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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/821/2019

ATA/851/2019 du 30.04.2019 ( AIDSO ) , REJETE

Recours TF déposé le 03.06.2019, rendu le 06.02.2020, PARTIELMNT ADMIS, 8C_444/2019
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/821/2019-AIDSO ATA/851/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 avril 2019

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par l’association pour la permanence de défense des patients et des assurés, soit pour elle Madame Caroline RENOLD

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

 

 



EN FAIT

1. a. Mesdames A______ (ci-après : Mme A______), B______ et C______ sont propriétaires en main commune de la parcelle n° 1______ de la commune de D______, sise E______ à ______, d’une surface totale de 1'193 m2, laquelle abrite notamment un immeuble de 262 m2 au total, comprenant trois appartements.

b. Elles ont hérité de cet immeuble au décès de leur tante maternelle en 1969.

Selon une correspondance du 31 octobre 1969 de la justice de paix, Maîtres F______ et G____ étaient notaires liquidateurs de la succession.

2. Par acte notarié du 20 février 2006, les trois propriétaires « en propriété commune (communauté héréditaire) » ont constitué un droit d’habitation au profit de leurs parents, Madame et Monsieur H______ jusqu’au dernier décès de ses bénéficiaires.

Madame H______ est décédée le ______ 2016, postérieurement à son époux. Le logement de quatre pièces qu’elle occupait dans l’immeuble est inoccupé depuis le décès de celle-ci.

3. Mme A______ a sollicité des prestations d’aide sociale auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) le 8 octobre 2018.

Elle était au bénéfice d’une rente invalidité. Elle habitait à I______. Elle avait une fille à charge, née en 1997. Son fils, né en 1994, logeait avec elles.

Une action en partage successoral avait été déposée devant le Tribunal de première instance le 4 octobre 2018. Le SPC avait cessé le versement des prestations complémentaires (ci-après : PC) dès le 1er mars 2016, considérant qu’en raison de l’extinction du droit d’habitation précité, il devait être tenu compte, dès cette date, de la valeur du bien immobilier détenu en propriété commune.

4. Par décision du 19 décembre 2018, le SPC a rejeté la demande. La fortune de la requérante était supérieure aux normes légales en vigueur.

Le SPC retenait une fortune immobilière de CHF 820'000.- et un produit des biens immobiliers de CHF 36'900.- annuel au motif que lorsqu’un immeuble ne servait pas d’habitation au requérant, le revenu pris en compte correspondait au loyer encaissé ou à un revenu déterminé sur la base de la valeur du bien selon le taux forfaitaire de l’administration fiscale cantonale genevoise.

5. Le 8 janvier 2019, Mme A______ a fait opposition à la décision. Son droit à des conditions minimales d’existence était violé. Elle n’avait aucun moyen de subsistance. Sa fille et elle-même étaient dans une situation de totale précarité, ne leur permettant pas de s’alimenter, de payer leur loyer, leur assurance maladie ou leurs frais de santé.

6. Par décision du 31 janvier 2019, la directrice du SPC a rejeté l’opposition. Une aide financière pouvait être exceptionnellement accordée à une personne propriétaire d’un bien immobilier si celui-ci lui servait de demeure permanente. Dans ce cas, l’aide financière accordée était remboursable. En l’espèce, l’intéressée était devenue propriétaire en 1969 déjà d’un bien immobilier. Celui-ci ne lui servait pas de résidence permanente. Une avance sur prestations dans le cadre d’une succession n’était pas non plus applicable. Une action en partage successoral ne permettait pas de dérogation à la législation en vigueur.

7. Par acte du 28 février 2019, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à l’annulation de la décision sur opposition et à ce qu’il soit dit qu’elle avait droit aux prestations d’aide sociale dès le dépôt de sa demande. Elle chiffrait lesdites prestations.

Les parties n’avaient pas réussi à trouver un accord lors de l’audience de conciliation. Par ailleurs, la recourante ne percevait plus le loyer que lui payait préalablement sa sœur pour l’occupation du bien concerné. Des poursuites étaient en cours. Elle en était réduite à solliciter des prêts de Pro Infirmis et à aller se nourrir chez Caritas.

En droit, la décision attaquée violait l’art. 9 al. 3 let. a de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) qui permettait d’accorder des prestations financières dans l’attente de la liquidation d’une succession notamment. Il ne devait pas être tenu compte de sa fortune immobilière qui lui était inaccessible. Pour le surplus, elle avait fait le nécessaire afin que la succession soit liquidée au plus vite. Elle avait de même entamé des poursuites contre sa sœur pour obtenir un loyer. Elle confirmait s’engager à rembourser les avances qui pourraient lui être faites à titre d’assistance sociale dès que le bien immobilier serait vendu.

La décision violait l’art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) relatif au droit à des conditions minimales d’existence. L’autorité intimée n’avait pas examiné son dossier sous cet angle, violant son droit d’être entendue.

8. Le SPC a conclu au rejet du recours. La succession avait été liquidée par l’étude de notaires F______ & G____. Le 20 février 2006, l’intéressée et ses sœurs avaient expressément accepté la constitution d’un droit d’usufruit sur leur immeuble en faveur de leurs parents. Une action en partage successoral aurait pu être effectuée dès 1969. Introduite près de cinquante ans plus tard, elle ne pouvait être considérée comme comprise dans les termes « liquidation d’une succession » au sens de l’art. 9 al. 3 let. b LIASI.

9. Dans sa réplique, la recourante a contesté l’interprétation du SPC. Celui-ci se contredisait puisqu’il n’avait retenu la fortune immobilière dans le droit aux prestations complémentaires que dès mars 2016. Un bien immobilier grevé d’un droit d’habitation était quasiment invendable avant 2016.

10. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue, l’autorité intimée n’ayant pas traité son grief relatif à la violation de l’art. 12 Cst.

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst, le droit d’être entendu comprend le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_478/2017 du 8 mai 2018 consid. 2.1). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_298/2017 du 30 avril 2018 consid. 2.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; ATA/661/2018 du 26 juin 2018 et les arrêts cités ; Pierre TSCHANNEN/Ulrich ZIMMERLI/ Markus Müller, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4ème éd., 2014, p. 272 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 348 ss n. 2.2.8.3).

En l’espèce, la recourante a pu se rendre compte de la portée de la décision prise à son égard et a pu recourir en connaissance de cause.

Le grief est infondé.

3. a. Aux termes de l’art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté, et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine.

L'art. 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) reprend ce principe en prévoyant que toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle.

b. En droit genevois, la LIASI et le règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) concrétisent l’art. 12 Cst.

La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel
(art. 1 al. 1 LIASI), ainsi que de soutenir les efforts des bénéficiaires de la loi à se réinsérer sur le marché du travail et dans la vie sociale en général. Elle vise aussi à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 LIASI). Ses prestations sont fournies notamment sous forme de prestations financières (art. 2 LIASI). Les prestations d’aide financière versées sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI).

c. L'Hospice général (ci-après : l'hospice) est l’organe d’exécution de la LIASI (art. 3 al. 1 LIASI).

Le SPC gère et verse les prestations d’aide sociale notamment pour les personnes au bénéfice d’une rente de l'assurance invalidité (ci-après : AI), au sens de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - 831.20 ; art. 3 al. 2 let. b LIASI ; art. 22 al. 1 RIASI).

d. Ont droit à des prestations d’aide financière les personnes majeures qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de la famille dont ils ont la charge (art. 8 al. 1 LIASI). Ces prestations ne sont pas remboursables, sous réserve des art. 12 al. 2 et 36 à 41 LIASI (al. 2).

Selon l’art. 21 al. 1 LIASI, ont droit aux prestations d’aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n’atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d’État. L’art. 23 al. 1 LIASI prévoit que sont prises en compte la fortune et les déductions sur la fortune prévues aux art. 6 et 7 de la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06), les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aides financière étant fixées par règlement du Conseil d’État (art. 23 al. 5 LIASI).

Le revenu déterminant le droit aux prestations sociales comprend notamment, au titre de la fortune prise en compte tous les immeubles situés dans et hors du canton (art. 6 let. a LRDU).

L’art. 1 al. 1 RIASI prévoit que les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aide financière sont de CHF 4'000.- pour une personne seule majeure (let. a).

e. Parmi les dispositions traitant des bénéficiaires de l’aide sociale,
l’art. 12 LIASI est consacré aux cas exceptionnels. L’art. 12 al. 2 LIASI prévoit ainsi qu’exceptionnellement une aide financière peut être accordée à une personne propriétaire d’un bien immobilier, si ce bien lui sert de demeure permanente. Dans ce cas, l’aide financière accordée est remboursable, l’immeuble pouvant être grevé d’une hypothèque au profit de l’hospice. L'hospice demande le remboursement de ces prestations dès que le bénéficiaire ne remplit plus les conditions du besoin (art. 39 al. 2 LIASI).

f. De l’exposé des motifs relatifs à la LIASI et des débats ayant porté sur l’art. 12 al. 2 LIASI, il résulte que le législateur estimait nécessaire que l’hospice puisse aider une personne propriétaire de son logement pour éviter que celle-ci soit obligée de réaliser son bien et se retrouve sans toit. Il a été proposé qu’un amendement prévoie que les prestations ainsi accordées soient remboursables, l’hospice pouvant obtenir une hypothèque légale à titre de garantie sur l’immeuble, en contrepartie des prestations financières (MGC 2006-2007/V A - Séance 25 du 23 février 2007).

La ratio legis de la loi est que l’hospice puisse venir en aide à une personne propriétaire de son logement dans lequel elle demeure pour éviter que celle-ci ne se retrouve à la rue en cas de vente de l’immeuble. Ainsi, l’exception prévue à l’art. 12 al. 2 LIASI est celle du cas où le bien immobilier est la demeure permanente de la personne qui demande de l’aide à l’hospice. Le droit à des prestations n’est donc pas ouvert au propriétaire d’un bien immobilier qui n’est pas utilisé comme résidence permanente, l’exception voulue par le législateur n’étant en effet pas réalisée dans ce cas (ATA/1237/2018 du 20 novembre 2018 consid. 2 ; ATA/1545/2017 du 28 novembre 2017 consid. 7b ; ATA/1010/2016 du 29 novembre 2016 consid. 5b ; ATA/1219/2015 du 10 novembre 2015 consid. 3b).

g. En l'espèce, la recourante ne conteste pas être propriétaire d'un bien immobilier qui ne lui sert pas de demeure permanente.

À teneur claire de la loi, il n’existe pour la recourante aucun droit à une assistance financière. En d’autres termes, celle-ci ne peut prétendre être mise au bénéfice de l’aide exceptionnelle prévue par l’art. 12 al. 2 LIASI.

4. La recourante reproche au SPC une mauvaise interprétation de l'art. 9 al. 3 let. b LIASI.

a. L'art. 9 al. 3 LIASI prévoit que des prestations d'aide financière peuvent être accordées au titre d'avance dans différentes situations énumérées de façon non exhaustive.

La let. b vise, notamment, les situations dans l’attente de la liquidation d’une succession.

b. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de déterminer si la situation répond à la définition légale de l’ « attente de la liquidation d’une succession » de l’art. 9 al. 3 let. b LIASI, d’une part au motif que ladite disposition est exemplative, d’autre part compte tenu de ce qui suit.

En effet, cette disposition ne prévoit pas une prestation financière supplémentaire, devant être différenciée de l'aide financière générale. À teneur du texte de l'art. 9 al. 3 LIASI, cette disposition ne vise qu'à alléger le principe de subsidiarité pour permettre le versement d'une aide financière, alors même que le requérant est dans l'attente d’une prestation. Il ressort en particulier des débats parlementaires que l'art. 9 al. 3 visait essentiellement le régime de l'AI. L'élaboration d'un dossier AI prend plusieurs années, temps pendant lequel la personne en attente peut se trouver privée de revenus. Si son revenu est inférieur au barème, elle peut ainsi entrer dans le champ d'application de la LIASI et recevoir des prestations financières (MGC 2006-2007/V A - Séance 25 du 23 février 2007).

Ainsi, pour bénéficier de l'aide financière accordée au titre d'avance, le requérant doit préalablement pouvoir être qualifié de bénéficiaire des prestations financières de la LIASI. Or, comme susmentionné, la recourante n'a aucun droit à une assistance financière dans la mesure où elle est propriétaire d'un bien immobilier où elle ne demeure pas (ATA/1219/2015 du 10 novembre 2015 consid. 4). De surcroît, un logement y est inoccupé.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5. Vu son issue, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 février 2019 par Madame A______ contre la décision sur opposition du service des prestations complémentaires du 31 janvier 2019 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, soit pour elle l’association de défense des patients et des assurés ainsi qu'au service des prestations complémentaires.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

K. De Lucia

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 


 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :