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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1258/2014

ATA/578/2014 du 29.07.2014 ( AMENAG ) , ADMIS

Parties : STEVENS Giuliana / ROCHAIX Sandrine, DEPARTEMENT DE L'ENVIRONNEMENT, DES TRANSPORTS ET DE L'AGRICULTURE, ROCHAIX Bernard et consorts, ROCHAIX Fabian
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1258/2014-AMENAG ATA/578/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 juillet 2014

 

dans la cause

 

Madame Giuliana STEVENS
représentée par Me Catherine Chirazi, curatrice

contre

DÉPARTEMENT DE L’ENVIRONNEMENT, DES TRANSPORTS ET DE L’AGRICULTURE

et

Madame Sandrine et Messieurs Bernard et Fabian ROCHAIX
représentés par Me Jean-Pierre Carera, avocat

 



EN FAIT

1) Madame Giuliana STEVENS est propriétaire de diverses parcelles sises dans les communes de Russin et de Satigny, lesquelles sont plantées de vignes ou comportent des bâtiments.

2) Le 28 octobre 2013, Monsieur Bernard ROCHAIX a saisi la direction générale de l’agriculture (ci-après : DGA) d’une demande de calcul de fermage licite concernant le domaine de Mme STEVENS à Peissy, qu’il exploitait au bénéfice d’une « convention peu complète qui fait l’objet de litige ».

3) Le 11 novembre 2013, la DGA a écrit à Mme STEVENS. Elle avait appris que le domaine agricole dont elle était propriétaire était exploité par un fermier. Il semblait s’agir d’un domaine entier pouvant être qualifié d’entreprise agricole, dont l’approbation du fermage était obligatoire. Un certain nombre de documents lui était demandé.

4) Le 20 novembre 2013, Mme STEVENS, agissant par la plume de sa curatrice de portée générale, a transmis le contrat de bail à ferme conclu entre feu M. STEVENS et M. ROCHAIX et ses enfants Madame Sandrine ROCHAIX et M. Fabian ROCHAIX le 19 octobre 2006. La location ne portait que sur les vignes, un hangar et des immeubles d’habitation. Il ne s’agissait pas d’une entreprise agricole, mais d’immeubles affectés à l’agriculture. Le fermage ne devait pas être approuvé par l’autorité.

5) La DGA a effectué un transport sur place le 30 janvier 2014, auquel assistaient la curatrice de Mme STEVENS ainsi que Monsieur Fabien ROCHAIX, fils de M. Bernard ROCHAIX.

Aucun procès-verbal n’a été établi à cette occasion.

6) Le 3 février 2014, la curatrice de Mme STEVENS a demandé à pouvoir consulter le dossier et à ce que M. ROCHAIX fournisse un certain nombre d’indications complémentaires concernant son exploitation.

7) Le 6 février 2014, la DGA a transmis une copie du dossier à la curatrice de Mme STEVENS. Cette dernière avait eu l’occasion de faire part de ses observations dans les courriers antérieurs, lors du transport sur place du 30 janvier 2014 ainsi que dans le pli du 3 mars 2014. La DGA transmettait le dossier au président de la commission d’affermage agricole (ci-après : la commission) afin que cette dernière se prononce à titre incident sur l’existence ou non d’une entreprise agricole.

8) Le 7 février 2014, la curatrice de Mme STEVENS s’est adressée à la DGA. Le refus, implicite, de demander à M. ROCHAIX les informations au sujet de son entreprise violait le droit d’être entendu de Mme STEVENS.

La DGA était invitée à reconsidérer sa position.

9) Le 10 février 2014, la DGA a confirmé à la curatrice de Mme STEVENS que le dossier était complet. Le droit d’être entendu de l’intéressée avait été respecté. Elle disposait cependant d’un ultime délai au 28 février 2014 pour faire part de ses observations à la commission.

10) Le 28 février 2014, la curatrice de Mme STEVENS a maintenu et développé ses conclusions antérieures.

11) Le 26 mars 2014, la commission a procédé à un transport sur place. Étaient présents son président et deux membres, ainsi que M. Fabien ROCHAIX et Madame Sandrine ROCHAIX. Mme STEVENS et sa curatrice n’étaient pas présentes parce qu’elles n’avaient pas été convoquées.

Un rapport concernant cette visite a été dressé le lendemain, le 27 mars 2014. Selon ce dernier, « le but de cette réunion était de déterminer si la propriété de Mme Giuliana STEVENS, louée à M. Fabien ROCHAIX constituait bien une entreprise agricole ». Le rapport comporte une description des bâtiments et conclut au fait qu’il s’agit d’une entreprise agricole.

12) Par décision incidente du 7 avril 2014, la commission, se fondant notamment sur le transport sur place effectué par la DGA le 30 janvier 2014 ainsi que sur celui auquel elle a procédé le 26 mars 2014, a constaté que l’ensemble des terres et bâtiments mis à disposition par Mme STEVENS à M. Fabien ROCHAIX constituait une entreprise agricole dont le fermage licite devait être approuvé.

Cette décision incidente pouvait faire l’objet d’un recours dans un délai de dix jours dès sa notification.

13) Par acte mis à la poste le 2 mai 2014, Mme STEVENS a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée. Compte tenu de la suspension des féries de Pâques, le délai de recours était respecté.

Son droit d’être entendu avait été violé dès lors qu’un transport sur place avait été effectué hors de sa présence et sans qu’elle n’en soit informée, ce qui lui avait interdit de faire valoir ses arguments. De plus, les mesures d’instruction qu’elle avait sollicitées avaient été rejetées.

Quant au fond, les immeubles de Mme STEVENS ne constituaient pas une entreprise agricole dès lors que les bâtiments n’étaient pas suffisants pour exploiter les terres des vignes.

Une expertise était nécessaire.

En dernier lieu, la famille ROCHAIX commettait un abus de droit dès lors que c’était M. Bernard ROCHAIX qui avait rédigé la convention litigieuse.

14) Le 21 mai 2014, la commission a conclu au rejet du recours, et à la confirmation de sa décision incidente. Le droit d’être entendu de la recourante avait été respecté et le rapport rédigé à l’issue du transport sur place du 26 mars 2014 était suffisant.

Les biens en question constituaient une entreprise agricole sans qu’une contre-expertise ne soit nécessaire.

15) Le 5 juin 2014, les consorts ROCHAIX se sont déterminés et ont conclu au rejet du recours.

La recourante avait pu participer à un transport sur place le 30 janvier 2014 et son absence lors de celui du 26 mars 2014 n’avait pas eu d’influence sur la décision prise. Les actes d’instruction qu’elle avait sollicités n’étaient pas pertinents. En tout état, une éventuelle violation du droit d’être entendu pouvait être réparée par la chambre administrative. Au surplus, la décision était justifiée au fond. Il n’y avait pas d’abus de droit et une expertise était inutile.

16) Le 30 juin 2014, Mme STEVENS a exercé son droit à la réplique, maintenant ses conclusions antérieures.

17) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante fait en premier lieu grief à l’autorité d’avoir violé son droit d’être entendu en effectuant un transport sur place hors de sa présence, en refusant d’instruire des éléments de faits pertinents et en ne tenant pas compte de ses arguments dans la motivation de la décision.

a. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 133 III 235 consid. 5.3 p. 250 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C.104/2010 du 29 septembre 2010 consid. 3.2 ; 4A.15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 ; ATA/862/2010 du 7 décembre 2010 consid 2 et arrêts cités). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.11/2009 du 31 mars 2009 ; 2P.39/2006 du 3 juillet 2006 consid. 3.2). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) qui s’appliquent (art. 29 al. 2 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 4A.15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 2006, Vol. 2, 2e éd., p. 603, n. 1315 ss ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2000, p. 198). Quant à l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (arrêts du Tribunal fédéral 6B.24/2010 du 20 mai 2010 consid. 1 ; 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et arrêts cités).

Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 135 II 286 consid. 5.1.p. 293 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C.161/2010 du 21 octobre 2010 consid. 2.1 ; 5A.150/2010 du 20 mai 2010 consid. 4.3 ; 1C.104/2010 du 29 avril 2010 consid. 2 ; 4A.15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; ATA/824/2010 du 23 novembre 2010 consid. 2 et les arrêts cités).

De plus, la jurisprudence du Tribunal fédéral a déduit du droit d'être entendu le droit d'obtenir une décision motivée. L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 137 II 266 consid. 3.2 p. 270 ; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; 134 I 83 consid. 4.1 p. 88 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_2/2012 du 19 avril 2012 consid. 3.1 ; 2C_455/2011 du 5 avril 2012 consid 4.3 ; 2D_36/2011 du 15 novembre 2011 consid. 2.1 ; 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 521 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 136 I 184 consid. 2.2.1 p. 188 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_997/2011 du 3 avril 2012 consid. 3 ; 1C_311/2010 du 7 octobre 2010 consid. 3.1 ; 9C_831/2009 du 12 août 2010 et arrêts cités ; ATA/268/2012 du 8 mai 2012).

b. Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle, mais annulable (ATF 133 III 235 consid. 5.3 p. 250 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C.104/2010 du 29 septembre 2010 consid. 3.2 ; 4A.15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 ; ATA/862/2010 du 7 décembre 2010 consid 2 et arrêts cités).

La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (arrêts du Tribunal fédéral 1C.161/2010 du 21 octobre 2010 consid. 2.1 ; 8C.104/2010 du 29 septembre 2010 consid. 3.2 ; 5A.150/2010 du 20 mai 2010 consid. 4.3 ; 1C.104/2010 du 29 avril 2010 consid. 2 ; ATA/435/2010 du 22 juin 2010 consid. 2 ; ATA/205/2010 du 23 mars 2010 consid. 5 ; Pierre MOOR, Droit administratif, Les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, 2e éd., 2002, ch. 2.2.7.4 p. 283). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72 et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal fédéral précités) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 133 I 201 consid. 2.2 p. 204). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/452/2008 du 2 septembre 2008 consid. 2b).

c. Les dispositions cantonales régissant l’établissement des faits par l’administration figurent au chapitre III de la LPA. L’autorité peut ordonner un transport sur place afin de constater un fait elle-même (art. 37 let. c LPA). Les parties ont le droit de participer à l’administration des preuves (art 42 al. 1 LPA).

3) En l’espèce, la commission a procédé à un transport sur place le 26 mars 2014, après lequel un procès-verbal, appelée « rapport » a été établi. Elle n’a toutefois pas invité la recourante, ou sa curatrice, à participer à cet acte d’instruction alors que M. Fabian ROCHAIX et Mme Sandrine ROCHAIX étaient présents. Il s’agit d’une violation grave des règles de procédure, les constatations faites à cette occasion ayant été déterminantes dans le prononcé de la décision litigieuse.

Dès lors que cette dernière émane de la commission, et non de la DGA, le transport sur place effectué par cette autorité le 30 janvier 2014, cette fois en présence de toutes les parties, n’est pas apte à réparer la violation du droit de partie de Mme STEVENS.

Cette violation ne peut de plus être réparée par la chambre administrative, laquelle ne dispose pas des mêmes compétences techniques que les membres de la commission. Cela est d’autant plus vrai que l’une des questions à résoudre dans le litige est de savoir si les bâtiments appartenant à Mme STEVENS sont suffisants pour permettre l’exploitation des terrains concernés.

En conséquence, la décision litigieuse sera annulée et la cause renvoyée à l’autorité administrative afin qu’elle statue à nouveau après avoir instruit la cause en respectant les règles de procédure rappelées ci-dessus, notamment celles protégeant le droit d’être entendu. Il n’est dès lors pas nécessaire de trancher les autres violations du droit d’être entendu alléguées.

4) Au vu de l’issue de la procédure, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à Mme STEVENS, à la charge pour une moitié de la DGA et pour l’autre moitié des consorts ROCHAIX et un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge des consorts ROCHAIX pris conjointement et solidairement (ar.87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mai 2014 par Madame Giuliana STEVENS contre la décision incidente de la commission d’affermage agricole du 7 avril 2014 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision incidente de la commission d’affermage agricole du 7 avril 2014 ;

renvoie la cause à la commission d’affermage agricole au sens des considérants ;

met à la charge de Madame Sandrine et de Messieurs Bernard et Fabian ROCHAIX pris conjointement et solidairement un émolument de CHF 1’000.-,

alloue à Mme STEVENS une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, pour moitié à la charge de la direction générale de l’agriculture et pour l’autre moitié à la charge conjointe et solidaire de Madame Sandrine et Messieurs Bernard et Fabian ROCHAIX ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Catherine Chirazi, curatrice de Mme Giuliana STEVENS, au département de l’environnement, des transports et de l’agriculture ainsi qu'à Me Jean-Pierre Carera, avocat de Madame Sandrine et Messieurs Bernard et Fabian ROCHAIX.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :