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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1510/2015

ATA/696/2015 du 30.06.2015 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1510/2015-PROF ATA/696/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 juin 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Timothée Bauer, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU



EN FAIT

1) Monsieur A______, né en 1953, a obtenu son brevet d’avocat en 1979.

2) Le 17 avril 2014, le ministère public a ouvert à son encontre une instruction pénale pour abus de confiance aggravée au sens de l’art. 138 al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), à la suite d’une plainte de l’un de ses clients, Monsieur B______ (ci-après : le client n° 1), en rapport avec des fonds confiés (PP/1______). Le procureur en charge de la procédure a informé la Commission du barreau, instaurée par l’art. 14 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 - LPAv - E 6 10, (ci-après : la commission), de l’existence de celle-ci en lui communiquant le procès-verbal de l’audition dans le cadre de laquelle M. A______ avait été inculpé.

3) Invité par la commission à se déterminer sur ces faits, M. A______ les a contestés, les mettant sur le compte d’un litige en matière d’honoraires qui l’avait opposé à son client, consécutif à un changement de statut professionnel.

4) Le 26 juin 2014, la commission a ouvert une procédure disciplinaire à l’encontre de cet avocat pour violation de son devoir de diligence et de conservation des avoirs de ses clients.

5) Le 29 septembre 2014, le procureur en charge de l’instruction de la PP/1______ a informé la commission que de nouvelles charges étaient retenues à l’encontre de M. A______, à la suite du dépôt d’une deuxième plainte formée par M. C______ (ci-après : le client n° 2), qui portait sur une problématique identique à celle de la plainte précédente.

6) Invité à se déterminer, M. A______ a fait savoir à la commission le 16 octobre 2014 que le client n° 2 avait retiré sa plainte car il avait perçu les fonds qui lui revenaient. Le retard dans le versement était dû uniquement à un problème d’organisation comptable lié à un changement d’étude.

7) Le 27 novembre 2014, M. A______ a fait savoir à la commission que le litige qui l’opposait au client n° 1 avait trouvé une solution transactionnelle et que ce dernier avait retiré sa plainte. Il considérait que la procédure disciplinaire ouverte à son encontre n’avait plus d’objet.

8) Le 2 février 2015, le ministère public a rendu une ordonnance pénale. M. A______ était condamné à une peine privative de liberté de six mois avec sursis pendant cinq ans pour abus de confiance aggravé au sens de l’art. 138 al. 2 CP.

a. Le Procureur énonçait de la façon suivante les charges retenues contre M. A______ à propos de la plainte du client n° 1 : « Il est reproché à A______ de s’être approprié sans droit, dans l’exercice de sa profession d’avocat, des prestations d’assurances, se montant respectivement à CHF 215'000.- et CHF 20'000.- versés aux mois de janvier et août 2012 par D______ et E______, sur son compte bancaire privé, à Genève, somme correspondant à des indemnités dont le bénéficiaire était le client n° 1, lequel l’avait mandaté pour faire valoir ses droits contre les institutions concernées, A______ ayant, dans un premier temps, conservé ces sommes sur son compte sans les reverser au client n° 1, puis ayant, dans un second temps, dépensé ces sommes pour ses besoins privés, ne reversant que tardivement et sous forme d’acomptes seule une partie de ces montants au client n° 1, étant précisé qu’il a agi de manière intentionnelle et dans le but de s’enrichir illégitimement ».

Selon l’ordonnance pénale, en rapport avec ces charges, il ressortait des pièces de la procédure pénale que :

-          M. A______ avait perçu d’D______ en mars 2010 et août 2011 CHF 32'000.- en 4 acomptes, versés sur le compte de l’étude de son employeur, qui avaient été reversés de manière différée, entre le 19 mai 2010 et le 23 janvier 2012, au client n° 1, après que celui-ci les lui ait réclamé à plusieurs reprises.

-          M. A______ avait perçu d’D______ le 31 janvier 2012, pour le compte du client n° 1, CHF 215'000.- dont CHF 30'000.- à titre d’indemnité « assurance-occupant » sur un compte privé dont il était titulaire et n’avait reversé à son client qu’un montant de CHF 140'000.-, en 4 acomptes, entre le 13 mars et le 15 août 2012 non sans que ce dernier ait dû insister pour qu’il s’exécute.

-          M. A______ avait perçu d’D______ CHF 10'000.- à titre de participation à ses honoraires d’avocat.

-          Il avait perçu le 4 septembre 2012 d’E______, pour le compte du client n° 1, CHF 20'000.- au titre de capital-invalidité, dont il n’avait pas reversé le montant à son mandant.

-          Le client n° 1, après de multiples réclamations restées vaines, s’agissant du versement en sa faveur du solde de CHF 95'000.-, avait mis fin au mandat de M. A______ et avait constitué un autre avocat.

-          Ce dernier avait mis M. A______ en demeure de lui confirmer qu’il avait reversé le solde dû au client n° 1, soit CHF 95'000.-, par plusieurs courriers des 17 octobre, 7 novembre et 27 novembre 2012.

-          Le 15 février 2013, l’ancien employeur de M. A______ avait fait verser au client n° 1 un montant de CHF 30'000.-.

-          Pour le solde, M. A______ avait écrit le 3 février 2014 au client n° 1. Le dépôt par celui-ci d’une plainte pénale à son encontre avait eu pour effet de rendre impossible la prise en charge de son activité par l’assurance de protection juridique. Il n’avait plus d’autre choix que de facturer directement son activité à son ancien client. Le solde des honoraires dus représentait un montant de CHF 58'864,35 qu’il retenait en paiement par compensation avec les sommes qu’il détenait encore. Il était prêt à verser le solde, soit CHF 6'135, 35 sur un compte bancaire qu’il voudrait bien lui indiquer.

-          Lors d’une audition par le ministère public du 17 avril 2014, M. A______ avait expliqué ne jamais avoir encaissé de montants directement jusqu’en janvier 2012, puisque c’était son ancien employeur qui gérait le compte-client. Dès le 1er février 2012, il s’était installé en tant qu’indépendant, et ce en catastrophe. Il avait ainsi « paré au plus pressé » en se faisant verser sur son compte bancaire privé les indemnités versées en faveur du client n° 1. Il avait admis que le compte en question avait été utilisé pour payer des frais privés, notamment des intérêts hypothécaires. S’il avait versé une partie des montants dû sous forme de plusieurs acomptes, c’était parce qu’il ne pouvait débiter son compte bancaire d’un montant supérieur à CHF 50'000.- par mois. Il avait d’autre part des difficultés sur le plan personnel et avait pris du retard. Il admettait que le client n° 1 lui avait demandé le versement des fonds obtenus d’D______ et d’E______ avant qu’il ne réceptionne sa note d’honoraires.

-          Entre le 10 et le 25 juillet 2014, M. A______ était entré en pourparlers avec l’assurance de protection juridique du client n° 1 qui refusait de payer sa note d’honoraires. À l’issue de ceux-ci, elle avait accepté de payer l’intégralité des heures mentionnées dans ce document, mais à un tarif de CHF 380.- de l’heure, soit à concurrence d’un montant de CHF 14'915.60.

b. En rapport avec la plainte du client n° 2, le ministère public retenait les charges suivantes :

« Il est également reproché à A______ de s’être approprié sans droit, dans l’exercice de sa profession d’avocat, des prestations d’assurances se montant à CHF 200'000.- qui ont été versés par la F______ le 2 novembre 2010 sur le compte de l’étude dans laquelle il travaillait, somme correspondant à la moitié du capital dont le bénéficiaire était le client n° 2, lequel l’avait mandaté pour faire valoir ses droits contre cette institution, A______ n’ayant pas fait le nécessaire pour que ces fonds soient reversés à son mandant, ne reversant que tardivement et sous forme d’acomptes seule une partie de cette somme, étant précisé qu’il a agi de manière intentionnelle et dans le but de s’enrichir illégalement ».

En rapport avec ces charges, il ressortait des pièces de la procédure pénale que :

-          Le client n° 2 avait été averti le 18 octobre 2010 par M. A______ que celui-ci avait négocié une somme de CHF 200'000.- avec l’assurance F______. Sur ce montant, il avait réussi à se faire verser CHF 100'000.- par l’avocat le 15 mars 2012. Il n’avait pas réussi à obtenir le paiement du solde. Suite à l’intervention de son assurance de protection juridique, il avait reçu de ce dernier CHF 25'000.- le 17 avril 2014. Au jour du dépôt de sa plainte, un montant de CHF 75'000.- lui restait dû.

-          Entendu par le Procureur sur ces faits, M. A______ avait expliqué que les montants perçus pour le compte du client n° 2 avaient été versés sur le compte de l’étude qui l’employait, sur lequel il ne disposait d’aucune procuration. Le montant reçu de l’assurance n’avait pas pu être entièrement rétrocédé au plaignant parce que la comptabilité relative à la liquidation de ses rapports contractuels avec l’étude concernée n’avait toujours pas été soldée. Il avait affirmé avoir demandé à son ancien employeur de virer les fonds qui revenaient à son client. Il n’avait cependant pas pu établir la réalité de telles démarches.

-          En définitive, le client n° 2 avait reçu le 9 octobre 2014, un montant de CHF 81'212.-, comprenant le solde de l’indemnité de CHF 75'000.-, plus intérêts moratoires et participations aux honoraires de son avocat. C’est la raison qui lui avait fait retirer sa plainte pénale.

9) Le 17 février 2015, la commission a écrit à M. A______. Elle avait pris connaissance de l’ordonnance pénale du 2 février 2015 rendue à l’encontre de ce dernier. Elle rappelait que de par la loi, un avocat, pour être inscrit au registre cantonal des avocats (ci-après : le registre) ne devait pas faire l’objet d’une condamnation pénale pour des faits incompatibles avec la profession d’avocat, à moins que cette condamnation ne figure plus sur l’extrait du casier judiciaire. En l’espèce, son inscription devait être radiée. Il avait un délai au 27 février 2015 pour présenter ses observations. En outre, il devait se déterminer au sujet d’une éventuelle violation de l’art. 12 let. a et let. h. de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), qui faisait l’objet de la procédure disciplinaire ouverte le 25 juin 2014.

10) Le 9 mars 2015, M. A______ a transmis la détermination demandée. Il n’avait pas fait opposition à l’ordonnance pénale, si bien que celle-ci était devenue définitive. Il consentait avoir mal organisé son étude durant la période des faits, ce qui avait conduit à ces événements. Toutefois, l’intégralité des sommes réclamées par les plaignants leur avait été restituée avant le prononcé de la condamnation. En outre, il n’avait aucunement voulu s’approprier l’argent de ses clients. Il avait tout au plus été « trop cher », respectivement « lent », en tant qu’avocat. En rapport avec les faits relatifs au client n° 1, le temps qu’il avait mis à payer son ancien client était dû à des problèmes de coordination liés à son départ rapide de l’étude de son ancien employeur qui détenait encore des fonds de ses clients. Sa situation avait été compliquée par des problèmes personnels consécutifs à un divorce. Il en allait de même dans le cas des fonds du client n° 2. Le versement de ce qui revenait à ce dernier avait dû passer par un règlement de la situation avec le responsable de l’étude auprès duquel il avait travaillé. S’agissant de sa radiation, la seule existence d’une condamnation pénale ne pouvait conduire à une telle mesure. Il y avait lieu d’examiner la situation in casu. En l’espèce, le ministère public avait choisi de ne pas lui interdire d’exercer sa profession. Même s’il avait fauté, il ne représentait aucun danger. Il s’était excusé et amendé pour son comportement. Aucun motif n’existait qui devait conduire à  « briser sa carrière d’avocat brillant, qui s’était chargé de belles affaires avec succès, au plus grand profit de ses clients ». Il n’y avait pas matière à prononcer sa radiation. Seule une sanction de niveau inférieur devait être prononcée pour la faute qu’il avait commise.

Il admettait qu’il aurait dû conserver séparément les avoirs de ses clients de ses propres deniers. Il avait remédié à ce problème d’organisation à terme, en ouvrant un compte « avoirs-clients » auprès d’une banque. Cette mauvaise organisation était consécutive à un départ précipité de l’étude qui l’employait. Sa faute n’était pas d’une grande gravité. Il ne voyait pas en quoi il devrait être sanctionné pour violation de l’art. 12 let. a LLCA puisqu’il ne s’était pas mis en situation de conflit d’intérêts avec ses clients. En définitive, seul un blâme, un avertissement ou une amende pouvait être prononcé pour la violation qu’il aurait pu commettre à l’art. 12 let. h LLCA.

11) Par décision du 23 mars 2015, la commission a radié Me A______ du registre cantonal des avocats en application de l’art. 9 LLCA, prononcé une interdiction temporaire de pratiquer de deux ans à l’encontre de ce dernier, dit que le délai de radiation de cette mesure était de dix ans après la fin de ces effets et mis à la charge de M. A______ un émolument de décision de CHF 500.-. L’intéressé avait été reconnu coupable d’abus de confiance aggravé par ordonnance pénale du 2 février 2015. Cette condamnation était définitive. Les actes pénaux avaient été commis dans le cadre de l’activité professionnelle et au préjudice des clients de l’avocat, même si ceux-ci, finalement, mais après une longue procédure, avaient pu percevoir les sommes qui leur étaient dues. Ayant reçu, en sa qualité d’avocat, des montants en faveur de ses clients, et en tardant à restituer ceux qui revenaient à ces derniers, il avait porté atteinte à la confiance que le client était en droit d’attendre de son avocat. Il s’agissait de faits incompatibles avec la profession qui ne permettaient pas la poursuite de l’exercice de celle-ci. Dès lors, M. A______ ne remplissait plus la condition personnelle de l’art. 8 al. 1 let. b LLCA. Son inscription au registre du cantonal des avocats devait être radiée, en application de l’art. 9 LLCA.

Il fallait distinguer la mesure administrative que représentait la radiation du registre de l’interdiction de pratiquer, mesure disciplinaire. Les deux procédures étaient indépendantes. La radiation d’un avocat du registre n’empêchait pas ainsi l’ouverture, ou la poursuite d’une procédure disciplinaire. En l’espèce, par son serment, l’avocat s’engageait à exercer sa profession dans le respect des lois et des usages professionnels. Il devait exercer sa profession avec soin et diligence, en vertu de l’art. 12 let. a LLCA et gérer les avoirs de ses clients de manière distincte de son propre patrimoine en vertu de l’art. 12 let. h LLCA de manière à pouvoir les restituer à première réquisition.

En l’espère, le recourant n’avait aucunement respecté ces deux règles professionnelles. En particulier, il avait mélangé des fonds de clients avec son propre patrimoine et tardé dans la rétrocession de sommes importantes qu’il avait reçues pour le compte de ceux-ci qui en avaient besoin, dès lors qu’il s’agissait de victimes d’accidents. La compensation dont il s’était prévalu dans le cas du client n° 1 n’était pas admissible au vu de la situation patrimoniale de celui-ci. Il s’était prévalu tardivement de cette compensation et avait appliqué dans le cadre de celle-ci un tarif horaire d’un caractère exorbitant, non discuté avec son client. Il avait gravement violé ses obligations découlant des deux dispositions de la LLCA précitées. L’avocat, en tant qu’auxiliaire de la justice, bénéficiait d’une présomption de bonne foi. Il se voyait régulièrement remettre des sommes d’argent pour le compte de ses mandants. Il appartenait à M. A______ de restituer sans délai les montants reçus. Indépendamment de sa radiation, il ferait l’objet d’une interdiction temporaire de pratiquer d’une durée de deux ans.
Celle-ci ne serait pas publiée, le registre cantonal des avocats, accessible sur le site du Pouvoir judiciaire étant quotidiennement mis à jour.

12) Par acte du 8 mai 2015, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de la commission du barreau du 23 mars 2015 précitée, reçue le 1er avril 2015. Il concluait à son annulation et au prononcé d’une sanction proportionnée, notamment un blâme, une amende ou un avertissement, voire une interdiction temporaire de pratiquer n’excédant pas six mois.

La radiation d’un avocat pour avoir fait l’objet d’une condamnation pénale pour des faits incompatibles avec la profession d’avocat n’était pas automatique, il y avait lieu d’examiner au cas par cas si les conditions de l’art. 8 al. 1 let. b LLCA étaient réalisées.

Subjectivement, il n’avait jamais cherché à s’enrichir. Les conflits avec ses deux clients découlaient de deux sources différentes, soit d’un litige lié aux honoraires et d’un problème de trésorerie lié à son changement forcé et soudain de statut professionnel, l’ensemble dans un contexte privé très difficile. Il ne représentait aucun danger pour le public. Il avait fauté, mais s’était excusé et amendé. Il avait organisé son étude. Il n’y avait aucun motif qui devait conduire à briser la carrière d’un homme compétent en lui interdisant d’exercer sa profession.

Une radiation aurait pour lui des conséquences désastreuses, le privant soudainement de toute source de revenus et de toute perspective, sans parler de l’humiliation qu’elle représenterait.

S’il y avait eu violation des art. 12 let. a et h LLCA, on ne pouvait retenir à l’encontre du recourant l’existence d’une faute d’une grande gravité. Dès lors, la commission aurait dû être clémente et prononcer une sanction d’un niveau inférieur ou d’une durée inférieure à celle prononcée. En particulier, l’interdiction de pratiquer, temporaire ou définitive, ne devait intervenir que comme ultima ratio. Le prononcé d’une telle mesure n’était pas nécessaire dans son cas, puisqu’il s’était amendé et réorganisé.

13) Le 26 mai 2015, la commission a persisté dans les termes de sa décision et transmis son dossier.

14) Le 19 juin 2015, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile, compte-tenu de la suspension des délais de la fête de Pâques, et devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige a pour objet une décision comportant deux volets, soit, d’une part, une mesure administrative de radiation du nom du recourant du registre cantonal des avocats, fondée sur l’art. 9 LLCA et, d’autre part, une sanction disciplinaire d’interdiction temporaire de pratiquer infligée à celui-ci, fondée sur une violation par ce dernier de ses obligations découlant de l’art. 12 LLCA. Ces deux aspects de la décision sont fondés sur les faits établis dans le cade de la procédure pénale PP/1______ et retenus dans l’ordonnance pénale exécutoire condamnant le recourant pour abus de confiance qualifié le 2 février 2015 et sur les faits qu’elle a retenus.

3) Pour pratiquer la représentation en justice en Suisse sans autre autorisation, un avocat doit être inscrit à un registre cantonal des avocats (art. 4 LLCA). Il en résulte que chaque canton doit instituer un registre des avocats, attestant qu’il dispose d’une adresse professionnelle sur le territoire cantonal et qu’il remplit les conditions matérielles d’exercice de la profession, au sens des art. 7 LLCA (conditions de formation) et 8 LLCA (conditions personnelles). Le registre est tenu par l’autorité chargée de la surveillance des avocats (art. 5 al. 2 LLCA). L’avocat titulaire d’un brevet d’avocat qui entend pratiquer la représentation en justice doit demander son inscription au registre du canton dans lequel il a son adresse professionnelle (art. 6 al. 1 LLCA). Selon l'art. 6 al. 2 LLCA, l’autorité de surveillance l’inscrit s’il remplit, notamment, les conditions prévues à l'art. 8 LLCA. Finalement, selon l’art. 9 LLCA, l’avocat qui ne remplit plus l’une des conditions d’inscription est radié du registre cantonal des avocats.

Dans le canton de Genève, à teneur de l’art. 14 LPAv, la commission du barreau exerce les compétences dévolues à l’autorité de surveillance des avocats, ainsi que les compétences qui lui sont attribuées par la présente loi. En particulier, c’est elle qui gère le registre cantonal des avocats instauré par l’art. 21 LPAv (ci-après : le tableau).

4) Selon l’art. 8 LLCA pour pouvoir être inscrit au tableau, un avocat ne doit pas avoir fait l'objet d'une condamnation pénale pour des faits incompatibles avec la profession d'avocat, à moins que cette condamnation ne figure plus sur l'extrait privé de son casier judiciaire (art. 8 let. b LLCA). Il s’agit de sauvegarder la relation de confiance qui doit exister entre l'avocat et son client et qui peut être détruite lorsque l'avocat n'offre pas toutes les garanties de sérieux et d'honorabilité allant de pair avec la pratique du barreau (arrêt du Tribunal fédéral 2C_127/2011 du 27 juillet 2011 consid. 6.1; Christian REISER in Philippe MEIER/Christian REISER, Commentaire romand, 2010, ad art. 8 LLCA p. 63 n. 3 et ad art. 9 LLCA p. 76 n. 5 et 7). Il doit s’agir d’infractions pénales qui révèlent des faits incompatibles avec l'activité de l’avocat (ATF 137 II 425 consid. 6.1 ; 2C_119/2010 du 1er juillet 2010 consid. 2.2 ; 2C_183/2010 du 21 juillet 2010 consid. 2.3 et les références citées). Ceux-ci peuvent avoir été accomplis lors de l'activité professionnelle de l'avocat, mais peuvent aussi être survenus dans un contexte purement privé (ATF 137 II 425 consid. 6.1 ; STAEHELIN/OETIKER, ad art. 8 LLCA, in : op. cit., p. 75 N 17). Il n’est en outre pas nécessaire que l’avocat ait fait l’objet d’une mesure pénale d’interdiction d’exercice de la profession au sens de l’art. 67 al. 1 CP (ATF 137 II 425 consid. 6.3). La commission d’un excès de vitesse anodin n’a pas été considérée comme constituant un motif de radiation. En revanche, tel a été le cas d’un faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques (arrêt du Tribunal fédéral 2C_119/2010 précité consid. 2.4).

Dans l’application de l’art. 8 LLCA, l’autorité de surveillance dispose d'un large pouvoir d'appréciation mais doit respecter le principe de la proportionnalité. Cela implique pour elle de ne prendre une telle mesure qu’en présence de faits d'une certaine gravité qui doivent toujours se trouver dans un rapport raisonnable avec la radiation (ATF 137 II 425 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_119/2010 précité consid. 2.2; 2C_183/2010 précité consid. 2.3). En revanche, dès que les circonstances dénotent l'existence d'une condamnation pour des faits incompatibles avec la profession d'avocat, l'autorité compétente doit procéder à la radiation en vertu de l'art. 9 LLCA, sans qu'elle ne dispose plus d'aucune marge d'appréciation (ATF 137 II 425 consid. 6.1 ; arrêt 2C_119/2010 précité consid. 3). Une telle décision ne constitue pas une sanction disciplinaire, mais une mesure administrative.

En l’occurrence, la condamnation pénale du recourant est exécutoire. Elle porte sur deux complexes de faits similaires commis par l’intéressé vis-à-vis de clients. Il est établi que celui-ci, mandaté par deux personnes victimes de sinistres et sans grands moyens financiers, a encaissé pour le compte de ces derniers différents montants versés à titre d’acompte ou de règlement final par des assureurs avec lesquels ils étaient en litige. Il s’agissait d’importantes sommes d’argent, soit CHF 215'000.- et CHF 20'000 encaissés en 2012 pour le client no 1, et CHF 200'000 fr. perçus en 2010 pour le client no 2. Après cet encaissement, l’avocat s’est trouvé dans l’impossibilité de leur restituer à première requête une part substantielle de ces montants, parce qu’il les avait utilisés à des fins personnelles. Lorsque les plaignants n° 1 et 2 ont déposé plainte pénale, respectivement en date du 14 août 2013 et du 28 juillet 2014, un montant de CHF 65'000.- restait dû au premier, et un montant de CHF 75'000.- au second.

Ces faits ont été commis en rapport avec l’exercice du mandat d’avocat de l’intéressé. Ils sont graves, non seulement au vu de l’importance des sommes en jeu, mais également de la répétition des faits. Ils ne sont pas consécutifs d’un simple défaut d’organisation professionnelle, mais sont le fait d’un praticien qui a mélangé ses avoirs privés avec ceux de ses clients et qui a admis en avoir disposé à des fins personnelles ou qui a prélevé des fonds des comptes de son étude à titre d’avances sur bénéfices en utilisant des avoirs revenant à des clients. Même si en définitive l’intéressé a remboursé la plus grande partie des montants restant dus, il n’en demeure pas moins qu’il se trouvait en défaut au moment où il a été mis en demeure de les restituer et qu’il a dû prendre un arrangement pour payer le solde. Un tel comportement est susceptible d’altérer gravement la confiance du public vis-à-vis d’une profession qui se doit, sous l’angle de la gestion des fonds de clients, d’être extrêmement stricte et précise. C’est à juste titre que la commission a considéré que la condamnation pénale prononcée ne permettait plus d’admettre, vu la condition posée à l’art. 8 al. 1 let. b LLCA, le maintien du nom du recourant au tableau si bien qu’il y avait lieu de le radier d’office en application de l’art. 9 LLCA.

5) Concernant la sanction disciplinaire prononcée parallèlement, l’avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l’art. 12 LLCA. Ce dernier définit exhaustivement les règles professionnelles applicables aux avocats (ATF 136 III 296 consid. 2.1 ; 131 I 223 consid. 3.4 ; 130 II 270 consid. 3.1 ; ATA/132/2014 du 4 mars 2014). Il n’y a plus de place pour une règlementation cantonale divergente (ATF 130 II 270 consid. 3.1).

Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l’intérêt public, la profession d’avocat, afin d’assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l’égard des avocats (ATF 135 III 145 consid. 6.1).

6) a. Aux termes de l’art. 12 let. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, visant le soin et la diligence de l’avocat dans l’exercice de son activité professionnelle. L'obligation de diligence imposée à l'art. 12 let. a LLCA est directement déduite de l'art. 398 al. 2 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220), elle interdit à l'avocat d'entreprendre des actes qui pourraient nuire aux intérêts de son client (Walter FELLMANN, Kommentar zum Anwaltsgesetz, 2011, n. 25 ad art. 12 LLCA).

b. A teneur de l’art. 12 let. h LLCA, l’avocat doit conserver séparément les avoirs qui lui sont confiés et son patrimoine privé. Cette règle vise à protéger les avoirs confiés par les clients des risques de mesures d’exécution forcées visant leur mandataire (Benoît CHAPPUIS, La profession d’avocat, tome I, 2013, p.58). Elle doit être mise en lien avec le devoir du mandataire de remettre à première requête tout bien ou créance reçu du client ou de tiers à l’occasion de son mandat, consacrée à l’art. 400 CO (François BOHNET/Phillippe MARTENET, Droit de la profession d’avocat 2009, p. 726 n. 1765). L’obligation de l’avocat découlant de l’art. 12 let. h LLCA lui impose le devoir de rendre régulièrement compte de sa gestion en application ordinaire des règles du mandat.

7) De la conjonction des devoirs résultant des obligations découlant des art. 12 let. a et h LLCA, il résulte que l’avocat qui perçoit des montants destinés à ses clients doit en avertir sans délai ceux-ci et, sauf instructions reçues du client de les leur transférer. S’il a l’instruction de les conserver, il doit prendre toute disposition pour qu’ils puissent être sans délai mis à leur disposition. En outre, la faculté de compenser ses honoraires avec la dette qu’il a envers son client découlant des obligations de restitution des avoirs confiés, est liée au respect de son devoir d’information sur les modalités de facturation et de paiement de ses honoraires (Michel VALTICOS in Philippe MEIER/Christian REISER, op. cit., ad art. 8 LLCA p. 63 n. 3 et ad art. 9 LLCA p. 76 n. 5 et 7).

8) a. En cas de violation de la LLCA, l’autorité de surveillance peut prononcer des mesures disciplinaires, soit l’avertissement, le blâme, une amende de CHF 20’000.- au plus, l’interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans ou l’interdiction définitive de pratiquer. L’amende peut être cumulée avec une interdiction de pratiquer. Si nécessaire, l’autorité de surveillance peut retirer provisoirement l’autorisation de pratiquer (art. 17 LLCA).

b. Il faut distinguer la mesure administrative que représente la radiation du registre, prévue à l'art. 9 LLCA, de l'interdiction de pratiquer, mesure disciplinaire au sens de l'art. 17 LLCA. Les deux procédures sont indépendantes. La radiation d'un avocat du registre n'empêche ainsi ni l'ouverture ni la poursuite d'une procédure disciplinaire (ATF 137 II 425 consid. 7.2 ; arrêt 2P.194/2004 du 23 mars 2005 consid. 3.5, Alain BAUER/Philippe BAUER, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS [éd.], op. cit, n° 20 ad art. 17 LLCA p. 226).

c. Selon l’art. 14 LPAv, la commission exerce les compétences dévolues à l’autorité de surveillance des avocats par la LLCA, ainsi que celles qui lui sont attribuées par le droit cantonal. Elle statue sur tout manquement aux devoirs professionnels et peut, si un tel manquement est constaté et suivant la gravité du cas, prononcer les sanctions énoncées à l’art. 17 LLCA (art. 43 al. 1 LPAv).

c. Pour déterminer la sanction, l’autorité doit, en application du principe de la proportionnalité, tenir compte tant des éléments objectifs, telle l’atteinte objectivement portée à l’intérêt public, que de facteurs subjectifs. Elle jouit d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre administrative ne censure qu’en cas d’excès ou d’abus (ATA/395/2015 du 28 avril 2015 ; ATA/174/2013 du 19 mars 2013 ; ATA/127/2011 du 1er mars 2011 ; ATA/6/2009 du 13 janvier 2009 ; ATA/570/2003 du 23 juillet 2003).

d. L’interdiction temporaire de pratiquer est une sanction disciplinaire destinée à sanctionner les manquements professionnels graves ou répétés qui se révèlent inconciliables, du moins temporairement, avec l’exercice de la profession d’avocat (Alain BAUER/Philippe BAUER, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS [éd.], op. cit., 2010, n. 58 à 62 ad art. 17 LLCA). Elle a effet sur tout le territoire suisse (art. 18 al. 1 LLCA) et empêche l’avocat de continuer à pratiquer la représentation en justice dans le cadre du monopole cantonal au sens de l’art. 2 al. 1 LLCA. La durée de cette mesure doit être modulée selon la gravité de la faute (arrêt du Tribunal fédéral 2A_499/2006 du 11 juin 2006).

9) En l’occurrence, l’atteinte à l’intérêt public est objectivement grave dès lors que l’on doit attendre d’un avocat qui représente des clients sinistrés vis-à-vis d’assureurs et qui perçoit des fonds revenant à ceux-là, non seulement qu’il fasse preuve de diligence pour mettre ces fonds à la disposition de ses clients qui en ont besoin, mais encore qu’il prenne toutes dispositions pour assurer leur disponibilité. Or, le recourant, a tardé à le faire et s’est retrouvé dans l’impossibilité d’y procéder lorsqu’il a été mis en demeure de s’exécuter. La raison en revient non seulement au désordre qui semble avoir régné dans la comptabilité générale de son étude et à la confusion qu’il a entretenue entre ses avoirs propres et ceux qu’il détenait pour le compte de clients, mais aussi à la légèreté avec laquelle il a effectué des paiements privés à l’aide de ces fonds sans s’assurer qu’il s’agissait de ses propres deniers. Ce faisant, le recourant n’a manifestement pas respecté ses obligations découlant de l’art. 12 let a et h LLCA. Pour les faits précités, non seulement sa faute est grave, mais elle est encore aggravée par sa tentative d’éviter le remboursement de ceux-ci par l’établissement, en 2014, d’une facture finale de CHF 58'864,35 à l’adresse du client n° 1, d’un montant exagéré vu le tarif horaire pratiqué, que l’assurance de protection juridique de ce dernier n’a finalement accepté de payer qu’à concurrence de CHF 14'915.60.

Compte tenu de ces circonstances et de l’absence d’antécédents récents du recourant, la sanction prononcée par la commission pour les violations à la LLCA précitées est adéquate et proportionnée. Elle ne peut donc qu’être confirmée.

10) Le recours sera rejeté. Vu son issue, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée.

11) En vertu de l’art. 18 al. 2 LLCA, le dispositif du présent arrêt est communiqué aux autorités de surveillance des autres cantons (SJ 2015 I 226).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mai 2015 par Monsieur A______ contre la décision de la commission du barreau du 23 mars 2015 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Timothée Bauer, avocat du recourant, à la commission du barreau, ainsi que son dispositif aux autorités de surveillance des avocats des autres cantons, pour information.

Siégeants : Mme Junod, présidente, M. Dumartheray, Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges, Mme Steiner Schmid, juge suppléante.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Vuataz Staquet

 

le président siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.


Genève, le 

 

la greffière :