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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1638/2009

ATA/360/2010 du 01.06.2010 ( AMENAG ) , PARTIELMNT ADMIS

Parties : LES BERGES DU RHONE SA / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1638/2009-AMENAG ATA/360/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 1er juin 2010

dans la cause

 

LES BERGES DU RHÔNE S.A.

représentée par Me Marc Lironi, avocat

 

 

contre

 

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION


 


EN FAIT

1. Le bâtiment n° A499, sis sur la parcelle n° 145, plan n° 8, de la commune de Genève à l’adresse 2-4, rue des Deux-Ponts est propriété de la société Les Berges du Rhône S.A. (ci-après : la société). Il s’agit d’un bâtiment édifié en 1910 et qui avait abrité l’ancienne manufacture de chaînes Eugène Tissot puis la manufacture de cadrans Beyeler. Ce bâtiment a reçu la mention « intéressant » lors du recensement du patrimoine industriel du canton de Genève car il constituait un objet intéressant au niveau local ou régional, présentait des qualités architecturales évidentes en termes de volume ou de proportions, était représentatif d’une époque, d’un style ou d’un mouvement artistique ou artisanal ou que sa valeur pouvait être renforcée par son intégration à un ensemble dont il pourrait être dissocié.

2. Le bâtiment n° A499 a fait l’objet d’un projet de transformation, démolition partielle et de surélévation dans les années 2006 à 2007. Ces modifications entraînaient par ailleurs un changement de l’affectation industrielle en une affectation administrative. Dans le cadre de l’instruction de la demande, le service des monuments et des sites (ci-après : le SMS) a donné son accord de principe au projet. Des modifications étaient cependant demandées en tant que la surélévation devait adopter une expression architecturale en adéquation avec le bâtiment d’origine ; les éléments étrangers au type architectural industriel et administratif devaient être supprimés, à l’exception des balcons. Les baies et leurs serrureries devaient en outre faire l’objet d’une opération de restauration. La solution d’adopter une double fenêtre afin d’améliorer le confort thermique et phonique des locaux était approuvée. Un complément d’information constitué par les détails constructifs des nouvelles fenêtres était néanmoins demandé. Dans un préavis ultérieur, le SMS s’est prononcé favorablement quant au projet, tout en rappelant sa réserve quant aux détails constructifs des nouvelles doubles fenêtres et sa demande de restauration des baies anciennes et de leurs serrureries. L’autorisation de construire n° DD 100685-5 a été délivrée en date du 3 avril 2007, les conditions posées par le SMS dans son dernier préavis devant être respectées.

3. En cours de travaux, la propriétaire a, en date du 3 mars 2008, déposé une demande complémentaire d’autorisation de construire dont l’objet était l’aménagement en résidence hôtelière avec café-restaurant et salon lavoir au rez-de-chaussée inférieur. Le projet modifié entendait en outre supprimer le dispositif des doubles fenêtres. Invité à se prononcer sur le projet, le SMS l’a préavisé défavorablement en date du 28 avril 2008. Le dispositif de doubles fenêtres devait être maintenu. Les baies et leurs serrureries devaient, conformément au préavis rendu dans le cadre de l’autorisation principale de construire, faire l’objet d’une opération de restauration. Les anciennes structures porteuses devaient être conservées, la démolition du mur de l’entrée d’origine du bâtiment au rez-de-chaussée inférieur ainsi que celle du mur du couloir du 1er étage, faisaient l’objet d’un avis défavorable. En outre, le SMS demandait l’initiation d’une procédure d’inscription à l’inventaire compte tenu des qualités architecturales et patrimoniales du bâtiment.

4. Par courrier du 23 mai 2008, le SMS a informé la société de l’ouverture de la procédure en vue de l’inscription à l’inventaire du bâtiment n° A499.

5. Invitée à se prononcer, la société a, en date du 19 juin 2008, conclu à l’irrecevabilité de la procédure de mise à l’inventaire, respectivement à son caractère injustifié. L’autorisation de construire principale délivrée le 3 avril 2007, en force, rendait irrecevable la demande de mise à l’inventaire, en application de l’art. 7 al. 2 ch. 1 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS – L 4 05). L’ouverture de la procédure contrevenait aux règles de la bonne foi eu égard aux travaux d’ores et déjà engagés sur la base de l’autorisation de construire en force. Les travaux de rénovation s’opposaient en outre à la mise à l’inventaire. Enfin, il n’existait pas de risque de démolition du bâtiment ou de non-respect de sa substance dans la mesure où la société propriétaire s’était engagée à respecter les conditions posées par la commission des monuments, de la nature et des sites (recte : SMS) dans le cadre de l’autorisation de construire.

