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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1218/2016

ATA/530/2016 du 21.06.2016 ( MARPU ) , REJETE

Parties : CONSORTIUM VINCENT DU BOIS (ATELIER CAL'AS), LUCA BELLEI, PIERRE BUCHS ET MICHEL GILLABERT, GILLABERT Michel, BUCHS Pierre, DU BOIS Vincent, BELLEI Luca / MARBRERIE AUSSENAC SÀRL, VILLE DE GENEVE - DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMENAGEMENT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1218/2016-MARPU ATA/530/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 juin 2016

 

dans la cause

 

Messieurs Vincent DU BOIS (Atelier Cal’As), Luca BELLEI, Pierre BUCHS et Michel GILLABERT, en consortium

contre


VILLE DE GENÈVE – DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L’AMÉNAGEMENT

et

MARBRERIE AUSSENAC SÀRL, appelée en cause
représentée par Me Alexandre Kirschmann, avocat

 

 



EN FAIT

1. Par avis publié dans la Feuille d’Avis officielle de la République et canton de Genève du mardi 6 octobre 2015, la ville de Genève (ci-après : la ville) a publié un appel d’offres concernant un marché de service soumis à l’accord GATT/OMC, respectivement aux accords internationaux, ayant pour objet la réfection des sculptures et des parties ouvragées en façade du Grand-Théâtre de Genève. Les critères d’adjudication étaient les suivants :

 

Prix

30 %

Références et qualités

30 %

Organisation

20 %

Philosophie d’intervention

20 %

Le prix serait évalué selon la méthode dite « T2 ». Un facteur de crédibilité pourrait être utilisé pour pondérer la note du prix.

2. Trois offres ont été déposées dans le délai, soit celle de Aussenac Sàrl, pour la somme de CHF 696'709.80, celle de Rocnat SA pour CHF 669'600.-, avec une variante à CHF 570'000.- et, pour la somme de CHF 740'000.-, celle du consortium de sculpteurs sur pierre indépendants constitué par Messieurs Vincent DU BOIS (Atelier Cal’As), Luca BELLEI, Pierre BUCHS et Michel GILLABERT (ci-après : les sculpteurs), étant précisé que la personne indiquée comme étant le responsable de ce consortium était M. GILLABERT.

3. Par décision du 12 avril 2016, la ville a décidé d’attribuer le marché à Aussenac Sàrl. Rocnat SA ainsi que les sculpteurs ont été informés de cette décision par courrier du 12 avril 2016, auquel était annexée la grille d’évaluation :

 

 

Aussenac

Les sculpteurs

Rocnat

 

note

points

note

points

note

points

Prix (30 %)

4.62

138.55

4.09

122.82

5.00

150.00

Références et qualités (30 %)

4.80

144.00

4.95

148.50

2.85

85.50

Organisation (20 %)

5.00

100.00

3.75

75.00

2.75

55.00

Philosophie d'intervention (20 %)

5.00

100.00

5.00

100.00

3.00

60.00

Total

 

482.55

 

446.32

 

350.50

 

4. Par courrier du 21 avril 2016, les sculpteurs ont saisi la chambre administrative d’un recours.

Aussenac Sàrl, à qui le marché avait été adjugé, avait participé à l’expertise des façades dans le cadre de l’élaboration de l’appel d’offres. Il y avait dès lors une incompatibilité ; de plus, cette participation avantageait l’entreprise concernée dans le cadre de l’analyse des prix.

Les notes qui leur avaient été données et celles attribuées aux autres candidats concernant les critères d’évaluation autres que le prix n’étaient pas admissibles.

L’effet suspensif devait être restitué au recours.

Ce courrier indiquait, à titre d’expéditeur, le nom et l’adresse de M.  GILLABERT. Au terme du recours figurait la mention « Gillabert Michel, Pierre Buchs, Luca Bellei, Vincent DU BOIS », suivie de la signature de M. GILLABERT.

5. Le 13 mai 2016, la ville a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif.

a. Les offres avaient été évaluées par un comité composé d’une adjointe de direction à la direction du patrimoine bâti de la ville, de l’architecte responsable du projet à la même direction, de l’architecte du bureau mandaté pour le projet et la direction des travaux et de Monsieur Olivier FAWER, tailleur de pierre et expert mandaté par la ville

b. Le critère « référence et qualité » avait été divisé en deux sous-critères, le premier étant intitulé « références », avec une pondération de 6, et le second « qualité des références » avec une pondération de 24, donnant ainsi le 30 % du poids de ce critère.

Les sculpteurs avaient remis cinq bonnes références, mais un élément manquait à la première, ce qui expliquait qu’ils avaient obtenu la note de 4.75, et non 5, pour le premier sous-critère. Ils avaient en revanche obtenu la note maximale quant à la qualité des références.

Aussenac Sàrl avait remis deux références ne correspondant pas exactement aux travaux visés par l’appel d’offres ; une des personnes contactées avait émis une petite réserve. La note 4.4 lui avait en conséquence été attribuée pour le premier sous-critère et la note 4.9 pour le second sous-critère.

Le critère « organisation » avait été évalué en tenant compte de l’organisation générale de l’entreprise, des personnes responsables, des moyens consacrés et du nombre de collaborateurs prévus pour exécuter le marché.

La note de 3.75 avait été attribuée aux sculpteurs, car seules quatre personnes, soit les recourants, pouvaient intervenir, ce qui avait été estimé insuffisant au vu de l’ampleur des travaux et des contraintes de planification.

Aussenac Sàrl, quant à elle, mettait à disposition entre six et dix personnes, ce qui a été estimé en totale adéquation, justifiant la note 5.

Quant au dernier critère, tant les sculpteurs qu’Aussenac Sàrl avaient obtenu le maximum, ayant répondu de façon adéquate aux questions.

c. Il y avait de plus un intérêt public important à ce que le Grand-Théâtre puisse réintégrer son bâtiment au mois de juin 2018.

d. Afin d’élaborer le projet de rénovation du Grand-Théâtre et l’appel d’offre, la ville avait mandaté l’atelier March SA et Linea Architecture et Design Sàrl. Elle s’était aussi entourée de mandataires spécialisés. Pour le choix des méthodes de restauration concernant la pierre de taille et des sculptures, M. FAWER avait été mandaté.

6. À cette écriture étaient annexés divers documents, notamment :

- un courrier adressé par M. FAWER à la ville le 20 avril 2016. Il avait - en 2010 - inspecté pendant une heure avec une nacelle des groupes de sculpture en façade du Grand-Théâtre, accompagné de M. DU BOIS. Ils avaient passé en revue l’ensemble de la statuaire du tympan du fronton sud. Des travaux sur l’Ange, antérieurement réalisés par MM. DU BOIS, BUCHS et feu M. Olivier SCHERLY, avaient pu être observés. Aucune de ces personnes n’avait participé à la rédaction du rapport alors remis à la ville.

- En octobre 2013, M. FAWER avait été mandaté pour procéder à des essais de réparation sur une portion de la corniche et sur deux éléments sculptés du tympan du fronton sud. Il avait demandé à Monsieur Jérôme AUSSENAC, patron d’Aussenac Sàrl, de s’occuper des essais sur les deux portions sculptées ainsi que d’un relevé à l’aide d’un scanner de la tête d’un chérubin. Ces travaux avaient duré « une grosse journée ». M. AUSSENAC avait pu approcher succinctement le tiers gauche du tympan et deux des huit chapiteaux. M. AUSSENAC n’avait pas participé à la rédaction du rapport remis le 16 novembre 2013.

- la facture adressée par M. FAWER à la ville pour les travaux réalisés en 2013. Huit heures de scannage, vingt-cinq heures de retaille de la tête d’un chérubin et huit heures d’essai de rhabillages concernaient la partie sculptée.

- le rapport rédigé par M. FAWER, du 16 novembre 2013.

7. Le 11 mai 2016, Aussenac Sàrl, appelée en cause, a conclu à l’irrecevabilité du recours, lequel était signé uniquement par M. GILLABERT. Concernant l’effet suspensif, le recours était dénué de chance de succès dès lors qu’il était allégué à tort qu’Aussenac Sàrl avait participé à l’expertise des façades pour l’élaboration de l’appel d’offres. Les recourants avaient été mandatés pour des dégradations devant être réparées en décembre 2015. Aussenac Sàrl avait, quant à elle, exécuté une mission pour un test technique en 2013, soit une intervention ponctuelle et réduite.

8. Le 17 mai 2016, les parties ont été informées que la procédure était gardée à juger sur effet suspensif.

9. Le 23 mai 2016, la ville a conclu, au fond, au rejet du recours, donnant des précisions supplémentaires sur l’intervention de MM. BUCHS et SCHERLY, et celle de M. DU BOIS, en 2010. Aucune de ces personnes n’avait participé à l’élaboration du rapport remis à la ville.

Dès lors que le recours n’était déposé que par M. GILLABERT, il devait être déclaré irrecevable et, subsidiairement, au fond, il devait être rejeté.

10. Le 23 mai 2016, Aussenac Sàrl a persisté dans ses conclusions antérieures et adhéré aux remarques faites par la ville.

11. Le 2 juin 2016, les sculpteurs se sont déterminés. MM. GILLABERT, BUCHS, BELLEI et DU BOIS ont tous signé ce courrier.

Au vu de la qualité de la sculpture et de l’ornementation en pierre du
Grand-Théâtre, le marché aurait dû être réservé aux sculpteurs sur pierre, métier protégé en Suisse par certificat fédéral de capacité. Il n’aurait pas dû être ouvert aux tailleurs de pierre. Le consultant mandaté par la ville pour préparer l’appel d’offre, M. FAWER, était tailleur de pierre. Il s’était entouré d’un sculpteur qualifié et avait dans ce cadre requis l’intervention d’Aussenac Sàrl, laquelle avait pu, selon les pièces produites par la ville, faire des essais de restauration pendant une semaine en 2013. Interpellé à l’époque, M. FAWER avait indiqué ne pas avoir mandaté de sculpteur genevois pour ne pas risquer de créer des incompatibilités futures. Il ne s’agissait pas de travaux de routine mais bien d’essais visant à déterminer les solutions de restauration possible. Cette participation à l’élaboration de l’appel d’offres créait, pour Aussenac Sàrl, une incompatibilité.

S’agissant de l’attribution des notes, les sculpteurs auraient dû obtenir le maximum pour le critère « référence », aucun élément ne faisant défaut. En revanche, les remarques concernant les références produites par Aussenac Sàrl, soit deux références sur cinq ne correspondant pas aux travaux demandés et un retard dans les délais concernant l’une des autres références, ne permettait pas de comprendre la faible différence entre les notes accordées aux candidats.

Concernant le critère « organisation » les sculpteurs mettaient à disposition quatre sculpteurs sur pierre dont l’un disposait non seulement du CFC de cette profession, mais aussi d’un CFC de tailleur de pierre, et un autre d’un diplôme des Beaux-Arts ainsi que trois collaborateurs qualifiés (diplômés des Beaux-Arts, ornementeur et administratif). Aussenac Sàrl, qui mettait seulement à disposition un sculpteur qualifié, un tailleur de pierre qualifié et un tailleur de pierre « non qualifié », obtenait la note maximum. Le fait que l’entreprise compte vingt-et-une personnes, essentiellement du personnel administratif et des marbriers, ne permettait pas de justifier la note accordée.

Les sculpteurs avaient aussi été défavorisés pour le critère « philosophie». L’appel d’offres demandait de répondre à quatre éléments précis. Aussenac Sàrl avait simplement répondu par un schéma. Les sculpteurs avaient remis un long texte détaillant tous les éléments demandés. Dans ces circonstances, l’attribution de la même note aux deux entités était incompréhensible.

Les recourants relevaient finalement qu’ils étaient de Genève alors que l’entreprise adjudicataire était basée dans le canton de Vaud.

En dernier lieu, les sculpteurs précisaient que le recours avait été physiquement déposé par M. GILLABERT au greffe de la chambre administrative. Il lui avait été indiqué sur place que sa seule signature suffisait dans un premier temps, mais qu’il fallait dans un second temps faire parvenir le recours signé par l’ensemble des recourants.

À cette détermination était joint un exemplaire du recours du 21 avril 2016, signé par les quatre recourants ainsi que des courriers électroniques entre les sculpteurs et la ville.

12. Sur quoi, la cause a été, au fond, gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 131 et 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) ; art. 3 al. 1 et 2 let. a de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - LAIMP - L 6 05.0).

2. a. La qualité pour recourir ne fait pas l’objet d’une règlementation particulière dans l’AIMP mais relève du droit cantonal de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 2C_337/2010 du 26 juillet 2010 consid. 5.1). Dans le canton de Genève, la qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l’art. 60 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), par renvoi de l’art. 3 al. 4 LAIMP. Sur ce point, l’art. 60 let. a et b LPA doit se lire en parallèle. La qualité pour agir appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, mais chacune de celle-ci doit être touchée directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

b. En matière de marchés publics, les membres d’un consortium, qui forment une société simple au sens des art. 530 ss de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220), sont touchés non pas individuellement par une décision de
non-adjudication mais uniquement en leur qualité d’associés. Aussi, le droit de recourir contre une telle décision ne leur appartient qu’en commun et doit être exercé conjointement, à l’instar de consorts nécessaires dans un procès civil (ATF 131 I 153 ; ATA/124/2010 du 2 mars 2010 confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_337/2010 précité).

c. À teneur des art. 12 ss CO, et notamment de l’art. 14 al. 1 CO, la forme écrite implique que la signature doit être écrite à la main par celui qui s’oblige.

De jurisprudence constante, la signature olographe originale est une condition nécessaire que doit respecter tout acte pour être considéré comme un recours (ATA/649/2014 du 19 août 2014 ; ATA/98/2013 du 19 février 2013 et les références citées).

Selon le droit en vigueur, le défaut de signature est cependant un vice réparable pour autant que la signature soit ajoutée en temps voulu (art. 52 al. 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021 ; art. 30 al. 2 de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 - OJ - RS 173.110 ; art. 65 al. 3 LPA ; ATF 125 I 166 ; ATA/649/2014 précité et la jurisprudence citée). Cette réglementation tend à éviter tout formalisme excessif. En tant qu'elle sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, l'interdiction du formalisme excessif poursuit le même but que le principe de la bonne foi consacré aux art. 5 al. 3 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Ce principe commande à l'autorité d'éviter de sanctionner par l'irrecevabilité les vices de procédure aisément reconnaissables qui auraient pu être redressés à temps, lorsqu'elle pouvait s'en rendre compte suffisamment tôt et les signaler utilement au plaideur (ATF 125 I 166 consid. 3a p. 170 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_373/2011 du 7 septembre 2011 consid. 6.1). L'autorité qui méconnaît cette obligation doit alors tolérer que l'acte concerné soit régularisé, éventuellement hors délai (arrêt du Tribunal fédéral 1C_141/2011 du 14 juillet 2011 consid. 2 publié in SJ 2011 I 357).

d. En l’espèce, le recours initial, déposé par les quatre membres du consortium, n’était signé que par M. GILLABERT. Ce dernier a précisé que, lors du dépôt du recours, il lui aurait été indiqué oralement que la signature des trois autres membres du consortium pouvait être remise ultérieurement. Cette absence de signature n’a toutefois pas été traitée par la chambre administrative selon sa pratique habituelle, c’est-à-dire en relevant cette carence dans un courrier recommandé et en impartissant au plaideur un délai formel afin de réparer ce défaut (cf., parmi d’autres, ATA/1103/2015 du 13 octobre 2015 ad consid. 3 en fait).

Le premier courrier adressé par les recourants à la chambre administrative après le dépôt du recours, soit celui dans lequel ils exerçaient leur droit à la réplique, était, lui, signé par les quatre membres du consortium. Il contenait en annexe un exemplaire du recours original, aussi signé par ses quatre membres.

Dans ces circonstances, le recours ne peut qu’être déclaré recevable de ce point de vue : toute autre solution violerait l’interdiction du formalisme excessif.

3. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse
(art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés
(art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment
let. a et b AIMP).

4. a. Les principes de non-discrimination, de transparence et de concurrence efficace dont la législation en matière de marchés publics vise à garantir le respect impliquent qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt entre les personnes qui participent à la prise de décision au sein du pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires. Cette exigence se concrétise par l’interdiction de soumissionner, fondée sur la règle de la récusation, faite à toute personne appelée à préparer ou à rendre une décision en matière de marchés publics (art. 19 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) ; ATA/495/2016 du 8 juin 2016, ainsi que la doctrine et les références citées).

b. En l’espèce, il est établi que, lorsque M. FAWER a été mandaté pour effectuer des essais in situ en 2013, il a demandé à M. AUSSENAC de l’assister pour les sculptures.

Cette intervention, qui se situe dans la phase préparatoire de l’appel d’offres, n’entre pas encore dans les actes visés par l’art. 19 RMP. Il ne s’agissait pas de préparer, stricto sensu, l’appel d’offres, lequel constitue une décision en matière de marchés publics.

Cette conclusion s’impose aussi au regard du principe de l’égalité de traitement entre les soumissionnaires. Les informations que M. AUSSENAC a pu observer ou recueillir lors de son intervention n’apparaissent pas suffisantes pour créer un déséquilibre. Cela est d’autant plus vrai que deux des recourants ont, certes, quelques années avant, aussi pu examiner la façade litigieuse avec le même expert, même s’il ne s’agissait pas à l’époque du projet de rénovation litigieux et que l’intervention a été plus brève.

Partant, ce grief sera écarté.

5. Aux termes de l’art. 24 RMP, l'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché ; elle doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres.

En vertu de l’art. 43 RMP, l'évaluation est faite selon les critères prédéfinis conformément à l'art. 24 RMP et énumérés dans l'avis d'appel d'offres et/ou les documents d'appel d'offres (al. 1) ; le résultat de l'évaluation des offres fait l'objet d'un tableau comparatif (al. 2) ; le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse, c'est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix (al. 3).

La jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6), l’appréciation de la chambre administrative ne pouvant donc se substituer à celle de ce dernier, seul l’abus ou l’excès de pouvoir d’appréciation devant être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d’appréciation (ATA/383/2016 du 3 mai 2016, et le références citées).

6. a. En l’espèce, les sculpteurs ne remettent pas en question les notes attribuées pour les critères 1, soit le prix.

b. Concernant la note attribuée au critère «  références et qualités », les recourants contestent ne pas avoir donné tous les éléments nécessaires. Toutefois, la simple lecture de la référence no 1 de leur offre démontre cette carence. Cette référence est intitulée « gargouille de Notre-Dame » ; les travaux auraient été effectués sur « Notre Dame de GE (cathédrale) », le mandataire étant la « fondation des temples (GE) », sans qu’un numéro de téléphone ou un nom du contact de la référence ne soit indiqué.

Cette référence visait probablement la rénovation des gargouilles de la basilique - et non de la cathédrale - Notre-Dame, dont l’entretien est assuré par la Fondation pour la conservation de la basilique Notre-Dame de Genève et non par la Fondation pour la conservation des temples genevois construits avant 1907 ou la Fondation des clés de Saint-Pierre pour la conservation de la cathédrale
Saint-Pierre à Genève, laquelle s’occupe d’entretenir ce dernier bâtiment (cf. http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Ciel-ma-gargouille-la-voici-de-retour-sur-son-fronton/story/16380915 consulté le 16 juin 2016). Les imprécisions de cette référence justifient manifestement la baisse minime de la note attribuée à ce sous-critère, dès lors que tout contact avec le mandataire, dont les références faisaient défaut, était difficile si ce n’est impossible.

La note attribuée pour ce critère à Aussenac Sàrl ne prête pas non plus le flanc à la critique. Les faiblesses relevées pour certaines références et la qualité des autres références soumises ont été globalement prises en compte de manière adéquate.

c. Les sculpteurs critiquent aussi les notes attribuées tant à eux-mêmes qu’à Aussenac Sàrl pour le critère « organisation ».

À nouveau, leur critique tombe à faux : s’ils annoncent, dans leur recours, disposer de sept personnes, seules quatre d’entre-elles sont mentionnées dans l’offre déposée. La ville, qui ne pouvait retenir que l’information figurant dans l’appel d’offres, était dès lors fondée à considérer ce nombre insuffisant pour l’ampleur du chantier.

De même, la note maximum attribuée à Aussenac Sàrl, laquelle indique disposer d’un effectif global de vingt-et-une personnes dont six à dix seraient à disposition du chantier, produit le certificat fédéral de capacité du sculpteur sur pierre et précise que les travaux préparatoires seraient effectués par des tailleurs sur pierre ayant plus de vingt ans d’expérience et que les travaux de finition seraient effectués par le sculpteur en ajoutant qu’un autre sculpteur pourrait être embauché en cas d’adjudication, est justifiée.

d. Quant au critère « philosophie », Aussenac Sàrl a produit un schéma en précisant qu’il était applicable à toutes les catégories citées dans l’appel d’offres. Elle a joint à ce schéma des indications sur son organisation qualité, ainsi que sur la contribution de l’entreprise à la composante sociale du développement durable. C’est donc sans arbitraire que la ville a donné à Aussenac Sàrl, sur ce critère, la note maximum, comme elle l’a fait pour les sculpteurs.

Au vu des éléments qui précèdent, les griefs concernant les notes attribuées et leur pondération seront écartés.

7. Les sculpteurs ont encore émis des remarques concernant le critère « formation ». Toutefois, ce critère, même s’il figure sur le tableau récapitulatif en portant la note zéro pour tous les candidats, n’a aucune pertinence puisqu’il n’est pas indiqué comme étant pris en compte dans l’appel d’offres.

De même, les considérations des sculpteurs sur le fait qu’ils sont domiciliés à Genève ne peuvent être retenues. Le droit des marchés publics vise précisément à ouvrir ces marchés et à créer une égalité entre les concurrents dépassant les aspects locaux, afin de garantir une meilleure transparence du marché et un respect de la concurrence, dans l’intérêt des deniers publiques. Il s’agit là d’un choix politique que les tribunaux doivent respecter.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Le prononcé du présent arrêt rend sans objet la demande de restitution de l’effet suspensif.

Un émolument, de CHF 1’000.-, sera mis à la charge, conjointement et solidairement, des sculpteurs, qui succombent. Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à Aussenac Sàrl, à la charge des recourants pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 et 2 LPA). Il sera rappelé, à l’attention de l’appelée en cause, que la législation genevoise ne prévoit qu’une participation aux frais de la procédure et non leur prise en charge complète.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 avril 2016 par Messieurs Vincent DU BOIS (Atelier Cal’As), Luca BELLEI, Pierre BUCHS et Michel GILLABERT, en consortium contre la décision de la Ville de Genève du 12 avril 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Messieurs Vincent DU BOIS (Atelier Cal’As), Luca BELLEI, Pierre BUCHS et Michel GILLABERT, en consortium, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’000.- ;

alloue à la marbrerie Aussenac Sàrl une indemnité de CHF 1'000.-, à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- sinon, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Messieurs Vincent DU BOIS (Atelier Cal’As), Luca BELLEI, Pierre BUCHS et Michel GILLABERT, en consortium, à la Ville de Genève, à Me Alexandre Kirschmann, avocat de la marbrerie Aussenac Sàrl, appelée en cause, ainsi qu'à la commission de la concurrence - COMCO.

Siégeants : M. Thélin, président, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges, Mme Steiner Schmid, juge suppléante.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 


 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :