Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1011/2013

ATA/348/2014 du 13.05.2014 ( TAXIS ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1011/2013-TAXIS ATA/348/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 mai 2014

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

SERVICE DU COMMERCE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1950, exploite un taxi de service public en qualité d'indépendant, immatriculé GE 1______.

2) Le 16 mai 2011, deux agents de la police de sécurité internationale ont effectué une patrouille à pied au niveau « arrivées » de l’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG ou l’aéroport). A cette occasion, ils ont contrôlé M. A______ et lui ont demandé de produire ses disques tachygraphes de la semaine en cours.

Ils ont rédigé le même jour un rapport de dénonciation dans lequel ils reprochaient à M. A______ d'avoir conduit plus de quatre heures et demie sans pause les 7 et 12 mai 2011, d'avoir laissé son tachygraphe en mode « travail » les 10 et 11 mai 2011, d'avoir certains disques incomplets en ce qui concernait le total kilométrique, de ne pas avoir remis de quittance à certains clients ou d'avoir libellé incomplètement certaines quittances, et enfin de ne pas avoir d'enseigne lumineuse.

Ce rapport a notamment été communiqué au service du commerce (ci-après : Scom).

3) Par courrier recommandé du 10 avril 2012, le Scom a informé M. A______ qu'il envisageait de prendre à son encontre une sanction ou une mesure administrative, et lui a imparti un délai au 24 avril 2012 pour exercer son droit d’être entendu au sujet des faits qui lui étaient reprochés. Ces infractions à la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30) étaient au nombre de trois, à savoir la remise de quittances incomplètes, l'absence de remise d'office d'une quittance et l'absence d'enseigne lumineuse.

4) Le 2 mai 2012, M. A______ a répondu au Scom par courrier.

Il avait bien fait l'objet d'un contrôle à la période indiquée. Il ne se souvenait pas qu'il y ait eu un problème avec les quittances – il était en effet « à vide » – mais admettait ne pas avoir eu son enseigne lumineuse car il rentrait de France voisine, où il l'avait enlevée.

5) Par décision du 4 mars 2013, le Scom a infligé une amende administrative de CHF 600.- à M. A______ sur la base des art. 45 à 47 LTaxis.

En effet, compte tenu du rapport de dénonciation dressé à son encontre, M. A______ avait commis les trois infractions à la LTaxis décrites dans le courrier du 10 avril 2012. Partant, les art. 34 al. 4 et 38 al. 2 LTaxis, et 53 et 61 du règlement d’exécution de la LTaxis du 4 mai 2005 (RTaxis - H 1 30.01) avaient été violés.

6) Par acte posté le 26 mars 2013, M. A______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), sans prendre de conclusions formelles. Il s'opposait à la quotité de l'amende qui lui avait été infligée.

Il était vrai qu'il avait emprunté le passage de l'aéroport réservé aux taxis sans son enseigne lumineuse (« bonbonne ») car il revenait de France voisine. Quant à la non-délivrance d'une quittance, le client n'avait même pas attendu et avait claqué la porte en partant à toute vitesse. Il s'étonnait qu'on lui reproche à la fois d'avoir remis une quittance (incomplète) et en même temps de n'en avoir pas remis ; il ne méritait à cet égard pas de double peine. Il demandait à bénéficier de l'indulgence des autorités, n'ayant aucun d'antécédent.

7) Le 26 avril 2013, le Scom a conclu au rejet du recours.

Le constat de non-remise des quittances découlait de la consultation des disques tachygraphes ; il ne s'agissait ainsi pas d'un cas isolé, comme le recours le laissait entendre. Les chauffeurs devaient rédiger la quittance en même temps qu'ils encaissaient le montant de la course.

M. A______ aurait par ailleurs dû remettre son enseigne lumineuse, dès lors qu'il se trouvait à nouveau sur territoire suisse, et qui plus est en service.

Le montant de l'amende se justifiait par l'infraction commise et la situation personnelle du recourant, celui-ci n'ayant soulevé aucune difficulté financière ; elle n'était pas disproportionnée.

8) Le 27 juin 2013, le juge délégué a procédé à l'audition de l'un des deux agents de police ayant procédé au contrôle de M. A______ le 16 mai 2011.

a. L'agent précité a confirmé son rapport et l'a précisé sur quelques points. Ainsi, s'il était question de quittances non remises et incomplètes, c'était que M. A______ avait dû en présenter quelques-unes, dont certaines n'étaient pas complètement remplies, et pas assez en rapport avec le nombre de courses effectuées au vu des disques. Pour ce qui était de l'enseigne lumineuse, seuls les taxis en service et donc porteurs de ladite enseigne pouvaient se trouver au lieu du contrôle, soit le secteur « arrivées ». Elle ne savait pas pourquoi le rapport mentionnait à la fois le secteur « départs » et le secteur « arrivées », mais cela n'avait pas d'importance pratique, dans la mesure où seuls les taxis en service pouvaient accéder au premier comme au second.

b. M. A______ a indiqué avoir ce jour-là déposé un client à Ferney-Voltaire et y avoir effectué quelques courses. Il avait donc enlevé son enseigne lumineuse. Il était ensuite passé par le secteur « départs » de l'aéroport ; c'était en fait là qu'il avait été contrôlé. Il était en route pour le niveau « arrivées », où il aurait mis sa bonbonne comme de nombreux collègues. Le rapport de dénonciation était en outre inexact, car il n'avait pas été emmené au poste de police, contrairement à ce qui y figurait. Il ne se souvenait plus si la question des quittances avait été évoquée lors du contrôle.

c. Le représentant du Scom a ajouté que le montant de l'amende correspondait au barème approuvé par la commission de discipline instituée par la LTaxis.

d. A l'issue de l'audience, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 30 août 2013 pour formuler leurs observations finales, après quoi la cause serait gardée à juger.

9) Le 26 juillet 2013, le recourant a persisté dans son recours. Il ne transportait pas de client lors du contrôle. Le contrôle à propos des quittances n'avait pas été fait par la police, mais à une autre occasion par des agents du Scom. Un disque tachygraphe ne pouvait servir de preuve de la non-remise de quittances.

10) Le Scom n'a quant à lui pas formulé d'observations.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l’art. 65 al. 1 LPA, l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant.

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité, pourvu que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/818/2013 du 18 décembre 2013 ; ATA/844/2012 du 18 décembre 2012 ; ATA/681/2010 du 5 octobre 2010). Une requête en annulation d’une décision doit, par exemple, être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a, de manière suffisante, manifesté son désaccord avec la décision, ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/818/2013 et ATA/844/2012 précités ; ATA/670/2010 du 28 septembre 2010 ; Pierre MOOR/ Etienne POLTIER, Droit administratif, Vol. II, 3ème éd., 2011, p. 624 n. 5.3.1.2).

Il ressort clairement de l'acte de recours que le recourant demande matériellement à tout le moins la modification de la décision attaquée sous forme de réduction du montant de l'amende. Le recours est donc recevable.

3) La LTaxis a pour but d’assurer un exercice des professions de transport de personnes au moyen de voitures automobiles et une exploitation des services de taxis et de limousines conformes notamment aux exigences de la sécurité publique, de la moralité publique, du respect de l’environnement et de la loyauté dans les transactions commerciales, ainsi qu’aux règles relatives à l’utilisation du domaine public (art. 1 al. 1 LTaxis).

L’art. 39 al. 1 LTaxis prévoit que les taxis de service public doivent accepter toutes les courses, quel que soit le lieu de prise en charge ou de destination du canton (art. 47 al. 1 RTaxis). Cette obligation est précisée à l’art. 23 RTaxis pour les courses partant de l’AIG. L’accès, qui est prévu au niveau « arrivées » de l’aéroport, est réservé aux seuls taxis de service public (al. 1). Les chauffeurs qui accèdent à la station au niveau « arrivées » s’engagent à accepter le paiement de la course soit par carte de crédit, soit en euros ou en dollars américains, et à se rendre à toute destination dans un rayon de 50 km (art. 23 al. 2 RTaxis).

4) Le recourant s'oppose à l'amende de CHF 600.- qui lui a été infligée.

5) a. Selon l’art. 45 al. 1 LTaxis, le département des affaires régionales, de l’économie et de la santé (ci-après : le département) (soit pour lui le Scom à teneur de l’art. 1 al. 1 et 2 RTaxis) peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 20'000.- à toute personne ayant enfreint les prescriptions de la loi ou de ses dispositions d’exécution.

b. En cas de manquement aux devoirs imposés par la loi ou ses dispositions d’exécution par un chauffeur employé ou indépendant, le département peut, en tenant compte de la gravité de l’infraction ou de sa réitération, prononcer à l’encontre du titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi ou de limousine la suspension de la carte professionnelle pour une durée de dix jours à six mois ou le retrait de la carte professionnelle (art. 46 al. 1 LTaxis).

6) a. Force est de constater en l'espèce que l’amende administrative en cause est entachée d’un vice procédural, comme la chambre de céans l’a déjà jugé à plusieurs reprises (ATA/235/2014 du 8 avril 2014 ; ATA/818/2013 et ATA/844/2012 précités ; ATA/757/2011 du 13 décembre 2011).

b. Selon l’art. 48 al. 1 LTaxis, une commission de discipline (ci-après : la commission), formée des représentants des milieux professionnels, des organes de police et de l’office cantonal des automobiles et de la navigation, devenu depuis lors l’office cantonal des véhicules (ci-après : l’office), est appelée à donner son préavis sur les mesures et sanctions administratives prononcées par le département. Ses préavis ont valeur consultative et ne lient pas ce dernier.

c. A teneur de l’art. 74 RTaxis, cette commission siège à quatre membres, par rotation éventuelle entre eux. Elle est présidée par un représentant du Scom qui invite un membre de la police et un membre de l’office à participer aux séances (al. 1). Ces dernières sont convoquées par le Scom, autant de fois qu’il le juge nécessaire, selon les dossiers en cours (al. 2). Pour les infractions impliquant des amendes en application de l’art. 45 de la LTaxis, le préavis de la commission peut être donné au service par la seule approbation d’un barème (al. 3).

d. En plusieurs occasions déjà (ATA/235/2014 et ATA/818/2013 précités ; ATA/223/2012 du 17 avril 2012 ; ATA/844/2012 et ATA/757/2011 précités), la chambre de céans a mis en doute la légalité de l’art. 74 al. 3 RTaxis.

e. La question de savoir si cette disposition réglementaire dispose d’une base légale suffisante sera une fois encore laissée ouverte pour la raison suivante. Selon le texte clair de l’art. 74 al. 3 RTaxis, l’approbation par la commission du barème ne peut dispenser cette dernière d’émettre un préavis que « pour les infractions impliquant des amendes ». Or, tel n’est pas le cas d'une des infractions reprochées au recourant, l'absence d'enseigne lumineuse étant, selon ledit barème, passible d’une amende mais aussi d’une suspension de la carte professionnelle. Bien que cette mesure n’ait, en l’espèce, pas été prononcée contre le recourant, cela suffit à démontrer que cette infraction est considérée comme grave. Le Scom devait ainsi convoquer la commission et requérir son préavis, le barème édicté ne se limitant pas à prévoir des amendes pour les infractions reprochées et l’art. 48 al. 1 LTaxis ne prévoyant pas d’exception à la règle de consultation de cette autorité.

f. Conformément à la jurisprudence (ATA/818/2013 ; ATA/223/2012 et ATA/757/2011 précités), l’absence de préavis, dans un tel cas, entraîne l’invalidation de la décision (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit., ch. 2.2.5.4, p. 279 et les références citées).

7) Dans le cas d'espèce, le Scom n'a pas demandé de préavis à la commission pour se prononcer sur l'amende infligée au recourant. En conséquence, le recours sera partiellement admis et le dossier sera retourné au Scom afin qu’il requière le préavis de la commission puis qu’il statue à nouveau.

8) Pour le surplus, le Scom ne peut ignorer la jurisprudence constante de la chambre de céans. Nonobstant celle-ci, il continue à se passer de l’exigence légale de recueillir le préavis de la commission pour les infractions impliquant potentiellement des amendes et des suspensions d'autorisation. Aussi un émolument de CHF 500.- sera-t-il mis à sa charge, en dérogation au principe général posé à l’art. 87 al. 1 2ème phr. LPA. Aucune indemnité de procédure ne sera toutefois allouée au recourant, qui n’y a pas conclu et n’a pas exposé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 mars 2013 par Monsieur A______ contre la décision du service du commerce du 4 mars 2013 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du service du commerce du 4 mars 2013 ;

renvoie la cause au service du commerce au sens des considérants ;

dit qu’il est perçu un émolument de CHF 500.-, à la charge du service du commerce ;

dit qu'aucune indemnité de procédure ne sera allouée ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ; par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'au service du commerce.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :