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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4139/2022

ATA/80/2023 du 25.01.2023 ( MARPU ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4139/2022-MARPU ATA/80/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 25 janvier 2023

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ SA recourante

contre

B______

représentés par Me David BENSIMON, avocat

C______ SA, SUCCURSALE DE D______

E______ SARL

G______ SARL intimés



Vu, en fait, la décision du 22 novembre 2022 des B______
(ci-après : B______) adjugeant à C______ SA pour CHF 1'583'232.- hors TVA, E______ Sàrl pour CHF 2'918'280.- hors TVA et F______ Sàrl pour CHF 2'922'960.- hors TVA, le marché public « mise à disposition de personnel d’ingénierie » ; leurs offres remplissaient pleinement les conditions leur permettant d’être adjudicataires et elles avaient été jugées économiquement les plus avantageuses, conformément à la grille d’évaluation annexée ;

vu le recours formé le 5 décembre 2022 par A______ SA auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que le marché public lui soit attribué, subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée aux B______ pour nouvelle décision ;

préalablement, l’effet suspensif devait être accordé au recours et l’intégralité des dossiers en mains des B______ produite, soit notamment le dossier de la soumission établi par les B______ à l’attention des soumissionnaires, le dossier de soumission de la recourante aux B______, les dossiers de soumission de chacun des soumissionnaires aux B______, le procès-verbal de l’évaluation des offres, les procès-verbaux des séances de clarification des offres de chacun des soumissionnaires et le rapport d’adjudication ;

que la recourante a exposé que le soumissionnaire se devait de partager le marché entre plusieurs adjudicataires, mais au plus trois, le premier étant prioritaire aux deux autres lors de sollicitations de ressources ; elle avait elle-même chiffré son offre à CHF 2'915'208.- ; tous les soumissionnaires avaient obtenu la note maximale pour les critères n° 2 (organisation pour l’exécution) et n° 3 (organisation de base) ; elle avait été classée en 2ème position pour le critère du prix, avec une note de 3.79, et pour le critère des références du personnel mis à disposition, avec une note de 4 ; elle était classée en 2ème position pour le critère du développement durable, avec une note de 3 ; enfin, l’appréciation globale des critères l’avait placée en 4ème position ; la manière dont les critères quantitatifs, principalement les nos 2 et 3, avaient été appréciés et pondérés par l’autorité adjudicatrice n’était pas motivée et était incompréhensible ; son droit d’être entendue avait été violé ; le fait que la même note avait été attribuée laissait entendre que ces critères n’avaient pas été instruits et que seul le critère du prix avait été pris en considération, ce qui était arbitraire ; l’adjudicataire principale, C______ SA, avait obtenu la note 2 au critère des références du personnel mis à disposition ; ce critère devait être mis en corrélation avec le prix et il était évident qu’un niveau de qualification inférieur entraînait des coûts inférieurs ; l’offre de C______ SA aurait dû être écartée ; anormalement basse – avec un écart énorme de CHF 1'331'976.- par rapport à la moyenne des offres – elle laissait craindre une distorsion de la concurrence et aurait dû faire l’objet de vérifications ; le recours n’apparaissait pas dénué de chances et l’effet suspensif devait lui être accordé ; le contrat était prévu pour une certaine durée, renouvelable, et il n’existait aucune urgence à une exécution immédiate ;

que les B______ ont conclu le 16 décembre 2022 au rejet de la requête en octroi de l’effet suspensif et, sur mesures provisionnelles, à la levée de l’interdiction de conclure le contrat, subsidiairement à ce que la recourante soit condamnée à fournir des sûretés pour un montant de CHF 10'000.- dans un délai de dix jours ouvrables, faute de quoi l’interdiction de conclure serait levée ; le recours était manifestement dénué de toute chance de succès et l’intérêt public commandait une conclusion rapide du contrat ; les tableaux d’évaluation et de notation fournis remplissaient l’exigence de motivation ; la recourante n’avait pas fait usage de son droit d’obtenir des renseignements sur les raisons principales du rejet de son offre et les avantages de l’offre retenue ; la règle de l’exclusion n’avait pas été appliquée au marché ; l’astérisque dans lequel la recourante avait vu la marque d’un critère éliminatoire renvoyait en fait à une note de bas de page recommandant de copier le formulaire pour chaque personne clé ; la note 2 de C______ SA était justifiée dans le rapport d’adjudication par le fait que ses candidats n’avaient pas d’expérience préalable avec les B______, à la différence de tous les autres soumissionnaires ; l’attribution d’une note équivalente de 3 au moins à tous les candidats signifiait que ceux-ci avaient fourni l’information ou le document demandé et dont le contenu répondait aux attentes minimales ; le droit des marchés publics n’empêchait pas ce procédé lorsque toutes les offres se valaient ; après pondération des critères, l’écart entre concurrents restait le même ; les B______ avaient fait usage de leur large pouvoir d’appréciation pour considérer que toutes les offres se valaient pour les critères nos 2 et 3 ; la recourante, qui n’avait pas fourni l’attestation de paiement de l’impôt à la source pour l’année 2022, aurait dû être exclue de la procédure ; l’offre de C______ SA était inférieure de 41 % mais les B______ l’avaient convoquée le 29 septembre 2022 et elle avait expliqué qu’elle avait pleinement les capacités d’exécuter le marché et de fournir les travailleurs au prix offert et que le prix de son offre respectait l’arrêté fédéral étendant le champ d’application de la convention collective de travail (ci-après : CCT) de la branche du travail temporaire du 13 décembre 2011, laquelle prévoyait un salaire horaire minimum de CHF 23.59, alors que C______ SA avait prévu CHF 39.- pour le chef de projet, CHF 47.- pour l’ingénieur senior et CHF 38.- pour l’ingénieur junior ; les contrats en vigueur arrivaient à échéance et les B______ avaient un intérêt prépondérant à les renouveler ;

que C______ SA a conclu le 16 décembre 2022 au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif ; les B______ s’étaient informés sur son offre et elle avait pu exposer le calcul du prix et la décomposition des facteurs appliqués, soit notamment le respect du salaire minimum, la couverture de toutes les charges sociales ; la réalisation d’une rentabilité suffisante et d’une marge raisonnable ; elle avait établi qu’elle pourrait grâce à ses moyens opérationnels considérables recruter les ingénieurs aux salaires offerts, effectivement concurrentiels ; l’offre n’était pas inusuelle pour le groupe C______ SA et n’avait rien de déloyal ; à l’issue de la procédure, il avait été convenu qu’elle placerait très rapidement vingt ingénieurs auprès des B______ ; elle subirait un manque à gagner important si l’effet suspensif était octroyé ;

que dans le délai prolongé du 10 au 20 janvier 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif ; les B______ n’apportaient pas d’éléments établissant que les offres étaient équivalentes sur les critères nos 2 et 3 ; la note maximale 5 ne pouvait être attribuée qu’en raison d’un avantage par rapport aux autres candidats ; en mentionnant dans les documents d’appel d’offres des exigences particulières en lien avec l’expérience professionnelle des collaborateurs et en usant de documents peu clairs, les B______ avaient manifestement violé le principe de transparence et d’égalité de traitement ; les B______ n’établissaient pas la séance d’explications avec C______ SA et l’exigence de documentation n’était pas respectée ; les tarifs de C______ SA correspondaient certes aux minima de la CCT des bureaux d’ingénieurs dans sa version 2021, mais pas au marché, lequel connaissait une pénurie de main-d’œuvre, et des salaires supérieurs de 40 % ; les salaires de la CCT augmenteraient en 2023 et la marge de C______ SA serait encore plus faible et en-deçà des marges usuelles ;

que les parties ont été informées le 23 janvier 2023 que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, qu’interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, le recours est, a priori, recevable (art. 15 al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 – RMP - L 6 05.01) ;

que les mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA – E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020) ;

qu'aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n'a pas d'effet suspensif ; toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l'autorité de recours peut, d'office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose ;

que l'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; l'effet suspensif doit être refusé au recours manifestement dépourvu de chances de succès et dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/987/2021 du 24 septembre 2021 ; ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1349/2019 du 9 septembre 2019 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, p. 317) ;

que lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3) ;

que la restitution de l'effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu'avec restriction (ATA/1349/2019 précité ; ATA/446/2017 précité consid. 2 ; ATA/62/2017 du 23 janvier 2017 consid. 2 ; ATA/793/2015 du 5 août 2015 consid. 2) ;

que l'AIMP a pour objectif l'ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP) ; il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP) et assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) ;

que selon l'art. 45 al. 1 RMP, l'autorité adjudicatrice rend une décision d'adjudication sommairement motivée, notifiée soit par publication sur la plateforme électronique sur les marchés publics gérée par l’association simap.ch (www.simap.ch), soit par courrier à chacun des soumissionnaires, avec mention des voies de recours ;

qu’en matière d'évaluation des offres, la jurisprudence reconnaît une grande liberté d'appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 du 5 avril 2018 consid. 5.1 ; ATA/1685/2019 du 19 novembre 2019 consid. 8b et les références citées), y compris s'agissant de la méthode de notation (ATA/676/2020 du 21 juillet 2020 consid. 4b et les références citées) ;

que selon l'art. 40 RMP, l’adjudicatrice peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre (al. 1) ; que le principe d'intangibilité des offres et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires impliquent de ne procéder à ce type de questionnement que de manière restrictive, et seulement lorsque l'offre est, au demeurant, conforme aux conditions de l'appel d'offres ; que même les auteurs qui préconisent une certaine souplesse dans le traitement des informalités admettent que l'autorité adjudicatrice dispose d'un certain pouvoir d'appréciation quant au degré de sévérité dont elle désire faire preuve dans le traitement des offres, pour autant qu'elle applique la même rigueur ou la même flexibilité à l'égard des différents soumissionnaires (ATA/149/2018 du 20 février 2018 et les références citées) ; à cet égard, la chambre administrative ne sanctionne que l'abus ou l'excès du pouvoir d'appréciation (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.111/2003 du 21 janvier 2004 consid. 3.3) ;

qu’en l’espèce, la décision querellée indique le nom des adjudicataires, le montant de leurs soumissions, la grille d’évaluation des critères d’évaluation ainsi que le classement et les points obtenus par chacun des soumissionnaires pour chaque critère ; qu’il apparaît, à première vue et sans préjudice de l’examen au fond, que ces éléments étaient suffisants pour permettre à la recourante de contester la décision d’adjudication ;

que la recourante infère de la différence entre les prix offerts en relation avec l’attribution de notes identiques aux critères nos 2 et 3 un soupçon de distorsion de la concurrence ou d’abus de pouvoir d’appréciation, voire d’arbitraire, des B______ ;

que les explications fournies par les B______ et C______ SA quant aux clarifications demandées et apportées et à la justification des notations ne permettent pas, à ce stade de la procédure et sans préjudice de l’examen au fond, de concrétiser les soupçons de la recourante ;

qu’au regard de ces mêmes éléments, le grief de violation du droit d’être entendu tiré d’une motivation insuffisante de la décision d’adjudication ne paraît, a priori, pas manifestement fondé ;

que la recourante ajoute dans sa réplique que les salaires proposés par C______ SA ne correspondraient pas au prix du marché, ce qui devrait disqualifier son offre ;

que les tarifs horaires apparaissent cependant conformes à la CCT et que le grief de la recourante repose à première vue sur des hypothèses alors que les B______ ont exposé avoir pris en compte les explications de C______ SA selon lesquelles un sondage à l’intérieur du groupe avait permis de s’assurer du caractère réaliste des salaires, de sorte que le grief d’abus du pouvoir d’appréciation n’apparait pas, à ce stade la procédure et sans préjudice de l’examen du fond, manifestement fondé ;

qu’au vu de ce qui précède, les chances de succès du recours sont insuffisantes en l'état pour octroyer l'effet suspensif, étant rappelé que l'absence d'un tel effet au recours constitue la règle en matière de marchés publics ;

que la demande d’octroi de l’effet suspensif étant refusée, la demande de mesures provisionnelles formée par les B______ est sans objet ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais de la présente décision.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse d'octroyer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à A______ SA, à Me David BENSIMON, avocat des B______, à C______ SA, SUCCURSALE DE D______, E______ Sàrl et F______ Sàrl.

 

 

La présidente :

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :