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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2319/2015

ATA/793/2015 du 05.08.2015 ( MARPU ) , REFUSE

Parties : BARU SA / ATBA - L'ATELIER, BUREAU D'ARCHITECTES SA, OFFICE DES BATIMENTS
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2319/2015-MARPU ATA/793/2015

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 5 août 2015

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

BARU SA
représentée par Me John Frederick Eardley, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES FINANCES – OFFICE DES BÂTIMENTS


et

ATBA - L'ATELIER, BUREAU D'ARCHITECTES SA, appelée en cause



Vu l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 21 décembre 2010 ;

Attendu qu'il ressort du dossier les faits suivants :

1) En date du 24 février 2015, l’office des bâtiments (ci-après : l’OBA), qui fait partie du département des finances (ci-après : le DF), a publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) un appel d’offres, en procédure ouverte et soumis à l’accord GATT/OMC, respectivement aux accords internationaux, avec délai de dépôt au 7 avril 2015, pour des prestations d’architecture portant sur des rénovations au Centre horticole de Lullier.

A teneur du document (« cahier des charges ») A1 (« Objet : rénovations au Centre horticole de Lullier » - « Mandat d’architecte, phases SIA 4.32-4.33 et 4.41 à 4.53 selon le cahier des prestations OBA en annexe »), une analyse détaillée de l’état de l’existant, une définition des interventions et une estimation des coûts (avec une précision +/- 20%), effectuées dans le cadre d’une expertise établie par Alain Dreier Bureau Technique du Bâtiment SA, avaient amené à l’établissement d’un planning d’intervention de rénovations d’une partie des bâtiments du site sur cinq ans (ch. 2.2.3), le montant total des travaux donnant droit aux honoraires étant estimé sur ces cinq ans à CHF 5'500'000.- HT (ch. 2.2.5).

Les prestations de l’architecte étaient énumérées au ch. 2.2.6 de ce document, ainsi qu’au ch. 3.4 du document (« offre du candidat à remettre ») B1.

Selon le document A1 (ch. 4.7), les critères d’adjudication étaient les suivants :

· références du candidat (pondéré à 30%) ;

· organisation du candidat selon méthodologie (pondéré à 25%) ;

· compréhension de la problématique (pondéré à 15%) ;

· qualité économique globale de l’offre (pondéré à 30%) :

· prix (20%) ;

· crédibilité du prix (heures, tarifs, etc. ; 10%).

A teneur du ch. 4.11 du document A1, l’adjudicateur avait l’intention de noter les offres sous l’angle du temps consacré pour exécuter le marché.

2) Dans le délai de dépôt, l’OBA a reçu dix offres recevables, dont les prix variaient entre CHF 420'000 TTC et CHF 1'738'800.- TTC.

Baru SA, sise à Carouge (GE), a déposé une offre pour la somme totale de CHF 420'000.- TTC.

Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA, sise à Genève, a présenté une offre pour le montant total de CHF 793'800.- TTC.

3) Lors d’une séance du 24 avril 2015, un représentant de Baru SA a été auditionné par le comité d’évaluation.

Selon les propos tenus par le comité d’évaluation, l’État de Genève ne souhaitait pas réaliser les travaux tels qu’exécutés précédemment avec Baru SA sur d’autres chantiers, ce qui impliquait que ladite société devrait probablement établir de nouveaux projets. « Les exigences du SAC » n’étaient plus les mêmes qu’auparavant quant à « la gestion des AO », ce qui prenait plus de temps ; il était relevé à l’intention de Baru SA les prestations spéciales et les pièces annexes du dossier d’appel d’offres, de même que les différences d’heures principales par rapport à la norme SIA. Le comité d’évaluation estimait très insuffisant le nombre d’heures prévu par Baru SA pour le projet de l’ouvrage, les appels d’offres et les plans d’exécution, et s’étonnait que la méthode de calcul des heures ne soit pas explicitée.

Baru SA comprenait les réticences du comité d’évaluation. Elle avait une expérience et une connaissance du site, maîtrisait les processus d’appel d’offres à entreprises ainsi qu’au plan comptable, les ayant pratiqués sur les autres toitures du site de Lullier. Elle avait parfaitement pris connaissance du dossier d’appel d’offres. Elle n’avait pas tenu compte de la norme SIA, mais s’était basée sur son expérience antérieure. Elle assurait pleinement le caractère serré du calcul des honoraires.

Par courrier du 8 mai 2015 au comité d’évaluation, Baru SA a apporté de nouvelles précisions, en plus de ses explications mentionnées au procès-verbal de la séance du 24 avril 2015. Son offre et, plus précisément, le nombre d’heures estimé étaient basés sur les éléments du cahier des charges et du rapport d’expertise.

4) Aux termes du rapport d’adjudication établi le 10 juin 2015 par le comité d’évaluation, Baru SA a obtenu la note 3,50 pour le critère « références du candidat », Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA la note 4,75. Pour le critère « organisation du candidat selon méthodologie », Baru SA a reçu la note 3,25, Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA la note 4,50. Concernant le critère « compréhension de la problématique », Baru SA s’est vue attribuer la note 4,00, Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA la note 4,50. Enfin, Baru SA a obtenu 5,00 pour le critère « compétitivité du prix », 1,25 pour le critère « crédibilité du prix », Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA 1,40, respectivement 5,00.

5) Par décision du 24 juin 2015, notifiée le lendemain, l’OBA a informé Baru SA que le DF avait adjugé le marché à Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA pour un montant de CHF 793'000.-. Baru SA était classée au 2ème rang.

Était joint un tableau d’analyse multicritères avec les notes des dix candidats, indiquant notamment que les notes étaient fixées de 0 à 5.

6) Par acte déposé le 6 juillet 2015 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Baru SA a formé recours contre cette décision, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours, au fond, principalement à l’annulation de ladite décision et à l’attribution à elle-même du marché en cause, subsidiairement à la constatation que cette décision d’adjudication était illicite et au déboutement du DF ainsi que de tous tiers de toutes autres ou contraires conclusions, le département intimé devant être condamné à tous les frais et dépens de l’instance.

7) Par lettre du 6 juillet 2015, le juge délégué de la chambre administrative a interdit à l’OBA de conclure le contrat d’exécution de l’offre jusqu’à droit jugé sur la requête de restitution de l’effet suspensif, ordonné l’appel en cause d’Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA et imparti des délais à cette dernière et à l’OBA pour se déterminer sur effet suspensif et sur le fond.

8) Dans sa réponse du 17 juillet 2015 sur effet suspensif et sur le fond, l’OBA a conclu au rejet de la requête de restitution de l’effet suspensif et à l’autorisation de conclure le contrat avec l’adjudicataire, de même qu’au rejet du recours.

9) L’appelée en cause ne s’est pas manifestée.

10) Par lettre du 29 juillet 2015, le juge délégué de la chambre administrative a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

Considérant en droit :

1) Le recours, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, est recevable de ces points de vue, en application des art. 15 al. 2 de l'Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

2) Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, restituer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/701/2013 du 22 octobre 2013 consid. 2 ; ATA/683/2013 du 10 octobre 2013 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).

La restitution de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/60/2013 du 30 janvier 2013 consid. 5 ; ATA/85/2012 du 7 février 2012 consid. 2 ; ATA/752/2011 du 8 décembre 2011 ; ATA/614/2011 du 28 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/214/2011 du 1er avril 2011 et la jurisprudence citée).

3) a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. Aux termes de l’art. 24 RMP, l'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché ; elle doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres.

En vertu de l’art. 43 RMP, l'évaluation est faite selon les critères prédéfinis conformément à l'art. 24 RMP et énumérés dans l'avis d'appel d'offres et/ou les documents d'appel d'offres (al. 1) ; le résultat de l'évaluation des offres fait l'objet d'un tableau comparatif (al. 2) ; le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse, c'est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix ; outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l'adéquation aux besoins, le service après-vente, l'esthétique, l'organisation, le respect de l'environnement (al. 3) ; l'adjudication de biens largement standardisés peut intervenir selon le critère du prix le plus bas (al. 4).

c. La jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6), l’appréciation de la chambre administrative ne pouvant donc se substituer à celle de ce dernier, seul l’abus ou l’excès de pouvoir d’appréciation devant être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.111/2003 du 21 janvier 2004 consid. 3.3 ; 2P.172/2002 du 10 mars 2003 consid. 3.2). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d’appréciation (décision de la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics du 29 juin 1998, publiée in JAAC 1999 p. 136 consid. 3a).

4) Pour ce qui concerne le critère « crédibilité du prix », l’intimé, suivant le comité d’évaluation, considère que le nombre d’heures indiqué par la recourante dans son offre, soit 3'000 heures – au taux moyen horaire de CHF 130.- HT –, n’est pas crédible, la moyenne des heures des candidats s’élevant à 6'521 heures, l’appelée en cause ayant quant à elle estimé le nombre d’heures nécessaires à 6'282.

La recourante fait valoir qu’elle a précédemment été mandatée pour piloter la réfection des étanchéités (5'900 m2) sur d’autres bâtiments du site de Lullier, dont les caractéristiques et les contraintes seraient identiques, et a pu ainsi identifier la problématique en toute connaissance de cause et procéder, dans l’intérêt du maître de l’ouvrage, à une évaluation précise et au plus juste prix, sans mettre en péril sa société par une sous-enchère, ce qui justifierait la note maximale 5.

Cela étant, rien ne permet de retenir, en l’état et prima facie, que le comité d’évaluation – composé de deux architectes indépendants et de quatre collaborateurs du DF dont à tout le moins un architecte et un ingénieur –, suivi par l’office intimé, aurait mésusé de son pouvoir d’appréciation en attribuant la note 1,25 à la recourante.

En particulier, le comité d’évaluation a, pour fixer les notes de ce critère, fait application du ch. 4.11 du document A1 et utilisé la méthode de notation du temps consacré recommandée par la Conférence romande des marchés publics (ci-après : la CROMP) dans l’annexe T4 du Guide romand des marchés publics, ainsi que le fichier d’application V4 (analyse pyramidale). Ses notes paraissent donc reposer sur des bases objectives, transparentes et officiellement recommandées en Suisse romande.

Le comité d’évaluation n’a au surplus pas qualifié l’offre de la recourante d’anormalement basse, ce qui aurait conduit à son exclusion (art. 41 et 42 al. 1 let. e RMP), mais il l’a auditionnée et a ainsi entendu ses explications.

Il n’est en conséquence en l’état pas possible de considérer que le comité d’évaluation aurait erré en retenant que la recourante se fondait trop sur ses expériences passées sans prendre suffisamment en compte les nouvelles exigences et les particularités du présent marché.

5) Pour ce même dernier motif, on ne voit pas, sur la base d’un examen sommaire, en quoi l’intimé aurait excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation s’agissant du critère « compréhension de la problématique ».

La connaissance du site ne paraît pas pouvoir justifier à elle seule la note maximale 5 réclamée par la recourante. En outre, le comité d’évaluation a émis des doutes quant à la prise en compte par celle-ci de tous les paramètres du marché en cause. Par ailleurs, la note 4 signifie « bon et avantageux » selon l’annexe T1 du Guide romand des marchés publics.

6) Enfin, relativement au critère « références du candidat », la recourante ne comprend pas pour quels motifs elle n’a obtenu que la note 3,50, alors que ses références fournies correspondent parfaitement aux caractéristiques demandées et qu’elle a déjà conduit des travaux d’étanchéité pour le compte de l’Etat de Genève au centre de Lullier, le tout à la satisfaction de celui-ci.

L’intimé explique cette note par le fait que les références – certes en adéquation avec le marché litigieux – ne sont qu’au nombre de deux, alors que l’appelée en cause en a produit huit, répondant également aux critères attendus.

En outre, le rapport d’adjudication fait état de mauvaises expériences du DF concernant l’une des références de la recourante. En effet, concernant le centre de Lullier, l’intimé s’était plaint auprès de celle-ci, par lettre du 20 novembre 2012, de ce que le coût prévu de construction des serres était passé de CHF 7'150'000.- à CHF 14'260’000.- et avait demandé l’arrêt immédiat de ce projet.

Dans ces circonstances, l’intimé ne paraît prima facie pas avoir mésusé de son pouvoir d’appréciation en attribuant la note 3,50 – 3 signifiant « suffisant » d’après l’annexe T1 du Guide romand des marchés publics – à la recourante, ce d’autant moins que même des soumissionnaires ayant proposé plus de références que celle-ci ont reçu une note inférieure en raison de l’absence de lien avec le marché en cause.

7) En définitive, rien ne permet de considérer, à ce stade et sur la base d’un examen sommaire, que les griefs de la recourante soient suffisamment fondés, voire puissent avoir une portée telle qu’ils fassent apparaître ses notes comme insuffisantes et/ou celles de l’appelée en cause comme trop élevées.

Partant, la restitution de l’effet suspensif sera refusée, le sort des frais de la procédure étant réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours de Baru SA ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me John Frederick Eardley, avocat de la recourante, au département des finances - office des bâtiments, ainsi qu’à Atba - l'atelier, bureau d'architectes SA, appelée en cause.

 

 

Le président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :