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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2056/2012

ATA/717/2013 du 29.10.2013 ( LIPAD ) , ADMIS

Descripteurs : ; DONNÉES PERSONNELLES ; PROTECTION DES DONNÉES ; RADIATION(EFFACEMENT) ; DOSSIER; PROCÉDURE PÉNALE ; LIBERTÉ PERSONNELLE ; BASE DE DONNÉES
Normes : Cst.10.al2; Cst.13.al2; LCBVM.1; LIPAD.3A.al1; LIPAD.36.al1.leta; LIPAD.47.al1.leta
Résumé : La police doit détruire toutes les pièces du dossier de police du recourant et supprimer toute donnée informatique figurant dans sa base de données permettant de relier le recourant à l'enquête de police préliminaire à l'ouverture de la procédure pénale. Au regard des circonstances concrètes du présent cas, il ne se justifie pas de conserver ces données personnelles dans les fichiers de police. La procédure pénale ouverte en 2006 portait sur des soupçons d'abus sexuel sur un mineur âgé de trois ans. Elle a été classée par le Ministère public, le même jour que son ouverture, pour prévention insuffisante. Le recourant, alors qu'il était l'auteur présumé de ces actes, n'a été ni entendu lors de l'ouverture de la procédure pénale, ni même informé de la décision de classement. Il apprend les faits une année plus tard, lorsqu'un agent de police le téléphone pour l'informer d'une tentative d'effraction sur son véhicule. Il découvre alors l'existence d'un fichier de police le concernant et portant sur une affaire de moeurs. Aucun élément postérieur à l'enquête pénale ne justifie le refus de la police, en 2012, de supprimer le dossier et l'inscription informatique du recourant. De plus, toutes les pièces de l'enquête de police figurent dans le dossier de la procédure pénale du Ministère public, ce qui permet de sauvegarder l'éventuel accès de l'enfant à la justice lorsqu'il sera devenu adulte.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2056/2012-LIPAD ATA/717/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 octobre 2013

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Vincent Spira, avocat

contre

LA CHEFFE DE LA POLICE

et

LA PRÉPOSÉE À LA PROTECTION DES DONNÉES ET À LA TRANSPARENCE

 



EN FAIT

1) Le 10 juillet 2006, Monsieur Y______ (ci-après : le père) et sa compagne, Madame Z______ (ci-après : la mère), parents d’un garçon (ci-après : l’enfant ou le petit-fils) né le ______ 2002, domiciliés à Genève, se sont adressés à la guidance infantile pour des conseils à la suite de déclarations de ce dernier, de retour le 6 juillet 2006 d’un séjour chez ses grands-parents, qui laissaient soupçonner qu’il pouvait avoir été victime d’attouchements sexuels perpétrés par son grand-père, Monsieur X______ (ci-après : M. X______ ou le grand-père), né en 1943. Ce service les a alors mis en rapport avec les services de la police judiciaire.

2) Le 13 juillet 2006, la brigade des mœurs de la police judiciaire a rédigé un rapport auquel étaient annexés les procès-verbaux d’audition de chacun des parents de l’enfant effectués le même jour.

3) Le même jour, une audition enregistrée de l’enfant a été organisée par la police.

4) Le 18 juillet 2006, le Ministère public auquel le rapport de police du 13 juillet précité avait été transmis a ouvert une procédure pénale (P/11’472/2006) contre M. X______ et l’a classée le même jour pour prévention insuffisante.

5) La brigade des mœurs a établi une retranscription de l’audition de l’enfant enregistrée le 13 juillet 2006. Le rapport de police contenant ladite transcription, daté du 27 juillet 2006, a été également versé au dossier de la procédure P/11’472/2006.

6) Le 5 juin 2007, M. X______ a écrit au Parquet du procureur général.

Son véhicule avait fait l’objet d’une tentative d’effraction en Ville de Genève le 30 avril 2007. Un agent de police l’avait appelé sur son téléphone mobile alors qu’il n’avait jamais donné son numéro à la police. L’agent en question avait trouvé le numéro dans son fichier de police portant sur une affaire de mœurs. Lui-même avait été complètement abasourdi par cette information. Il priait le Parquet de lui donner des précisions au sujet de l’affaire de mœurs pour laquelle il était inscrit dans le fichier de la police.

7) Le 3 juillet 2007, un substitut du procureur général a répondu à M. X______. Il l’a informé de l’ouverture le 18 juillet 2006 à son encontre de la procédure pénale P/11’472/2006 et de son classement le même jour suite à une prévention insuffisante.

8) Le 12 juillet 2007, M. X______ a écrit à nouveau au Ministère public.

Son fils, le père de l’enfant, l’avait contacté sur conseil d’un substitut du procureur général. Il savait désormais pourquoi une procédure pénale avait été ouverte contre lui. Il n’y avait jamais eu aucune ambigüité dans son comportement vis-à-vis de son petit-fils. Le cas avait été maladroitement conduit par la guidance infantile qui avait insisté pour que le dossier soit traité par la brigade des mœurs, malgré les vives réticences des parents de l’enfant.

9) Les 25 février, 10 mars et 27 avril 2009, M. X______ a demandé à la cheffe de la police quelles démarches il devrait entreprendre aux fins d’effacer du fichier de la police la trace de son nom.

Il était profondément affecté par cette affaire depuis deux ans. Un inspecteur de la brigade des mœurs lui avait conseillé de s’adresser à la cheffe de la police pour radier son nom du fichier. Il n’avait rien à se reprocher ; il ne figurait pas au casier judiciaire.

10) Le 28 décembre 2009, la cheffe de la police a refusé de procéder à la radiation du dossier de police de M. X______, constitué des documents et pièces qui figuraient à l’inventaire de celui-ci le 8 avril 2009 (soit le rapport de police du 13 juillet 2006 répertorié document n° 1, cote n° 1 à 10, et le rapport de police du 27 juillet 2006, répertorié document n° 2, cote n° 11 à 21).

Conformément à la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25), les dossiers et fichiers de police pouvaient comporter des données personnelles, pour autant qu’elles soient nécessaires à l’accomplissement de ses tâches par la police. Elles ne devaient être conservées que pour le temps nécessaire à cet accomplissement. Ne devaient être détruites que les données personnelles inexactes ou inadéquates en fonction du principe de la proportionnalité. Les données de peu d’importance devaient être éliminées des fichiers des dossiers de police au-delà d’un délai de cinq ans. Cette restriction ne s’appliquait pas aux faits importants liés à la recherche et à la poursuite de crimes et de délits. Les faits douteux, inexacts et d’importance secondaire devaient être détruits. Les dossiers de police pouvaient conserver une trace des « premières traces », mêmes après une décision de classement. Mention pourrait être faite de soupçons élevés à l’encontre d’une personne à un moment donné. Les données personnelles ne pouvaient être radiées que lorsque la procédure pénale avait abouti à un acquittement ou un non-lieu motivé en droit. Un acquittement faute de preuve ne remplissait pas cette condition.

M. X______ avait été l’objet de soupçons à partir des déclarations de son fils, de la compagne de celui-ci et de son petit-fils, alors âgé de trois ans et demi, pour des faits, s’ils étaient avérés, d’une extrême gravité. La procédure pénale ouverte à son encontre avait été classée faute de prévention suffisante. Il n’avait pas été acquitté ni mis au bénéfice d’un non-lieu. Les données inscrites dans le dossier de police de l’intéressé pouvaient être d’une utilité manifeste en cas de réouverture de la procédure pénale, notamment lorsque l’enfant serait devenu adulte. Les faits étaient très récents puisqu’ils dataient de 2006. Les déclarations concernées étaient empreintes de pondération et ne contenaient aucun propos diffamatoire. Les parents avaient fait état du doute qui les habitait au sujet de la réalité des faits décrits par l’enfant. Les déclarations avaient été enregistrées fidèlement et reflétaient la volonté de leurs auteurs. La conservation des pièces demeurait dès lors proportionnée et constitutionnelle.

La décision du 28 décembre 2009 pouvait être déférée dans les trente jours auprès du président de la Chambre d’accusation.

M. X______ n’a pas recouru contre cette décision.

11) Le 2 février 2010, M. X______ a demandé au procureur général la raison pour laquelle il n’avait pas été informé de l’existence de la procédure P/11’472/2006.

La cheffe de la police avait refusé de procéder à la radiation de son dossier de police. Il avait décidé de ne pas recourir contre cette décision. Il n’avait pas abandonné l’idée d’exiger la radiation de son dossier de police. Il requerrait sa suppression lorsque sa conservation serait devenue disproportionnée, compte tenu du temps écoulé et de l’absence de nouvelles suspicions.

12) Le 4 février 2010, les parents de l’enfant ont cosigné à l’attention du mandataire de M. X______ un document intitulé « attestation ». Ils souhaitaient que le dossier constitué suite à l’affaire du 6 juillet 2006 soit effacé.

Ils avaient pris connaissance de la décision de la cheffe de la police du 28 décembre 2009. Le 7 juillet 2006, surpris par les paroles de leur enfant, ils avaient téléphoné au service de la petite enfance pour demander conseil. Mal conseillés au téléphone, ils s’étaient retrouvés à la police des mœurs pour être auditionnés la première fois sans avoir pu discuter au préalable avec un spécialiste de la petite enfance. Ils s’étaient opposés à ce que leur entretien figure dans un dossier de police. Depuis les faits du 6 juillet 2006, leurs enfants voyaient régulièrement leurs grands-parents. Aucun d’entre eux n’avait émis une quelconque réflexion qui pouvait laisser le moindre doute quant à l’attitude des grands-parents. Le dossier de police était la conséquence d’un fâcheux malentendu, ce qu’ils regrettaient beaucoup.

13) Le 30 mars 2010, M. X______ a relancé le Ministère public pour obtenir des explications sur les motifs pour lesquels l’existence de la procédure P/11’472/2006 le concernant ne lui avait pas été communiquée, même après son classement.

14) Le 15 novembre 2010, le procureur général a répondu aux courriers de M. X______.

La procédure avait été classée de manière informelle par apposition d’un simple coup de tampon humide. La décision de classement n’avait pas été transmise sur insistance des parents de l’enfant qui souhaitaient sauvegarder les relations familiales. Il lui appartenait de s’adresser à la cheffe de la police pour obtenir la radiation des données personnelles de son dossier de police.

15) Le 9 février 2012, M. X______ a adressé à la cheffe de la police une nouvelle demande de radiation de son dossier de police.

La procédure P/11’472/2006 avait été ouverte à son encontre plus de cinq ans auparavant à la suite d’une consultation auprès de la guidance infantile par les parents, qui voulaient obtenir avant tout un avis de spécialiste sur les paroles de leur enfant. Ceux-ci n’avaient aucunement eu envie de porter plainte ou de provoquer l’ouverture d’une procédure pénale à son encontre. Les faits conservés dans son dossier de police avaient perdu de leur importance avec l’écoulement du temps. Il se justifiait de procéder à la suppression du dossier. Il n’existait plus d’intérêt public à la conservation du dossier, la procédure pénale ayant manifestement été ouverte suite à une mauvaise compréhension des paroles de l’enfant. Il n’avait pas d’antécédents et aucun autre événement n’était intervenu dans l’intervalle pouvant laisser croire que l’ouverture d’une procédure pénale contre lui était justifiée.

16) Le 1er juin 2012, la cheffe de la police a refusé de procéder à la radiation du document n° 1 constitué des pièces nos 1 à 10 et du document n° 2 formé des pièces nos 11 à 21 figurant dans le dossier de police de M. X______. La décision pouvait être déférée à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Elle reprenait l’argumentation déjà développée le 28 décembre 2009.

17) Par acte déposé le 5 juillet 2012, M. X______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision de la cheffe de la police reçue le 7 juin 2012, concluant à son annulation et à la radiation des données relatives à la procédure P/11’472/2006 contenues dans son dossier de police.

L’autorité intimée n’avait pas procédé à un examen global des circonstances du cas d’espèce. L’élément central justifiant la conservation de données personnelles résidait dans leur utilité au regard d’une possible reprise de la poursuite pénale. Or, dans son cas, cette probabilité était purement théorique, même si la prescription de l’action pénale n’était pas acquise. La procédure avait été ouverte suite à une unique remarque du petit-fils à sa mère. Les parents avaient émis eux-mêmes de sérieux doutes sur la crédibilité des dires de leur fils et avaient expressément souhaité s’entretenir avec un médecin.

Selon les déclarations des parents et celles de l’enfant, il n’avait pas eu de comportement inadéquat, voire pénalement répréhensible, à l’encontre de ce dernier. La procédure pénale avait été classée le même jour vu l’absence de charges, sans son audition ni son inculpation. Aucun élément à charge n’avait été retenu contre lui. Le classement de la procédure pénale avait acquis « la force matérielle de chose jugée ». Aucune charge réelle n’avait jamais été établie à son encontre. L’absence d’information quant à l’existence de soupçons dont il avait fait l’objet portant sur une infraction, particulièrement infamante de surcroît, à l’encontre de son petit-fils l’avait profondément affecté. Aucun fait similaire ne lui avait été reproché, ni par le passé, ni depuis 2006, et l’enfant n’avait jamais tenu de nouveaux propos au sujet d’éventuels actes inadéquats de sa part depuis cette date.

Son casier judiciaire était toujours vierge et lui-même n’avait jamais eu affaire à la justice. Il avait toujours entretenu une très bonne relation avec son petit-fils, qu’il voyait régulièrement depuis sa naissance. La probabilité de la reprise des poursuites à son encontre était purement théorique en raison du classement de la procédure pénale, intervenu le jour même de son ouverture, il y avait près de six ans.

L’autorité intimée avait méconnu les principes applicables en matière de conservation des données personnelles des dossiers de police en faisant abstraction de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce et en se prévalant uniquement du délai de prescription pour justifier son refus de procéder à leur radiation. Se borner à examiner le délai de prescription de l’action pénale, compte tenu de son âge, soit 69 ans, revenait à refuser définitivement la suppression de son dossier de police.

18) Le 20 août 2012, la cheffe de la police a conclu au rejet du recours, en reprenant son argumentation.

Les données inscrites dans le dossier de police du recourant revêtaient une utilité manifeste dans la mesure où la procédure pourrait théoriquement être rouverte, notamment par son petit-fils devenu adulte. Il n’y avait pas lieu de se montrer trop sévère dans l’examen de cette question, car il se pourrait qu’une donnée a priori anodine prenne par la suite une importance insoupçonnée à l’origine. Les déclarations faites à l’époque par les membres de la famille X______ étaient importantes, les souvenirs s’estompant avec le temps.

Les dossiers de police avaient une utilité manifeste pour l’identification des auteurs de crimes et délits, ainsi qu’une fonction répressive. Le principe de répression couvrait également, indirectement, la protection des victimes. Il existait un intérêt privé manifeste de la victime à garder une trace des premières investigations de police, comprenant les premiers éléments de l’enquête ainsi que l’audition des personnes concernées. Faute de quoi un dépôt de plainte tardif n’avait aucune chance de succès et la victime n’aurait d’autre choix que de voir l’auteur d’actes d’ordre sexuel impunis.

Les dossiers de police devaient être conservés tant qu’ils demeuraient utiles pour la répression des infractions. L’absence d’antécédents du recourant et le classement de la plainte pénale sans inculpation devaient être pris en considération. Dans la pesée des intérêts, l’intérêt public, soit celui de la conservation des données et celui de la victime, devaient prévaloir. Les dossiers de police étaient secrets et leur consultation limitée aux services de police.

19) Le 22 août 2012, le juge délégué a transmis au recourant les observations et les pièces précitées, et lui a imparti un délai de dix jours pour formuler toute requête complémentaire, à défaut de quoi la cause serait gardée à juger.

20) A l’échéance du délai précité, la cause a été gardée à juger. Toutefois, par courrier du 23 janvier 2013, le juge délégué a écrit à Madame Isabelle Dubois, préposée à la protection des données et à la transparence (ci-après : la préposée).

L’art. 3 al. 3 LCBVM prévoyait que la préposée devait participer à la procédure de recours. Une copie de l’acte de recours et de la réponse lui était transmise, de même qu’une copie d’un courrier que le juge délégué adressait au Ministère public pour solliciter un complément d’information.

21) Le 23 janvier 2013, le juge délégué a écrit au Ministère public pour lui demander d’effectuer toute recherche utile afin de lui indiquer si les rapports de police des 13 et 27 juillet 2006 avec leurs annexes figuraient au nombre des pièces de la procédure pénale précitée.

22) Le même jour, il a adressé une demande similaire à la cheffe de la police en lui demandant de préciser le libellé exact de l’inscription consultable par les services de police relative à l’existence de l’enquête en question.

23) Le 25 janvier 2013, le Ministère public a confirmé que, dans le dossier pénal, les rapports de police des 13 et 27 juillet 2006 ainsi que leurs annexes figuraient au nombre des pièces de la procédure pénale.

24) Après relance le 12 mars 2013, la cheffe de la police a répondu. Le dossier physique de M. X______ contenait les deux rapports qui figuraient à l’inventaire et une copie de l’audition filmée de l’enfant. Si l’on consultait la base informatique de la police, celle-ci mentionnait que M. X______ était connu pour une « affaire de mœurs ». Si l’on demandait le détail de ladite affaire, le nom des participants à la procédure apparaissait, dont celui de M. X______ sous la dénomination « PADR », soit « personne appelée à donner des renseignements ».

25) Le 25 avril 2013, la préposée a transmis sa détermination. Le recours devait être admis et la décision litigieuse annulée. Les dispositions légales pertinentes qui réglaient la question étaient les art. 35 à 38, 40, 44 et 47 de la loi sur l’information du public et l’accès aux documents du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) car les dispositions de la LCBVM, notamment les art. 1 al. 5 et 1B cités par le recourant, avait été abrogés lorsque la LIPAD était entrée en vigueur.

L’intérêt public à la prévention efficace des crimes et délits ou la sauvegarde d’intérêts légitimes de tiers devait être mis en balance avec l’intérêt de la personne concernée et le respect de ses droits fondamentaux. La conservation de documents susceptibles de porter atteinte à sa sphère privée ne pouvait pas se justifier seulement par une possible reprise d’une procédure préliminaire, suite au classement dont elle avait fait l’objet. Dans le cas d’espèce, la conservation des données personnelles sensibles jusqu’en 2027 violerait clairement le principe de la proportionnalité de l’avis de la préposée, ce d’autant plus que la procédure pénale avait été classée le jour même de son ouverture. Le droit à l’oubli justifiait non seulement que l’on détruise les données personnelles sensibles devenues obsolètes – et par conséquent sans pertinence – mais également leur trace dans la base de données.

26) Le 2 mai 2013, le juge délégué a avisé les parties qu’un délai au 31 mai 2013 leur était accordé pour formuler toute requête complémentaire. Passé celui-ci, la cause serait gardée à juger.

27) Aucune des parties ne s’est manifestée ou n’a requis de tels actes complémentaires.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 3C al. 1 LCBVM).

2) Le litige porte sur la pertinence et la nécessité de conserver dans un fichier de police des données personnelles du recourant relatives à une procédure pénale classée sans inculpation.

3) Selon la jurisprudence, la personne au sujet de laquelle des informations ont été recueillies a en principe le droit de consulter les pièces consignant ces renseignements afin de pouvoir réclamer leur suppression ou leur modification s’il y a lieu ; ce droit découle de l’art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), qui garantit la liberté personnelle, et plus spécifiquement de l’art. 13 al. 2 Cst. qui protège le citoyen contre l’emploi abusif de données personnelles. La conservation de renseignements dans les dossiers de police porte en effet une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l’intéressé car ces renseignements peuvent être utilisés ou consultés par les agents de la police, être pris en considération lors de demandes d’informations présentées par certaines autorités, voire être transmis à ces dernières (ATF 137 I 167 consid 3.2 ; 126 I 7 consid. 2a p. 10 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.713/2006 du 19 décembre 2006 consid. 2 ; ATA/190/2012 du 3 avril 2012).

4) a. Les garanties de l’art. 13 al. 2 Cst. sont concrétisées par la législation applicable en matière de protection des données (art. 1 de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données – LPD - RS 235.1 ; FF 2002 1915 p. 1962 ; ATF 131 II 413 consid. 2.6 ; ATF 137 I 167 consid 3.2), étant précisé que l’art. 37 al. 1 LPD établit un standard minimum de protection des données que les cantons et les communes doivent garantir lorsqu’ils exécutent le droit fédéral (P. MEIER, Protection des données, 2011, p. 145 n. 273).

b. La protection des particuliers en matière de dossiers et fichiers de police est assurée par les dispositions de la LCBVM et de la LIPAD. Selon l’art. 1 al. 2 LCBVM, ceux-ci ne peuvent contenir des données personnelles qu’en conformité avec la LIPAD. Ainsi, à teneur de l’art. 1 al. 1 et 2 LCBVM, la police est autorisée à organiser et à gérer des dossiers et fichiers pouvant contenir des renseignements personnels en rapport avec l’exécution de ses tâches, en particulier en matière de répression des infractions ou de prévention des crimes et délits.

Dans le cadre de la législation cantonale sur les données personnelles, les institutions publiques veillent, lors de leur traitement, à ce que ces dernières soient pertinentes et nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches légales (art. 36 al. 1 let. a LIPAD).

c. Conformément aux exigences découlant des art. 10 al. 2 et 13 al. 2 Cst., des renseignements inexacts ne peuvent être retenus en aucun cas. En outre, dès le moment où des renseignements perdent toute utilité, leur conservation et l’atteinte que celle-ci porte à la personnalité ne se justifient plus ; ils doivent être éliminés (Arrêts du Tribunal fédéral 1P.713/2006 précité ; 1P.436/1989 du 12 janvier 1990 consid. 2b in SJ 1990 p. 564 ; ATA/190/2012 précité et les références citées).

d. Sauf disposition légale contraire, toute personne concernée par des données personnelles se voit conférer le droit d'accès à celles-ci et aux autres prétentions prévues par la LIPAD (art. 3A al. 1 LIPAD). Elle est en droit d’obtenir des institutions publiques, à propos des données la concernant, qu’elles détruisent celles qui ne sont pas pertinentes ou nécessaires (art. 47 al. 1 let. a LIPAD).

5) Selon la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH), en matière de radiation de données personnelles dans les dossiers de police, le droit interne des Etats parties doit assurer que les données à caractère personnel sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire auxdites finalités (ACEDH Khelili c. Suisse du 18 octobre 2011, req. n. 16188/07, § 62 ; S. et Marper c. Royaume-Uni du 4 décembre 2008, req. n. 30562/04, § 103). Une mention figurant dans le dossier de police pendant dix-huit ans soulève un problème sérieux en raison du laps de temps très long (ACEDH Khelili précité, § 63). S’il peut enfin être conforme au principe de la proportionnalité de conserver des données relatives à la vie privée d’une personne au motif que cette dernière pourrait récidiver, cela n’est possible qu’à raison de faits concrets et étayés (ACEDH Khelili précité, § 66).

6) a. A propos de la pertinence et de la nécessité de conserver des données sur des procédures pénales passées n’ayant pas débouché sur une condamnation, le Tribunal fédéral avait, en 2001, jugé que cette conservation se justifiait dans la mesure où, en procédure pénale genevoise, un classement au sens de l'ancien code de procédure pénale genevois pouvait donner lieu à une reprise des poursuites et ne pouvait dès lors pas être assimilé à un acquittement ou à une ordonnance de non-lieu (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.3/2001 du 28 mars 2001 consid. 3b).

b. Dans l’ATA/190/2012 précité, la chambre de céans a considéré qu’un tel schématisme n'était plus de mise depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0). Ce dernier ne reprend pas la notion de non-lieu (A. KUHN / Y. JEANNERET [éd.], Code de procédure pénale suisse - Commentaire romand, 2011, n. 9 ad introduction aux art. 319-323 CPP). Par ailleurs, il confère au classement, lequel ne peut s’opérer qu’à des conditions strictes, une autorité de chose jugée équivalant à celle d’un acquittement (art. 320 al. 4 CPP ; A. KUHN / Y. JEANNERET, op. cit., n. 10 ad introduction aux art. 319-323 CPP), quand bien même une reprise des poursuites est possible aux conditions de l’art. 323 CPP. En outre, les ordonnances de classement rendues selon l’ancien droit de procédure cantonale acquièrent la force matérielle de chose jugée prévue par le nouveau droit (par le biais de l’art. 448 al. 2 CPP ; N. SCHMID, Übergangsrecht der Schweizerischen Strafprozessordnung, 2010, n. 210).

L’approche schématique avalisée par le Tribunal fédéral en 2001 devait être abandonnée au profit d’un examen plus global des circonstances de chaque cas d’espèce, conformément à la jurisprudence européenne précitée, plus récente. En particulier, dans l’examen global des circonstances de chaque cas d’espèce, l’un des éléments les plus importants à prendre en compte par rapport à la finalité des données personnelles du dossier de police était la plus ou moins grande probabilité de reprise des poursuites (ATA/190/2012 précité consid. 9).

7) En l’espèce, l’enquête de police ouverte en 2006 concernait des soupçons d’abus sexuel sur mineur. En cas d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et des mineurs dépendants (art. 188 CP), la prescription de l’action pénale court en tout cas jusqu’au jour où la victime a 25 ans (art. 97 al. 2 CP), soit jusqu’au 27 octobre 2027. Cette durée, relativement longue, est fondée sur le motif de sauvegarder l’éventuel accès de l’enfant à la justice une fois devenu adulte s’il souhaite exercer son droit de plainte pour les faits incriminés et une reprise de la poursuite pénale est donc possible jusqu’à la date précitée selon l’art. 323 CPP (G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3ème éd., 2011, p. 202-204).

Toutefois, la seule prise en considération de ce long délai pour admettre le droit de la police de conserver jusqu’à cette échéance le dossier d’enquête qu’elle a constitué et les données y relatives inscrites dans ses fichiers informatiques contreviendrait à la jurisprudence de la CourEDH et du Tribunal fédéral précitée. Celle-ci impose, sous l'angle de la proportionnalité d’une telle conservation au sens des art. 5 al. 2 et 37 al. 3 Cst., un examen en fonction des circonstances concrètes.

En l’occurrence, l’enquête de police s’est limitée à l’audition du mineur et de ses parents. La procédure ouverte par le Ministère public a été classée par décision du même jour, sans que le recourant, mis en cause, soit même entendu par la police ou un juge d’instruction. Il ne ressort ni du dossier ni de l’instruction de la cause que des éléments postérieurs à l'enquête justifieraient la conservation des données contestées. Compte tenu de ces circonstances spécifiques et dès lors que l’intégralité des pièces de l’enquête de police figurent dans le dossier de la procédure pénale qui restera en main du ministère public, c’est à tort que la cheffe de la police a refusé d’entrer en matière sur la requête du recourant.

8) Le recours sera admis. La décision de la cheffe de la police du 1er juin 2012 sera annulée. La cause sera retournée à l’autorité intimée pour qu’elle détruise les deux rapports de police des 13 et 27 juillet 2006 avec leurs annexes, de même qu’elle efface de son fichier informatique toute inscription reliant M. X______ à ladite enquête.

9) Aucun émolument ne sera perçu (art. 3C al. 5 LCBVM). Vu l’issue du recours, une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée au recourant, qui y a conclu, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 juillet 2012 par Monsieur X______ contre la décision de la cheffe de la police du 1er juin 2012 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision de la cheffe de la police du 1er juin 2012 ;

donne l’ordre à la cheffe de la police de détruire les pièces 1 et 2 de l’inventaire du dossier de police de Monsieur X______, soit les rapports de police des 13 et 27 juillet 2006 avec leurs annexes, ainsi que de supprimer toute donnée informatique figurant dans sa base de données permettant de relier Monsieur X______ avec l’enquête de police préliminaire à l’ouverture de la procédure pénale PP/11’472/2006 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur X______ une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Vincent Spira, avocat du recourant, à la cheffe de la police, ainsi qu’à la préposée à la protection des données et à la transparence.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :