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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1304/2012

ATA/562/2013 du 27.08.2013 sur JTAPI/1398/2012 ( AMENAG ) , PARTIELMNT ADMIS

Parties : PAROISSE CATHOLIQUE D'HERMANCE / VOIGNARD Marcel, VOIGNARD Murielle et Marcel, DEPARTEMENT DE L'INTERIEUR, DE LA MOBILITE ET DE L'ENVIRONNEMENT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1304/2012 AMENAG ATA/562/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 août 2013

en section

 

dans la cause

 

PAROISSE CATHOLIQUE D’HERMANCE
représentée par Me Nicolas Jeandin, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L’INTÉRIEUR, DE LA MOBILITÉ ET DE L’ENVIRONNEMENT

et

Madame Murielle et Monsieur Marcel VOIGNARD
représentés par Me Gérald Benoît, avocat




EN FAIT

1.             La paroisse catholique d’Hermance (ci-après : la paroisse) est propriétaire de la parcelle n° 1’727 de la commune d’Hermance (ci-après : la commune).

2.             Sur cette parcelle, située à l’entrée du village (au lieu dit La Croix-de-Bailly) dans une zone de verdure au sens de l’art. 24 al. 1 de la loi d’application de la LAT du 4 juin 1987 (LaLAT – L 1 30), est érigée une église, vraisemblablement depuis la fin du XIIIème siècle.

3.             Le degré de sensibilité (ci-après : DS) II a été attribué à cette parcelle, selon le plan n° 29’551-552 adopté par le Conseil d’Etat en date du 25 juillet 2007
(ci-après : le plan).

4.             Madame Murielle et Monsieur Marcel Voignard (ci-après : les époux Voignard) sont propriétaires de la parcelle n° 2’142 de la commune, où ils ont leur domicile privé.

5.             Cette parcelle est située en zone agricole, le DS III lui ayant été attribué par le plan.

6.             A l’automne 2008, des travaux de rénovation ont été réalisés sur le clocher de l’église.

7.             Les parties divergent quant au fait que ces travaux auraient impliqué des modifications sur le niveau sonore de celui-ci, ce qui n’est pas établi.

8.             Par pli recommandé du 4 août 2009 adressé à la paroisse, les époux Voignard ont prié cette dernière « de faire baisser la résonance des cloches de l’église », qui avaient été « déréglées (…) depuis les travaux exécutés en 2008 », et d’arrêter les cloches de « 22h00 à 7h00 du matin ». Des enregistrements avaient été effectués par l’Etat de Genève.

9.             En novembre 2009, deux autres voisins de l’église, Monsieur Adrien Mastrangelo et Madame Ariana Sefiu, se sont plaints en signant une pétition attestant de ce que la « résonance des cloches de l’église (…) [était] beaucoup plus forte depuis les travaux de réfection de l’église ».

10.         Le 9 septembre 2009, l’entreprise Jean Ecoffey & Fils S.A. a confirmé à la paroisse que le système de sonnerie des cloches fonctionnait « comme par le passé » et n’avoir constaté « aucun dérèglement ».

11.         En date du 10 novembre 2009, le service de protection contre le bruit et les rayonnements non ionisants (ci-après : le SPBR) a rendu compte à Mme Voignard de ses mesures. Il en ressortait que les cloches atteignaient 51 dB(A) dans sa chambre à coucher, fenêtres fermées, étant rappelé que la gêne éventuelle ressentie par un son ou une fréquence particulière était assez subjective.

12.         Mandaté par les époux Voignard, le bureau AAB-J. Stryjenski & H. Monti-S.A. (ci-après : le bureau) a effectué des mesures sur place. Le niveau sonore des cloches mesuré à l’intérieur de la chambre était de Leq 45 à 52 dB(A), si bien que le niveau sonore maximal communément admis, à savoir Leq 30-35 dB(A) la nuit selon le bureau, était dépassé de « manière très significative ».

Le niveau sonore pouvait être attenué au niveau de la source en modifiant la nature, la forme ou l’orientation des abat-sons. Une étude acoustique sur la base de plans et une visite du clocher pour recommander des dispositions constructives détaillées et quantifier l’atténuation potentielle étaient recommandées. Le niveau sonore pouvait également être atténué de 5 à 10 dB(A) au niveau du récepteur en remplaçant les fenêtres anciennes avec verre simple de la chambre à coucher par des fenêtes à verre isolant.

Le mesurage du timbre des deux cloches ne montrait pas de « particularisme significatif pouvant constituer une gêne objective ».

La situation acoustique étant inconnue, il était impossible de conclure sur l’influence, ou non, sur le son des cloches, des travaux sur le clocher de l’église ou de tout autre facteur.

13.         Le 24 juin 2010, les époux Voignard, représentés par un avocat, ont prié le département de la sécurité, de la police et de l’environnement, devenu depuis lors le département de la sécurité (ci-après : le département), d’interdire à la paroisse de procéder à la sonnerie des cloches de 21h00 à 7h00.

14.         Par prononcé du 3 août 2010, le département a refusé de faire droit à cette requête, en application du principe de la proportionnalité.

Il n’existait pas d’autres plaintes des habitants du secteur concerné et une majorité de la population acceptait donc la fréquence ainsi que les horaires de sonnerie des cloches de la paroisse, sans dérangement particulier pour son repos. La sonnerie constituait une tradition de la commune d’Hermance, acceptée de tous et qui revêtait un intérêt public important qu’il convenait de préserver.

Cela étant, le SPBR se tenait à la disposition des époux Voignard pour évaluer le gain acoustique d’un changement des fenêtres de l’habitation, tel que préconisé dans le rapport de l’expert acousticien.

15.         Aucun recours n’a été formé contre ce prononcé.

16.         En date du 12 octobre 2010, les époux Voignard ont saisi le département d’une nouvelle plainte, concluant à ce que la paroisse « positionne (…) les abats-sons du clocher de l’église (…) de manière à ce que le son des cloches soit davantage orienté vers le sol ».

Ils n’avaient « jamais été dérangés » par les cloches jusqu’à fin 2008, date à laquelle ces dernières avaient été « déréglées ». Les « abat-sons » n’étaient également pas « correctement positionnés ».

17.         Le 4 avril 2011, le SPBR, sur demande du service de l’environnement des entreprises (ci-après : le service), a rendu un nouveau rapport, lequel a confirmé, en substance, les résultats de l’analyse du bureau.

18.         En date du 6 juin 2011, faisant suite à un transport sur place tenu le 16 mai 2011, le service a informé la paroisse de ce que, sous réserve d’un allègement documenté et justifié, la sonnerie des cloches de la paroisse était sujette à assainissement selon les articles 16 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01) et 13 de l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41.), dès lors que les mesures effectuées avaient montré que la sonnerie des cloches induisait des niveaux sonores moyens de l’ordre de 70 dB(A). Or, un niveau sonore supérieur à 60 dB(A) était de nature à provoquer des réactions de réveil et devait être qualifié de « sensiblement gênant » au sens de l’art. 15 LPE.

Un délai au 31 août 2011 était imparti à la paroisse pour qu’elle étudie la possibilité de réduire le bruit induit par la sonnerie des cloches dans le voisinage.

19.         Mandaté cette fois-ci par la paroisse, le bureau a examiné les possibilités de réduire le bruit induit par la sonnerie des cloches, dans son rapport du 19 août 2011. L’isolation du clocher, par la fermeture des « abat-sons », permettrait de réduire le niveau sonore à la limite fixée par la service. Ces travaux seraient toutefois « très coûteux » et le timbre des cloches serait alors totalement modifié avec une très forte atténuation des harmoniques. Il était donc conseillé d’intervenir sur les fenêtres du local récepteur : le coût des travaux serait nettement moins élevé et l’efficacité supérieure.

20.         Lors d’une séance réunissant toutes les parties en date du 1er novembre 2011, il a été constaté qu’aucune des mesures d’assainissiement proposée n’était susceptible de faire l’objet d’un consensus.

21.         Le 28 novembre 2011, la paroisse a fait part de sa décision de « confirmer le statu quo et de maintenir (…) la situation actuelle de la sonnerie des cloches ». Elle était toutefois prête à supprimer la répétition des heures la nuit après
22h00 et jusqu’à 6h00 du matin compris.

22.         Par décision du 19 mars 2012, le service a ordonné à la paroisse d’assainir phoniquement le clocher (…), de manière à ne pas induire des niveaux sonores maximum (Lfast) supérieurs à 60 dB(A) au niveau des fenêtres des locaux sensibles les plus exposés, la nuit entre 21h00 et 7h00, un plan d’assanissement devant être présenté d’ici au 31 mai 2012.

Un clocher constituait une installation fixe et la paroisse était une entreprise au sens de l’art. 5 al. 1 RPEE. Suite aux travaux de rénovation du clocher de la paroisse, les niveaux sonores induits par la sonnerie des cloches de la paroisse, mesurés les 16 février et 18 mars 2011 au niveau de la fenêtre ouverte de la chambre à coucher des plaignants, étaient de l’ordre de 70 à 80 dB(A), soit un dépassement allant de 10 à 20 dB(A) de la valeur de 60 dB(A), admise comme étant sensiblement gênante. Ces niveaux sonores dépassaient le bruit de fond de 45 dB(A). En période nocturne, l’expérience montrait que le bruit de fond était d’environ 10 dB inférieur, soit de l’ordre de 35 dB(A). On pouvait donc estimer que les niveaux sonores induits par la sonnerie des cloches dépassaient le bruit de fond aux heures les plus calmes de la nuit, de 35 à 45 dB. La sonnerie des cloches de la paroisse gênait de manière sensible la population durant la nuit au sens de l’art. 15 LPE. Il se justifiait par conséquent d’en ordonner l’assainissement.

23.         La paroisse a déféré cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance par acte du 4 mai 2012, concluant, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de la décision du 19 mars 2012.

Lors des travaux d’entretien, certaines parties de l’abat-son en bois, détérioriées, avaient été réparées. Toutefois, les marteaux et le moteur mécanique assurant la frappe des différentes cloches n’avaient fait l’objet d’aucune modification. Les plaintes litigieuses avaient « assurément un fondement psychologique et subjectif. Elles relevaient clairement du syndrome de la « fixation ». L’intérêt public était prépondérant et aucune des mesures d’assainissement n’était proportionnée. Un allègement au sens de l’art. 17 LPE devait être retenu, si bien qu’aucune mesure d’assainissement ne pouvait être imposée à la paroisse.

24.         Après avoir provoqué les déterminations de l’autorité intimée et des intimés, qu’il a appelés en cause, et entendu les parties lors de son audience du 12 octobre 2012 – sans que cette dernière n’apporte d’élément utile au présent litige –, le Tribunal adminsitratif de première instance a rejeté le recours, selon jugement du 20 novembre 2012.

25.         Par acte du 7 janvier 2013, la paroisse a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) concluant principalement, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à sa réforme, en ce sens que la paroisse est autorisée à faire sonner la cloche moyenne, sans volée ni répétition, pour marquer les heures de 22h00 à
6h30 inclusivement, à l’exclusion du marquage des demi-heures, les sonneries de cloches sans restriction pour les offices religieux traditionnellement fêtés la nuit étant réservés ; subsidiairememt, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal administratif de première instance.

26.         Les intimés ont conclu au rejet du recours dans leurs déterminations respectives des 12 et 15 février 2013. La recourante a répliqué le 22 mars 2013.

27.         Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger par avis
du 26 mars 2013.

 

 

EN DROIT

 

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2.             La chambre administrative applique le droit d'office. Elle ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, sans toutefois être liée par les motifs invoqués (art. 69 LPA) ni par l'argumentation juridique développée dans la décision entreprise (P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif, vol. II, Berne 2011, p. 300 ss.). Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). La chambre administrative n’a toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA) et non réalisée en l’espèce.

3.             Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d'appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 123 V 150 consid. 2 p. 152 et les références). Commet un excès positif de son pouvoir d'appréciation, l'autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l'exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d'appréciation dans le cas où l'excès de pouvoir est négatif, soit lorsque l'autorité considère qu'elle est liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 116 V 307 consid. 2 p. 310 et les références).

4.             L’objet du litige porte sur l’assainissement phonique du clocher imposé par la décision de l’autorité intimée du 19 mars 2012, de façon à ne pas induire des niveaux sonores maximum (Lfast) supérieurs à 60 dB(A) au niveau des fenêtres des locaux sensibles les plus exposés, la nuit entre 21h00 et 7h00.

Les premiers juges ont considéré que ce prononcé était justifié. En bref, ils ont tenu le raisonnement suivant. Après avoir rappelé le droit applicable (consid. 2 à 6), ils ont constaté que les niveaux sonores induits par les sonneries de la demi-heure et de l’heure, au niveau de la fenêtre ouverte de la chambre à coucher des époux Voignard occasionnaient un dépassement « d’au moins 5 à 15 dB(A) de la valeur de 60 dB(A), admise comme étant sensiblement gênante ». Le bruit de fond nocturne, estimé dans le cas présent à 35 dB(A), était dépassé « d’au moins 30 à 40 dB(A) ». Un tel niveau de bruit était propre à provoquer des réactions de réveil. L’installation litigieuse n’était pas conforme aux prescriptions en matière de bruit et devait, par conséquent, être assainie conformément aux articles 16 et suivants LPE (consid. 7). Examinant la question de la proportionnalité et du bénéfice d’un allègement au sens de l’art. 16 al. 2 LPE, ils ont retenu que l’intérêt public au maintien des cloches litigieuses devait être relativisé la nuit, dans la mesure où, dans plusieurs communes genevoises, cette sonnerie était interdite de 21h00 à 7h00 du matin (art. 8 al. 1 du règlement concernant la tranquillité publique du 8 août 1956 – RTP – F 3 10.03). A cet intérêt devait être opposé celui des intimés «  et plus généralement de la population au sens large », à pouvoir vivre dans un environnement sans immissions de bruit nuisibles ou incommodantes. Le fait que seules trois personnes se soient plaintes des nuisances sonores occasionnées était sans importance. La mesure ordonnée respectait les critères d’aptitude et de nécessité. Elle respectait enfin la proportionnalité au sens étroit, en tant qu’elle était dans un rapport raisonnable avec le sacrifice imposé à la recourante. L’arrêt 1C_297/2009 du 18 janvier 2010 n’était enfin d’aucun secours à la recourante. D’abord, les dépassements du cas d’espèce étaient bien plus importants et ensuite, l’étude scientifique nouvellement rendue par l’EPFZ établissait désormais le caractère particulièrement nuisible des clochers d’église. Le département intimé était ainsi « parfaitement légitimé, compte tenu du pouvoir d’appréciation qui était le sien », à ordonner l’assainissement litigieux.

5.             La recourante fait valoir, dans un premier moyen, que les faits n’auraient pas été établis correctement, en ce sens, premièrement, que le mesurage des immissions sonores présenterait des lacunes, l’expertise ne donnant pas de résultat quant au tintement de la cloche moyenne en valeur maximale ; deuxièmement, ce serait à tort que les premiers juges auraient constaté que les intimés souffraient de problèmes de santé directement liés au volume sonore des cloches nocturnes ; troisièmement, la recourante rappelle que les travaux entrepris en 2008 n’ont eu aucune incidence quant au niveau sonore des cloches. Dans un second moyen, elle dénonce une violation de son droit d’être entendu, au motif que les premiers juges n’auraient pas examiné sa propre proposition concrète d’assainissement, alors que le principe de la proportionnalité jouait un rôle particulièrement sensible dans un tel litige. Enfin, elle se plaint de ce que l’autorité intimée aurait abusé de son pouvoir d’appréciation et violé le principe de la proportionnalité.

6.             Avant de pouvoir examiner les différents griefs soulevés par la recourante, il convient de préciser le cadre juridique applicable au cas d’espèce.

a. Il est acquis aux débats que l’église – singulièrement son clocher – est une installation fixe dont l'exploitation produit du bruit extérieur, notamment sous la forme de tintillement des cloches. A ce titre, elle est soumise aux règles du droit fédéral sur la protection contre le bruit (cf. art. 2 al. 1 OPB en relation avec l'art. 7 al. 7 LPE; voir aussi ATF 126 III 223 consid. 3c p. 225; 123 II 325 consid. 4a
p. 327). Il n’est pas inutile de rappeler à cet égard que, dans le domaine de la lutte contre le bruit, le législateur fédéral a voulu mettre en place une réglementation systématique et unifiée (cf. Message relatif à une loi fédérale sur la protection de l'environnement, FF 1979 III 759), dont les principes doivent s'appliquer même dans les situations atypiques, comme en l'espèce.

b.              Cela étant, en présence d’une installation fixe, il faut déterminer le régime d’exigence applicable.

Selon les art. 16 al. 1 LPE et 13 OPB, les installations fixes qui ne satisfont pas aux prescriptions de la loi fédérale sur la protection de l'environnement doivent être assainies, de telle façon que les valeurs limites d'immissions ne soient plus dépassées. Ces dispositions ne s'appliquent toutefois qu'aux installations existantes, antérieures à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la protection de l'environnement, au 1er janvier 1985 (ATF 125 II 643 consid. 16a p. 665 ;
voir aussi, R. WOLF, Kommentar USG, ch. 44 ad art. 25, p. 22).

Les nouvelles installations fixes sont en revanche soumises au régime des art. 25 LPE et 7 OPB et ne peuvent être construites que si les émissions de bruit causées par ces seules installations ne dépassent pas les valeurs de planification dans le voisinage, lesquelles sont inférieures aux valeurs limites d'immissions (cf. art. 23 LPE). La loi fédérale sur la protection de l'environnement et l'ordonnance sur la protection contre le bruit posent ainsi des exigences différentes en matière de limitation des émissions de bruit suivant qu'il s'agit d'une installation existante ou d'une installation nouvelle modifiée; alors que les nouvelles installations ne doivent en principe pas produire d'émissions excédant les valeurs de planification, conformément aux art. 25 al. 1 LPE et 7 al. 1 let. b OPB, seules les valeurs limites d'immissions doivent être respectées par les installations existantes, selon l'art. 13 al. 1 OPB, indépendamment des mesures requises en vertu du principe de prévention (arrêt 1A.111/1998 du 20 novembre 1998 consid. 3a paru in DEP 1999 p. 264; voir aussi, R. WOLF, op. cit., ch. 40 et 41 ad art. 25, p. 20).

La jurisprudence assimile toutefois à de telles installations celles qui ont été modifiées après cette date, sur un plan fonctionnel, dans une mesure telle que les éléments subsistants apparaissent secondaires par rapport aux éléments nouveaux, et les soumet au même régime que les installations nouvelles. De même, la transformation, par des travaux de construction ou par un changement du mode d'exploitation, d'une installation existante silencieuse ou peu bruyante en une installation provoquant des nuisances dans le voisinage peut être traitée de la même manière que la construction d'une nouvelle installation du point de vue de la limitation des émissions de bruit (ATF 125 II 643 consid. 17a p. 670 ; 123 II 325 consid. 4c/aa p. 329 ; 116 Ib 435 consid. 5d/bb p. 443; 115 Ib 456 consid. 5a p. 466 ; arrêt 1A.213/2000 du 21 mars 2001 consid. 2d publié in Pra 2001 n° 144 p. 866 ; arrêt 1A.161/1997 du 11 juin 1998 consid. 5b/cc publié in Pra 1998 n° 150 p. 806 ; A.-C. FAVRE, La protection contre le bruit dans la loi sur la protection de l'environnement, thèse Lausanne 2002, p. 303-304). Pour trancher cette question, il importe notamment de connaître les caractéristiques de l'exploitation avant et après le 1er janvier 1985, en se fondant sur différents critères, tels que les étapes de développement de l'établissement en cause, la clientèle visée, les prestations fournies, la capacité d'accueil ou encore le nombre de places de stationnement disponibles (arrêt 1A.19/2000 du 19 juin 2000 consid. 2b cité par A.-C. FAVRE, op. cit., note 1286, p. 304).

En l'occurrence, le bâtiment était certes déjà exploité lors de l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la protection de l'environnement, le 1er janvier 1985, de sorte qu'il ne s'agit a priori pas d'une installation nouvelle, d'un point de vue temporel. Des travaux d’entretien, au sujet desquels les parties divergent quant à l’ampleur et les conséquences sur le clocher, ont toutefois été exécutés courant 2008, marquant le début des plaintes ayant mené au présent litige. Force est de constater que les premiers juges n’ont pas examiné ce point de fait, pourtant central, n’appréciant pas les différents éléments de preuve produits à ce sujet par les parties, respectivement ne collectant pas des éléments complémentaires à ce sujet, au travers par exemple de l’audition des deux autres personnes s’étant apparemment également plaintes dès l’automne 2008 du volume sonore des cloches litigieuses, voire d’une expertise. Se pose également la question de savoir si les cloches ont été stoppées pendant la durée des travaux, ce qui pourrait expliquer un effet de reprise auprès des voisins au moment de leur remise en fonction. Or, la décision d’assainissement retient précisément un lien entre les travaux et la survenance des problèmes acoustiques décrits par les intimés, qui fonde donc, en partie tout du moins, ce prononcé, pris au bénéfice d’un certain pouvoir d’appréciation, dont le juge administratif ne peut censurer que l’abus ou l’excès (cf. consid. 3 supra). Les juges précédents n’ont guère plus recherché si, au regard des caractéristiques de l’installation en cause, l’exploitation du clocher avait été modifiée et/ou si, au regard des items cités dans la jurisprudence précitée, il convenait de fixer un seuil d’exigence accru. Il convient donc de renvoyer la cause aux premiers juges afin qu’ils tranchent cette question de fait.

7.             A cela s’ajoute l’omission de prendre en considération plusieurs critères déterminants dans le cadre de l’appréciation du litige.

a. Si la législation fédérale sur la protection contre le bruit opère une distinction entre les nouvelles installations et les installations existantes, en fixant le seuil d'admissibilité à des niveaux différents (valeurs de planification ou valeurs limites d'immission; cf. supra, consid. 6), question qui n’a déjà pas été tranchée, elle accorde aussi une importance à l'affectation de la zone dans laquelle se trouvent les locaux à usage sensible au bruit et se produisent les immissions (cf. ATF 123 II 74 consid. 5a p. 86 notamment); ainsi, les valeurs limites d'exposition fixées dans les annexes à l'OPB sont plus ou moins sévères selon le degré de sensibilité du secteur touché, l'art. 43 OPB distinguant à ce propos quatre catégories de zones (celles qui requièrent une protection accrue contre le bruit, celles où aucune entreprise gênante n'est autorisée, celles où sont admises des entreprises moyennement gênantes, et enfin celles où sont admises des entreprises fortement gênantes). Lorsqu'un assainissement s'impose, le droit fédéral contient aussi des prescriptions sur l'exécution des mesures (prise en charge des coûts, délais, allégements, etc., cf. art. 13 ss OPB).

Sur ces différents points également, le jugement querellé est silencieux, ce qui est contraire au droit fédéral. Or, le fait que la parcelle sur laquelle vivent les intimés se trouve en zone agricole, directement connexe à une zone de verdure dans laquelle est érigée l’église litigieuse, de surcroît en DS III, n’est pas manifestement impropre à modifier l’appréciation du litige, singulièrement la pesée d’intérêts au sujet de la proportionnalité de la mesure querellée, étant rappelé que le juge de l’environnement n’est pas le juge du voisinage de l’art. 684 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CCS - RS 210).

b. Les premiers juges n’ont en outre pas recherché, au-delà d’une simple mention au consid. 14 de leur jugement, à établir l’usage local et l’ancrage de la tradition, alors que la décision du département du 3 août 2010, qui n’a pas fait l’objet d’un recours, fait pourtant état d’un intérêt public prépondérant au maintien du rythme actuel de la sonnerie des cloches. Dans une telle constellation, il apparaissait indispensable de recueillir la détermination des autorités communales, a fortiori si les juges précédents entendaient relativiser la portée de l’usage local pour faire prévaloir les nuisances subies par les deux intimés, étant souligné que le nombre peu important de personnes touchées par le bruit peut également faire apparaître disproportionnée l'exécution d'une mesure technique d'un coût élevé (cf. A.-C. FAVRE, note relative à l'arrêt 1A.252/1995 du 9 octobre 1996, RDAF 1998 I p. 624; voir aussi ATF 120 Ib 89 consid. 3c p. 93; arrêt 1A.240/2002 du 13 mai 2003 consid. 3.6).

c. Il convient également de prendre en considération le fait que l'installation est exploitée non pas par une entreprise orientée vers le profit, mais par une collectivité publique ou une association à but non lucratif (ATF 127 II 306 consid. 8 p. 319; arrêt 1A.159/2005 du 20 février 2006 consid. 2.5; arrêt 1A.240/2002 du 13 mai 2003 consid. 3.5). Les premiers juges n’expliquent pas dans quelle mesure ils ont intégré cet élément dans leur appréciation du litige, se contenant de se référer aux seules mesures de bruit effectuées, ce qui n’est pas conforme au droit fédéral.

d. Au reste, même à les suivre dans ce dernier mode de procéder, il aurait alors fallu, au regard en particulier de la question de l’octroi d’un allègement, encore examiner pour quelles raisons le département et les premiers juges s’écartaient des recommandations formulées par le bureau dans son rapport du 19 août 2011, à savoir d’intervenir avant tout sur les fenêtres du local récepteur, qualifiées de vieilles, le coût des travaux étant alors nettement moins élevé (le fait qu’ils soient effectués sur la propriété des intimés n’impliquant pas forcément leur financement par eux-mêmes), leur efficacité supérieure et l’intérêt public demeurant préservé par ailleurs.

8.             Au vu de ce qui précède, l’instruction menée par les juges précédents s’avère incomplète. Il convient partant d’annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause à l’instance inférieure pour instruction complémentaire puis nouveau jugement au sens des considérants (art. 69 al. 3 LPA).

9.             Vu l’issue du litige, incertaine en l’état, comme des motifs conduisant à l’admission du présent recours, il ne sera pas perçu de frais de justice, les dépens étant par ailleurs compensés (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 janvier 2013 par la paroisse catholique d’Hermance contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 novembre 2012 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule le jugement attaqué et renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour instruction complémentaire puis nouveau jugement au sens des considérants ;

dit qu’il est statué sans frais ni dépens ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt, incident, peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public, aux conditions de l’art. 93 LTF ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Jeandin, avocat de la recourante, au département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement, ainsi qu'à Me Gérald Benoît, avocat des intimés.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, juge, M.  Jordan, juge suppléant.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :