Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1294/2020

ATA/783/2022 du 09.08.2022 sur JTAPI/468/2022 ( LCR ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1294/2020-LCR ATA/783/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 août 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES

_________

 


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 mai 2022 (JTAPI/468/2022)


EN FAIT

1) Par décision du 20 mars 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, le service cantonal des véhicules (ci-après : SCV) a prononcé le retrait du permis de conduire de Monsieur A______, né le______ 1957, pour une durée indéterminée, mais au minimum pour deux ans. Il lui était également interdit de conduire pendant la durée du retrait des véhicules des catégories spéciales F, G et M et des véhicules pour lesquels un permis de conduire n'était pas nécessaire. Il lui était aussi fait obligation de se soumettre à une expertise auprès du Centre universitaire roman de médecine légale (ci-après : CURML) avant toute demande de restitution de son droit de conduire.

Cette décision se fondait sur le fait que, le 7 janvier 2020, à 3h00 du matin, il avait été contrôlé endormi au feu rouge au volant de sa voiture. Il ne pouvait pas justifier d'une bonne réputation, le système d'information relatif à l'admission à la circulation (SIAC) faisant apparaître deux avertissements prononcés par décisions des 25 septembre 2006 et 30 juin 2010, un retrait du permis de conduire prononcé le 8 novembre 2007, un retrait du permis de conduire prononcé le 28 juin 2013 pour une durée d'un mois en raison d'une infraction moyennement grave, mesure dont l'exécution avait pris fin le 27 mars 2015, un retrait du permis de conduire prononcé le 5 mai 2015 pour une durée de six mois en raison d'une infraction grave, mesure dont l'exécution avait pris fin le 30 juin 2016, et enfin un retrait du permis de conduire prononcé le 4 août 2018 pour une durée de quatre mois en raison d'une infraction moyennement grave, mesure dont l'exécution avait pris fin le 31 juillet 2019.

La décision était prononcée en vertu des art. 16, 16c, 17, 22, 23, 24, 26, 27 et 29ss de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), 1ss de l'ordonnance sur les règles de la circulation routière du 13 novembre 1962 (OCR - RS 741.11), 1ss de l'ordonnance sur la signalisation routière du 5 septembre 1979 (OSR - RS 741.21) et 5k al. 2, 30 à 35 de l'ordonnance réglant l’admission des personnes et des véhicules à la circulation routière du 27 octobre 1976 (OAC - RS 741.51) en retenant que les faits survenus le 7 janvier 2020 constituaient une infraction grave aux règles de la circulation routière.

Le SCV avait pris note de ses observations des 14 janvier, 30 janvier, 10 février et 24 février 2020, ainsi que de celles de son mandataire des 16 et 17 mars 2020.

2) Par acte du 5 mai 2020, M. A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision en concluant principalement à son annulation, subsidiairement à la réduction de la durée du retrait, à la renonciation à l'interdiction de conduire des véhicules des catégories spéciales F, G et M et des véhicules pour lesquels un permis de conduire n'est pas nécessaire et à l'obligation de se soumettre à une expertise auprès du CURML avant toute demande de restitution. Préalablement, il concluait à l'apport de la procédure pénale P/1______/2020 et à la restitution de l'effet suspensif.

Les faits reprochés ne correspondaient pas à la réalité. Rien ne permettait à la police, et a fortiori aux autorités administratives, de distinguer un endormissement/assoupissement d'un malaise momentané dû à des raisons médicales. Il a produit à cet égard un certificat médical rédigé le 4 mai 2020 par le Docteur B______, médecin généraliste, qui attestait le suivre pour des problèmes ostéo-articulaires majeurs qui le mettaient au bénéfice d'un macaron pour personnes handicapées et ajoutait que M. A______ avait présenté au début du mois de janvier [2020] une période de stress intense avec nervosité et anxiété. Il avait de plus été victime d'un claquage musculaire à cette même période, l'ayant empêché de marcher normalement. Dans ce contexte, il avait été contraint d'utiliser son véhicule plus qu'habituellement, et il était tout à fait vraisemblable qu'il ait pu présenter un malaise dissociatif alors qu'il se trouvait arrêté à un feu rouge, ayant pu donner l'impression qu'il dormait. Depuis qu'il connaissait son patient, le médecin n'avait jamais constaté de problèmes de consommation abusive d'alcool ou de stupéfiants. M. A______ a également produit un certificat médical établi le 20 février 2020 par le Dr B______, selon lequel son état de santé « lui impos[ait] de pouvoir utiliser sa voiture, pour le maintien de son état de santé ».

Lors de son audition par la police le 7 janvier 2020, il avait précisé qu'après une longue journée où il avait fait environ 21'000 pas au lieu de 7'000 habituellement, il n'était vraiment pas bien physiquement et avait de fortes douleurs au genou. Cependant, il pensait ne pas être fatigué.

M. A______ a fait valoir que l'infraction reprochée n'était pas établie, compte tenu de la procédure pénale en cours. Il était particulièrement disproportionné et excessif de lui interdire la conduite des véhicules des catégories spéciales F, G et M et des véhicules pour lesquels un permis de conduire n'était pas nécessaire, en particulier compte tenu de sa condition médicale, puisqu'elle restreignait fortement sa mobilité, l'empêchait d’employer un vélo ou trottinette électriques et le contraignait à recourir aux services de transports professionnels ou pour handicapés, étant par ailleurs précisé qu'il devait régulièrement se déplacer pour des examens médicaux.

3) Le SCV a conclu au rejet du recours et de la requête de restitution de l’effet suspensif.

M. A______ avait admis dans un courrier du 14 janvier 2020 qu'il s'était assoupi au volant de son véhicule. Par lettre du 30 janvier 2020, il avait également indiqué ne pas contester le fait de s'être assoupi et avait encore, dans un courrier du 24 février 2020, reconnu s'être assoupi un instant en attendant le feu vert.

Le SCV n'était pas opposé à ce que la procédure soit suspendue jusqu'à droit jugé sur le plan pénal.

4) Il ressort encore du rapport de renseignements établi par la police le 11 janvier 2020 que, le 7 janvier 2020 à 3h00 du matin, l'attention d'une patrouille s'était portée sur un véhicule arrêté au feu rouge. Cette voiture restait immobile malgré le passage de plusieurs phases lumineuses qui l'autorisaient à continuer sa route, ceci durant plus de trois ou quatre minutes. Lorsque la patrouille s'était positionnée à la hauteur du conducteur, les policiers avaient remarqué qu'il dormait profondément, avec le moteur du véhicule allumé. Les policiers avaient alors réveillé le conducteur en engageant la conversation, après avoir ouvert sa portière.

5) Du procès-verbal d'audition de l'intéressé du 7 janvier 2020 il ressort qu'à la question de savoir s'il était excessivement fatigué pour une raison quelconque, M. A______ avait répondu par l’affirmative, précisant qu’il avait peu dormi les jours précédents. Invité à expliquer son emploi du temps depuis le 4 janvier 2020, il a indiqué qu'il s'était rendu à Europa Park ce jour-là en partant de chez lui vers 6h00 du matin et qu'il était arrivé à 11h00 du matin. La journée, il avait beaucoup marché (environ 21'000 pas contre environ 7'000 pas habituellement). Il avait conduit au retour de 21h00 à 2h00 du matin le 5 janvier 2020. Après cette longue journée, il n'était vraiment pas bien physiquement et avait de fortes douleurs au genou. Il avait bu des RedBulls lors du retour à Genève et cela perturbait son sommeil. Le 5 janvier 2020, il s'était levé vers 9h00. Il n'avait pas dormi dans la journée. Le soir, il avait regardé des séries et des films jusqu'à environ trois ou quatre heures du matin (le 6 janvier 2020). Il ne s'était sans doute pas senti fatigué à cause des RedBulls consommés la veille. Le 6 janvier 2020, il s'était levé vers 6h00 ou 6h30 du matin et n'avait pas dormi jusqu'à ce que la police le trouve. Il était alors en route pour rentrer chez lui afin d'aller dormir. Il aurait voulu aller se coucher plus tôt, mais deux amis l'avaient appelé successivement pour lui demander de les ramener chez eux. L'un ne pouvait pas conduire à cause de l'alcool et l'autre car elle n'avait pas de permis de conduire. Il avait ainsi dormi pour la dernière fois le 6 janvier 2020 entre 3-4 heures du matin et 6h00 ou 6h30 du matin. Il ne lui était jamais arrivé de s’endormir en roulant, mais de s'assoupir un instant une fois garé devant chez lui.

