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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/789/2008

ATA/633/2009 du 01.12.2009 ( FIN ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 01.02.2010, rendu le 18.08.2010, ADMIS, 2C_108/2010
Descripteurs : DROIT FISCAL; IMPÔT; IMPÔT À LA SOURCE; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT; FRONTALIER; DOMICILE À L'ÉTRANGER; DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL); TRAITÉ INTERNATIONAL; MANDATAIRE; INTERDICTION DE L'ARBITRAIRE
Normes : LPA.9 ; aLCP.9 ; CDI.26 ; Cst.9
Résumé : Demande d'un frontalier de nationalité suisse, imposé à la source, demeurant en France et travaillant à Genève, de pouvoir bénéficier des mêmes déductions fiscales que les citoyens suisses résidant dans cette cité. Portée des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination entre ces deux catégories de contribuables. Qualité d'un citoyen suisse pour soulever ce moyen. Etat de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes et des tribunaux suisses en la matière. En l'espèce, la taxation à la source, bien que légèrement supérieure à celle qui résulterait de l'imposition ordinaire, ne viole ni les engagements internationaux de la Suisse, ni l'interdiction de l'arbitraire, ni le principe de l'égalité de traitement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/789/2008-FIN ATA/633/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 1er décembre 2009

2ème section

dans la cause

 

 

 

 

M. A______ B______
représenté par M. C______ B______, mandataire

 

 

 

contre

 

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE

 

et

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE


EN FAIT

1) M. A______ B______, de nationalité suisse, a été domicilié en France, dans la commune de Habère-Lullin, jusqu'au 30 novembre 2003, avec son épouse et leur deux enfants, D______, née le ______ 1982 et E______ née le ______ 1996.

2) Employé en qualité d’ingénieur par l'entreprise F______ S.A., il a réalisé en 2003 un revenu de CHF 93’069,80 sur lequel un montant de CHF 9’772,30 a été retenu au titre de l’impôt à la source (taux 10,49 %).

3) Le 1er décembre 2003, M. B______ s’est domicilié seul à Genève pour des raisons professionnelles, sans se séparer de son épouse.

4) Le 11 avril 2004, il a demandé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) la rectification de la retenue à la source effectuée par son employeur en 2003. L’attestation-quittance délivrée par ce dernier est datée du 31 décembre 2003.

5) Par décision du 4 octobre 2004, l'AFC est entrée en matière sur cette demande et a rectifié l’impôt à la source 2003 en défaveur du contribuable.

L'impôt à la source était fixé du 1er janvier au 30 novembre 2003. Aucune charge de famille n’était admise. L’impôt dû était porté CHF 15’428,50, soit un solde en défaveur du contribuable de CHF 5’681,20 (incluant une taxe personnelle de CHF 25.-).

6) M. B______ a formé réclamation contre cette décision auprès de l’AFC le 1er novembre 2004, en contestant l’absence de prise en compte, dans l'imposition à la source, de déductions admises en imposition ordinaire (2ème pilier, frais de repas et de déplacements, etc.).

7) Le 5 juillet 2004, le contribuable a été taxé en imposition ordinaire pour le mois de décembre 2003.

L’impôt dû s’élevait à CHF 206,95 (ICC) et à CHF 27,85 (IFD), soit un total de CHF 234,80. Les déductions suivantes étaient admises : cotisations sociales salariales, frais professionnels, assurance-maladie pour le chef de famille et les enfants, charges et frais d’entretien d’immeuble, intérêts hypothécaires, frais bancaires, frais médicaux pour le chef de famille et les enfants, assurance-accident, primes d’assurance-vie et intérêts d’épargne.

8) L’AFC a statué sur la réclamation du 1er novembre 2004 (concernant l'imposition à la source du 1er janvier au 30 novembre 2003), le 18 août 2005. Elle a réduit l’impôt dû à CHF 8’232,55.

Une pleine charge et une demi-charge de famille étaient accordées pour les enfants. Les autres déductions demandées ne pouvaient être admises.

9) Par acte du 14 septembre 2005, le contribuable a interjeté recours contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission), devenue depuis lors la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA).

La motivation ne permettait pas de vérifier la prise en considération des déductions forfaitaires (frais de déplacement et de repas, notamment) et, partant, le bien-fondé des revenus imposables. La taxation à la source 2003 était trois fois supérieure à celle effectuée, sur la base des mêmes revenus, à celle de l’imposition ordinaire du mois de décembre 2003.

A partir du 1er décembre 2003, il souhaitait se voir reconnaître un "domicile alternant" du fait des liens qu'il conservait avec sa famille et ne pas être traité plus défavorablement que les contribuables "fiscalement" domiciliés à Genève, mais qui ne disposaient dans ce canton que d'une "boîte aux lettres".

10) Par décision du 28 janvier 2008, la commission a déclaré irrecevables les conclusions relatives à la reconnaissance d’un domicile alternant et rejeté le recours pour le surplus, pour des motifs qui seront exposés, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après. Elle a en outre condamné le recourant à un émolument de CHF 500.-.

11) Par acte du 6 mars 2008, le contribuable a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif.

a. A titre principal, il conclut à l’annulation de "cinq décisions prises par la commission cantonale de recours dans sa séance du 28 janvier 2008". En outre, il prend les conclusions suivantes, par ordre de subsidiarité :

- "Ordonner à l’AFC d’adresser une nouvelle déclaration fiscale 2003 au contribuable, en vue d’une taxation ordinaire de la famille du contribuable, à retourner remplie et signée dans les trente jours ;

- renoncer à exiger le retour du "questionnaire servant à déterminer le domicile fiscal des époux vivant séparés…" ;

- porter en déduction de la taxation ordinaire et annuelle 2003, les montants payés […] ainsi que l’impôt à la source selon l'attestation de quittance 2003 ;

- accepter les deux domiciles alternants de la famille de A______ B______ : à Genève en raison de son rattachement économique et à Habère-Lullin, France, où il se rend quotidiennement avec sa famille ;

- annuler l’ensemble des émoluments mis à la charge du contribuable."

Enfin, le contribuable demande que lui soit allouée une indemnité "maximale" de CHF 10’000.-.

b. Suit une argumentation extrêmement confuse, d’où l'on peut extraire les éléments suivants :

En annualisant l’impôt fixé pour la période du 1er janvier au 30 novembre 2003 (CHF 8’232,55), l’on parvenait à un impôt à la source de CHF 8’981.-. En effectuant la même démarche pour l’imposition ordinaire de décembre 2003, on arrivait à un total de 2’817,60, soit une différence entre les deux modes d’imposition, pour la même année et les mêmes revenus, de CHF 6’163,40. L’impôt à la source était donc trois fois supérieur à celui fixé sur la base d’un régime d’imposition ordinaire. A cela, venaient s’ajouter les impôts français perçus en application de la convention entre la Confédération suisse et la République française du 9 septembre 1966 en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ci-après : CDI ou la convention - RS 0.672.934.91), prélevés sur les revenus de l’épouse du contribuable et les revenus immobiliers 2003, soit un impôt de € 578.-.

Cette différence d’imposition découlait du fait qu’un nombre considérable de déductions prises en compte dans le cadre de l’imposition ordinaire n’était pas admis dans l’imposition à la source.

Depuis le 1er décembre 2003, l’AFC considérait que l’état civil du contribuable était "séparé", ce qui ne correspondait pas à sa situation maritale.

12) L’AFC a répondu le 15 avril 2008 et conclu au rejet du recours.

Le système de l’imposition à la source genevois, qui prévoyait un système de déduction forfaitaire intégré dans le calcul du taux d’imposition, ne violait pas l’interdiction de discrimination entre résidents et non résidents garantie par les accords internationaux conclus par la Suisse (Accord entre la Confédération suisse d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999 - ALCP, RS 0.142.112.681 - et CDI). Il était également compatible avec la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes rendue avant l’entrée en vigueur de l’ALCP. Quant à la jurisprudence postérieure, elle n’était pas applicable, le comité mixte n’en ayant pas encore déterminé les implications (art. 16 par. 2, 2ème phrase ALCP).

13) Ensuite de quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 56A et ss de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant est valablement représenté par son frère, M. C______ B______. En effet, en qualité d'expert comptable, ce représentant peut être considéré comme un mandataire professionnellement qualifié pour la cause dont il s'agit (art. 9 al. 1 LPA ; ATA/506/2008 du 30 septembre2008 et références citées).

3) Le recourant conclut à l'annulation de "cinq décisions" prises le même jour par la commission. Or, il découle d'un courrier adressé par la commission au tribunal de céans le 2 novembre 2009 qu'une seule décision a été rendue à l'égard du recourant par la commission en date du 28 janvier 2008. Cette décision concerne l'imposition à la source 2003. Le recours adressé au Tribunal de céans est ainsi recevable contre cette décision uniquement, à l'exclusion des taxations des années postérieures - qui n'ont pas été versées à la procédure - et de celle qui concerne le mois de décembre 2003, fixée par une décision datée du 5 juillet 2004, aujourd'hui entrée en force.

4) Les conclusions du recourant relatives à son état-civil (séparé ou marié) et à la reconnaissance d'un domicile "alternant" se rapportent aux périodes fiscales postérieures au 30 novembre 2003, à partir du jour où celui-ci s'est constitué un domicile séparé de son épouse et de sa famille, à Genève. Elles sont donc exorbitantes au présent litige. En effet, dans la taxation contestée, qui porte sur la période du 1er janvier au 30 novembre 2003, le recourant a été considéré, conformément à son souhait, comme marié et faisant ménage commun avec son épouse en France. Ce point n'est ainsi pas litigieux.

Partant, les conclusions concernant la détermination du "domicile fiscal des époux vivants séparés" et celles d'un domicile "alternant" sont irrecevables.

5) Les autres conclusions de fond se rapportant au calcul de la taxation à la source 2003, le recours est recevable pour le surplus.

6) Le recourant considère que le système de l'imposition à la source, tel qu'il est pratiqué à Genève, discrimine les frontaliers par rapport aux résidents genevois, d'une manière qui viole l'interdiction de discrimination garantie par les accords internationaux et la constitution fédérale.

7) Selon l'art. 7 de la loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales du 23 septembre 1994 (LISP - D 3 20), les travailleurs qui, sans être domiciliés ni en séjour en Suisse, exercent une activité lucrative dépendante, sont soumis à l'impôt à la source sur le revenu de leur activité conformément aux art. 2 à 4.

L'impôt est calculé sur le revenu brut (art. 2 al. 1er LISP). 

Sont imposables tous les revenus provenant d'une activité pour le compte d'autrui, y compris les revenus accessoires tels que les indemnités pour prestations spéciales, les commissions, les allocations, les primes pour ancienneté de service, les pourboires et autres avantages appréciables en argent, de même que les revenus acquis en compensation tels que les indemnités journalières des assurances-maladie, d'assurances contre les accidents ou de l'assurance-chômage (art. 2 al. 2 LISP).

8) Le système de l'impôt à la source est ancré aux art. 83 et ss LIFD pour l'impôt fédéral direct et aux art. 32 et ss LHID (en relation avec l'art. 36 al. 1er let. a LHID), 1 et ss LISP et 1 et ss RISP. Il a pour fonction de se substituer aux impôts fédéral, cantonal et communal perçus selon la procédure ordinaire (art. 32 al. 1er LHID, 17 LISP). Le barème des retenues est établi d'après les taux de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (art. 85 LIFD, 33 al. 1er LHID et 3 al. 1er LISP). Selon l'art. 86 LIFD, le barème tient compte des frais professionnels (art. 26), des primes et cotisations d'assurances (art. 33 al. 1er let. d [AVS, AI, prévoyance professionnelle], f [chômage et accident obligatoire] et g [vie, maladie et accident] LIFD) sous forme de forfait, ainsi que des charges de famille du contribuable. La déduction des cotisations périodiques versées en vue de l'acquisition des droits aux prestations dans le cadre de la prévoyance professionnelle (2ème pilier) est ainsi comprise dans le forfait (art. 86 al. 1er LIFD, 33 al. 3 LHID et 4 al. 1er LISP). Sur demande du contribuable (art. 23 LISP), l’administration fiscale cantonale admet, comme déduction supplémentaire au forfait, les versements à une institution de prévoyance professionnelle pour le rachat d’années d’assurance et la finance d’entrée, ainsi qu’à une institution reconnue de prévoyance individuelle liée, au sens et dans les limites admises par le droit fédéral en matière de prévoyance et par la loi LIPP-V (3ème pilier A), les pensions alimentaires et les contributions d’entretien au sens de l’art. 5 de la loi LIPP-V, ainsi que les frais de garde au sens et dans les limites admises par l’art.7 de la loi LIPP-V (art. 4 RISP et 2 let. b LIPP-V).

9) Selon l'art. 2 ALCP, les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne doivent pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, être discriminés en raison de leur nationalité. L'art. 26 al. 1er CDI dispose pour sa part que les nationaux d’un Etat contractant ne sont soumis dans l’autre Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat se trouvant dans la même situation. Enfin, selon l'art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine ou de son mode de vie.

10) Bien qu'il soit de nationalité suisse, le recourant peut se plaindre d'une violation du principe de non-discrimination contre son Etat d'origine (Arrêt de la Cour de justice des communautés européennes [ci-après : ACJCE] Asscher du 27 juin 1996 § 32, aff. C-107-94 ; ACJCE Gilly du 12 mai 1998 § 21 et 22, aff. C-336/96 ; ATA/152/2009 du 24 mars 2009 consid. 21).

11) Sur la portée matérielle qu'il convient de donner au principe de non-discrimination en droit fiscal interne, le recourant se prévaut de la jurisprudence rendue en la matière par la Cour de justice des communautés européennes (ci-après : CJCE), ainsi que des directives et recommandations européennes. Il prétend que ces sources sont directement applicables en droit suisse. C'est méconnaître les engagements pris par la Suisse dans le cadre de ces accords, qui ne sont que sectoriels, sont pourvus de mécanismes de régulation propres et ne consacrent pas une participation pleine et entière au marché intérieur de la Communauté européenne (ATF 130 II 113 consid. 6.1. p. 120 ; Message du Conseil fédéral du 23 juin 1999 relatif à l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la Communauté européenne, FF 1999 p. 5440 ss, 5473 ; R. BIEBER, Quelques remarques à l'occasion de l'entrée en vigueur des accords bilatéraux Suisse-CE, in Mélanges en l'honneur de B. DUTOIT, Genève 2002, p. 13 ss, 14).

Selon le Tribunal fédéral, lorsqu'il est amené à interpréter l'ALCP, le juge suisse doit tenir compte du fait que la plupart des arrêts de la CJCE sont rendus dans le cadre d'une procédure spéciale dite de renvoi préjudiciel (ATF 130 II 113 consid. 6.1. p. 120). Cette procédure comporte en effet des propriétés qui ne sont pas sans conséquences pour apprécier la portée de cette jurisprudence dans l'ordre juridique suisse. En particulier, le renvoi préjudiciel est un instrument de coopération judiciaire qui vise à assurer une application uniforme du droit communautaire sans porter atteinte à l'autonomie dont jouissent les juridictions nationales : la CJCE se limite à répondre aux questions d'interprétation du droit communautaire que lui adressent les juges nationaux, tandis que ces derniers restent seuls à statuer sur le fond en tenant compte des circonstances de faits et de droit des affaires dont ils sont saisis (cf. arrêt de la CJCE du 18 octobre 1990, Dzodzi, aff. jointes C-297/88 et C-197/89, Rec. 1990, p. I-3763, points 31 ss ; J.-P. JACQUÉ, Droit institutionnel de l'Union européenne, Paris 2001, nos 1090/1091 et les références citées). Cette répartition des rôles a notamment pour effet que la CJCE s'abstient généralement d'examiner des questions qui relèvent de l'appréciation du juge national, tels les faits ou leur exactitude ; elle veille également à rester dans le cadre de la demande et évite d'aborder une question que le juge national n'a pas posée ou a refusé de poser (J.-P. JACQUÉ, op. cit., n° 1101). Si ce dernier désire poser une nouvelle question de droit ou soumettre des éléments nouveaux ou s'il se heurte à des difficultés de compréhension ou d'interprétation d'un arrêt, il peut saisir à nouveau la CJCE ; il y est même tenu lorsqu'il statue en dernier ressort (ATF 130 II 113 consid. 6.1. p. 120).

Un tel mécanisme de coopération judiciaire n'existe pas entre la Suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres. Confronté à un problème d'interprétation, le juge suisse n'a donc ni l'obligation ni même la possibilité de se référer à la CJCE mais doit le résoudre seul, en se conformant aux règles d'interprétation habituelles déduites de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV - RS 0.111 ; ATF 113 II 113 consid. 6.1. p. 120). L'art. 31 par. 1 de cette convention prescrit que les traités doivent s'interpréter de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (cf. F. FILLIEZ, Application des accords sectoriels par les juridictions suisses: quelques repères, in D. FELDER/C. KADDOUS [éd.], Bilaterale Abkommen Schweiz-EU, 2001, p. 183 ss, 201 ss).

Il résulte de ce qui précède que les arrêts de la CJCE fondés sur des notions ou des considérations dépassant le cadre relativement étroit des accords sectoriels ne sauraient donc, sans autre examen, être transposés dans l'ordre juridique suisse et que les engagements pris par la Suisse en matière de non-discrimination doivent être interprétés.

Il convient donc, en l'espèce, d'examiner si le critère de la résidence peut justifier une inégalité de traitement entre les contribuables imposés en Suisse, sans violer ces engagements.

12) Ce critère de différenciation des situations est expressément prévu dans l'ALCP. En effet, si à son art. 9 par. 2, l'annexe I ALCP prévoit que les travailleurs salariés et les membres de sa famille bénéficient des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille, l'art. 21 par. 2 ALCP intitulé « relation avec les accords bilatéraux en matière de double imposition », prévoit qu'aucune disposition de l'accord ne peut être interprétée de manière à empêcher les parties contractantes d'établir une distinction dans l'application des dispositions pertinentes de leur législation fiscale entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, « en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence ». Cette dernière disposition indique clairement que l'art. 9 par. 2 de l'Annexe I ne vise pas les frontaliers, mais les étrangers résidents à Genève, et que ceux-là peuvent être traités différemment.

S'agissant de la portée de l'art. 26 CDI, le point VI du protocole additionnel de cette convention indique : « il est entendu qu’une personne physique […] qui est résident[e] d’un Etat contractant ne se trouve pas dans la même situation qu’une personne physique […] qui n’est pas résident[e] de cet Etat […] ».

Par ailleurs, le modèle de convention fiscale élaboré par l’organisation de coopération et de développement économiques (ci-après : OCDE), qui a servi de base à la rédaction de la CDI, commente la disposition interdisant expressément toute discrimination de la manière suivante :

« La disposition qui concerne la non-discrimination [art. 24 du modèle ; art. 26 CDI] est généralement insérée dans l'ensemble des accords fiscaux conformément au modèle OCDE. Elle pose le principe selon lequel les discriminations fondées sur la nationalité sont interdites. Les nationaux d'un Etat ne peuvent pas être traités moins favorablement dans l'autre Etat contractant. Pour bénéficier de cette clause, nationaux et non-nationaux doivent se trouver dans une situation égale « notamment au regard de la résidence ». Par conséquent, des avantages fiscaux (déductions personnelles, réduction d'impôts en fonction des charges de famille) que la législation nationale réserve aux résidents ne peuvent pas être revendiqués, sur cette base par le non-résident, même s'il se trouve, pour le reste, dans une situation comparable à celle d'un résident ».

Il résulte de cet examen que le principe d'un traitement différencié des contribuables résidents et non résidents a été expressément envisagé et accepté par les parties à ces accords. Celui-ci n'est ainsi pas contraire aux engagements internationaux pris par la Suisse.

13) Le Tribunal fédéral a confirmé à plusieurs reprises que, d'un point de vue global, le système de l'impôt à la source, ne violait pas ce principe. Il a comparé l'imposition ordinaire à du "sur mesure", par rapport à l'impôt à la source, qui habillait "en confection" en se fondant sur des moyennes. La charge fiscale pouvait ainsi être plus lourde que celle d'un contribuable ordinaire sans pour autant violer le principe de l'égalité de traitement (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.145/1999 du 31 janvier 2000). Des considérations identiques ont justifié la schématisation des barèmes appliqués dans le calcul de la valeur locative des immeubles qui conduisait également à des inégalités de traitement. Selon notre Haute Cour, un tel résultat était inévitable pour des raisons pratiques touchant également à l'économie de la taxation ; dans une certaine mesure, ce désavantage était acceptable, même si, par là, une égalité de traitement ne pouvait pas être entièrement garantie (ATF 2P.279/1999 du 3 novembre 2000, publié in Revue fiscale 2001 [56] p. 414). Ce résultat est encore renforcé par le fait que l'impôt à la source permet la constitution de sûretés visant à garantir le paiement de l'impôt par des personnes domiciliées à l'étranger.

14) Cette compatibilité de principe n'autorise toutefois pas le canton de Genève à appliquer n'importe quels barèmes et taux aux frontaliers pour le seul motif qu'ils ne sont pas résidents. En effet, les distinctions doivent se fonder sur des motifs raisonnables au regard de la situation de fait à réglementer et ne pas être arbitraires (ATF 118 Ia 1 consid. 3 p. 2-3 et arrêts cités ; ATA/214/2008 du 6 mai 2008 ; ATA/530/2007 du 16 octobre 2007).

15) Une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d’un droit certain (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2D.30/2008 du 21 mai 2008 consid. 5.1). L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61 et la jurisprudence citée ; 128 I 177 consid. 2.1 p. 182 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C 171/2008 du 20 juin 2008 consid.3.1 et les arrêts cités ; ATA/381/2008 du 29 juillet 2008 consid. 4a). Appelé à examiner le caractère arbitraire d’une décision, le Tribunal administratif suit le raisonnement du Tribunal fédéral en la matière (ATA/344/2008 du 24 juin 2008 consid. 6a).

16) En l'espèce, la taxation du contribuable du mois de décembre 2003, calculée sur la base de l'imposition ordinaire, a été de CHF 234,80. Annualisé, ce montant conduit à un impôt total (ICC et IFD) 2003 de CHF 2'817,60. Pour les mois de janvier à novembre de la même année, la taxation fondée sur le régime de l'impôt à la source a été de CHF 8'232,55. Annualisé, ce montant conduit à un impôt 2003 de CHF 8'981.-. Ainsi, par le seul fait du changement de résidence, sans qu'aucun élément n'ait changé dans la situation matrimoniale et patrimoniale du contribuable, l'impôt calculé sur la base du régime de l'imposition à la source est plus de trois fois supérieur à celui calculé sur la base de l'imposition ordinaire.

Ce résultat est choquant et viole le principe de l'interdiction de l'arbitraire.

17) Certes, dans un arrêt récent, le Tribunal administratif a admis que ne constituait pas une décision arbitraire, une taxation conduisant à un impôt à la source une fois et demie supérieur à celui calculé sur la base du régime de l'imposition ordinaire (ATA/152/2009 du 24 mars 2009). Il a été considéré dans cet arrêt que la schématisation du système de l'imposition à la source (et en particulier les déductions forfaitaires) pouvait entraîner, du fait de la présence de facteurs défavorisants, des différences importantes qui demeuraient néanmoins admissibles. Un impôt une fois et demie supérieur à celui fixé sur la base du régime ordinaire constitue toutefois une limite au-delà de laquelle l'Etat ne peut aller sans violer les principe de l'interdiction de l'arbitraire et de non-discrimination.

Dans la cause précitée, il est apparu que l'AFC était consciente du fait que le système de l'impôt à la source n'est pas entièrement satisfaisant et qu'une adaptation aux nouvelles exigences liées à la garantie de libre circulation des personnes constituant la base des engagements figurant dans l'ALCP, devrait être envisagée sans tarder. Malgré cette situation, ce point n'a pas été traité dans le cadre des récents amendements apportés à la CDI - non encore entrés en vigueur - dont l'avenant ne règle que le traitement fiscal des prestations en capital provenant du deuxième pilier fournies à des bénéficiaires résidents en France et l'autorisation de se prévaloir de la convention de double imposition pour les institutions de prévoyance qui leur permet d'obtenir une réduction des impôts à la source sur les dividendes et les intérêts.

18) Dans la présente procédure, l'AFC ne se prononce pas sur la différence d'imposition soulevée à l'appui du recours ; elle se retranche derrière le fait que le système a été jusque-là validé par la jurisprudence et les autorités fédérales. Elle ne peut toutefois indéfiniment s'en tenir à cette position, sans égard aux nouveaux engagements pris par la Suisse et à l'évolution des principes exposés ci-dessus.

19) Il conviendra donc de lui renvoyer la cause pour qu'elle adapte la taxation à la capacité contributive du recourant, dans une mesure qui satisfasse ces exigences. Il n'appartient pas au tribunal de céans d'imposer à l'AFC une solution déterminée (admettre une ou des déductions particulières), car cette autorité est mieux à même de décider des mesures à prendre et d'évaluer leurs implications sur le système de l'impôt à la source (incidence sur le volume de travail des taxateurs, frais, etc.).

20) Le recours sera ainsi partiellement admis.

21) Le recourant conteste "l'ensemble des émoluments mis à sa charge", sans préciser de quels émoluments il s'agit. Par conséquent, seul l'émolument de la commission de recours, fixé à CHF 500.- sera examiné.

Selon l'art. 67 al. 1er LPA, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l’affaire qui en est l’objet passe à l’autorité de recours.

En déférant la décision de la commission du 28 janvier 2008 au Tribunal administratif, le recourant a porté tout le litige devant cette juridiction, y compris la contestation sur l'émolument fixé par la commission.

Il est vrai qu'à teneur de l'art. 87 al. 4 LPA, applicable par renvoi de l'art. 2 LPFisc, les frais de procédure, émoluments et indemnités arrêtés par les juridictions administratives peuvent faire l’objet d’une réclamation dans le délai de 30 jours dès la notification de la décision auprès de l'instance qui les a fixés (art. 5 let. g et 50 al. 1er LPA). Cette disposition ne déroge toutefois pas à l'art.67 LPA ; elle permet au contribuable qui ne conteste pas la solution de fond retenue par la commission, de recourir uniquement contre la décision statuant sur les frais, émoluments et indemnités de procédure. En revanche, lorsque le contribuable recourt également contre la validité matérielle de la décision, le Tribunal administratif est compétent pour statuer sur toutes les questions litigieuses, y compris l'émolument, lorsque celui-ci est contesté.

Le principe de la condamnation à un émolument de procédure se fonde sur l'art. 87 al. 1er LPA, qui fait obligation à l'autorité de statuer sur les frais exposés par la juridiction. Il est de jurisprudence constante que la partie qui succombe supporte une partie des frais découlant du travail qu'il a généré par sa saisine. Celle qui obtient gain de cause n'est pas astreinte au paiement d'un émolument.

En l'espèce, le recourant aurait dû obtenir gain de cause devant l'ancienne commission de recours en matière d'impôts. L'émolument de CHF 500.- mis à sa charge sera ainsi annulé et devra lui être remboursé par la commission cantonale de recours en matière administrative, qui a succédé à la commission précitée le 1er janvier 2009. Il sera mis à la charge de l’AFC, qui succombe, un émolument de CHF 1’500.-.

22) Il sera alloué au recourant, qui obtient gain de cause, une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

admet partiellement, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 10 mars 2008 par M. A______ B______ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 28 janvier 2008 ;

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 28 janvier 2008 et les décisions antérieures, soit les décisions de l’administration fiscale cantonale rendue sur réclamation le 18 août 2005 et la décision de l’administration fiscale du 4 octobre 2004 ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met à la charge de l’administration fiscale cantonale un émolument de CHF 1’500.- ;

alloue une indemnité de CHF 2'000.- au recourant, à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. C______ B______, mandataire de M. A______ B______, à la commission cantonale de recours en matière administrative, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions, pour information.

Siégeants : Mme Bovy présidente, Mme Hurni et M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. a. i. :

 

 

F. Rossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :