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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1232/2019

ATA/994/2019 du 05.06.2019 ( MARPU ) , REFUSE

Parties : GEROFINANCE DUNAND SA / BROLLIET SA, FONDATION PROMOTION LOGEMENT BON MARCHE ET HABITAT COOPERATIF
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1232/2019-MARPU ATA/994/2019

"

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 5 juin 2019

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

GEROFINANCE DUNAND SA
représentée par Me Christophe Gal, avocat

contre

BROLLIET SA

et

FONDATION POUR LA PROMOTION DU LOGEMENT BON MARCHÉ ET DE L'HABITAT COOPERATIF
représentée par Me Philippe Prost, avocat



 

Attendu en fait que :

1. Le 11 janvier 2019, la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l'habitat coopératif (ci-après : FPLC) a publié sur le site www.simap.ch un appel d’offres en procédure ouverte. Il visait à sélectionner le futur partenaire, mandaté directement par la FPLC, pour l'exécution des prestations de commercialisation, de gestion et d'administration (pour les trois premières années dans le cas de la gestion de l'administration), de quarante-sept logements en propriété par étages d'un projet du quartier « Adret Pont-Rouge ». Plus précisément, l'appel d'offres était amené à réaliser et commercialiser un ensemble de quarante-sept logements situés sur le lot D., en propriété par étages se répartissant comme suit : bâtiment L9 – vingt logements – cent pièces – vingt places de parking ; bâtiment L11 – vingt-sept logements – cent-six pièces – vingt-sept places de parking.

Des éléments complémentaires au dossier d'appel d'offre ont été publiés sur le même site le 18 janvier 2019.

Le pouvoir adjudicateur était la FPLC. Le délai de réception des offres était fixé au 26 février 2019 à 12h00. L’ouverture des offres avait eu lieu le 27 février 2019 à 10h.

Les critères d’adjudication étaient les suivants : références des personnes clés (deux références réalisées dans les cinq dernières années de chaque personne clé pour des prestations similaires ; pondération 35 %) ; moyens mis en œuvre (moyens utilisés pour atteindre l'objectif de commercialisation ; pondération 35 %) ; prix (montant de l'offre d'honoraires de commercialisation, pondération 25 % et montant de l'offre d'honoraires de gestion et d'administration de la propriété par étages, pondération 5 %, soit une pondération totale de 30 %).

Dans le cadre de cet appel d'offres, aucune question et réponse pourrait être posée.

2. a. Neuf sociétés ont déposé une offre dans le délai imparti, dont Brolliet SA et Gerofinance Dunand SA. Deux d'entre elles ont été déclarées non conformes.

b. Gerofinance Dunand SA a déposé une offre dans le délai imparti. La note obtenue sur le critère 1, soit les références des personnes clés, était de 4.67 (pour un nombre de points de 163.33) ; la note attribuée pour le critère 2, soit les moyens mis en œuvre, était de 4.50 (pour un nombre de points de 157.50) ; la note obtenue pour le critère 3 était de 0.87 pour les honoraires de commercialisation et de 5,0 pour les honoraires de gestion (pour un nombre de points de 46.81).

3. Le 15 mars 2019, le mandataire de FPLC a informé Gerofinance Dunand SA que le marché avait été adjugé à Brolliet SA pour les montants suivants :

-          honoraires de commercialisation : montant forfaitaire CHF HT (propriété par étage ordinaire, face vente des lots y compris la quote-part terrain) : bâtiment L9 : 89'579.- et bâtiment 11L : 120'931.- ;

-          honoraires de commercialisation : montant forfaitaire CHF HT (propriété par étage sur droit de superficie, vente des lots sur droit de superficie) : bâtiment L9 : 92'438.- et bâtiment 11L : 124'792.- ;

-          montant honoraires de gestion et administration de la propriété par étages pour trois ans en CHF HT : bâtiment L9 : 50'500.- et bâtiment 11L : 67'300.-.

Gerofinance Dunand SA avait été classée au quatrième rang sur sept offres évaluées. La grille d’évaluation était annexée et faisait partie intégrante de la décision. Il en ressortait que Gerofinance Dunand SA avait obtenu un total de 368 points et que Brolliet SA obtenait 455 points.

4. Par acte du 26 mars 2019, complété le 1er avril 2019, Gerofinance Dunand SA a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation et à ce que le marché en cause lui soit adjugé, subsidiairement à ce que le dossier soit renvoyé à la FPLC pour nouvelle décision. Préalablement, elle demandait à ce que l’effet suspensif soit octroyé à son recours.

La recourante était dans l'incapacité de déterminer précisément les raisons pour lesquelles son offre n'avait pas été retenue, sur la base des documents remis, et estimait que le principe de transparence n'était pas respecté. Par ailleurs, le contenu et le bien-fondé de l'appel d'offres était remis en cause, dans la mesure où les conditions pouvaient s'apparenter à un avantage pour la société adjudicataire de la première phase du même projet, qui disposait de facto des outils lui permettant d'assurer la réalisation du marché sans avoir besoin d'effectuer un nouvel investissement. Le principe de l'égalité de traitement entre tous les candidats devait être garanti dans toutes les phases de la procédure, ce qui n'avait pas été le cas.

5. Le 30 avril 2019, la FPLC a conclu, principalement, à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif. Pour le surplus, elle se réservait le droit d'apporter des éléments de fait et de compléter ses déterminations en droit ainsi que ses conclusions dans le cadre d'une éventuelle réponse au fond.

Elle a conclu à l'irrecevabilité du recours pour défaut de qualité pour recourir de Gerofinance Dunand SA et en raison du caractère lacunaire de celui-ci, cette dernière ne s’étant placée qu'en quatrième position et son offre s'écartant de 87.28 points de celle de l'adjudicataire, la décision attaquée ne prêtait pas le flanc à la critique et l'offre de la recourante ne saurait en aucun cas retenue, même en cas d'admission du recours. Pour les mêmes raisons, la demande d'effet suspensif devait être rejetée, le recours ne paraissait pas suffisamment fondé pour qu'elle soit octroyée. En outre, le mémoire de recours ainsi que son complément présentaient des lacunes manifestes et ne satisfaisaient pas aux exigences de la loi.

Au fond, le principe de transparence avait été respecté, dans la mesure où la décision d'adjudication avait été notifiée à Gerofinance Dunand SA, avec indication de la société adjudicataire, des détails de l'offre retenue ainsi qu'une comparaison entre les notes attribuées à la recourante, respectivement l'adjudicataire. Elle pouvait donc déterminer précisément les raisons pour lesquelles son offre n'avait pas été retenue. Les griefs à l'encontre de l'appel d'offres aurait dû être invoqués au stade de la contestation de la décision d'adjudication, ce qui n'avait pas été le cas.

6. Par mémoire du 29 mai 2019, Gerofinance Dunand SA a persisté dans ses conclusions. S'agissant de la recevabilité du recours, elle disposait d'un intérêt juridique certain à l'annulation de la décision et conservait toutes ses chances d'obtenir l'adjudication du marché, dans la mesure où, hormis le troisième critère relatif aux honoraires de gestion, elle se situait en tête de liste ou en seconde position pour les autres critères ; de plus, le recours comportait un exposé des motifs suffisants et des conclusions explicites. S'agissant de l'effet suspensif, les conditions à son octroi étaient réalisées, le recours était suffisamment bien-fondé et aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y opposait ; elle ne soutenait plus la violation du principe de la transparence qui avait été « quelque peu réparée dans le cadre du recours » mais faisait valoir une violation du principe d'égalité de traitement, dans la mesure où Brolliet SA s'était déjà vu adjuger un marché public concernant les bâtiments L3, L5, L6 et L8 dans la première phase de commercialisation du projet Ardet-Pont-Rouge et que, par cette adjudication, elle disposait des outils lui permettant d'assurer la réalisation du marché sans investissements complémentaires, respectivement d'assurer ladite réalisation ; c'était la raison pour laquelle il existait une différence importante entre les honoraires de commercialisation proposés par Brolliet SA et les autres concurrents.

7. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant en droit que :

1. Interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, le recours est recevable sous ces aspect (art. 15 al. 2 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05) et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) ;

2. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, restituer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/1581/2017 du 7 décembre 2017 consid. 2, et les arrêts cités ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).

La restitution de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1581/2017 précité consid. 2, et les arrêts cités).

3. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise notamment à harmoniser les règles de passation des marchés (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. Aux termes de l’art. 24 RMP, l’autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché ; elle doit les énoncer clairement et par ordre d’importance au moment de l’appel d’offres.

En vertu de l’art. 43 RMP, l’évaluation des offres dans les procédures visées aux art. 12 à 14 RMP est faite selon les critères prédéfinis conformément à l’art. 24 RMP et énumérés dans l’avis d’appel d’offres et/ou les documents d’appel d’offres (al. 1) ; le résultat de l’évaluation des offres fait l’objet d’un tableau comparatif (al. 2) ; le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, c’est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix ; outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l’adéquation aux besoins, le service après-vente, l’esthétique, l’organisation, le respect de l’environnement (al. 3) ; l’adjudication de biens largement standardisés peut intervenir selon le critère du prix le plus bas (al. 4).

c. La jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6), l’appréciation de la chambre administrative ne pouvant donc se substituer à celle de ce dernier, seul l’abus ou l’excès de pouvoir d’appréciation devant être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.111/2003 du 21 janvier 2004 consid. 3.3 ; 2P.172/2002 du 10 mars 2003
consid. 3.2). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d’appréciation (décision de la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics du 29 juin 1998, publiée in JAAC 1999 p. 136 consid. 3a).

d. Le principe de l’égalité de traitement entre soumissionnaires oblige l’autorité adjudicatrice à traiter de manière égale les soumissionnaires tout au long du déroulement formel de la procédure (art. 16 RMP ; ATA/1005/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3 ; ATA/51/2015 du 13 janvier 2015 et la jurisprudence citée ; Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Droit des marchés publics, 2002, p. 109 ; Benoît BOVAY, La non-discrimination en droit des marchés publics, RDAF 2004 p. 241 ss).

4. a. En matière de marchés publics, l'obligation de motiver tirée du droit d'être entendu se manifeste par le devoir qu’a l’autorité d’indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre ; ce principe est concrétisé par les art. 13 let. h AIMP et 45 al. 1 RMP, qui prévoient que les décisions d'adjudication sont sommairement motivées (ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 6b).

Dans ce cadre, l'autorité peut, dans un premier temps, procéder à une notification individuelle, voire par publication, accompagnée d'une motivation sommaire ; sur requête du soumissionnaire évincé, l'autorité doit lui fournir des renseignements supplémentaires relatifs notamment aux raisons principales du rejet de son offre ainsi qu'aux caractéristiques et avantages de l'offre retenue. L'ensemble de ces explications de l'autorité (fournies le cas échéant en deux étapes) doit être pris en considération pour s'assurer qu'elles sont conformes, ou non, aux exigences découlant du droit d'être entendu ; de surcroît, la pratique admet assez généreusement la réparation d'une motivation insuffisante dans la procédure de recours subséquente (ATA/1329/2018 du 11 décembre 2018 consid. 4c et la référence citée).

b. Lors de l’examen des offres, l’autorité adjudicatrice examine la conformité des offres au cahier des charges et contrôle leur chiffrage (art. 39 al. 1 RMP). Les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d’écriture, sont corrigées (art. 39 al. 2, 1ère phrase RMP). Selon l’art. 40 RMP, elle peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre (al. 1). Les explications sont en principe fournies par écrit ; si elles sont recueillies au cours d’une audition, un procès-verbal est établi et signé par les personnes présentes (al. 2). En présence d’une offre paraissant anormalement basse, l’autorité adjudicatrice doit demander au soumissionnaire de justifier ses prix, selon la forme prévue à l’art. 40 al. 2 RMP (art. 41 RMP).

5. En l’espèce, la décision de refus d'adjudication contenait le tableau des notes obtenues par la recourante et par l'adjudicataire pour les différents critères, et la FPLC a fourni les pièces utiles dans le délai de recours, lui permettant d'introduire ce dernier en connaissance de cause. Le grief de violation du droit d'être entendu apparaît donc, à première vue, infondé.

Quant au grief de violation du principe de l'égalité de traitement, l'offre de Brolliet SA n'apparaît prima facie anormalement basse au regard des principes jurisprudentiels. Quoi qu'il en soit, la recourante ne s'est placée qu'en quatrième position suite à l'appel d'offre de la FPLC, les offres de deux autres concurrents ayant été considérées comme plus avantageuses que la sienne.

Dans ces circonstances, le recours ne présente pas d'emblée suffisamment de chances de succès pour permettre à la chambre de céans d’octroyer l’effet suspensif au recours.

La demande d'octroi d'effet suspensif sera rejetée.

6. La question de la recevabilité du recours sera laissée ouverte en l'état et tranchée ultérieurement.

Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110) la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

 si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Christophe Gal, avocat de la recourante, à Brolliet SA, à Me Philippe Prost, avocat de la fondation intimée, ainsi qu’à la commission de la concurrence (COMCO).

 

 

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :