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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1964/2013

ATA/412/2013 du 02.07.2013 ( PROF ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1964/2013-PROF ATA/412/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 juillet 2013

2ème section

 

dans la cause

 

H______ (H______)

représentée par Me X______, avocat

et

Monsieur X______

contre

LA PRÉSIDENTE DU TRIBUNAL DES PRUD'HOMMES



EN FAIT

Le 2 juillet 2012, Madame M______ a déposé devant le Tribunal des prud’hommes (ci-après : TPH) une demande en paiement à l’encontre de la Fondation H______ (H______) (ci-après : la fondation), réclamant à celle-ci une certaine somme à titre de salaires, d’heures supplémentaires et d’indemnités pour licenciement abusif. Cette fondation était représentée par Me X______, avocat et par ailleurs juge du groupe ______ du TPH.

Par décision du 17 mai 2013, la présidente du TPH, Madame Z______, statuant d’office, a fait interdiction à Me X______ de représenter la fondation en question devant cette juridiction.

Le groupe ______ de la juridiction des prud’hommes regroupait notamment les professions juridiques et judiciaires, ainsi que les professions médicales et paramédicales, selon l’art. 3 al. 1 let. e de la loi sur le Tribunal des prud’hommes du 11 février 2010 (LTPH – E 3 10), entrée en vigueur le 1er janvier 2011. En sa qualité de juge du groupe en question, Me X______ devait s’abstenir de représenter toute partie devant ledit groupe. Référence était faite à l’art. 29 al. 4 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) à teneur duquel le président veillait à ce que les magistrats du tribunal remplissent leur charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité, ainsi qu’au bon fonctionnement de la juridiction et à l’art. 12 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61). De plus, l’art. 10 al. 2 LTPH prévoyait qu’un juge prud’homme ne pouvait ni représenter, ni assister une partie en justice lorsque la cause était portée devant son propre groupe professionnel.

Le 19 juin 2013, la fondation, représentée par Me X______, et Me X______ lui-même, ont recouru par un seul acte auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée de la présidente du TPH, en concluant à l’annulation de ladite décision et en demandant que l’Etat de Genève soit condamné en tous les frais et dépens de l’instance devant comprendre une équitable indemnité de procédure valant participation aux honoraires dudit avocat.

A réception du recours, le juge délégué a écrit aux parties le 21 juin 2013 en leur signifiant qu’elles allaient recevoir l’ATA/375/2013 rendu par la chambre administrative le 18 juin 2013 dans une cause identique et qu’elles étaient dès lors invitées à lui faire savoir, d’ici le 12 juillet 2013, quelle suite elles entendaient donner à ce nouveau recours.

Par pli du 25 juin 2013, la présidente du TPH s’en est rapportée à justice.

Le 25 juin 2013 également, Me X______ a relevé que l’arrêt précité rendu le 18 juin 2013 par la chambre de céans n’avait pas tranché la question de sa compétence pour traiter du recours pendant devant elle et que la question restait donc ouverte s’agissant du recours de la fondation et de lui-même. Le recours était maintenu, la décision de la présidente du TPH prononcée le 17 mai 2013 devant être déclarée nulle. Par ailleurs, Me X______ persistait dans sa requête tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure, même si dans la cause précédente, aucune indemnité ne lui avait été allouée, puisque dans le cadre d’une procédure prud’homale, il n’était pas alloué de dépens, contrairement à la procédure administrative. Aussi, il priait le juge délégué de lui indiquer si la demande d’avance de frais qui lui avait été adressée le 20 juin 2013, l’invitant à payer CHF 500.- d’ici le 20 juillet 2013, était maintenue.

Ces courriers ont été transmis aux parties et la cause gardée à juger.

EN DROIT

La chambre administrative examine d’office sa compétence (ATA/375/2013 précité ; ATA/727/2012 du 30 octobre 2012).

La décision attaquée se fonde sur l'art. 10 al. 2 LTPH et cite également l'art. 12  LLCA.

L'art. 10 LTPH a pour note marginale « incompatibilités ». Son alinéa 2 prévoit qu'un juge prud’homme ne peut ni représenter, ni assister une partie en justice lorsque la cause est portée devant son propre groupe professionnel. Aucune procédure spécifique n'est prévue.

a. Les cantons sont en principe libres d'établir les règles d'incompatibilité qui leur paraissent opportunes compte tenu des circonstances. Ces règles peuvent trouver leur fondement dans le principe de la séparation des pouvoirs ; elles peuvent aussi être motivées par d'autres raisons, telles que l'indépendance d'une fonction ou le risque de collusion pouvant exister entre les membres d'une même famille. Les incompatibilités de fonction ou de parenté constituent dans tous les cas des restrictions au droit d'être élu ou d'exercer une charge publique qui, à l'instar de celles apportées aux autres libertés individuelles, ne sont justifiées que si elles reposent sur une base légale au sens formel, répondent à un intérêt public prépondérant et respectent les principes d'égalité et de la proportionnalité, conformément à l'art. 36 al. 1 à 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 123 I 97 consid. 4b et les références citées ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_11/2009 du 3 juin 2009 consid. 3.1 ; 1P.763/2005 du 8 mai 2006 consid. 3.1).

b. La sanction la plus fréquente d'une incompatibilité consiste à donner à l'intéressé un délai pour choisir l'une des deux fonctions ou activités incompatibles entre elles (pour des cas d'application, cf. par exemple art. 15 de la loi sur l'Assemblée fédérale, du 13 décembre 2002 - LParl - RS 171.10 ; art. 21 al. 2 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985 - LRGC - B 1 01 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_507/2011 du 16 janvier 2012).

c. Les magistrats du pouvoir judiciaire sont soumis pendant la durée de leur fonction à la surveillance du Conseil supérieur de la magistrature (ci-après : CSM) (art. 15 LOJ). Le CSM veille au bon fonctionnement des juridictions (art. 16 al. 1 LOJ) et s’assure notamment que les magistrats exercent leur charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité (art. 16 al. 2 LOJ). En outre, le CSM relève de sa charge tout magistrat frappé par un motif d’incompatibilité (art. 21 al. 1 let. b LOJ).

L'avocat exerce son activité professionnelle en toute indépendance, en son nom personnel et sous sa propre responsabilité (art. 12 let. b LLCA) ; il évite tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé (art. 12 let. c LLCA).

En l'espèce, la décision attaquée a été prise par la présidente du TPH, qui n'est pas une autorité administrative au sens de l'art. 5 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). De plus, les tribunaux civils et pénaux chargés de trancher des contestations de droit administratif ne sont pas réputés juridictions administratives (art. 6 al. 2 LPA). Le recours à la chambre administrative n'est donc en principe pas ouvert, bien que la chambre administrative soit l'autorité habilitée à statuer sur les recours dirigés contre les décisions de la commission du barreau (ATA/281/2012 du 8 mai 2012 consid. 1 ; ATA/654/2011 du 18 octobre 2011 consid. 1 ; ATA/638/2011 du 11 octobre 2011).

Dès lors, la chambre administrative n'est, ex lege, pas compétente.

Par ailleurs, il est des cas où les vices affectant une décision sont si graves et si évidents qu'ils empêchent celle-ci d'avoir une existence - et donc des effets - quelconques. La décision nulle est censée n'avoir jamais existé. L'écoulement des délais de recours non utilisés n'a aucun effet guérisseur. Une décision nulle n'a que l'apparence de la décision. La nullité renverse ainsi la présomption de validité des décisions formellement en force. La possibilité de la nullité d'une décision crée une grande insécurité juridique. La nullité ne peut être admise qu'exceptionnellement. Elle n'est reconnue que si le vice dont la décision est entachée est particulièrement grave, s'il est manifeste ou du moins facilement décelable, et si en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Ces conditions sont cumulatives et elles ont pour conséquence que la nullité n'est que très rarement admise. Par ailleurs, des vices de fond n'entraînent que très exceptionnellement la nullité d'une décision alors que de graves vices de procédure, ainsi que l'incompétence qualifiée, fonctionnelle ou matérielle, de l'autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité (ATF 132 II 21 consid. 3.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_270/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1 ; ATA/107/2013 du 19 février 2013 consid. 7 ; ATA/773/2011 du 20 décembre 2011 consid. 2 et les références citées ; T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 908 ss). Enfin, la nullité d'une décision peut être constatée en tout temps et d'office par n'importe quelle autorité, y compris en instance de recours (ATF 136 II 415 consid. 1.2 ; 132 II 342 consid. 2.1). En cas de constat de nullité, le recours n'a pas ou plus d'objet, ce qui conduit en principe à son irrecevabilité (ATF 136 II 415 consid. 1.2).

En l'espèce se pose la question de la compétence de la présidente du TPH pour prendre la décision de faire interdiction à un avocat de représenter une partie dans une cause instruite par cette juridiction dans une composition où elle ne siège pas.

L'acte attaqué fait référence à l'art. 29 al. 4 let. b et c LOJ, selon lequel le président de juridiction veille à ce que les magistrats du tribunal remplissent leur charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité, ainsi qu'au bon fonctionnement de la juridiction et à l’avancement des procédures.

Certes, la formulation de ces dispositions rappelle celle de l'art. 16 LOJ, qui concerne le CSM. Toutefois, à la différence de ce dernier, qui est investi du pouvoir de sanctionner disciplinairement les juges (art. 20 LOJ) ou de relever ceux-ci de leur charge (art. 21 al. 1 LOJ), les présidents de juridiction ne se voient conférer par la LOJ aucun pouvoir de cette nature. Aucune autre loi ne prévoit au surplus pareille compétence, en particulier pas la LTPH.

Dans le cas d'espèce, ce n'est ni la commission du barreau, ni le TPH, dans sa composition appelée à juger de l'action déposée par Mme  M______, qui a émis l'interdiction considérée, mais la présidente du TPH.

L'acte attaqué a ainsi été pris, quelle que soit l'hypothèse, par une autorité incompétente.

Sa nullité sera donc constatée et le recours déclaré irrecevable. La cause sera renvoyée au TPH pour qu'il poursuive l'instruction de celle-ci.

Une copie du dossier et du présent arrêt sera transmise au CSM, par ailleurs déjà saisi du dossier pour ce qui est de la déontologie judiciaire.

Cet arrêt étant rendu après que la possibilité a été donnée aux parties de se déterminer sur la suite de la procédure, en ayant pris connaissance de l’ATA/375/2013 précité, un émolument de CHF 500.- sera mis, conjointement et solidairement, à la charge des recourants. Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée à ceux-ci (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

constate la nullité de l'acte de la présidente du Tribunal des prud'hommes du 17 mai 2013 ;

déclare irrecevable le recours interjeté le 19 juin 2013 par H______ et par Me  X______ contre l'acte précité ;

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il ne leur est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur X______, recourant et avocat de H______ (H______), de même qu’à la présidente du Tribunal des prud'hommes, au Tribunal des prud'hommes groupe ______, à la chambre des prud'hommes de la Cour de justice et au Conseil supérieur de la magistrature, pour information.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :