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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1665/2018

ATA/998/2018 du 25.09.2018 sur JTAPI/468/2018 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE ; CONJOINT ; MENACE(EN GÉNÉRAL) ; INJURE ; PLAINTE PÉNALE ; MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL) ; INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION
Normes : LPA.60; LVD.2.al1; LVD.8
Résumé : L'intimée a fait l'objet d'une mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer pendant quinze jours à l'adresse professionnelle de son époux, où elle travaillait également. Annulation du jugement du TAPI confirmant la mesure, les nombreuses pièces au dossier démontrant de la violence domestique récurrente de la part de l'intimée à l'encontre du recourant. Au vu du risque de réitération de ces actes, le recours est admis, étant précisé que la chambre administrative doit se placer au moment du jugement du TAPI pour statuer, sans prendre en considération des événements postérieurs.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1665/2018-LVD ATA/998/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 septembre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Arnaud Moutinot, avocat

contre

Madame B______
représentée par Me Agrippino Renda, avocat

et

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 mai 2018 (JTAPI/468/2018)


EN FAIT

1. Madame B______ et Monsieur A______ se sont mariés le ______ 2007. De leur union est né un fils, C______, le ______2009. Mme B______ a également trois enfants majeurs nés d'une précédente union, dont deux vivent avec elle.

2. Mme B______ et M. A______ ont acheté ensemble un café-restaurant, « D______ », situé au E______ Genève, inscrit au registre du commerce le 14 juin 2013 en tant qu'entreprise individuelle sous le seul nom de M. A______. Ce dernier, seul titulaire de l'autorisation d'exploiter, en est le cuisinier, tandis que Mme B______ y est serveuse.

3. Le 26 mars 2018, M. A______ a déposé plainte pénale au Ministère public à l'encontre de Mme B______ pour gestion déloyale (art. 158 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et appropriation illégitime (art. 137 CP), requérant en outre des mesures d'éloignement au sens de l'art. 237 al. 2 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), soit l'interdiction immédiate de se rendre au restaurant.

Suite à un désaccord conjugal en septembre 2017, Mme B______ s'était mise à soustraire quotidiennement et sans accord d'importants montants de la caisse du café-restaurant, la majeure partie des recettes étant payée en liquide. Sur la base des tickets de caisse en sa possession et dont les montants n'avaient pas pu être comptabilisés, il subissait à présent un préjudice de CHF 50'000.- au moins. Mme B______ conservait et cachait les factures liées à l'exploitation du restaurant sans toujours les payer, l'empêchant de connaître la situation financière de son établissement. Il se trouvait ainsi dans l'impossibilité de prendre en charge ses frais d'entretien et risquait une procédure de faillite.

Mme B______ avait en outre eu plusieurs fois des comportements violents, envers sa mère, une serveuse du restaurant ou encore un client, si bien que plusieurs plaintes pénales avaient déjà dû être déposées à son encontre. Lui-même avait également été agressé physiquement à plusieurs reprises, ce que démontraient des photos et constats médicaux produits à l'appui de la plainte pénale.

4. Entendue par la police le 9 mai 2018, Mme B______ a reconnu emporter régulièrement le contenu de la caisse pour assurer la bonne gestion du commerce et subvenir à ses propres besoins, soit au maximum CHF 500.- par jour, le montant prélevé ne dépassant pas, selon elle, les CHF 15'000.- par mois. Elle niait avoir frappé M. A______ au visage avec un pain sortant du four le 23 mars 2018, dont photographies lui avaient été soumises et constat médical avait été établi. M. A______ était toujours violent avec elle, mais ses coups ne laissaient pas de trace. Il lui jetait dessus de l'ail, de la farine, du sel et d'autres aliments, voire de l'eau de javel à une reprise, mais la police lui avait indiqué ne rien pouvoir faire en l'absence de marques visibles.

5. a. Par décision du 9 mai 2018, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement administratif à l'encontre de Mme B______, car elle avait frappé son époux au visage, l'avait griffé au cou et au bras et lui avait écrasé les testicules.

Pendant une durée de quinze jours, soit jusqu'au 24 mai 2018 à 12h30, interdiction lui était faite de contacter et de s'approcher de M. A______, et de s'approcher du café-restaurant « D______ » et d'y pénétrer.

b. À teneur de la fiche de renseignements établie par la police le même jour, d'entente avec M. A______ qui n'y vivait plus, le domicile conjugal avait été exclu de la mesure.

6. Le 17 mai 2018, Mme B______ a formé opposition auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) à l'encontre de cette décision, concluant à son annulation et à la restitution de l'effet suspensif.

La mesure d'éloignement administratif était arbitraire, portait atteinte à son droit de propriété, à sa liberté économique et la privait de tout revenu dès lors que son époux refusait de lui verser quelque contribution d'entretien que ce soit.

La totalité de sa fortune (CHF 53'000.-) ainsi que l'entier des économies du couple (CHF 22'000.-) avaient été investis dans ce projet. Dès 2016, des dissensions étaient apparues au sein du couple, M. A______ se montrant violent à son encontre, tant sur le plan physique que psychologique, l'insultant et la frappant quotidiennement, aussi bien en public devant les clients du restaurant, qu'en privé. En automne 2017, son époux avait subitement quitté le domicile conjugal et, depuis, ne prenait plus en charge leur fils et se refusait à verser toute contribution d'entretien. La situation n'avait ensuite cessé de se dégrader, M. A______ multipliant les humiliations, les cris, les insultes et les violences physiques sur le lieu de travail, la menaçant de s'approprier le restaurant et déposant plusieurs plaintes pénales à son encontre pour lui nuire. Hormis les revenus perçus de l'activité commerciale du restaurant, elle ne disposait d'aucun autre revenu pour son entretien et celui de ses enfants.

À teneur du premier des deux constats médicaux qu'elle versait à la procédure, daté du 17 octobre 2017, Mme B______ avait été agressée « il y a quatre jours au travail » et présentait une ecchymose de 3 x 8 cm avec hématome algique sur la face interne de son avant-bras gauche, ainsi qu'une lésion de type brûlure au deuxième degré de 0,5 x 2 cm au bord de l'ecchymose. Ces lésions étaient « compatibles avec un traumatisme ». Selon le second certificat médical produit, daté du 27 mars 2018 et établi par la spécialiste FMH en psychiatrie qui indiquait suivre Mme B______ depuis le mois de septembre 2017, celle-ci souffrait d'un trouble dépressif majeur, dont la crise actuelle avait probablement commencé deux ans auparavant en raison des conflits du couple et « un acte violent de la part de son époux », et s'était intensifiée en septembre 2017.

7. Par courriel du 17 mai 2018, le commissaire de police a versé à la procédure deux rapports de renseignements datés des 9 et 15 février 2018, concernant Mme B______ et des plaintes déposées à son encontre par des tiers pour des faits survenus les 14 septembre, 4 et 5 novembre 2017.

Il ressortait en substance de ces documents qu'il était reproché à Mme  B______ des injures prononcées à l'encontre de la serveuse du « C______ », des lésions corporelles simples et dommages à la propriété commises sur un client du café-restaurant, des voies de fait, injures et propos diffamatoires à l'encontre de M. A______, et des lésions corporelles simples par négligence et injures à l'encontre de la mère de ce dernier en septembre 2017. Selon le procès-verbal de son audition à la police du 15 janvier 2018, Mme B______ contestait la totalité des faits reprochés.

8. Le 18 mai 2018, une audience de comparution personnelle des parties s'est tenue devant le TAPI, lors de laquelle les deux parties ont persisté dans leurs positions respectives.

Mme B______ travaillait tous les jours au café-restaurant « D______ », de 10h00 à la fermeture, depuis octobre 2017. M. A______ ne lui avait jamais versé de salaire pour son activité au sein du restaurant, raison pour laquelle elle s'était vue contrainte de prendre environ CHF 300.- par semaine dans la caisse pour son entretien et celui de ses enfants. De nombreuses factures et dettes s'étaient accumulées au sein de son foyer. À plusieurs reprises durant cette période, elle avait été violentée par M. A______, qui l'avait notamment plaquée au sol, l'invitant à le frapper en réponse. La police lui avait répondu ne rien pouvoir faire car il n'y avait pas de traces de blessure. M. A______ n'avait jamais arrêté de l'agresser et de la pousser à bout, l'insultant notamment devant les clients du restaurant. Il était exact qu'elle avait pu lui répondre et s'énerver. Elle voyait un psychiatre une fois par semaine depuis le 28 septembre 2017, à cause de cette situation. Aujourd'hui, elle vivait grâce aux CHF 600.- que lui versait l'assurance-invalidité pour sa fille handicapée. M. A______ ne lui versait aucune pension alimentaire pour leur fils et elle ne parvenait plus à payer le loyer de l'appartement familial. Elle souhaitait continuer à travailler dans le restaurant. Elle n'avait pas déposé plainte suite à l'épisode du mois d'octobre 2017 car elle pensait que leur couple avait encore de l'avenir.

M. A______ a indiqué que des démarches étaient en cours afin de régler la séparation des époux sur le plan civil et versé à la procédure les pièces en attestant, dont deux ordonnances sur mesures superprovisionnelles du Tribunal de première instance (ci-après : TPI) des 8 et 11 mai 2018. La première rejetait lesdites mesures, faute d'urgence particulière, alors que la deuxième les admettait, compte tenu exclusivement de la mesure d'éloignement administratif prononcée le 9 mai 2018 et faisait interdiction à Mme B______ de s'approcher à moins de 500 m du café-restaurant « D______ ». Il contestait catégoriquement avoir frappé ou insulté Mme B______ ; il lui avait uniquement demandé d'arrêter de prendre de l'argent dans la caisse car il n'arrivait plus à payer les factures du restaurant et ses propres factures. Il n'était pas opposé à lui verser un salaire et lui avait demandé d'en discuter avec son avocat pour en fixer le montant. Il ne se versait pas non plus de salaire pour son activité au sein du restaurant. Les montants réglés par cartes lui servaient à racheter de la marchandise, tandis que le cash, qui correspondait à 80 % de leur chiffre d'affaires, était empoché par Mme B______. Cette dernière était une personne impulsive, qui pouvait perdre le contrôle pour un rien. En septembre 2017, elle avait notamment frappé sa mère sans raison. Il n'était financièrement pas en mesure de verser une contribution d'entretien à leur fils.

Le représentant du commissaire de police a demandé la confirmation de la mesure d'éloignement, mesure qu'il avait prononcée après avoir estimé, suite à l'audition des parties le 9 mai 2018, qu'il existait un climat de tension et de violence psychique, physique et économique tel entre les époux qu'il fallait éloigner Mme B______ afin d'éviter tout risque de violence. Il ressortait par ailleurs de son audition que celle-ci avait admis l'existence de violence au sein de son couple après le 23 mars 2018 quand bien même aucun certificat médical n'en attestait. La mesure d'éloignement avait été prise à son encontre du fait de la présomption de violences, en particulier physiques, qu'elle avait perpétrées à l'encontre de M. A______ et en tenant compte de l'ensemble des circonstances.

9. Par jugement JTAPI/468/2018 du 18 mai 2018, le TAPI a admis l'opposition formée par Mme B______ et annulé avec effet immédiat la mesure d'éloignement prononcée à son encontre.

Il s'agissait vraisemblablement de violence bilatérale, et il était difficile d'attribuer à l'un ou l'autre des protagonistes la responsabilité du fait que la situation ait dégénéré en violence physique. Malgré le climat tendu entre les époux, aucun nouvel acte de violence n'était à déplorer depuis le 23 mars 2018, alors que les parties s'étaient côtoyées dans leur restaurant quotidiennement. La mesure d'éloignement ayant pour objectif d'empêcher la réitération des actes de violence et non de permettre aux intéressés de s'organiser pour modifier le cadre et les modalités de leur relation personnelle et professionnelle, le risque de réitération de violence reproché à Mme B______ n'apparaissait pas suffisamment concret pour justifier la mesure prononcée.

10. Le 22 mai 2018, M. A______ a déposé une requête de prolongation de la mesure d'éloignement auprès du TAPI, lequel l'a déclarée irrecevable par jugement JTAPI/489/2018 du 25 mai 2018, compte tenu du fait que son jugement du 18 mai 2018 annulant ladite mesure n'avait pas fait l'objet d'un recours, était donc caduque et ne pouvait ainsi faire l'objet d'une quelconque prolongation.

11. Par acte posté le 22 juin 2018, M. A______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à la confirmation de la mesure d'éloignement prononcée le 9 mai 2018, le tout « sous suite de dépens ».

Les faits avaient été constatés de manière inexacte et incomplète par le TAPI, qui n'avait pas pris connaissance de l'intégralité des pièces produites et s'était contenté de constater être en présence d'un simple conflit conjugal. Les éléments de faits établis par les pièces pertinentes versées au dossier démontraient de la violence physique, psychologique et économique unilatérale de la part de Mme B______ à l'encontre de M. A______, et non l'inverse.

Le jugement du TAPI violait également l'art. 8 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 (LVD - F 1 30). S'agissant des violences physiques, devait être dénoncé le manque de coordination entre les mesures policières et les mesures de droit civil, en particulier du point de vue de la brièveté des délais fixés par la police. L'art. 8 al. 1 LVD visait à appréhender les situations dans lesquelles il apparaissait que des violences domestiques, quelle que soit leur nature, avaient été commises, sans exiger de flagrant délit. Or, le jugement du TAPI n'avait pris en compte que le risque de réitération des violences, et ainsi omis que les problèmes de coordination créaient un décalage entre le moment de la commission des violences et celui de leur dénonciation par la victime. Par ailleurs, les violences économiques et psychologiques étaient continues et avaient perduré dans le temps, de sorte que leur date de début et de fin ne pouvait être établie. Depuis la violente dispute qui avait eu lieu le 14 septembre 2017, aucune entrée d'argent en cash ne se faisait sur le compte bancaire du café-restaurant, ce que démontraient les relevés de comptes bancaires produits à la procédure. Mme B______ soustrayait en effet quotidiennement depuis cette période l'intégralité des recettes encaissées en cash.

12. Le 26 juin 2018, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

13. Dans sa réponse du 10 juillet 2018, le commissaire de police a conclu à l'admission du recours et à l'annulation du jugement du TAPI du 18 mai 2018.

Il convenait de faire abstraction de l'exigence d'intérêt actuel au recours, la situation étant amenée à se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues.

Sur le fond, le jugement du TAPI était arbitraire, ou, à tout le moins constitutif d'un abus du pouvoir d'appréciation du premier juge. En affirmant être vraisemblablement en présence d'une violence bilatérale dont la responsabilité était difficile à attribuer, le TAPI ajoutait une condition d'application inexistante et omettait que la LVD ne requérait nullement l'attribution de la responsabilité, la mesure devant être prononcée à l'encontre de leur auteur présumé. Par ailleurs, si aucun nouvel épisode de violence physique n'était à déplorer depuis le 23 mars 2018, tel n'était pas le cas des violences économiques et psychologiques, lesquelles perduraient de la part de Mme B______. En outre, le TAPI avait ajouté une autre condition d'application à la LVD en soutenant que celle-ci avait pour objectif d'empêcher la réitération d'actes de violence mais non de permettre aux personnes concernées de s'organiser pour modifier le cadre et les modalités de leur relation personnelle et professionnelle, ce qui ne correspondait pas au but tel que défini par l'art. 1 al. 1 LVD. Enfin, l'affirmation du TAPI selon laquelle Mme B______ avait été davantage exposée aux violences que son époux en raison de la précarité financière dans laquelle elle avait été laissée, du poids des responsabilités familiales et de son effondrement psychique, relevait de la discrimination fondée sur le genre, passant son silence les responsabilités et angoisses du père de famille au sujet desquelles aucune pièce du dossier ne permettait de dire qu'elles n'étaient pas assumées par lui, et de chef d'entreprise acculé à la faillite en raison des prélèvements d'argent effectués par Mme B______, qui s'élevaient à ce jour à CHF 70'000.-.

14. Le 13 juillet 2018, Mme B______ a fait valoir ses observations, concluant au rejet du recours de M. A______.

Le recours était dénué d'objet dès lors qu'il avait pour but d'obtenir la confirmation de la mesure d'éloignement prononcée le 9 mai 2018 pour une durée de quinze jours, soit jusqu'au 24 mai 2018. Le recours était d'autant plus caduc que M. A______ avait, dans l'intervalle, obtenu du juge civil l'interdiction de son épouse d'approcher le restaurant, comme le démontraient les ordonnances du TPI des 5 et 11 mai 2018 annexées à son écriture. La mesure d'éloignement civil avait toutefois été révoquée par ordonnance du TPI du 5 juillet 2018, également jointe, suite au jugement du TAPI.

Tout au long de la durée de la mesure civile, soit du 11 mai au 6 juillet 2018, ses enfants et elle s'étaient retrouvés totalement démunis et sa situation financière était devenue critique car elle avait risqué de perdre son logement faute de pouvoir s'acquitter de son loyer. Elle avait repris son travail à la fin de la mesure civile, soit le 6 juillet 2018.

15. Faisant usage de son droit à la réplique le 26 juillet 2018, M. A______ a persisté dans les termes et conclusions de son recours. La violence économique perdurait, ce que le TAPI n'avait pas examiné. Mme B______ avait soustrait CHF 70'000.- du restaurant, et M. A______ avait versé CHF 2'000.- le 29 juin 2018 au titre de l'entretien de la famille, si bien qu'elle était malvenue de dire qu'elle s'était trouvée sans le sou, alors que c'était au contraire lui qui l'avait été du fait de ses soustractions dans la caisse du restaurant.

Depuis le 21 juin 2018, et en particulier le 9 juillet 2018, date de la levée de l'interdiction civile d'approcher du restaurant et ainsi de la reprise de son activité, Mme B______ avait immédiatement recommencé à soustraire quotidiennement les recettes du restaurant, ce qu'il avait dénoncé pénalement. Durant la mesure d'éloignement civile, il avait réussi à redresser la situation financière du restaurant et payé des factures pour un montant conséquent. Mme B______ avait quant à elle fait disparaître la machine servant au règlement des additions par carte bancaire, de sorte que le compte bancaire de l'établissement n'était plus alimenté. Mme B______ cherchait indéniablement à provoquer sa faillite.

16. Le 14 août 2018, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous ces aspects (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. À teneur de l'art. 60 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ;ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 consid. 2b).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2) ; si l'intérêt s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; ATA/322/2016 du 19 avril 2016).

c. Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3 ; 139 I 206 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1157/2014 du 3 septembre 2015 consid. 5.2 ; ATA/807/2018du 7 août 2018 et les références citées) ou lorsqu'une décision n'est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101 ; 135 I 79). Cela étant, l'obligation d'entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3).

d. En l'espèce, nonobstant le fait que la mesure d'éloignement litigieuse a pris fin, le recourant conserve un intérêt personnel digne de protection à ce que le dispositif du jugement attaqué soit annulé, étant rappelé que la durée d'une mesure d'éloignement administratif ne peut excéder trente jours, si bien qu'un recours à la chambre administrative intervient généralement lorsque la mesure n'est plus en vigueur. Sous cet angle également, le recours est donc recevable.

3. a. La LVD a été adoptée notamment pour couvrir les situations dans lesquelles une intervention instantanée est nécessaire, avant le prononcé de mesures superprovisionnelles en matière matrimoniale ou protectrices de l'union conjugale, et alors que l'art. 28b du Code civil suisse du 10 décembre 1907
(CC - RS 210) n'existait pas encore (MGC 2004-2005/IV A 2128 ss).

b. Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

La violence domestique peut prendre différentes formes : la violence physique désigne l'atteinte à l'intégrité corporelle qui se manifeste par des actes tels que battre, frapper, empoigner, étouffer, blesser avec un couteau ou une arme, brûler, séquestrer ou mordre. Le fait de tenter de commettre de tels actes entre également dans la définition de la violence physique. La violence sexuelle regroupe les atteintes ou tentatives d'atteintes à l'intégrité sexuelle par l'imposition des désirs sexuels à un tiers. Elle inclut le harcèlement sexuel et l'exploitation sexuelle. La violence psychologique touche à l'estime de soi, la confiance en soi et l'identité personnelle. Elle comprend tant la violence verbale (cris et injures) que des comportements ayant pour fonction de rabaisser la victime tels qu'humiliation et dénigrement, ou de l'intimider, comme les menaces, les contraintes, l'endommagement d'objets ou l'acharnement sur les animaux de compagnie. La violence économiqueengendre la dépendance économique de la victime. L'auteur s'approprie l'argent de son partenaire, ou ne contribue pas selon ses ressources aux dépenses du ménage, ou encore empêche son partenaire de suivre une activité professionnelle (MGC 2004-2005/IV A 2116 s.).

  Les violences domestiques englobent ainsi un ensemble d'actes et de comportements, y compris des omissions, comme l'absence d'intervention envers une personne âgée. Ces actes peuvent être commis une seule fois, se produire selon un schéma répétitif ou être perpétrés de manière croissante ou cyclique sur une période de plusieurs mois ou plusieurs années. Les violences domestiques peuvent changer de forme au fil du temps (MGC 2004-2005/IV A 2117).

4. a. En vertu de l'art. 8 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique si elle paraît propre à empêcher la réitération de tels actes (al. 1). Une telle mesure consiste à interdire à l'auteur présumé soit de pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés (al. 2 let. a), soit de contacter ou approcher une ou plusieurs personnes (al. 2 let. b). La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (al. 3).

b. Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010 que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

5. La prolongation de la mesure d'éloignement litigieuse ayant pris fin avant même le dépôt du recours, la chambre administrative doit uniquement examiner si cette mesure se justifiait à la date du jugement du TAPI et sur la base des éléments de fait que cette juridiction avait alors à disposition.

6. a. En l'espèce, pour rendre la mesure d'éloignement litigieuse, le commissaire de police avait notamment en mains plusieurs fiches de renseignement concernant l'intimée et plusieurs plaintes pénales déposées à son encontre pour des faits de violence physique à l'encontre du recourant mais également de la mère de ce dernier, d'une serveuse du café-restaurant et d'un client dudit café-restaurant. Il détenait également la requête en mesures protectrices de l'union conjugale déposée le 7 mai 2018 au TPI par le recourant, que ce dernier lui avait transmise. Cette requête était accompagnée d'un épais classeur fédéral constitué de dizaines de pièces illustrant tant le contexte des violences physiques dont le recourant se plaignait que celui des violences économiques.

Le TAPI était également en possession de la totalité de ces documents.

b. Il n'est pas contesté que les parties ne se reprochent mutuellement aucun fait de violence physique depuis le 23 mars 2018, date à laquelle le recourant accuse l'intimée, qui le conteste, de l'avoir frappé à la tempe gauche avec un lourd pain chaud.

Le but de la mesure d'éloignement étant toutefois d'empêcher la réitération d'actes de violences domestiques, quelle que soit leur nature, il convient d'examiner la vraisemblance et le risque de réitération de violences non seulement physiques, mais également économiques et psychologiques, en particulier comme en l'espèce, le recourant se plaignant précisément également de subir une violence économique continue et persistante.

Or, il ressort du dossier que le recourant avait déposé plainte pénale contre l'intimée pour gestion déloyale en date du 3 mars 2018, soutenant que cette dernière prélevait pour elle-même l'essentiel des montants qu'elle encaissait en cash auprès des clients de l'établissement, qu'elle ne payait pas les factures afférant audit établissement, que lui-même ne pouvait y procéder faute d'avoir la main sur l'argent des recettes du restaurant, si bien qu'elle lui faisait courir le risque d'une procédure de faillite. Le recourant avait déposé une nouvelle plainte pénale le 26 mars 2018, pour gestion déloyale et appropriation illégitime pour le même type de faits, précisant que le montant approximatif de la soustraction opérée par l'intimée dans la caisse du restaurant s'élevait à un minimum de CHF 50'000.- et que des rappels de factures lui étaient envoyés car il ne pouvait en honorer les versements, faute de moyens en raison des soustractions massives d'argent liquide de son épouse. De nombreuses pièces, souvent récentes, étaient jointes à ces plaintes pénales, toutes en mains tant du commissaire de police que du TAPI, parmi lesquelles se trouvaient des décomptes de sommes prélevées, des tickets de caisse, des quittances, des relevés bancaires démontrant une baisse notable du solde ou encore des rappels de facture.

De son côté, l'intimée n'a pas produit de pièces rendant davantage vraisemblables ses dénégations et positions.

En conséquence, le TAPI aurait dû conclure qu'il existait, à la date du jugement querellé, des indices sérieux de commission par l'intimée d'actes de violence économique au sens de l'art. 8 LVD à l'encontre du recourant.

L'intimée a indiqué, sans être contredite, qu'elle ne percevait pas de salaire du restaurant dans lequel elle travaillait avec son époux, de sorte que le principe des prélèvements dans les caisses du restaurant au titre de salaire y trouve une certaine justification. Tel est cependant également le cas du recourant, de sorte que le comportement financier des deux parties paraît peu adéquat. Toutefois, l'intimée a admis, lors d'une audition devant la police, qu'elle pouvait prélever environ CHF 15'000.- par mois dans les recettes du restaurant, soit une somme excessive pour constituer un salaire, et dont les rappels de factures rendent vraisemblables qu'elle ne servait pas non plus, comme l'intimée l'affirme, à payer les charges du restaurant.

Ces prélèvements paraissant continus et encore récents, le commissaire de police était fondé à considérer qu'un éloignement de la recourante du
café-restaurant serait propre à éviter leur réitération.

La mesure, même si elle éloigne l'intimée de son lieu de travail et l'empêche ainsi de prélever son salaire, demeure par ailleurs proportionnée dans la mesure où sa durée n'excédait pas quinze jours. Il sera rappelé à cet égard que la chambre administrative ne doit se pencher que sur la situation qui prévalait au moment où le TAPI a rendu son jugement et aucunement sur des faits postérieurs audit jugement. Les procédures civile et administrative d'éloignement n'ont en effet pas vocation à être parallèles mais complémentaires (MGC 2004-2005/IV A 2130). Partant, le fait que le TPI ait, immédiatement après le commissaire de police, également prononcé puis annulé une mesure d'éloignement civil d'une durée plus longue, en se fondant d'ailleurs uniquement sur la mesure prononcée par ce dernier, n'est pas pertinent dans le cadre de la procédure devant la chambre de céans.

7. Au vu de ce qui précède et sur la base de l'ensemble des circonstances, le TAPI aurait dû confirmer la mesure litigieuse, celle-ci étant propre à empêcher le risque de réitération.

8. Il s'ensuit que le recours sera admis et le jugement attaqué annulé, tandis que le bien-fondé du prononcé de la mesure d'éloignement du 9 mai 2018 sera confirmé.

9. Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera octroyée au recourant qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 juin 2018 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 mai 2018 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 mai 2018 ;

confirme la décision du commissaire de police du 9 mai 2018 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Monsieur A______, à charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Arnaud Moutinot, avocat du recourant, au commissaire de police, à Me Agrippino Renda, avocat de Madame B______, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :