feu dans le cas contraire. Toutefois, dans la mesure où, malgré cet avertissement, V9 et V10 avaient tiré avec leur revolver en direction des agents, ceux-ci avaient été contraints de les abattre. Aucun policier n'avait été blessé. L'opération avait pris fin à 03h15.

Enquête de la CICIG

j. Dans le cadre des investigations menées par la CICIG, les témoins suivants, tous agents de la PNC, ont notamment été entendus, soit par un juge en "avance de preuves" soit par le Procureur spécial auprès de la CICIG :

j.a.a. PNC20 a été entendu par le Procureur spécial pour la CICIG le 18 mai 2010 (200'396ss, trad. 450'517ss). Il a indiqué avoir, dans la cadre du plan "GAVILAN", envoyé deux policiers qui lui étaient subordonnés – dont PNC19 – vérifier les renseignements fournis par un informateur qui soutenait avoir localisé deux détenus. Dans la mesure où ces renseignements s'étaient avérés exacts, PNC20 avait pris contact avec H______, conseiller du Ministre de l'Intérieur. Ce dernier avait indiqué qu'il se chargeait de préparer une intervention et lui avait donné rendez-vous au kilomètre 52,5 sur l'autoroute à Escuintla. H______ s'était rendu sur place avec une quarantaine d'hommes, parmi lesquels figuraient notamment B______, E______ ainsi que G______.

Lors d'une réunion ultérieure le même jour, deux groupes d'intervention avaient été formés, lesquels devaient emprunter des itinéraires différents pour se rendre à l'endroit où étaient cachés V9 et V10. PNC20 a précisé que son équipe comptait B______ parmi ses membres. Vers 03h00, alors que son groupe se trouvait à environ 500 mètres de sa destination, des coups de feu, notamment en rafales, s'étaient fait entendre. Vers 05h30, lorsque son équipe avait finalement atteint la grotte et retrouvé l'autre groupe, PNC20 avait vu les cadavres des deux fugitifs, ceux-ci étant "perforés par des armes à feu". Il a précisé que V9 tenait dans sa main un revolver, tandis que V10 avait une machette à la main. Parmi les membres de l'autre équipe déjà présente sur les lieux, PNC20 avait reconnu, notamment, E______, et un homme surnommé "AA______". Vers 09h00, E______ avait emprunté son téléphone pour appeler H______, ainsi que S.. Aux environs de 11h00, un hélicoptère jaune, transportant H______ entre autres, avait atterri à proximité. Les cadavres avaient été déplacés avec des civières "de fortune" jusqu'à l'appareil, lequel était reparti, soi-disant, en direction de la morgue.

j.a.b. Il sied de relever que PNC20 a, lors de son audition, remis au Procureur spécial pour la CICIG toute une série de photographies réalisées sur les lieux, en vue de la rédaction d'un rapport. Sur ces clichés apparaissent, en particulier et à plusieurs reprises, les cadavres des fugitifs (200'461ss).

j.b. PNC19 a, en substance, confirmé le contenu de son rapport du 5 décembre 2005 s'agissant de la prise de contact avec l'informateur, la véracité des renseignements fournis par celui-ci, ainsi que les repérages qu'il avait personnellement effectués sur le terrain par la suite. A cet égard, il a uniquement ajouté que les deux fugitifs avaient été en possession, outre d'un revolver, d'une machette. Le récit qu'il a fait de la suite des évènements était cependant différent dudit rapport.

L'intéressé a d'abord précisé avoir communiqué les informations qu'il avait récoltées à son supérieur, le commissaire PNC20. Ce dernier avait à son tour informé E______, dont la position dans la hiérarchie liée à l'opération GAVILAN était encore plus élevée. PNC19 a ensuite déclaré que, le 30 novembre 2005 vers 12h00, il avait été informé par PNC20 qu'un groupe spécial avait été mis sur pied par les "supérieurs" afin de capturer les fugitifs et que le coordinateur de l'intervention serait H______. Il avait eu, plus tard durant cette même journée, quelques contacts téléphoniques avec ce dernier, concernant la situation sur le terrain. Vers minuit, il était finalement entré en contact avec l'un des deux groupes d'agents devant intervenir. Parmi les membres de ce groupe figuraient, notamment, E______, G______ et des employés du Ministère de l'Intérieur.

Malgré l'heure avancée, les membres du groupe avaient voulu entrer en contact avec un habitant des environs qui avait fourni du soutien aux fugitifs. PNC19 ayant manifesté sa désapprobation, le chef du groupe – vraisemblablement E______ – avait déclaré avoir reçu des "ordres de ses supérieurs" et que, "pour des raisons de hiérarchie", il "devait prendre le commandement". L'habitant avait dès lors été sorti de chez lui et avait dû se joindre à l'équipe. Par la suite, alors que le second groupe s'était visiblement égaré, celui d'PNC19 était finalement parvenu à la cachette de V9 et V10. Les agents avaient allumé leurs lampes puis crié de ne pas bouger aux fugitifs, qui dormaient. L'un des détenus avait tenté de se saisir du revolver, mais s'était immédiatement ravisé lorsqu'il avait pris conscience de la situation. Les deux évadés avaient été menottés par l'un des hommes de E______. Lorsque PNC19 s'était adressé à ce dernier pour connaître la suite des évènements, le policier avait répondu : "Ces deux-là ne vont pas partir parce que nous avons des ordres supérieurs". Il avait ensuite quitté les lieux, alors que les fugitifs étaient assis dans le sable et menottés, et, environ cinq minutes plus tard, il avait entendu des coups de feu. Il avait alors réalisé ce que E______ avait voulu dire. Lorsqu'il était retourné, un peu plus tard, sur les lieux, PNC19 avait constaté le décès de V9 et V10. Un peu plus tard, il avait vu un hélicoptère, dont l'unique passager était H______, se poser sur les lieux. L'appareil était ensuite reparti, avec les corps des fugitifs, en direction de la morgue.

S'agissant du contenu de son rapport du 5 décembre 2005, PNC19 a déclaré avoir repris la version officielle des évènements car il avait craint, dans l'hypothèse contraire, de mettre sa propre vie en danger. A la question de savoir si B______ avait participé à l'intervention, il a indiqué que PNC20 lui avait indiqué que tel avait été le cas. Il a ajouté que cette opération "déplorable" avait été l'expérience la plus désagréable de toute sa carrière de policier.

Certaines des photographies produites par PNC20 ont été présentées à PNC19. Ce dernier a identifié les fugitifs, morts, sur plusieurs clichés, ainsi que E______. Il a également reconnu les armes qu'il avait repérées lors de son travail sur le terrain (200'464ss).

j.c. AZ______ a été entendu par le Ministère public pour la CICIG en date du 29 octobre 2010 (200'406ss, trad. 450'527ss). Il a indiqué que, le jour de l'intervention, il avait été réveillé, vers 03h00, par plusieurs personnes armées, dont certaines portaient des uniformes de la police, qui frappaient à sa porte. Lorsqu'il était sorti, ces individus lui avaient demandé où se trouvaient les fugitifs. Ayant répondu qu'il l'ignorait, les agents l'avaient frappé et emmené avec eux, en direction des grottes d'El Salto.

S'agissant de la suite des évènements, AZ______ a d'abord déclaré que, dans la mesure où des coups de feu s'étaient fait entendre avant l'arrivée du groupe à destination, les membres de celui-ci lui avaient ordonné de rentrer chez lui. Plus tard au cours de la même audience, il a cependant soutenu qu'ils étaient en réalité parvenus aux grottes et qu'il avait pu constater que les fugitifs avaient été capturés. A ce moment, "ils" lui avaient dit de se retourner, avant d'ouvrir le feu. AZ______ avait alors entendu les fugitifs "se plaindre". Les agents lui avaient ensuite ordonné de retourner chez lui, faute de quoi il serait "tabassé". S'agissant des raisons pour lesquelles il avait d'abord donné une fausse version des évènements, il a expliqué avoir eu peur, parce qu'il pouvait "arriver quelque chose à ses enfants et à lui-même".

j.d. PNC18 a été entendu par le Procureur spécial pour la CICIG en date du 3 février 2011 (200'415ss, trad. 450'536ss). Il a confirmé avoir découvert deux cadavres, "attachés et emballés dans des draps", sur le terrain de basket de la commune d'______, ______. Le juge de paix avait été appelé, afin de procéder à la levée de corps. Le juge avait dans un premier temps refusé de procéder à cette dernière et voulait obtenir un récit complet des évènements, dans la mesure où il apparaissait que les cadavres avaient été transportés sur le terrain de sport après avoir été exécutés. Pour PNC18, il était également évident que les personnes décédées n'avaient pas été exécutées à cet endroit. Des témoins lui avaient par ailleurs rapporté que les corps avaient été jetés d'un hélicoptère, lequel n'avait pas même atterri. PNC18 avait ensuite téléphoné aux "Opérations du Commissariat" pour les informer de ces faits. Le contenu de son rapport du 1er décembre 2005 était basé sur les déclarations de G______, lequel avait souhaité que leurs rapports respectifs consignent des récits identiques.

j.e. Dans le cadre de son enquête, la CICIG s'est par ailleurs fait remettre ou a fait établir :

- un carnet photographique et un croquis relatifs aux lieux où étaient survenus les faits (200'486ss et 200'489ss);

- deux certificats émis le 8 décembre 2008 par le Registre d'état civil de ______, ______, relatifs aux décès de V9 et V10 (200'438 et 200'439);

- deux décisions du Ministère de l'Intérieur du 14 décembre 2005, autorisant le versement de deux récompenses de GTQ 50'000.-, suite aux informations ayant permis de localiser V9 et V10 (200'444ss);

- un rapport d'"autopsies" du 22 octobre 2010 établi par ML laquelle devait établir : si les rapports d'autopsies "officiels" établis par le Service de médecine légale le 1er décembre 2005 et les documents de travail étaient conformes aux protocoles internationaux en vigueur; l'importance du respect de ces derniers et leur répercussion sur l'enquête; si les corps avaient été manipulés de manière adéquate; les aspects pertinents concernant les lésions, la distance du coup de feu et les trajectoires; tout autre point que l'auteur considérait utile (201'919ss, trad. 450'933). Parmi la documentation mise à la disposition de ML figuraient notamment, en plus des rapports d'autopsies, les photographies prises lors de desdites autopsies ainsi que celles produites par PNC20. Dans son rapport, l'experte relevait d'abord, en substance, une manipulation excessive et non conforme des corps et le fait que les procédures d'autopsie ne respectaient pas les standards internationaux. Plus particulièrement, elle a retenu, en se basant sur les photographies de V10 prises sur le lieu de sa mort, que la lésion localisée dans la région frontale du côté gauche présentait des caractéristiques de bordures éclatées, ce qui pouvait correspondre à des résidus de coup de feu, type enfumage/suie. Cela indiquait un coup de feu "à contact".

De la procédure genevoise s'agissant du plan GAVILAN

k. Le 31 août 2012 (500'005ss), S. a été mis en prévention pour avoir ordonné l'exécution, notamment, de V8, de V9 et de V10. A cette occasion, il a contesté les faits qui lui étaient reprochés par le Ministère public.

k.a. Les personnes suivantes ont été entendues, s'agissant de l'opération GAVILAN, par le Ministère public genevois.

k.a.a. CICIG4, policier espagnol ayant travaillé comme enquêteur au sein de la CICIG durant l'année 2010, a été entendu le 12 mars 2013 (500'424ss). Il a indiqué avoir principalement travaillé sur l'affaire des 19 évadés du centre de détention EL INFIERNITO, plus particulièrement sur les cas "Rio Hondo" et "Las Cuevas". Le plan GAVILÁN avait été élaboré, à son souvenir, notamment par S., B______ et E______.

k.a.a.a. S'agissant d'abord de la mort de V8, CICIG4 a indiqué avoir pu observer les "différences abyssales" qui existaient entre les déclarations des témoins et la position officielle adoptée par le Ministère public du Guatemala. Lui-même avait entendu au minimum trois ou quatre témoins, notamment PNC15 et PNC16. Il avait également recueilli des preuves, soit en particulier un film sur lequel figurait le fugitif, vivant, interrogé dans une voiture par le groupe de E______. A cet égard, il a indiqué être "formel et affirmatif" quant au fait que l'homme sur le film était bien V8. Sur la base des éléments qui précèdent, il pouvait affirmer que V8 avait été assassiné. En ce qui concernait la mort de V9 et de V10, CICIG4 a indiqué penser que ceux-ci avaient également été assassinés par l'équipe de E______, dont l'un des frères K______ et L______ avait par ailleurs fait partie. Aucun affrontement ne s'était produit dans la mesure où les deux détenus dormaient et n'étaient pas armés. Une fois ces derniers morts, un revolver, respectivement une machette, avaient été placés dans leurs mains.

k.a.a.b. S'agissant de la connaissance par S. des évènements qui s'étaient produits à Rio Hondo, respectivement à Las Cuevas, CICIG4 a déclaré qu'au moment de ces opérations, une communication permanente existait entre le Directeur général de la PNC – notamment – et E______.

A cet égard, le témoin a d'abord expliqué avoir travaillé, en 1998 et 1999, comme conseiller de la PNC au Guatemala. A cette occasion, le système de la "Guardia civil" espagnole, relatif à la transmission d'informations, avait été "transposé" à celui de la PNC. Ce système de communication était fondé sur des directives très claires s'agissant de "qui devait informer qui dans quel cas". En particulier, pour chaque opération importante, les supérieurs étaient informés par la personne responsable de l'opération. En second lieu, CICIG4 a indiqué que des enquêteurs de la CICIG avaient étudié les relevés des téléphones de toute la structure et reconstitué les contacts dans chacune des deux opérations précitées. Il ressortait de cette analyse que, les 3 novembre et 1er décembre 2005, S. avait été en contacts téléphoniques réguliers avec E______. Plus spécifiquement, dans l'affaire relative à V8, "E______ était constamment en contact par téléphone avec S., qui était donc informé presque en direct de ce qui se passait". S'agissant de V9 et V10, le témoin a précisé que PNC19 avait informé E______ des évènements en cours, lequel informait, à son tour et de manière directe, A______, S. et B______.

k.a.b. ML a, lors de son audition du 9 septembre 2013 (500'672ss), confirmé l'intégralité du contenu des rapports établis en relation avec les morts de V8, respectivement de V9 et V10.

k.b. Il ressort par ailleurs des déclarations de B______, transmises par les autorités autrichiennes dans le cadre de la commission rogatoire internationale du 7 novembre 2012, les éléments suivants :

B______ a répété plusieurs fois qu'à l'époque où les trois détenus évadés avaient perdu la vie, lui-même n'était pas encore Sous-directeur de la division des enquêtes criminelles. Il exerçait alors toujours dans la division de la santé policière (205'254, 205'271, et 205'289). S'agissant de la création du plan GAVILAN, H______ avait été mandaté par A______ dans le but d'élaborer une stratégie de récupération des prisonniers évadés. Le conseiller du Ministre de l'Intérieur avait par la suite occupé le rôle central dans l'application du projet et toutes les informations passaient par lui (205'272). B______ n'avait toutefois eu connaissance de tous ces éléments qu'après sa nomination en tant que Sous-directeur des enquêtes criminelles (205'289). Concernant dès lors sa présence sur les lieux des décès de V9 et V10, l'intéressé a déclaré s'être rendu sur place, une heure après la mort des évadés, en tant que chef de la division sur la santé des policiers, afin de vérifier qu'aucun agent n'avait été blessé lors de l'opération (205'272). En effet, dans la mesure où il avait été informé que des coups de feu avaient été tirés, cela avait constitué l'un de ses devoirs (205'289).

Interrogé sur une éventuelle implication de H______ dans ces trois décès, B______ a déclaré que le conseiller avait eu pour mission de ramener les fugitifs, précisant qu'"ils" – soit le groupe de H______ – avaient fait tuer beaucoup d'évadés en faisant croire que ces derniers avaient opposé de la résistance. Cependant, ledit groupe assassinait surtout des prisonniers liés à des activités d'enlèvement (205'254).

k.c. Il ressort des déclarations de A______, transmises par les autorités espagnoles dans le cadre de la commission rogatoire internationale du 7 novembre 2012, que l'ancien Ministre de l'Intérieur a confirmé l'existence d'un plan GAVILÁN. Ce dernier avait été élaboré par la PNC et S. avait, dans ce cadre, formé une unité de policiers nationaux afin de capturer les 19 détenus évadés. A______ ne participait pas aux plans opérationnels (210'088ss).

k.d. PNC19 et PNC20 ont encore été entendus, par les autorités guatémaltèques dans le cadre de la commission rogatoire internationale du 2 août 2013.

k.d.a. PNC19 a confirmé ses précédentes déclarations (220'288ss).

Il a notamment répété que le groupe dont il avait fait partie au moment des faits était dirigé par E______, lequel en avait pris le commandement dès son arrivée, et que V9 et V10 n'avaient opposé aucune résistance à leur arrestation, les précités dormant lorsque la police était intervenue. Le témoin a également répété que E______ lui avait dit avoir reçu des "ordres supérieurs" et que les fugitifs ne quitteraient pas les lieux en vie. Par la suite, au moment où il quittait les lieux, PNC19 avait entendu des coups de feu, puis vu les cadavres des détenus. Au vu des déclarations de E______, la mort des détenus avait été programmée

k.d.b. PNC20 a également confirmé ses précédentes déclarations (220'294ss). Il a précisé avoir rencontré H______, avant l'intervention, à une station-service située au kilomètre 52,5 de l'autoroute d'Escuintla. B______, qui était présent lors de cette rencontre, avait par la suite fait partie du groupe dont PNC20 avait eu le commandement. Le précité a par ailleurs précisé que le plan visant à la recapture des deux fugitifs avait été préparé et organisé par H______.

k.e. S. s'est essentiellement exprimé sur les faits relatifs à l'opération GAVILÁN lors des audiences des 9 janvier 2013 (500'141ss) et 8 novembre 2013 (500'741ss).

Il a déclaré à cet égard que, par souci d'efficacité, il avait été demandé à PNC12 d'élaborer un plan qui reprenait, pour l'essentiel, celui établi à l'occasion d'une précédente évasion survenue dans la même prison. Ce plan antérieur avait été établi par BA______, à l'époque Vice-ministre de l'Intérieur, H______ et d'autres fonctionnaires de police. Lors d'une séance qui s'était tenue à la direction de la PNC à la suite de cette nouvelle évasion, il avait été convenu que PNC12 se chargerait de la partie administrative, tandis que H______ réunirait et analyserait toutes les informations. La coordination des groupes d'investigations – composés principalement d'agents de la division des enquêtes criminelles de la PNC – serait, quant à elle, assumée par E______, qui devrait également tenir informés les précités sur le déroulement des évènements. Cette répartition des rôles avait été proposée par H______ et validée par A______.

A la question de savoir si lui-même avait eu un rôle décisionnel dans le plan, S. a indiqué qu'il n'avait pas été en charge de l'aspect opérationnel. "On" lui avait dit de continuer ses activités ordinaires dans la mesure où des personnes expérimentées, qui avaient déjà participé au plan précédent, avaient été mobilisées pour l'opération. Les renseignements relatifs à des évènements importants dans l'application du plan, tels la capture, la reddition où une confrontation armée avec les évadés, lui étaient cependant régulièrement rapportés, après coup, par les canaux d'informations mis en place. Dans chaque cas où un décès était survenu, le Ministère public avait ouvert une enquête.

S. a encore indiqué qu'il ne connaissait pas V8 ni V9 et V10.

Actes devant le Tribunal avant l'audience de jugement

D.

a. Le 22 janvier 2014, S. a demandé le renvoi de l'accusation au sens de l'art. 329 al. 2 CPP. Le Tribunal criminel a rejeté cette demande par décision du 23 janvier 2014.

b. Le Tribunal a tenu deux audiences préliminaires les 25 mars et 16 avril 2014.

Demandes du Tribunal criminel et pièces complémentaires

Actes provenant des autorités du Guatemala

c.a. Par courrier du 11 mars 2014, les Conseils du prévenu ont transmis un chargé de pièces complémentaires, lequel contenait notamment l'arrêt de la Cour pénale d'appel du Guatemala rendu le 25 février 2014 (F-16 traduit à F-53). Cet arrêt admettait partiellement les appels interjetés par E______ et G______, annulait le jugement attaqué et ordonnait le renvoi du procès pour de nouveaux débats.

c.b. Le 26 mars 2014, la Présidente a demandé à la CICIG la transmission des relevés téléphoniques dans le cadre du plan GAVILAN. CICIG2 a répondu par courriel du 28 mars 2014 (F-117) que le dossier guatémaltèque ne contenait pas les registres téléphoniques. Ces derniers avaient été vus par CICIG4 mais, lorsque la requête officielle avait été envoyée, l'opérateur téléphonique ne disposait plus de ces registres, qui avaient été effacés en raison du temps écoulé.

c.c. Le 13 mai 2014, le Ministère public a transmis au Tribunal la traduction de trois pièces complémentaires, soit :

- le courrier du 9 octobre 2006 de GP4 (F-471) relatant que le précité avait assisté à la scène où GP1 avait tiré avec son arme en direction de la maison de V4 puis se l'était vu confisquée et le courrier d'un armurier de la brigade de patrouille policière à I______ confirmant de la saisie de ladite arme.

- le courrier de la direction générale du système pénitentiaire (F-472) du 15 novembre 2006, précisant : "Aucune unité du Système pénitentiaire n'est intervenue dans cette opération; le soutien a été fourni par la Police Nationale Civile et le Ministère de la Défense Nationale".

Actes provenant des autorités autrichiennes

d.a. Les 26 mars et 23 avril 2014 (F-102 et F 289), la Présidente a demandé aux autorités judiciaires autrichiennes tous documents relatifs au verdict rendu par le Tribunal de Ried im Innkreis et à "l'expertise balistique" de BB______, dans la procédure qui avait été ouverte contre B______.

Le 1er avril 2014, le Président du Tribunal autrichien a expliqué que les huit juges non professionnels ayant composé le jury avaient statué sur la question de la culpabilité et qu'il n'y avait "pas d'exposé de motifs". Dans sa réponse complémentaire du 24 avril 2014, il a ajouté que les motifs suivants avaient été retenus par le jury : "Témoignage contradictoire; Décharge concernant l'expertise du coup tiré; Le témoin PNC8 ne fait pas preuve d'une participation active" (F-298).

Entendu par ledit Tribunal, BB______ a expliqué avoir travaillé sur un CD comportant deux vidéos. Il avait conclu que les éclairs que l'on voyait étaient "manifestement des lueurs de bouche", ajoutant que l'on avait "tiré en direction de celui qui filmait" et qu'il devait y avoir un danger immédiat. Sur l'un des clichés de la vidéo, il y avait de fortes probabilités que la lueur de bouche vienne d’une personne se trouvant dans la maison, parce qu'on voyait relativement bien la maison sur cette image. Sa "supposition" était "qu’une grande partie des tirs [étaient] partis de l’arbre en direction de celui qui filme, et qu’on n’[avait] pas riposté dans l’autre direction. Cela [voulait] dire que les policiers qui s’approchaient ont commencé par marcher à couvert sans tirer en retour". Il supposait donc que le coup venait de la maison, sans pouvoir être catégorique. A propos de l'une des lueurs de bouche, il considérait que le coup avait été tiré en direction de la police car celle-ci était "très prononcée". En ce qui concernait les autres lueurs de bouche, il y en avait certainement deux pour lesquelles la lueur de bouche allait clairement en direction de la personne qui filmait et il supposait que les deux autres venaient également de cette direction, mais n'en était "pas entièrement sûr".

d.b. Par courriers des 15 avril et 23 mai 2014, les Conseils du prévenu ont transmis au Tribunal les procès-verbaux devant le Tribunal de Ried im Innkreis des auditions de :

d.b.a. PNC6, qui a été entendu le 20 mars 2013 par téléconférence (F-535 traduit à F-555). Ce dernier a notamment confirmé n'avoir vu que le groupe d'hommes armés et cagoulés tirer lors de l'entrée dans la prison de PAVON. A l'intérieur de la maison, il avait vu B______ ainsi que deux cadavres.

d.b.b. CICIG2, qui a déposé le 25 septembre 2013 (F-160 traduit à F-208). Ce dernier a expliqué le rôle et le fonctionnement de la CICIG, ainsi que le sien, et a donné un bref aperçu des différentes phases de l'enquête menée au Guatemala. Il a également été confronté aux conclusions de BB______ (la vidéo ayant été diffusée en audience), qu'il contestait en ce sens que, selon l'enquête menée, il n'y avait eu aucune résistance de la part des prisonniers à l’entrée dans la prison. Plusieurs indices démontraient cet état de faits : un groupe de personnes cagoulées et armées, dont le chef était E______, avait pénétré dans la prison alors que celles-ci n'avaient rien à y faire; sur la vidéo, on voyait que la maison de V4 était sur une colline et que les personnes qui venaient d’en bas entraient en marchant lentement, sans se jeter à terre, les seules personnes qui l'avaient fait étant "ceux qui ne savaient pas ce qui allait se passer"; aucune des portes de la maison n’avait été ouverte de force, ce qui aurait été normal en cas de résistance; les éclairs vus sur la vidéo avaient été produits par les armes des policiers. Sur question, l'intéressé a encore précisé qu'un expert chilien en tirs d'armes à feu avait été mis à contribution au Guatemala et que son rapport concluait que, s'il y avait vraiment eu une résistance, il aurait été "absolument impossible que personne n'ait été blessé du côté de la police, ou qu'il n'y ait eu aucun mort dans les rangs de la police", parce que les policiers avaient été désavantagés en avançant en montée et en plein air en direction de la maison de V4.

d.b.c. GP2 du 19 septembre 2013 (F-566 traduit à F604), qui a expliqué que GP1 lui avait demandé de chercher V4 à PAVONCITO, recherche qui avait été fructueuse. Son supérieur lui avait ensuite dit de l'emmener à la prison de Pavon puisqu’il devait être enregistré par la PNC. Il avait alors remis ledit détenu à GP1 à PAVON. Sur question, il a précisé n'avoir été victime d'aucune pression, en particulier de la part de la CICIG.

Actes provenant des autorités genevoises

e.a. Le 14 avril 2014, le Ministère public a transmis au Tribunal pénal un rapport de l'Institut suisse de droit comparé du 11 avril 2014 concernant certaines dispositions du Code pénal du Guatemala.

e.b. Le 28 avril 2014, le Tribunal criminel a décerné un mandat d'acte d'enquête à la Brigade de police technique et scientifique (ci-après : BPTS) (F-303) portant, d'une part, sur l'exécution de recherches relatives à la chronologie de l'opération PAVON en rapport avec les images (photographies et vidéos enregistrées sous forme DVD) et, d'autre part, sur toutes observations relatives aux tirs vus et entendus sur la vidéo "Assaut Est".

e.b.a. Le 6 mai 2014, la BPTS a rendu son rapport sur ces deux aspects.

i. S'agissant de l'évaluation temporelle, la BPTS s'était tout d'abord fondée sur des contenus visuels permettant de définir un référentiel temporel (montres apparaissant sur des photographies) puis avait effectué des rapprochements entre des séries d'images et une vidéo. Une estimation temporelle avait ainsi pu être réalisée pour les séries d'images "P", "DSC" (contenues dans les classeurs B.6.1. et B.6.2.) et, en partie, pour la vidéo "Assaut Est" (voir annexe).

L'annexe a notamment permis d'établir que la chronologie suivante :

- de 07h02 à 07h04 (photos P1050188 à P1050192) :

mise à l'écart de V6;

- de 07h11 à 07h12 (photos P1050205 et P1050207) :

fouille effectuée par B______ et PNC7 avec une pince hydraulique;

- de 07h38 à 07h40 (photos DSC05772/73 et P1050214/215) :

arrivée de S. à la maison de Jorge V4;

- de 07h41 à 07h43 (photos P1050216/217 et DSC05775) :

réunion entre S., B______, E______ et H______ devant la maison de V4;

- de 08h02 à 08h35 (photos P1050226 à 228 et DSC05784/794 à 797) :

réunion entre S., B______ et A______ près de la place centrale;

- à 08h43 (photo P1050233) :

mise à l'écart de V7 au portail des ateliers (où l'on voit également L______ et l'homme au gilet "Police");

- de 10h03 à 10h04 (photos P1050236 et DSC05817 à 819) :

cadavre de V6

- de 10h04 à 10h07 (photos P1050238/239 et DSC05822/824) :

cadavre d'V2;

- de 10h08 à 10h09 (photos P1050240-244) :

cadavres de V5 et V7;

- à 10h48 (photo P1050246) :

B______ lors de la conférence de presse.

ii. Le rapport relatif aux tirs d'armes à feu établi à partir des images venant de la vidéo "Assaut Est", en particulier pour l’intervalle de temps compris entre 5:33 et 5:43 minutes, concluait qu'un grand nombre de détonations était entendu et sept flashs dénombrés, dès le début de la séquence et jusqu'à la fin de la scène. Toutefois, au vu de la qualité de la vidéo, la nature de ces détonations et des flashs ne peut être déterminée scientifiquement. Il n’était ainsi pas possible de confirmer ou d’exclure que ces éléments soient consécutifs à des coups de feu, même si ils étaient compatibles avec des tirs au moyen d'armes à feu.

Photographies et vidéos

f. Le 9 mai 2014, le Tribunal a transmis aux parties un chargé de pièces qu'il a constitué (F-424), comprenant 30 documents dont des plans et photographies, certaines correspondant à des arrêts sur image de la vidéo "Assaut Est".

g. Le 14 mai 2014, les Conseils de la partie plaignante ont transmis au Tribunal des analyses d'images, en particulier celle de V6 à terme, dénudé, effectuées par BC______ (F-487), concluant que les photographies présentées en qualité numérique n'avaient pas fait l'objet de retouches.

Audience de jugement

E. L'audience de jugement s'est tenue du 15 mai au 6 juin 2014.

a. Le Tribunal a rejeté les questions préjudicielles de S. par décision du 15 mai 2014, décision motivée au procès-verbal d'audience. Il a également rejeté l'incident soulevé le 16 mai 2014. Par la suite, treize témoins ont été entendus.

b.a. Le 27 mai 2014, les Conseils de la partie plaignante ont déposé des conclusions civiles.

b.b. Le 28 mai 2014, les Conseils de la défense ont versé au dossier trois notes d'honoraires ainsi qu'un DVD intitulé "BD______".

c.a. S. a confirmé ses précédentes déclarations et contesté intégralement les faits visés dans l'acte d'accusation. S'agissant de la hiérarchie au sein de la PNC, l'intéressé a admis que B______ était son subordonné, que E______ était le subordonné de ce dernier et qu'en tant que directeur de la PNC, il avait la compétence de donner des ordres aux deux précités. Il a acquiescé à la déclaration de A______ selon laquelle E______, responsable des enquêtes criminelles, "rapportait le tout au directeur des opérations et au directeur de la police". Il a également admis que les frères K______ et L______ étaient ses conseillers.

S'agissant du plan Gavilan, son commandement général était de la compétence de la direction générale de la PNC. Comme directeur général, son rôle était de déléguer les fonctions au sein de la police. Il avait lui-même participé à une réunion quelques jours après les évasions de la prison EL INFIERNITO.

Concernant plus particulièrement le volet "Rio Hondo", il n'était pas au courant d'un "plan B". Il n'était pas sur place lors des faits et avait été informé de l'interpellation de V8 l'après-midi de son décès.

Concernant le volet "Las Cuevas", il n'était pas non plus présent sur les lieux. Il avait été informé de la situation par le chef du service des opérations, qui lui avait dit que deux prisonniers avaient été retrouvés et tués dans une confrontation. Il ignorait la présence sur place de E______, G______ et AX______.

S'agissant du plan PAVO REAL, S. a confirmé que certaines compétences avaient été données à la PNC, à laquelle I______ et la sécurité pénitentiaire avaient demandé l'appui pour cette opération. L'un des objectifs avait été de reprendre la prison de manière pacifique mais, historiquement, il y avait toujours eu des confrontations. Lui-même avait participé à plusieurs réunions préparatoires. Le jour des faits, il s'était rendu à une station-service SHELL mais n'y avait rencontré personne car il n'était pas sorti de son véhicule. Il ne savait donc pas si H______, E______ et les frères K______ et L______ étaient présents à cet endroit. Au demeurant, il n'y avait jamais eu de changements par rapport au plan initial.

Son rôle dans l'opération n'était pas un rôle actif mais de seule représentation, car il s'agissait d'une opération de grand impact. En effet, pour le public guatémaltèque et la presse, la reprise de PAVON était un événement majeur. Ce jour-là, il n'avait pas un poste fixe et avait décidé de se positionner dans la zone la plus conflictuelle, soit dans l'aile nord, pour montrer du "leadership" face au personnel qui était exposé au danger. Il avait donné des ordres à B______, alors qu'il se trouvait encore à l'extérieur de la prison, en particulier celui d'aller superviser les opérations à l'entrée est. Ce dernier lui avait ensuite fait un compte-rendu partiel de ce qui se passait. Il n'avait vu ni E______ - et ne savait pas qui avait autorisé sa présence ce jour-là -, ni L______, ni des personnes cagoulées ne portant pas l'uniforme de la PNC. Il ignorait la présence de H______, jusqu'à ce qu'il la constate, et il en avait été "surpris". Il avait aperçu K______ mais ne savait pas quel était son rôle et n'avait pas donné d'instructions pour qu'il soit présent.

Sur demande du Tribunal, S. a ensuite indiqué quel avait été son parcours au sein de la prison. Après s'être rendu à proximité de l'église au début de l'opération, le précité s'était dirigé vers la maison de V4 et avait pénétré dans la propriété. Sur question, il a précisé qu'il s'était écoulé environ 40 ou 45 minutes entre ces deux moments et qu'il était passé vers cette maison "simplement parce que c'était le trajet qui menait dans le secteur des ateliers. Ce n'était pas un objectif spécifique". Lorsqu'il s'était retrouvé devant celle-ci, H______ et B______ lui avaient parlé et ce dernier avait mentionné que, lors de son entrée derrière les forces spéciales, il s'était fait tirer dessus. Lorsque H______ lui avait appris qu'il y avait eu une confrontation et des victimes (sans préciser le nombre de morts, l'identité de ces derniers, et de quel "camp" ils provenaient), il n'avait demandé aucune précision et n'avait d'ailleurs "pas posé de questions en général". A aucun moment, on ne lui avait dit que des prisonniers avaient été emmenés dans la maison pour être exécutés. Il savait qu'il y avait également eu un blessé. Il était ensuite retourné sur la place centrale puis avait serpenté entre les divers "champas" qui longeaient la rue des ateliers mais n'était pas retourné ni dans la maison, ni dans la propriété de V4.

Confronté aux différents témoignages de détenus, S. les a contestés en bloc, en particulier ceux relatifs à la mise à l'écart de certains d'entre eux, à l'existence d'une liste et d'un appel reçu aux fins de lui annoncer l'interpellation de V6. Il a ajouté que certaines photographies avaient pu être manipulées.

Enfin, les noms de V4 et V6 ne lui disaient rien, même s'ils étaient connus de tous dans le cadre de la prison.

c.b. CICIG4 a confirmé ses précédentes déclarations. Dès le début de son enquête, il avait étudié l'existence au Guatemala d'une structure étatique parallèle, dont faisaient partie A______, S., B______ et H______, qui en étaient les chefs.

Il s'était occupé des investigations au sujet du plan Gavilan. Au Guatemala, cette opération était importante et avait été décidée "pour faire preuve de force et donner un coup à la population carcérale", le but étant également "de montrer aux détenus qu'en cas d'évasion, certains ne reviendraient pas vivants". S. avait participé à son élaboration ainsi qu'à des réunions, notamment avec E______, lors desquelles il était clair que les fugitifs devaient être abattus.

S'agissant du volet "Rio Hondo", il était certain que V8 avait été exécuté, en se basant sur le rapport d'autopsie et sur les témoignages. S. était au courant des faits dans la mesure où, d'après les protocoles de police, il était nécessaire que les responsables soient informés de ce qui se passait de manière permanente et E______ devait donc l'avertir. Or, E______ était "quelqu'un qui suivait les ordres à la lettre". De plus, son enquête avait permis d'établir que ce dernier était en communication permanente avec S. au moment des faits : CICIG4 affirmait avoir en effet effectué un travail d'investigation auprès de la compagnie BE______ et examiné les appels passés ce jour-là entre les téléphones des précités. Interrogé précisément par le Tribunal, il a affirmé avoir consulté, pendant environ une heure ou une heure et demie, ces listings sur un écran, sur lequel on pouvait voir l'appelant et l'appelé, la date, l'heure exacte et la durée de la conversation. Il avait identifié des appels de E______ à S. et vice-versa, lesquels avaient eu lieu à partir de 03h00 jusqu'à environ 14h00 ou 15h00. Par la suite, le Ministère public pour la CICIG avait demandé les documents sur papier.

S'agissant du volet "Las Cuevas", l'intéressé n'avait aucun doute sur le fait que les fugitifs avaient été assassinés. Compte tenu du nombre de balles tirées et de la localisation des blessures sur les victimes, les coups avaient été tirés pour tuer et non pour soumettre. Les rapports avaient été rédigés d'après les versions officielles. Il n'avait pas vu de relevés téléphoniques permettant de démontrer qu'il y avait eu des contacts téléphoniques entre E______ et S. pendant cette opération.

c.c. CICIG3 a confirmé ses précédentes déclarations. Il avait enquêté plus particulièrement sur le cas PAVON. Lui-même et ses collègues avaient entendu des ex- membres de la structure parallèle à l'Etat (qui pratiquait la torture et des exécutions), qui lui avaient déclaré qu'ils agissaient avec l'accord de tous les dirigeants du Guatemala et notamment avec celui de S.. Ce dernier s'était greffé sur une structure déjà existante, dont faisaient partie E______ et H______, et s'était "en quelque sorte créé son groupe avec B______", groupe dans lequel il avait engagé les frères K______ et L______.

Avant le début de son enquête sur PAVON, le Ministère public du Guatemala avait déjà constitué un dossier et débuté des investigations mais ce dossier était resté "bloqué", en ce sens que plus personne ne poursuivait les enquêtes. Certains participants ou témoins collaborant à l'enquête avaient été victimes d'assassinat, notamment H______, les frères K______ et L______ et AP______, épouse d'un détenu, qui avait été tuée avant de pouvoir déposer.

Lors de l'opération PAVON, deux des personnes décédées étaient "des erreurs", soit des gens qui ne faisaient partie ni du Comité d'ordre et de discipline, ni des personnes influentes dans la prison.

Enfin, pendant tout le temps où l'intéressé se trouvait au Guatemala, il n'avait vu aucune pression être exercée sur des témoins de la part de la CICIG.

c.d. CICIG2 a confirmé l'existence d'"une structure de nettoyage social", dont S. était l'un des chefs. Lors de son enquête, il avait pu remarquer que, d'une manière générale, le Ministère public du Guatemala n'était pas très enclin à poursuivre certains crimes et, quand la CICIG avait détecté cette situation, elle avait signé une convention pour créer une unité spéciale fiable au sein du Ministère public, soit l'"Unité spéciale pour la CICIG".

Relativement au plan GAVILAN, il a confirmé l'existence d'un "plan B" qui prévoyait que les fugitifs n'allaient pas s'en sortir vivants et dont les supérieurs étaient au courant, soit notamment S. et A______. La responsabilité du plan incombait au chef de la PNC et la responsabilité opérationnelle incombait au chef de la DINC, E______, qui rapportait les évènements à son supérieur, S..

S'agissant du volet "Rio Hondo", S. pouvait être impliqué directement car, le jour en question, dans l'après-midi, S. et A______ avaient donné une conférence de presse, expliquant que V8 avait été tué suite à une confrontation. Or, il avait finalement été établi qu'un informateur avait été payé pour avoir aidé à la capture de ce prisonnier. CICIG2 a précisé que l'identité de V8 avait été confirmée par d'autres témoins et qu'il s'agissait bien de la personne interrogée et filmée dans un véhicule.

Concernant le volet "Las Cuevas", l'intéressé a déclaré que l'enquête effectuée avait confirmé que les morts des fugitifs étaient dues à des exécutions extrajudiciaires, se basant sur les témoignages, les rapports d'autopsies, les photographies et les rapports contradictoires. Il a ajouté que l'Etat avait loué un hélicoptère la veille de l'opération en disant au pilote que, le lendemain, il devrait chercher une patrouille perdue alors que l'opération n'avait pas encore commencé et que ladite patrouille ne pouvait dès lors pas encore être égarée.

Relativement au volet "PAVON", CICIG2 a précisé qu'il n'y avait pas de procureurs à l'intérieur de la prison au moment des exécutions. Il n'y avait pas eu de blessé à PAVON en plus des sept morts. Confronté à la photographie 500293 représentant le cadavre de V3 avec une grenade dans sa main gantée, il a précisé avoir été frappé par la façon dont la grenade était placée dans la main, "façon qui suggère qu'elle a été placé après la mort", car celle-ci n'était apparemment pas en état de fonctionnement immédiat.

Enfin et concernant "l'ambiance" lors de l'enquête, il a expliqué que, suite à l'envoi de la commission rogatoire du Ministère public genevois demandant l'audition de témoins au Guatemala, certains d'entre eux avaient eu peur pour leur vie, ce qui était un problème récurrent dans ce pays, précisant "Avant que la CICIG ne soit présente, ils ne venaient pas témoigner du tout. Après la présence de la CICIG, ils sont venus mais [voyaient] que certains témoins continu[aient] d'être assassinés. Ils continuent donc d'avoir peur".

c.e. PNC11 a confirmé la tenue de deux réunions le jour des faits, peu avant l'assaut. Concernant la réunion à la station-service SHELL, qui avait dû durer environ 30 minutes, il a précisé qu'il y avait eu "une réunion de tous les comités", soit de ceux de S., dont il faisait partie, de celui de B______, dont PNC7 et Y______ faisaient partie, enfin de celui de E______, assisté de G______. Il y avait aussi des groupes qui venaient du Ministère de l'Intérieur avec H______ et les frères K______ et L______, lesquels étaient habillés avec des uniformes de type commando. Il avait vu S. discuter avec B______ et E______ mais ne savait pas de quoi ils avaient parlé.

Une autre réunion s'était ensuite tenue à l'extérieur de la prison, en présence de S., de PNC7, des frères K______ et L______, de B______ et de H______, puis d'I______. Il n'avait pas entendu ce qui s'y était dit.

Pendant la journée, il avait le plus souvent accompagné S. - qui utilisait fréquemment un téléphone portable, sans savoir à qui celui-ci parlait - mais son chef avait été hors de sa vue à certains moments, notamment lorsqu'ils se trouvaient à proximité de la maison de V4. Il n'avait pas vu de gens blessés ou morts près de cette maison.

Sur question, il a dit craindre pour lui-même et sa famille à son retour dans son pays car "ces personnes ont de l'influence", ajoutant que B______ et S. avaient "fait des bonnes choses comme des mauvaises choses" et qu'il n'accusait personne mais pensait que "des ordres [avaient] été donnés par quelqu'un pour conduire à l'assassinat des prisonniers".

c.f. R______ a confirmé ses trois déclarations devant le Ministère public ainsi que son audition enregistrée du 1er juin 2014. Sur demande du Tribunal, il a précisément retracé sa journée du 25 septembre 2006.

Il a expliqué qu'au lever du jour, il se trouvait avec une trentaine d'autres détenus près de la maison de V4. Lorsqu'ils avaient vu les forces de l'ordre pénétrer à l'entrée est et tirer "dans le tas en direction de tout le monde", tous étaient remontés le long de la rue des ateliers puis s'étaient rendus vers les terrains omnisports près de l'église. Il avait alors vu arriver l'armée, les brigades d'assaut, la police nationale, des gens cagoulés mais pas de membres de la sécurité pénitentiaire, qui "étaient inexistants". Il y avait également I______, S., A______ et des chefs de l'armée. Peu après - alors que les personnes précitées n'étaient plus présentes ou, en tout cas, que le témoin ne les voyait plus -, il y avait eu une "classification", en ce sens que chaque détenu avait été obligé de monter les escaliers vers l'église pendant que quelques personnes cagoulées les dévisageaient et demandaient leurs noms et nationalité. A cet endroit, le témoin avait vu V1 d'abord sur les terrains de sport, puis monter les escaliers et être mis à l'écart par des forces de l'ordre. Il ne l'avait plus jamais revu.

Au début de l'intervention, alors qu'il était vers l'église, il avait également vu V6 être emmené par des cagoulés en direction des ateliers. Le précité était maîtrisé et nu ou à moitié nu. Le témoin a reconnu V6 et des membres du Comité d'ordre et de discipline sur les photographies P1050188 à P1050192. A la remarque selon laquelle, sur ces photographies, on voyait V6 maîtrisé dans la rue des ateliers, alors que le témoin avait indiqué l'avoir vu maîtrisé dans un autre endroit et à un autre moment, celui-ci a répondu que, pour lui, V6 avait été maîtrisé vers l'église et qu'il ne savait pas ce qui s'était passé par la suite.

Ensuite, il était redescendu en direction du sud et avait été mis à part par des personnes cagoulées, avec d'autres détenus et des personnes de l'armée, près d'un mur (qu'il n'était pas possible de placer sur le plan ou sur une photo, en raison de la présence d'arbres à l'endroit concerné, mais qui se trouvait "plus vers le fond, à droite" par rapport à la photographie P1050204). Il s'était retrouvé avec V5, V3 et V2, qu'il nommait par leurs surnoms. Il ne se souvenait plus si V7 (présenté sur la photographie P1050233) était également présent. A la présentation de la photographie de la pièce 500'302 (représentant D2), le témoin a pensé reconnaître un autre détenu qui était assis avec lui vers le muret mais dont il ne savait pas le nom.

Peu après, ils avaient été emmenés "à l'abattoir", l'un après l'autre. Ainsi, V3 puis V5 et V2 avaient été emmenés vers la maison de V4. Dans un premier temps, ils avaient été pris en charge par les policiers de la PNC puis, dans un second temps, par des cagoulés.

Sur question, R______ a précisé que V5 "portait un survêtement bleu marine ou noir et blanc", avec "un dessin en V sur le torse, blanc ou noir".

Le témoin, invité par le Tribunal à apporter des précisions sur plusieurs points importants relatifs à la mort de V5, a dit que cela le remuait "considérablement" de se rappeler et de décrire à nouveau ces faits.

S'agissant du lieu, il a indiqué précisément où il se trouvait lorsqu'il avait vu S. tirer avec une arme sur V5. Il a indiqué sa position avec une croix noire, sur la photographie agrandie n° 2 du chargé du Tribunal (soit dans la rue des ateliers, avant la maison de V4 et près de la maison blanche et rouge se trouvant de l'autre côté de la rue), et la position de S. avec un rond (soit sous les arbres situés devant la propriété de V4). Il a précisé qu'il était en mouvement à ce moment-là, qu'il avait entendu un "boum" alors qu'il était tenu et battu et qu'il avait vu, face à lui, S. tirer. Sur présentation de la photographie 17 dudit chargé, le témoin a encore précisé que c'était au niveau du montant du portail que "ça [avait] claché".

Interrogé sur les habits portés par la victime, R______ a précisé qu'au moment du coup de feu, V5 était torse nu et ne portait plus le haut de survêtement précédemment décrit. Il ne pouvait pas dire si V5 avait les mains liées ou non.

S'agissant du geste de S., le témoin a indiqué avoir vu tirer le précité, le bras tendu, sur V5, qui était debout, ajoutant que celui-ci était petit et que le tireur était beaucoup plus grand. Quand S. avait tiré, V5 était tombé. Il ne pouvait pas préciser l'endroit de l'impact de la balle. A ce moment-là, il n'était pas tout seul; il y avait également des militaires, des membres de la police et des gens cagoulés à l'intérieur et à l'extérieur du périmètre de la propriété de V4.

S'agissant d'un quelconque mobile, sur rappel de sa précédente déclaration selon laquelle R______ avait entendu dire qu'il y aurait eu un conflit entre S. et V5, le témoin a répondu qu'il s'agissait de rumeurs et de ragots de prisonniers dont il ne se souvenait plus, ayant éliminé cela de sa mémoire.

Après, tout était allé très vite. Il était passé par un dédalle pour arriver devant l'atelier de menuiserie. Depuis cet endroit, il avait vu le corps gisant de V6 (qu'il a indiqué par une croix noire, tout en précisant par la suite qu'il était possible que le cadavre se fût trouvé à l'endroit de la croix rouge) dans un local où le bois était entreposé, sans arme à côté de son corps. Il n'avait pas vu d'autres corps ni d'autres détenus emmenés dans la maison de V4. Enfin, il avait été emmené à PAVONCITO dans des conditions "très très très pénibles" et, en y arrivant, avait croisé V4 encadré par des personnes de l'armée et des hommes cagoulés.

Sur question, R______ a encore ajouté qu'aucune pièce de la procédure ne lui avait été remise, excepté le DVD de son audition et sa convocation. Enfin, il a déclaré au Tribunal : "Si je n'avais pas été ressortissant français, je ne serais pas là aujourd'hui pour faire cette déposition. C'est là où mon sort a été décidé".

c.g. PNC4 a confirmé ses précédentes déclarations.

Alors qu'il se trouvait au point B, il avait vu un groupe, habillé en noir et cagoulé, armés d'armes longues, qui était entré en ouvrant le feu en direction de la maison de V4. Des prisonniers s'étaient alors rendus volontairement en se déshabillant. A son arrivée à ladite maison, cette dernière était encerclée par les hommes cagoulés. Il avait donc continué son chemin à la recherche de prisonniers en passant par "la lagune". A cet endroit, où se trouvaient des groupes de détenus, son attention avait été attirée par des personnes habillées en noir avec des cagoules, qui avaient une feuille de papier en main. Il avait continué par le nord puis était retourné vers la maison de V4.

A ce moment et alors qu'il se trouvait devant cette maison, il avait vu arriver deux détenus, emmenés dans la propriété de V4 par les cagoulés, dont le premier était "gros avec une coupe de cheveux en forme de champignon" et muni d'une bible (identifié comme étant V5) et le second mince, avec des moustaches (identifié comme étant V6). Il avait ensuite entendu des tirs et était entré à l'intérieur de la propriété. Il avait alors vu ces deux hommes morts. Sur question, le témoin a précisé qu'à ce moment, S. était présent, ce qui était encore le cas lorsqu'il avait entendu les coups de feu. En revanche, il n'avait pas assisté au moment où les détenus avaient été tués et n'avait vu ni les tirs, ni leur auteur.

Interrogé précisément sur l'endroit où il avait vu les deux cadavres, PNC4 a tout d'abord déclaré qu'il s'était rendu dans la "cour en terre" figurant sur la photographie 7 agrandie du chargé du Tribunal, puis indiqué que l'un des deux corps (celui de V5) se trouvait à l'endroit qu'il a indiqué par un A (à l'extérieur de la maison) et l'autre (celui de V6) "à peu près au point B". Sur présentation de la photographie P1050240 (représentant le cadavre V5 dans la pièce principale de la maison de V4), il a précisé ne pas l'avoir vu à cet endroit, puisqu'il avait constaté sa présence à l'extérieur de la maison, au point A. Quant au cadavre de V6, il l'avait vu à l'endroit de la photographie P1050236 (dans le poulailler). Immédiatement après, ses chefs lui avaient ordonné de quitter la propriété.

Par la suite - sans qu'il ne puisse préciser combien de temps après -, il avait vu arriver trois autres prisonniers qu'"on" avait fait entrer par la porte principale de la maison. Il ne pouvait ni décrire ces trois détenus physiquement, ni les reconnaître sur les photographies qui lui étaient présentées. Il n'avait pas vu ces détenus morts par la suite.

Enfin, plus tard encore, alors qu'il déjeunait au sud de PAVON sur la route en direction de PAVONCITO, il avait vu un homme emmené dans un "pick-up" noir qu'il a reconnu sur la photographie de la pièce 500'260 (représentant le cadavre de V4).

Interrogé sur la présence de S. sur les lieux de la maison de V4, PNC4 a précisé l'avoir vu à l'endroit où il a inscrit un rond avec un C à côté sur la photographie agrandie n° 7 (soit plus haut que le portail principal entre la maison de V4 et la maison de AI______), alors que lui-même se trouvait près du portail, à l'endroit visé par un rond rouge sur cette même photo. En revanche, il n'avait pas vu S. entrer dans la maison du Colombien.

Sur présentation des images de la vidéo "Assaut Est", le témoin a déclaré qu'il avait vu S. avant la scène de la minute 14:07 (montée de S. vers la maison de V4) et que celui-ci était déjà passé "dans le sens contraire", uniquement accompagné de son escorte. Il avait également vu arriver A______ vers ladite maison avant cette scène (alors qu'il était en poste au rond rouge marqué sur la photo), ainsi qu'I______ mais à un moment dont il ne se souvenait pas.

PNC4 a encore affirmé qu'il n'avait "pas trouvé que la situation du 25 septembre 2006 était normale" et, à la question de savoir s'il estimait que les deux premiers détenus avaient été exécutés, il a répondu : "Pour toute la situation et pour les tirs, possiblement".

S'agissant de sa situation personnelle, il a précisé qu'il avait encore peur pour lui et sa famille dans son pays car les personnes qu'il avait mentionnées "avaient beaucoup d'autorité au Guatemala" et qu'il existait encore "certaines personnes qui ne peuvent pas être contentes de ce qui se passe maintenant".

c.h. GP1 a confirmé ses précédentes déclarations s'agissant de l'élaboration du plan et des réunions préparatoires ainsi que de l'établissement de la liste.

Juste avant le début de l'opération, il avait été informé que la sécurité pénitentiaire allait être écartée au profit de la PNC, ordre qui l'avait surpris. I______ avait ainsi ordonné que tout le personnel de la sécurité pénitentiaire reste dans un bâtiment hors de l'enceinte de PAVON et n'en sorte pas.

Le témoin a ensuite indiqué le trajet qu'il avait effectué ce jour-là sur le plan agrandi de PAVON. Lors de sa première arrivée au point B, il avait vu des étincelles qui provenaient d'un arbre près de la maison de V4 et avait tiré trois ou quatre coups depuis l'extérieur de l'enceinte. Plusieurs policiers l'avaient alors mis par terre pour qu'il arrête de tirer, lui disant qu'il mettait en danger ses collègues policiers, puis lui avaient pris son arme. Sur question, le témoin a précisé que personne n'avait tiré ni depuis l'intérieur, ni depuis la proximité de la maison. Il l'avait cru au départ mais s'était ensuite rendu compte qu'en réalité personne n'avait tiré depuis là.

Il était ensuite parti en direction de PAVONCITO puis, en revenant par le point B à pied, il s'était rendu à la maison de V4 où il avait vu deux cadavres, soit ceux de V6 et de V2. Après un aller et retour jusque devant l'église catholique, où il avait vu les membres de l'autorité, dont S., il était revenu vers la maison de V4 environ 30 à 45 minutes plus tard et, lorsqu'il avait regardé par la vitre de la porte, il avait vu deux corps à terre, dont celui de V5, qui respirait et gémissait, ainsi que celui de V7, gisant sur les premières marches menant au second niveau. Il avait également vu un homme cagoulé, portant un jean et un gilet noir, penché sur une table en train de sortir une grenade d'un sac à dos. GP1 a identifié cet homme sur la photographie P1050233 (étant précisé que cet homme est appelé "l'homme au jean LEE" par le Tribunal). Sur question, il a précisé que le périmètre de la maison V4 était surveillé de manière continue. La première fois, le colonel AR______, qui accompagnait toujours S., surveillait la porte et lui avait interdit l'entrée. Lorsqu'il avait vu le colonel à cet endroit, "c'était la seule fois qu'il n'était pas accompagné de S.". Il s'était dès lors "imaginé que S. se trouvait dans la maison et qu'il avait ordonné au colonel de rester dehors".

De retour vers l'église, J______ lui avait dit qu'il y avait déjà cinq morts. Il avait ensuite reçu un appel de PNC3 qui lui avait expliqué que V4 lui avait échappé et lui avait demandé s'il était déjà à PAVONCITO. Il avait alors appelé GP2, qui lui avait confirmé que V4 se trouvait bien à PAVONCITO et, se doutant que "quelque chose n'allait pas très bien", avait averti GP2 que personne ne devait faire sortir V4 de cet endroit. Ensuite, il avait à nouveau entendu des coups de feu. J______ lui avait alors dit : "Maintenant, il y a 7 morts et V4 est parmi eux". Il avait été choqué et avait dit à J______ qu'il n'était pas possible que V4 soit mort car il avait su qu'il se trouvait à PAVONCITO et lui avait dit : "s'il [est] vrai qu'il [est] mort, cela me dérang[e] énormément car cela [veut] dire qu'un crime avait été commis" et qu'il n'était pas prêt à "appuyer une telle action". Il se souvenait avoir ajouté : "Là, ils sont en train de tuer les gens et il va y avoir de graves problèmes", ce à quoi J______ avait répondu : "Ne vous inquiétez pas, il n'y aura pas de problèmes. Ici, tout le monde sait ce qui se passe, même le Président et le Ministère public. V4 devait mourir" parce qu'il avait menacé la vie d'I______. Peu après, B______ lui avait encore dit, de façon sarcastique : "Elle était bien la fête, n'est-ce pas GP1 ?". Il avait appris après coup que GP2 n'avait pas respecté l'ordre donné et, lorsqu'il lui en avait demandé la raison, ce dernier avait répondu qu'il avait obéi à un ordre direct de A______ en laissant V4 sortir de PAVONCITO.

Le témoin a terminé sa déposition en faisant plusieurs remarques générales :

- Il pouvait dire aujourd'hui qu'il s'agissait d'un plan qui avait eu pour but d'éliminer toutes les personnes de la liste mais qu'"ils" n'avaient eu le temps d'en tuer que sept en raison des complications qu'eux-mêmes avaient créées. Interrogé sur ce qu'il entendait par "complications", il a répondu : "Le plan consistait à réunir les prisonniers de façon pacifique dans un secteur déterminé et à les conduire à PAVONCITO. Toutefois, ils ont pénétré violemment dans PAVON et sorti les prisonniers de façon chaotique, nus, pour les emmener à PAVONCITO. Ils ont ainsi complètement perdu le contrôle de la prison".

- Il savait qu'"ils" voulaient tuer les détenus qui se trouvaient sur la liste mais, en raison de ressemblances physiques, ils s'étaient trompés et en avaient tué deux autres qui n'y étaient pas.

- A la question de savoir qui avait le pouvoir de demander à des membres de la PNC d'exécuter des prisonniers, il a répondu : "Le plus haut responsable était le ministre A______. Au-dessous de lui était S.. Ensuite, dans la chaîne de commandement, il y avait B______".

- Il a enfin ajouté : "Je pense que certains de ceux qui ont participé à ce plan macabre l'ont fait par conviction. D'autres l'ont fait pour de l'argent. D'autres encore l'ont fait par plaisir".

S'agissant de sa situation personnelle, GP1 a précisé qu'après avoir montré son désaccord, il avait subi des pressions et été accusé à tort d'avoir commis des actes délictueux puis avait dû renoncer à son poste. Il avait dénoncé ces faits en octobre 2008, moment à partir duquel il avait commencé à avoir de l'aide et une protection. Les autorités avaient finalement pris des dispositions pour qu'il puisse quitter le pays, ce qu'il avait fait en juin 2010. Il avait accepté de témoigner "par principe", soit par loyauté à son pays et à la loi de celui-ci.

c.i. PNC6 a confirmé qu'au début de l'assaut, il s'était retrouvé à l'entrée est. Il avait vu des gens habillés de jeans et cagoulés monter en direction de la maison de V4 et commencer à tirer (il n'avait d'ailleurs vu aucune autre personne tirer). Lorsque les coups de feu avaient cessé, les prisonniers avaient commencé à sortir. Ils n'étaient pas agressifs et venaient, nus ou en sous-vêtements, en courant les mains en l'air. Lui-même, s'était ensuite rendu devant l'entrée de la maison de V4. Sur le pas de porte, il avait vu, à l'intérieur de ladite maison, deux personnes mortes et des armes. A ce moment, B______ se trouvait dans la pièce principale de cette maison où gisaient également les cadavres.

Plus tard, alors qu'il repassait vers la maison de V4, il avait vu un individu barbu et torse nu qui marchait, escorté de deux personnes cagoulées, les mains attachées derrière le dos. Le groupe de policiers avait dit que "c'était le Colombien". Le lendemain, il avait reconnu la photographie du cadavre de l'intéressé dans les journaux.

S'agissant de sa situation personnelle, le témoin a dit que, depuis les investigations du cas PAVON, il vivait dans la crainte car il était "un policier commun", qui n'avait pas "de force politique ou économique", et "personne ne pourrait empêcher qu'on [lui] fasse du mal". Il a enfin ajouté : "Je suis impressionné. Je n'ai jamais pensé que ce cas soit une fois investigué. J'ai aimé être un policier honnête et j'aime bien que les choses se passent correctement. Le 25 septembre 2006, selon mes critères, les choses ne se sont pas passées correctement".

c.j. ML a confirmé les conclusions de son rapport du 22 octobre 2010 et ses déclarations au Ministère public du 9 septembre 2013. Elle a précisé qu'elle n'avait pas eu connaissance du contenu du rapport de CICIG1 et n'avait jamais discuté avec celui-ci.

D'une manière générale, elle avait été appelée à se prononcer sur les cas Rio Hondo, Las Cuevas et PAVON. De nombreux documents lui avaient été transmis, dont des photographies et des rapports d'autopsies effectués par le Service de médecine légale du Guatemala, précisant que l'information contenue dans lesdits rapports d'autopsies était très limitée, ne remplissaient pas les critères prévus en cas de morts violentes, notamment le protocole de Minnesota.

S'agissant du volet "Rio Hondo", elle avait pu déterminer que V8 présentait plusieurs blessures par arme à feu. Dans la mesure où la description des blessures était très insuffisante et les photographies de mauvaise qualité, il n'était pas possible d'établir, pour toutes les blessures, lesquelles correspondaient à l'orifice d'entrée et de sortie et ainsi d'établir la trajectoire pour tous les tirs reçus. La blessure du visage était en rapport avec celle de la partie postérieure de la tête, c’est-à-dire que celles-ci avaient été provoquées par un même tir.

Dans le volet "Las Cuevas", et s'agissant plus précisément s'agissant du corps de V10, la blessure observée dans le front, côté gauche, présentait des caractéristiques en forme d'étoile, soit celles observées généralement dans les blessures effectuées à contact, impliquant que l'arme se trouvait très près de la peau en la touchant ou presque en la touchant.

S'agissant du cas de PAVON, l'expert a tout d'abord confirmé que les lésions constatées ne correspondaient pas à celles qui étaient généralement observées dans les cas d'affrontement, en raison de leur localisation, de la trajectoire et des résidus de tirs; les marques aux poignets présentes sur les cadavres confortaient ce fait. De manière générale, elle avait constaté que la grande majorité des impacts des balles se trouvaient de face et que la plupart des lésions avaient affecté le tronc et le thorax où se trouvent les organes vitaux.

Elle avait également pu observer sur certains cadavres :

- des signes d'attachement, précisant que les lésions observées aux poignets présentaient des caractéristiques en lien avec le matériel qui les avait provoquées, visible sur la photographie P1050195 (représentant un détenu attaché avec des liens en plastique);

- des lésions dans les bras, compatibles avec des lésions de défense, soit lorsque la personne adoptait une attitude où la victime ne pouvait se défendre et où celle-ci avait probablement vu son agresseur;

- des blessures démontrant que certaines victimes avaient été traînées.

Concernant V5, elle a confirmé que des traces de poudre avaient été retrouvées sur son visage et son thorax et en déduisait que la présence de résidus indiquait une courte distance de tir ce qui, en général, était évalué jusqu'à 60 cm pour des armes de basse vitesse. La présence de résidus de tirs sur le visage et la partie supérieure du thorax et du cou était cohérente avec le fait que les blessures aient été provoquées sur une peau nue. L'experte a ajouté, à l'examen du croquis du corps de V5, (pièce 500727) qu'une balle était légèrement entrée dans l'omoplate, avait effleuré cette omoplate pour ressortir dans le dos.

c.k. M1 a déclaré que, le jour de l'opération, il était aux commandes d'un effectif militaire d'environ 1200 soldats et que sa mission consistait à assurer la sécurité périmétrique et à faciliter l'entrée au centre. Lorsque l'opération avait commencé, à environ 06h30, il avait entendu des tirs - durant environ deux minutes - dans la partie sud, alors qu'il se trouvait dans la partie nord avec S., I______ et A______. Il n'avait plus entendu de coups de feu par la suite. Il avait ensuite effectué divers trajets dans la prison, toujours en compagnie de S. - qu'il n'avait jamais vu utiliser son arme -, tous deux supervisant les opérations.

Sur question et sur présentation de photographies, le témoin a affirmé que des lieux tels que le portail des ateliers et la maison de V4 ne lui disaient rien, qu'il ne se rappelait pas de la scène de la réunion devant ladite maison (présentée sur vidéo). Il n'avait pas vu de tri de prisonniers, d'hommes cagoulés porteurs de liste, ni la personne casquée munie d'un uniforme marqué "Police" dans le dos, ni encore le colonel AR______ empêcher l'accès à ladite maison. Pour le surplus, le jour de l'opération, il ne connaissait ni B______, ni E______, ni H______. Il n'avait jamais entendu les noms de V4, V6, Z______ et des frères K______ et L______.

Il avait su, après l'opération, que la prison de PAVON était devenue "une plateforme nationale du crime organisé", se fondant sur les déclarations des médias. Enfin, le 25 septembre 2006, il n'avait eu aucune information sur le décès de sept détenus. Ce n'était que postérieurement que l'armée avait reçu un rapport mentionnant ces sept décès, rapport effectué sur la base "des informations recueillies par le staff qui avait participé à l'opération", soit des informations recueillies auprès des médias.

c.l. J______, a déclaré que, le jour de l'opération, son rôle, en tant qu'assesseur en matière de sécurité au sein du système pénitentiaire consistait, une fois les prisonniers déplacés, à fournir les gardes pour effectuer la perquisition. Des enquêtes avaient été effectuées par GP1 avant l'opération. Lui-même n'avait pas pénétré dans le centre pénitentiaire de PAVON mais était resté à l'extérieur du périmètre. Il n'y avait personne à l'intérieur de la prison qui dirigeait ou coordonnait les opérations mais toutes les unités qui participaient étaient responsables. Le Ministère public était arrivé à proximité de PAVON vers 03h00 ou 04h00 et était rentré lorsqu'il avait appris l'existence de morts, soit entre 07h00 ou 07h30 ou même avant. D'après le rapport qu'il avait reçu, il y avait eu un affrontement, ce qui était établi par une vidéo diffusée par les médias et par les dires de GP1. Il avait vu passer un blessé à l'endroit où il se trouvait, à l'extérieur de la prison. Il ne connaissait ni E______, ni H______, ni les frères K______ et L______ et avait connu Z______ en prison, lors de sa première incarcération.

Il a précisé que la prison était devenue une plateforme internationale du crime organisé et que, depuis 1998 environ, les prisonniers en avaient pris le contrôle et avaient même "installé des portails et leurs propres serrures pour que les autorités ne puissent pas rentrer". Des détenus dirigeants de la prison avaient tué et torturé d'autres détenus.

Concernant sa situation personnelle, il a déclaré avoir été "accusé de beaucoup de choses par la CICIG, notamment de faire partie d'une organisation criminelle", raison pour laquelle il avait fait environ 10 mois de détention préventive avant d'être acquitté de toutes les accusations portées à son encontre. S'agissant de l'action de la CICIG, il a précisé que "la seule chose qu'ils avaient réussi à faire était de nuire au système judiciaire (…) en changeant les procédures judiciaires de manière contraire à la loi". L'objectif de cette commission était d'ordre politique et elle agissait en fonction de l'intérêt de personnalités du gouvernement en fonction. Ainsi, toutes les affaires conduites par elle avaient échoué car, en abusant de la figure du témoin protégé, elle avait nui à l'image de beaucoup de personnes. Leur enquête n'avait abouti à aucune condamnation à ce jour.

c.m. B______ a confirmé toutes ses déclarations faites en Autriche, en particulier sur les deux points suivants : l'existence d'exécutions extrajudiciaires sous la présidence d'Oscar BERGER (précisant que cela ne voulait pas dire "que c'était une politique" car "cela [avait] toujours existé") et l'existence d'un changement de plan de dernière minute dans l'opération PAVON.

S'agissant du plan GAVILAN, il n'avait pas été présent à Rio Hondo. Il était par ailleurs arrivé après coup sur les lieux de Las Cuevas et avait appris, à ce moment-là, qu'il y avait eu des morts.

Concernant l'opération PAVON, il était "là au cas où une situation de dernière minute survenait pour prendre une décision".

Interrogé sur ses rapports avec les personnes présentes lors de cette opération, il a déclaré que S. était un ami de plus de 20 ans, avec lequel il avait des rapports de confiance. Il connaissait E______, qui était un subordonné indirect de S., ainsi que K______ et L______, qui étaient ses conseillers. Lors de l'opération, ces derniers étaient habillés d'un équipement, probablement sans insigne officiel de la PNC, et portaient des cagoules. Ils étaient armés, l'un avec une arme longue et l'autre avec une arme courte.

Le jour des faits, il s'était rendu à une station-service SHELL où n'étaient présents ni H______, ni E______, ni les frères K______ et L______. Il avait vu le véhicule de S., sans être sûr que ce dernier fût à l'intérieur car c'était un véhicule blindé.

Avant l'entrée dans la prison, il avait reçu de S. l'ordre d'aller à la zone sud, où il y avait de la résistance de la part des prisonniers, et de le tenir informé de la situation, ce qu'il avait fait car "cela fait partie de la hiérarchie". Conformément aux ordres, il s'était donc rendu à l'entrée est où il avait vu, juste devant lui, un groupe de gens cagoulés qui montaient en direction de la maison de V4. A ce moment, on lui avait tiré dessus et les hommes cagoulés avaient riposté. Il ne s'était pas arrêté à cette maison car ledit groupe - dont faisait partie E______ - la contrôlait déjà. Les frères K______ et L______ étaient également présents. Dans la rue des ateliers, il avait vu un tank armé aller en direction de la maison V4 et avait été informé que S. se trouvait derrière ce tank. Comme il y avait des rumeurs non officielles concernant des morts, il était revenu en direction de la maison de V4 où il avait vu H______, E______, S. et sa sécurité, ainsi que des militaires. E______ lui avait fait un rapport en lui disant qu'il était là en soutien de H______.

Durant cette journée, il n'était jamais entré ni dans la maison, ni dans la propriété de V4. Il n'avait pas vu S. pénétrer à l'intérieur de cette maison, ni dans la propriété. En revanche, il avait vu à travers cette maison, à un endroit "où il y avait comme des lamelles en bois", une partie d'un corps portant des jeans allongé par terre. Le Ministère public était présent. Sur question du procureur qui lui faisait remarquer que plusieurs rapports indiquaient que le Ministère public était rentré à 10h34, le témoin a répondu que cela était faux et qu'il était important de savoir que "le procureur en charge de la scène, AG______, [avait] été poursuivi en raison de manipulations de la scène de crime" et que c'était "une manipulation de plus de sa part".

Sur questions du Tribunal et des parties, B______ a encore ajouté, que :

- S'agissant des moyens de communication utilisés lorsque la confrontation avait commencé, la communication n'était pas possible car le système était bloqué et la radio saturée.

- Il y avait eu une confrontation avec les détenus mais il ne savait pas si elle était la cause de leur mort, ni "qui [avait] assassiné qui". Sur l'éventuelle implication de H______ dans des exécutions extrajudiciaires, il n'avait pas de preuves de celle-ci mais la vidéo montrait, à la minute 07:10, une personne qui sortait de la scène de crime, ce qui était "très important car cette personne appartenait au Ministère de l'Intérieur et que c'est eux qui [étaient] responsables".

- Il contestait avoir dit à GP1 une phrase telle que : "La fête était joyeuse, non ?".

- Il confirmait qu'il y avait, dans PAVON, plusieurs personnes, notamment des policiers, qui prenaient des photographies et des vidéos, précisant que S. voulait documenter tout ce qu'il faisait et voyait à PAVON, pour vérifier comment se déroulait l'opération.

S'agissant de sa situation personnelle, il avait été incarcéré préventivement pendant 847 jours en Autriche avant d'être acquitté.

c.n. BF______, ancien maire de Guatemala City de 2000 à 2004, avait connu S. actif dans la vie politique depuis ses 20 ans. C'était un membre enthousiaste qui voulait faire avancer les choses au Guatemala. S. avait fait deux mandats comme conseiller municipal entre 2000 et 2008 et avait été le chef de sa campagne pour la Mairie de Guatemala City. Il avait également été son assistant personnel pendant toute son administration. Lorsqu'on lui avait proposé le poste de chef de la PNC, S., qui avait toujours été très idéaliste, lui avait dit qu'il acceptait ce défi "afin que les choses s'améliorent au Guatemala", même si ce poste était "compliqué et dangereux". S. avait lutté contre les membres du crime organisé - qui avaient donc des raisons de lui en vouloir - et contre la corruption au sein de la police, ce qui constituait une tâche énorme.

Sur question, le témoin a conclu qu'il ne pensait pas un seul instant que S. ait pu participer à une politique de nettoyage social car il le connaissait trop bien et que c'était "un homme de sentiments nobles avec des valeurs et des principes fondamentaux" qui était "incapable de faire mal à qui que ce soit et encore moins de tuer quelqu'un".

c.o.a. Le 3 juin 2014, les Conseils du prévenu ont déposé des conclusions en indemnisation.

c.o.b. S., qui a eu la parole en dernier, a déclaré qu'il n'avait ni tué, ni ordonné la mort de quiconque et qu'il n'avait participé à la planification de la mort de personne. Il se trouvait devant le Tribunal en tant que seul responsable de toute cette structure, malgré le fait que cette responsabilité était partagée à des niveaux différents. Pendant sa détention, il avait beaucoup réfléchi et se demandait si cela avait "valu la peine d'avoir cet idéalisme, cette envie de changer les choses en bien dans [son] pays". Il avait subi de nombreux attentats et avait eu des problèmes de santé causés par le stress de son métier. Sa famille avait été menacée de mort et d'enlèvement.

Situation personnelle

F.

a. De nationalités suisse et guatémaltèque, S. est âgé de 43 ans, marié et père de trois enfants, âgés respectivement de 14, 11 et 8 ans. Il a effectué toute sa scolarité obligatoire au Guatemala, puis a suivi dans ce même pays une formation universitaire en sciences politiques, qu'il a achevée en 1995 par l'obtention de son diplôme. S. a indiqué avoir commencé à travailler dès l'âge de 17 ans, d'abord à la Mairie de Guatemala City puis au Ministère des communications, transports et travaux publics du Guatemala. Il avait ensuite travaillé pour le Ministère public. Par la suite, il avait exercé le mandat de Conseiller municipal en charge de la sécurité de la Ville de Guatemala City de 2000 à 2004. Au cours de cette dernière année, alors qu'il avait été réélu Conseiller municipal, il avait accepté le poste de Directeur général de la PNC proposé par A______, qui allait accéder à la fonction de Ministre de l'Intérieur.

S. a indiqué qu'en 2007, sa famille et lui-même avaient fait l'objet de menaces et d'attentats, suite à des actions entreprises par les autorités pour lutter contre les narcotrafiquants. Il avait dès lors quitté le Guatemala pour s'installer à Genève, où il avait résidé depuis lors. S. a précisé qu'au moment de son installation en Suisse, il n'existait aucune accusation, quelle qu'elle soit, à son encontre. Après leur arrivée à Genève, son épouse avait travaillé comme employée pour ______. Elle avait toutefois perdu son emploi le 17 août 2010, au moment où un mandat d'arrêt contre lui-même avait été émis par les autorités judiciaires guatémaltèques. Il avait, en vain, cherché du travail en Suisse dans le domaine de la sécurité.

Depuis le 1er février 2011, la famille S. est au bénéfice d'une aide financière de l'Hospice général.

b. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, S. n'a jamais été condamné.

EN DROIT

De la compétence des autorités genevoises

1.1. Selon l'art. 7 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit à l'étranger, sans que soient réalisées les conditions prévues aux art. 4 (crimes ou délits commis à l’étranger contre l’Etat), 5 (infractions commises à l’étranger sur des mineurs) ou 6 (crimes ou délits commis à l'étranger, poursuivis en vertu d'un accord international) si l'acte est aussi réprimé dans l'Etat où il a été commis ou que le lieu de commission ne relève d'aucune juridiction pénale (let. a), si l'auteur se trouve en Suisse ou qu'il est remis à la Suisse en raison de cet acte et (let. b) si, selon le droit suisse, l'acte peut donner lieu à l'extradition mais que son auteur n'est pas extradé (let. c).

1.2. En l'espèce, les actes reprochés à S. ont été commis au Guatemala en 2005 et 2006. Le droit guatémaltèque connaît les infractions de meurtre (art. 123 du Code pénal guatémaltèque - CPG), d'assassinat (art. 132 CPG) et d'exécution extrajudiciaire (art. 132bis CPG). Ainsi, les actes retenus dans l'acte d'accusation sont aussi réprimés au Guatemala. Enfin, le prévenu est double national guatémaltèque et suisse. En raison de sa nationalité suisse, il ne peut donc être extradé.

2.1. A teneur de l'article 32 al. 1 CPP, si l'infraction a été commise à l'étranger (…), l'autorité du lieu où le prévenu a son domicile ou sa résidence habituelle est compétente pour la poursuite et le jugement.

2.2. S. étant domicilié à Genève, les autorités judiciaires de ce canton sont donc compétentes pour connaître du dossier et le Code pénal suisse est applicable.

De la culpabilité

3.1. Selon l'art. 10 CPP, toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force (al. 1). Le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l'intime conviction qu'il retire de l'ensemble de la procédure (al. 2). Lorsque subsistent des doutes insurmontables quant aux éléments factuels justifiant une condamnation, le Tribunal se fonde sur l'état de fait le plus favorable au prévenu (al. 3).

Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et, sur le plan interne, par l'art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, il signifie qu'il incombe à l'accusation d'établir la culpabilité de l'accusé, et non à ce dernier de démontrer son innocence (cf. ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40). Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent cependant pas à exclure une condamnation. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective. Dans cette mesure, la présomption d'innocence se confond avec l'interdiction générale de l'arbitraire, prohibant une appréciation reposant sur des preuves inadéquates ou sans pertinence (ATF 124 IV 86 consid. 2a p. 87 s.; 120 Ia 31 consid. 2 p. 33 ss).

3.2. Le juge du fait dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu dans l'appréciation des preuves (ATF 120 Ia 31). Lorsqu'il est confronté à des versions contradictoires, il forge sa conviction quant aux faits sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents. En pareil cas, il ne suffit pas que l'un ou l'autre de ceux-ci ou même chacun d'eux pris isolément soit à lui seul insuffisant. L'appréciation des preuves doit être examinée dans son ensemble et il n'y a pas arbitraire si l'état de fait retenu peut être déduit de manière soutenable du rapprochement de divers éléments ou indices. De même, il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'un ou plusieurs arguments corroboratifs sont fragiles, si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (ATF 129 I 8).

Les déclarations successives d'un même témoin ne doivent pas nécessairement être écartées du seul fait qu'elles sont contradictoires. Il appartient au juge de retenir, sans arbitraire, la version qui lui paraît la plus convaincante et de motiver les raisons de son choix (6B_429/2008 du 7 novembre 2008 consid. 4.2.3). Dans le cadre du principe de la libre appréciation des preuves, il peut ne retenir qu'une partie des déclarations d'un témoin globalement crédible (ATF 120 Ia 31consid. 3, spéc. p. 39; arrêt 6B_2010 du 4 avril 2011 consid. 2.2.1).

4. Aux termes de l'art. 112 CP, se rend coupable d'assassinat celui qui tue avec une absence particulière de scrupules, notamment si son mobile, son but ou sa façon d'agir est particulièrement odieux. L'assassinat constitue une forme qualifiée d'homicide intentionnel, qui se distingue du meurtre (art. 111 CP) par le caractère particulièrement répréhensible de l'acte. L'absence particulière de scrupules suppose une faute spécialement lourde et déduite exclusivement de la commission de l'acte. Pour la caractériser, l'art. 112 CP évoque le cas où les mobiles, le but ou la façon d'agir de l'auteur sont hautement répréhensibles, mais cet énoncé n'est pas exhaustif (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 125). Cette circonstance procède d'une appréciation d'ensemble par le juge, selon des critères moraux, respectivement essentiellement éthiques, de la personnalité de l'auteur, au travers des circonstances internes et externes de l'acte (ATF 127 IV 10 consid. 1a p. 14).

Chez l'assassin, l'égoïsme l'emporte en général sur toute autre considération. Il est souvent prêt à sacrifier, pour satisfaire des besoins égoïstes, un être humain dont il n'a pas eu à souffrir et fait preuve d'un manque complet de scrupules et d'une grande froideur affective (ATF 118 IV 122 consid. 2b p. 126 et l'arrêt cité). La destruction de la vie d'autrui est toujours d'une gravité extrême mais, comme le montre la différence de peine, il faut, pour retenir la qualification d'assassinat, que la faute de l'auteur, par son caractère particulièrement odieux, se distingue nettement de celle d'un meurtrier au sens de l'art. 111 CP (ATF 127 IV 10 consid. 1a p. 13; 120 IV 265 consid. 3a p. 274; 118 IV 122 consid. 2b p.125 s.; 117 IV 369 consid. 17 p. 389 ss). L'utilisation de moyens particulièrement condamnables, un mode d'exécution impliquant cruauté ou perfidie, des mobiles tels que le plaisir de tuer, la vengeance, l'égoïsme ou enfin l'absence de repentir sont des éléments particulièrement révélateurs de la mentalité de l'auteur. Cette mentalité doit apparaître comme une constante de la personnalité sur laquelle le juge doit se prononcer selon des critères moraux (ATF 115 IV 8ss).

Le mobile politique n'est pas en soi un mobile honorable. Il peut l'être, il peut aussi n'être ni honorable ni critiquable sur le plan moral, il peut enfin être condamnable (arrêt du Tribunal fédéral 311/1982 du 24 novembre 1982, in SJ 1983 p. 278). Dans cet arrêt, rendu sous l'empire de l'ancien art. 112 CP et conservant toute sa pertinence au regard du texte de loi actuel, le Tribunal fédéral avait retenu l'assassinat, précisant que : "S'attaquer avec détermination à une victime expiatoire particulièrement vulnérable, nullement sur ses gardes, la contourner pour lui tirer trois balles dans le dos à 3 m. de distance, se glorifier de cet acte, ne manifester ni regret ni repentir et attribuer à cet homicide une valeur éthique que l'on prône constituent des circonstances dénotant déjà une mentalité inquiétante (…)".

L'absence particulière de scrupules constitue, par rapport à l'homicide, une circonstance personnelle particulière qui aggrave la punissabilité au sens de l'art. 27 CP, de sorte qu'un coauteur ne peut être condamné pour assassinat que s'il réalise lui-même cette circonstance (arrêt du Tribunal fédéral du 13 juin 2013, 6B_28/2013; arrêt du Tribunal fédéral du 23 septembre 2011, 6B.355/2011 consid. 3; ATF 120 IV 265).

5. Le coauteur est celui qui collabore intentionnellement et de manière déterminante avec d'autres personnes dans la décision de commettre une infraction, dans son organisation ou son exécution, au point d'apparaître comme l'un des participants principaux. La coactivité suppose une décision commune, mais qui n'est pas nécessairement expresse. Le contenu de la volonté doit permettre de distinguer le coauteur du participant accessoire. Il faut que l'auteur s'associe à la décision dont est issu le délit (mais sans accomplir nécessairement des actes d'exécution) ou à la réalisation de ce dernier, dans des conditions ou dans une mesure qui le font apparaître comme un participant non pas secondaire, mais principal. La seule volonté ne suffit cependant pas pour admettre la coactivité. Il faut encore que le coauteur participe effectivement à la prise de la décision, à l'organisation ou à la réalisation de l'infraction. La jurisprudence la plus récente, se référant à la doctrine, exige même que le coauteur ait une certaine maîtrise des opérations et que son rôle soit plus ou moins indispensable (ATF 135 IV 152 consid. 2.3.1 p. 155; 130 IV 58 consid. 9.2.1; 125 IV 134 consid. 3a; ATF 120 IV 17 consid. 2d p. 23).

Les coauteurs, à l'image des acteurs de l'économie licite cherchant à maximiser leur rendement par une saine division du travail, se partagent l'accomplissement des tâches qui s'avèrent essentielles à la perpétration de l'infraction envisagée. Les coauteurs n'ont pas besoin de se connaître. Ils doivent savoir qu'ils appartiennent à une même équipe et que celle-ci opère sur le mode de la division du travail. Les volontés concordantes constituant le plan commun ne doivent pas nécessairement avoir été déclarées de manière expresse. Elles peuvent aussi résulter d'actes concluants. La notion de plan commun n'implique obligatoirement ni préméditation ni planification d'une infraction concrète dans tous les détails. Une "convention générale" définissant l'objectif à atteindre et les moyens d'y parvenir permet de fonder la coactivité si l'infraction envisagée est suffisamment typicisée. Chaque contribution des coauteurs doit avoir été essentielle. Une contribution fournie entre le commencement d'exécution et la consommation de celle-ci est toujours essentielle lorsque l'auteur adopte tout ou partie du comportement incriminé, au sens de la conception objective formelle de la participation principale. (ROTH/MOREILLON (éds), Commentaire romand, Code pénal I : art. 1-100 CP, Bâle 2009, n. 81 ss p. 268 ss).

Ce concept de coactivité montre qu'une personne peut être considérée comme auteur d'une infraction même si elle n'en est pas l'auteur direct, c'est-à-dire si elle n'a pas accompli elle-même tous les actes décrits dans la disposition pénale. Cela résulte naturellement du fait qu'une infraction, comme toute entreprise humaine, n'est pas nécessairement réalisée par une personne isolée mais peut procéder d'une action commune avec une répartition des tâches (arrêt du Tribunal fédéral 6B_741/2009; ATF 120 IV 17 consid. 2d p. 23 s.).

En l'espèce

6. Le Tribunal, après quelques remarques préliminaires, examinera successivement, s'agissant des plans PAVO REAL et GAVILAN, les questions de :

a. la crédibilité et la fiabilité des témoignages recueillis et autres preuves;

b. l'identité des victimes (dans la mesure où le prévenu soulevé cette question);

c. l'existence d'exécutions extrajudiciaires;

d. l'implication de S..

I. PAVO REAL

Remarques préliminaires

Du plan officiel et du "plan B"

7.1. Il est établi par les pièces de la procédure que le plan officiel émanant de la Direction générale du système pénitentiaire et intitulé "Plan des operaciones 'Pavoreal' 2006" avait pour but la reprise du contrôle de la prison de PAVON. Son commandement principal incombait au Directeur général du système pénitentiaire, avec des compétences spécifiques de la Direction générale de la PNC, qui devait exclusivement fournir le soutien nécessaire demandé par la Direction générale dudit système (selon le document intitulé "Soutien au système pénitentiaire dans le contrôle, l'inspection, et le replacement d'inculpés du Centre de Réinstauration Constitutionnelle Pavón"). Ces documents officiels précisaient que l'opération devait être menée de manière pacifique et que le personnel de la PNC ne devait pas porter d'armes à feu, sauf exceptions. S'agissant de l'usage des armes, celui-ci n'était admis que dans l'éventualité d'une atteinte à l'ordre public et en cas de nécessité, par exemple en cas de légitime défense, et uniquement dans le respect des principes d'opportunité et de proportionnalité.

7.2. Le Tribunal considère comme établi que, peu avant le début de l'opération, le plan initial a été abandonné au profit d'un "plan B", en ce sens que la PNC a pris la direction des opérations et que le système de sécurité pénitentiaire a été écarté.

7.2.1. Il se fonde tout d'abord sur plusieurs documents, soit notamment :

- le manuscrit du 25 septembre 2006 démontrant que le commandant de garde avait remis, le jour-même à 04h35, les installations de PAVON à PNC2 de la "Guardia de prevencion";

- le courrier de la Direction générale du système pénitentiaire selon lequel aucune unité du système pénitentiaire n'était intervenue dans cette opération et précisant que le soutien avait été fourni par la PNC et le Ministère de la défense;

- le croquis officiel de PAVON (cf. plan 201011) qui prévoyait uniquement deux entrées au nord et à l'est - alors qu'une entrée supplémentaire a finalement été pratiquée au sud-ouest, permettant le convoyage des détenus sur PAVONCITO.

7.2.2. Il se fonde également sur les déclarations de cinq témoins, dont trois membres de la sécurité pénitentiaire, qui ont affirmé que, le jour de l'opération vers 04h00 ou 05h00, les responsables, dont I______ et J______, leur avait dit que la prison devait être placée sous le contrôle de la PNC et que la garde pénitentiaire devait se retirer des lieux. Plus précisément, il retient les témoignages de :

- GP1, qui avait reçu l'ordre direct d'I______ de remettre la direction des opérations à la PNC, ce qui l'avait "surpris". Il s'était donc rendu au poste de contrôle de la prison et avait vu un commissaire de la PNC afin d'effectuer un acte officiel concrétisant la prise de contrôle des opérations par la PNC. Il avait rédigé un document et, dès cet instant, la sécurité pénitentiaire avait été "mise hors course". I______ avait encore ordonné à son personnel de rester dans un bâtiment hors de l'enceinte de PAVON.

- GP2, qui a précisé que ce changement lui avait été confirmé par les gardiens du système pénitentiaire, lesquels avaient constaté que "la police avait pris les rênes des opérations".

- GP3, qui a confirmé que, vers 4h00, le personnel pénitentiaire avait été désarmé puis que le Sous-directeur l'avait informé que lui et ses collègues n'avaient plus le droit de retourner à PAVON et qu'ils étaient désormais sous la garde du personnel de la PNC.

- PNC2, qui a indiqué que le commissaire AC______ l'avait forcé à signer un reçu, dressé par un agent du système pénitentiaire, indiquant que le bureau de commandement de la prison de PAVON lui était remis.

- B______, qui a confirmé à l'audience de jugement ses précédentes déclarations en Autriche, selon lesquelles il avait appris "en dernière minute" qu'il y avait un changement de plan.

Ces éléments établissent ainsi qu'un "plan B" a bien été mis en route peu avant le début de l'opération.

De la présence ou de la mise à l'écart de certaines autorités sur les lieux de l'opération

8. Le Tribunal constate qu'avant et pendant l'opération, les autorités du Guatemala ont procédé à la mise à l'écart totale ou partielle de certains organismes et personnes dont la présence ou l'intervention aurait pu gêner le bon déroulement du "plan B".

PDH

8.1. Il n'est pas contesté que, quelques jours avant le 25 septembre 2006, l'organe exécutif, après aval du Congrès, avait décrété l'état d'exception dans la Municipalité de Fraijanes où est située la prison de PAVON, conformément au décret 3-2006. Or, la loi sur la PDH et la Constitution stipulent que, pendant un régime d'exception, la PDH peut agir soit d'office, soit à la demande d'une des parties en vue de garantir le respect des droits fondamentaux. La PDH n'est subordonnée à aucun organisme, institution, ni fonctionnaire, quel qu'il soit, et agit avec une indépendance absolue.

En l'espèce, le Tribunal retient que la présence sur les lieux des membres de la PDH a été empêchée, notamment par l'intervention d'agents de la PNC agissant sur ordres de leurs supérieurs.

8.1.1. Il se fonde tout d'abord sur des documents provenant de la PDH et se réfère, d'une manière générale, aux conclusions de la résolution du procureur de la PDH du 6 mai 2010 ainsi qu'au rapport de décembre 2006, lequel relève notamment que les personnes dirigeant l'opération, dont les membres de la PNC, avaient "refusé au personnel du bureau du Procureur des droits de l'homme l'accès aux installations carcérales, lieu des actions, en invoquant un argument illégal et insoutenable selon lequel ils avaient "des ordres d'en haut" pour empêcher l'intervention du personnel, malgré le fait que l'état d'exception était en vigueur".

8.1.2. Il retient ensuite les témoignages de trois membres importants de la PDH, soit :

- PDH1, qui s'était personnellement rendu vers 05h00 sur la route de PAVON afin d'accéder à la prison et avait été empêché d'entrer par des agents de la PNC qui lui avaient indiqué avoir reçu "des ordres de leurs supérieurs". Malgré plusieurs tentatives à différents endroits, il n'avait jamais pu pénétrer dans le périmètre de PAVON et en avait été réduit à regarder la sortie d'un véhicule "pick-up" contenant plusieurs cadavres entassés une fois l'opération terminée (cf. photographies 500644 et 500660).

- PDH2, selon lequel l'équipe de la PDH dépêchée sur place avait été empêchée de pénétrer dans la prison, étant précisé que, le lendemain, cette institution avait demandé un rapport des opérations qu'elle n'avait jamais reçu, tout comme le plan d'exécution de l'opération PAVON.

- PDH3, qui a déclaré que la PDH n'avait pas pu avoir accès au plan opérationnel de PAVON, bien qu'elle l'eût pourtant demandé à la PNC et au Ministère public, ni aux rapports d'autopsies.

Enfin, PNC4 et GP1 ont confirmé que les personnes chargées de l'opération avaient limité l'accès aux lieux des représentants des droits de l'homme et de toute entité qui veillait sur les droits des prisonniers. Ce dernier s'était même étonné de cet état de fait, ayant précisé que la décision d'écarter la PDH était "étrange (…) si on [avait] rien à se reprocher".

8.1.3. Le Tribunal retient que la mise à l'écart de la PDH, en violation des dispositions légales, devait permettre d'empêcher toutes investigations poussées sur les lieux des événements et des scènes de crimes, sinon l'audition de détenus sur place. En effet, ce n'est qu'une fois l'opération terminée qu'elle a pu exercer ses prérogatives et effectuer (ou tenter d'effectuer) une enquête indépendante, non sans avoir été freinée par les autorités dans ses velléités d'établir la vérité. L'enquête effectuée par la PDH s'est postérieurement révélée être d'une grande utilité pour la suite des investigations menées par la CICIG. CICIG3 a, d'ailleurs, indiqué que ce rapport avait permis à la CICIG de prendre contact avec les différents témoins au moment où elle avait repris l'enquête qui était "dormante". Le Tribunal constate également, point sur lequel il reviendra, que les conclusions principales des rapports de la PDH sont très proches, pour ne pas dire identiques, à celles de la CICIG.

Ministère public

8.2.1. Le Tribunal retient que le Ministère public n'a, dans un premier temps, pas pu accéder aux endroits-clés où se déroulaient directement les faits.

Certaines équipes du Ministère public ont certes pu effectuer des actes d'enquête tels que : prise de photographies des cadavres et des armes; établissement de croquis des lieux; autopsies pratiquées par le Service de médecine légale; analyse balistique; auditions de quelques témoins.

Toutefois, le Tribunal constate que l'enquête n'a pu débuter qu'après le décès des détenus et alors que, dans un premier temps, les lieux des crimes avaient été "bouclés" et n'étaient pas accessibles. De plus, les scènes de crime n'avaient pas été préservées. Enfin, les éléments recueillis par le Ministère public sont notoirement incomplets, voire dirigés, et les autopsies apparaissent sujettes à caution, ayant été extrêmement succinctes et effectuées de manière non conforme aux règles de l'art. A l'appui de cette conclusion, le Tribunal retient les témoignages suivants :

- PNC8, qui n'a jamais vu de membres du Ministère public vers la cour principale ou vers la maison de V4.

- PNC4, qui avait effectivement vu des personnes avec des gilets du Ministère public mais ne pouvait exclure que ces gilets aient été donnés à d'autres personnes qui n'en étaient pas membres.

- CICIG2 qui, après enquête, a affirmé qu'il n'y avait pas de procureurs à l'intérieur de la prison au moment de la mort des détenus.

8.2.2. Le Tribunal retient également que certains membres haut placés du Ministère public ont contribué subséquemment à empêcher la manifestation de la vérité ainsi que la tenue et l'aboutissement d'une enquête indépendante et objective. Il se fonde notamment sur le témoignage de CICIG3, dont l'enquête a établi que, tant le procureur général, AO______, que le procureur chef de la section en charge des délits contre la vie, AG______, participaient à couvrir les activités de l'organisation criminelle "aussi bien au début en maquillant les scènes de crime qu'ultérieurement en empêchant l'enquête d'être menée à bien et en mettant des obstacles à sa résolution", leurs agissements étant chapeautés par A______. A titre d'exemple, PNC7 a déclaré que B______ lui avait dit que cette opération était bien "ficelée" car deux personnes du Ministère public allaient venir "pour préparer la scène de crime", ce qui avait effectivement été le cas.

COPREDEH

8.3. Le Tribunal constate que la COPREDEH a eu accès à la prison de PAVON le jour de l'intervention mais relève que cet organisme est une commission présidentielle dépendante du pouvoir politique et subordonnée au gouvernement guatémaltèque. Le rapport de la PDH est clair sur ce point, affirmant que, dans la mesure où les responsables de cette opération étaient membres de l'organisme exécutif, la COPREDEH, qui en dépendait, ne pouvait émettre de jugement impartial sur les propres actions de celui-ci. CICIG3 a confirmé que cette commission n'était pas fiable en raison de son appartenance au pouvoir politique.

Enfin, le Tribunal relève que le président de la COPREDEH, qui se trouvait sur les lieux, a refusé l'accès à la PDH, contribuant ainsi à lui ôter la possibilité d'exercer les activités de vérification que la Constitution conférait à cette institution.

Conclusion

8.4. Le Tribunal retient que la seule commission réellement indépendante, soit la PDH, susceptible d'entraver la mise en œuvre du "plan B", a été écartée par les responsables de l'opération, au profit d'intervenants plus "dociles", tels que la COPREDEH, dont la subordination au pouvoir exécutif et l'absence d'indépendance sont établies.

a.    De la crédibilité et de la fiabilité des témoignages et autres preuves

Témoignages - Généralités

9.1. S'agissant des témoins entendus dans le cadre de l'opération PAVON ou dont les déclarations figurent au dossier, le Tribunal relève, d'une manière générale, qu'il n'y a pas de raisons de mettre en cause leur crédibilité, notamment dans la mesure où leurs témoignages se recoupent sur des points nombreux et importants, lesquels seront détaillés infra, alors que ceux-ci sont confirmés notamment par des preuves objectives, soit des photographies et des vidéos, ainsi que par les constatations médico-légales et des rapports, notamment celui effectué par la BPTS établissant une chronologie globale des faits. CICIG2 a d'ailleurs relevé que les témoignages récoltés se recoupaient sur de nombreux points et que les éventuelles contradictions constatées avaient trait principalement aux horaires de l'opération, ce qui était normal dans ce genre de circonstances, au vu du temps écoulé et du fait que ces personnes ignoraient qu'elles allaient être un jour interrogées.

En ce qui concerne les témoins entendus par le biais de la CICIG, il n'est nullement établi que ceux-ci auraient fait l'objet de pressions de sa part pour les influencer, ni qu'ils aient voulu bénéficier d'avantages matériels éventuellement octroyés à des témoins protégés. CICIG3 a affirmé à l'audience de jugement que, pendant tout le temps où il était au Guatemala, il n'avait été le témoin d'aucune pression sur les témoins de la part de la CICIG, ce qui a été confirmé par des plusieurs témoins, dont PNC7, ayant déclaré n'avoir "à aucun moment subi de pressions" de la part de cette institution.

Le Tribunal rejette donc clairement la thèse de la défense, selon laquelle les témoins entendus par la CICIG auraient été influencés, voire "corrompus", non seulement pour les motifs susrappelés mais également parce qu'il constate que l'enquête indépendante de la PDH, effectuée antérieurement a, abouti globalement aux mêmes conclusions et que les éléments les plus importants y sont apparus en 2006 déjà. Le rapport de la PDH relevait des éléments qui ont également été mis en exergue par la suite par la CICIG, soit : l'absence de fiabilité de la version officielle relative à un affrontement armé entre les détenus et les forces étatiques; l'intervention d'un groupe d'agents des forces spéciales, cagoulés et armés, qui avaient été en possession d'une liste de noms de détenus afin de les écarter du reste des prisonniers; le maquillage des scènes de crime, notamment par le placement d'armes et de grenades sur les cadavres. En résumé, il concluait déjà à l'exécution extra-judiciaire des victimes de PAVON.

Témoins agents de l'Etat (PNC, sécurité pénitentiaire, armée)

9.2.1. Le Tribunal relève qu'il n'y a aucune raison de mettre en doute les témoignages des personnes qui ont été ou sont encore des agents de l'Etat guatémaltèque, dans la mesure où celles-ci n'avaient aucun bénéfice à retirer de leurs dépositions. Bien au contraire, nombre de fonctionnaires ont pris des risques pour eux-mêmes et leurs familles en témoignant, parfois contre leurs anciens supérieurs ou leurs dirigeants, et ont été sanctionnés, dégradés ou menacés, au point de devoir parfois s'exiler.

9.2.2. Dès le début de l'enquête au Guatemala et jusqu'à l'audience de jugement, le Tribunal constate que certains témoins ont été victimes de tracasseries, de représailles, voire de menaces. Il citera notamment les cas de :

- GP1, dont le témoignage important est particulièrement crédible et cohérent (étant précisé que les apparentes contradictions antérieures ont pu être levées devant l'autorité de jugement), qui s'était senti repoussé après avoir exprimé son désaccord dès le début, puis avait subi des persécutions et été accusé d'avoir commis des actes délictueux, avant de démissionner et de dénoncer les faits à la CICIG en 2008. Il avait finalement dû quitter le Guatemala en 2010 avec sa famille, vu les menaces pesant sur lui.

- PNC5, qui a dit témoigner pour que justice soit faite et qu'une enquête soit réellement effectuée, l'intéressé ayant perdu sa spécialisation et subi une baisse de salaire après avoir dénoncé des anomalies en 2005, alors que certains officiers avaient été "montés en grade" et "récompensés" pour avoir commis des exactions.

- PNC7, qui n'avait pas dénoncé les faits en 2006 par peur de mourir car "il était clair que les hautes autorités étaient d'accord avec ce qui était arrivé, comme elles l'[avaient] indiqué devant les citoyens et le monde". Ce témoin a fait l'objet d'une plainte pénale déposée à Genève par S. et d'une demande d'arrestation à l'audience.

- PNC11 et PNC4, qui ont dit au Tribunal avoir peur pour eux et leur famille à leur retour au Guatemala.

Témoins détenus

9.3.1. Le Tribunal retient également la crédibilité, dans leur ensemble, des témoignages des personnes détenues à PAVON pour les mêmes motifs que ceux évoqués précédemment, notamment le fait que ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

9.3.2. Il relève en outre qu'une collusion entre détenus était difficilement possible. En effet, l'enquêteur CICIG3 a expliqué avoir effectué une longue enquête afin de retrouver puis d'entendre les détenus qui se trouvaient à PAVON le jour des faits, dès lors qu'ils avaient par la suite été transférés et "éparpillés" dans plusieurs prisons différentes. Or, leurs déclarations s'étaient révélées concordantes et se recoupaient sur de nombreux points. S'agissant du cas particulier de V6, c'était avec l'aide des détenus interrogés que ce prisonnier avait été reconnu sur photographies lorsqu'il était encore en vie, "preuve objective" que "ce qu'ils [les témoins] avaient raconté était vrai". Il apparaît donc pour le moins improbable que des détenus ayant été séparés les uns des autres pendant plusieurs mois, voire années, se soient mis d'accord sur des récits parfois identiques et souvent communs. Ainsi, une collusion entre intéressés à grande échelle peut être exclue.

9.3.3. Enfin, les témoins détenus qui ont participé à l'enquête ainsi que les membres de leurs familles ont, eux aussi, fait l'objet de mesures d'intimidation ou de menaces, ce qu'a confirmé PDH3. D3, seul ancien détenu entendu à Genève, a affirmé être terrorisé pour lui et sa famille car "ils" avaient l'habitude d'envoyer des personnes pour tuer des gens. Quant à R______, il a lui aussi fait l'objet d'une plainte pénale et d'une demande d'arrestation lors d'une audience devant le Ministère public genevois.

9.4. D'une manière générale, le Tribunal considère ainsi que les risques pris par ces témoins, quelques soient leur provenance, étaient bien réels dès lors que le dossier établi que certains témoins des événements ont été éliminés après les faits, ou à tout le moins ont perdu la vie dans des circonstances étranges, à l'instar des frères K______ et L______, de H______, de AP______ et de D4.

9.5. Le Tribunal relève au surplus que des témoins tels que B______, I______, J______ et M1 n'ont qu'une crédibilité limitée dans la mesure où ils ont directement ou indirectement participé à l'opération PAVON, que certains d'entre eux ont été mis en cause dans des procédures à l'étranger et qu'ils ne sont pas dans l'obligation de déposer contre eux-mêmes en vertu des dispositions légales, enfin qu'ils entretiennent des rapports d'amitié et de confiance avec S..

9.6. En conclusion, le Tribunal considère que les témoignages retenus, recueillis au Guatemala par la CICIG ou, par la suite, par le Ministère public genevois, sont, dans leur ensemble, dignes de crédibilité.

Photographies et vidéos

9.7. Le Tribunal ne retient pas non plus la thèse de la défense selon laquelle les photographies figurant à la procédure seraient falsifiées ou truquées. D'une part, il est en possession de plusieurs "expertises privées" qui n'ont que peu de force probante et sont contradictoires. D'autre part, le Tribunal constate que S. conteste la fiabilité de certaines photographies (en particulier représentant la mise à l'écart de V6 dans la rue des ateliers) alors qu'il a lui-même fourni à la procédure la vidéo "Assaut Est" qui reflète exactement les mêmes images.

b.   De l'identités des victimes

10.1. Le Tribunal tient pour établi que les sept personnes mentionnées dans l'acte d'accusation sont les sept détenus morts à PAVON le 25 septembre 2006.

Pour ce faire, il se fonde sur les certificats de décès établis par la Municipalité de Fraijanes figurant à la procédure (200810 à 200816), sur les rapports d'autopsies, les photographies du classeur B 6.3 et le memorandum sur les caractéristiques des victimes de PAVON du 10 octobre 2006 à PDH1. De plus, le Tribunal constate que les victimes ont été reconnues par leurs familles, lesquelles ont récupéré leurs corps.

10.2. Il ressort d'un rapport officiel qu'un autre prisonnier, BG______, avait été blessé au pied par arme à feu, ce qui a été confirmé par S. et J______, alors que, selon l'enquêteur CICIG2, il n'y avait pas eu de blessés à PAVON. Au vu du dossier, le Tribunal n'a pas pu déterminer de manière certaine si l'opération s'était également soldée par un blessé et relève, en tout état, que ce fait n'est pas retenu dans l'acte d'accusation.

c.    De l'existence d'exécutions extrajudiciaires

11. Le Tribunal retient que les exécutions extrajudiciaires des victimes de PAVON sont établies en se fondant sur les éléments suivants :

De la maîtrise des victimes avant leur mort

12. Le Tribunal tient pour établi que toutes les victimes étaient maîtrisées avant leur mort. Il se fonde sur les nombreux témoignages figurant à la procédure, qu'ils proviennent de membres de la PNC, de la sécurité pénitentiaire, de l'armée ou des détenus de PAVON, ainsi que sur les rapports, les photographies et les vidéos.

Détenus retrouvés morts dans le secteur Talleres (ateliers)

12.1. V1 a été vu en vie et maîtrisé après le début des opérations par huit détenus, soit D2, D7, D5, D8, D6, D15, D11 et R______.

Les témoignages des précités se recoupent quant aux endroits où V1 a été vu en vie et maîtrisé, soit sur la place proche de l'église catholique, ainsi que, d'une manière générale, sur le fait qu'il a été mis à l'écart des autres détenus.

12.2. V3 a été vu en vie et maîtrisé après le début des opérations par trois détenus, soit D10, D11 et D6.

Détenus retrouvés morts dans le secteur Champas

12.3. V6 a été vu en vie et maîtrisé après le début des opérations par cinq détenus, soit D7, D13, D10, D14 et D11. Le Tribunal relève que, pour trois de ces témoins, V6 était spécifiquement recherché puisque ceux-ci relatent avoir entendu de la part d'hommes cagoulés des phrases telles que : "C'est toi que nous cherchions" ou "On te cherchait, nous deux" (D7), "C'est toi que je suis venu chercher, fils de pute" (D13) et "C'est celui-ci" (D10). V6 a également été reconnu par divers agents de la PNC, à l'instar de PNC5, PNC4 et PNC7, avec la précision qu'il est établi que ce dernier l'a croisé dans la rue des ateliers peu après 07h00 (notamment au vu de la chronologie établie par le rapport de la BPTS).

Le Tribunal relève encore que V6 figure sur les photographies P1050188, 189, 190 et 192 prises dans la rue des ateliers. Contrairement à l'argumentation du prévenu, le Tribunal retient que l'homme figurant sur ces photographies est bien V6, dans la mesure où les détenus D13 et D14 se sont reconnus eux-mêmes respectivement sur les photographies P1050188 et 190, tous deux aux côtés de V6, qu'ils ont formellement identifié sur ces photographies. Le Tribunal relève enfin que V6 figure sur le film "Assaut Est", notamment à la minute 10:03, qui reflète la même scène que lesdites photographies.

12.4. V2 a été vu en vie et maîtrisé après le début des opérations par quatre détenus, soit D5, D6, D10, D12, étant précisé que ce dernier a déclaré que B______ avait dit : "Celui-ci est à moi".

Détenus retrouvés morts dans la maison de V4

12.5. S'agissant de V7, le Tribunal relève qu'il est identifié sur la photographie P1050233, laquelle a été prise à 08h48, selon le rapport de la BPTS. Il s'agit du même homme que celui figurant sur les photographies de la CICIG, notamment aux pièces 500079 et 500081, où il apparait mort.

12.6. V4 a été vu en vie et maîtrisé après le début des opérations par sept détenus, soit D1, D4, D3, D11, D13, D14 et D10. V4 a également été vu par trois membres de la PNC, soit PNC8, PNC6 et PNC4, ainsi que par GP2, membre du système pénitentiaire.

12.7. Enfin, V5 a été vu en vie et maîtrisé après le début des opérations par neuf détenus (sans compter R______), soit par D2, D5, D8, D11, D6, D7, D10, D15 ainsi que par le "témoin A". Il a également été vu par deux membres de la PNC, soit PNC7 et PNC4.

12.8. Ainsi, il est établi que toutes les victimes décédées à l'issue de l'opération étaient maîtrisées avant leur mort.

De la mise à l'écart des victimes

Liste

13. Le Tribunal considère que l'existence d'une liste de détenus est établie par les témoignages provenant de membres des autorités et de détenus, lesquels vont tous dans le même sens.

13.1. Les témoignages suivants des agents de l'Etat sont plus particulièrement retenus :

- GP1 s'était vu donner l'ordre par J______ d'établir une première liste avec les membres du Comité d'ordre et de discipline, qu'il avait élaborée avec les noms de 18 personnes, avant de devoir ajouter d'autres noms figurant sur une liste manuscrite fournie par son supérieur, ce qui avait porté à 25 le nombre de détenus figurant sur la liste. Auditionné devant le Procureur, il a précisé que les noms de V4, V6, V1 et V7 y figuraient alors que, devant le Tribunal, il a déclaré ne pas se souvenir de tous les noms, à l'exception de ceux des détenus V1, D3, W______ et V4, précisant que les noms des détenus ajoutés par J______ n'étaient pas membres du Comité d'ordre et de discipline.

- PNC4 avait vu les hommes cagoulés, qui étaient entrés en premier, se présenter avec une liste de noms de prisonniers. Ils avaient commencé à lire des noms, en appelant les prisonniers qui se présentaient attachés. Ils en avaient triés certains pour les emmener dans la maison de type canadien. Devant le Procureur, il a précisé que cette liste était d'une grandeur similaire à une feuille A4.

- PDH2 a entendu personnellement, en tant que directeur de la PDH, des détenus affirmant avoir été soumis à des contrôles pendant l'opération, effectués par des hommes en vêtements non officiels et cagoulés qui avaient une liste et qui appelaient certains détenus pour les mettre de côté.

13.2. Le Tribunal retient également les témoignages de nombreux détenus, dont il est intéressant de constater que deux d'entre eux avaient fait état, en 2006 déjà, d'une liste de détenus "recensés". Il se fonde en particulier sur les témoignages de :

- D1, qui, le 29 septembre 2006 devant la PDH, a mentionné l'intervention d'hommes cagoulés munis d'armes à feu qui avaient "recensé" les détenus V6, V5, V1, V3, V2 et V7. Interrogé par la suite, l'intéressé a plus précisément fait état d'une liste manuscrite avec des noms de détenus écrits au crayon gris, laquelle était en possession de certains policiers qui mettaient ces détenus à l'écart. Lui-même, inscrit sur cette liste, avait été écarté, tout comme les détenus V3, V2, V5, V1 et V4.

- T______, qui, le 14 novembre 2006, a expliqué au Juge de paix avoir eu connaissance de l'existence d'une liste de personnes à tuer d'environ 25 noms - dont notamment V4 et U______ -, information qu'il avait obtenue du chef du service des enquêtes criminelles E______, lequel lui avait dit de faire attention car il était le numéro six sur cette liste.

- D4, D9 et D6, lesquels ont tous déclaré, en 2010, avoir vu certains agents en possession d'une liste portant des noms de détenus.

- D3, qui a été le plus précis, ayant indiqué avoir vu, dans un dossier vert tenu par un policier, une feuille blanche numérotée de 1 à 25 avec 25 noms, sur laquelle il avait notamment pu lire ceux de V4, V6 et V1, outre le sien. Cette liste était en partie dactylographiée et en partie manuscrite, étant précisé que son nom était écrit à la main. Comme il se trouvait sur la liste, ce policier l'avait, sur ordre, fait mettre de côté en compagnie de "AE______".

13.3. Le Tribunal relève encore que trois autres témoins font état de photographies de détenus qui auraient permis de reconnaître certains d'entre eux, soit M3, D10 et D8.

13.4. En outre, les témoins D5 et D6 ont vu S. muni d'une telle liste le jour des faits.

13.5. A propos de l'existence d'une liste, le Tribunal considère que, dans un premier temps, il est possible qu'une liste ait été établie dans le cadre du plan officiel PAVO REAL en vue du transfert de détenus influents dans d'autres établissements pénitentiaires que celui de PAVONCITO. En revanche et par la suite, plusieurs indices permettent d'affirmer qu'une liste a été dévoyée et utilisée par certaines personnes pour opérer une sélection de détenus parmi les plus influents, parmi lesquels quelques-uns d'entre eux ont ensuite été retrouvés morts.

Le Tribunal précise qu'une telle liste devait inévitablement n'être accessible qu'à un nombre très restreint de personnes dans la mesure où une certaine confidentialité (pour ne pas dire secret) devait forcément entourer son existence. Il apparaît ainsi normal que plusieurs personnes entendues comme témoins et participant à l'opération "officielle" n'en aient pas eu connaissance. Enfin, le Tribunal relève qu'il est pour le moins étonnant que la presse guatémaltèque ait annoncé, le lendemain des faits, la mort de détenus qui figuraient sur la liste mais qui n'ont finalement pas été tués, à l’instar de S______.

Tri et lieux

Généralités

14.1. Le Tribunal tient pour établi qu'un tri a été opéré par un groupe de personnes cagoulées ou casquées et armées portant des uniformes sans signes distinctifs, dont faisaient partie notamment Z______ et les frères K______ et L______, étant précisé que CICIG3 a précisé qu'il existait à ce sujet "énormément" de témoignages.

Le Tribunal observe que, notamment près de la porte de l'entrée des ateliers, un filtrage avait été opéré, permettant de diriger sur la gauche, soit sur la rue des ateliers formant un coude, en direction de la maison de V4, certains détenus préalablement sélectionnés, alors que le flux des détenus continuait en direction du sud et de PAVONCITO, endroit où ils devaient être déplacés selon le plan initial.

Enfin, il est établi que les sept victimes ont été retrouvées dans le périmètre de la propriété de V4 ou immédiatement à ses abords, en des endroits confinés et à l'abri des regards.

14.2. Plusieurs témoignages d'agents de l'Etat et de détenus sont plus particulièrement retenus par le Tribunal, soit ceux de :

- M3, qui avait vu des policiers, tenant des feuilles entre leurs mains, qu'ils consultaient en toisant les détenus du regard, précisant "on aurait dit qu'ils les classaient". Il avait vu certains détenus être sortis de la file et regroupés à part. Après avoir saisi une conversation, il avait compris que les détenus que les policiers en cause cherchaient étaient ceux qui faisaient partie du Comité d'ordre et de discipline.

- PNC7, qui avait plus particulièrement vu K______ sortir "un gros basané" d'une file de prisonniers, lequel avait demandé "Pourquoi moi ?", et lui attacher les mains dans le dos avec des liens en plastique.

- D7, qui a indiqué de manière claire, alors qu'il allait être transféré à PAVONCITO, que des policiers en tenue civile demandaient aux détenus de décliner leur identité et procédaient à une séparation à l'entrée des ateliers où ces derniers étaient ainsi "triés" et menottés, avant que certains ne soient écartés par des personnes cagoulées. Il avait entendu une rumeur selon laquelle V6 avait été tué, ainsi que d'autres détenus "sélectionnés".

- D12, qui, ayant vu que des policiers séparaient des gens aux ateliers, avait cité un faux nom pour échapper au tri lorsqu'un des frères K______ et L______ lui avait demandé le sien.

- D10, qui avait vu, lorsque les policiers cagoulés avaient emmené V6, des policiers en possession d'un appareil de photo comparer des photographies avec les détenus puis, lorsqu'ils trouvaient ceux qu'ils cherchaient, les mettre de côté.

- D3, qui avait été mis à l'écart avec "AE______" et s'était vu entendre dire par E______ : "Je te tiens, fils de pute !" et "Aujourd'hui, vous mourez !".

14.3. Le Tribunal dispose également de photographies et vidéos permettant de conforter ces témoignages, notamment s'agissant de la mise à l'écart de V6 et V7.

Il retient qu'un tri de détenus peut être observé en particulier sur la photographie P1050233 prise à l'entrée du portail des ateliers, sur laquelle V7 apparaît encore vivant. Sur cette même photo, le Tribunal discerne clairement la présence de L______ (casqué avec lunettes bleues) en train de désigner V7 en lui mettant la main sur l'épaule, de Z______ (avec le gilet "Police") et de "l'homme au jean LEE" cagoulé, qui apparaît être un proche de B______. CICIG2 a également précisé que cette photographie montrait ce que de nombreux témoins avaient dit, à savoir que "tous les prisonniers devaient passer par un poste de contrôle afin d'être identifiés". A ce sujet, le Tribunal constate en outre que CICIG2 a situé le point de contrôle sur la plan (rectangle noir) au même emplacement (à quelques mètres près) que celui dudit portail, tel que placé (en rouge sur le plan) par R______ lors de l'audience de jugement.

Le Tribunal relève enfin que la mise à l'écart de V6 apparaît sur les photographies P1050188, 189, 190 et 192 ainsi que sur le film "Assaut Est" entre les minutes 09:52 et 10:37, où le Tribunal observe que l'intéressé est désigné du doigt par L______ (geste univoque en visionnant le film au ralenti), comme on peut également l'observer sur les photographies 21 et 22 du chargé du Tribunal provenant du même film.

14.4. En conclusion, il est établi par tous ces éléments que les victimes ont effectivement été systématiquement mises à l'écart grâce à une opération planifiée.

Cas spécifique de V4

14.5. Le Tribunal relève que le cas de V4 est particulier en ce sens qu'il est établi par plusieurs témoignages que, dans un premier temps, le précité avait réussi à échapper à la sélection dont il devait faire l'objet et qu'il avait atteint la prison de PAVONCITO. Il se fonde notamment sur l'enquête de PDH2 qui a permis d'établir que V4 avait donné une fausse identité lors du contrôle, ce qui lui avait permis d'être transféré à PAVONCITO.

14.5.1. Plusieurs témoignages permettent d'établir que V4 a tout d'abord été recherché au sein de PAVON par des agents chargés de l'application du "plan B". Ces recherches ont notamment été évoquées par :

- PNC7, qui a entendu B______ dire aux frères K______ et L______, lorsque ceux-ci étaient dans la rue des ateliers, que "le Colombien" n'était nulle part puis donner l'ordre de chercher le Colombien car " le temps arriv[ait] à sa fin".

- PNC3, qui avait, sur demande de B______, effectué des recherches et constaté que V4 se trouvait effectivement à PAVONCITO.

- GP1, qui avait eu plusieurs conversations téléphoniques avec PNC3 qui lui avait expliqué que V4 lui avait échappé car il était passé parmi les premiers détenus, précisant qu'il s'agissait d'un sujet important car V4 était un narcotrafiquant colombien qui avait proféré des menaces à l'encontre d'I______. Par la suite, GP1 avait contacté GP2 qui lui avait confirmé que V4 était déjà à PAVONCITO. Comme il se doutait que quelque chose n'allait pas, il l'avait averti que personne ne devait faire sortir V4.

- GP2, qui avait reçu plusieurs téléphones de GP1 afin de retrouver V4. Il a affirmé l'avoir ensuite emmené à PAVON sur instruction de GP1.

S'agissant de la divergence entre les témoignages de GP2 et GP1 concernant la remise dudit prisonnier, le Tribunal retient le témoignage de ce dernier comme davantage probant, notamment dans la mesure où l'intéressé a été entendu à trois reprises et a maintenu ses dires de manière constante, y compris à l'audience de jugement. Il relève que la version de GP2 est probablement dictée par le fait que celui-ci avait reçu un ordre direct du Ministre A______ afin que V4 soit sorti de PAVONCITO.

14.5.2. Plusieurs témoignages indiquent ensuite que V4 a été vu à PAVONCITO avant d'être emmené à PAVON. Il est même établi qu'il a été appelé sous le prétexte fallacieux que son avocate désirait le voir, raison pour laquelle il s'était rendu avant d'être saisi par des hommes cagoulés, dont l'un des frères K______ et L______, et emmené dans sa maison. Ces faits sont confirmés par les détenus D6, D14, D4, D13 et D11 qui se trouvaient à PAVONCITO et qui ont assisté ou entendu parler de ladite scène. Enfin, R______ a confirmé avoir croisé V4 à l'entrée de PAVONCITO, encadré par les forces de l'ordre.

Le Tribunal relève encore que CICIG3, PDH2 et D5 ont affirmé qu'au moment de quitter PAVONCITO, V4 avait remis à un autre détenu une veste bleue qu'il portait "pour qu'il la remette aux autorités si quelque chose lui arrivait". Ce fait a été consigné dans le procès-verbal du juge AL______ et la veste a été saisie comme preuve dans un entrepôt judiciaire.

Ainsi, il est établi que V4 a été volontairement "récupéré" à PAVONCITO pour être emmené dans sa maison avant d'être abattu.

Erreur sur les victimes

14.6. Le Tribunal relève encore que plusieurs témoins ayant vu la liste des détenus et assisté au tri de ces derniers ont remarqué que certains prisonniers avaient été mis à l'écart à tort, victimes d'erreurs sur la personne, alors qu'ils n'étaient ni membres du Comité d'ordre et de discipline, ni connus comme influents dans la prison.

CICIG3 et GP1 ont déclaré que deux des morts de PAVON ne se trouvaient pas sur la liste des personnes à exécuter et avaient été victimes d'une erreur en raison de leur ressemblance physique avec des détenus "listés".

Plusieurs autres détenus ont été victimes de confusions. Selon CICIG3, D3 et D1 avaient été mis de côté, vraisemblablement sélectionnés pour être exécutés, mais avaient "eu de la chance" car un policier les avait finalement dirigés sur PAVONCITO. D9 s'était aperçu que les agents avaient confondu le détenu D3 avec V2 avant de "le laisser tranquille" après comparaison de photographies. D5 a affirmé avoir été confondu pour cause de ressemblance avec le vice-président du Comité d'ordre et de discipline et avoir emmené dans un atelier afin d'établir son identité. Enfin, D11 avait été mis de côté en raison d'une confusion avec V6 car il portait un chapeau.

De l'état des victimes

Expertises médico-légales

15. Le Tribunal constate tout d'abord que les rapports initiaux, datant de 2006, faisaient déjà état de morts par balles. Toutefois, ceux-ci sont lacunaires et n'ont pas été établis dans les règles de l'art. Dans ces conditions, le Tribunal se fondera sur les rapports médico-légaux de CICIG1 du 5 novembre 2010 et ML du 22 octobre 2010 - dont les missions divergent - qui ont été exécutés de manière indépendante et séparément, sans que les deux experts ne se consultent. Or, leurs conclusions sont très largement convergentes et leurs divergences d'importance minime.

15.1. ML a, d'une manière générale, constaté que, pour toutes les victimes de PAVON, la cause du décès était liée à des armes à feu. Les éléments recueillis avaient permis d'établir que trois types d'armes avaient été utilisés. D'après les lésions observées sur les sept cadavres, il avait pu être déterminé que les tirs avaient été effectués en suivant une trajectoire "antéro-postérieure" et que la majorité des coups avaient été tirés sur des surfaces vitales, soit le tronc et le thorax où se trouvaient les organes vitaux.

15.2. S'agissant des détails relatifs à chaque victime le Tribunal se réfère au point C.d.b. de la partie "EN FAIT" pour éviter d'inutiles redites. Il mentionnera toutefois l'existence des lésions spécifiques suivantes :

- Des plaies par arme à feu au bras, de type défensif, qui signifient que la victime s'est protégée de l'attaque avant de mourir, ont pu être observées dans les cas des détenus V7, V6 et V4.

- Des traces de liens attestant du fait que les détenus étaient attachés avant ou au moment de leur mort ont été observées dans les cas de V5 et V2, avec la précision que les lésions aux poignets étaient compatibles avec le matériel utilisé pour lier les mains des détenus, à savoir des liens en plastique, visible notamment sur la photographie P1050195.

- Des excoriations de type post-mortem présentant les caractéristiques des plaies dues au fait que le corps avait été traîné ont été observées dans les cas de V1 et V6.

- Des plaies présentant les caractéristiques d'un "coup de grâce" ont été mises en évidence dans les cas de V3, V2 et V7.

15.3. S'agissant du cas particulier de V5, le Tribunal relève que, selon les experts, il existe des éléments objectifs permettant de conclure que les plaies dues à une arme à feu ont été causées à bout portant, soit à moins d'un mètre du corps, puisqu'on remarque un "tatouage" de poudre et de résidus de tir sur le thorax, le visage et l'avant-bras gauche de la victime. La trajectoire suivie par les projectiles indique qu'il s'agissait d'un tireur unique se trouvant sur le côté droit et au-dessus de la victime au moment de tirer. Les plaies d'entrée et de sortie sur le bras droit, de type défensif, coïncident avec la trajectoire du projectile ayant causé la plaie au thorax, ce qui indique clairement que la victime, qui avait les mains attachées avant ou pendant sa mort, a vu l'attaquant et, probablement, protégé son thorax et son visage au moment des tirs.

ML a encore précisé devant le Ministère public que la présence du tatouage sur la peau du thorax et du visage indique qu'au moment du coup de feu, le thorax et le visage étaient découverts, ajoutant à l'audience de jugement que l'existence de traces de poudre retrouvées sur le visage et le thorax de V5 lui permettait de déduire une courte distance de tir - qui était généralement évaluée jusqu'à 60 cm pour des armes de basse vitesse - et que la présence de résidus de tirs sur le visage et la partie supérieure du thorax et du cou était cohérente avec le fait que les blessures avaient été provoquées sur la peau nue.

Expertise balistique

16. Le Tribunal constate que les calibres 5,56 mm et 7,62 mm des douilles percutées et retrouvées à proximité des corps de V6, V2, V5, V7 et V4 sont compatibles avec le type d'armes dont étaient équipées certaines personnes cagoulées à PAVON. Il en va de même des projectiles retrouvés dans les corps de V3 (9 mm), V1 (5,56 mm) et V7 (7,62 mm).

Il retient également que les armes retrouvées sur les cadavres des détenus ne correspondaient qu'à un très faible nombre des douilles retrouvées. Il rappellera enfin que l'arme retrouvée près du corps de V4 n'était pas en état de fonctionner, faute de chien.

En conclusion, il n'est pas possible de déterminer de manière précise quelles armes ont été utilisées à l'encontre des victimes et qui en a fait usage.

Des actes postérieurs aux décès : maquillage des scènes de crime

17. Le Tribunal retient que les scènes de crime ont été maquillées de diverses façons.

D'une manière générale, AL______ a relevé que la scène de crime de la maison de V4 était "dantesque" et que certaines choses semblaient avoir été manipulées "comme par exemple le fait qu'un des cadavres portait des armes de grand calibre et qu'un autre même portait des accessoires de type commando et qu'ils se trouvaient dans la maison (…)". PNC5 a constaté que la scène où avait été retrouvé le corps V6 avait été maquillée, en particulier par le déplacement du corps de l'intéressé et le changement de ses vêtements.

Changement de vêtements

17.1. A l'examen des photographies, des films et des témoignages, il apparaît clairement que les vêtements de certaines victimes ont été changés après leur mort. En effet :

- V6 apparaît vêtu d'une chemise beige et d'un pantalon noir sur les photographies P1050188 et 189 prises lorsqu'il a été maîtrisé puis différemment, soit d'une veste bleue, sur la photographie P1050236 représentant son cadavre.

- V5 était vêtu d'un survêtement bleu marine ou noir et blanc avec un dessin en V sur le torse au moment où il a été maîtrisé (selon la description de R______), alors qu'il a été retrouvé vêtu d'un T-shirt jaune après sa mort (photographies P1050240 et ss), étant précisé qu'aucune trace de sang n'apparaissait alors au niveau de son cou sur son T-shirt jaune (en référence à la photographie figurant sous pièce 500076).

- V4, qui était vêtu d'un pantalon court selon PNC8, et a été retrouvé vêtu d'un jean long.

Déplacement des corps

17.2. Le Tribunal retient comme établi qu'à tout le moins les corps de V6 et V1 ont été déplacés, au vu des lésions d'excoriation présentées et mentionnées dans le rapport de médecine légale. PNC5 a d'ailleurs aperçu le cadavre de V6 "plus au fond" par rapport à l'endroit où celui-ci a été retrouvé.

Enfin, PNC4 a vu le corps de V5 à l'extérieur de la maison de V4 (comme il l'a précisément placé sur le plan), alors qu'il a été retrouvé dans la pièce principale, comme l'attestent les photographies P1050240 à 244.

Ajout d'armes et de grenades

17.3. Le Tribunal retient que les armes à feu et grenades retrouvées sur les lieux des crimes ont été ajoutées après la mort des victimes.

17.3.1. En particulier, s'agissant des armes à feu, le Tribunal a acquis la conviction que le fusil d'assaut placé sous le corps de V4 - qui n'était pas en état de fonctionner en raison de l'absence de chien - et le fusil d'assaut retrouvé à côté du corps de V6 ont été placés sur les lieux après la mort des victimes, se fondant en particulier sur le témoignage de PNC5, spécialiste en explosifs, qui avait vu une arme à l'endroit où se trouvait le cadavre de V6 alors qu'il n'y avait constaté aucune trace de violence et aucun indice d'affrontement.

17.3.2. S'agissant des grenades, le Tribunal retient qu'elles ont été ajoutées sur les différents lieux :

- S'agissant de la grenade retrouvée dans la main de V2, cet ajout est établi par comparaison entre les photographies remises par l'informateur et celles du Ministère public. En effet, la photographie P1050239 montre la main droite de ce détenu doigts fermés (sans grenade), alors que la photographie 500294 fournie par l'informateur à la CICIG montre cette même main avec les doigts ouverts tenant une grenade. Le Tribunal retient encore les explications de PNC5 qui, après avoir visionné les photographies figurant à la pièce 201813, a constaté que la grenade n'était pas dans une position lui permettant d'être dégoupillée aisément et en toute sécurité.

- S'agissant de la grenade retrouvée dans la main gantée de V3, CICIG2 a relevé que sa position suggérait qu'elle avait été placée après la mort et que son mécanisme de sécurité n'était pas activé, la grenade n'étant ainsi pas en état de fonctionnement immédiat.

Enfin, GP1 a clairement indiqué qu'il avait vu, dans la salle à manger de la maison de V4, une personne cagoulée sortir une grenade d'un sac à dos. A l'audience de jugement, l'individu en question a pu être identifié par le même témoin comme étant "l'homme au jean LEE" figurant sur la photographie P1050233.

17.4. En conséquence, il est établi que les scènes de crime ont été modifiées.

Thèse de l'affrontement

18. Le prévenu a soutenu que la mort des détenus avait eu lieu dans le cadre d'un affrontement armé avec les forces de l'ordre, en se fondant notamment sur plusieurs témoignages, dont celui de B______, sur la vidéo "Assaut Est" et sur l'audition de "l'expert" autrichien BB______.

18.1. Préalablement et s'agissant de la détention d'armes par les détenus de PAVON, le Tribunal relève que GP1 (qui avait effectué l'enquête avant l'opération et s'était fondé sur "des informateurs assez fiables") avait réussi à déterminer "qu'il y avait environ sept armes légères dans la prison, pas plus" et que GP3 a déclaré n'avoir jamais vu de prisonniers en possession d'armes à feu. CICIG3 a, quant à lui, expliqué que beaucoup de rumeurs circulaient à ce sujet avant la "perquisition" de PAVON mais qu'il n'avait finalement été retrouvé ni armes, ni drogue, ni argent.

Existence de coups de feu et origine de ces derniers

18.2. Il est établi, notamment à l'examen de diverses preuves et au visionnement de la vidéo "Assaut Est", que des étincelles sont apparues près de la maison de V4, notamment au début de l'intervention, lorsqu'un groupe d'hommes cagoulés a pénétré dans la prison par l'entrée est. Il y a ainsi lieu de déterminer si ces étincelles proviennent de coups de feu, subséquemment si ceux-ci ont été tirés par les détenus à l'encontre des forces de l'ordre ou, au contraire par ces dernières, en particulier par le groupe de cagoulés, sur les prisonniers. A ce sujet, divers éléments en possession du Tribunal sont contradictoires.

Témoignages

18.3.1. Certains témoins ont affirmé avoir vu ou entendu des coups de feu provenant de la maison de V4. Il s'agit notamment de B______, qui avait entendu des tirs venant de cet endroit et vu des prisonniers tirer depuis l'intérieur de la prison vers l'extérieur, précisant même à l'audience de jugement qu'on lui avait tiré dessus et que les cagoulés avaient riposté. PNC8 avait entendu certaines personnes présentes dire "qu'ils étaient en train de tirer de l'intérieur vers l'extérieur".

PNC8 avait, quant à lui, entendu des "détonations de tous les côtés", sans pouvoir préciser qui avait tiré à ce moment-là, avant d'ajouter que le groupe d'individus qui se trouvait devant lui avait ouvert le feu et tirait au-delà de sa position, vers l'avant, notamment sur la maison.

Enfin, d'autres témoins affirment que seul le groupe des cagoulés avait tiré, soit :

- PNC4, qui a vu le groupe de cagoulés munis d'armes longues entrer en premier, ouvrir le feu puis avancer en tirant en direction de la maison du Colombien, précisant qu'il avait eu l'impression que personne n'avait tiré dans sa direction.

- PNC6, qui a vu tirer uniquement les personnes du groupe armé portant des cagoules.

- PNC7, qui n'a pas vu un seul coup de feu de la part des prisonniers, précisant que c'était uniquement l'équipe des cagoulés qui tirait lorsqu'ils montaient en direction de la maison de V4.

- GP1, qui a entendu des coups de feu et observé des éclairs près d'un arbre à côté de la maison de V4. Dans un premier temps, il avait cru à une attaque des détenus et avait tiré, depuis l'extérieur de l'enceinte, trois coups de feu en direction de cet arbre puis plusieurs policiers lui étaient alors "tombés dessus" et lui avaient retiré son arme. Ce n'était que dans un second temps qu'il avait compris que les cagoulés avaient tiré en se dirigeant vers la maison de V4, l'avaient entourée en faisant feu vers l'intérieur et que les détenus n'avaient pas tiré. A l'audience, il a confirmé ses dires et précisé que les étincelles venaient de l'intérieur des arbres et qu'il avait pensé qu'il pouvait y avoir un tireur dans l'arbre. Un groupe de policiers de la PNC non armés lui avait alors dit : "Ils sont en train de nous tirer dessus" et lui avait demandé de tirer, ce qu'il avait fait avant d'être neutralisé.

Enfin, le juge AL______ a dit n'avoir constaté aucune trace de confrontation de l'intérieur vers l'extérieur de la maison de V4 et PNC5, spécialiste des armes à feu, a relevé que les fenêtres de cette maison présentaient de multiples orifices, probablement créés par des projectiles d'armes, mais que cette construction ne présentait aucun indice d'affrontement.

18.3.2. CICIG3 a encore relevé, de manière pertinente de l'avis du Tribunal, que, compte tenu du fait que les détenus ne disposaient d'aucune arme de longue portée mais n'avaient que sept pistolets, ils n'auraient jamais pu contrecarrer une offensive alors qu'en face, la police disposait d'armes d'assaut, de blindés légers, d'hélicoptères et d'unités spéciales. Compte tenu des forces en présence, les chefs des détenus n'avaient donc eu aucune intention de s'opposer à la police.

Expertises

18.4. Le Tribunal est également en possession de plusieurs rapports "d'experts".

18.4.1. BB______, se fondant sur l'analyse de la vidéo, a expliqué que les éclairs vus étaient des lueurs de bouche et a conclu que quelqu'un avait tiré "en direction de celui qui filmait". Sur certains clichés, il y avait de fortes probabilités qu'une lueur de bouche vienne d'une personne se trouvant dans la maison. Il supposait ainsi que le coup venait de la maison "sans pouvoir l'affirmer avec 100 % de certitude (…)". Il a conclu que les échanges de tirs avaient duré environ 15 minutes et qu'il ne faisait aucun doute pour lui que les premiers tirs venaient de l'intérieur vers l'extérieur.

18.4.2. BH______, inspectrice à la BPTS, a constaté, sur la base de la vidéo "Assaut Est", notamment dans l'intervalle de temps compris entre 05:33 et 05:43, qu'un grand nombre de détonations étaient entendues et que sept flashs pouvaient être dénombrés. Elle a conclu, au vu de la qualité de la vidéo, que la nature de ces détonations et de ces flashs ne pouvait être déterminée scientifiquement et qu'il n'était pas possible de confirmer ou d'exclure que ces éléments étaient consécutifs à des coups de feu, tout en étant compatibles avec des tirs d'armes à feu.

18.4.3. ML a conclu que les lésions observées sur les victimes de PAVON ne correspondaient pas à ce que l'on pouvait voir dans les schémas lors d'un affrontement, en raison de leur localisation, de la trajectoire et des résidus de tirs. En effet, en général, la distribution des tirs en cas d'affrontement ne présentait pas un patron spécifique, soit que l'on pouvait constater des blessures dans la tête, les bras et les extrémités et dans des trajectoires différentes et non pas seulement dans les parties vitales. L'intéressée a également mentionné l'existence de marques sur les poignets de certaines victimes, qui confortaient le fait qu'il n'y avait pas eu d'affrontement.

18.4.4. CICIG1 a également retenu que plusieurs éléments relevés lors de son expertise ne concordaient pas avec la thèse d'un affrontement. D'une manière générale, les corps examinés présentaient des lésions dans les zones vitales, causées par des projectiles à grande vitesse tirés d'une même position et de manière concentrée sur une petite surface. Or, un impact de projectile tiré sans précision dans le cadre d'un affrontement armé n'avait qu'une relativement faible probabilité d'entraîner une conséquence fatale, ce d'autant plus que la logique voulait que des "insurgés" ne demeurent pas statiques pendant un échange de tirs. De plus, dans un cas d'affrontement, il était commun que des morts et/ou des blessés soient recensés dans les deux camps, ce qui n'avait pas été le cas en l'espèce. Pour ce témoin, le scénario le plus probable était que les impacts observés sur les cadavres provenaient de tirs à bout portant. Il a enfin précisé que : "la quantité d'impacts de projectiles observés sur chaque corps, tirés pour la plupart d'une même position avec une trajectoire antéro-postérieure, indiquait clairement que l'objectif des agents de l'Etat avait été de donner la mort, et non de soumettre l'adversaire".

Autres preuves

18.5. A l'examen des photographies de la maison de V4, le Tribunal constate que les portes d'entrée sont intactes alors que, comme l'a fait remarquer CICIG2, "Normalement, lorsque la police est confrontée à une opposition, elle casse la porte pour y pénétrer, ne sachant pas s'il y a danger ou non".

18.6. Enfin, il n'est pas contesté qu'il n'y a eu aucune victime, mort ou blessé, du côté des forces de l'ordre.

Conclusion

18.7. Au vu de tous ces éléments, le Tribunal ne peut pas exclure que certains détenus se soient, dans un premier temps, opposés à la perquisition, cas échéant moyennant l'usage d'armes de courte portée, tout comme il ne peut l'affirmer. En toute hypothèse et compte tenu des éléments susrappelés, il tient pour établi que les sept victimes ne sont pas mortes dans le contexte d'un affrontement avec les forces de l'ordre.

18.8. En conclusion, le Tribunal retient que les sept personnes décédées à PAVON sont mortes à l'occasion d'exécutions extrajudiciaires.

d.   Implication de S.

Preuves retenues

19. S'agissant de l'implication de S., le Tribunal se fonde, pour forger son intime conviction, sur les éléments matériels figurant au dossier (photographies, vidéos, DVD, rapports divers) ainsi que sur les différents témoignages recueillis et, de manière prépondérante, sur ceux de PNC4, GP1, PNC7, PNC10, PNC11 et PNC9 s'agissant des membres de la PNC ou du système pénitentiaire, ainsi que sur les témoignages d'D2, D6, D5, D9, D1, D10 et D15 s'agissant des détenus de PAVON. Il traitera à part le cas du témoin R______.

Avant l'opération - Généralités

Situation générale sur le rôle du chef de la PNC

19.1. Le Tribunal considère d'abord comme établi l'existence d'exécutions extra-judiciaires au Guatemala avant et pendant la période des faits visés dans l'acte d'accusation, en se fondant tout d'abord sur le rapport ALSTON du 19 février 2007 qui rend compte de manière claire l'existence d'exécutions de ce type et dans ce pays en 2006 déjà. Il retient également le témoignage de l'enquêteur CICIG3, affirmant que s'était instauré, dans la structure de l'Etat, un groupe consacré à commettre différents types de crimes, notamment des exécutions extrajudiciaires, ainsi que des actes de torture et de nettoyage social, et précisant que les groupes de E______ et H______ se chargeaient déjà de telles exécutions extrajudiciaires. Enfin, B______ a lui-même confirmé que les exécutions extrajudiciaires avaient de tout temps existé au Guatemala, notamment sous la présidence d'Oscar BERGER.

Le Tribunal retient que S. ne pouvait ignorer cet état de fait lorsqu'il a pris la direction de la PNC et que, par la suite, S. et B______ - nouveaux venus dans la PNC et qui n'étaient au demeurant absolument pas des professionnels de la police et n'avaient aucune expérience dans ce domaine -, ont créé leur propre groupe appelé "Los Elefantes Demoledores" pour lequel ils ont engagé, en tant que conseillers en sécurité, K______ et L______. L'existence de cette structure est confirmée par CICIG3 et CICIG4, le dernier l'ayant étudiée et qualifiée de "structure étatique parallèle", dont les chefs étaient A______, S., B______ et H______. Or, CICIG3 avait lui-même interrogé à ce sujet cinq ex-membres de cette structure - qui lui avaient paru "absolument crédibles" - et qui avaient affirmé qu'ils agissaient avec l'accord des dirigeants du Guatemala, notamment S..

Finalement, S. a indiqué en audience de jugement que A______ lui avait demandé, ainsi qu'à B______, que la PNC forme ses propres agents pour reprendre à terme les activités de H______.

Rapports entre S. et certains protagonistes essentiels de l'opération

19.2. Le Tribunal relève la proximité des rapports entre S. et plusieurs protagonistes ayant joué un rôle déterminant lors de l'opération PAVON.

B______ et E______

19.2.1. La procédure et, en particulier, l'organigramme y figurant, permettent d'établir que S. était le supérieur hiérarchique de B______ et de E______, ce que le prévenu a d'ailleurs admis, précisant que les précités étaient ses subordonnés et qu'il avait la compétence de leur donner des ordres.

S'agissant de B______, il y a lieu de rappeler que le prévenu et l'intéressé étaient des amis d'enfance, qu'ils avaient des relations de confiance (le précité ayant même dit à PNC7 qu'ils étaient "presque frères") et que S. a fait nommer B______ à son poste. Plusieurs témoins ont en outre affirmé que ce dernier et son groupe agissaient avec l'autorisation de S., PNC7 précisant que, le jour de l'opération PAVON, ils travaillaient "en accord l'un avec l'autre". Quant à E______, A______ a affirmé - sans être contredit par le prévenu - qu'il s'occupait des enquêtes criminelles et "rapportait le tout au directeur des opérations et au chef de la police".

K______et L______

19.2.2. Le Tribunal retient que K______ et L______, au-delà du fait qu'ils ont travaillé ad honores pour le compte de la PNC, ont été personnellement engagés par S., qui était "leur chef". Ils sont devenus ses conseillers. Ce statut de conseillers, ainsi que la subordination de fait des frères K______ et L______ à S., ont été confirmés par B______, de manière constante tout au long de la procédure, ainsi que par PNC7, qui avait appris leur statut par PNC10 et les avait régulièrement vus lors des séances des chefs de l'institution organisées par S., avec la précision que les intéressés entraient par une porte empruntée uniquement par le précité.

Pendant l'opération : rôle de S.

20.1. S. a affirmé qu'il n'aurait eu aucun rôle spécifique lors de l'opération PAVON mais uniquement "un rôle de représentation" et "une responsabilité politique", sans être en charge du volet opérationnel, et que sa présence aurait été demandée par le service de la communication sociale du Président. Selon lui, la direction générale des opérations était du ressort du chef de commissariat de la région de PAVON. Par la suite, il a finalement admis avoir pris la décision d'accompagner le groupe d'intervention à l'entrée nord "à des fins de supervision".

20.2. Le Tribunal considère que la version des faits du prévenu n'est pas crédible dans la mesure où elle est contredite par de multiples éléments du dossier. Parmi ces éléments, le Tribunal retient que S. a donné des instructions à B______, ce que ce dernier a admis, précisant même que, le matin des faits, il avait effectivement informé S. de ce qu'il faisait. De plus, le précité était vêtu d'une tenue de combat avec plusieurs armes longues, dont une à la main et un gilet pare-balles - au contraire des "politiques" qui étaient habillés en civil - et était muni d'une radio et d'un téléphone portable, dont il a fait un usage constant. Le Tribunal se fonde également sur le témoignage de PNC5 selon lequel le prévenu avait directement participé à l'opération avec Y______. Il retient enfin les nombreux éléments suivants :


 

a. Avant l’entrée dans la prison de PAVON

21. Il est établi, et par ailleurs non contesté par le prévenu, que celui-ci a participé à des réunions préparatoires dans le cadre de l'opération officielle. Le Tribunal retient qu'il a également participé à au moins deux réunions destinées à la mise en application du "plan B".

Réunion à la station-service SHELL de Muxbal

21.1. Le Tribunal retient que S. a participé à une réunion à la station-service SHELL en compagnie de B______, E______ et des frères K______ et L______, en se basant sur les déclarations de PNC8, PNC9 et PNC11, qui étaient tous trois présents. Le Tribunal retient en particulier le témoignage précis de ce dernier à l'audience de jugement, expliquant qu'il y avait eu à la station SHELL "une réunion de tous les comités", soit celui de S. avec son escorte (dont il faisait partie), le comité de B______ (avec PNC7 et Y______) ainsi que celui de E______ (accompagné de "son groupe de travail"). Il a précisé avoir vu S. discuter avec B______ et E______ et que certains étaient habillés avec des vêtements type commando.

Le Tribunal constate également que S. et B______ ont admis leur présence à cet endroit mais contestent s'y être rencontrés et livrent un récit des faits contradictoire s'agissant de la présence de l'un ou l'autre en ces lieux.

Réunion à l’extérieur de la prison

21.2. Le Tribunal retient qu'une seconde réunion s'est tenue devant l'entrée principale de la prison, à laquelle ont participé I______, S., A______, J______, E______, B______, Z______ et les frères K______ et L______.

Il se fonde sur le témoignage de PNC11, notamment à l'audience de jugement, de PNC9, qui a reconnu sur les lieux le prévenu ainsi qu'I______, les deux frères B______ et Z______ et des gradés militaires, et de PNC7 qui a précisé que le frère de B______ était présent avec son gilet portant la mention "Police". Il retient également et particulièrement le témoignage précis de GP1, qui a vu deux "camionnettes agricoles" de couleur sombre arriver à grande vitesse sur les lieux, desquelles étaient sorties huit personnes vêtues en noir "type SWAT" avec des cagoules, munies d'armes, lesquelles n'appartenaient pas à la PNC, ni à la garde pénitentiaire. Parmi eux, se trouvaient B______, E______ et V______, lesquels s'étaient approchés de A______, S. et I______. Il les avait reconnus car leurs visages étaient découverts. Ils étaient accompagnés de six à huit hommes cagoulés avec des casques et des lunettes puis, après discussion, ils étaient repartis en couvrant à nouveau leurs visages. S'agissant du motif de cette réunion, PNC7 a affirmé que ces gens avaient discuté après avoir sorti et regardé une sorte de carte dont ils parlaient.

Le Tribunal relève encore que tant S. que B______ ont admis que, lors de cette réunion, le premier avait donné des ordres au second et l'avait informé du rôle spécifique qu'il devait tenir. S. avait en particulier donné l'ordre à B______ de se rendre "de l'autre côté" de PAVON, soit à l'entrée est, à proximité de la maison de V4, de superviser les opérations à cet endroit spécifique et de le tenir informé des événements. B______ devait prendre des décisions sur le terrain et l'en informer dès lors qu'ils ne se trouvaient pas au même endroit.

b. Après l’entrée dans la prison de PAVON

Présence de S. et de ses principaux subordonnés aux endroits-clés aux moments-clés, soit pendant les exécutions

22. Le Tribunal relève que, d'une manière générale et constante, l'intéressé et ses principaux subordonnés, soit B______, E______ et les frères K______ et L______, se trouvaient aux endroits-clés, aux moments-clés.

S'agissant de la chronologie des faits, le Tribunal considère qu'il est à la fois impossible, et par ailleurs non déterminant, de l'établir avec exactitude. Il n'est, en particulier, pas possible de déterminer les heures exactes ni des allées et venues de S., de ses subordonnés et des témoins sur les lieux de l'opération, ni des exécutions des sept victimes. Pour déterminer une chronologie générale, le Tribunal peut prendre appui sur les photographies transmises par les autorités guatémaltèques qui figurent à la procédure, lesquelles ont pu être datées avec précision par la BPTS, étant remarqué que ces photographies ne montrent que des moments choisis. Il peut également, mais dans une moindre mesure, se baser sur le film "Assaut Est", dont il faut rappeler qu'il ne s'agit pas d'une pièce officielle mais d'un document transmis par la défense, qui montre des séquences spécifiques et qui n'est pas exhaustif. Le Tribunal peut, enfin, se fonder sur les témoignages des agents de l'Etat et des détenus ayant assisté aux événements de la matinée du 25 septembre 2006.

Dans les environs de l'église

22.1.1. Le Tribunal retient que S. se trouvait dans la zone proche de l'église catholique aux environs de 07h00, en compagnie de A______, d'I______ et de militaires. Le Tribunal se fonde tout d'abord sur les propres déclarations de S., ayant admis s'être trouvé à cette même heure aux environs de l'église, dans la mesure où il a déclaré être arrivé vers la maison de V4 environ 40 minutes plus tard et que le rapport de la BPTS établi qu'il s'y rendait effectivement à 07h40 (photographie P 1050214). Il se fonde ensuite sur les témoignages d'D2, de D3 et de D15, qui attestent de la présence du prévenu à cet endroit.

22.1.2. Or, le Tribunal constate qu'ont lieu à ce moment deux événements importants soit, d'une part, la mise à l'écart de V1 près de l'église et, d'autre part, la transmission à S. de la nouvelle de "l'interpellation" de V6.

Sur le premier point, le Tribunal retient que, vers 07h00, V1 a été fouillé puis mis à l'écart des autres détenus près de l'église, en se fondant sur les témoignages des détenus susvisés et celui de D5, qui a vu I______ désigner V1 du doigt et discuter avec lui avant que celui-ci ne soit saisi par deux policiers cagoulés.

Sur le second point, le Tribunal retient qu'aux alentours de 07h00, D9, qui était à plat-ventre près de l'église, a entendu via la radio de S. que celui-ci portait sur son épaule gauche : "M. le Directeur, nous avons déjà V6", ce à quoi S. avait répondu : "Emmenez-le !".

Ce "timing" est confirmé par les photographies P1050188, P1050189, P1050190 (datées grâce au rapport de la BPTS) ainsi que celles figurant aux pièces 21 et 22 du chargé du Tribunal (correspondant aux minutes 10:03 et 10:04 de la vidéo "Assaut Est"), qui établissent la mise à l'écart de V6 au niveau de la rue des ateliers entre 07h02 et 07h04, concomitamment à l'annonce de cette nouvelle à S.. Sur ces photographies, V6 est désigné par L______ - qui filme la scène -, maîtrisé, mis à terre et déshabillé, pour être ensuite amené dans la propriété de V4.

Enfin, ces faits sont corroborés par le témoignage de PNC7 qui, alors qu'il effectuait la perquisition avec une pince hydraulique (photographies P1050205 et P1050207 prises à 07h11 et 07h12), a entendu dans la rue des ateliers L______ dire à B______ : "Regarde, un peu plus ce V6 nous file entre les doigts" ou "Regardez qui allait nous échapper". Ensuite, L______ avait soulevé V6 et ils étaient partis en direction de la maison de V4.

22.1.3. Au vu de la chronologie des divers éléments, qui s'imbriquent parfaitement, ce qui ne saurait être fortuit, le Tribunal est parvenu à la conviction que c'est suite à l'appel reçu sur sa radio que S. s'est rendu dans la zone de la maison de V4, manifestement dans le but de contrôler les opérations suite à l'interception de V6. Il y est arrivé à une heure qui n'a pas pu être déterminée mais s'y trouvait de manière certaine à 07h40, ce qui est établi par la photographie P1050214.

Réunion devant la maison de V4

22.2. Au visionnement de la vidéo "Assaut Est" (à la minute 13:28 à 13:39), le Tribunal constate que, juste avant l'arrivée de S., plusieurs détonations sont entendues aux environs, voire dans la maison de V4. A ce moment, plusieurs personnes tournent la tête en direction de cette maison et l'une d'entre elles, avec un brassard orange, reste statique et interloquée.

Le Tribunal constate, en se basant sur cette vidéo et les photographies P1050214 et 215, que S. se rend ensuite sur les lieux de la maison de V4 et qu'il y rencontre, entre 07h40 et 08h00 environ, les principaux protagonistes de cette opération, soit K______, B______, H______ et E______ (qui est cagoulé et dont la présence est attestée parce qu'il est appelé par son nom par S. à la minute 14:18). Ce dernier se trouve au centre de la scène et ses subordonnés se positionnent autour de lui.

B______ et S. ont tous deux admis leur présence sur les lieux, en compagnie de leurs gardes du corps. S. qui, selon ses propres déclarations, était le plus haut gradé de ce groupe lors de cette réunion, a affirmé que, sitôt arrivés, tant B______ que H______ lui avaient fait rapport des événements survenus dans ce secteur. Le premier l'avait informé être entré derrière les forces spéciales et avoir dû se réfugier derrière un mur car il s'était fait tirer dessus. Le second l'avait informé "de manière non officielle" qu'il y avait eu un échange de tirs avec les détenus et qu'il y avait eu des morts. En d'autres termes, S. aurait appris l'existence d'une confrontation avec les détenus, sans que H______ ne lui précise combien il y avait de morts, leur identité et de quel camp ils provenaient, points sur lesquels le prévenu n'aurait posé aucune question.

Le Tribunal relève tout d'abord qu'il est pour le moins suspect que le chef de la police ne pose aucune question et, en particulier, ne cherche pas à s'enquérir d'éventuels décès de ses hommes à l'occasion d'une telle opération, alors qu'il a mentionné à plusieurs reprises qu'il y avait eu des morts chez les forces de l'ordre lors d'opérations précédentes du même type. Il est également étonnant que l'intéressé n'ait pas cherché à déterminer qui étaient les personnes décédées, l'identité des tireurs, ni si les détenus étaient armés et de quelle manière.

A l'examen de la vidéo (aux minutes 14:06 à 14:26), le Tribunal constate qu'aucune discussion n'a eu lieu entre les protagonistes, notamment entre S., B______ et H______. Au contraire, le Tribunal est frappé par le fait qu'à l'arrivée de S., les protagonistes n'échangent aucune parole et semblent se comprendre à demi-mot. La scène, telle qu'elle apparaît sur cette vidéo, est donc incompatible avec les déclarations de S..

Le Tribunal constate également qu'à ce moment, plusieurs hommes cagoulés formant un cordon se trouvent tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la propriété de V4, visiblement pour en contrôler l'entrée conformément à ce qu'ont relaté de nombreux témoins (pièces 17, 18b, 18c et 25 du chargé du Tribunal; vidéo "Assaut Est" à la minute 14:06 à 14:12). Aucun membre du Ministère public n'est alors présent sur les lieux.

Enfin, le Tribunal relève que S. n'est plus visible sur les photographies entre 07h43 et 08h00. Il réapparaît ensuite sur la photographie P1050222 où il remonte en direction de la place centrale en compagnie de ses gardes du corps. Par la suite, il se retrouve à proximité de la place centrale aux environs de 08h15, à nouveau en compagnie de A______, B______ et I______, ce qui est attesté par les photographies P1050227 et 1050228 et le témoignage de PNC8.

Environs et intérieur de la propriété de V4

22.3. S'agissant tout d'abord de la période pendant laquelle les exécutions ont été commises, CICIG2 a expliqué que l'hypothèse la plus vraisemblable était qu'elles avaient eu lieu entre 06h00 et 10h00, compte tenu du fait que l'opération avait débuté à environ 06h00 et que le premier rapport de levée de corps du Ministère public mentionnait 10h34. Le Tribunal retient cette thèse et relève plus précisément qu'il est établi par le rapport de la BPTS que le début de l'assaut a été donné vers 06h30 (photographies P 1050155 et 1050160), que les premières photographies du cadavre de V6 ont été prises à 10h03 (DSC 05817 et P 1050236), précédant de quelques minutes celles montrant les cadavres d'V2, V5 et de V7.

Le Tribunal retient en tout état, et sur la base des témoignages provenant des agents de l'Etat, que les victimes ont été exécutées en deux phases, soit les premières victimes (1ère phase) puis V4 (2ème phase), lequel a été tué dans sa maison après avoir été préalablement transféré à PAVONCITO puis réacheminé vers PAVON.

Présence des subordonnés de S. sur les lieux des crimes

1ère phase

22.3.1.1. Le Tribunal retient que les subordonnés directs de S., soit B______ et E______, ainsi que ses conseillers, les frères K______ et L______, se trouvaient sur les lieux des exécutions. En effet, plusieurs témoins disent avoir vu toutes ces personnes pénétrer dans la propriété et dans la maison de V4 alors que, durant ce laps de temps, des gardes du corps filtraient les passages devant un portail de cette maison et des exécutions y avaient lieu. Le Tribunal retient plus spécifiquement les témoignages suivants :

- PNC4 a vu notamment B______ et H______ à l'intérieur de la propriété de V4.

- PNC9 a vu sortir les frères K______ et L______, B______ et E______ de la maison de V4 avec des armes de poing et des fusils puis a constaté que des personnes étaient mortes.

- PNC6 a vu deux cadavres à l'intérieur de la propriété, dont l'un avait une grenade à la main et l'autre un fusil juste à côté, au moment où B______ était à l'intérieur de la maison.

- PNC8 a vu des individus cagoulés, dont E______, entrer par le portail grillagé de la propriété puis en ressortir immédiatement après avoir entendu des coups de feu. B______, qui était présent, leur avait ordonné de rentrer et il avait alors vu une personne (identifiée comme étant V6) couchée sur le dos avec un fusil à la main.

- PNC7 a tout d'abord vu E______, B______, H______ et AA______ près de la maison de V4. Il avait vu V6 vivant, emmené menotté vers des hangars par "AA______" qui avait dit à E______ : "Là-bas, je t'ai laissé V6". Des coups de feu avaient retenti puis E______ était revenu en disant : "Il n'est pas encore tout à fait mort, ce n'est pas encore son heure" puis y était retourné et, après de nouveaux coups de feu, avait finalement dit : "Maintenant oui". B______ lui avait donné une petite tape sur l'épaule puis ils avaient rigolé.

2ème phase

22.3.1.2. Les mêmes individus étaient également présents lors de l'exécution de V4, ce qui est établi par de nombreux témoignages, dont trois provenant des agents de l'Etat, soit :

- PNC4, qui, après avoir quitté la propriété de V4 et alors qu'il se trouvait près du point C du plan, avait vu un "pick-up" qui se dirigeait vers l'entrée est et des personnes cagoulées en sortir un individu barbu qui avait été frappé. Il avait par la suite entendu des coups de feu.

- PNC6, qui avait également vu deux hommes portant des cagoules emmener dans la maison un détenu colombien barbu menotté puis avait, quelques minutes plus tard, entendu trois ou quatre détonations à l'intérieur de la maison, étant précisé qu'il avait ensuite appris par la presse que ce détenu était décédé.

- PNC8, qui, revenu à la maison de V4 et alors que B______ y était entré en lui ordonnant de rester devant pour en empêcher l'accès, avait observé l'arrivée d'un pick-up - duquel étaient descendus un homme barbu et L______ - puis l'entrée de ces derniers dans la maison, au moment où l'un des policiers avait dit : "On amène V4". B______ était ensuite venu dire que l'opération était terminée puis, sur le chemin du retour, PNC8 avait entendu des coups de feu.

Présence de S. sur les lieux des crimes

Généralités

22.3.2. Le Tribunal a acquis la conviction, au-delà de tout doute raisonnable, que S. s'est rendu dans la propriété de V4 à plusieurs reprises pendant la matinée du 25 septembre 2006, à la fois aux moments où sa présence est établie par des photographies ou vidéos mais également à d'autres moments.

22.3.2.1. Le Tribunal se fonde tout d'abord sur les propres déclarations de S. qui a admis, lors de l'enquête, avoir, pendant cette matinée, pénétré dans la propriété de V4. Il a déclaré précisément avoir regardé par la porte de la maison - sans y pénétrer - et avoir vu deux policiers qui gardaient des cadavres, puis s'être dirigé vers des constructions "genre poulailler" et y avoir vu une personne allongée, vraisemblablement morte. A l'audience de jugement, il a déclaré qu'après être allé à la place centrale, il était revenu en direction de la maison de V4, s'était trouvé dans le secteur des ateliers pendant une partie de la matinée, avait "serpenté" entre les divers "champas" qui longent la rue des ateliers et avait beaucoup circulé dans la prison. Sur présentation de la photographie 10 du chargé du Tribunal, il a précisé être entré dans la cour de la maison où il avait vu la scène représentant le "poulailler", où avait été retrouvé le corps de V6, puis avoir vu un autre corps depuis l'entrée de la maison.

Ainsi, le Tribunal ne retient pas comme crédible le témoignage de B______, lorsque celui-ci affirme que le prévenu avait fait "le tour d'une partie de la propriété V4", sans y pénétrer, ce qui est en parfaite contradiction avec les propres dires du prévenu.

22.3.2.2. Le Tribunal retient que plusieurs témoins ont vu S. non seulement dans la propriété de V4 mais également dans sa maison, alors que des exécutions extrajudiciaires y avaient toujours cours.

1ère phase

22.3.2.2.1. Le Tribunal retient les témoignages suivants permettant d'attester de la présence de S. sur les lieux des exécutions des détenus susvisés :

- PNC4, arrivé devant la maison de V4 alors qu'elle était encerclée par des hommes cagoulés y limitant l'accès, a précisé à l'audience de jugement de jugement avoir vu S. passer devant ladite maison avant son arrivée filmée à la minute 14:07 de la vidéo "Assaut Est", "dans le sens contraire" et uniquement accompagné de son escorte, ce qui démontre la présence du prévenu sur ces lieux avant la photographie prise à 07h40. Le témoin avait ensuite vu tout d'abord V6 être amené par le portail principal de la propriété et y entrer. Alors qu'il était posté vers ledit portail, il avait vu S. arriver et pénétrer dans l'enceinte de la propriété avec I______ et A______, puis se réunir avec les précités ainsi qu'avec H______, B______ et Victor E______, alors que V6 avait déjà été amené dans la propriété. Il avait par la suite entendu des détonations correspondant à des coups de feu. Alors que S. et les précités étaient toujours en place, un second détenu, identifié comme étant V5, avait été amené par des hommes cagoulés dans la propriété. Dans la foulée, il avait entendu une nouvelle détonation, ce qui l'avait conduit à pénétrer dans le périmètre de la villa où il avait vu le corps de V6 en sang, possiblement mort, et V5, en sang, à l'extérieur de la villa. Lorsque S., I______, A______, H______, B______ et E______ s'étaient aperçus qu'il se trouvait près des corps, l'un d'eux lui avait ordonné de sortir de la propriété.

Interrogé à ce sujet à l'audience de jugement, PNC4 a clairement précisé la position de S. près du portail de la maison de V4 (avec une lettre C sur la photographie agrandie n° 7 du chargé du Tribunal) ainsi que celle du corps de V5 (point sur lequel le Tribunal reviendra infra). Il a précisé que S. était présent à la fois lorsque les deux premiers détenus étaient arrivés et lorsqu'il avait entendu les coups de feu (sans avoir toutefois vu le moment où les détenus avaient été tués, ni qui avait tiré). Les deux détenus avaient été possiblement exécutés, "vu la situation et les tirs" et la situation n'était pas "normale".

Après avoir quitté la maison, il avait encore vu trois autres prisonniers – qu'il n'avait pas pu identifier -, les mains attachées dans le dos, tenus par les "personnes vêtues d'une manière caractéristique", venir en direction de la maison de V4 depuis la rue des ateliers. Ces prisonniers avaient été emmenés à l'intérieur de la propriété. Peu après, de nouveaux coups de feu avaient retenti.

- PNC7, à qui on avait donné l'ordre de quitter la propriété peu après l'exécution de V6, avait vu S. arriver puis pénétrer dans l'enceinte de la propriété de V4 et s'apprêter à entrer dans la maison.

- GP1, en arrivant vers ladite maison, dont le périmètre était surveillé, a tout d'abord été empêché d'y entrer par le colonel AR______, qui lui avait dit qu'il ne pouvait pas entrer "parce que dedans c'était chaud". Il avait par la suite été autorisé à entrer sans son accompagnant, GP4, et avait alors vu, dans un hangar genre poulailler, le cadavre de V6 avec un fusil à côté puis, plus loin, un autre cadavre qu'il avait identifié comme étant celui de C______ grâce à sa ceinture. A l'audience de jugement, GP1 a expliqué que le colonel AR______ était toujours accompagné de S. et que, quand il l'avait vu à l'entrée de la propriété de V4, c'était la seule fois qu'il n'était pas accompagné de lui. Il s'était ainsi imaginé que S. se trouvait dans la maison et que celui-ci avait ordonné au colonel de rester dehors. Après son retour de la place centrale, GP1 était entré dans la maison de V4 et avait vu, dans la salle à manger, un blessé (identifié comme V5) qui respirait encore et gémissait puis, plus loin sur les marches de l’escalier, un autre blessé (identifiée comme V7).

- R______ a vu S. devant le portail d'entrée de la maison de V4 au moment où l'intéressé a tiré sur V5, puis, alors qu'il avait été amené vers la menuiserie immédiatement après, le corps de V6.

Il sera rappelé à ce stade que R______ n'a pas vu V3 mort, mais que celui-ci faisait partie du même groupe que celui composé de lui-même et de V5 et avait été amené juste avant lui en direction de la maison de V4. Or, il est établi que le corps de V3 a été retrouvé dans une ruelle à l'intérieur de la propriété de V4 juste à côté de celui de V1.

2ème phase

22.3.2.2.2. Le Tribunal retient que le témoignage de D1 permet d'attester de la présence de S. sur les lieux au moment de l'exécution de V4. En effet, ce dernier a affirmé qu'il avait aperçu le "pick-up" dans lequel V4 était emmené, tenu à l'arrière par des hommes cagoulés. Il avait vu ces derniers le faire descendre du véhicule puis se diriger à sa maison, où il était attendu par E______, H______ et S.. Ensuite, il avait vu V4 monter à l'étage de sa maison avec ces trois personnes puis avait entendu le prévenu s'adresser à V4 en l'insultant et en lui disant : "Colombien, sale fils de pute (…) ! Qu'est-ce que tu crois, que tu peux introduire de la merde ici dans mon pays ?". Il avait enfin entendu des bruits de coups, V4 crier puis, alors qu'il se trouvait à trente mètres de la maison, des détonations.

22.3.2.2.3. Ces témoignages ne sont pas contradictoires car S. a été vu par des personnes différentes mais à des moments différents.

22.4. En conclusion, à l'examen de tous les éléments susvisés, il apparaît que tant S. que ses subordonnés, qui agissaient sur ses ordres et avec son autorisation, étaient présents sur les lieux des crimes aux moments-clés. Le Tribunal a ainsi acquis la conviction que S. avait une parfaite connaissance des faits qui se déroulaient, tant en raison de sa propre présence sur place que par celle de ses hommes qui le tenaient informé et qui ont pris une part active, directe ou indirecte, aux exécutions. Il relèvera enfin que, d'une manière générale et, en particulier, au sein d'une structure policière ou militaire, les chefs décident et les exécutants exécutent.

Le Tribunal citera enfin, à ce titre, les propos particulièrement éclairants du témoignage de GP1 permettant de retenir que S. était au courant des exécutions et y acquiesçait : lorsque ce témoin s'était inquiété des conditions de la mort de V4 et en avait parlé à J______ - pour lui dire qu'il était sûr que ce détenu avait été assassiné -, son supérieur lui avait répondu que ce détenu devait mourir et qu'il ne devait pas avoir peur car "Tout était sous contrôle", que "les chefs", le Président, le Ministre de l'Intérieur, le Directeur de la police et le Ministère public étaient au courant et qu'il n'y aurait donc aucun problème. Il avait alors compris que tous les supérieurs, dont S., étaient au courant de ce qui s'était passé et qu'ils avaient donné leur accord aux événements, à savoir à des assassinats.

Exécution de V5

Crédibilité du témoignage de R______

24. S'agissant du témoin R______, le Tribunal a retenu ses déclarations comme crédibles.

24.1. Préalablement, le Tribunal constate que R______ a proposé spontanément son témoignage à la justice. L'intéressé a expliqué que, suite à un appel à témoin de plusieurs ONG, il avait contacté un organisme à Berne - dont il avait trouvé l'adresse sur internet - lorsqu'il avait appris l'existence de la procédure contre A______. Il avait reçu une réponse en allemand qu'il n'avait pas comprise. Par la suite, il avait pris contact avec AT______, qui l'avait dirigé vers P______. Avant l'été 2012, il avait été contacté par AU______, membre de cette association, pour savoir s'il avait été présent à PAVON le 25 septembre 2006. Il avait alors fait une déclaration filmée et enregistrée le 1er juin 2012.

Le Tribunal relève que R______ n'avait aucun bénéfice à retirer de ce témoignage qui, bien au contraire, lui a valu trois convocations devant le procureur ainsi qu'une plainte pénale et une demande d'arrestation immédiate du prévenu. De plus, rien ne laisse à penser qu'il existait un contentieux entre S. et R______, étant précisé que ce dernier a été arrêté et condamné bien avant l'entrée en fonction de S. comme chef de la PNC.

24.2. La description de la scène de l'homicide de V5 faite par R______ est, en ce qui concerne les points principaux, constante et cohérente, notamment eu égard à la configuration des lieux et aux conclusions médico-légales.

S'agissant plus particulièrement de l'endroit où se sont déroulés les faits, R______ a affirmé au Ministère public que le coup de feu avait été tiré à l'extérieur de la maison de V4 alors que S. en était proche, précisant que lui-même se trouvait à une distance approximative de 8 ou 10 mètres et qu'au moment du coup de feu, S. était entre la maison et lui. Entendu précisément sur cette scène à l'audience de jugement, R______ a été invité à placer sur le plan de PAVON et les photographies agrandies du chargé du Tribunal - pièces qu'il n'avait jamais vues auparavant - les endroits où se trouvaient les différents protagonistes au moment du coup de feu, ce qu'il a fait de manière très précise. Il a en effet désigné de manière distincte et claire l'endroit où il se trouvait, ainsi que celui où étaient situés S., d'une part, et V5, d'autre part (photographies agrandies du chargé du Tribunal n° 6 et 7). En outre, le Tribunal relève que l'endroit désigné par R______ correspond - à 1 ou 2 mètres près - à celui désigné par PNC4 lorsque le Tribunal lui a demandé où il avait vu le cadavre identifié comme étant celui de V5 (photographies agrandies dudit chargé n° 6 et 7).

S'agissant du type de tirs, R______ a toujours affirmé que S. avait tiré à bout portant sur sa victime. Or, cette déclaration est confirmée par les conclusions de ML, selon lesquelles un des coups de feu avait été tiré à "courte distance", soit à une distance d'approximativement un mètre s'agissant des armes à haute vitesse ou à une distance inférieure ou égale à 60 cm s'agissant des armes à basse vitesse, ainsi que par celles de CICIG1, qui considérait qu'il existait des éléments objectifs permettant de conclure que les plaies par projectiles avaient été causées à bout portant, soit à moins d'un mètre du corps.

S'agissant de l'impact de la balle tirée sur V5 par S., R______ a déclaré, au début de la procédure, que ce dernier avait tiré une balle "dans la tête de V5", précisant qu'il ne pouvait être totalement affirmatif quant à l'endroit exact du corps visé par le prévenu. Il a déclaré à l'audience de jugement qu'il ne pouvait pas préciser l'endroit de l'impact de balle parce qu'il était en mouvement et battu à ce moment, ajoutant que V5 était debout au moment du tir, qu'il était plus petit que S. et qu'à la vitesse où les choses s'étaient passées, il n'avait pas pu voir les détails, notamment si la victime avait les mains liées.

Le Tribunal constate sur ce point qu'au vu de la dynamique de la scène et du stress éprouvé par le témoin à ce moment, il n'apparaît pas insoutenable que ce dernier n'ait pas vu exactement l'endroit précis du corps où S. avait tiré, ce d'autant plus que la grande différence de taille entre les deux protagonistes n'est pas contestée et pouvait laisser penser à un tir dans la tête du détenu, qui était beaucoup plus petit que le prévenu. Enfin, le Tribunal constate, à l'examen de la photographie du visage de V5, que la victime a été atteinte dans la partie supérieure du thorax, au point que l'expert a constaté un tatouage de poudre sur son visage et son torse, ce qui apparaît clairement sur la photographie de la CICIG (500251 et 500076, avec la mention "D'un côté, on peut voir la marque produite par le coup de feu sur le visage de la personne exécutée, alors que le T-shirt est propre, ce qui indique qu'il a été revêtu après l'exécution").

Le Tribunal relève enfin que R______ a pu, à l'audience de jugement, donner une description très précise des vêtements portés par V5 le matin des faits. Il a affirmé qu'au moment de sa mise à l'écart avec le précité vers le muret, celui-ci portait un survêtement bleu marine ou noir et blanc avec un dessin en V sur le torse. Par la suite, et au moment du coup de feu, il l'avait vu torse nu. Une fois encore, sa déclaration est conforme aux conclusions de l'expertise de ML, confirmant à plusieurs reprises que les résidus de tirs sur V5 avaient été trouvés sur certaines parties du corps habituellement recouvertes par un vêtement, ce qui signifiait que ledit détenu ne portait pas, au moment du tir, de vêtement sur le thorax.

24.3. Le Tribunal relève que d'autres points factuels du témoignage de R______ sont corroborés par d'autres éléments du dossier, la réciproque étant au demeurant vraie.

Le Tribunal fait notamment référence :

- A la présence, aux environs de l'église, d'I______, A______ et S. au moment où R______ a vu V1 être mis à l'écart. Cette affirmation est corroborée par les témoignages de D2, D7, D5, D6, D15 et D11 qui ont vu la même scène.

- A la description du parcours des détenus, lesquels étaient obligés de monter les escaliers vers l'église pour être "classifié" avant de descendre en direction des ateliers. Ce parcours est confirmé par des photographies, en particulier la photographie 8 (202167). Par la suite, un tri était effectué à l'entrée des ateliers, ce qui est également confirmé par la photographie P1050233, ainsi que par la vidéo "Assaut Est" aux minutes 14:35 à 14:40.

- A sa présence près du muret aux côtés de V3, V2, V5 et le détenu membre du groupe "AS______", lesquels étaient attachés avec les mains dans le dos. Cette déclaration est notamment confirmée par les témoins D15, qui avait vu V5 assis entre l'église et l'entrée des ateliers, puis D11 qui avait vu ce même détenu assis à la porte d'entrée des ateliers et pleurant, "avec d'autres qu'ils avaient capturés".

- A sa description du lieu et de la manière dont a été retrouvé le corps de V6, qu'il décrit "dans l'atelier de menuiserie", ce qui est corroboré par les photographies figurant au dossier (photographies 201816 et 201817), étant précisé que l'intéressé a reconnu le petit muret se situant à proximité du cadavre figurant sur la photographie P1050237.

- A la présence de V4 à PAVONCITO, présence confirmée par plusieurs témoins.

24.4. En comparaison des nombreux éléments susvisés, les quelques fluctuations du discours de R______ (s'agissant notamment du lieu de maîtrise de V6 et des horaires de cette matinée) sont de peu d'importance et n'entament pas la crédibilité de son témoignage. Elles peuvent en outre être expliquées par les conditions de brutalité et de stress inhérentes à l'opération, de même que par l'écoulement du temps.

Conclusion et mobile

24.5. En conclusion, à l'examen de tous les éléments susvisés, le Tribunal retient que S. a directement provoqué la mort de V5 par arme à feu.

24.6. Enfin, s'agissant du mobile de cette exécution, le Tribunal retient que R______ a fait état de rumeurs laissant entendre qu'il existait un conflit personnel entre S. et V5. Lors de son audition filmée, il a expliqué que V5 avait eu une histoire "pour un vol de voiture" avec S. et qu'il se vantait d'avoir "entubé la famille S.". Le témoin a confirmé ses dires devant le Tribunal, précisant avoir toutefois éliminé cela de sa mémoire.

Le Tribunal retient encore les explications de CICIG3 selon lesquelles, dans la dynamique des commandos se livrant à des exécutions extrajudiciaires, il existait un "procédé de l'initiation". La condition pour faire partie de ce type de groupe était de participer directement au fait de tuer ou de torturer. Il était ainsi d'usage que chacun de leurs membres "se salissent les mains" afin de garantir le silence de tous sur les activités criminelles du groupe.

Déclarations de S.

25. S'agissant des déclarations de S., le Tribunal retient que ce dernier n'a cessé de rester dans des généralités lorsqu'il a été interrogé sur des éléments spécifiques et précis du dossier, en particulier lorsque ceux-ci le mettent en cause. Son absence de réactions et d'explications est particulièrement flagrante et incompréhensible s'agissant d'éléments importants sur lesquels il a, tout au long de la procédure, nié l'évidence.

25.1. Le Tribunal retient notamment :

- Les dénégations persistantes quant à son rôle qui n'est, à l'évidence et compte tenu des éléments mentionnés sous point 20.2., pas celui d'un "représentant" présent pour la presse et censé participer à une démonstration politique de force de la police guatémaltèque, étant précisé que le prévenu a sans cesse reporté la responsabilité des opérations sur des prétendus chefs, tels que le commissaire PNC1 ou le chef du commissariat n° X, lesquels n'apparaissent pratiquement pas dans la procédure et ne sont jamais cités par les témoins. A ce sujet, le Tribunal ne peut retenir que l'un de ces prétendus chefs, qui étaient en réalité des personnes occupant des grades bien inférieurs à celui de S., se soient vu attribuer le commandement d'une opération aussi importante (qualifiée de "grand impact" par le prévenu) et qui impliquait la direction de plusieurs centaines, voire plus d'un millier d'hommes.

- Les éléments liés à l'existence-même d'un Comité d'ordre et de discipline à PAVON et de la connaissance de ses membres les plus influents, alors que les noms de ceux-ci sont mentionnés dans les pièces annexées au plan officiel, pièces intitulées "Comite de Pavon" et "Cuotas de Poder" (mentionnant expressément les noms et les lieux de résidence au sein de la prison de V4 "X______" comme "control de la drogua", V1 comme "poder economico" et V6 comme "Presidente Comité") et que des articles de presse avaient été publiés notamment la veille dans le journal BI______, et dont le prévenu admet lui-même avoir eu connaissance puisqu'ils ont été discutés lors de la réunion préparatoire du 24 septembre 2006.

- L'absence d'explications quant à la présence à PAVON des protagonistes principaux de l'opération, soit d'un commando formé de gens cagoulés et armés, qui est établie à la fois par les photographies, les vidéos et les témoignages, notamment ceux de PNC5 et de PNC8. Il en va de même s’agissant de la présence des frères K______ et L______, à propos desquels S. a d'abord déclaré qu'il croyait avoir vu l'un d'entre eux à PAVON, puis qu'il supposait qu'ils accompagnaient B______ le jour des faits, avant d'affirmer avoir appris leur implication uniquement après l'opération, soit qu'ils avaient agi de leur propre initiative pour une présentation qu'ils allaient faire car "ils devaient faire un audit et présenter les résultats", de K______, dont il ne connaissait pas le rôle et auquel il n'avait pas donné d'instructions pour qu'il soit présent, de E______, qu'il pensait ne pas avoir vu ce jour-là, alors que le Tribunal a constaté qu'il se trouvait à 5 mètres de lui lors de la réunion devant la maison de V4, de Z______, dont la présence est attestée par plusieurs témoins ainsi que par photographies, le Tribunal retenant qu'il s'agit de l'homme avec le gilet "Police".

- La surprise qu'il a manifestée quant à la présence à PAVON de H______ qui n'était pas autorisée, selon ses propres dires, et dont il ne savait pas qui l'avait autorisée.

- Sa persistance à affirmer que les détenus étaient morts dans le cadre d'un affrontement, y compris à l'issue de la présente procédure.

- L'impossibilité de recevoir des communications radio hors code ORO.

25.2. Le Tribunal relève enfin que la seule défense du prévenu a consisté à affirmer, de manière péremptoire, que la quasi-totalité des témoins mentaient, affirmation non confirmée par d'autres éléments probants.

Conclusion sur la participation de S. aux actes visés sous chiffre I. de l'acte d'accusation

26. D'une manière générale, le Tribunal considère que S., en tant que chef de la PNC, a fait partie des principaux dirigeants qui ont participé à l'élaboration du "plan B" pour la reprise de la prison de PAVON, lequel consistait à sélectionner des détenus encombrants, à les mettre à l'écart puis, enfin, à les exécuter. Le prévenu a participé à la prise de décisions et a agi en coactivité avec d'autres personnalités de premier plan.

Avant l'opération, S. était présent à des réunions de préparation avec les principaux protagonistes, collaborant de manière déterminante à l'élaboration de ce plan, ce qui démontre une préméditation certaine. Le Tribunal retient que, déjà à ce stade, l'intéressé a participé à la prise de décisions communes en vue de l'exécution ultérieure dudit plan ainsi qu'en donnant des ordres en ce sens à certains de ses subordonnés.

Par la suite, S. a collaboré efficacement et en première ligne à l'application effective dudit plan en se rendant aux endroits-clés de la prison de PAVON, le jour de l'opération soit notamment dans la propriété de V4, au moment des exécutions des victimes. A ce stade, le Tribunal relève que l'application d'un tel plan nécessitait forcément une répartition des tâches entre de multiples auteurs à des degrés divers, certains commettant les actes directement et d'autres les ordonnant, les supervisant ou les cautionnant. En l'espèce, ces tâches ont été effectuées sous la direction de S. et d'autres supérieurs par leurs subordonnés, ainsi que des individus qui n'étaient pas des agents de l'Etat et ne figuraient pas dans l'organigramme officiel, notamment H______ et son groupe.

S. a, en particulier, donné des ordres à plusieurs personnes directement actives lors de l'opération, notamment à B______ et E______, qui lui étaient directement subordonnés et qui ont agi sur les lieux des crimes, ainsi qu'aux frères K______ et L______, également sous ses ordres en tant que conseillers, qui ont activement participé au tri des détenus puis à leur convoyage vers et à l'intérieur de la maison de V4 afin d'y être exécutés. S. a ainsi contribué, de manière déterminante, aux homicides des sept détenus de PAVON.

En conclusion, S. a eu un rôle essentiel et de premier plan avant et pendant l'opération, ce qui fait de lui l'un des auteurs principaux des homicides volontaires commis sur ces détenus, avec la précision qu'il a agi en tant que coauteur sur les personnes de V1, V2, V3, V4, V6 et V7 et comme auteur direct sur la personne de V5.

De l'application des art. 111 et 112 CP

27. En l'espèce, le Tribunal constate tout d'abord que l'exécution des victimes a été planifiée par S. et ses acolytes après la conception d'un plan élaboré depuis plusieurs semaines, lequel comprenait notamment l'établissement d'une liste de détenus "indésirables", l'identification et la mise à l'écart de ces derniers puis, enfin, leur exécution méthodique, ainsi que la manipulation des scènes de crime.

La manière dont les victimes ont été tuées doit être qualifiée de particulièrement odieuse, dans la mesure où elles ont été tuées par armes à feu, de plusieurs balles dans les endroits vitaux, alors qu'elles étaient maîtrisées et sans défense. Certaines d'entre elles étaient en outre attachées par les poignets au moment ou juste avant leur exécution et d'autres ont eu des gestes de défense, dans un ultime réflexe de protection et alors qu'elles avaient vu leur agresseur arriver. D'autres encore ont été torturées ou maltraitées physiquement avant leur mort et certaines sont mortes suite à un choc hypovolémique, impliquant qu’elles ont agonisé.

Le Tribunal relève d'une manière générale qu'il n'a été fait que peu de cas de la vie des victimes, dont le statut de détenus n'était pas propre à leur ôter leur qualité d'êtres humains, comme l'attestent notamment la remarque sarcastique de B______ à GP1 s'exclamant que la fête avait été belle, joyeuse. Le Tribunal retient également que S. a tué ou fait tuer des personnes qu'il avait le devoir de protéger.

Le Tribunal relève que cette opération avait pour but de faire des exemples et de démontrer à des détenus rebelles, ou ayant acquis du pouvoir au sein d'une prison, qu'ils n'avaient aucune chance de s'en sortir.

Le Tribunal retient enfin le témoignage particulièrement clair de GP1 à l'audience de jugement, lequel a expliqué qu'avec le recul, il pensait que le plan avait pour but d'éliminer les 25 détenus en cause mais qu'ils n'avaient pas eu le temps, "en raison des complications que eux-mêmes [avaient] créées". En effet, les responsables de ce plan et leurs exécutants avaient pénétré violemment dans PAVON et sorti les prisonniers de façon chaotique, nus, pour les emmener à PAVONCITO et avaient ainsi complètement perdu le contrôle des opérations menées au sein de la prison. Ce témoin pensait que "(…) certains de ceux qui ont participé à ce plan macabre l'ont fait par conviction. D'autres l'[avaient] fait pour de l'argent. D'autres encore l'[avaient] fait par plaisir". A la question de savoir qui avait le pouvoir de demander à des membres de la PNC d'exécuter des prisonniers, il avait répondu : "Le plus haut responsable était le ministre A______". Au-dessous de lui était S.. Ensuite, dans la chaîne de commandement, il y avait B______".

Ainsi, toutes les conditions de l'art. 112 CP étant réalisées, S. sera reconnu coupable de ces sept assassinats commis dans le cadre de l'opération PAVO REAL, dont six en tant que coauteur et un en tant qu'auteur direct.

II. GAVILAN

Remarque préliminaire

28. S'agissant du plan GAVILAN, le Tribunal, tout comme il l'a fait pour le plan PAVON, examinera successivement, pour les volets "Rio Hondo" puis "Las Cuevas", les questions de la crédibilité des témoignages recueillis et autres preuves, de l'identité des victimes et de l'existence d'exécutions extrajudiciaires. Il traitera la question de l'implication de S. en une fois pour les deux volets.

Du plan officiel et du "plan B"

29.1. Il est établi par les pièces de la procédure qu'un plan officiel, établi par la Sous-direction générale des opérations de la PNC et intitulé "OPERACION GAVILAN" (ordre de service n°116-2005 daté du 22 octobre 2005) a été élaboré suite à l'évasion de 19 détenus du centre pénitentiaire EL INFIERNITO. Ce plan officiel avait pour objectif la capture des détenus précités, dont V8, V9 et V10. Selon A______, ce plan avait été élaboré par la PNC et S. avait, dans ce cadre, formé une unité de policiers nationaux afin de capturer ces détenus évadés.

Ce plan avait nécessité plusieurs réunions préparatoires. Quelques jours après l'évasion, A______, H______, E______, B______ et S. avaient participé à une première réunion, au cours de laquelle des équipes avaient été formées pour retrouver les prisonniers évadés. Par la suite, une autre séance (à tout le moins) avait été organisée par H______, qui était en charge de l'opération, et à laquelle participaient d'autres supérieurs hiérarchiques dont E______, à l’exclusion de A______ et S..

29.2. Le Tribunal considère comme établi que, par la suite, le plan initial a été abandonné au profit d'un "plan B", en ce sens que les détenus évadés qui étaient capturés ne devaient pas être réincarcérés mais exécutés. Il se fonde sur le témoignage de PNC16, qui a affirmé que E______ lui avait parlé d'un "plan B" (selon les propres termes de E______), ainsi que sur les déclarations de CICIG2 et CICIG4, qui ont confirmé l'existence de ce "plan B", précisant que cette opération avait été décidée pour faire preuve de force et donner un coup à la population carcérale, le but étant "de montrer aux détenus qu'en cas d'évasion, certains ne reviendraient pas vivants".

A. RIO HONDO

a.    De la crédibilité des témoignages et autres preuves

30.1. S'agissant des témoins entendus dans le cadre du volet "Rio Hondo", le Tribunal retient les témoignages de PNC16 et PNC15 - témoins au bénéfice d'un accord de coopération qui faisaient partie du groupe de capture de V8 - dont il n'y a pas de raisons de mettre en doute la crédibilité, notamment dans la mesure où leurs témoignages se recoupent sur des points nombreux et importants, alors qu'ils sont confirmés notamment par des photographies et le film intitulé "Entrevista [nom de V8] ", dont l'auteur est PNC15. Le Tribunal relève également que ces deux membres de la PNC n'avaient aucun intérêt à témoigner contre leurs anciens supérieurs et qu'ils prenaient des risques en le faisant. A ce sujet, le premier a affirmé avoir respecté les ordres de son supérieur, E______, car il craignait pour sa vie, précisant qu'il n'avait pas dénoncé les faits à l'époque car il n'avait pas confiance dans les autorités, mais qu'il avait conseillé à PNC15 de conserver le film de l'interrogatoire du fugitif car il pourrait leur servir un jour si la situation changeait (précisant "ça va nous défendre").

Le Tribunal relève au surplus que des témoins tels que H______, E______, G______ ou AX______ n'ont qu'une crédibilité limitée dans la mesure où ils ont directement ou indirectement participé aux faits.

30.2. En outre, le Tribunal considère avec certaines précautions le premier "rapport d'autopsie", qui est lacunaire et établi après des manipulations du corps n'ayant pas été effectuées dans les règles de l'art, ainsi que les rapports de police (notamment celui du 3 novembre 2005), dans la mesure où ceux-ci ont été établis par des personnes qui n'ont pas été témoins directs des faits et sur la base d'informations fournies uniquement par E______. Il est notamment établi que ce dernier a clairement imposé à ceux qui les ont rédigé que ces rapports relatent uniquement la version officielle. Il a ainsi incité PNC15 à établir un faux rapport destiné à faire croire à un affrontement entre les forces de l'ordre et le fugitif et a dicté à PNC14, sans que ce dernier ne puisse vérifier la véracité de ses déclarations, le contenu du rapport officiel, que le précité avait accepté d'établir par peur de perdre son poste, voire par crainte pour sa vie, car E______ avait beaucoup de pouvoir.

b. Identité de la victime

31. Le Tribunal tient pour établi que V8, qui faisait partie des détenus évadés de la prison EL INFIERNITO est bien la personne décédée à Rio Hondo le 3 novembre 2005, en se fondant sur le certificat de décès délivré par le Registre national des personnes figurant à la procédure à la pièce 200122.

c.    Exécution extrajudiciaire

32. Selon la version officielle, des informations confidentielles transmises à la PNC avaient permis de déterminer que, le 3 novembre 2005, V8 et d'autres fugitifs portant des armes à feu passeraient à Rio Hondo à bord d'un véhicule volé. Un cordon de police avait dès lors été prévu et, à l'arrivée du véhicule transportant les évadés, ceux-ci ne s'étaient pas arrêtés, malgré l'injonction des policiers. Les détenus avaient ouvert le feu sur les forces de l'ordre, provoquant un affrontement qui s'était soldé par la mort de V8, son complice ayant réussi à prendre la fuite.

Le Tribunal constate que cette version ne résiste pas à l'examen du dossier et retient, au contraire, que l'exécution extrajudiciaire de V8 est établie, en se fondant sur les éléments suivants :

De la maîtrise de la victime avant sa mort

32.1. Le Tribunal tient pour établi que V8 a été maîtrisé avant sa mort. Plus précisément, il retient que, le 2 novembre 2005, V8 avait été interpellé dans une maison à F______ puis emmené pieds nus, uniquement vêtu d'un pantalon et sans arme, au poste de police de cette ville. Peu après, E______ avait ordonné à PNC16 de venir à Rio Hondo car il avait "un plan B", ordre qui avait été exécuté. Arrivés à Rio Hondo, une deuxième équipe, formée notamment de E______, H______ et leurs hommes, dont AX______ et G______, avait pris le commandement des opérations. V8 avait alors été soumis à un interrogatoire en présence de G______ et AW______, portant notamment sur les conditions de son évasion, interrogatoire filmé par PNC15.

32.2. Le Tribunal se fonde sur les témoignages concordants et fiables de PNC16 et PNC15, ainsi que sur le film "Entrevista [nom de V8]", qui montre un homme, maîtrisé, non armé et à moitié nu dans une voiture (identifié comme étant V8 par plusieurs témoins, ce qu'ont confirmé CICIG4 et CICIG2), interrogé sur les conditions de son évasion.

32.3. En conclusion, le Tribunal constate que V8 était désarmé et maîtrisé par plusieurs membres des forces de l'ordre avant sa mort.

Des conditions de la mort de la victime

Témoignages

33.1. Sur la base des témoignages de PNC16 et PNC15, qui ont directement assisté aux faits, le Tribunal retient que V8 a tout d'abord été "préparé" avant d'être exécuté, afin de faire croire qu'il était en fuite au moment de son interpellation et s'y était opposé. En effet, E______ avait ordonné que du papier de journal soit mis entre les menottes et les poignets du détenu, afin de masquer les traces d'entrave, puis G______ avait remis à celui-ci des chaussures. E______ avait alors donné l'ordre d'obstruer le trafic sur les routes avoisinantes, afin d'écarter d'éventuels témoins. Enfin, le fugitif avait été placé dans le véhicule MITSUBISHI volé, sur le siège du copilote, puis exécuté par G______ d'une balle dans la tête avec un pistolet préalablement enveloppée dans un tissu.

Expertises médico-légale et balistique et autres preuves

33.2. Le Tribunal relève que le rapport d'"autopsie" de ML a constaté que V8 présentait plusieurs blessures par arme à feu, dont une au niveau de la tête. La blessure du visage était en rapport avec celle de la partie postérieure de la tête, c’est-à-dire qu'elles avaient été provoquées par le même tir.

En outre, selon les conclusions de l'expertise balistique, les indices trouvés dans le corps de V8 ne correspondaient pas seulement à des armes de grande vitesse, mais aussi à d'autres calibres.

33.3. Le Tribunal se fonde encore sur le cahier photographique (p. 200294), les photographies figurant aux pièces 200284 et ss, notamment 200288, et le croquis des lieux (p. 200299). Il relève enfin que figure à la procédure guatémaltèque une autorisation de versement de GTQ 50'000.- laquelle atteste de la récompense versée à l'informateur ayant aidé à la localisation du fugitif, démontrant que ce dernier avait été donc bien localisé avant de trouver la mort.

Des actes postérieurs au décès : maquillage de la scène de crime

34. Le Tribunal retient, toujours sur la base des témoignages de PNC16 et PNC15, que la scène de crime a été maquillée. Ces deux témoins ont décrit la même scène, à savoir qu'AX______ avait fait avancer le véhicule pour l'encastrer dans un mur puis, alors que le fugitif était à l'intérieur, le précité et G______ avaient ouvert le feu en direction de la voiture, la criblant de balles. L'un des deux hommes avait ensuite placé un fusil d'assaut, de type AK47, entre les jambes de V8, qui était mort.

Conclusion

35. Pour les motifs susrappelés, le Tribunal ne retient pas la thèse de la résistance du fugitif, ni celle de son affrontement avec les forces de l'ordre. En conclusion, il tient pour établi que V8 a été exécuté alors qu'il avait été complètement maîtrisé et n'était pas en état de se défendre. Il considère que la thèse selon laquelle l'intéressé se serait procuré une arme après sa maîtrise et selon laquelle son complice se serait évadé est fantaisiste.

B. LAS CUEVAS

a.    Crédibilité des témoignages et autres preuves

36.1. S'agissant des témoins entendus dans le cadre du volet "Las Cuevas", le Tribunal considère comme probant les témoignages de PNC20 et PNC19, qui faisaient partie du groupe chargé de la capture de V9 et V10, dont il n'y a pas de raisons de mettre en doute la crédibilité, notamment dans la mesure où leurs témoignages se recoupent sur des points nombreux et importants et qu'ils sont confirmés notamment par d'autres témoignages et des pièces ainsi que par des photographies. Le Tribunal relève également que PNC20 et PNC19 n'avaient aucun intérêt à témoigner contre leurs anciens supérieurs et prenaient des risques en le faisant.

36.2. Pour le surplus, les considérations émises sous point 28.2. concernant le manque de fiabilité des témoignages de H______, E______, G______ ou AX______ et des rapports de police et d'autopsies, restent valables. Dans le cas précis, le Tribunal remarque que PNC19 a expliqué qu'il avait relaté la version officielle dans son premier rapport car sa vie aurait été en danger s'il l'avait rédigé différemment, et qu'il l'avait par la suite rectifié, mentionnant que les coups de feu avaient eu lieu après la maîtrise des fugitifs. Quant à AZ______, il a admis avoir caché la vérité dans un premier temps par peur qu'il ne lui "arrive quelque chose à lui ou à ses enfants".

b.   Identités des victimes

37. Le Tribunal tient pour établi que V10 et V9, qui faisaient partie des détenus évadés de la prison EL INFIERNITO, sont bien les personnes décédées à Las Cuevas le 1er décembre 2005, en se fondant sur les certificats de décès délivrés par le Registre national des personnes, figurant à la procédure aux pièces 200175 et 176.

c.    Exécutions extrajudiciaires

38. Selon la version officielle, les fugitifs se seraient rebellés en utilisant des armes contre les forces de l'ordre, rébellion qui se serait soldée par leur mort. Le Tribunal constate que cette version ne résiste pas à l'examen du dossier et retient, au contraire, que les exécutions extrajudiciaires de V9 et V10 sont établies, en se fondant sur les éléments suivants.

De la maîtrise des victimes avant leur mort

39.1. Le Tribunal tient pour établi que V10 et V9 ont été maîtrisés avant leur mort. Plus précisément, les fugitifs, qui avaient été repérés plusieurs jours auparavant, se trouvaient dans des grottes au bord d'une rivière, soit en un lieu isolé et confiné, sans possibilité d'échappatoire, l'un d'entre eux muni d'un révolver. Les opérations, confiées dans un premier temps à PNC20 et PNC19, avaient finalement été coordonnées par H______, qui avait repris le commandement suite à "des ordres de ses supérieurs". H______ était venu avec son équipe de travail, composée notamment de B______, E______ et G______. Deux groupes avaient été constitués puis étaient partis en direction des grottes. Le premier s'était perdu mais celui que E______ dirigeait et dont faisait partie PNC19 était finalement parvenu à la cachette des fugitifs, qui dormaient lorsque la police était intervenue. L'un d'eux avait ensuite essayé de s'emparer du revolver, avant d'y renoncer, quand il avait constaté la présence de la police et entendu le bruit des armes. Les deux fugitifs avaient été menottés par le groupe de E______. Ce dernier était resté sur les lieux, exposant à PNC19 avoir d'autres "plans supérieurs" et précisant que les prisonniers n'allaient pas sortir en vie de cet endroit. Le témoin avait ensuite quitté les lieux, alors que les fugitifs étaient assis dans le sable et menottés. Environ cinq minutes plus tard, avait entendu des coups de feu puis les avait vu morts.

39.2. Le Tribunal considère que ces faits sont établis par les témoignages concordants et fiables de PNC20 et PNC19. Ce dernier était présent sur les lieux et avait vu les victimes vivantes et menottées avant leur exécution, étant précisé que E______ lui avait dit clairement que l'instruction des supérieurs était de tuer les fugitifs. PNC20 avait, quant à lui, vu les cadavres "perforés par des armes à feu". Le Tribunal retient également le témoignage d'AZ______ qui a finalement affirmé que les fugitifs avaient été capturés avant qu'il entende des coups de feu.

Des conditions de la mort des victimes

Témoignages

40.1. Le Tribunal relève qu'il n'existe pas de témoin direct des exécutions de V10 et V9. En revanche, certaines personnes, dont PNC19, se trouvaient à proximité et ont entendu les coups de feu avant de voir les cadavres des fugitifs. Ce dernier a d'ailleurs déclaré qu'à son avis et vu les déclarations de E______, la mort des détenus avait été programmée.

Expertises médico-légales et autres preuves

40.2. Le Tribunal retient que, selon les rapports d'autopsies du 1er décembre 2005, V9 et V10 avaient subi de multiples lésions par armes à feu (respectivement onze et cinq lésions), dont plusieurs étaient situées dans le crâne, le thorax ou l'abdomen. S'agissant de V10, ML a également précisé que l'une des blessures observée au front présentait des caractéristiques en forme d'étoile, typiques de blessures effectuées "à contact", ce qui excluait un décès lors d'un acte de résistance.

40.3. Le Tribunal se fonde enfin sur les photographies figurant au dossier (200'427ss) et relève que figure à la procédure guatémaltèque l'autorisation de versement de GTQ 50'000.- à l'informateur, laquelle atteste de la récompense ayant aidé à la localisation des fugitifs.

Des actes postérieurs aux décès : maquillage des scènes de crime

41.1. Le Tribunal est également convaincu qu'il y a eu manipulation de la scène de crime, en ce sens que des armes ont été placées dans les mains des fugitifs après leur décès, puis que les cadavres ont été transportés par hélicoptère et abandonnés à plusieurs kilomètres du lieu des exécutions.

41.2. Il se fonde notamment sur la déclaration de CICIG4 selon laquelle, une fois les fugitifs morts, un revolver, respectivement une machette, avaient été placés dans leurs mains. PNC18 a, quant à lui, confirmé avoir découvert deux cadavres attachés et emballés sur le terrain de basket d'______, précisant qu'il était évident que les personnes décédées n'avaient pas été exécutées à cet endroit. Enfin, CICIG2 a encore ajouté, à l'audience de jugement, que l'Etat avait loué ledit hélicoptère, la veille vers 17h00 ou 18h00, indiquant au pilote qu'il devrait rechercher une patrouille perdue alors qu'à ce moment, l'opération n'avait pas encore commencé et que l'hélicoptère avait servi au déplacement des cadavres.

Conclusion

42. Pour tous les motifs susrappelés, le Tribunal ne retient pas la thèse de la résistance des fugitifs, ni celle de l'affrontement avec les forces de l'ordre, en se fondant sur les déclarations de PNC19, affirmant que les prisonniers n'avaient opposé aucune résistance, ainsi que sur les conclusions de CICIG4 selon lesquelles, compte tenu du nombre de balles tirées et de la localisation des blessures sur les victimes, les coups avaient été tirés "pour tuer et non pour soumettre". En conclusion, il retient que V9 et V10 ont été exécutés alors qu'ils avaient été complètement maîtrisés avant leur mort.

d. Implication de S.

43. Il n'est pas contesté que, les jours des exécutions, le prévenu n'était présent ni à Rio Hondo, ni à Las Cuevas. Il y a dès lors lieu de déterminer si S. a, de toute autre manière, joué un rôle dans les exécutions extrajudiciaires d'V8, de V10 et de V9, en particulier en donnant des ordres aux exécutants présents.

Généralités sur le rôle du chef de la PNC

44. D'une manière générale, le Tribunal relève que la responsabilité du plan GAVILAN incombait au chef de la PNC et la responsabilité opérationnelle au chef de DINC, E______, qui rapportait les évènements à son supérieur, S.. Ce dernier avait également participé à l'élaboration de ce plan, en compagnie de B______ et E______. Il était encore présent à une réunion organisée quelques jours après les évasions de la prison EL INFIERNITO avec A______, H______ et E______.

Relativement au fonctionnement de la PNC, le Tribunal retient les explications de CICIG4 selon lesquelles S. et A______ étaient tenu au courant des opérations et que les informations sur les arrestations des fugitifs leur avaient sans aucun doute été transmises. Ce témoin se fondait sur sa propre expérience de conseiller de la PNC au Guatemala en 1998/1999, période pendant laquelle le système de transmission d'informations de la Guardia civil espagnole avait été transposé à la police guatémaltèque. Or, celui-ci comportait des directives très claires selon lesquelles, pour chaque opération importante, les supérieurs étaient informés par la personne responsable de l'opération. Ainsi, les rapports hiérarchiques entre les intéressés tendent à démontrer que S. devait être au courant de ce qui se passait et y avait acquiescé.

Présence des subordonnés de S.

A Rio Hondo

45.1. Le Tribunal relève tout d'abord la présence sur les lieux de Rio Hondo de E______, subordonné de S., qui, en tant que personne en charge en première ligne et sur le plan opérationnel de l'exécution du plan GAVILAN, donnait les ordres aux participants présents. Il constate également que AX______ et G______, tous deux membres de la PNC ayant de fait un statut hiérarchique de subalternes de S., étaient également présents. De plus, les membres de la PNC PNC15 et PNC16 ont affirmé que S. connaissait le plan, même si le second a précisé qu'il ne leur avait donné aucun ordre lors de la réunion à laquelle ils avaient participée, mais s'était contenté de les motiver. Il ne savait pas qui avait donné les ordres à E______ pendant l'opération.

A Las Cuevas

45.2. Le Tribunal retient que le même commando se trouvait à Las Cuevas, formé notamment de E______, qui donnait les ordres, et de G______ et AX______, ainsi que de nombreux autres membres de la PNC. Par la suite, B______, fidèle lieutenant du prévenu, les avait rejoints et avait fait partie du groupe dont PNC20 avait eu le commandement.

45.3. Le Tribunal retient ainsi que, dans les deux cas, des subordonnés de S. ont directement participé à l'opération puis à l'exécution des fugitifs, sur ordre de l'un de ses subordonnés directs, soit E______, et qu'il apparaît très peu vraisemblable qu'ils aient agi sans instructions ou ordres du directeur de la PNC.

Autres éléments de preuves : relevés téléphoniques

A Rio Hondo

46.1.1. Le Tribunal est encore en possession d'informations selon lesquelles S., et probablement le Ministre de l'Intérieur, étaient en contacts téléphoniques avec E______ avant et pendant l'opération, soit les 2 et 3 novembre 2005.

Le Tribunal relève tout d'abord l'existence, selon les témoins PNC16 et PNC15, d'un appel entre, vraisemblablement, A______ et E______, celui-ci ayant prononcé au téléphone les mots : "Oui, Monsieur le Ministre, à vos ordres Monsieur le Ministre".

Il retient également les déclarations de CICIG4 qui a consulté des relevés téléphoniques démontrant que S. était tenu au courant des faits par E______ et qu'en particulier, le 3 novembre 2005, ces derniers avaient été en contacts téléphoniques réguliers. Interrogé précisément sur ce point par le Tribunal, CICIG4 a ajouté avoir vu ces listings téléphoniques chez l'opérateur BE______ à l'écran, mais n'avoir pas pu se les procurer sous forme papier. Il n'a pas pu donner de précisions sur le nombre d'appels effectués entre E______ et S., tout en affirmant qu'il y en avait eus plusieurs, dès 03h00 et jusqu'à environ 14h00 ou 15h00. Il a enfin ajouté que ces documents n'étaient jamais parvenus au Ministère public spécial pour la CICIG dans la mesure où ces listings avaient disparu lorsqu'ils avaient été demandés à la compagnie de téléphone.

Indépendamment du témoignage des précités, et en particulier de celui de CICIG4, que le Tribunal tient pour crédible, celui-ci constate qu'il n'est pas en possession desdits listings téléphoniques qui lui permettraient de quantifier et qualifier la nature des contacts ayant eu lieu entre E______, ou d'autres exécutants, et S. avant et pendant l'arrestation de V8, soit lors de son transfert de ______ à Rio Hondo, lors de sa remise au groupe formé de G______, AX______ et E______, puis au moment de son exécution.

46.1.2. En conclusion, quand bien même il existe plusieurs éléments tendant à démontrer l'implication de S. dans l'exécution extrajudiciaire de V8, le Tribunal constate qu'il ne dispose pas d'éléments matériels probants suffisants. En effet, au vu de l'exigence de preuve élevée qui se justifie dans le cas présent compte tenu de sa gravité, le Tribunal montrera une certaine retenue et ne retiendra pas son implication directe dans cet homicide.

A Las Cuevas

46.2. Le Tribunal retient, sur la base du témoignage de CICIG4, qu'au moment de ces opérations, PNC19 avait informé E______ des évènements en cours, lequel informait, à son tour et de manière directe, A______, S. et B______. Toutefois, ce témoin a affirmé ne jamais avoir vu les relevés téléphoniques y relatifs, ni sous forme informatique, ni sous forme papier (avec la précision que, selon la procédure, le réseau téléphonique ne passait pas dans ces lieux). Aucune information ou pièce complémentaire n'a pu être apportée à ce sujet.

Le Tribunal estime ainsi qu'il n'est pas en possession d'éléments suffisants pour impliquer directement S. dans ces homicides, au-delà de tout doute raisonnable.

Conclusion

47. Vu les motifs susvisés et en application du principe in dubio pro reo, S. sera acquitté du chef d'assassinat sur les personnes de V8, V10 et V9, soit du point II. de l'acte d'accusation.

De la peine

48.1. La peine-menace de l'article 112 CP est une peine privative de liberté à vie ou une peine privative de liberté de dix ans au moins.

La peine privative de liberté à vie est la sanction la plus lourde du Code pénal (art. 40 al. 1 CP). Elle constitue le plafond du cadre légal des infractions qui la prévoient.

La peine doit être fixée d'après la culpabilité de l'auteur (art. 47 al. 1 phr. 1 CP), en tenant compte des antécédents de l'auteur, de sa situation personnelle ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir (art. 47 al. 1 phr. 2 CP).

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP). Il appartient au juge de pondérer les différents facteurs de fixation de la peine (ATF 134 IV 17 consid. 2.1).

Par ailleurs, l'article 49 CP dispose qu'en cas de concours d'infractions, soit lorsque, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion.

Aucune circonstance atténuante, au sens de l'article 48 CP, n'est en l'espèce réalisée et n'a, par ailleurs, été plaidée.

48.2. En l'espèce et d'une manière générale, le Tribunal constate tout d'abord que S., en tant que chef de la PNC, a fait partie des principaux dirigeants qui ont participé à l'élaboration et à l'exécution d'un plan pour la reprise de la prison PAVON, dont le but final était l'exécution de détenus encombrants. Ces faits impliquent une préméditation et une organisation sophistiquée et ont abouti à l'exécution extrajudiciaire de sept détenus, dont l'un a été directement abattu par le prévenu.

La faute de S. est ainsi particulièrement lourde au vu des circonstances du cas d'espèce, détaillées dans le présent jugement, et qui n'ont pas d'équivalent à Genève à ce jour. Le prévenu s'en est pris au bien juridique le plus précieux, soit la vie, à plusieurs reprises. La gravité des lésions commises, leur nombre ainsi que le caractère répréhensible des actes sont donc extraordinairement importants, étant pour le surplus relevé qu'il n'a été fait aucun cas de la vie des sept victimes dont le statut de détenus - hommes privés de liberté, sous la protection de l'Etat et que l'intéressé avait le devoir de protéger - n'était pas propre à leur ôter leur qualité d'êtres humains.

L'intensité délictuelle a été, elle aussi, extrême sur une période de temps de plusieurs mois si l'on tient compte du temps de l'élaboration du plan et des préparatifs proprement dits, à laquelle s'ajoute le temps de l'exécution du plan, qui a duré la nuit du 24 au 25 septembre 2006, ainsi que la matinée de ce dernier jour.

Au vu des sept assassinats perpétrés, le concours d'infractions sera retenu, ce qui est un facteur aggravant de la peine (art. 49 CP), et ce pour des infractions toutes graves en elles-mêmes.

Le Tribunal retient en outre que le prévenu a eu, en tout temps, une pleine liberté décisionnelle et opérationnelle compte tenu de sa position hiérarchique au sein de la PNC, réfutant ainsi la thèse selon laquelle il n'avait eu aucun rôle actif, comme il l'a soutenu tout au long de la procédure et jusqu'en audience de jugement.

Les mobiles de S. sont, comme déjà relevé, particulièrement odieux, s'agissant de supprimer la vie de détenus pour des motifs idéologiques et politiques, étant précisé que celui-ci désirait probablement tirer un bénéfice politique de cette opération. En effet, il sera rappelé qu'immédiatement après son exécution, l'opération PAVON a été bien accueillie politiquement et publiquement au Guatemala et que son "succès" a permis au chef de la sécurité pénitentiaire d'être candidat à la présidence.

Le Tribunal fait également sienne la thèse des enquêteurs selon laquelle le prévenu faisait partie d'une structure étatique chargée de commettre des actes de nettoyage social et des exécutions de personnes "indésirables" et qu'il avait formé son propre groupe "Los Elefantes Demoledores" à cette fin.

La collaboration du prévenu, au cours de l'instruction et en audience de jugement, a été mauvaise. Il n'a, en effet, jamais donné d'explications plausibles, malgré les preuves présentées, et n'a eu de cesse d'offrir aux questions qui lui étaient posées des réponses lacunaires. Il a également eu recours à des manœuvres d'intimidation sur certains témoins, usé et abusé de procédés dilatoires, interjetant de multiples recours devant toutes les autorités, et demandant la récusation du Procureur en charge à de multiples reprises.

S. n'a, en outre, rien laissé paraître devant le Tribunal qui permettrait de retenir qu'il a pris pleine conscience de la gravité des faits commis, le prévenu n'ayant pas même exprimé des remords, si ce n'est sur son propre sort.

Il sera en outre relevé qu'il n'a pas d'antécédents judiciaires.

Partant, compte tenu notamment de la gravité des faits, du nombre de victimes, de leur mode d'exécution, de l'absence d'empathie du prévenu à l'égard de celles-ci et de l'absence de prise de conscience de la gravité de ses agissements, seule une peine privative de liberté à vie est susceptible de sanctionner le comportement de S..

Des conclusions civiles

49.1. En vertu de l'art. 126 al. 1 let. a CPP, le Tribunal statue sur les prétentions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu.

Chacun est tenu de réparer le dommage qu'il cause à autrui d'une manière illicite, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence (art. 41 al. 1 CO). La preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO).

La responsabilité délictuelle instituée par l'art. 41 al. 1 CO requiert que soient réalisées cumulativement quatre conditions, soit un acte illicite, une faute de l'auteur, un dommage et un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l'acte fautif et le dommage (ATF 132 III 122 consid. 4.1 p. 130).

Aux termes de l'art. 47 CO, le juge peut en outre, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d'homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale. L'ampleur de la réparation morale prévue par cette disposition légale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie par l'ayant droit et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte. Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge. En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit toutefois être équitable (arrêt du Tribunal fédéral du 24 avril 2008 dans la cause 6B_135/2008 consid. 3.1; ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704/705; ATF 129 IV 22 consid. 7.2 p. 36). Le juge en fixe donc le montant en proportion de la gravité de l'atteinte subie en évitant que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime.

Pour fixer le montant de l'indemnité prévue à l'art. 47 CO, la comparaison avec d'autres affaires doit se faire avec prudence, dès lors que le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment au malheur qui le frappe. Cela étant, une comparaison n'est pas dépourvue d'intérêt et peut être, suivant les circonstances, un élément utile d'orientation (cf. ATF 125 III 269 consid. 2a p. 274).

En cas de décès, le juge doit prendre en compte le lien de parenté entre la victime et le défunt pour fixer le montant de base. La perte d'un conjoint est ainsi généralement considérée comme la souffrance la plus grave, suivie de la mort d'un enfant et de celle d'un père ou d'une mère. Le juge adapte ensuite le montant de base au regard de toutes les circonstances particulières du cas d'espèce. Il prend en compte avant tout l'intensité des relations que les proches entretenaient avec le défunt et le caractère étroit et harmonieux de ses dernières. Outre l'intensité des relations, la pratique retient notamment comme autres circonstances à prendre en compte l'âge du défunt et de ceux qui lui survivent, le fait que le lésé a assisté à la mort, les souffrances endurées par le défunt avant son décès, le fait que ce dernier laisse les siens dans une situation financière sûre, le comportement vil de l'auteur ou au contraire, la souffrance de celui-ci. Pour la perte d'un enfant adulte, les tribunaux allouent généralement à chacun des deux parents une indemnité de CHF 25’000.- à CHF 30’000.-, exceptionnellement CHF 40'000.- (K. HÜTTE / P. DUCKSCH / K. GUERRERO, Le tort moral, une présentation synoptique de la jurisprudence, Genève, Zurich, Bâle 2006, affaires jugées de 2001 à 2002, III/3 et de 2003 à 2005, III/2 à III/3, III/5, III/7; S. CONVERSET, Aide aux victimes d'infractions et réparation du dommage, de l'action civile jointe à l'indemnisation par l'Etat sous l'angle du nouveau droit, Genève, Zurich, Bâle 2009, p. 370 s).

49.2. En l'espèce, la partie plaignante conclut à ce que S. soit condamné à lui verser :

- CHF 40'000.- avec intérêts, à titre d'indemnité pour tort moral suite au décès de son fils;

- CHF 15'000.- au titre de son "tort moral propre", compte tenu du comportement du prévenu à son égard, lequel a tenté de l'intimider lors de sa constitution de partie plaignante puis a contribué à ce que son identité soit connue de tous, notamment au Guatemala, ce qui lui fait craindre pour sa vie et celle de ses proches.

49.2.1. S'agissant tout d'abord du second point, le Tribunal constate que les conditions de l'art. 41 CO ne sont pas remplies. Aucun acte illicite n'a été reproché à S. relativement à de telles "pressions" pendant la procédure d'enquête et lors de l'audience de jugement et, ainsi, aucun lien de causalité ne peut être retenu.

49.2.2. S'agissant du premier point, le Tribunal, au vu de l'ensemble des circonstances, condamnera le prévenu à payer un tort moral de CHF 30'000.- àD. S. V. pour tenir compte de sa souffrance en tant que mère, en tenant compte notamment du fait que cette dernière a dû vivre l'épreuve de l'identification du corps de son fils après des heures d'incertitude quant à la mort de ce dernier, qui avait tout d'abord été identifié sous un autre nom. Ce montant, conforme à la pratique jurisprudentielle, tient compte des circonstances exceptionnelles du cas d'espèce.

La partie plaignante conclut également à la condamnation du prévenu aux frais. Cette demande est justifiée et il y sera en conséquence donné une suite favorable.

49.3. Les frais de la procédure seront mis à la charge du prévenu (art. 426 al. CPP).


 

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL CRIMINEL

statuant contradictoirement :

Reconnaît S. coupable du chef d'assassinat (art. 111 et 112 CP) pour les chefs d'accusation visés sous point I.1. de l'acte d'accusation.

Acquitte S. du chef d'assassinat (art. 111 et 112 CP) pour les chefs d'accusation visés sous points II.2. et III.3. de l'acte d'accusation.

Le condamne à une peine privative de liberté à vie, sous déduction de 645 jours de détention avant jugement (art. 40 CP).

Ordonne, par décision séparée, le maintien en détention de sûreté de S. (art. 231 al. 1 CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de S..

Condamne S. à payer la somme de CHF 30'000.--, plus intérêts à 5 % dès le 25 septembre 2006, à D. S. V., à titre de tort moral.

Rejette pour le surplus toutes autres conclusions des parties.

Ordonne la communication du présent jugement au Service du casier judiciaire et au Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

Condamne S. en tous les frais de la procédure, qui s'élèvent définitivement à CHF 297'062.95, y compris un émolument de jugement arrêté à CHF 25'000.-- (étant précisé que, dans le dispositif du jugement, S. avait été condamné provisoirement à CHF 261'923.--, y compris ledit émolument).

 

La Greffière

Céline DELALOYE JAQUENOUD

La Présidente

Isabelle CUENDET

 


 

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, Case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

La partie plaignante ne peut pas interjeter recours sur la question de la peine ou de la mesure prononcée (art. 382 al. 2 CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, Case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé. Dans sa déclaration, elle indique:

  1. si elle entend attaquer le jugement dans son ensemble ou seulement certaines parties;
  2. les modifications du jugement de première instance qu'elle demande;
  3. ses réquisitions de preuves.

Quiconque attaque seulement certaines parties du jugement est tenu d'indiquer dans la déclaration d'appel, de manière définitive, sur quelles parties porte l'appel, à savoir:

  1. la question de la culpabilité, le cas échéant en rapport avec chacun des actes;
  2. la quotité de la peine;
  3. les mesures qui ont été ordonnées;
  4. les prétentions civiles ou certaines d'entre elles;
  5. les conséquences accessoires du jugement;
  6. les frais, les indemnités et la réparation du tort moral;
  7. les décisions judiciaires ultérieures.

 

ETAT DE FRAIS

Frais du Ministère public

CHF

213'129.80

Frais de la BPTS

CHF

7'020.00

Frais de traduction

CHF

14'744.60

Convocations devant le Tribunal

CHF

900.00

Frais postérieurs à la transmission du dossier au Tribunal criminel

CHF

588.60

Frais postaux (convocation)

CHF

150.00

Indemnités payées aux témoins/experts

CHF

Indéterminés au jour du dispositif

Indemnités payées aux interprètes

CHF

340.00

Émolument de jugement

CHF

25'000.00

Etat de frais

CHF

50.00

Total

Indemnités payées aux témoins/experts

Total définitif des frais

CHF

CHF

CHF

261'923.00

35'139.95

297'062.95