6. Le 1er juillet 2008, la direction de la police des constructions du département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : la direction) a suspendu la procédure en autorisation de construire complémentaire, ce à quoi la société s’est opposée en invoquant l’existence d’une autorisation de construire en force, dont la demande complémentaire constituait le prolongement.

7. Par courrier du 4 août 2008, la direction s’est déclarée prête à poursuivre l’instruction du dossier, en attirant l’attention de la requérante sur le fait que l’office des autorisations de construire demeurait dans l’attente d’un projet modifié selon le préavis du SMS du 28 avril 2008. Quant à la demande de mise à l’inventaire, l’autorisation de construire délivrée le 3 avril 2007 n’y faisait pas obstacle dans la mesure où une demande complémentaire d’autorisation de construire avait été déposée ultérieurement et portait sur la modification de points faisant l’objet de conditions spécifiques de l’autorisation de construire principale.

8. Dans le même temps, la procédure de mise à l’inventaire du bâtiment n°A499 a suivi son cours. Le 6 août 2008, la sous-commission monuments et antiquités de la CMNS a rendu un préavis favorable. L’immeuble était un témoin de la vocation industrielle de la berge du Rhône de la Coulouvrenière à la pointe de la Jonction ; largement visible depuis Saint-Jean et le pont Sous-Terre, il contribuait à la définition urbaine du quartier ; la qualité de son architecture se caractérisait par le rapport plein/vide des façades, les baies presque carrées offrant un éclairage généreux des locaux de travail ; les fenêtres en métal étaient d’un type rare, caractérisé par des ouvrants centrés, enchâssés au milieu de vitrages fixes, et étaient constitutives de la substances architecturale des façades. Le Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : le conseil administratif) a également délivré un préavis favorable en date du 8 octobre 2008.

9. Le 17 novembre 2008, le SMS a délivré un préavis favorable sous réserve du projet modifié de requête en autorisation complémentaire de construire qui avait été transmis à l’office des autorisations de construire par la société recourante.

10. Le 22 janvier 2009, cet office a délivré l’autorisation de construire complémentaire n° DD 100685/2-5.

11. En date du 8 avril 2009, le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI) a ordonné l’inscription à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du bâtiment n° A499 (ancienne usine « Beyeler ») et de la parcelle n° 145, feuille 8, du cadastre de la commune de Genève. A l’appui de sa décision, le DCTI visait, notamment, le recensement du patrimoine industriel du canton, la valeur « intéressante » attribuée au bâtiment ainsi que le projet de transformation du bâtiment selon la procédure n° DD 100’685-5. Cette décision a été notifiée à la société à son domicile.

12. Par acte du 11 mai 2009, la société a recouru auprès du Tribunal administratif et a conclu à l’annulation de l’arrêté du DCTI. Les conditions de l’inscription à l’inventaire n’étaient pas réalisées. Les travaux de transformation, de surélévation et de rénovation étaient déjà largement engagés lors de l’ouverture de la procédure de mise à l’inventaire. Le bâtiment après transformation n’avait plus grand-chose à voir avec le bâtiment tel qu’il existait avant celle-ci. Sa conservation au titre de témoignage de l’histoire industrielle et horlogère avait perdu de sa pertinence suite à sa transformation en résidence hôtelière. L’inscription à l’inventaire constituait une mesure disproportionnée compte tenu des autorisations de construire délivrées les 3 avril 2007 et 22 janvier 2009 qui permettaient la transformation, la démolition partielle et la surélévation du bâtiment, respectivement l’aménagement en résidence hôtelière avec café-restaurant et salon-lavoir au rez-inférieur, ainsi qu’une construction basse sur cour et des aménagements extérieurs. Les demandes du SMS dans les procédures en autorisation de construire, acceptées par la société, permettaient de maintenir l’immeuble et de préserver les éléments dignes d’intérêt. Les sous-principes de subsidiarité et de nécessité n’étaient pas respectés. L’inscription à l’inventaire portait en outre atteinte à son droit de propriété tel que garanti par la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101).

13. Le DCTI s’est opposé au recours en date du 18 juin 2009. Les conditions relatives à l’inscription à l’inventaire étaient réunies. Les qualités reconnues au bâtiment n° A499 en faisaient un objet digne de protection au sens de la jurisprudence du Tribunal administratif. La CMNS avait délivré un préavis favorable, tant en raison de la valeur urbaine que de la substance architecturale historique du bâtiment. Le préavis du conseil administratif était également favorable. La surélévation du bâtiment n’était pas de nature à lui faire perdre sa substance patrimoniale d’origine. L’expression architecturale nouvelle, qui alliait en les superposant deux styles distincts, s’en trouvait renforcée. Le changement d’affectation n’avait pas pour effet de faire disparaître la valeur patrimoniale du bâtiment. Le DCTI se référait à cet égard aux précédents constitués par le bâtiment des Forces motrices, ancienne usine réaffectée en espace culturel ou par le bâtiment de l’ancienne usine « Bosch » à la rue de Lausanne qui avait également reçu une nouvelle affectation et avait été inscrit à l’inventaire après avoir subi des travaux de transformation ayant entraîné son rehaussement d’un étage et d’une terrasse. Le principe de la proportionnalité n’était pas violé. Les demandes du SMS dans le cadre des procédures en autorisation de construire principale et complémentaire, même suivies par la recourante, n’étaient pas de nature à assurer une protection durable du bâtiment et sa pérennité. Le DCTI, en faisant siennes les appréciations des milieux de la protection du patrimoine, était resté dans les limites de son pouvoir d’appréciation.

14. Le juge délégué a procédé à un transport sur place en date du 22 octobre 2009, en la présence des parties. La directrice de l’office du patrimoine et des sites a déclaré à cette occasion que les éléments dignes de protection de l’immeuble étaient, côté rue, sa façade, les éléments de maçonnerie et les fenêtres, et qu’en revanche côté cour il n’y avait pas d’élément digne de protection, ce que le tribunal a constaté. A l’intérieur de l’immeuble, la cage d’escaliers méritait d’être conservée à son emplacement d’origine. Au surplus, le tribunal a constaté qu’il n’y avait pas d’élément digne de protection au niveau des locaux communs et que les travaux de rénovation, surélévation et transformation avaient déjà été effectués, de même que le changement d’affectation.

15. La recourante s’est exprimée par écrit en date du 9 octobre 2009. La demande de mise à l’inventaire était irrecevable en application de l’art. 7 al. 2 LMPNS. Les rénovations, transformations et changements d’affectation dont le bâtiment avait fait l’objet avaient altéré son caractère de sorte que la mise à l’inventaire ne se justifiait plus. Cette dernière imposait un sacrifice trop lourd à son propriétaire.

16. Le DCTI s’est déterminé le 12 novembre 2009. Le bâtiment avait conservé son expression d’origine, malgré la réfection des façades. L’ouverture de la procédure de mise sous protection du bâtiment avait été justifiée par la volonté subséquente de la recourante de lui donner une affectation hôtelière et son choix de supprimer le dispositif des doubles fenêtres ; or, le SMS avait émis le souhait, dans la procédure principale en autorisation de construire, de voir protégées la façade et les doubles fenêtres. Cela étant, le DCTI était amené à reconsidérer sa décision et proposait de limiter la mesure litigieuse aux seules façades du bâtiment, y compris celles résultant de sa surélévation. Le principe de la proportionnalité en était d’autant mieux respecté. Subsidiairement, le DCTI concluait à limiter la mesure de protection aux seules façades, à l’exception de celles résultant de sa surélévation.

17. La cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 62 al. 3 LPMNS ; 56A al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 60 litt. a et 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). L’absence de notification de l’arrêté au domicile élu de la société auprès de son mandataire ne lui a pas porté préjudice (art. 47 LPA).

2. a. L’art. 4 LPMNS prévoit que les monuments de l’histoire, de l’art ou de l’architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets et leurs abords, les immeubles et les sites dignes d’intérêt, ainsi que les beautés naturelles font l’objet d’une protection conformément à la loi.

b. Depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d'art, mais elles visent également des objets très divers du patrimoine architectural du pays, en tant qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style, évolution dont la jurisprudence a pris acte (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006, c.2.2 et les références). La qualification de monument, au sens de l'art. 4 let. a LPMNS, est une condition nécessaire mais non suffisante pour déclencher l’application des mesures de protection prévues par la LPMNS (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006, c.2.1).

3. a. L’inventaire a pour effet que les immeubles à l’inventaire doivent être maintenus et leurs éléments dignes d’intérêt préservés. L’art. 90 al. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI – L 5 05) aux termes duquel les structures porteuses de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés en cas de rénovation ou de transformation, est applicable par analogie aux travaux exécutés dans ces immeubles (art. 9 al. 1 LPMNS). Aux fins de cette protection, tous travaux envisagés sur les immeubles inventoriés doivent être annoncés à l’autorité compétente avant leur réalisation (art. 9 al. 2 LPMNS).

b. L’inscription à l’inventaire a une portée de protection réelle, pour des bâtiments dont l’intérêt a été reconnu, mais dont le classement ne se justifie pas, de manière à garantir des immeubles qui méritent d’être maintenus et qui ne sont pas protégés par d’autres mesures (MGC 2000/II, p. 1685ss, 1696 ; ATA/51/20067 du 27 mars 2007, c. 12.b).

Enfin, selon une jurisprudence bien établie, le tribunal de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/100/2010 du 16 février 2010 et les références citées).

4. Pour la recourante, les conditions relatives à l’inscription à l’inventaire ne seraient pas réalisées car le bâtiment était déjà transformé et réaffecté lors de l’ouverture de la procédure. Aussi, sa conservation en tant que témoin de l’histoire industrielle et horlogère de Genève n’aurait plus d’objet.

a. L’inscription à l’inventaire a pour but la mise en évidence d’un objet dont les caractéristiques architecturales et matérielles doivent être préservées. En l’espèce, avec la mise à l’inventaire, l’autorité intimée a souhaité voir conservées la valeur urbaine et la substance architecturale historique de l’ancienne usine Beyeler. Contrairement au classement qui, en principe, restreint les changements de destination des immeubles concernés (art. 15 al. 1 LPMNS), la mise à l’inventaire n’empêche pas qu’une affectation différente de celle d’origine soit conférée au bâtiment, ce qu’a d’ailleurs reconnu l’autorité intimée en accordant les autorisations de construire successives. De la même manière, un changement d’affectation eu égard à la fonction originelle d’un bâtiment ne saurait empêcher une mesure de mise à l’inventaire ultérieure.

b. Pour ce qui est de la qualification de bâtiment digne de protection au sens de l’art. 4 let. a LPMNS et des conditions matérielles de la mise à l’inventaire, il découle de la mention « intéressant » au recensement du patrimoine industriel d’une part, et des motifs à l’appui du préavis favorable délivré par la CMNS d’autre part, que ces conditions sont réalisées. Sur cette question, qui diffère de celle de la portée de la mesure de protection à prendre, le Tribunal administratif n’a aucun motif objectif de substituer son appréciation à celle de l’autorité inférieure, laquelle a suivi les préavis positifs recueillis dans le cadre de l’instruction de la procédure de mise à l’inventaire.

La qualité de bâtiment digne de protection doit donc être reconnue à l’ancienne usine Beyeler.

5. Dans un deuxième grief, la recourante allègue que la procédure principale puis celle complémentaire en autorisation de construire s’opposerait à la mise à l’inventaire.

L’art. 7 al. 2 LPMNS règle la question de la concurrence entre une procédure d’autorisation de construire et la procédure de mise à l’inventaire. Selon cette disposition, si la demande de mise à l’inventaire porte sur un immeuble dont la démolition ou la transformation a fait l’objet d’un préavis favorable de la CMNS et est prévue par : 1° une autorisation de construire ou de démolir en force ou 2° un plan localisé de quartier ou un plan de site, l’un et l’autre entrés en force depuis moins de cinq ans, elle est sans délai déclarée irrecevable.

En l’espèce, les conditions qui entraînent l’irrecevabilité de la demande de mise à l’inventaire ne sont pas réalisées dans la mesure où la CMNS ne s’est pas prononcée dans le cadre de la procédure principale puis complémentaire en autorisation de construire. L’argumentation de la recourante développée dans ce sens tombe à faux. De plus, sauf à rendre illusoire la protection fondée sur l’art. 7 LPMNS, il s’agit d’admettre avec la jurisprudence et la doctrine, qu’une mesure de protection puisse intervenir justement au moment où un propriétaire prend des dispositions susceptibles de porter atteinte à la substance patrimoniale d’un bâtiment (RDAF 1984 135/142 ; G. AUBERT, « Protection du patrimoine architectural : tendances récentes du droit de la construction (le cas de Genève) », in DC 1984/3 p. 44/48).

Ce grief doit donc être rejeté.

6. La recourante allègue ensuite que la mise à l’inventaire de son immeuble serait disproportionnée et ne répondrait pas un intérêt public. En particulier, les règles en matière de consultation des services spécialisés dans le cadre de la procédure en autorisation de construire, voire les dispositions en matière de démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation, suffiraient en soi à conférer la protection suffisante.

a. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, dès lors qu’on peut considérer qu’un bâtiment est un monument digne d’être protégé au sens de l’art. 4 LPMNS, l’intérêt public des restrictions à la propriété pour en assurer la conservation peut en principe être reconnu (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006, c.2.2 et les références).

Le grief de l’absence d’intérêt public tombe donc à faux.

b. Le principe de la proportionnalité, consacré à l'art. 36 al. 3 Cst. veut qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid 2.4 ; ATA/276/2010 du 27 avril 2010).

En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’inscription à l’inventaire de l’ancienne usine « Beyeler » est propre à assurer à ce bâtiment la protection de sa substance architecturale reconnue et de sa qualité de témoin de l’architecture industrielle de son époque. Le critère de l’aptitude est ainsi réalisé.

S’agissant de la règle de la nécessité, l’inscription à l’inventaire est, parmi les instruments de protection du patrimoine prévus par la LPMNS, une mesure de moindre intensité que le classement. Cela étant, l’inscription à l’inventaire peut revêtir une forme moins incisive encore lorsque ses effets sont limités aux éléments du bâtiment à conserver. Compte tenu des constatations faites sur place par le juge délégué, il apparaît que seules les façades, fenêtres comprises, sont à l’heure actuelle les éléments du bâtiment méritant protection ; en revanche, l’intérieur du bâtiment ne présente pas un intérêt digne de protection. Telle est d’ailleurs l’appréciation exprimée par l’autorité intimée dans ses dernières écritures, qui, en cela, a reconsidéré sa position. Il s’agit donc de réformer partiellement la décision entreprise en ce sens que la mise à l’inventaire ne concerne, s’agissant du bâtiment n° A499, que ses façades originelles, avant surélévation, côté rue, fenêtres comprises.

S’agissant toujours du critère de la nécessité, l’allégué de la recourante selon lequel la LCI ou la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 (LDTR – L 5 20) apporterait une protection suffisante ne saurait être suivie. L’inventaire a justement été conçu comme une mesure d’intensité moindre que le classement, mais offrant une protection que les dispositions en matière de police des constructions ne sont pas à même d’assurer (MGC 2000/II, p. 1685ss, 1696). En outre, la LDTR n’a pas pour objet de protéger le patrimoine bâti. De plus, les impératifs tirés de la LPMNS conduisent parfois à s’opposer aux objectifs de politique du logement poursuivis par la LDTR (voir à titre d’exemple l’ATA/76/2009 du 17 février 2009).

Pour ce qui est enfin du critère de la proportionnalité au sens étroit, la recourante n’expose pas de quelle manière elle subirait, à raison de l’inscription à l’inventaire, une atteinte à son droit de propriété qui ne serait pas dans un rapport raisonnable avec le but de protection poursuivi. En tout état, il ressort des autorisations de construire principale et complémentaire qui lui ont été délivrées qu’elle a été autorisée à changer l’affectation de son bâtiment en vue de sa valorisation au titre de résidence hôtelière, comme elle le souhaitait. Il n’apparaît donc pas, du point de vue du bâtiment en cause, que le rendement de l’immeuble soit affecté d’une manière telle qu’il faille renoncer à la mise à l’inventaire. En cela, l’inscription à l’inventaire, de surcroît désormais limitée aux façades du bâtiment, respecte la règle de la proportionnalité au sens étroit.

Au vu de ce qui précède, les griefs relatifs au défaut d’intérêt public et à l’absence de respect du principe de la proportionnalité doivent être rejetés.

En conséquence, la décision entreprise doit être réformée en tant que l’inscription à l’inventaire du bâtiment doit se limiter à ses façades originelles, avant surélévation, côté rue, fenêtres comprises.

7. Le recours sera partiellement admis. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe en partie (art. 87 LPA). Un émolument, de CHF 1’000.- sera mis à la charge du DCTI. Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera accordée à la recourante, à la charge de l’Etat de Genève.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mai 2009 par la société Les Berges du Rhône S.A. contre l’arrêté du 8 avril 2009 du département des constructions et des technologies de l’information ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule l’arrêté du département des constructions et des technologies de l’information du 8 avril 2009 en ce qu’il inscrit à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés l’immeuble n° A499 (ancienne usine « Beyeler ») dans son intégralité ;

dit que les effets de l’inscription à l’inventaire sont limités à ses façades originelles, avant surélévation, côté rue, fenêtres comprises ;

confirme l’arrêté du département des constructions et des technologies de l’information du 8 avril 2009 pour le surplus ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de la société Les Berges du Rhône S.A. ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge du département des constructions et des technologies de l’information ;

alloue à la recourante une indemnité de CHF 1'000.- à charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt Me Marc Lironi, avocat de la recourante, ainsi qu’au département des constructions et des technologies de l’information.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges, M. Bellanger, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :