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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4524/2006

ATA/672/2006 du 15.12.2006 ( DETEN ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4524/2006-DETEN ATA/672/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 15 décembre 2006

2ème section

dans la cause

 

Monsieur B______
représenté par Me Jérôme Picot, avocat

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS DE POLICE DES ETRANGERS

 

et

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION


 


1. Né le________1986 et originaire de la République de Guinée (ci-après : la Guinée ou la Guinée-Conakry), Monsieur B______ a déposé une demande d’asile en Suisse le 23 juillet 2003.

2. Statuant le 8 octobre de la même année, l’office fédéral des réfugiés (ci-après : l’ODR) a rejeté la requête de M. B______ et a ordonné son renvoi, le délai d’exécution étant fixé au 3 décembre 2003, à la charge du canton de Genève.

3. Entendu le 16 janvier 2004 par un fonctionnaire du département des institutions (anciennement le département de justice, police et sécurité ; ci-après : le DI), M. B______ a exposé qu’il ne disposait d’aucun document d’identité de la Guinée. Analphabètes et sans téléphone, ni son père, ni sa grand-mère, ne pouvaient lui en fournir un. Il n’entendait pas retourner dans son pays d’origine et était conscient qu’il s’exposait à des mesures de contrainte.

4. Commis par le DI, un interprète a reconnu lors de l’entretien daté du 7 mars 2005 M. B______ comme étant ressortissant de la Guinée-Conakry, car il parlait « un peul typiquement guinéen ».

5. Au mois de décembre 2005, M. B______ ne s’est pas présenté à un entretien avec une délégation des autorités guinéennes, en raison d’une affection ophtalmique attestée par certificat médical du 6 février 2006, établi par un généraliste FMH, agissant comme médecin de premier recours depuis le début du séjour en Suisse de l’intéressé.

6. Le 23 juin 2006, le consul auprès de l’Ambassade de Guinée en Suisse a établi un titre de voyage provisoire au nom de M. B______, valable six mois.

7. Lors d’un nouvel entretien avec un fonctionnaire du DI le 17 juillet 2006, M. B______ a exposé qu’il ne s’était jamais présenté au bureau d’aide au départ de la Croix-Rouge genevoise (ci-après : le bureau), car il souffrait d’une affection oculaire. Il ne voulait pas rentrer avant que ses yeux aient été soignés.

8. Le 23 août 2006, M. B______ s’est opposé à son refoulement à destination de la Guinée. Il a fait l’objet d’un mandat d’amener de l’officier de police compétent le même jour, pour opposition aux actes de l’autorité, puis a été relaxé et placé dès le lendemain pour une durée de trois mois en détention administrative en application de l’article 13b alinéa premier lettre c de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (LSEE - RS 142.20), selon une décision de la commission cantonale de recours de police des étrangers (ci-après : la CCRPE) du 24 août 2006.

9. Il sied encore de mentionner que le 23 août 2006 toujours, M. B______ a fait l’objet d’une contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) pour avoir détenu 14,5 grammes de marijuana dans la chambre qu’il occupait dans un foyer. Il a exposé par ailleurs dépenser quelque CHF 40.- par semaine pour sa consommation, recevoir CHF 426.- au titre de l’aide accordée par l’Hospice général ainsi que CHF 181.- par mois pour des travaux de nettoyage dans le foyer où il résidait. Il n’avait pas de dettes, mais un avoir d’environ CHF 600.- sur son compte en banque.

10. Le 6 novembre 2006, une nouvelle tentative de rapatriement par la force a échoué, vu l’opposition de l’intéressé.

11. Le 21 novembre 2006, le DI a requis la prolongation de la détention administrative de M. B______ pour une durée de deux mois, motif pris de son opposition à son propre retour ; un vol spécial avait été prévu entre les 8 et 19 janvier 2007.

12. Le 23 novembre 2006, la commission cantonale de recours de police des étrangers (ci-après  : la CCRPE), après avoir entendu oralement M. B______, qui a exposé souffrir de troubles de la vue et a conclu à son élargissement, a ordonné la prolongation de la détention administrative de ce dernier jusqu’au 23 janvier 2007.

13. Par acte daté du 4 décembre 2006, mais reçu au greffe du Tribunal administratif le lendemain, M. B______, agissant par avocat, a requis l’annulation de la décision de la CCRPE. L’affection dont il souffrait diminuait ses capacités de vision et de fait, sa mobilité. Il convenait dès lors que l’intéressé reste en Suisse pour y bénéficier de soins appropriés. Il a déposé, à l’appui de ses dires, un certificat médical des hôpitaux universitaires de Genève, daté du 10 août 2005.

M. B______ conclut en outre à l’octroi de l’effet suspensif.

14. Par lettre expédiée le jour même de la réception du recours, sous simple pli et par télécopieur, le Tribunal administratif a requis M. B______ de déposer un certificat médical récent, celui dont il se prévalait, daté du 6 février 2006, étant trop ancien. Un premier délai, pour satisfaire à cette obligation a été fixé au 9 décembre à midi ; il a été prolongé à la demande du conseil de M. B______ au 13 décembre à la même heure.

15. Le 6 décembre 2006, la CCRPE a déposé son dossier sans formuler d’observations, ni prendre de conclusions.

16. M. B______ n’a pas déposé de nouveau certificat médical dans le délai qui lui avait été imparti.

17. Le 13 décembre 2006, le DI a déposé sa réponse, concluant au rejet du recours avec suite de dépens.

18. Le 14 décembre 2006, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

1. En application de l’article 10 de la loi d’application de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers du 16 juin 1988 (LaLSEE - F 2 10), le délai de recours contre une décision de la CCRPE est de dix jours dès la notification et la juridiction de céans dispose également d’un délai de dix jours pour statuer. En l’espèce, la décision litigieuse date du 23 novembre 2006 ; elle a été attaquée par acte déposé le 4 décembre de la même année, soit dans le délai prolongé au sens de l’article 17 alinéa 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Quant à la juridiction de céans, elle a reçu cet acte le 5 décembre 2006 et statue ainsi dans le délai d’ordre fixé par le législateur cantonal.

Quant à la requête de restitution de l’effet suspensif, elle est dépourvue d’objet, la juridiction de céans statuant directement au fond.

2. Selon l'article 13b alinéa 1 lettre c LSEE, si une décision de renvoi ou d'expulsion de première instance a été notifiée, l'autorité compétente peut, aux fins d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée lorsque des indices concrets font craindre qu'elle entend se soustraire au refoulement, notamment si son comportement jusqu'alors amène à conclure qu'elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (ATA/857/2005 du 15 décembre 2005 ; ATA/176/2005 du 5 avril 2005).

En l’espèce, le recourant est l’objet d’une décision de renvoi passée en force ; il a par ailleurs largement dépassé le délai de recours qui lui avait été octroyé et deux tentatives de rapatriement ont échoué.

L’autorité intimée se prévaut en outre d’une contravention pour détention de stupéfiants, signifiée au recourant au mois de novembre 2006.

Les conditions de l’article 13b alinéa premier lettre c sont remplies, des indices concrets démontrant que la personne concernée entend se soustraire au refoulement. On ne saurait en revanche considérer que la simple consommation a usage personnel de marijuana constituerait un motif indépendant de prolongation de la détention administrative au sens de l’article 13a lettre e LSEE.

3. Selon l'article 13c alinéa 5 lettre a LSEE, la détention est levée lorsque l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles.

L'article 14a alinéa 1 LSEE précise que si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée, l'office fédéral des réfugiés décide d'admettre provisoirement l'étranger. Les alinéas 2 à 4 de cette disposition légale énumèrent tous les empêchements à l’exécution du renvoi, sans distinction ni exception. En particulier, selon l’alinéa 4, l’exécution du renvoi ne peut pas être raisonnablement exigée si elle implique une mise en danger concrète de l’étranger.

Selon une décision du 9 janvier 2003 du département fédéral de justice et police, l’article 14a alinéa 4 LSEE vise non seulement des personnes qui sans être individuellement victimes de persécution tentent d’échapper aux conséquences des guerres civiles, de tensions, de répressions ou à d’autres atteintes graves et généralisées aux droits de l’homme, mais aussi les personnes pour lesquelles un retour reviendrait à les mettre concrètement en danger, notamment parce qu’elles ne pourraient plus recevoir les soins dont elles ont besoin (JAAC 67 (2003) n° 63). L’exigibilité du renvoi peut, à titre exceptionnel, être niée en raison de l’état physique ou psychique du recourant (P. GRANT, Les mesures de contraintes en droit des étrangers, mise à jour et rapport complémentaire de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés, Berne, 7 septembre 2001, p. 23). La doctrine se réfère à cet égard à un arrêt du 2 mai 1997 de la Cour Européenne des droits de l’homme dans lequel la Cour a rappelé que les Etats contractant, lorsqu’ils exercent leur droit à expulser des étrangers, doivent tenir compte de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) qui consacre l’une des valeurs fondamentales d’une société démocratique. En l’espèce, le requérant atteint du Sida était parvenu à un stade critique de sa maladie fatale et la Cour a jugé que la mise à exécution de la décision de l’expulser constituerait, de la part de l’Etat défendeur (Grande-Bretagne, ndr.) un traitement inhumain contraire à l’article 3 CEDH (ACEDH D. c. Royaume-Uni, Rec 1997 - III). S’appuyant sur cette décision, le Tribunal fédéral a jugé qu’un mauvais état de santé pouvait, dans des cas extraordinaires, conduire à renoncer à l’exécution du renvoi (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.313/1997 du 29 août 1997 ; ATA/14/2006 du 12 janvier 2006).

La commission suisse de recours en matière d’asile a également jugé que l’exécution du renvoi des personnes en traitement médical en Suisse ne devenait inexigible qu’à partir du moment où, en raison de l’absence de possibilités de traitement médical dans leur pays d’origine ou de destination, leur état de santé se dégraderait très rapidement au point de conduire, d’une manière certaine, à la mise en danger concrète de leur vie ou à une atteinte sérieuse, durable et notablement plus grave de leur intégrité physique (G. ZÜRCHER, Wegweisung und Fremdenpolizeirecht : die verfahrensmässige Behandlung von medizinischen Härtefällen, in : Schweizerisches Institut für Verwaltungskurse, Ausgewählte Fragen des Asylrechts, Lucerne 1992). En revanche, l’article 14a alinéa 4 LSEE, disposition exceptionnelle qu’il convient d’interpréter restrictivement, ne saurait servir à faire échec à une décision d’exécution du renvoi au simple motif que l’infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical prévalant en Suisse correspondent à un standard élevé non accessible dans le pays d’origine ou le pays tiers de résidence de la personne concernée (JICRA 1993 n° 38 p. 274 ss). Dans ce cas, il s’agissait d’un enfant roumain, souffrant de graves troubles de la vue et d’un handicap mental modéré à sévère ainsi que d’un type d’épilepsie particulier et grave qui n’avait jamais pu être soigné efficacement dans son pays d’origine. La commission a également jugé qu’il existait un risque sérieux de mise en danger de la santé de l’enfant et que l’exécution du renvoi n’était raisonnablement pas exigible. A cette occasion, la commission a retenu que les mauvais traitements dans les pays d’origine ou de dernière résidence de l’intéressé, au sens de l’article 3 CEDH, entraient dans la notion de persécution au sens large. Analysant le cas qui lui était soumis, la commission a jugé que les cas de maladies graves devaient également être considérés comme tels au regard de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme et, plus particulièrement, de l’arrêt du 2 mai 1997 cité supra.

Enfin, l’examen de l’exigibilité de l’exécution du renvoi dépend avant tout de la situation concrète de la personne concernée dans son pays d’origine ou de provenance, et en particulier, des possibilités d’accès aux soins médicaux (JAAC 68 (2004) n° 116, décision de la commission suisse de recours en matière d’asile du 13 janvier 2004  ; JAAC 68 (2004) n° 115, décision de la commission suisse de recours en matière d’asile du 24 octobre 2003 ; ATA/857/2005 précité).

Il convient dès lors de procéder au contrôle de la détention administrative de l’intéresse selon les critères susdécrits, étant rappelé qu’à teneur de l’article 10 alinéa 2 LaLSEE, le Tribunal administratif est compétent pour revoir l’opportunité de la décision litigieuse, cette norme spéciale dérogeant à la règle générale de l’article 61 alinéa 2 LPA.

En l’espèce, M. B______ se prévaut d’un état de santé déficient pour obtenir son élargissement. Il a produit des certificats médicaux, le dernier datant du mois de février de cette année. Malgré le délai qui lui a été imparti en ce sens pour produire des documents plus récents, le recourant n’a nullement démontré que l’affection dont il souffrirait est d’une gravité telle qu’elle rendrait impossible tout retour dans son pays d’origine. Il faut encore observer que malgré sa détention administrative depuis le mois d’août 2006, l’intéressé n’expose nullement avoir requis, fût-ce de manière inutile, son transfert au quartier cellulaire des hôpitaux universitaires de Genève pour y être traité. Aucun élément du dossier ne permet dès lors de considérer que l’exécution du renvoi du recourant constituerait une violation de l’article 3 CEDH.

4. Mal fondé, le recours sera rejeté. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais de la procédure arrêtés en l’espèce à CHF 200.-. Il n’a en outre pas droit à une indemnité de procédure.

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 décembre 2006 par Monsieur B______ contre la décision de la commission cantonale de recours de police des étrangers du 23 novembre 2006 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 200.- ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par-devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jérôme Picot, avocat du recourant, à la commission cantonale de recours de police des étrangers, à la maison de détention de Frambois, à l’office cantonal de la population et à l’office fédéral des migrations.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, MM. Paychère et Thélin, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.:

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :