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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3385/2018

ATA/66/2019 du 22.01.2019 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3385/2018-AIDSO ATA/66/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 janvier 2019

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______ B______

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1. Monsieur A______ B______ a sollicité, le 12 octobre 2016, l’aide de l’unité aide d’urgence et étrangers sans permis (ci-après : ETSP) de l’Hospice général (ci-après : hospice). Il a indiqué, dans sa « demande de prestations d’aide sociale financière », qu’il était né le ______1985 en Côte d’Ivoire, était de nationalité ivoirienne, arrivé à Genève en 2011 et n’était titulaire que d’un seul compte bancaire, ouvert auprès de C______ (ci-après : C______). Il a précisé qu’il sous-louait une chambre dans un appartement sis avenue D______ depuis septembre 2016 pour un loyer de CHF 1'000.- par mois. Il avait déposé une demande d’autorisation de séjour auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

Le même jour, il a signé le document « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » par lequel il s’est engagé à donner immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toute pièce nécessaire à l'établissement de sa situation personnelle et économique, tant en Suisse qu’à l’étranger, en particulier toute information sur toute forme de revenu ou fortune. M. B______ a renouvelé sa signature au bas du document le 25 avril 2018.

2. L’hospice l’a mis au bénéfice d’une aide financière exceptionnelle dès le 1er octobre 2016, comportant les montants de CHF 331.- pour son entretien, de CHF 90.- d’argent de poche, de CHF 36.- pour les vêtements, de CHF 175.- d’allocation de régime (dès le 1er avril 2017) et de CHF 1'000.- pour le loyer. Par ailleurs, sa prime d’assurance-maladie était directement payée par l’hospice à son assureur et un abonnement de transports publics (d’un coût de CHF 52.50) lui était remis.

3. À la fin de l’année 2017, l’hospice a appris que des conflits avaient surgi entre M. B______ et ses colocataires, qui l’accusaient de ne pas verser sa part de loyer et d’avoir remis de fausses quittances à l’hospice.

4. Le litige devenant de plus en plus intense, l’assistante sociale en charge du dossier de M. B______ lui a proposé une place dans un centre d’hébergement, que celui-ci a refusée.

5. Selon le rapport du service d’enquêtes de l’hospice du 18 juin 2018, M. B______ était enregistré auprès de l’office cantonal des véhicules sous le nom d’E______ B______, né le ______1970. Selon l’OCPM, les empreintes digitales sous les identités A______ B______ et E______ B______ étaient identiques. Confronté à ces éléments, M. B______ les avait d’abord niés, avant de reconnaître qu’il avait usurpé de l’identité de la personne se prénommant F______, qui vivait aux États-Unis.

Par ailleurs, toujours selon le rapport précité, lors de la visite de l’appartement de M. B______, les noms de G______, H______, I______ et J______, ainsi que d’A______ B______ figuraient sur la boîte aux lettres. L’enquêteur avait constaté la présence d’une grande quantité de vêtements de marque, neufs et encore emballés, se trouvant dans la chambre du bénéficiaire. Ce dernier n’avait pas pu fournir d’explications sur leur provenance et leur financement.

Invité, dans le cadre de l’enquête, à indiquer ses comptes bancaires, M. B______ n’avait mentionné que son compte auprès de la C______. Les recherches effectuées par l’hospice avaient toutefois révélé que l’intéressé était également titulaire d’un compte personnel et d’un compte épargne auprès de K______ ainsi que d’un compte postal auprès de L______.

6. Par décision du 27 juin 2018, l’hospice, se fondant sur ces éléments, a mis fin à l’aide financière exceptionnelle avec effet au 30 juin 2018.

7. M. B______ a formé opposition, exposant que son compte auprès de K______ n’avait servi qu’à recevoir les montants versés par l’hospice sur son compte C______ ; il les retirait immédiatement pour les créditer sur ses comptes K______.

8. Dans le cadre de l’instruction de l’opposition, l’hospice a procédé à l’analyse détaillée des relevés de comptes. Il en ressortait que de nombreux versements tant sur le compte personnel que sur le compte épargne auprès de K______ étaient sans lien avec les prestations perçues de l’hospice. Un tableau détaillé a été établi.

Il est, en outre, apparu que M. B______ avait proposé ses services, notamment, de déménagement, transport, livraison, nettoyage et rénovation par le biais d’annonces publiées depuis le 8 avril 2017 sur le site internet M______. Il avait également, sur le même site, mis en location, le 4 août 2018, des chambres de l’appartement qu’il occupait pour un loyer de CHF 900.- par mois.

L’enquêteur de l’hospice s’est à nouveau rendu au domicile de M. B______. Les noms de N______ A______ B______, O______, P______ et Q______ figuraient sur la boîte aux lettres. M. R______ se trouvait sur place et avait indiqué vivre à cette adresse, mais avoir été expulsé par M. B______, qui avait fait changer les serrures, de sorte qu’il ne pouvait plus accéder au logement. M. O______, qui se trouvait également sur place, avait déclaré qu’il sous-louait une chambre dans l’appartement de M. B______ pour un loyer mensuel de CHF 900.- ; il lui avait versé une avance de CHF 1'800.-. Un couple d’origine brésilienne occupait une autre chambre et avait également versé une avance de loyer de CHF 1'800.-. L’enquêteur a encore noté que dans le salon, pièce occupée par M. B______, se trouvait une grande quantité de chaussures de marque, plusieurs valises de vêtements et du matériel électronique.

Par ailleurs, les recherches de l’enquêteur ont révélé que M. B______ avait déposé une demande d’asile le 15 avril 2011 et été attribué au canton de Bâle-Campagne. Elle avait été rejetée le 26 février 2015. Enfin, M. B______ avait fait l’objet d’une dénonciation le 15 août 2017 pour « usurpation d’adresse postale ».

9. Par décision du 31 août 2018, le directeur général de l’hospice a rejeté l’opposition.

Le bénéficiaire avait caché l’existence de deux comptes dont il était titulaire auprès de l’K______. Bon nombre de transferts effectués sur ces comptes ne trouvaient pas de correspondance avec un retrait du compte déclaré auprès de la C______. Il avait proposé ses services de « déménageur professionnel » par le biais d’annonces. Les montants perçus sur ses comptes K______ laissaient penser qu’ils provenaient de cette activité non déclarée à l’hospice.

Le nombre de vêtements trouvés dans son appartement ainsi que leurs tailles différentes (M, L et XL) n’étaient pas compatibles avec les explications fournies dans l’opposition ; ces vêtements ne pouvaient pas servir aux besoins personnels de l’intéressé. Par ailleurs, il était peu concevable qu’en tant que bénéficiaire de prestations d’aide d’urgence, il ait des factures de vêtements aussi importantes (factures ouvertes en février 2018 de CHF 369.- de S______ et en mai 2018 de CHF 443.50 de S______, total de commandes en mai 2018 de CHF 355.55) ; l’opposant n’avait d’ailleurs, lors de la visite de l’enquêteur, pas pu donner d’explications sur la provenance des nombreux vêtements et leur financement. Par ailleurs, il avait encaissé différents loyers pour des sous-locations, qui n’avaient pas servi au paiement du loyer, celui-ci étant impayé depuis avril 2018. Enfin, M. B______ avait utilisé deux identités et tu le fait que sa demande d’asile avait été rejetée.

10. Par acte expédié le 27 septembre 2018 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. B______ a indiqué qu’il formait recours. Il sollicitait l’octroi d’un délai complémentaire pour motiver son recours.

Dans le délai imparti à cet effet, M. B______ a exposé qu’il n’avait pas travaillé un jour après le 1er octobre 2016. Il était malade et avait le vertige quand il marchait vite. Il avait pris un crédit pour l’achat des vêtements, car il avait envie de se sentir bien dans sa peau. Il ne comprenait pas pourquoi l’hospice lui reprochait d’avoir plusieurs noms. Il s’excusait de ne pas avoir déclaré ses comptes auprès de K______. Il était normal qu’il ait posté des annonces pour sous-louer des pièces, dès lors qu’il ne pouvait pas s’acquitter seul du loyer de l’appartement. L’hospice ne pouvait pas lui reprocher des faits postérieurs à la fin du versement de ses prestations. Il pouvait détailler l’utilisation du compte auprès de K______. Le rejet de sa demande d’asile ne devait pas lui causer des problèmes. Il avait indiqué les noms des locataires sur la boîte aux lettres, car il ne souhaitait rien cacher. Il voulait « avoir la paix » avec l’hospice.

11. L’hospice a conclu au rejet du recours.

12. Dans sa réplique, M. B______ a insisté sur le fait qu’il était malade. Il n’avait fait de mal à personne. Il devait prendre douze comprimés par jour. Il a produit des certificats et ordonnances médicaux (faisant état d’un diabète, d’hypertension, d’une insuffisance rénale chronique, d’asthme, d’un syndrome d’apnées du sommeil et d’un état anxio-dépressif), des courriers précédemment échangés avec l’hospice et a commenté, paragraphe par paragraphe, la détermination de l’hospice.

Il a indiqué qu’il ne savait pas bien lire et écrire ; il avait signé les documents soumis par l’hospice sans en connaître les détails. Il ne comprenait pas pourquoi l’hospice lui donnait de l’argent pour s’acheter des vêtements et lui reprochait d’en avoir. Ses prénoms F______ et A______ ne regardaient pas l’hospice, qui n’avait pas non plus à s’intéresser à sa procédure d’asile. Il ne comprenait pas pourquoi il était mentionné qu’il aurait usurpé d’une adresse postale ; il n’avait pas besoin d’adresse. Il en avait une ainsi qu’une case postale. Il souhaitait que l’hospice paie ses poursuites. Le fait d’avoir offert ses services sur internet ne signifiait pas qu’il travaillait. Il avait des problèmes de santé l’empêchant de travailler. Ses sous-locataires étaient tous partis.

13. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur le bienfondé de la décision mettant fin aux prestations de l’hospice.

a. La loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Ont droit aux prestations d’aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n’atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d’État (art. 21 al. 1 LIASI).

b. La LIASI prévoit trois barèmes d’aide financière différents, soit l’aide financière ordinaire (art. 21 et ss du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 - RIASI - J 4 04.01), l’aide financière exceptionnelle (art. 11 al. 4 LIASI ; chapitre II RIASI) et l’aide d’urgence (chapitre IV LIASI ; chapitre VI RIASI).

La personne étrangère sans autorisation de séjour peut bénéficier de l’aide financière exceptionnelle (art. 11 al. 4 let. e LIASI et art. 17 RIASI), à condition de s’être annoncée à l’OCPM et d’avoir obtenu une attestation l’autorisant à séjourner pendant le temps nécessaire à l’examen de sa demande, inclus le temps allant jusqu’à ce qu’il soit statué sur un éventuel recours de celle-ci (art. 17 RIASI).

c. L’art. 9 al. 1 LIASI prévoit que les prestations d’aide financière versées sont subsidiaires à toute autre source de revenus ou prestation ; elles sont, notamment, subsidiaires à tout revenu que le bénéficiaire pourrait acquérir par son insertion sociale ou professionnelle (ATA/1240/2017 du 29 août 2017 consid. 8 et les références citées).

d. Le bénéficiaire est tenu de fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d’aide financière. Il doit se soumettre à une enquête de l’hospice lorsque celui-ci le demande (art. 32 al. al. 1 et 3 LIASI). De même, il doit immédiatement déclarer à l'hospice tout fait nouveau de nature à entraîner une modification du montant des prestations qui lui sont allouées (art. 33 al. 1 LIASI). Le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » concrétise cette obligation de collaborer en exigeant du demandeur qu'il donne immédiatement et spontanément à l'hospice tout renseignement et toute pièce nécessaires à l'établissement de sa situation économique (ATA/1237/2018 du 20 novembre 2018 consid. 2c).

e. Les prestations d’aide financière peuvent être supprimées lorsque le bénéficiaire, intentionnellement, ne s'acquitte pas de son obligation de collaborer ou refuse de donner les informations requises, donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (art. 35 al. 1 let. c et d LIASI).

Le bénéficiaire des prestations d’assistance est tenu de se conformer au principe de la bonne foi dans ses relations avec l’administration, notamment en ce qui concerne l’obligation de renseigner prévue par la loi, sous peine d’abus de droit. Si le bénéficiaire n’agit pas de bonne foi, son attitude doit être sanctionnée et les décisions qu’il a obtenues en sa faveur peuvent être révoquées en principe en tout temps. (ATA/1237/2018 précité consid. 2e ; ATA/265/2017 du 7 mars 2017 consid. 15b).

3. En l’espèce, en signant le formulaire de demande de prestations et le document « Mon engagement », le recourant a attesté de ce que les informations qu’il avait fournies étaient exactes et complètes. Il n’a alors déclaré que son compte bancaire auprès de la C______.

Or, il avait pris l’engagement de déclarer à l’hospice toute sa fortune et ses sources de revenus ; il lui appartenait de se conformer à cette obligation. Il aurait ainsi dû signaler l’existence de ses autres comptes, notamment ceux auprès K______. Le recourant reconnaît d’ailleurs cette omission. La question de savoir si, comme il le soutient, les comptes K______ étaient uniquement destinés à recevoir les montants que lui versait l’hospice n’est pas pertinente. En effet, l’obligation du recourant consistait à informer l’hospice de tous ses éléments de fortune, en particulier de l’existence de tous ses comptes bancaires ou postaux. L’appréciation de la situation financière appartient à l’hospice ; il n’incombe pas au bénéficiaire de décider de la pertinence de ses éléments de fortune pour la détermination des prestations d’aide sociale. Le recourant doit donc se voir reprocher d’avoir violé son devoir de renseigner en ne signalant pas qu’il détenait d’autres comptes que celui ouvert auprès de la C______.

Par ailleurs, il ressort de l’analyse détaillée des relevés de comptes que de nombreux versements tant sur son compte personnel que sur son compte épargne auprès de K______ sont sans lien avec les prestations perçues de l’hospice. En outre, la totalité des montants crédités sur le compte personnel ouvert auprès de K______ dépasse, certains mois, le montant versé par l’hospice. Ainsi, les crédits se sont élevés en novembre 2016 à CHF 5'820.- (CHF 3'170.- sur le compte personnel et CHF 600.- sur le compte épargne) et en avril 2017 à CHF 2'030.-.

Le recourant n’a pas non plus déclaré à l’hospice qu’il avait proposé ses services de déménagement, transport, livraison, nettoyage et rénovation, par le bais d’annonces publiées depuis le 8 avril 2017 sur le site internet M______.

Enfin, compte tenu du montant mensuel de CHF 1'547.-, augmenté en avril 2017 à CHF 1'632.-, versé par l’hospice, dont CHF 1'000.- étaient destinés au paiement du loyer, la présence de vêtements de marque en grand nombre, neufs et encore emballés, dans l’appartement du recourant, tend à confirmer que celui-ci disposait de revenus non déclarés à l’hospice.

Au vu de ces éléments, l’hospice était fondé à mettre un terme à ses prestations.

Manifestement mal fondé, le recours doit être rejeté.

4. Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure, le recourant succombant (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 septembre 2018 par Monsieur A______ B______ contre la décision de l’Hospice général du 31 août 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ B______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :