Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2114/2015

ATA/657/2018 du 26.06.2018 sur JTAPI/520/2016 ( AMENAG ) , ADMIS

Recours TF déposé le 03.09.2018, rendu le 30.06.2023, SANS OBJET, 1C_423/2018
Parties : DÉPARTEMENT DE L'ENVIRONNEMENT, DES TRANSPORTS ET DE L'AGRICULTURE, SABLIERE DU CANNELET SA / DÉPARTEMENT DE L'ENVIRONNEMENT, DES TRANSPORTS ET DE L'AGRICULTURE, COMMUNE D'AVUSY
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2114/2015-AMENAG ATA/657/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 juin 2018

 

dans la cause

 

SABLIÈRE DU CANNELET SA
représentée par Me Jean-Jacques Martin, avocat

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

contre

COMMUNE D’AVUSY

représentée par Me Bruno Mégevand, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 mai 2016 (JTAPI/520/2016)


EN FAIT

1) Par décision du 13 mai 1958 du département des travaux publics, devenu depuis lors le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie
(ci-après : DALE), la Sablière du Cannelet SA (ci-après : la Sablière du Cannelet) a été autorisée à construire, sur la parcelle n° 463, feuille 9, de la commune d’Avusy (ci-après : la commune), dont cette dernière était propriétaire, un silo avec installation de triage et de lavage, ainsi qu’un système de filtration des eaux de lavage.

2) Par contrat du 15 novembre 1958, la commune a loué à la Sablière du Cannelet, sise à Avusy, la parcelle n° 463 dont elle était propriétaire. La Sablière du Cannelet était autorisée à y construire un silo à sable et une installation de lavage et de triage.

3) Le 17 octobre 1974, la commune a conclu un nouveau contrat de bail avec la Sablière du Cannelet portant sur la même parcelle, valable du 1er janvier au
31 décembre 1975 et reconductible tacitement d’année en année.

4) Le 6 janvier 1983, le département de l’intérieur et de l’agriculture, devenu depuis lors le département de l’environnement, des transports et de l’agriculture (ci-après : DETA), a autorisé la Sablière du Cannelet à exploiter une gravière sur la parcelle n° 85, feuille 3, de la commune. Cette décision (n° 414-829) prévoyait une remise en culture de l’ensemble de la parcelle en 1990.

À l’époque, cette parcelle était propriété d’un tiers et est devenue par la suite propriété de Monsieur Robert MAURY, unique administrateur de la Sablière du Cannelet.

5) Le 15 décembre 1983, le DETA a délivré une nouvelle autorisation d’exploiter une gravière sur les parcelles nos 86 et 87 de la commune, toutes deux propriété de M. MAURY, à la Sablière du Cannelet (n° 414-833), prévoyant une remise en culture de l’ensemble des parcelles en 1994.

6) Par décision du 29 juillet 1986, le DETA a autorisé la Sablière du Cannelet à utiliser une station mobile de lavage de matériaux graveleux sur les parcelles nos 85, 86 et 87 de la commune (lieu-dit Sous-Forestal). Cette autorisation prévoyait que la date pour le remblayage et la remise en culture des parcelles restait inchangée et que l’installation devrait être déplacée dans une autre gravière en temps utile.

7) Par lettre du 29 juin 1993, la Sablière du Cannelet a sollicité la prolongation des autorisations susmentionnées nos 414-829 et 414-833 de cinq ans, soit jusqu’en 1999, indiquant qu’une demande en autorisation de construire afin de pouvoir conserver l’installation de recyclage et de récupération à long terme avait été déposée auprès du DALE, mais que son instruction pouvait prendre du temps.

8) Par courrier du 21 juillet 1993, le DETA, par le service cantonal de géologie, a répondu que des nouveaux délais seraient définis, d’entente avec les autorités communales, dès que le DALE aurait statué sur la requête en autorisation de construire (n° DD 92’383), qui faisait l’objet d’une enquête publique en dérogation de destination.

9) Au mois de décembre 1994 et le 23 avril 1996, la société Oboni, mandatée par la Sablière du Cannelet, a réalisé une étude d’impact concernant l’installation fixe de concassage et de lavage (dans le cadre de la DD 92’383).

10) Par lettre du 26 octobre 1’995, la commune s’est opposée à la requête en autorisation de construire déposée par la Sablière du Cannelet, les installations de recyclage n’étant pas compatibles avec la zone agricole dans laquelle se trouvaient – et se trouvent encore – les parcelles nos 85, 86 et 87.

11) Par courrier du 20 décembre 1’995, la commune a résilié le bail conclu avec la Sablière du Cannelet et portant sur la parcelle n° 463 pour le 30 juin 1996.

Toutefois, à la suite d’une procédure judiciaire, le bail a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2002. Dès 2003, la Sablière du Cannelet a cessé toute activité sur cette parcelle.

12) Par décision du 15 janvier 1996, le DALE a délivré à la Sablière du Cannelet l’autorisation de réorganiser ses installations et de construire une installation fixe de recyclage, de concassage et de lavage ainsi qu’un radier sur les parcelles nos 86 et 87, feuille 3, de la commune (DD 92’383).

13) Cette autorisation a toutefois, sur recours de la commune et d’associations, été annulée par décision de la commission de recours en matière de constructions (ci-après : la commission de recours), devenue depuis lors le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), du 3 septembre 1996, décision confirmée par arrêt du 5 août 1997 (ATA/442/1997) du Tribunal administratif, devenu la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Selon le Tribunal administratif, l’autorisation querellée portait non seulement sur l’installation nouvelle mais également sur l’installation existante, autorisée provisoirement ; la question de savoir si l’autorisation pouvait être accordée concernait dès lors l’ensemble de ces installations. Le projet litigieux, qui consistait à agrandir l’installation existante par l’ajout d’un concasseur et d’une trémie et permettrait pratiquement de doubler la productivité des installations existantes et qui, par ailleurs, avait nécessité une étude d’impact sur l’environnement, outre qu’il était de caractère industriel et non agricole, sans aucun rapport avec l’exploitation du sol du site et donc non conforme à l’affectation de la zone selon l’art. 22 al. 2 let. a de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700), ne constituait pas un léger agrandissement ou un autre cas énuméré à l’ancien art. 26A de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30). Aucun motif objectif ne permettait de soutenir que l’implantation de l’ensemble des installations concernées soit imposée par leur destination sur le site et ainsi de justifier une dérogation à l’art. 22 al. 1 let. a LAT par l’application de l’art. 24 LAT, étant donné que les matériaux traités et recyclés par les installations en question provenaient exclusivement des autres centres d’exploitation (chantiers de tout le canton, voire du canton de Vaud) et que les matériaux ainsi produits étaient distribués dans tout le canton. L’octroi d’une autorisation dérogatoire sur la base de l’art. 24 LAT n’était pas un palliatif pour procéder à un changement de zone, lequel était exigé si un projet non conforme à la zone avait, en raison de ses dimensions ou de sa nature, des effets significatifs sur l’affectation existante. La question de savoir si, et dans quelle mesure, un plan d’affectation selon l’article 17 de l’ordonnance sur le traitement des déchets du
10 décembre 1990 (OTD - RS 814.600) serait nécessaire pouvait rester ouverte.

Cet arrêt a été confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1A.242/1997 du
13 février 1998.

14) Le 4 juin 1998, le DALE a entamé une procédure de modification des limites de zone n° 29’005-504 (création d’une zone industrielle et d’une zone agricole) concernant notamment les parcelles nos 85, 86 et 87, qui seraient situées en zone industrielle et artisanale (ci-après : ZIA).

15) Par lettre du 10 juin 1998, la commune a interpellé le Procureur général afin que l’arrêt du Tribunal fédéral du 13 février 1998 soit suivi d’effets.

Par pli du 2 novembre 1998, le DALE et le DETA, par leurs chefs, s’y sont opposés. Les seules conséquences immédiates à tirer de cet arrêt, hormis la mise à néant de l’autorisation de construire DD 92’383, étaient que ce type d’installation à raison de son ampleur ne pouvait être autorisé qu’à l’issue d’un changement de zone, ce qui était en cours puisque le DALE avait entamé une procédure en modification des limites de zones pour les parcelles considérées (n° 29’005). Partant, le DALE ne prendrait pas une mesure de fermeture de l’installation concernée.

En date du 21 décembre 1998, le Procureur général s’est déclaré, à tout le moins en l’état, incompétent pour intervenir dans le litige.

16) Le 18 janvier 1999, la commune a interpelé le conseiller d’État en charge du DALE afin qu’il rende une décision formelle à l’encontre de la Sablière du Cannelet, l’enjoignant d’avoir une activité conforme à la zone agricole ou de mettre un terme à son activité actuelle illicite.

17) Par décision du 28 janvier 1999, le conseiller d’État en charge du DALE a indiqué à la commune que son département n’entendait pas prendre de mesures à l’encontre de la Sablière du Cannelet.

18) La procédure introduite par un recours du 23 février 1999 de la commune contre cette décision auprès de la commission de recours a, par ordonnance du
29 juin 2001, été suspendue jusqu’à droit connu dans l’élaboration du plan
n° 29’005-504.

19) Par courrier du 12 avril 2001, le conseiller d’État en charge du DALE a informé la Sablière du Cannelet que, face au préavis défavorable de la commune, le Conseil d’État n’entendait pas poursuivre la procédure de modification des limites de zones. Toutefois, un déclassement d’importantes surfaces de terrain sur la commune de Satigny, au lieu-dit Bois-de-Bay, serait prochainement mis à l’enquête publique, lequel devrait permettre de reloger l’exploitation de la Sablière du Cannelet dans le respect d’une conception d’ensemble qui faisait défaut jusqu’à présent.

20) Par lettre du 3 octobre 2001, le conseiller d’État en charge du DALE a indiqué à la commune qu’il entendait retirer sa décision du 28 janvier 1999 contestée devant la commission de recours.

21) Par écrit du 4 octobre 2001, la commune a demandé à ladite commission de reconnaître l’utilisation illicite de la zone agricole par la Sablière du Cannelet et d’adresser sa décision à l’autorité d’exécution afin qu’elle fixe, à la suite d’un accord entre les différentes parties, une date butoir à partir de laquelle cette entreprise aurait achevé d’elle-même son déménagement et remis dans l’état initial les lieux, conformément à l’art. 22 de la loi sur les gravières et exploitations assimilées du 28 octobre 1999 (LGEA - L 3 10).

22) Par décision du 28 juin 2006, la commission de recours a, vu notamment un courrier du 11 mai 2006 du DALE, constaté que la procédure était devenue sans objet et a rayé la cause du rôle.

23) En juin 2007, le Grand Conseil a voté le PL 8’706 modifiant les limites de la zone industrielle du Bois-de-Bay, permettant notamment de reloger des activités de traitement de matériaux graveleux, telles que celles de la Sablière du Cannelet (loi modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Satigny [création d’une zone des bois et forêts et d’une zone de développement industriel et artisanal et abrogation d’un sous-périmètre destiné à un stand de tir] et modifiant le périmètre de protection générale des rives du Rhône, au lieu-dit « Bois-de-Bay »).

La Sablière du Cannelet n’a pas déménagé dans la zone industrielle du
Bois-de-Bay.

24) À la suite de la pétition (P 1’787) d’habitants de la commune concernant l’implantation de la Sablière du Cannelet, des commissions du Grand Conseil ont déposé un rapport le 10 janvier 2010 et des députés ont déposé le même jour une motion (M 2’048) demandant que la situation de la Sablière du Cannelet soit régularisée.

25) Le 27 janvier 2012, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d’État la motion M 2’048.

26) Lors de sa séance du 13 novembre 2012, le Conseil municipal de la commune a décidé de refuser tout nouveau projet de déclassement en zone industrielle des parcelles nos 85, 86 et 87 et de demander au Conseil d’État de prendre toutes les mesures requises pour faire déménager la Sablière du Cannelet dans une zone industrielle de manière à pouvoir restituer les terrains qu’elle occupait.

27) Par courrier du 25 septembre 2012 au Conseil d’État, la commune a indiqué qu’elle souhaitait faire preuve de pragmatisme, reconnaissant à l’activité de recyclage déployée par la Sablière du Cannelet une incontestable importance économique et une dimension écologique dès lors que des matériaux de démolition et d’excavation, naguère enfouis dans le sous-sol des gravières et qui ne trouvaient plus guère de place, pouvaient ainsi être réutilisés à des fins de construction. Elle était portée à imaginer que le Conseil d’État pourrait décider de déclasser le terrain concerné afin de régulariser la situation. Dans cette hypothèse, il serait opportun que des conditions soient imposées à l’entrepreneur, et en particulier qu’un déclassement lui permettant de poursuivre ses travaux en toute légalité soit subordonnée à un rachat par la commune des terrains, qui seraient mis en droit de superficie. Cette solution permettrait de rassurer quelque peu la population de la commune et des environs, en donnant aux autorités la haute main notamment sur l’affectation de ces terrains.

28) Le 10 avril 2013, le Conseil d’État a répondu notamment que le DALE avait initié un projet de loi de modification des limites de zones (déclassement) afin de créer une ZIA sur les parcelles de la Sablière du Cannelet, dont l’affectation serait restreinte aux activités de recyclage de matériaux minéraux.

29) Le 25 juillet 2013, le Conseil d’État a soumis un rapport en réponse à la motion M 2’048-A.

Notamment, la Sablière du Cannelet revêtant une importance stratégique en matière de valorisation des déchets de chantier minéraux dans le contexte cantonal, les démarches visant au classement en zone industrielle des terrains nécessaires à son activité allaient être poursuivies. La concertation à ce sujet continuait avec la commune. Cette option avait par ailleurs déjà été retenue dans le cadre de l’élaboration du projet de plan directeur cantonal (ci-après : PDC) 2030 (fiche D06).

30) Par lettre du 30 juin 2014, la commune a interpellé le Procureur général. La situation n’ayant guère évolué, elle devait malheureusement constater que la Sablière du Cannelet exerçait illégalement son activité depuis plus de seize ans. Elle demandait que l’arrêt du Tribunal fédéral du 13 février 1998 soit enfin suivi d’effets et qu’il soit mis fin à ce déni de justice.

31) Le 30 juillet 2014, le Procureur général a répondu que l’arrêt du Tribunal fédéral n’était pas susceptible d’exécution, étant donné qu’il ne contenait pas d’injonction de faire ou de ne pas faire dès lors qu’il se bornait à rejeter un recours dirigé contre un arrêt du Tribunal administratif et, ce faisant, à confirmer l’annulation des autorisations de construire accordées à la Sablière du Cannelet. C’était aux autorités administratives qu’incombait la responsabilité de faire respecter le droit de l’aménagement du territoire et des constructions. Le Ministère public ne pourrait intervenir, le cas échéant, qu’en cas de refus d’obtempérer à une injonction assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

32) Par courrier du 26 novembre 2014, la commune a demandé au conseiller d’État en charge du DALE d’abandonner le projet de déclasser en zone industrielle les parcelles nos 85, 86 et 87, d’exiger de la Sablière du Cannelet sa mise en conformité par rapport à la zone et de fixer à cette entreprise un ultime délai pour sa mise en conformité.

33) Par lettre du 6 janvier 2015, le conseiller d’État en charge du DALE a répondu que la voie choisie par le Conseil d’État pour régulariser la situation était celle de la modification de zone, solution d’ailleurs expressément inscrite dans le PDC 2030. Cette mesure d’aménagement était conforme à l’arrêt du Tribunal fédéral du 13 février 1998. L’enquête technique de la modification de zone pourrait être lancée début 2015 et le DALE n’entendait pas entreprendre d’autres mesures avant de connaître l’issue de cette procédure.

34) Par courrier du 1er avril 2015, la commune a demandé au conseiller d’État en charge du DETA de constater que le maintien des installations et activités de concassage et lavage de matériaux et autres de la Sablière du Cannelet sur les parcelles nos 85, 86 et 87 de la commune étaient illicites et que sa tolérance à l’égard de cette situation était illicite, et d’ordonner en conséquence la suspension immédiate des activités de la Sablière du Cannelet sur lesdites parcelles, ordonner l’évacuation des installations et constructions édifiées sur celles-ci dans un délai de soixante jours à compter de la décision à intervenir, ordonner à la Sablière du Cannelet d’entreprendre les opérations de remblayage desdites parcelles et lui fixer à cette fin une délai d’un an non prolongeable, enfin de fixer la date de remise en culture des parcelles à l’expiration d’un délai de six mois suivant la fin du remblayage.

35) Par écrit du 28 mai 2015, la commune, sous la plume de son conseil, a fait parvenir au conseiller d’État en charge du DALE ses observations concernant le projet de modification des limites de zones (PL 29’922 et plan n° 29’922-504). Elle s’opposait catégoriquement au projet de loi et, conformément à son courrier du 26 novembre 2014, réclamait l’abandon du projet de déclassement en zone industrielle des parcelles nos 85, 86 et 87 et la fixation à la Sablière du Cannelet d’un ultime et bref délai pour remettre les parcelles en conformité à l’affectation de la zone agricole, puisque ses activités n’étaient pas autorisées.

36) Par lettre du 4 juin 2015, le conseiller d’État en charge du DETA a répondu au courrier de la commune du 1er avril 2015 – qui avait été complété le 5 mai 2015 –, prenant position de la manière suivante :

« De l’illégalité des activités de la société Sablière du Cannelet SA :

Cet état de fait est connu de l’État, et a été retenu comme considérant du Grand Conseil dans la motion M 2048-A qu’il a renvoyée au Conseil d’État le 27 janvier 2012.

Dans ce contexte, des démarches allant dans le sens d’une modification de zone des trois parcelles n° 85, 86 et 87 de la commune d’Avusy sont actuellement en cours de traitement au Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (DALE). Je vous informe au demeurant que le déclassement dudit périmètre fait également partie intégrante du plan directeur cantonal 2030 adopté par le Conseil d’État et le Grand Conseil.

De la suspension immédiate des activités de l’entreprise :

Quand bien même les activités de l’entreprise Sablière du Cannelet SA ne sont aujourd’hui malheureusement pas réglementées de façon satisfaisante, elles sont nécessaires pour assurer le traitement efficace et écologique de matériaux de démolition et d’excavation générés par les chantiers genevois, pour les recycler et ainsi pallier l’épuisement des ressources en graves naturelles régionales.

En effet, les zones industrielles sont, à ce jour, insuffisantes dans le canton et la Sablière du Cannelet SA, par sa position, permet une synergie entre les activités d’exploitation de graves naturelles, les activités de recyclage et celles de mise en décharge.

Sur ces bases, il n’est à ce jour pas prévu de suspendre les activités de Sablière du Cannelet SA.

De l’évacuation des installations et de la remise en état des parcelles :

À la lumière de ce qui précède, l’évacuation des installations de traitement des déchets et la remise en état des parcelles concernées ne peuvent être entreprises. Les charges inhérentes à ces deux aspects devront être définies dans le cadre de la procédure d’autorisation d’exploiter qui devra être engagée si la procédure de déclassement aboutit.

En conséquence, le DETA n’est pas en mesure de répondre favorablement à votre demande, au vu de la procédure en cours au DALE ».

37) Par acte du 18 juin 2015, la commune a recouru auprès du TAPI contre cette lettre. Elle a notamment pris les conclusions suivantes, sous « suite de frais et dépens » :

- annuler la décision prononcée le 4 juin 2015 par le DETA, rejetant la requête de la commune du 1er avril 2015 ;

- constater que le maintien des installations et activités de concassage et lavage de matériaux et autres de la Sablière du Cannelet, sur les parcelles nos 85, 86 et 87 de la commune, était illicite ;

- constater que la tolérance du DETA à l’égard de cette situation est illicite ;

- ordonner en conséquence la suspension immédiate des activités de la Sablière du Cannelet sur lesdites parcelles ;

- ordonner l’évacuation des installations et constructions édifiées sur lesdites parcelles, dans un délai de soixante jours à compter de l’arrêt à intervenir ;

- ordonner à la Sablière du Cannelet d’entreprendre les opérations de remblayage des parcelles nos 85, 86 et 87 de la commune et lui fixer un délai d’un an, non-prolongeable, pour mener à bien cette opération ;

- fixer la date de remise en culture des parcelles à l’expiration d’un délai de six mois suivant la fin du remblayage.

Le courrier du 4 juin 2015 était incontestablement une décision au sens de l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA -
E 5 10).

Le caractère illégal des activités de la Sablière du Cannelet était admis, ce qui était en contradiction avec la décision. Cette dernière devait donc être annulée dans la mesure où elle refusait de constater le caractère illicite desdites activités.

Il appartenait au DETA, compétent pour l’exécution de la loi sur les gravières et exploitations assimilées, d’ordonner les mesures administratives adéquates en cas de violation par l’exploitant des obligations lui incombant, notamment en vertu de l’autorisation d’exploiter qui lui avait été délivrée, ce qu’il n’avait pas fait.

Le DETA devait ordonner les mesures destinées au respect des autorisations délivrées à la Sablière du Cannelet qui, conformément à la loi, lui prescrivaient un délai pour la restitution des terres à l’agriculture, aucune dérogation ne pouvant être accordée à cette obligation. Les intérêts économiques de la Sablière du Cannelet devaient céder le pas à l’intérêt public prépondérant au maintien d’une stricte séparation entre zone à bâtir et zone non constructible. La bonne foi de cette entreprise ne pouvait par ailleurs être admise puisque celle-ci n’était au bénéfice que d’une autorisation temporaire dont la transformation en autorisation définitive avait été refusée par toutes les instances de recours. Enfin, la conformité des installations par le biais d’une modification des limites de zones n’avait pas de chances sérieuses de se concrétiser, à preuve déjà le fait que ce changement de régime de zones était envisagé depuis quinze ans sans avoir été concrétisé.

38) Par décision du 26 août 2015, le TAPI a appelé en cause la Sablière du Cannelet.

39) Par réponse du même jour, le DETA a conclu à l’irrecevabilité du recours – sa lettre consistant « en un simple renseignement sur l’état actuel d’une procédure en cours tendant à une décision, qui elle, [sera] attaquable » –, subsidiairement au rejet.

La situation de la Sablière du Cannelet était connue des autorités. Le Conseil d’État avait pris position pour un déclassement de zone afin de normaliser la situation, et cette procédure, selon ses informations, était en cours et serait mise prochainement à l’enquête publique. Ainsi, le DETA ne voyait pas comment il pourrait rendre une décision tendant à la suspension immédiate des activités de la Sablière du Cannelet, à l’évacuation des installations et constructions édifiées sur les parcelles dans un délai de soixante jours, ordonner à cette entreprise d’entreprendre les opérations de remblayage des parcelles et fixer une date de remise en culture. Rendre une telle décision irait à l’encontre de la volonté du Conseil d’État et de l’art. 12A LPA.

La Sablière du Cannelet était une entreprise jouant un rôle clé dans le traitement des déchets de chantier du canton, tant par les volumes traités (environ 10’000 m3 par an) que par sa situation géographique. Le maintien de son activité de recyclage était nécessaire. La quantité de déchets minéraux traités et valorisés par cette entreprise représentait environ 25 % de la quantité totale cantonale.

40) Par écriture du 4 septembre 2015, la commune a répliqué.

Le principe de coordination évoqué par le DETA dans son recours
(art. 12A LPA) ne trouvait pas application dans le cas d’espèce.

Ce que souhaitait le DETA était, une fois de plus, d’obtenir la perpétuation de la situation illicite par un procédé dilatoire. L’on savait que les installations devaient être enlevées depuis l’arrêt du Tribunal fédéral du 13 février 1998.

Le déclassement souhaité par le Conseil d’État était contraire aux principes d’aménagement du territoire découlant du droit fédéral et était donc « un serpent de mer » qui ne saurait fonder quelque retard que ce soit dans l’instruction de la présente procédure.

La commune s’opposait catégoriquement à tout retard dans le déroulement de la procédure, spécialement sa suspension.

41) Par réponse du 16 octobre 2015, la Sablière du Cannelet, sous la plume de son conseil, a conclu, « sous suite de frais et dépens », préalablement à la suspension de l’instruction de la cause jusqu’à décision finale sur le PL 29’922, à la forme à l’irrecevabilité du recours et au fond à son rejet.

Elle n’avait pas pu déménager ses installations au Bois-de-Bay, les caractéristiques géologiques de cette zone ne permettant pas une exploitation optimale de l’activité de recyclage, les investissements nécessaires rendant le prix de revient du sable recyclé non concurrentiel sur le marché.

L’enquête publique portant sur le plan n° 29’922-504 avait été ouverte du
4 septembre au 5 octobre 2015.

La Sablière du Cannelet était en droit de considérer que la prolongation du 21 juillet 1993 était toujours valable. Les procédures mises en œuvre par le DALE et le DETA pour autoriser le projet déposé en 1993 n’étaient pas terminées et nécessitaient un changement de zone ; dans l’intervalle, l’autorisation du 21 juillet 1993 réglait toujours la situation.

La commune n’avait pas la qualité pour recourir contre le refus du DETA de prendre des mesures contre elle. Ses intérêts privés n’étaient pas affectés par la décision. Elle n’avait qu’un rôle de dénonciateur. Elle n’avait aucune autonomie dans les décisions d’aménagement ou de police des constructions, mais seulement un pouvoir de préavis. La loi ne lui accordait pas le droit d’exiger de l’autorité une mesure ou une sanction contre le perturbateur.

La commune avait du reste changé plusieurs fois de position dans ce dossier, de sorte qu’elle ne pouvait être prise au sérieux et que sa crédibilité était mise à mal. C’était encouragée par la commune que la Sablière du Cannelet avait investi de manière substantielle sur le site de Sous-Forestal pour rassembler ses activités.

Par ailleurs, le TAPI n’avait pas le pouvoir de revoir librement des décisions administratives prises en opportunité sauf exception prévue par la loi, exception non prescrite par la LGEA. La décision contestée avait été prise en opportunité, le DETA ayant effectué une pesée des intérêts en présence. Si la décision dont était recours devait être qualifiée de décision prise dans le cadre du pouvoir d’appréciation du DETA, l’autorité de recours ne pouvait revoir cette décision que pour excès ou abus de pouvoir d’appréciation, inexistant en l’espèce.

42) Dans sa duplique du 19 octobre 2015, le DETA a expliqué qu’afin de respecter le principe de cohérence, il ne pouvait pas, à ce jour, prendre une décision concernant un projet qui faisait actuellement l’objet d’une procédure au DALE et dont l’issue avait des conséquences sur celle du DETA.

43) Le 21 décembre 2015, la commune a persisté dans ses conclusions et s’est opposée à la suspension de la procédure.

Concernant sa qualité pour recourir, elle recourait contre une décision qui n’était pas le fruit d’une dénonciation à l’autorité hiérarchique mais qui avait été prise en application de l’art. 4A LPA, lequel donnait à l’administré un droit à obtenir une décision de l’autorité compétente lorsqu’il estimait que celle-ci commettait un acte illicite. La commune était touchée dans ses intérêts privés puisqu’elle était propriétaire d’au moins deux parcelles sises au voisinage immédiat des biens-fonds ; elle était également touchée dans ses prérogatives de puissance publique et disposait donc d’un intérêt public propre digne de protection à l’annulation ou la modification de la décision. La LGEA elle-même lui reconnaissait un intérêt juridique à recourir contre les décisions illicites.

Son attitude tout au long des années n’avait pas varié, on ne pouvait lui reprocher d’avoir agi de mauvaise foi puisque la procédure visait une décision du DETA et non d’elle.

Le DETA n’avait par ailleurs pas une complète latitude de statuer en opportunité selon la LGEA ; l’autorité devait prendre les mesures nécessaires au rétablissement d’une situation conforme au droit puisque, sinon, le système de planification et d’autorisation mis en place par cette loi et voulu par le législateur resterait lettre morte.

Il était hasardeux de déduire du PDC 2030 que la Sablière du Cannelet pourrait maintenir durablement les installations de recyclage de déchets de chantier présentes sur le site Sous-Forestal. Ledit PDC devait être concrétisé par une loi de modification des limites de zones. Le projet relatif au site de
Sous-Forestal n’était toujours pas déposé devant le Grand Conseil, le Conseil d’État devant faire face à l’hostilité du législatif au déclassement de « mouchoirs de poche ».

44) Par jugement du 26 mai 2016, le TAPI a déclaré le recours de la commune recevable, l’a admis, a renvoyé le dossier au DETA pour nouvelle décision dans le sens des considérants, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, dont la teneur figurait dans les considérants, et a condamné la Sablière du Cannelet et le DETA, pris conjointement et solidairement, à verser à la commune une indemnité de CHF 1’500.- à titre de dépens.

Le courrier du DETA remplissait les conditions formelles d’une décision au sens de l’art. 4 LPA : il traitait tout d’abord d’une situation concrète, à savoir le maintien de l’activité de la Sablière du Cannelet sur trois parcelles sises sur la commune ; il avait ensuite un caractère obligatoire envers la commune puisqu’il l’obligeait à accepter sur les parcelles nos 85, 86 et 87 l’exploitation de la gravière malgré son illégalité qui n’était pas contestée par le DETA ; il était enfin adressé à la commune, lieu de situation des terrains sur lesquels la Sablière du Cannelet exploitait ses installations, et entité ayant la qualité pour recourir contre les décisions rendues sur la base de la LGEA. La seule absence d’indication des voies de recours ne saurait avoir pour conséquence que le courrier du DETA ne puisse être considéré comme une décision.

Au fond, n’étaient autorisées en zone agricole que les constructions et installations qui étaient destinées durablement à cette activité et aux personnes l’exerçant à titre principal, qui respectaient la nature et le paysage et qui satisfaisaient aux conditions fixées par les art. 34 ss de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1.).

Toute exploitation d’une gravière devait être dûment autorisée par le DETA. Ce dernier ne jouissait dès lors d’aucun pouvoir d’appréciation ; il ne pouvait tolérer une exploitation sans délivrer une autorisation en bonne et due forme, après analyse des conditions. Le DETA reconnaissait du reste dans la décision querellée que les activités de la Sablière du Cannelet « [n’étaient] malheureusement pas réglementées de façon satisfaisante ». L’exploitation actuelle de la gravière était donc illégale et ne saurait dès lors être tolérée plus longtemps. Elle ne pourrait par ailleurs être autorisée aujourd’hui, les parcelles sur lesquelles elle se situait étant sises en zone agricole, raison pour laquelle une procédure en déclassement de zone avait été initiée.

La décision du DETA devait être annulée et le dossier renvoyé à celui-ci pour qu’il rende à l’encontre de la Sablière du Cannelet une décision de cessation de l’exploitation de la gravière et de remise en état immédiate des parcelles.

45) Par acte déposé le 20 juin 2016 au greffe de la chambre administrative, la Sablière du Cannelet a formé recours contre ce jugement, reprenant pour l’essentiel ses arguments de première instance et concluant, « sous suite de frais et dépens », à son annulation et au renvoi de la cause au TAPI pour examen des arguments développés par elle dans son mémoire du 16 octobre 2016, subsidiairement, à la forme à l’irrecevabilité du recours de la commune du 18 juin 2015, au fond au rejet dudit recours, préalablement à la suspension de l’instruction de la cause jusqu’à décision finale sur le PL 29’922.

Son droit d’être entendu et celui à ce que sa cause soit examinée au fond par deux juridictions successives avaient été violés par le fait que le TAPI n’avait pas examiné la grande majorité de ses arguments.

46) Par acte déposé le 29 juin 2016, le DETA a également interjeté recours contre le jugement susmentionné, reprenant pour l’essentiel ses arguments de première instance et concluant à ce que la chambre administrative annule celui-ci et, principalement, déclare irrecevable le recours de la commune contre son courrier du 4 juin 2015 et la déboute de toutes autres ou contraires conclusions, subsidiairement, rejette le recours, plus subsidiairement suspende la procédure jusqu’à l’issue de la procédure de modification de zone des parcelles nos 85, 86 et 87.

Le TAPI avait violé son droit d’être entendu en ne prenant pas position dans son jugement sur le fait primordial qu’une procédure de modification de zone était en cours au DALE, dont l’issue définirait la suite que le DETA donnerait à cette affaire.

Il avait en outre considéré à tort qu’il avait outrepassé son pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’application des art. 34 ss OAT.

Le jugement querellé, en disposant que le DETA devait rendre à l’encontre de la Sablière du Cannelet une décision de cessation de l’exploitation de la gravière et de remise en état immédiate des parcelles en faisant fi du principe de coordination des procédures, violait le principe de proportionnalité.

47) Par courrier du 12 juillet 2015, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative sans formuler d’observations.

48) Le 13 juillet 2016, le DETA a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler sur le recours de la Sablière du Cannelet.

49) Dans sa réponse du 11 août 2016, la commune a conclu au rejet de la demande de suspension et, « avec suite de frais et dépens », au rejet des recours.

Concernant le principe de coordination, la présente procédure visant la cessation des activités de la Sablière du Cannelet se fondait uniquement sur la législation en matière de gravières et exploitations assimilées. Peu importait la zone d’affectation du périmètre considéré. Il suffisait ainsi de constater que les activités actuelles de la recourante n’avaient pas fait l’objet d’une autorisation valable, ce qu’avaient constaté les juridictions cantonales de recours et le Tribunal fédéral entre 1996 et 1998.

50) Dans le délai au 21 septembre 2016 imparti aux parties par la chambre administrative avec la précision que la cause serait ensuite gardée à juger, la Sablière du Cannelet et le DETA ont persisté dans leurs conclusions respectives.

51) Le 23 septembre 2016, la Sablière du Cannelet a informé la chambre administrative du dépôt le 21 septembre 2016 par le Conseil d’État d’un projet de loi modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune d’Avusy (création d’une zone industrielle et artisanale affectée à des activités de recyclage de matériaux minéraux au lieu-dit « Sous-Forestal » ; ci-après : PL 11’976), et malgré l’opposition de cette dernière, au lieu-dit Sous-Forestal, raison pour laquelle la demande de suspension était réitérée.

52) Par écriture du 29 septembre 2016, la commune s’est opposée à toute suspension de cause.

53) Par courrier du 30 septembre 2016, le DETA a appuyé la demande de suspension.

54) Par lettre du 18 octobre 2016, la chambre administrative a informé les parties de ce qu’une décision sur la requête de suspension serait rendue prochainement.

55) À la suite d’une demande de renseignements formulée le 12 avril 2017 par le juge délégué de la chambre administrative avec l’accord des parties, le président du Grand Conseil a, par lettre du 24 avril 2017, fait part de ce que la Commission d’aménagement du canton du Grand Conseil (ci-après : la Commission d’aménagement) étudiait le PL 11’976 et procédait à des auditions.

56) À la suite d’une nouvelle demande de renseignements formulée par le juge délégué, le président du Grand Conseil a, par pli du 28 mai 2018, indiqué que le rapport de la Commission d’aménagement chargée d’étudier ledit projet de loi du Conseil d’État ainsi que la « pétition pour le rétablissement de l’État de droit à Avusy » (P 1’995-A) – émanant d’une association et avec une teneur similaire aux conclusions relatives aux ordres à donner au département contenues dans le recours formé par la commune devant le TAPI –, déposé le 12 octobre 2017
(ci-après : PL 11’976-A - P 1’995-A), point n° 54 à l’ordre du jour lors de la session des 24 et 25 mai 2018, ne devrait pas être traité par le Grand Conseil avant l’automne 2018, à moins que cet objet ne fasse l’objet d’une demande urgente.

57) Par courrier du 11 juin 2018, la commune, se référant à ce pli, a demandé que la chambre administrative rejette la demande de suspension des parties recourantes, le dossier n’ayant pas avancé devant le Grand Conseil et le processus législatif prenant une durée incompatible avec une bonne administration de la justice.

58) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

59) Il sied par ailleurs de préciser qu’en vertu du règlement du Conseil d’État sur l’organisation de l’administration cantonale du 1er juin 2018 (ROAC -
B 4 05.10), entré en vigueur le même jour, le département du territoire (ci-après : DT) comprend désormais la direction générale de l’environnement, dont fait entre autres partie le service de géologie, sols et déchets.

60) Pour le reste, les arguments des parties seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours de la société exploitante et du département recourant sont recevables (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1
let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA -
E 5 10).

2) Aux termes de son art. 1, la LGEA s’applique aux exploitations à ciel ouvert de gravier, sable et argile (ci-après : gravières) (al. 1) ; elle régit également le remblayage des gravières après exploitation (ci-après : décharges contrôlées), ainsi que les travaux inhérents à l’affectation et au réaménagement futurs des terrains (al. 2).

En vertu de son art. 2 al. 1, la LGEA a pour but : a) de planifier l’extraction des matériaux nécessaires aux constructions et aménagements publics et privés en vue d’une utilisation rationnelle du territoire et des ressources naturelles ; b) de garantir un approvisionnement du canton en gravier, sable et argile indigènes en quantité et diversité suffisantes, compatible avec le principe du développement durable, en s’assurant, dans la mesure du possible, que l’ensemble des matériaux minéraux exploitables aient été extraits avant toute phase de remblayage ; c) de promouvoir une valorisation optimale des matériaux minéraux avant une mise en décharge de leur part non valorisable ; d) de veiller à un remblayage des gravières par des matériaux inertes dans le respect des dispositions de la législation fédérale et de la législation cantonale en matière de gestion des déchets et de protection de la nature et du paysage.

À teneur de l’al. 2 de cette disposition légale, la poursuite de ces objectifs doit, en particulier, tenir compte de la nécessité : a) de ne porter atteinte ni aux zones de protection des eaux souterraines, ni aux nappes d’eau qui sont en liaison directe avec un cours d’eau et d’empêcher toute ouverture de gravière au-dessous du niveau des nappes souterraines exploitées (art. 44 de la loi fédérale sur la protection des eaux du 24 janvier 1991 - LEaux - RS 814.20) ; b) de préserver les zones d’habitation, la zone viticole protégée, la zone de bois et forêts, les sites et les paysages dignes d’intérêt et les biotopes d’importance nationale, régionale et locale, de toute exploitation ; c) d’assurer la sécurité de la circulation sur la voie publique et d’y limiter les nuisances dues au bruit ou à la pollution de l’air, en relation avec le trafic des camions provoqué par l’exploitation des gravières ; d) de protéger les sols des parcelles sur lesquelles sont exploitées des gravières, de leur ouverture à la remise en état des lieux à la fin de l’exploitation.

Selon l’art. 3 LGEA, afin de garantir le respect des buts énoncés à
l’article 2, l’exploitation des gravières et décharges contrôlées est subordonnée : a) à l’élaboration d’un plan directeur des gravières ; b) à l’adoption d’un plan d’affectation, dit « plan d’extraction » ; c) à l’octroi d’une autorisation d’exploiter.

Conformément à l’art. 3A LGEA, le Conseil d’État désigne le département chargé de l’application de la loi (al. 1) – c’est-à-dire le département chargé de l’environnement (art. 1 du règlement d’application de la loi sur les gravières et exploitations assimilées du 19 avril 2000 - RGEA - L 3 10.03), jusqu’au 1er juin 2018 le DETA et désormais le DT – ; à ce titre, le département exerce la surveillance générale de l’exploitation des gravières, y compris du stockage provisoire et du traitement des matériaux minéraux sur les gravières (al. 2).

3) a. Il est tout d’abord contesté par la recourante et le département recourant d’une part que la lettre de ce dernier du 4 juin 2015 soit une décision, d’autre part que la commune ait eu la qualité pour recourir contre ce courrier.

b. Sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 4 al. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).

Pour qu’un acte administratif puisse être qualifié de décision, il doit revêtir un caractère obligatoire pour les administrés en créant ou constatant un rapport juridique concret de manière contraignante. Ce n’est pas la forme de l’acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/1508/2017 du 21 novembre 2017 consid. 4b ; ATA/509/2016 du 14 juin 2016 consid. 4c ; ATA/15/2016 du
12 janvier 2016 consid. 2a).

En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral
(art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2 ; 8C_191/2010 du 12 octobre 2010 consid. 6.1 ; ATA/548/2018 du 5 juin 2018 consid. 3b ; ATA/509/2016 précité consid. 4c ; ATA/209/2016 du 8 mars 2016 consid. 2b et les références citées).

Par ailleurs, à teneur de l’art. 4A LPA, toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l’autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations :
a) s’abstienne d’actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque ; b) élimine les conséquences d’actes illicites ; c) constate le caractère illicite de tels actes
(al. 1) ; l’autorité statue par décision (al. 2).

c. Il ressort de l’art. 5 al. 4 LGEA, afférent à la procédure d’élaboration d’un plan directeur des gravières, que la commune a la faculté d’émettre un préavis sur le projet de plan et que le DETA examine alors si des modifications doivent être apportées au projet pour en tenir compte.

L’art. 6 al. 1 LGEA précise que les plans d’extraction sont des plans d’affectation adoptés par le Conseil d’État, conformément à l’art. 15 al. 2 LaLAT, et selon la procédure prévue à l’article 5 de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929
(LExt - L 1 40). En vertu de l’art. 13 al. 1 let. i LaLAT, l’affectation et le régime d’aménagement des terrains compris à l’intérieur d’une ou plusieurs zones peuvent être précisés par divers types de plans et règlements, dont les plans d’extraction visés par la LGEA.

Pour ce qui est de l’autorisation d’exploitation, l’art. 8 al. 3 LGEA prescrit qu’en principe, une même entreprise ne peut bénéficier simultanément de plusieurs autorisations d’exploiter relatives à des gravières situées dans une même commune. À teneur de l’art. 9 LGEA relatif à la procédure, les requêtes en autorisation d’exploiter sont présentées au département par le propriétaire et l’exploitant conjointement (al. 1) ; elles sont publiées dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) et communiquées aux communes concernées, de manière à permettre à tout intéressé, pendant un délai de trente jours à compter de la publication, de consulter les dossiers au département et lui transmettre ses observations par une déclaration écrite (al. 2). L’art. 21 RGEA, afférent au « préavis communal », précise : la commune du lieu de situation est consultée (al. 1 1ère phr.) ; l’autorité municipale doit communiquer son préavis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier ; son silence vaut approbation sans réserve (al. 2) ; lorsque la limite d’extraction définie dans le plan d’extraction correspond exactement au périmètre d’extraction précisé dans la requête en autorisation d’exploiter et que cette dernière est sollicitée dès l’adoption du plan d’extraction, les préavis délivrés lors de la procédure d’adoption du plan d’extraction peuvent s’appliquer également à la procédure d’autorisation ; l’avis de requête est cependant communiqué (al. 3).

Il découle de ce qui précède que les communes sont fortement impliquées dans toutes les procédures en matière de gravières et exploitations assimilées et que leurs préavis doivent être pris en compte par les autorités cantonales.

d. Par ailleurs, en vertu de l’art. 35 al. 3 LGEA, la commune du lieu de situation et les associations d’importance cantonale ou actives depuis plus de trois ans qui, aux termes de leurs statuts, se vouent par pur idéal à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites, ont qualité pour recourir devant le TAPI, contre toute décision ou sanction prise par le département chargé de l’environnement en application de la LGEA ou du RGEA (al. 1).

D’une part, cette disposition légale ne limite pas les types de décisions pouvant faire l’objet d’un recours. D’autre part, par application a contrario de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, la qualité pour recourir de la commune du lieu de situation suppose qu’elle ait pu être partie à la procédure qui a abouti à la décision attaquée – et donc requérir une telle décision –, respectivement qu’elle ait été touchée directement par une décision et ait un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié.

e. En l’espèce, au regard de ces considérants, la commune intimée avait un intérêt digne de protection à solliciter du DETA, par lettre du 1er avril 2015, la cessation des activités de la recourante sur les trois parcelles sises sur son territoire. La situation légale de l’exploitation de la gravière litigieuse n’était pas définitivement tranchée, puisque cette exploitation ne reposait depuis plus de vingt ans que sur une autorisation du 15 décembre 1983 censée être valable jusqu’en 1994 ainsi que sur un courrier du service cantonal de géologie du
21 juillet 1993 prévoyant le prononcé d’une décision ultérieure.

Par son courrier du 4 juin 2015, le département recourant a opposé un refus à la demande de la commune et, ainsi, rejeté une demande tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations, au sens de l’art. 4 al. 1 let. c LPA, la question de l’éventuelle application de l’art. 4A LPA pouvant ainsi demeurer indécise.

Pour le reste, il convient de se référer aux conditions examinées par le TAPI dans son jugement querellé pour attribuer audit courrier la qualité de décision. Notamment, il découle des art. 46 al. 1 et 47 LPA qu’une décision non désignée comme telle et sans voie ni délai de recours n’en est pas moins une décision (ATA/910/2015 du 8 septembre 2015 consid. 3b et les références citées).

En définitive, d’une part, la lettre du département recourant du 4 juin 2015 est une décision, d’autre part, l’intimée avait – et a encore – un intérêt pour recourir contre celle-ci.

4) a. Pour ce qui est du fond du litige, la commune, dans son courrier du 1er avril 2015 au DETA ainsi que dans le cadre de la procédure devant le TAPI puis devant la chambre de céans, invoque pour l’essentiel l’art. 23 let. a, e et f LGEA ainsi que les motifs suivants à l’appui de ses demande et conclusions : à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral du 13 février 1998, les activités de la recourante et la tolérance du recourant à son égard sont illicites, d’autant plus que la société n’a pas donné suite à la possibilité de régulariser sa situation par un déménagement dans la zone industrielle du Bois-de-Bay.

L’intimée s’oppose catégoriquement à la régularisation de l’implantation considérée comme illicite de la recourante en zone agricole, par un changement de zone, qui serait selon elle en totale contradiction avec les prescriptions de droit fédéral de l’aménagement du territoire (création d’une petite poche de zone industrielle en pleine zone agricole, absence de desserte suffisante, nuisances pour l’environnement et le voisinage, notamment).

Elle entend qu’il soit mis fin aux « atermoiements » qui permettent, depuis plus de vingt ans, à la recourante de continuer son exploitation en toute illicéité.

b. Aux termes de l’art. 23 LGEA, dans les limites des dispositions de
l’art. 24 LGEA, le département peut ordonner les mesures – administratives – suivantes : a) la suspension des travaux d’extraction ou de remblayage ;
b) l’évacuation des matériaux de remblayage inadaptés ; c) l’évacuation des matériaux minéraux stockés provisoirement qui ne peuvent pas servir au remblayage de la gravière sur laquelle ils sont entreposés ; d) le retrait de l’autorisation d’exploiter ; e) l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter ; f) la remise en état des lieux ou la réparation d’un bien naturel ou environnemental lésé ;
g) l’assainissement.

En vertu de l’art. 24 LGEA intitulé « cas d’application », ces mesures peuvent être ordonnées par le département, en cas de violation, par le propriétaire ou l’exploitant, des obligations leur incombant en vertu de la LGEA, de son règlement d’application, du plan d’extraction ou de l’autorisation d’exploiter.

Selon l’art. 25 LGEA afférent à la procédure, le département notifie aux intéressés, par lettre recommandée, les mesures qu’il ordonne ; il fixe un délai pour leur exécution, à moins qu’il n’invoque l’urgence (al. 1) ; ces mesures sont dispensées de la procédure d’autorisation (al. 2).

c. Ces trois dispositions légales sont, par leur structure et leur contenu, le pendant, en matière de gravières et exploitations assimilées, des art. 129, 130 et 132 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

De jurisprudence constante, rendue en droit des constructions et installations diverses, pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter cinq conditions. Premièrement, l’ordre doit être dirigé contre le perturbateur. Les installations en cause ne doivent ensuite pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation. Un délai de plus de trente ans ne doit par ailleurs pas s’être écoulé depuis l’exécution des travaux litigieux. L’autorité ne doit en outre pas avoir créé chez l’administré concerné, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu’elle serait liée par la bonne foi. Finalement, l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit doit l’emporter sur l’intérêt privé de l’intéressé au maintien des installations litigieuses (ATA/321/2018 du 10 avril 2018 consid. 6a ; ATA/303/2016 du 12 avril 2016 consid. 5b ; ATA/824/2015 du 11 août 2015 consid. 6b et les références citées).

Cette dernière condition, à savoir le respect du principe de la proportionnalité, doit à tout le moins être examinée dans le cadre de l’application des art. 23 ss LGEA.

Le principe de la proportionnalité, consacré de manière générale à l’art. 5
al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst. - RS 101) et, en lien avec les restrictions de liberté, à l’art. 36 al. 3 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1).

En droit des constructions et installations diverses, l’autorité renonce à un ordre de démolition si les dérogations à la règle sont mineures, si l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage ou encore s’il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit qui aurait changé dans l’intervalle. Même un constructeur qui n’est pas de bonne foi peut invoquer le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 1C_114/2011 du 8 juin 2011
consid. 4.1 ; ATA/321/2018 précité consid. 6b ; ATA/303/2016 précité
consid. 7b).

d. Dans le cas présent, comme l’a relevé le Procureur général dans sa missive du 21 décembre 1998, l’intimée ne saurait déduire directement de l’arrêt du Tribunal fédéral du 13 février 1998 une obligation de la recourante de cesser immédiatement l’exploitation de la gravière, quand bien même cette exploitation n’est pas conforme à l’affectation actuelle de la zone. En effet, la procédure qui s’est terminée par cet arrêt avait trait à l’autorisation de maintenir et réorganiser les installations de la recourante et de construire une installation fixe de recyclage, de concassage et de lavage ainsi qu’un radier sur les parcelles litigieuses
(DD 92’383) ; elle ne concernait toutefois pas l’autorisation en tant que telle d’exploiter la gravière en application de la LGEA. Au demeurant, l’arrêt du Tribunal administratif du 5 août 1997 n’excluait pas la possibilité pour les autorités cantonales d’élaborer une modification du plan d’affectation permettant l’exploitation de la gravière litigieuse.

Cela étant, l’exploitation de la gravière litigieuse ne repose depuis plus de dix ans que sur une autorisation du 15 décembre 1983 censée être valable jusqu’en 1994 ainsi que sur un courrier du service cantonal de géologie – et donc du DETA – du 21 juillet 1993 prévoyant le prononcé d’une décision ultérieure lorsque le DALE aurait statué sur la requête en autorisation de construire DD 92’383, alors que la société exploitante avait sollicité le 29 juin 1993 la prolongation des autorisations d’exploitation (nos 414-829 et 414’833) jusqu’en 1999. Or, malgré le refus de la requête DD 92’383 consacré par l’arrêt du Tribunal fédéral du
13 février 1998, le DETA n’a pas renouvelé ou étendu l’autorisation d’exploitation, mais a de manière constante refusé de prendre des mesures administratives (art. 23 LGEA) à l’encontre de la société exploitante. Comme retenu par le TAPI, la gravière n’est ainsi actuellement pas exploitée sur la base d’une autorisation, mais d’une simple tolérance de la part du DETA.

Toutefois, c’est à tort que le TAPI en a tiré la conclusion que la cessation de l’exploitation de la gravière et la remise en état des parcelles s’imposaient automatiquement, sans examen des conditions requises pour la mise en conformité au sens des art. 23 ss LGEA.

Il convient dès lors d’examiner, dans ce cadre, en particulier si l’intérêt de la commune à la cessation de l’exploitation litigieuse sur son territoire prime ou non l’intérêt privé de la recourante à continuer cette exploitation, de même que l’intérêt public invoqué par le département recourant au maintien de l’existence de celle-ci.

e. Le maintien de l’exploitation litigieuse est projeté par la fiche D06 (« Gérer et valoriser les déchets ») du PDC 2030 (« Mise en conformité d’une installation de traitement et recyclage de déchets minéraux de chantier [commune d’Avusy] ») et figure sur la carte annexe n° 11 (« Gestion des ressources, des déchets et des eaux usées »).

La modification de zones n° 29’922 (Sous-Forestal) fait partie des planifications qui pourront être mises en vigueur d’ici à la prochaine adaptation du PDC 2030, sous l’angle du respect du quota de surfaces d’assolement, selon le rapport d’examen du 13 avril 2015 du PDC 2030 par l’office fédéral du développement territorial (ARE ; p. 30 s.).

Dans la première mise à jour – version enquête publique – du PDC 2030, ad fiche D06, ce projet est confirmé, avec l’ajout que ladite mise en conformité doit se faire « par une modification des limites de zone » et la mention « réglée » sous « état de la coordination » (p. 325). Toutefois, à teneur de la « Synthèse des observations » suite à la « Consultation des communes et des territoires voisins février - juin 2017 », « la commune d’Avusy demande que des espaces de recyclage de matériaux de démolition et d’excavation soient trouvés au sein des zones industrielles existantes ou de leurs futures extensions et ne tolère pas qu’une zone industrielle soit créée au profit d’un seul exploitant en pleine zone agricole » (p. 42).

Le PL 11’976, repris par le PL 11’976-A - P 1’995-A, prévoit ce qui suit en son art. 1 : le plan n° 29’922-504 – qui crée une ZIA pour les parcelles nos 85, 86 et 87 (d’une superficie totale d’environ 25’520 m2) –, dressé par le département chargé de l’aménagement du territoire le 27 juin 2012, modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune d’Avusy (création d’une ZIA affectée à des activités de recyclage de matériaux minéraux au lieu-dit « Sous-Forestal ») est approuvé (al. 1) ; les plans de zones annexés à la LaLAT sont modifiés en conséquence (al. 2). De plus, l’art. 3 du projet de loi PL 11’976-A - P 1’995-A adopté par la Commission d’aménagement rejette, dans la mesure où elles sont recevables et pour les motifs exposés dans le rapport, les oppositions à la modification des limites de zones, formées notamment par les communes d’Avusy, Cartigny, Laconnex et Soral, représentées par leur avocat, Me Bruno MÉGEVAND.

En annexe au rapport PL 11’976-A - P 1’995-A figure un préavis négatif du 5 décembre 2016 de de la Commission de l’environnement et de l’agriculture du canton du Grand Conseil (ci-après : la Commission de l’environnement et de l’agriculture) adressé à la Commission d’aménagement au sujet dudit projet de loi et demandant que le terrain au lieu-dit « Sous-Forestal » soit rendu à l’agriculture au plus tard le 31 décembre 2021, l’activité actuelle étant tolérée jusqu’à cette date, de façon à permettre à l’exploitant de sauvegarder son entreprise et les emplois en la transférant à un autre endroit, et à condition que le propriétaire constitue, dès 2017, un fonds, sous le contrôle de l’État, permettant de financer le retour de cette parcelle à l’agriculture.

À teneur de l’exposé des motifs du PL 11’976, que la Commission de l’aménagement a sur ce point rappelé dans le PL 11’976-A – P 1’995-A (p. 82), suite au constat du peu d’esplanades de recyclage existantes en zone industrielle et de leur mauvaise répartition sur le territoire du canton (aucune en Champagne), du manque de zones industrielles (lesquelles sont très convoitées), de la nécessité de disposer d’installations de recyclage en suffisance réparties sur le territoire cantonal lesquelles ne sont autorisées qu’en zone industrielle, et de l’importance de cette activité pour le canton, le Grand Conseil demande, à travers la motion M 2’048 au Conseil d’État, d’étudier la possibilité de créer une nouvelle zone spécifiquement destinée à l’implantation d’esplanades de recyclage et de normaliser la situation des deux entreprises sises en Champagne. Ledit projet de loi permet de répondre au deuxième objet de la motion, soit la normalisation d’une situation non conforme. En effet, les parcelles concernées par le projet de déclassement sont occupées depuis une vingtaine d’années par la Sablière du Cannelet, une des principales entreprises actives dans le recyclage des matériaux minéraux dans le canton ; cette entreprise, qui traite annuellement environ 150’000 tonnes de matériaux minéraux divers, soit environ un quart du total des déchets minéraux recyclés sur le territoire cantonal, joue un rôle important dans l’atteinte des objectifs cantonaux dans ce domaine ; la Sablière du Cannelet est de plus située dans une région du canton qui ne possède pas d’autre installation de ce type ; le site dispose également d’une bonne accessibilité par de grands axes routiers hors des zones fortement urbanisées (p. 6). En outre, selon le Conseil d’État, le classement en zone industrielle des parcelles concernées, préalable indispensable au dépôt d’une requête en autorisation d’exploiter, permettra de régulariser la situation de cette entreprise, de pérenniser une activité nécessaire au canton pour la valorisation des matériaux minéraux, d’imposer à l’entreprise de procéder à une requête en autorisation d’exploiter, d’identifier les lacunes actuelles de l’entreprise en matière de protection de l’environnement et les mesures d’amélioration à prendre (mesures de protection et de compensation dans les différents domaines de l’environnement, notamment, le bruit, l’air, les eaux et le paysage) au travers du processus d’étude de l’impact sur l’environnement (EIE) qui devra accompagner la demande en autorisation d’exploiter, d’imposer à l’entreprise, au moyen de l’autorisation d’exploiter, la mise en œuvre de ces mesures ainsi qu’un cadre réglementaire à son fonctionnement, de limiter l’emprise de l’exploitation aux parcelles formant la future ZIA affectée à des activités de recyclage de matériaux minéraux, une surface d’environ 9’000 m2 comprenant pour partie d’autres parcelles devant donc être remise en état et rendue à l’agriculture, de limiter les volumes de stockage, enfin de mettre en œuvre des mesures visant à garantir la propreté des routes d’accès (p. 6 s.).

La Commission de l’aménagement, dans le PL 11’976-A – P 1’995-A, considère, en opportunité, mais aussi dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’appréciation qui est le sien, au terme d’une pesée bien comprise de l’ensemble des intérêts publics et privés en présence, que les avantages du projet de loi de modifications de limites de zones querellé l’emportent sur les objections soulevées par les opposants, notamment celle de la légalisation de l’activité de recyclage de matériaux minéraux existante (p. 84).

f. Dans le cadre de l’enquête publique, le Conseil municipal de la commune, dans sa délibération du 15 mars 2016, a préavisé défavorablement à l’unanimité ce projet de loi et, le 28 juin 2016, une délégation du Conseil d’État a auditionné les autorités communales, conformément aux dispositions prévues par l’art. 16
al. 4 LaLAT, séance à l’issue de laquelle il a été décidé de poursuivre la procédure en vue de la procédure d’opposition (PL 11’976, p. 10). Puis, à la suite du
PL 11’976, l’intimée a, dans le cadre prévu par l’art. 16 al. 6 LaLAT, fait valoir sa position devant la Commission de l’aménagement, tant par une opposition écrite au projet de loi que par l’audition de son avocat par ladite commission. La commune a dès lors pu défendre sa position de manière efficace dans le cadre de la procédure législative, parallèlement à la présente procédure.

L’intérêt public au maintien de l’exploitation litigieuse ressortant des motifs du projet de loi PL 11’976 et PL 11’976-A – P 1’995-A, et afférent au recyclage des déchets, paraît en l’état important. De plus, comme l’a invoqué le département recourant, la cessation de l’exploitation de la gravière et la remise en état immédiate des parcelles, ordonnées par le TAPI, risquerait de rendre de facto inopérante la procédure de déclassement et impliquerait un important investissement de la recourante, avec des risques de pertes d’emplois. Il sied de souligner qu’à la date du prononcé du jugement querellé, la procédure de modification des limites de zones était à un stade bien moins avancé que le dépôt du projet de loi par le Conseil d’État puis du rapport de la Commission de l’aménagement à l’intention du Grand Conseil. En l’état, la procédure législative introduite par ce projet de loi, qui se trouve au stade final de sa présentation au Grand Conseil pour vote, paraît être menée de manière diligente.

Au surplus, l’allégation de l’intimée selon laquelle l’entreprise exploitante aurait refusé de déménager sur un terrain à Bois-de-Bay est contredite en particulier par l’historique du dossier contenu dans l’exposé des motifs dudit projet de loi (PL 11’976), à teneur duquel, en 2008, des contacts avaient été pris avec la Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI) afin de déplacer la Sablière du Cannelet au Bois-de-Bay et il était alors apparu qu’aucun emplacement n’était disponible pour cette entreprise (p. 8).

Enfin, il ne ressort pas de la consultation du SITG que des habitations seraient situées à proximité immédiate de la gravière. La commune ne fait pas valoir des préjudices imminents contre ses habitants ou contre ses propres installations qui justifieraient la cessation de l’exploitation litigieuse et la remise en état immédiate des parcelles en cause, le fait qu’elle serait propriétaire de parcelles à proximité n’étant à cet égard pas suffisant. Ce problème a au demeurant été traité par la Commission de l’aménagement dans le PL 11’976-A – P 1’995-A (p. 95 s.), et l’exposé des motifs du projet de loi PL 11’976 (p. 6 s.) annonce notamment l’examen des mesures à prendre au plan environnemental, comme le rappelle le PL 11’976-A – P 1’995-A (p. 95 s.).

g. Dans ces circonstances exceptionnelles et quand bien même on peut regretter l’écoulement du temps et les ajournements des autorités cantonales concernant le déclassement des parcelles en cause, l’intérêt public invoqué par la commune au rétablissement d’une situation conforme au droit doit céder le pas devant l’intérêt privé de la recourante au maintien de l’exploitation litigieuse ainsi que, surtout, l’intérêt public que le projet de loi PL 11’976 puisse être mené à terme.

Les mesures ordonnées par le TAPI, disproportionnées, doivent donc être annulées, sans qu’il soit utile d’examiner les autres griefs des recourants, dont le principe de coordination des procédures.

Cette issue ne saurait être comprise comme permettant l’exploitation litigieuse sans modification des limites de zone, pour une durée illimitée. Elle pourrait le cas échéant être différente si la procédure de modification des limites de zones n’aboutissait pas, dans un délai raisonnable.

5) Vu ce qui précède, les recours seront admis, le jugement querellé annulé et la décision du DETA – désormais du DT – du 4 juin 2015 rétablie.

La requête de suspension formée par les recourants est dès lors sans objet.

6) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de l’intimée pour la première et la seconde instance (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée à la recourante également pour les deux instances, à la charge de la commune (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables le recours interjeté le 20 juin 2016 par Sablière du Cannelet SA et le recours interjeté le 29 juin 2016 par le département de l’environnement, des transports et de l’agriculture, depuis le 1er juin 2018 le département du territoire, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
26 mai 2016 ;

au fond :

les admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 mai 2016 ;

rétablit la décision du département de l’environnement, des transports et de l’agriculture, depuis le 1er juin 2018 département du territoire, du 4 juin 2015 ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de la commune d’Avusy ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’500.- à Sablière du Cannelet SA, à la charge de la commune d’Avusy ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Jacques Martin, avocat de la Sablière du Cannelet SA, au département du territoire, à Me Bruno Mégevand, avocat de la commune d’Avusy, au Tribunal administratif de première instance, ainsi que, pour information, au Grand Conseil.

Siégeants : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf,
MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :