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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/735/2014

ATA/405/2016 du 10.05.2016 sur JTAPI/153/2015 ( ICCIFD ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 20.06.2016, rendu le 10.08.2017, ADMIS, 2C_567/2016, 2C_568/2016
Descripteurs : DROIT FISCAL ; IMPÔT ; IMPÔT SUR LE REVENU ; IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL ; IMPÔT FÉDÉRAL DIRECT ; FARDEAU DE LA PREUVE ; OBLIGATION D'ENTRETIEN ; PREUVE
Normes : LIPP.72.al1; LIFD.16; LIFD.23.letf; LIPP.IV.9.letf; LIFD.210.al1a; LIFD.123.al1; LIFD.126.al1; LIFD.124.al2; LIFD.125; LPFisc.25; LPFisc.26; LPFisc.31
Résumé : La recourante ne souhaite pas que le montant qu'elle a indiqué dans sa déclaration fiscale 2008 à titre de pensions alimentaires soit pris en considération dans son revenu. Toutefois, elle a clairement indiqué dans sa déclaration avoir bénéficié d'une contribution d'entretien de la part de son époux. De plus, selon un courrier du mari à l'AGC-GE, les époux avaient pris les dispositions nécessaires pour régler leur vie séparée, cependant il a continué à contribuer à l'entretien de son épouse et de leurs enfants, ce qui ressort également d'une ordonnance du TPI figurant au dossier. Le TAPI s'est toutefois trompé sur la date de la séparation, de sorte que le montant de la contribution d'entretien pour l'année 2008 doit être réduit. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/735/2014-ICCIFD ATA/405/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mai 2016

4ème section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par SFG CONSEIL SA, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 février 2015 (JTAPI/153/2015)


EN FAIT

1. Madame A______ (ci-après : la contribuable), née en 1959, et Monsieur A______, né en 1958, se sont mariés le 2 décembre 1988 à Londres. Ils ont deux enfants, B______, né en 1990, et C______, né en 1993.

En 2008, toute la famille était domiciliée dans le canton de Genève.

2. Le 17 décembre 2009, M. A______ a demandé que l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) taxe les époux de manière séparée. En effet, depuis le mois de février 2008, il ne faisait plus ménage commun avec son épouse.

Ils avaient déjà pris les dispositions nécessaires en vue de régler leur vie séparée jusqu’à l’introduction formelle d’une demande de divorce ou de séparation de corps. Il contribuait à l’entretien de son épouse, qui ne disposait d’aucune source de revenu propre et de ses deux enfants, dont l’un était majeur, de trois façons différentes :

- en laissant à son épouse l’usage de ses cartes de crédit ;

- en alimentant un compte précis auquel elle avait accès ;

- en prenant en charge certaines factures.

Depuis début 2008, ils ne faisaient plus « caisse commune » pour le logement, l'entretien et les loisirs et il n'existait plus aucune gestion partagée des moyens financiers. De plus, depuis le mois de mars 2008, l'organisation de leur vie séparée s'étendait également aux décisions relatives à leurs enfants.

En annexe de ce courrier, M. A______ a produit son contrat de bail, dont le début était fixé au 1er février 2008.

3. Dans sa déclaration fiscale 2008, la contribuable a indiqué sous la rubrique « 13.10 Pensions alimentaires, contributions d'entretien » un montant de CHF 306'832.- perçus de la part de son mari.

4. Par ordonnance du 15 août 2013 (OTPI/1151/2013), le Tribunal de première instance (ci-après : TPI), statuant sur mesures provisionnelles, a constaté que M. A______ avait satisfait à son obligation d'entretien à l'égard de son épouse durant l'année 2012, l'a condamné à verser à son épouse, par mois et d'avance, avec effet dès le 1er janvier 2013, à titre de contribution d'entretien, la somme de CHF 25'000.-, et lui a ordonné de produire les déclarations fiscales corrigées au 30 juin 2013 pour les années 2008 à 2012, ainsi qu'à produire les relevés mensuels de ses cartes de crédits et les relevés et évaluations de portefeuille mensuels des comptes dont il était seul titulaire pour la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2013.

Selon cette ordonnance, la contribuable avait notamment conclu à la condamnation de son mari au paiement d’une contribution d’entretien de CHF 45'700.- par mois. Elle avait expliqué qu’elle ne disposait que d’un nombre réduit de justificatifs, étant donné que l’essentiel des factures avait été directement payé par son époux.

Il n'était pas contesté que M. A______ avait assumé et assumait toujours les frais d’entretien et d’études des deux enfants du couple, soit, selon ses dires CHF 102'345.- par an ou CHF 8'528,75 par mois. Il ressortait d'un courrier du 19 juillet 2013 adressé à l'AFC-GE qu'il avait versé à son épouse, à titre de contribution d’entretien, CHF 253'609.- en 2009 (CHF 21'134.- en moyenne par mois), CHF 249'144.- en 2010 (CHF 20'762.- en moyenne par mois), CHF 367'806.- en 2011 (CHF 30'650.- en moyenne par mois) et CHF 300'000.- en 2012 (CHF 25'000.- en moyenne par mois). Depuis le 1er janvier 2013, il avait réduit cette contribution d’entretien mensuelle à USD 10'000.-.

Le TPI avait retenu que M. A______ avait satisfait, depuis la séparation du couple, à ses obligations d’entretien vis-à-vis de son épouse et de ses enfants et avait continué à augmenter la fortune du couple, la contribuable ayant pu procéder à des prélèvements réguliers et libres sur le compte mis à sa disposition par son mari jusqu’à la fin de l’année 2011.

Pour l’année 2012, le TPI avait estimé les charges de la contribuable, en s’appuyant sur les montants déclarés par son époux comme des contributions d’entretien, soit en particulier CHF 300'000.- pour l’année 2012, acquittés par des versements mensuels réguliers de CHF 25'000.-.

Le TPI avait ainsi retenu les postes mensuels suivants : loyer (CHF 11'500.-), parking (CHF 500.-), frais médicaux non couverts par l’assurance-maladie (CHF 1'500.-), femme de ménage (CHF 800.-), primes d’assurance-maladie (CHF 750.-), autres primes d’assurance (CHF 300.-), frais de déplacement (CHF 500.-), vacances (CHF 1'000.-), loisirs et culture (CHF 500.-), nourriture et habillement (CHF 3'000.-), soit au total CHF 20'350.- par mois.

5. Dans les bordereaux relatifs à l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC), ainsi qu’à l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) que l’AFC-GE a notifiés à la contribuable le 16 septembre 2013, l'AFC-GE l'a taxée pour l’année 2008 en imposant les pensions alimentaires déclarées par l’intéressée.

6. Le 17 octobre 2013, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre des deux bordereaux 2008 précités, contestant l'imposition de la somme de CHF 306'832.-.

Ce montant avait été indiqué à tort dans sa déclaration fiscale 2008 sous la rubrique « 13.10 Pensions alimentaires, contributions d'entretien ». Au moment de l'établissement de sa déclaration, elle avait été très souffrante et diminuée par les traitements lourds et conséquents qu'elle avait subis en raison de son cancer. Elle avait été très affectée par l'échec de son mariage et le litige l'opposant à son époux. Elle n'avait pas été en mesure de gérer correctement les relations avec son conjoint et leur situation matrimoniale et fiscale, et encore moins d'obtenir de ce dernier les documents et pièces dont elle avait besoin pour compléter correctement sa déclaration fiscale. Sa fiduciaire s'était basée sur les dires de son époux pour remplir sa déclaration fiscale. C'était ainsi que sa déclaration avait été complétée de façon erronée en ce qui concernait ses revenus.

Le paiement de factures précises, pour des montants non convenus à l’avance et sans périodicité déterminée, ne représentait pas une contribution d’entretien imposable. Ces prestations étaient soumises au même régime fiscal que l’assistance privée ou la fourniture d’aliments.

M. A______ ne lui avait pas versé de pension alimentaire de 2008 à 2011. Ainsi qu’il ressortait de l’ordonnance du TPI du 15 août 2013, elle avait procédé à des prélèvements réguliers et libres sur le compte mis à disposition par son époux jusqu'à la fin de l'année 2011. À teneur de l'ordonnance précitée, selon M. A______, c'était à partir du 1er janvier 2012, qu'il avait commencé à verser à son épouse un montant mensuel fixe de CHF 25'000.-, alors qu'auparavant, elle procédait à des prélèvements au moyen d'une procuration ou lui transmettait les factures pour règlement. Cet état de fait se reflétait d'ailleurs dans le montant des prélèvements indiqués par son époux, montant qui variait chaque année en fonction des dépenses.

La contribuable avait, puisque son mari ne lui versait pas de pension, utilisé les acquêts du couple durant les années 2008 à 2011 pour payer ses factures, ce qui ne représentait pas une prestation fiscalement imposable, mais un simple prélèvement de fortune.

Elle a annexé à sa réclamation l'ordonnance du TPI du 15 août 2013.

7. Le 6 février 2014, l’AFC-GE, par deux décisions sur réclamation distinctes relatives l’une à l’ICC 2008 et l’autre à l’IFD 2008, a décidé de maintenir la taxation de la contribuable, selon une motivation identique.

Une pension alimentaire ne prenait pas nécessairement la forme d’une rente mensuelle. Le paiement des charges courantes et régulières (loyer et primes d'assurance-maladie) était aussi considéré comme une manière de satisfaire à une obligation d’entretien.

Dans cette logique, le fait pour la contribuable d’effectuer des prélèvements réguliers sur un compte mis à disposition par son conjoint pour s’acquitter de ses factures courantes, ou de les lui transmettre pour règlement afin d'assurer son train de vie, constituait une prestation assimilable à des contributions d’entretien.

D’ailleurs, dans son ordonnance, le TPI mentionnait clairement que, depuis la séparation intervenue en début de l'année 2008, M. A______ avait assumé l’entretien de la contribuable et de ses enfants majeurs.

8. Par actes séparés du 6 mars 2014, la contribuable a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les deux décisions sur réclamation précitées, concluant à leur annulation, et en demandant que la somme de CHF 306'832.- ne soit pas considérée comme un revenu imposable, « sous suite de frais et dépens ».

Elle a repris les mêmes arguments que ceux formulés dans sa réclamation du 17 octobre 2013.

9. Le 16 juin 2014, l'AFC-GE a conclu au rejet des recours.

Force était de constater que dès la date de la séparation, la contribuable avait procédé à des prélèvements réguliers et libres sur le compte que son mari avait mis à sa disposition. Ces prélèvements opérés en vue de payer ses factures courantes et de prendre en charge ses frais privés devaient être considérés comme des contributions d’entretien et être imposés au sens de la loi.

Le montant des prestations imposées en 2008 en mains de la contribuable à titre de pension alimentaire (CHF 306'832.-) correspondait, à peu de chose près, à la contribution d'entretien que le TPI avait fixée en faveur de l'intéressée à partir du 1er janvier 2013, contribution qui équivalait à un montant mensuel de CHF 25'000.-, soit sur l'année, un montant de CHF 300'000.-.

10. Le 9 décembre 2014, le TAPI a invité la contribuable à lui indiquer qui de son époux ou d’elle, s’acquittait en 2008 du paiement de son loyer, de ses primes d’assurance-maladie, ainsi que de celles de ses enfants, de ses impôts et de l’écolage de ceux-ci. L’intéressée était également priée de préciser si les frais en question étaient inclus dans la somme de CHF 306'832.-.

11. Le 15 janvier 2015, la contribuable a expliqué qu'en 2008, elle réglait certaines de ses factures directement via le compte joint détenu auprès d’D______ (ci-après : D______). Il lui arrivait également de transmettre des factures à son mari pour qu’il les paie grâce à ce même compte. De la même manière, ce dernier utilisait également ce compte pour payer ses propres dépenses. Il n’était donc pas possible de déterminer lequel des deux époux s’acquittait d’une facture déterminée, puisque tous deux débitaient le même compte. Ainsi, on ne pouvait pas prétendre qu'il y avait eu le versement d'une pension entre les époux, par le paiement de diverses factures du couple sur le même compte bancaire. Dans le montant de CHF 306'832.-, il était certain qu’un grand nombre de ces factures étaient comprises. En réalité, c'était bien parce que son époux ne payait pas de pension qu'elle avait dû saisir le TPI en 2012 pour en obtenir une.

12. Le 26 janvier 2015, l'AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse du 16 juin 2014.

13. Le 30 janvier 2015, la contribuable a précisé qu’en 2008, chaque conjoint débitait les mêmes comptes pour régler son train de vie, sans pour autant que l’un deux versât une pension à l’autre.

14. Par jugement du 5 février 2015, le TAPI a admis partiellement les recours de la contribuable et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour nouvelles décisions de taxation.

Le TAPI, se référant à l’ordonnance du TPI du 15 août 2013, a retenu que M. A______ avait satisfait, depuis la séparation du couple, à ses obligations d'entretien vis-à-vis de son épouse, étant donné qu'elle avait pu procéder à des prélèvements réguliers et libres sur le compte mis à sa disposition par son mari jusqu'à la fin de l'année 2011. Les charges périodiques de la contribuable se composaient du loyer, du parking, des frais médicaux non couverts par l’assurance-maladie, de la femme de ménage, des primes d’assurance (y compris l’assurance-maladie), des frais de déplacement, de vacances, de loisirs, de culture et de nourriture ou d’habillement. Le paiement par son époux de l’entretien, des charges courantes et régulières devait être assimilé à une contribution d’entretien imposable. Par conséquent, le paiement par M. A______ des charges de son épouse, que le TPI avait chiffrées mensuellement à CHF 20'350.-, (soit CHF 244'200.- par an) représentait pour cette dernière une contribution d’entretien imposable. En l’absence d’autres données, le TAPI s'était tenu à ces montants.

En conséquence, seuls CHF 244'200.- devaient être considérés comme une pension alimentaire imposable et non CHF 306'832.-, comme retenu par l'AFC-GE.

15. Par acte du 9 mars 2015, la contribuable a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, et en demandant que la somme de CHF 306'832.- ne soit pas considérée comme un revenu imposable, « sous suite de frais et dépens ».

Reprenant dans une très large mesure les arguments formulés dans ses précédentes écritures, elle a précisé que pour un couple disposant d'une fortune conjointe, soit des acquêts, aussi élevée que la leur, le prélèvement d'argent par elle et son époux sur leur propre fortune pour financer leur train de vie était tout à fait normal. On pouvait d'ailleurs constater une diminution de la fortune de leur couple durant ces années.

De plus, son époux avait procédé de la même manière qu'elle en effectuant des prélèvements sur les comptes du couple pour assurer son train de vie. Ces prélèvements n'avaient, sans doute, pas été considérés par l'AFC-GE comme une prestation imposable chez M. A______. D'ailleurs, la déclaration fiscale américaine 2008 de son époux ne mentionnait pas le versement d'une quelconque pension alimentaire.

Il était faux fiscalement d'assimiler tout prélèvement d'argent ou paiement de factures par un compte bancaire comme étant le versement d'une pension alimentaire. D'ailleurs, en droit fiscal, il n'était pas choquant que le même résultat final (paiement des factures en l'occurrence) soit traité fiscalement d'une manière distincte selon la forme utilisée. Ainsi, on retrouvait la même distinction de traitement fiscal lors d'un divorce : si la prestation d'entretien était versée en capital et non en rente, elle n'était pas imposable auprès de la personne qui la recevait et non déductible pour la personne qui la recevait (sic).

16. Le 12 mars 2015, le TAPI a produit son dossier sans formuler d'observations.

17. Le 22 avril 2015, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Dès la date de la séparation, soit dès 2008, la contribuable avait procédé à des prélèvements réguliers et libres sur le compte que son mari avait mis à sa disposition afin d'assurer son train de vie et de payer ses charges courantes. Le mari de la contribuable avait de surcroît payé un certain nombre de factures pour le compte de son épouse, et avait assumé l'entretien des enfants et leurs frais d'études.

Selon la doctrine et la jurisprudence, ces prélèvements entraient très clairement dans la notion de contributions d'entretien au sens de la loi.

L'ordonnance du TPI du 15 août 2013 confortait ce point de vue, dans la mesure où elle confirmait que, dès le moment de la séparation, M. A______ avait assumé l'entretien de son épouse, ainsi que celui de ses enfants.

S'agissant du montant de la pension alimentaire retenue par le TAPI, l'AFC-GE se ralliait au montant retenu par le TAPI quand bien même il était inférieur au montant qui avait été indiqué par la mandataire de la contribuable dans la déclaration fiscale 2008 de sa mandante.

Enfin, le montant de la pension alimentaire retenue par le TAPI (CHF 244'200.-) était tout à fait raisonnable en comparaison avec la contribution que le TPI avait fixé en faveur de la contribuable à partir du 1er janvier 2013, contribution qui équivalait à un montant mensuel de CHF 25'000.-, soit sur l'année à un montant de CHF 300'000.-.

18. Le 29 mai 2015, la contribuable a répliqué, persistant dans ses conclusions.

L'AFC-GE n'avait pas établi que les fonds utilisés provenaient d'un compte appartenant à M. A______. L'état des titres de la déclaration fiscale 2008 de M. A______ indiquait que le couple détenait au 31 décembre 2008 conjointement à hauteur de 50 % chacun au moins trois comptes auprès de la banque D______ : les comptes n° 1______, n° 2______ et n° 3______ présentant respectivement des soldes au 31 décembre 2008 de CHF 3'537'266.-, CHF 3'560.- et CHF 2'745'615.-.

Cela prouvait qu'il existait plus d'un compte à l'D______ et que ceux-ci étaient parfois détenus conjointement par les époux. L'utilisation d'un compte plutôt qu'un autre relevait plutôt d'une pure commodité pratique.

Ceci montrait qu'elle disposait d'une fortune personnelle largement suffisante pour lui permettre de subsister sans son mari durant cette période et d'opérer les prélèvements en question sur ses propres deniers.

Au 31 décembre 2008, force était de constater que les époux n'étaient pas divorcés, de sorte qu'il était matériellement impossible pour quiconque d'attribuer les éléments de revenus et de fortune à l'un ou à l'autre des époux. C'était ainsi sur sa fortune personnelle – conséquente – qu'elle avait opéré des prélèvements afin de subvenir à l'entretien de sa famille. Or, ce prélèvement de fortune n'était pas imposable.

M. A______ avait, sur la même période, lui aussi opéré des prélèvements sur les comptes bancaires du couple pour assurer ses dépenses personnelles. Ces prélèvements n'avaient sans doute pas été considérés par l'AFC-GE ou le TAPI comme une prestation imposable en son chef.

Enfin, le principe voulait que les pensions et contributions d'entretien ressortent d'une convention ou d'un jugement. A contrario, tant qu'il n'y avait pas de jugement, il n'y avait pas de pension alimentaire.

À l'appui de cette écriture, la contribuable a produit le relevé du compte n° 2______ au 31 décembre 2008 détenu conjointement par les époux A______ auprès de l'D______, ainsi que leur déclaration fiscale 2007.

19. Le 5 juin 2015, les juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 17 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L'objet du litige concerne l’imposition sur le revenu au titre de l’IFD et de l’ICC pour l’année 2008.

3. Les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (arrêts du Tribunal fédéral 2C_835/2012 du 1er avril 2013 consid. 8 ; 2A.568/1998 du 31 janvier 2000 ; ATA/780/2013 du 26 novembre 2013 consid. 2 et les références citées).

La question étant traitée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 p. 262 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1 et 2C_60/2013 du 14 août 2013 consid. 1 ; ATA/204/2014 du 1er avril 2014 consid. 3).

Le 1er janvier 2010 est entrée en vigueur la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), dont l'art. 69 a abrogé les cinq anciennes lois sur l'imposition des personnes physiques (aLIPP-I à aLIPP-V du 22 septembre 2000).

L'art. 72 al. 1 LIPP prévoit que cette loi s'applique pour la première fois pour les impôts de la période fiscale 2010. Pour les périodes fiscales antérieures, les dispositions des anciennes lois s'appliquent même après l'entrée en vigueur de la loi.

En l'espèce, le recours concerne la période fiscale 2008. Dès lors, c'est l'ancien droit (aLIPP-I à aLIPP-V) qui s'applique, ainsi que la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11).

4. La recourante conteste que le montant de CHF 306'832.-, ramené par le TAPI à CHF 244'200.-, soit pris en compte dans son revenu au titre de pension alimentaire.

a. Selon l’art. 16 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), l'impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques. Sont aussi considérés comme revenu les prestations en nature de tout genre dont bénéficie le contribuable, notamment la pension et le logement, ainsi que les produits et marchandises qu'il prélève dans son exploitation et qui sont destinés à sa consommation personnelle (art. 16 al. 2 LIFD). Tel est en particulier le cas de la pension alimentaire obtenue pour lui-même par le contribuable divorcé ou séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien obtenues par l'un des parents pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale (art. 23 let. f LIFD).

En droit cantonal, l'art. 9 let. f LIPP-IV a la même teneur que l'art. 23 let. f LIFD.

b. Selon la doctrine, en cas de divorce ou de séparation de droit ou de fait au cours de la période fiscale, il n'y a pas de taxation commune jusqu'au divorce ou à la séparation, les époux étant imposés séparément pour l'ensemble de l'année fiscale. Le revenu imposable se déterminant d'après les revenus effectivement acquis (art. 210 al. 1 aLIFD), les pensions et contributions d'entretien entraînées par la séparation de fait sont imposables, respectivement déductibles, sans conversion sur une année ni pour le calcul du revenu imposable de la période ni pour la fixation du taux.

En la règle, les pensions et contributions d'entretien ressortent d'une convention ou d'un jugement. La LIFD ne pose cependant pas comme condition expresse à leur imposition (respectivement à leur déduction) qu'elles soient fixées dans un jugement ou une convention ratifiée par le juge ou les autorités de tutelle.

Selon les principes généraux du droit fiscal, un revenu est réalisé lorsque le contribuable peut effectivement en disposer, soit lorsqu'un bien ou une prestation a passé en sa possession ou qu'il a acquis un droit ferme à un bien ou à une prestation. S'agissant d'une prestation en espèces, c'est en principe le cas lorsque le contribuable acquiert la créance, pour autant que son exécution n'apparaisse pas incertaine (Christine JAQUES in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Impôt fédéral direct, Commentaire romand, 2008, p. 411 n. 40 à 42 ad art. 23 LIFD).

Par pension alimentaire imposable chez l’(ex)-conjoint bénéficiaire (et déductible par le débiteur), on entend la rente d’entretien en espèces. Les prestations périodiques en nature supportées par l’époux astreint à verser des aliments lui sont assimilées. En pratique, il s’agit plus particulièrement du cas où le débiteur de l’entretien met gratuitement à disposition de l’autre époux, pour y habiter, la maison ou l’appartement dont il est propriétaire. Le débiteur de l’entretien doit déclarer la valeur locative, mais peut déduire le même montant à titre de pension alimentaire. Ledit montant est imposable selon l’art. 23 let. f LIFD chez le créancier de l’entretien. Est également imposable (respectivement déductible), à titre de pension alimentaire, le paiement, par le débiteur de l’entretien, des charges courantes et régulières que sont le loyer et les primes d’assurance-maladie dus par le créancier de l’entretien. Les prestations consistant dans le paiement de dépenses qui ne se renouvellent pas à intervalles réguliers et dont le montant est de surcroît aléatoire à déterminer ne constituent pas une pension alimentaire imposable, respectivement déductible (Christine JAQUES, in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.] op. cit., p. 412-413 n. 46-47 ad art. 23 LIFD).

5. a. Conformément à l'art. 123 al. 1 LIFD, les autorités de taxation établissent les éléments de fait et de droit permettant une taxation complète et exacte, en collaboration avec le contribuable. La procédure de taxation est ainsi caractérisée par la collaboration réciproque de l'autorité fiscale et du contribuable (procédure de taxation mixte). Le contribuable est tenu de faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte (art. 126 al. 1 LIFD). Il doit en particulier remplir la déclaration d'impôt de manière conforme à la vérité et complète (art. 124 al. 2 LIFD) et fournir les documents nécessaires (art. 125 LIFD).

Des règles similaires figurent dans la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17), pour la taxation de l’ICC (art. 25, 26, 31 LPFisc). Le contribuable porte ainsi la responsabilité de l'exactitude de sa déclaration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_63/2014 du 5 novembre 2014 consid. 3.1 ; ATA/265/2016 du 22 mars 2016 consid. 8).

b. Selon la jurisprudence, en matière fiscale, il appartient à l'autorité d'établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment (arrêts du Tribunal fédéral 2C_111/2012 du 25 juillet 2012 consid. 4.4 ; 2A.374/2006 du 30 octobre 2006 consid. 4.3). S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; 121 II 257 consid. 4c.aa ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_477/2009 du 8 janvier 2010 consid. 3.5 et 2C_199/2009 du 14 septembre 2009 consid. 3.1 ; ATA/1191/2015 du 3 novembre 2015 consid. 3a et les références citées). Par ailleurs, quand des indices clairs et précis rendent vraisemblable l'état de fait établi par l'autorité, il revient ensuite au contribuable de réfuter, preuves à l'appui, les faits avancés par celle-ci (arrêts du Tribunal fédéral 2C_111/2012 précité consid. 4.4 ; 2C_484/2009 du 30 septembre 2010 consid. 3.3). La procédure de taxation est ainsi caractérisée par la collaboration réciproque de l'autorité fiscale et du contribuable (arrêts du Tribunal fédéral 2C_111/2012 précité consid. 4.4 ; 2A.374/2006 précité consid. 4). Savoir si un fait est ou non prouvé relève des faits, alors que la répartition du fardeau de la preuve est une question de droit (ATF 130 III 321 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_111/2012 précité consid. 4.4 ; 5A.118/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.2 ; ATA/1191/2015 précité consid. 3a).

c. En droit fiscal, le principe de la libre appréciation de la preuve s’applique. L’autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu’elle a recueillis. Cette liberté d’appréciation, qui doit s’exercer dans le cadre de la loi, n’est limitée que par l’interdiction de l’arbitraire (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 513 n. 11). Il n’est pas indispensable que la conviction de l’autorité de taxation confine à une certitude absolue qui exclurait toute autre possibilité ; il suffit qu’elle découle de l’expérience de la vie et du bon sens et qu’elle soit basée sur des motifs objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_63/2014 du 5 novembre 2014 consid. 3.1 ; ATA/218/2016 du 8 mars 2016 consid. 13 ; Xavier OBERSON, op. cit., p. 514 n. 12).

Il peut arriver que, même après l'instruction menée par l'autorité, un fait déterminant pour la taxation reste incertain. Ce sont les règles générales du fardeau de la preuve qui s'appliquent pour déterminer qui doit supporter les conséquences de l'échec de la preuve ou de l'absence de preuve d'un tel fait (ATA/218/2016 précité consid. 13).

6. En l'espèce, conformément à la doctrine précitée, la loi ne pose pas comme condition expresse à l'imposition de la contribution d'entretien pour un contribuable qu'elle soit fixée dans un jugement ou une convention ratifiée par le juge ou les autorités de tutelle. Ainsi et contrairement à ce que soutient la recourante, il n'est pas pertinent pour l'issue du litige que les relations entre les époux A______ n'étaient pas encore réglées par un quelconque jugement en 2008.

Force est de constater que la fiduciaire de la recourante – dont les actes lui sont opposables (ATA/422/2011 du 28 juin 2011 consid. 4) – a clairement indiqué sous la rubrique « 13.10 Pensions alimentaires, contributions d'entretien » qu'elle avait perçu pour cette année-là une contribution d'entretien de la part de son époux.

Les explications de la recourante, selon laquelle sa fiduciaire aurait commis une erreur n'emportent pas conviction, dans la mesure où il ressort du courrier de M. A______ à l'AFC-GE du 17 décembre 2009 que les époux, depuis leur séparation, avaient pris les dispositions nécessaires en vue de régler leur vie séparée. Le mari contribuait à l'entretien de son épouse qui ne disposait d'aucune source de revenu propre et de ses deux enfants en laissant à la recourante l’usage de ses cartes de crédit, en alimentant un compte précis auquel elle avait accès et en prenant en charge certaines factures.

Par ailleurs et comme l'a souligné le TAPI, l'ordonnance du TPI du 15 août 2013 relève que M. A______ avait satisfait, depuis la séparation du couple en février 2008, à ses obligations d'entretien vis-à-vis de la recourante et de ses enfants, puisque celle-ci avait pu procéder à des prélèvements réguliers et libres sur le compte mis à sa disposition par son époux jusqu'à la fin de l'année 2011.

Certes, il ressort du dossier que les époux A______ détenaient au moins un compte joint auprès de l'D______ en 2008 ; toutefois, dans la mesure où la recourante a reconnu dans son courrier du 15 janvier 2015 au TAPI que dans le montant indiqué sous la rubrique « 13.10 Pensions alimentaires, contributions d'entretien » un grand nombre des factures étaient comprises dans ce montant, et que, vu les indices clairs et précis rendant vraisemblable l'état de fait établi par l'AFC-GE, elle n'a pas apporté la démonstration par pièces qu'elle réglait elle-même lesdites factures avec ses propres moyens, il était légitime de retenir que le paiement par son époux des charges de la recourante représentait pour celle-ci une contribution d'entretien au sens de la loi.

Au vu de ce qui précède, ni l’AFC-GE ni le TAPI n’ont mésusé de leur pouvoir d'appréciation en retenant que le montant indiqué sous la rubrique « 13.10 Pensions alimentaires, contributions d'entretien » de la déclaration fiscale 2008 de la recourante, soit CHF 306'832.-, ramené à CHF 244'200.- par le TAPI, devait être considéré et imposé comme une contribution d’entretien.

Le TAPI a fixé le montant total de la contribution d'entretien en annualisant le montant mensuel retenu par le TPI dans son ordonnance du 15 août 2013, soit CHF 244'200.- (12 x CHF 20'350.-). Or, il résulte du dossier que la séparation du couple a eu lieu en février 2008. En effet, tel que cela résulte du contrat de bail annexé au courrier du 17 décembre 2009 à l'AFC-GE de M. A______, ce dernier a pris un domicile séparé dès le 1er février 2008. C'est donc à partir de cette date que M. A______ a pourvu à l'entretien de la recourante.

Dès lors, le montant total de la contribution d'entretien qu'il convient de retenir pour l'année 2008 est en réalité de CHF 223'850.- (11 x CHF 20'350.-).

7. Il s'ensuit que le recours sera partiellement admis. Le dossier sera renvoyé à l'AFC-GE pour nouvelles décisions au sens des considérants.

8. Vu l’issue du litige, un émolument réduit de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe en partie (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 500.- lui sera allouée, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 mars 2015 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 février 2015 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 février 2015 en ce qu’il retient un montant de CHF 244'200.- à titre de contribution d'entretien imposable ;

fixe à CHF 223'850.- le montant retenu à titre de contribution d’entretien imposable ;

confirme le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 février 2015 pour le surplus ;

renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions de taxation IFD et ICC 2008 au sens des considérants ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à SFG Conseils SA, mandataire de Madame A______, à l’administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod et M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :