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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4071/2021

ATAS/349/2022 du 19.04.2022 ( LAA ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4071/2021 ATAS/349/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 19 avril 2022

6ème Chambre

 

En la cause

 

Monsieur A______, domicilié à GENÈVE

 

recourant

 

contre

 

Allianz Suisse Sociéte d'Assurances SA, sise Richtiplatz 1, WALLISELLEN

 

intimée

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré ou le recourant), né le ______ 1966, a été victime d'une fracture du tibia droit ainsi qu'une déchirure du ligament croisé antérieur du genou droit après avoir été renversé par une moto le 2 juillet 1996 et chuté alors qu'il circulait à vélo. Il a subi une fracture du tibia, une plaie ouverte de la rotule, au membre inférieur droit et une rupture du ligament croisé antérieur, nécessitant plusieurs opérations. Les conséquences de cet événement ont été prises en charge par Elvia Assurances, laquelle a été reprise par l'Allianz Suisse Société d'Assurances SA (ci-après : l’assurance ou l'intimée). Par la suite, l’assuré a récupéré sa pleine capacité de travail.

b. Le 23 janvier 2014, l’assuré s'est tordu la cheville et le genou droit en chutant sur un bord d’un trottoir.

c. Le 6 mai 2015, le Dr B______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, a attesté que l’assuré se trouvait dès cette date en incapacité de travail totale. Dès lors et jusqu’au 19 février 2016, l’assurance a versé à l’assuré des indemnités journalières.

d. Par décision du 27 mai 2016, puis par décision sur opposition 8 février 2017, l’assurance a statué en ce sens que le trouble à la santé subi par l’assuré du fait des accidents en cause avait disparu au 20 février 2016, de sorte que toute prestation prenait fin au 19 février 2016. Elle s’est principalement basée sur un rapport du Dr C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur du 20 avril 2016.

B. a. Le 13 mars 2017, l’assuré a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre la décision sur opposition de l’assurance, en concluant à la poursuite du versement des indemnités journalières.

b. Une procédure A/853/2017 a été ouverte auprès de la chambre de céans, portant sur le point de savoir si les troubles survenus à la suite des accidents de 1996 et 2014 donnent droit à des prestations au-delà du 19 février 2016.

c. Dans le cadre de cette procédure, la chambre de céans a, en date du 16 mars 2018, ordonné une expertise judiciaire bi-disciplinaire (ATAS/238/2018), et l’a confiée au Prof. D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, et à la Dresse E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

d. En ce qui concerne les troubles à l’appareil moteur de l’assuré, le rapport d’expertise du 21 novembre 2018 du Prof. D______ a conclu qu’il existait une atteinte durable stabilisée au genou et au tendon d’Achille droit, atteinte initialement causée par l’accident du 2 juillet 1996, mais aggravée par l’accident du 23 janvier 2014. Cette atteinte engendrait une incapacité de travail de 30%, l’assuré étant capable de travailler à 70% dans une activité adaptée dès à tout le moins 2018. Il recommandait en outre le versement d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15% complémentaire à celle de 10% octroyée en lien avec l’accident originaire de 1996.

S’agissant de l’atteinte alléguée au pied droit et à la cheville droite, il n’était en revanche pas possible d’établir une cause objective aux souffrances dont faisaient état l’assuré. Sur ce plan, il n’existait donc pas d’atteinte durable objectivable sur le plan médical à la date de l’expertise car le statut quo sine (soit l’état médical de l’assuré si l’accident n’était pas survenu) avait été atteint six mois après l’accident.

e. En ce qui concerne les troubles psychiques de l’assuré, le rapport d’expertise de la Dresse E______ du 16 janvier 2019 a conclu que l’accident du 23 janvier 2014 était la cause naturelle hautement vraisemblable d’une atteinte psychique légère à modérée entrainant une baisse de rendement de 50%.

f. Le Prof. D______ a complété, le 29 juillet 2019, son rapport d’expertise en analysant les photos et vidéos issues de la surveillance de l’assuré réalisée par l’assurance. Sur cette base, il a maintenu les conclusions de son rapport d’expertise initial. Les photos et vidéos susmentionnées étaient par ailleurs de nature à démontrer la faible activité physique déployée par l’assuré, en conformité avec le contenu de l’expertise. L’expert a en outre précisé que la reprise d’un travail à 100% dans une activité adaptée avec un traitement conservateur en parallèle pourrait être envisagée si une intervention chirurgicale permettait de faire disparaitre les douleurs subies par l’assuré. Toutefois, il doutait qu’une intervention chirurgicale permettrait d’aboutir à ce résultat, vu l’évolution des troubles au genou droit depuis 1996.

g. Par arrêt ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020, la chambre de céans a jugé que l’état de santé de l’assuré s’était stabilisé au 22 juillet 2014 s’agissant du pied et de la cheville droite, le trouble médical ayant disparu à cette date. En ce qui concernait les troubles au genou droit et au tendon d’Achille droit de l’assuré, ils avaient été causés, respectivement aggravés, par l’accident du 23 janvier 2014 et devaient être considérés comme stabilisés au 19 février 2016. Ces troubles entrainaient une incapacité de travail de 30%, même dans une activité respectant les limites fonctionnelles de l’assuré, à savoir notamment des déplacements limités et l’absence de port de charges. S’agissant des troubles psychiques de l’assuré, ils étaient en relation de causalité naturelle avec l’accident du 23 janvier 2014, mais non en lien de causalité adéquate vu leur faible gravité. Ils n’entrainaient donc pas d’incapacité de travail.

En conséquence, la chambre de céans a réformé la décision sur opposition du 8 février 2017 et renvoyé la cause à l’assurance pour qu’elle statue sur les prestations durables, et notamment sur l’octroi d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité, et d’une rente d’invalidité dès le 19 février 2016, sur la base des conclusions de l’expertise judicaire. L’assurance était aussi chargée d’examiner la question de la prise en charge des traitements médicaux. L’arrêt ATAS/51/2020 n’a pas fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

C. a. Le 15 avril 2021, l’assuré a saisi la chambre d’un recours pour déni de justice, l’assurance n’ayant toujours pas statué plus d’un an après la notification de l’ATAS/51/2020.

b. Le 17 juin 2021, l’assurance a répondu en admettant un retard dans le traitement du dossier et a indiqué qu’une décision serait rendue dans les meilleurs délais.

c. Par arrêt ATAS/695/2021 du 28 juin 2021, la chambre de céans a admis le recours en déni de justice de l’assuré. Elle a constaté qu’aucun acte d’instruction relatif au dossier de l’assuré n’avait eu lieu depuis l’ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020 et a ordonné à l’assurance de rendre une décision dans les meilleurs délais. Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

d. Dans un rapport daté du 6 juillet 2021, le Dr F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, a retenu que l’assuré souffrait de troubles à l’épaule droite, à la cheville droite et au genou droit, suite à des évènements survenus en 1996, 2014 et 2019. Il préconisait un traitement conservateur avec une potentielle intervention « mini-invasive » dans le dernier cas si ce traitement conservateur s’avérait insuffisant.

e. Par courrier recommandé du 14 septembre 2021, l’assuré a mis en demeure l’assurance de statuer, notamment concernant la prise en charge de ses frais médicaux.

f. Par courrier daté du 22 octobre 2021, le Dr F______ a requis de l’assurance une confirmation de prise en charge d’une opération du genou droit de l’assuré planifiée pour le 2 décembre 2021.

D. a. Par courrier du 25 novembre 2021, l’assuré a déposé un nouveau recours pour déni de justice contre l’assurance. Celle-ci n’avait pas encore rendu de décision et ne prenait pas en charge ses soins médicaux.

b. Par mémoire du 10 février 2022, l’assurance a répondu en concluant au rejet du recours pour déni de justice sous suite de dépens. Elle a annoncé qu’elle attendait un rapport d’expertise complémentaire pour statuer.

c. Une audience en présence des parties a été tenue au 28 février 2022. Dans ce cadre, le recourant a informé la chambre de céans qu’une opération de son genou avait été planifiée en janvier 2020 mais qu’elle n’avait jusqu’alors pas pu avoir lieu faute de décision de l’intimée. Celle-ci a précisé que si elle n’avait pas encore rendu de décision, c’était qu’elle désirait confier une nouvelle expertise au Dr G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, s’agissant du genou, du talon d’Achille, de la cheville et du pied droit du recourant. Elle considérait en outre qu’il était approprié d’attendre le résultat d’une instruction parallèle d’un trouble potentiel à l’épaule et à la colonne du recourant suite à une chute survenue en 2019.

À la fin de l’audience, la chambre de céans a requis de l’intimée qu’elle indique d’ici au 7 mars 2022 si elle était prête à mettre en œuvre l’arrêt ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020, respectivement à rendre une décision dans le sens indiqué par cet arrêt.

d. Par courrier du 7 mars 2022, l’assurance a annoncé qu’elle était toujours en attente du résultat de la nouvelle expertise confiée au Dr G______, laquelle portait en particulier sur les troubles au genou droit du recourant. C’était uniquement sur cette base qu’elle serait en mesure de fixer le taux d’invalidité de l’assuré et le montant de son indemnité pour atteinte à l’intégrité. En effet, de l’opinion de l’intimée, il ressortait de l’ATAS/51/2020 que la capacité de travail du recourant dans une activité adaptée était « d’au moins 70% » et que cette question nécessitait donc une clarification complémentaire. En revanche, elle avait bien mis fin au paiement des indemnités journalières pour le 19 février 2016, en conformité avec l’ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020.

e. En date du 6 avril 2022, le recourant s’est encore déterminé sur le courrier de l’assurance.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

En vertu de la LPGA, un recours peut être formé lorsque l'assureur, malgré la demande de l'intéressé, ne rend pas de décision ou de décision sur opposition (art. 56 al. 2 LPGA). Il ne fait pas de doute que l'art. 134 al. 1 LOJ couvre également les recours en déni de justice (dans le même sens : ATF 130 V 90 consid. 2 ; ATAS/1316/2021 du 15 décembre 2021 consid. 2.1 ; ATAS/1157/2021 du 15 novembre 2021 consid. 1.2 ; ATAS/941/2021 du 13 septembre 2021 consid. 2).

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             En matière sociale, un recours pour déni de justice doit respecter les formes prévues par l’art. 61 let. b LPGA, respectivement par l’art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Il peut être déposé en tout temps selon l’art. 4 al. 4 LPA.

Interjeté pour le surplus dans les formes prévues par la loi (cf. art. 89B LPA), le recours est recevable.

3.             L’objet du litige est de savoir si l’absence de décision de l’intimée à la suite de l’ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020, ainsi que l’ATAS/695/2021 du 28 juin 2021 constitue un déni de justice. Dans ce cadre, il convient en particulier de clarifier si le fait d’attendre le résultat d’une nouvelle expertise ordonnée par l’intimée apparait pertinent.

4.              

4.1 Il y a retard injustifié à statuer lorsque l'autorité administrative ou judiciaire compétente ne rend pas la décision qu'il lui incombe de prendre, dans un délai légal ou dans un délai, que la nature de l'affaire ainsi que toutes les autres circonstances du cas d’espèce, font apparaître comme raisonnable (ATF 144 I 318 consid. 7.1 ; ATF 135 I 265 consid. 4.4 ; ATF 131 V 407 consid. 1.1 ; ATF 130 I 312 consid. 5.1 ; ATF 125 V 188 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_232/2018 du 4 juin 2018 consid. 3). La durée objectivement raisonnable d'une procédure dépend, en particulier, de la complexité d'une procédure, du comportement des parties et des processus décisionnels devant être mis en œuvre par l'autorité étatique ; en revanche les problèmes structurels d'une autorité ne sont pas un motif pouvant justifier un retard à statuer (ATF 144 II 486 consid. 3.2 ; ATF 130 I 312 consid. 5.2 ; ATF 124 I 139 consid. 2c ; ATAS/1316/2021 du 15 décembre 2021 consid. 3).

4.2 L'autorité saisie d'un recours pour déni de justice, au sens strict, ne saurait se substituer à l'autorité précédente pour statuer au fond ; elle doit ordonner à l'autorité concernée de statuer à bref délai (ATAS/1316/2021 du 15 décembre 2021 consid. 3 ; ATAS/419/2021 du 6 mai 2021 consid. 5 ; en ce sens également : arrêt du Tribunal fédéral 1B_232/2018 du 4 juin 2018 consid. 4). L’art. 69 al. 4 LPA, applicable en procédure sociale vu l’art. 89A LPA, prévoit à cet égard que si la juridiction administrative admet le recours pour déni de justice ou retard injustifié, elle renvoie l’affaire à l’autorité inférieure en lui donnant des instructions impératives. Par ailleurs, le retard à statuer en violation de l'art. 29 al. 1 Cst. constitue un acte illicite susceptible d'engager la responsabilité de l'entité étatique concernée (si les autres conditions d’une telle responsabilité sont remplies) (ATF 144 I 318 consid. 7.3.2 ; ATF 130 I 312 consid. 5.3 ; ATF 129 V 411 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_582/2020 du 22 décembre 2020 consid. 3).

5.             La résolution du présent litige implique notamment de clarifier la portée de l’ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020.

5.1 Les questions tranchées dans une décision de cassation et renvoi d'une instance supérieure lient l’autorité inférieure à laquelle la cause est renvoyée (ainsi que l’autorité qui a pris la décision en cas de recours ultérieur) (ATF 145 III 42 consid. 2.2 ; ATF 143 III 290 consid. 2.5 ; ATF 143 IV 214 consid. 5.2.1 et 5.3.3 ; voir également : arrêt du Tribunal fédéral 5A_685/2020 du 19 avril 2021 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_166/2019 du 6 août 2019 consid. 2.3).

5.2 La portée d'une décision étatique se détermine sur la base de son dispositif compris à l'aune de sa motivation (ATF 144 V 418 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_399/2020 du 1er septembre 2020 consid. 2). La lettre d’une décision n’est pas déterminante en elle-même, seul est décisif le sens matériel de la décision en cause, cela sous réserve d'une éventuelle protection de la confiance de l'administré (ATF 147 V 369 consid. 4.2.1 ; ATF 132 V 74 consid. 2). À cet égard le contexte factuel et normatif auquel une décision se rapporte est déterminant (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif II, 3ème éd. 2011, p. 208)

Comme a eu l’occasion de le préciser le Tribunal fédéral s’agissant du recours en interprétation de l’art. 334 CPC, une correction du contenu matériel d’un arrêt ne peut avoir lieu que par le biais d’une voie de droit principale comme l’appel, respectivement le recours ; une modification du fond d’un arrêt par le biais d’une interprétation est exclue (ATF 143 III 564 consid. 4.3.2 ; ATF 143 III 520 consid. 6.1 et 6.2). Il va de même en procédure administrative fédérale selon l’art. 69 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021) (Karin SCHERRER REBER, Praxiskommentar Verwaltungsverfahrensgesetz, 2ème éd. 2016, n. 3 ad. art. 69 PA). Il ne saurait en aller différemment dans le cadre de l’interprétation d’un jugement d’un tribunal social, par exemple dans le cadre d’un recours en interprétation selon l’art. 84 LPA (dans le même sens : ATA/122/2018 du 6 février 2018 consid. 2 ; ATAS/732/2016 du 13 septembre 2016 consid. 3 ; Jean MÉTRAL, Commentaire romand LPGA, 2018, n. 122 ad. art. 61 LPGA).

5.3 L'article 19 LAA règle la question du moment où un cas de sinistre doit être clos par l'assurance et que les prestations temporaires prévues par la LAA doivent, si lieu est, être remplacées par l'octroi d'une rente et/ou d'une indemnité pour atteinte à l'intégrité (ATF 144 V 354 consid. 4.1 ; ATF 143 V 148 consid. 3.1.1 ; ATF 134 V 109 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral TF, 8C_95/2021 du 27 mai 2021 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2020 du 15 février 2021 consid. 2.3) ; les prestations provisoires, comme les indemnités journalières, prennent fin à ce moment-là (ATF 144 V 418 consid. 2.2 ; ATF 143 V 148 consid. 6.2).

La question de la fin des prestations provisoires et celle de l'octroi de la rente et/ou de l'indemnité pour atteinte à l'intégrité constituent un tout juridique et doivent donc faire l'objet d'une décision unique de la part de l'assurance-accident (ATF 144 V 354 consid. 4.2 ; ATAS/99/2022 du 11 février 2022 consid. 5.1 ; ATAS/1280/2021 du 14 décembre 2021 consid. 6.2) ; cependant, la partie de la décision relative à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité peut faire l’objet d’une décision séparée (ATF 144 V 354 consid. 4.3).

5.4 Lorsqu’une expertise a été ordonnée dans une procédure sociale, une assurance sociale n'a pas le droit d'ordonner une seconde expertise sauf lorsqu’une première expertise souffre d’un défaut grave (« erst bei schwerwiegenden Mängeln ») ; lorsqu'elle considère que l'expertise qu'elle a ordonnée est lacunaire, elle doit la renvoyer à l'expert en demandant des améliorations et précisions (ATF 137 V 210 consid. 3.3.1 ; voir également : ATF 147 V 79 consid. 7.4.4 et 7.4.5).

6.              

6.1 En l’espèce, le dispositif de l’arrêt ATAS/51/2020 du 27 janvier 2020 est formulé comme suit :

« Au fond :

2. L'admet partiellement.

3. Réforme la décision litigieuse, dans le sens des considérants.

4. Renvoie la cause à l'intimée, dans le sens des considérants. »

La lecture de la motivation de l’arrêt est donc indispensable pour comprendre précisément la portée de celui-ci.

Les passages qui apparaissent en particulier déterminants dans la motivation de l’ATAS/51/2020 se trouvent aux considérants 15 et 16 et sont formulés comme suit :

« Ainsi, les conséquences d'un trouble psychiatrique ne peuvent être mises à la charge de l'intimée. Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, d'examiner plus avant les griefs de l'intimée à l'égard de l'expertise psychiatrique. » (consid. 15c)

« En conséquence, s'agissant de la cheville et du pied droits du recourant, le statu quo sine, fixé au 22 juillet 2014 par l'expert, peut être confirmé. » (consid. 16a)

« Au vu des constatations de l'expert judiciaire, il convient d'admettre que l'état de santé du recourant est stabilisé et qu'il l'était déjà au 19 février 2016, date de l'examen par le Dr C______, l'expert n'ayant pas donné d'éléments contraire. En effet, l'expert relève, s'agissant des mesures thérapeutiques, uniquement le suivi d'un traitement de physiothérapie et évoque la nécessité dans le futur d'une éventuelle chirurgie. » (consid. 16a)

« Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l’existence de phénomènes douloureux incapacitants, en lien de causalité avec l’accident de 2014. { } Partant il convient d’admettre que le recourant présente des phénomènes douloureux du genou et du tendon d’Achille, post-traumatiques et incapacitants, dont doit répondre l’intimée. » (consid. 16b/ee)

« Au regard de l'expertise judicaire, il est établi que le recourant présente, à tout le moins depuis le 27 juin 2018, une capacité de travail de 70 % dans une activité adaptée, respectant ses limitations fonctionnelles (avec alternance des positions, déplacements limités et sans port de charges). { } Il convient ainsi de retenir une capacité de travail du recourant de 70 % dans une activité adaptée depuis le 19 février 2016. » (consid. 16b/ff)

« Au vu de ce qui précède, il convient de suivre les conclusions de l'expertise judiciaire orthopédique et de confirmer que le statu quo sine est atteint le 22 juillet 2014 pour l'état du pied et de la cheville droite du recourant, que l'état de santé est stabilisé au 19 février 2016, que le recourant présente des affections du genou droit et une tendinopathie fissuraire du tendon d'Achille en lien avec l'accident de 2014, voire avec celui de 1996.

En conséquence, le recourant a droit aux indemnités journalières de l'intimée jusqu'au 19 février 2016. Dès cette date, l'intimé doit examiner le droit du recourant à la prise en charge d'un traitement médical, à une rente d'invalidité et à une IPAI, tenant compte des conclusions de l'expertise judiciaire orthopédique. » (consid. 16c)

6.2 À la lecture ces passages susmentionnés, il apparait que la portée de l’arrêt de la chambre de céans ne souffre d’aucune ambiguïté. Il a été jugé que les conséquences du sinistre survenu le 23 janvier 2014 étaient stabilisées au 19 février 2016 (1). Il a été jugé que les troubles psychiatriques légers dont souffre le recourant n’était pas en lien de causalité adéquate avec l’évènement accidentel (2). Il a été jugé que les atteintes causées causée par cet évènement accidentel au pied et à la cheville du recourant avaient disparu (3). Il a été jugé que, s’agissant de l’atteinte au genou droit et du tendon d’Achille droit du recourant, il subsistait une atteinte durable causée par l’évènement accidentel du 23 janvier 2014 laquelle entrainait une incapacité de travail durable, y compris dans une activité adaptée, de 30%, respectivement une capacité de travail résiduelle dans une telle activité de 70% (4). En ce sens la cause était réformée (chiffre 3 du dispositif). Pour le surplus, la cause était renvoyée à l’intimée (chiffre 4 du dispositif), cela notamment afin d’établir le montant concret de la rente d’invalidité et de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité du recourant.

Cet arrêt n’a pas été contesté devant le Tribunal fédéral. Il est donc en force et lie tant l’autorité intimée que la chambre de céans.

7.              

7.1 En l’espèce, le renvoi de la chambre de céans à l’intimée lui a été notifié en date du 5 février 2020. Bien qu’il faille tenir compte de la situation exceptionnelle du printemps 2020 due à la pandémie de SARS-CoV-2, un délai de plus de de vingt-six mois pour rendre une décision dans une cause dont les questions centrales ont été résolues dans l’arrêt de renvoi viole l’interdiction du déni de justice formel de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

7.2 Dans sa réponse du 10 février 2022 et ses déterminations complémentaires du 7 mars 2022 l’intimée avance qu’elle attend le résultat d’une nouvelle expertise orthopédique pour statuer sur les prestations durables potentiellement dues au recourant, et notamment sur l’existence d’une rente d’invalidité. À cet égard, le mandat d’expertise du Dr G______, produit à la procédure par l’intimée en date du 30 décembre 2021, contient notamment la mission de répondre aux questions suivantes :

« 2.1.1 À quel degré et pour quelle durée évaluez-vous l’incapacité de travail, du 2 décembre 2018 à ce jour, causée par l’accident du 2 juillet 1996 { } et l’accident du 23 janvier 2014 { } de la personne assurée dans son activité habituelle de manager, avec ou sans perte de rendement ? »

« 3.1.1 Un changement d’activité permettrait-il d’améliorer la capacité de travail ? »

3.1.2 Si oui, quelles seraient les activités particulièrement adaptées et exigibles qui permettraient de réduire l’incapacité de travail ? »

« 4.1 L’état médical définitif a-t-il été atteint au degré de la vraisemblance prépondérante ? »

« 4.2 Si l’état médical définitif a été atteint :

4.2.1 Quant a-t-il été atteint ? »

« 5.1.1 Résulte-t-il des accidents de 1996 et 2014 une diminution permanente de la capacité de travail de la personne assurée en tant que manager ? »

« 5.2.1 Dans quelles autres activités peut-on raisonnablement exiger de la personne assurée de fournir un travail ? »

À sa lecture, la nouvelle expertise ordonnée par l’intimée porte donc principalement sur des questions tranchées par un arrêt ayant force de chose jugée depuis plus de deux ans. L’argumentaire de l’intimée pour expliquer son retard à statuer n’apparait ainsi pas soutenable.

Par ailleurs, même si les questions susmentionnées n’avaient pas été formellement tranchées dans un arrêt ayant force de chose jugée, la jurisprudence fédérale interdit aux assureurs sociaux d’ordonner une seconde expertise portant sur le même objet qu’une expertise antérieure, en absence de vices graves de cette dernière. Or, en l’espèce, l’intimée a eu l’occasion de poser des questions complémentaires à l’expert, lesquelles ont fait l’objet d’un complément d’expertise du 29 juillet 2019. La nouvelle expertise confiée au Dr G______ est donc contraire au droit en tant qu’elle porte sur des questions qui ont été clarifiées dans l’expertise du Prof. D______.

En outre, l’intimée fait preuve d’un comportement contradictoire en ce qu’elle a ordonné une nouvelle expertise sur la question, pourtant déjà tranchée, du moment où l’état de santé du recourant doit être considéré comme stabilisé (cf. questions 4.1, 4.2.1, 4.2.2, 4.2.3, 4.2.4 et 4.2.5 du mandat d’expertise confiée au Dr G______), tout en ayant arrêté de verser des indemnités-journalières à l’assuré au 20 février 2016 (cf. déterminations de l’intimée du 7 mars 2022, p. 1 3ème paragraphe), ce qui implique nécessairement que l’état de santé de l’assuré était stabilisé à cette date. Comme précisé dans la jurisprudence publiée du Tribunal fédéral, il n’est pourtant pas possible de considérer d’une part qu’un cas est suffisamment stabilisé pour mettre fin au versement de prestations provisoires comme les indemnités journalières, et, d’autre part, de considérer que l’état de santé n’est pas suffisamment stabilisé et nécessite une instruction complémentaire sur ce point pour trancher la question de la rente d’invalidité.

Enfin, il apparait que la question du retard à statuer de l’intimée a déjà été tranchée dans un arrêt non contesté et ayant force de chose jugée, à savoir l’ATAS/695/2021 du 28 juin 2021. La position de l’intimée qui a admis un retard inexcusable en date du 17 juin 2021 et a exprimé qu’elle allait agir au plus vite, avant de mettre en place une nouvelle expertise six mois plus tard est là aussi contradictoire.

Au vu de ce qui précède, la motivation de l’intimée selon laquelle il conviendrait d’attendre le résultat d’une expertise inutile, respectivement contraire au droit, pour statuer en violation du principe fondamental de la force de chose jugée et au mépris de ses déclarations antérieures doit être considérée comme téméraire.

7.3 Le recours en déni de justice doit ainsi être admis et l’intimée à nouveau condamnée à rendre une décision dans le cadre posé par l’arrêt de renvoi de la chambre de céans du 27 janvier 2020.

8.             Il convient encore de clarifier la question du traitement des évènements survenus postérieurement au 19 février 2016, date arrêtée par la chambre de céans comme moment où l’état médical du recourant faisant suite à l’évènement accidentel du 23 janvier 2014 a été stabilisé.

8.1 Selon l’art. 11 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), les prestations d’assurance prévues par la LAA sont également versées en cas de rechutes et de séquelles tardives. Conformément à la jurisprudence, les rechutes et les séquelles tardives ont ceci en commun qu'elles sont attribuables à une atteinte à la santé qui, en apparence seulement, mais non dans les faits, était considérée comme guérie. Il y a rechute lorsque c'est la même atteinte qui se manifeste à nouveau ; on parle en revanche de séquelles tardives lorsqu'une atteinte apparemment guérie produit, au cours d'un laps de temps prolongé, des modifications organiques ou psychiques qui conduisent souvent à un état pathologique différent (ATF 123 V 137 consid. 3a ; ATF 118 V 293 consid. 2 ; ATAS/274/2022 du 21 mars 2022 consid. 6.1).

Comme tout sinistre accidentel couvert par la LAA, une rechute ou une suite tardive ne peut faire naitre une obligation de l'assureur-accidents de verser des prestations que s'il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre les nouvelles plaintes de l'intéressé et l'atteinte à la santé causée à l'époque par l'accident assuré (ATF 118 V 296 consid. 2c ; ATAS/274/2022 du 21 mars 2022 consid. 6.1).

En ce qui concerne une rente d’invalidité LAA, les rechutes, respectivement les suites tardives, constituent des motifs de révision au sens de l’art. 17 LPGA (ATF 144 V 245 consid. 6.1 et 6.2 ; voir également pour la période antérieure à l’entrée en vigueur de la LPGA : ATF 127 V 456 consid. 4b) : en cas de rechute, la modification de la rente ne prend toutefois naissance que dès l’achèvement du traitement médical lié à la rechute, ou, en l’absence d’un tel traitement, dès l’annonce du cas de rechute à l’assurance-accident (ATF 144 V 245 consid. 6.4).

En ce qui concerne la prise en charge de traitements médicaux par une assurance LAA en cas de rechute et de séquelles tardive, l’art. 21 al. 3 LAA prévoit que le bénéficiaire d’une rente d’invalidité peut prétendre non seulement à la rente, mais aussi aux prestations pour soins et au remboursement de frais (art. 10 à 13).

8.2 En l’espèce, même s’il fallait retenir qu’une instruction en vue notamment d’une révision au sens de l’art. 17 LPGA était nécessaire, cela ne saurait donc justifier que l’intimée ne rende pas de décision initiale en violation des injonctions claires qui lui ont été faites par la chambre de céans.

9.             L’intimée a déjà été condamnée à rendre une décision par arrêt ATAS/695/2021 du 28 juin 2021, sans effet à ce jour. Elle n’a pas non plus manifesté l’intention de respecter à bref délai les arrêts de la chambre de céans, malgré l’interpellation en ce sens lors de l’audience de comparution personnelle du février 2022. En conséquence, il convient de fixer à l’intimée un délai de trente jours, courant dès le lendemain de la notification du présent arrêt pour rendre sa décision.

10.         Selon l’art. 61 let. fbis LPGA, une procédure sociale est en principe gratuite, le tribunal peut toutefois mettre des frais à la charge de la partie qui agit de manière téméraire ou fait preuve de légèreté. Cela concerne notamment la partie qui adopte une position insoutenable en procédure (ATF 128 V 323 consid. 1b ; ATF 124 V 285 consid. 3b ; ATF 112 V 333 consid. 5a ; Jean MÉTRAL, Commentaire romand LPGA, 2018, n. 24 s. ad. art. 61 LPGA ; Ueli KIESER, Bundesgesetz über den Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts, in: Soziale Sicherheit/Sécurité sociale MEYER éd., 3ème éd. 2016, n. 297 p. 347).

Le caractère téméraire de la position de l’intimée ayant été admis dans le cas d’espèce, il se justifie de la condamner exceptionnellement aux frais de la cause. En application de l’art. 2 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), ceux-ci seront fixés à CHF 4'000.- en tenant compte du temps nécessaire à la préparation et à la tenue d’une audience ainsi qu’à la rédaction du présent arrêt.

11.         Selon l’art. 89H al. 3 LPA, une indemnité est allouée au recourant qui obtient gain de cause.

En l’espèce, et bien qu'il obtienne gain de cause, le recourant, non représenté et n'ayant pas fait valoir de frais engendrés par la procédure, n'a pas droit à des dépens (ATAS/1320/2021 du 16 décembre 2021 consid. 9).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours en déni de justice recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Condamne l’intimée à rendre une décision dans le sens des considérants dans un délai de trente jours courant dès le lendemain de la date de notification du présent arrêt.

4.        Met un émolument de CHF 4'000.- à charge de l’intimée.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le