6) Les mesures prises à l'encontre de M. A______ dans le passé concernent successivement deux conduites en état d'ébriété (mesures des 25 septembre 2006 et 8 novembre 2007), deux inattentions avec heurt d'un autre véhicule (mesures des 30 juin 2010 et 28 juin 2013), une conduite malgré un retrait du permis de conduire et franchissement d'une double ligne de sécurité (mesure du 5 mai 2015) et enfin une conduite avec un taux d'alcool non qualifié (mesure du 4 août 2018).

7) Par décision du 20 mai 2020, le TAPI a rejeté la demande d'effet suspensif et suspendu la procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______.

8) Par arrêt du 4 août 2020, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a rejeté le recours de M. A______ contre la décision sur effet suspensif. Le 22 septembre 2020, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours formé par M. A______ contre cet arrêt.

9) Par jugement du 20 décembre 2021, entré en force, le Tribunal de police de Genève (ci-après : TP) a reconnu M. A______ coupable notamment de conduite d'un véhicule automobile dans l'incapacité de conduire pour d'autres raisons que l'alcool (art. 91 al. 2 let. b LCR).

Selon le procès-verbal de l'audience, M. A______ s'est déterminé sur l'accusation d'avoir circulé au volant de son véhicule automobile immatriculé GE 2______alors qu'il était en proie à une grande fatigue, étant précisé qu'il se serait endormi au volant alors qu'il se trouvait arrêté à la signalisation lumineuse située à l'intersection avec la rue François-Dussaud. Il a notamment déclaré qu'il était à 500 mètres à vol d'oiseau de chez lui. La policière présente lors du contrôle et entendue à cette audience ne se souvenait pas si M. A______ avait mentionné penser avoir été victime d'un malaise, mais si tel avait été le cas, cela aurait été mentionné dans son procès-verbal. Enfin, selon le second policier présent lors du contrôle, M. A______ n'avait à aucun moment mentionné penser avoir été victime d'un malaise.

10) M. A______ a produit une copie de ce jugement au TAPI et a souligné que le TP avait considéré que, au sujet de sa demande de défense d'office, « la procédure constitue une affaire de peu de gravité », ce qui ressortait par ailleurs de la peine retenue par le TP, laquelle était bien inférieure aux réquisitions du Ministère public. Il a sollicité l'audition de Monsieur Jérôme BASSAN, son conseil juridique, afin d'être entendu sur les séquences du feu rouge/vert de la signalisation litigieuse, ainsi qu'un transport sur place en vue de la reconstitution des faits.

11) Le 11 avril 2022, M. A______ s'est adressé au SCV en demandant l'annulation de la décision litigieuse.

12) Par jugement du 9 mai 2022, notifié le 17 mai 2022, le TAPI a rejeté le recours.

Il n’était pas nécessaire d’ordonner l’apport de la procédure pénale, l’intéressé y ayant eu accès en sa qualité de prévenu. Il n’y avait pas lieu non plus d’entendre des témoins, les pièces au dossier permettant de trancher le litige. Aucun élément ne justifiait de s’écarter du jugement pénal. La conduite en incapacité constituait une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. c LCR pour laquelle le retrait de permis de conduire devait intervenir pour une durée indéterminée, mais d’au minimum deux ans, ce qui avait été le cas en l’espèce. L’interdiction devait viser toutes les catégories de véhicules. Contrairement à ce que craignait le recourant, elle ne concernait pas les vélos et trottinettes électriques pouvant atteindre la vitesse de respectivement 25 km/h et 20 km/h. Enfin, l’exigence de se soumettre à une expertise du CURML pour prouver que son inaptitude à la conduite avait disparu était conforme à l’art. 17 al. 3 LCR et au principe de proportionnalité.

13) Par acte expédié le 16 juin 2022 à la chambre administrative, M. A______ a recouru contre jugement, dont il a demandé l’annulation. Il a conclu à son audition ainsi qu’à celle du Dr B______ et à la restitution de l’effet suspensif « sous la condition de résultat positif de l’expertise auprès du CURML ». Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision de retrait du permis, subsidiairement à la réduction de la durée de celui-ci à six mois voire une année, au constat que le retrait avait déjà duré deux ans et demi, ce qui justifiait la restitution immédiate du permis de conduire, voire la levée de l’interdiction de conduire dès la réalisation de l’expertise du CURML.

Il était erroné de s’écarter du certificat médical du Dr B______ du 4 mai 2020. Il avait subi un malaise momentané et non un endormissement. Le jugement pénal n’emportait pas la preuve médicale contraire du certificat précité. Il a repris à cet égard les arguments exposés au TAPI et sollicité l’audition de ce médecin. Il pensait ne pas être fatigué lorsqu’il avait pris le volant. Il n’avait ainsi pas agi intentionnellement. Au vu de la « légèreté » de la sanction pénale, il s’était abstenu de la contester. Il ne bénéficiait plus des prestations de l’Hospice général depuis mars 2022 et avait ainsi un besoin professionnel accru d’utiliser son véhicule. Il était contraint, en raison de ses problèmes ostéo-articulaires majeurs, d’utiliser un véhicule plus que d’habitude. La décision était discriminatoire, dès lors qu’elle faisait abstraction de son état de santé. L’usage d’un vélo électrique aurait dû être autorisé. Enfin, il avait entamé les démarches auprès du CURML pour pouvoir récupérer son permis de conduire. Cette exigence apparaissait désormais légitime puisqu’il avait été le 7 août 2021 « contrôlé sous l’effet d’alcool ».

14) L’OCV a conclu au rejet du recours.

15) Le recourant ne s’est pas manifesté dans le délai imparti pour répliquer.

16) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant sollicite son audition, celle du Dr B______ ainsi que de « toutes les parties présentes le 7 janvier 2020 » et de procéder à la reconstitution des faits.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285consid. 6.3.1), ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l’espèce, le recourant a pu se déterminer par écrit de manière circonstanciée devant le TAPI et la chambre de céans. Il n’expose pas en quoi son audition serait susceptible d’apporter des éléments complémentaires, étant relevé qu’il a renoncé à répliquer. Il n’y a pas lieu non plus d’entendre le Dr B______. Ce médecin n’était, en effet, pas présent le 7 janvier 2020, de sorte qu’il ne serait pas en mesure de témoigner de l’état de santé du recourant au moment des faits. Les agents de police présents le 7 janvier 2020 ont été entendus par le TP et leur déposition figure au dossier. Le recourant n’indique pas en quoi leur déposition serait incomplète ou sur quels faits il souhaiterait à nouveau les entendre. En outre, la reconstitution des faits n’est d’aucune utilité pour l’issue du litige. Seul l’état dans lequel se trouvait le recourant le 7 janvier 2020 est déterminant ; or, celui-ci ne peut être reconstitué. Enfin, au vu des autres éléments au dossier, notamment les propres déclarations du recourant, il apparaît que le dossier est complet et permet à la chambre de céans de trancher le litige sans procéder à d’autres actes d’instruction.

Il ne sera donc pas donné suite aux réquisitions de preuve.

3) Le recourant conteste s’être endormi au volant de son véhicule le 7 janvier 2020 à 3h00, alors qu’il était arrêté à un feu.

a. Lorsque le complexe de faits soumis au juge administratif a fait l’objet d’une procédure pénale, le juge administratif est en principe lié par le jugement pénal, notamment lorsque celui-ci a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés (arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2 ; ATA/712/2021 du 6 juillet 2021 consid. 7a ; ATA/1060/2020 du 27 octobre 2020 consid. 7f et les références citées). Il convient d’éviter autant que possible que la sécurité du droit soit mise en péril par des jugements opposés, fondés sur les mêmes faits (ATF 137 I 363 consid. 2.3.2). Le juge administratif peut toutefois s’en écarter lorsque les faits déterminants pour l'autorité administrative n'ont pas été pris en considération par le juge pénal, lorsque des faits nouveaux importants sont survenus entre-temps, lorsque l'appréciation à laquelle le juge pénal s'est livré se heurte clairement aux faits constatés, ou encore lorsque le juge pénal ne s'est pas prononcé sur toutes les questions de droit (ATF 139 II 95 consid. 3.2 ; 136 II 447 consid. 3.1 ; 129 II 312 consid. 2.4).

Si les faits retenus au pénal lient donc en principe l’autorité et le juge administratifs, il en va différemment des questions de droit et de l’appréciation juridique à laquelle s’est livrée le juge pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2 ; ATA/712/2021 précité consid. 7a).

b. En l’espèce, la procédure pénale a porté sur les mêmes faits que ceux ayant donné lieu à la procédure administrative. Dans la procédure devant le TP, le recourant a pu s’exprimer et exposer sa version des faits. Il a notamment fait valoir qu’il ne s’était pas assoupi ou endormi au volant de son véhicule, mais qu’il avait été victime d'un malaise momentané. Or, le TP a retenu que le recourant avait conduit un véhicule automobile dans l'incapacité de conduire pour d'autres raisons que l'alcool et l’a condamné pour infraction à l’art. 91 al. 2 let. b LCR. Ce jugement n’a pas été contesté. Le recourant ne se prévaut d’aucun fait ou moyen de preuve nouveau qui permettrait de remettre en cause le jugement pénal qui retient son incapacité coupable à la conduite le 7 janvier 2020. La chambre de céans n’a donc pas de motif de s’en écarter.

Comme l’a au demeurant relevé à juste titre le TAPI, même en l’absence de procédure pénale, il conviendrait de retenir que le recourant s’est endormi au volant le 7 janvier 2020. Il ressort du rapport de renseignement établi par la police que le recourant n'avait pas fait bouger son véhicule lorsque le feu était passé au vert, ce à plusieurs reprises. Les policiers ont dû ouvrir la portière de son véhicule pour le réveiller. Le recourant a déclaré à la police qu’il s'était senti très fatigué en prenant son véhicule. La description qu'il a faite des trois jours qui s’étaient écoulés avant son interpellation montre qu'il avait cumulé des efforts physiques inhabituels et un grand retard de sommeil, en particulier depuis la journée du 5 janvier 2020. Les policiers étant intervenus le 7 janvier 2020 ont déclaré devant le TP que si le recourant avait évoqué un malaise au moment des faits, ils l’auraient mentionné dans le procès-verbal d'audition, ce qui n'avait toutefois pas été le cas.

Le recourant ayant lui-même directement après les faits évoqué une grande fatigue, ses premières déclarations lui sont opposables. En outre, son médecin, qui – comme indiqué ci-dessus – ne se trouvait pas sur les lieux le 7 janvier 2020 ni n’a ausculté le recourant le jour même, ne fait qu’alléguer l’hypothèse d'un malaise dissociatif. Enfin, le recourant a admis qu'il lui est déjà arrivé de s'assoupir dans sa voiture une fois garé devant chez lui, soit durant une phase d'arrêt de son véhicule.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il sera retenu que, le 7 janvier 2020, le recourant s'est assoupi au volant alors que sa voiture était à l'arrêt devant un signal lumineux en phase rouge.

4) Le recourant conteste le retrait, respectivement la durée du retrait de permis.

a. Selon l'art. 31 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence (al. 1). Toute personne qui n’a pas les capacités physiques et psychiques nécessaires pour conduire un véhicule parce qu’elle est sous l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de médicaments ou pour d’autres raisons, est réputée incapable de conduire pendant cette période et doit s’en abstenir (al. 2). Est tenu de s'abstenir de conduire quiconque n'en est pas capable parce qu'il est surmené, sous l'effet de l'alcool, d'un médicament, d'un stupéfiant ou pour toute autre raison (art. 2 al. 1 OCR).

b. Pour déterminer s'il y a lieu de prononcer un retrait d'admonestation et le cas échéant sa durée, la LCR distingue les infractions légères, moyennement graves et graves (art. 16a à 16c LCR).

Selon l'art. 16c al. 1 let. c LCR, commet une infraction grave la personne qui conduit un véhicule automobile alors qu'elle est incapable de conduire du fait de l'absorption de stupéfiants ou de médicaments ou pour d'autres raisons. Le fait de s'assoupir au volant constitue en règle générale une faute grave, dès lors qu'on peut exclure que l'assoupissement du conducteur dont l'aptitude à conduire n'est pas réduite par d'autres facteurs que la fatigue, ait pu survenir sans être précédé de l'un ou l'autre des signes avant-coureurs de la fatigue reconnaissables par l'intéressé. Ces symptômes touchent notamment les yeux et la vue (paupières lourdes, troubles de la vue, irritation, difficultés à focaliser de manière convergente avec strabisme momentané et formation d'images doubles, etc.), l'état psychique (idées vagabondes, somnolence, « hypnose de l'autoroute », indifférence, manque de volonté, anxiété, sursauts, absences les yeux ouverts), l'attitude corporelle générale (bâillements, sécheresse buccale et soif, effroi accompagné de sudation, perte inopinée du tonus musculaire) et la conduite (ralentissement des réactions, manœuvres sèches de l'embrayage et brusque des freins, passage des vitesses moins fréquents, louvoiement et perte de la sensation de vitesse ; ATF 126 II 206 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_555/2008 du 1er avril 2009 consid. 4).

c. La gravité de la faute reprochée au conducteur qui s'est endormi au volant tient à ce qu'il a poursuivi sa route malgré la nécessaire apparition des signaux d'alerte physiques et psychiques annonciateurs de l'assoupissement. Or, le fait d'avoir effectué des pauses régulières, une sieste le cas échéant, ou encore d'avoir bu du café doit certes endiguer, voire supprimer la fatigue. Il n'en demeure pas moins, dans la règle, que lorsque le conducteur s'est, en définitive, endormi malgré les précautions prises, son assoupissement n'a pu qu'être précédé des signes avant-coureurs du sommeil reconnaissables par l'intéressé. Aussi, lorsque le conducteur qui a pris de telles mesures s'endort au volant, on ne peut que constater que les mesures prises concrètement n'étaient pas suffisantes pour endiguer la fatigue. La faute du conducteur qui poursuit sa route dans ces conditions demeure grave malgré les précautions prises qui peuvent, au demeurant, être exigées de tous les conducteurs qui effectuent de longs trajets. Par ailleurs, celles-ci demeurent sans incidence sur l'appréciation de la gravité de la mise en danger du trafic, qui résulte de la perte totale de maîtrise du véhicule après l'assoupissement (ibid.).

d. Le Tribunal fédéral a considéré que l'incapacité en raison du surmenage ou toute autre raison tombe sous le coup de l'art. 91 al. 2 let. b LCR et 16c al. 1 let. c LCR (arrêt 6B_252/2011 du 22 août 2011). Le fait de conduire dans un état de fatigue extrême était aussi dangereux pour la circulation que l’ivresse (RDAF 1977 p. 323 = JdT 1978 I 399 n° 12). Le conducteur surmené qui prend la route, nonobstant les signes de la fatigue, puis s'endort au volant à un carrefour, même en immobilisant son véhicule et en coupant le moteur, viole l'art. 31 al. 2 LCR (arrêt du Tribunal fédéral 1C_555/2008 du 1er avril 2009 ; Jacques BUSSY/Baptiste RUSCONI, Code suisse de la circulation routière commenté, n. 2.2.4 ad art. 31 LCR). La conduite en état d’incapacité constitue pour le moins une mise en danger abstraite accrue grave de la sécurité routière (ATF 130 IV 32 consid. 5 ; Cédric MIZEL, Droit et pratique illustrée du retrait du permis de conduire, 2015, p. 499).

e. En l'espèce, le recourant a perçu des signes avant-coureurs de la fatigue puisqu'il a expliqué qu'il aurait voulu se coucher plus tôt, mais que c'est parce qu'il avait dû ramener des amis qu'il avait retardé ses projets. En outre, il a indiqué qu'il avait cumulé des efforts physiques inhabituels et un grand retard de sommeil durant les trois jours précédents l’incident. L'absorption d’une boisson de type « RedBull » la nuit du 4 au 5 janvier 2020 avait eu pour but de surmonter son état de fatigue et de lui permettre de restreindre son besoin de sommeil. C’est dans ces conditions qu’il s'est assoupi au volant à l’arrêt devant un feu rouge. Se sachant fatigué, notamment au vu des efforts physiques inhabituels qu’il avait fournis les trois jours précédents l’incident et du manque de sommeil accumulé, dont il avait perçu les signes, mais en prenant néanmoins le volant, le recourant a commis une faute qui doit être qualifiée de grave.

5) a. Selon l'art. 16c al. 2 let. d LCR, après une infraction grave, le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire est retiré pour une durée indéterminée, mais pour deux ans au minimum, si, au cours des dix années précédentes, le permis a été retiré à deux reprises en raison d’infractions graves ou à trois reprises en raison d’infractions qualifiées de moyennement graves au moins ; il est renoncé à cette mesure si, dans les cinq ans suivant l’expiration d’un retrait, aucune infraction donnant lieu à une mesure administrative n’a été commise.

La durée minimale du retrait du permis de conduire prévue par la loi ne peut pas être réduite (art. 16 al. 3 LCR ; ATF 132 II 234 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_312/2015 du 1er juillet 2015 consid. 3.3).

b. En l'espèce, l’autorité intimée a respecté le cadre légal, s’en étant tenu au minimum légal prévu par l’art. 16 al. 2 let. d LCR en fixant à une durée indéterminée, mais au minimum à deux ans, la durée du retrait du permis de conduire du recourant. À juste titre, le SCV n’a pas tenu compte des besoins professionnels ou de déplacements allégués par le recourant, la durée minimale de retrait ne pouvant pas être réduite.

6) Le recourant ne semble plus contester la portée de la sanction qui s’étend aux véhicules des catégories spéciales F, G et M et des véhicules pour lesquels un permis de conduire n'est pas nécessaire. Il peut donc être renvoyé aux développements du TAPI à cet égard (consid. 30 à 42), que la chambre de céans fait siens en tant que de besoin, y compris le fait que l'interdiction de conduire ne s'étend pas aux cyclomoteurs légers, dont font partie les vélos et trottinettes électriques pouvant atteindre la vitesse de respectivement 25 km/h et 20 km/h maximum, de sorte que le recours devant le TAPI était sans objet à cet égard.

Le recourant ne conteste plus non plus l’obligation de se soumettre à une expertise auprès du CURML, bien qu’il estime que celle-ci résulte de faits ultérieurs à la décision du SCV. Cela étant, cette obligation est conforme à l'art. 17 al. 3 LCR, qui prévoit que le permis de conduire retiré pour une durée indéterminée peut être restitué à certaines conditions après expiration d'un éventuel délai d'attente légal ou prescrit si la personne concernée peut prouver que son inaptitude à la conduite a disparu. Cette exigence est apte à atteindre le but qu'elle poursuit, à savoir de s'assurer que le recourant ne reprenne le volant qu'à condition qu'il soit démontré qu'il est apte à la conduite de véhicules à moteur. L'atteinte ainsi portée à ses intérêts privés se justifie au regard de l'intérêt public à la sécurité des autres usagers de la route. Ainsi, à supposer que l’expertise du CURML lui soit favorable, le recourant pourra récupérer son permis de conduire. Le chef de conclusions selon lequel l’effet suspensif devait être restitué à condition du résultat positif de l’expertise du CURML n’a donc pas de portée propre.

En conclusion, la décision du SCV est conforme au droit et ne consacre pas d’excès ou d’abus du pouvoir d'appréciation de ce service.

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

7) Malgré l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument, le recourant plaidant au bénéfice de l’assistance juridique. Il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure, le recourant succombant (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 juin 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 mai 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, à l'office cantonal des véhicules ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :